Delphine Sabattier : Bonjour. Durant tout le mois de mai Politiques Numériques fera un spécial avec des interviews de 30 minutes environ, avec des candidats têtes de liste, colistiers, pour les Européennes. L’occasion de découvrir la vision de chacun pour l’Europe numérique de demain, puis de mieux comprendre, aussi, comment ils appréhendent les enjeux numériques dans l’espace européen. On va s’intéresser à leur projet global, mais aussi, plus précisément, dans l’un de ces quatre domaines que je leur ai demandé de choisir : la cybersécurité ou la résilience technologique ou l’énergie et l’innovation ou encore la démocratie numérique.
Mon deuxième invité, pour cette spéciale, s’appelle Pierre Beyssac. Bonjour Pierre.
Pierre Beyssac : Bonjour Delphine.
Delphine Sabattier : Porte-parole du Parti Pirate et numéro 2 de la liste du Parti Pirate pour ces élections européennes. On va d’abord parler de vous, Pierre, qui êtes-vous ?
Pierre Beyssac : Je m’appelle Pierre Beyssac, je suis ingénieur de formation. Je suis tombé dans le numérique il y a très longtemps, ça m’a toujours passionné, j’ai également été entrepreneur du numérique et, depuis quelques années, je suis un des porte-parole, impliqué dans le Parti Pirate qui défend pas mal d’idées, de valeurs, qui convergent avec les miennes.
Delphine Sabattier : Pareil, pourquoi ce choix d’engagement politique ?
Pierre Beyssac : Déjà, je ne savais plus pour qui voter. En 2019, je me suis posé la question, je me suis dit « pourquoi ne pas voter pour la liste où je suis présent ». Il y a tout un tas de sujets autour du numérique qui sont négligés, à mon sens, par les autres partis, donc j’ai eu des positions activistes, disons hors politique, je n’aurais même pas imaginé, en fait, m’impliquer dans un parti classique. Et puis je me suis aperçu, à un moment, qu’il y a des mouvements type La Quadrature du Net [1], qui ont une action très utile. À un moment, je me suis dit que ça serait quand même bien, voyant l’exemple notamment du Parti Pirate allemand, qui avait fait beaucoup de travail sur la législation dans la mandature 2014/2019, d’essayer d’apporter et de faire converger mes efforts avec ceux du Parti Pirate français pour avoir des élus ; ça ne serait pas mal !
Delphine Sabattier : Depuis quand le Parti Pirate français existe-t-il ? Parti Pirate, c’est 2006.
Pierre Beyssac : C’est ça, 2006 en Suède et, en France, il est arrivé en 2009. Il y a eu plusieurs phases, il y a eu des hauts et des bas, mais, sur la durée, on essaie de faire monter un petit peu nos idées.
Delphine Sabattier : Parti Pirate, rien qu’avec le nom on imagine un peu les valeurs qu’il porte, mais précisez-les, peut-être.
Pierre Beyssac : Initialement, le Parti Pirate s’est créé en Suède. C’était quasiment un gag, en fait c’était suite aux échauffourées contre The Pirate Bay [2] qui était un site de partage illégal de contenus numériques.
Delphine Sabattier : C’était la grande époque du téléchargement.
Pierre Beyssac : Exactement, les torrents, etc. Ça n’a pas complètement disparu, mais ça s’est atténué avec l’expansion du streaming légal. À l’époque et depuis très longtemps, les gens qui partagent des contenus illégalement sont appelés « des pirates », ça existait déjà à l’époque de la micro-informatique quand on copiait des programmes entre lycéens. Donc, les Suédois ont voulu créer une église, d’abord, pour défendre une valeur religieuse qui était de partager des contenus librement, parce que, évidemment, les convictions religieuses sont protégées, puis, finalement, c’est devenu un parti politique. Ça a essaimé un petit peu partout, en Europe notamment, mais pas uniquement, il y a des branches un petit peu partout dans le monde.
Delphine Sabattier : Et vous vous retrouvez derrière ces valeurs, de partage libre et gratuit ?
Pierre Beyssac : Absolument. Déjà, la devise du Parti Pirate français c’est liberté, démocratie, partage, parce que, pour nous, tout cela est lié : c’est l’accès à la connaissance, la libre expression, tout un tas de valeurs autour de ça, la souveraineté même, d’une certaine façon.
Tout l’environnement numérique, qui est un peu notre ADN de départ, est quelque chose qui devient de plus en plus important dans la vie de toutes et tous et on pense nécessaire de se protéger contre les velléités de législations un peu brutales parfois, par des gens qui ne sont pas forcément naïfs, qui peuvent l’être aussi, et qui négligent l’impact, à long terme, que cela peut avoir sur notre société.
Delphine Sabattier : Justement, je voulais avoir votre regard sur l’Europe numérique aujourd’hui déjà.
Pierre Beyssac : L’Europe s’en tire plutôt pas mal, à mon sens. On a loupé quelques trains avec l’hégémonie américaine, notamment en termes d’Internet, en termes de moteurs de recherche, en termes de systèmes d’exploitation, en termes de clouds aussi, mais je pense que la situation n’est pas fatale, on peut rattraper, on a des occasions à saisir par exemple avec l’IA, avec le logiciel libre. Il faut se souvenir qu’un certain nombre de GAFAM seraient quasi morts s’il n’y avait pas eu le logiciel libre pour les soutenir : typiquement, le cloud de Microsoft est fondé sur du logiciel libre ; Apple a pu se refaire une santé, avec Steve Jobs, grâce aux logiciels libres ; Amazon et Google n’auraient pas pu démarrer sans logiciels libres. Il y a donc un vrai substrat, à long terme, pour retrouver plus de souveraineté qu’on n’en a aujourd’hui, surtout aujourd’hui où il y a des lois américaines comme le FISA [3], qui force les fournisseurs, les entreprises américaines, même opérant sur le sol européen, à collaborer avec les services secrets américains, ce qui peut poser des problèmes en termes de surveillance de la population, mais également en termes d’intelligence économique. Je crois qu’il y a eu un rapport, je ne sais plus si c’est la DGSE [Direction générale de la Sécurité extérieure] ou la DGSI [Direction générale de la Sécurité intérieure], qui signalait que dans les affaires récentes d’ingérence en termes d’intelligence économique, il y en avait la moitié qui venaient de nos alliés américains. Ce n’est pas pour cela que ce ne sont pas nos alliés, mais il ne faut pas non plus être naïf par rapport à notre souveraineté.
Delphine Sabattier : Quel est le programme du Parti Pirate pour cette Europe numérique de demain ?
Pierre Beyssac : Le Parti Pirate, déjà par nature, a une forte prédilection pour le logiciel libre, l’open data et aussi tout ce qui concerne les droits humains, en termes de numérique déjà : lutter contre la traçabilité que permettent les technologies. Nous nous estimons techno-réalistes au sens où nous ne sommes pas technophobes, on ne veut pas rejeter la technologie en blog ; nous ne sommes pas non plus naïfs sur les dangers de la technologie en termes de surveillance et de traçage d’États policiers, etc. En fait, on essaye aussi de sortir de notre image de parti numérique technophile et de montrer qu’on a des idées qui vont au-delà, ne serait-ce que par l’expansion du numérique dans la société, mais aussi sur la démarche scientifique, donc l’écologie, la protection de l’environnement, l’énergie, le transport.
Delphine Sabattier : Parlons de l’écologie, parce que c’est un sacré défi de défendre l’écologie, le développement durable, quand on prône le numérique.
Pierre Beyssac : Oui, c’est un de mes combats. Le numérique se fait cogner dessus régulièrement pour son empreinte environnementale, il faut donc être vigilant là-dessus, notamment avec la montée de l’IA qui est forte consommatrice de moyens de calcul, mais il faut aussi remettre les pendules à l’heure en termes d’impact, parce que le numérique a un impact finalement relativement réduit par rapport à son utilité économique et sociale. Il y a, notamment en France, beaucoup de mouvements qui alertent. Récemment, il y a eu le rapport [4] sur les dangers des écrans, qui propose des mesures assez brutales ; il y a toutes les mesures de sobriété, pas forcément très bien dirigées ; certaines sont bien dirigées, mais d’autres sont un peu artificielles comme le nettoyage des courriers électroniques. Donc nous sommes là pour remettre un petit peu l’église au milieu du village en la matière.
Delphine Sabattier : Je vous ai vu réagir, notamment à la proposition de Najat Vallaud-Belkacem sur le rationnement de nos consommations numériques [5]. Vous trouvez qu’on est dans une caricature, aujourd’hui en France, par rapport au numérique ? En fait, je reprends vos termes.
Pierre Beyssac : Oui, complètement ! On est dans une caricature. Il y a aussi un effet médiatique aussi. Najat Vallaud-Belkacem a essayé de faire un peu de buzz là-dessus en proposant une action forte, ce qui était littéralement écrit dans sa tribune, après elle est un petit peu revenue en arrière vu le tollé, parce que les choses ne sont pas si simples. On demande que les choses soient un petit peu circonstanciées, qu’on ne mette pas tout le numérique dans le même bateau. Il y a des usages qui sont effectivement potentiellement néfastes ou addictifs, il faut essayer d’éduquer les gens là-dessus, mais se fonder sur le volume de données, c’est un petit peu simpliste à notre sens.
De même, le rapport « écrans » qui est sorti hier, le rapport sur les dangers des écrans, mélange tout sous le terme « écrans » ; les écrans c’est beaucoup de choses, c’est la télévision, ce sont même les distributeurs de billets dans les gares. Bon !
Delphine Sabattier : On a bien compris de quels écrans ils parlaient, quand même, Pierre Beyssac, dans ce rapport ?
Pierre Beyssac : Oui et non, parce que la télévision, par exemple, est maintenant imputée au titre de l’impact du numérique, ce qui n’est pas dans notre mental quand on entend parler d’impact du numérique, mais la télévision a un impact notable : un téléviseur consomme beaucoup plus qu’un téléphone. On peut parler des réseaux sociaux, on peut parler de plein de choses. Une des mesures du rapport est de dire qu’on va interdire la connectivité mobile aux moins de 13 ans, entre 11 et 13, il n’y a pas forcément de problème à ce que les enfants disposent d’un téléphone mobile, mais uniquement pour la téléphonie classique. Ça prive donc ces enfants-là d’utiliser Wikipédia en mobilité ou d’utiliser des applications de géolocalisation pour leurs itinéraires en transports, par exemple. Quand on met ça en avant, on nous accuse de caricaturer les choses, mais, en fait, c’est écrit directement dans la mesure. Ce qu’on demande, ce qu’on aimerait, c’est que les recommandations soient plus circonstanciées et plus adaptées aux cas particuliers.
Delphine Sabattier : Vous avez choisi de développer en particulier le sujet de la démocratie numérique. Je voulais vous interroger, parce que la démocratie ça veut dire engager chaque citoyen. Qu’est-ce que propose le Parti Pirate pour lutter contre la fracture numérique ?
Pierre Beyssac : Déjà, une meilleure éducation au numérique ; avoir des réseaux haut débit développés au maximum et mobiles, donc fixes et mobiles. On est plutôt bien en France, à ce niveau-là. Les réseaux mobiles méritent d’être améliorés dans les zones rurales, il y a encore des progrès à faire. Des initiatives ont été prises sur le partage des réseaux pour éviter que chaque opérateur ait besoin d’installer une antenne à chaque endroit, donc les opérateurs partagent déjà leurs infrastructures, en partie. Il faut continuer. On est plutôt bon en France, là-dessus, par exemple par rapport à l’Allemagne qui a fait le choix du VDSL [Ligne de transmission numérique à très haute vitesse], une technologie cuivre un peu dépassée maintenant. En France, on a décidé d’équiper massivement en fibre ce qui est vraiment un pari sur l’avenir, un très bon pari. Typiquement, si on veut utiliser des IA de manière souveraine, c’est-à-dire chez soi, il faut télécharger beaucoup de données ; avoir un réseau fibre, c’est donc vraiment utile.
Ça veut dire aussi adapter un petit peu l’Éducation nationale, tout ce qui est éducation, aux usages numériques, parce que, dans le tropisme national, on a tendance à beaucoup avertir sur les dangers du numérique, mais à ne pas aider les enfants à utiliser. On est plus dans le blocage ou l’interdiction que dans la sensibilisation aux usages positifs types encyclopédie en ligne, partage de la science, des connaissances, etc.
Delphine Sabattier : Vous considérez que les jeunes, aujourd’hui, ne sont pas assez éveillés aux usages du numérique ?
Pierre Beyssac : Ils le sont mais pas forcément guidés par les adultes, c’est-à-dire qu’ils vont peut-être faire du TikTok, mais ils sont quand même sensibilisés aux dangers. On a créé un compte TikTok pour le Parti Pirate, justement pour être plus proches des jeunes ; d’autres partis ont décidé de sortir de TikTok. Au contraire, nous pensons que s’il y a du contenu débile sur TikTok, c’est à nous de mettre du contenu intelligent, le contenu ne vient pas de nulle part, il vient des utilisateurs. Mon fils, lui-même, m’a dit : « Attention TikTok, c’est très dangereux ». On voit effectivement les mécanismes de TikTok qui commence à vous envoyer des vidéos alors que vous êtes encore en train de créer votre compte, c’est assez déconcertant et même, effectivement, un peu paniquant.
Les jeunes ont des usages, ne sont pas débiles non plus, il ne faut pas prendre les jeunes pour des imbéciles. On est plus pour l’éducation au sens « donner des petits points d’attention » aux jeunes, c’est en tout cas ce que je fais avec mes enfants, plutôt que leur dire « on va te couper le réseau parce que c’est n’importe quoi. » On essaie de leur apprendre, d’ailleurs comme nous, les adultes, devrions faire : essayer de prendre un peu de recul par rapport à nos usages addictifs.
Delphine Sabattier : Là vous parlez de TikTok et des pratiques algorithmiques, des pratiques addictives, c’est aussi comme ça que vous les percevez, visiblement. Face à cela l’Europe s’organise, crée des règlements, essaye d’imposer de nouvelles lois, de nouvelles règles. Est-ce que vous êtes en accord avec ça ? Est-ce que vous voudriez proposer autre chose au niveau européen ? Je pense à la question de la modération des services numériques.
Pierre Beyssac : Sur cette question, il y a déjà eu le DSA [6] et le DMA [7] qui ont posé des bonnes bases, et ce qui est intéressant, c’est qu’il y a un vrai dialogue au niveau européen.
Delphine Sabattier : Donc le Parti Pirate signe ces règlements ?
Pierre Beyssac : À priori oui. Le Parti Pirate français n’ayant pas d’élus n’a pas directement agi, mais les Partis Pirates allemands et tchèques, qui ont des élus actuellement, ont proposé des aménagements sur ces sujets-là. Notre force, c’est d’avoir des choses à proposer sur tous les sujets numériques et sur les réseaux sociaux, on a défendu notamment l’interopérabilité qui permet un petit peu de desserrer les étaux des grandes compagnies, puisque les Américains sont très forts en gestion de l’audience, mais ils ont un marché monolingue, quasi monolingue – pas totalement, ils peuvent se fonder sur l’anglais, éventuellement l’espagnol pour avoir des services uniformes. Ce n’est pas notre cas en Union européenne, mais on peut faire des progrès parce qu’on a quand même des valeurs communes en termes de culture qui nous permettent de nous appuyer là-dessus.
En fait, je pense qu’en Europe on a on a trop de complexes sur le fait qu’on a des valeurs communes convergentes, on entend souvent que les pays européens c’est une accumulation de pays sans queue ni tête, mais, en fait, on a des vraies valeurs européennes qu’on peut défendre en essayant d’avoir un marché aussi unifié que possible et des lois, notamment en termes de réseaux sociaux, qui permettent d’harmoniser et de défendre nos valeurs.
Delphine Sabattier : La démocratie numérique, c’est aussi réfléchir à comment mieux vivre ensemble dans cet espace numérique. Il y a le sujet de la haine en ligne qui revient régulièrement sur la table du politique, avec plusieurs propositions. J’ai vu que vous aviez eu un débat avec le député Paul Midy sur cette levée de, entre guillemets, « l’anonymat » sur Internet et les réseaux sociaux. Que propose le Parti Pirate pour lutter contre la haine en ligne ou peut-être, pour poser la question plus positivement, pour mieux vivre ensemble dans l’espace numérique ?
Pierre Beyssac : La haine en ligne ne vient pas des réseaux, elle vient des gens, à la base, il faut donc agir là-dessus. Je suis un peu hors sujet là, mais une des inquiétudes c’est de voir les sondages sur l’élection au Parlement européen, de voir qu’un parti d’extrême-droite est en tête des sondages, c’est un mauvais facteur concernant ce qu’on peut penser de la haine en ligne.
Delphine Sabattier : Pourquoi dites-vous cela ?
Pierre Beyssac : Parce que c’est un parti qui est assez populaire, malheureusement, qui pousse des valeurs qui ne sont pas des valeurs de vivre ensemble, justement, et, quand les sympathisants se sentent forts là-dessus, ils peuvent avoir tendance à s’exprimer brutalement en ligne.
Delphine Sabattier : Parfois, sur ce sujet typiquement de la haine en ligne qui rejoint aussi la question de la liberté d’expression, on peut trouver des partis extrêmes qui se rejoignent.
Pierre Beyssac : Justement, parce qu’ils n’ont pas envie qu’on lutte contre la haine en ligne, vous avez tout à fait raison.
Ce qu’on propose concernant l’anonymat, c’est déjà que la justice soit dotée de moyens corrects pour les affaires. Il faut savoir que dans la plupart des cas, à part des cas mineurs, mais dans les cas qui sont mis en avant, on arrive, avec des enquêtes policières et de justice, à obtenir les informations nécessaires pour coffrer ou, au moins, poursuivre et condamner correctement les auteurs de menaces de mort, etc. Il y a eu le cas de Mila [8], il y a eu un certain nombre d’insultes vis-à-vis de parlementaires et les auteurs ont été condamnés. Et là, on voit que les gens qui ont insulté ne sont pas forcément très conscients du fait qu’ils ne sont pas anonymes et qu’on peut les retrouver. Les journalistes qui rapportent les audiences le disent, quand les auteurs s’expliquent : « Je n’ai pas réalisé que je risquais d’avoir des ennuis, qu’on pouvait me retrouver ».
Delphine Sabattier : En fait, derrière mon pseudonyme, il y a une façon de m’identifier.
Pierre Beyssac : Tout à fait, donc il faut sensibiliser à ça : ne faites pas n’importe quoi sur les réseaux parce que si vous insultez, si vous menacez, ça peut vous retomber dessus et c’est légitime.
Il y a aussi le fait que les affaires soient jugées très tard, ça peut prendre 18 mois, deux ans, et l’auteur de l’infraction a même presque oublié ce dont il était question, donc il y a un problème sur la durée de traitement. On pense qu’on peut déjà utiliser les voies existantes et retaper les moyens de la justice qui, en France, est particulièrement sous dotée, ce qui provoque des délais et, peut-être, des affaires classées, pour améliorer ça sensiblement.
Delphine Sabattier : Vous dites que sur X, ex-Twitter, vous avez été ghosté, c’est-à-dire que vos réactions, vos réponses, ne sont plus visibles.
Pierre Beyssac : Là c’est revenu, il y a des hauts et des bas. Dans Twitter, il y a des algorithmes qui visent à lutter contre les bots, les robots qui envoient des messages, ça peut être des messages sur les cryptomonnaies, sur la propagande pour Poutine, tout un tas de choses.
Delphine Sabattier : Des sortes de spams, finalement, version réseaux sociaux.
Pierre Beyssac : Exactement, qui vous répondent parce qu’ils ont vu un mot clé dans vos messages qui correspond à leur sujet ou même pas, d’ailleurs, ils voient que vous avez une grande visibilité donc ils vont essayer d’avoir de la visibilité par votre propre visibilité. Comme je participe pas mal sur les réseaux, j’ai dû dépasser des seuils de réponses permises, donc Twitter m’a pris pour un robot.
Delphine Sabattier : Je vous pose cette question pour savoir si vous pensez qu’aujourd’hui on a un problème de liberté d’expression sur les plateformes en ligne.
Pierre Beyssac : En partie oui.
Delphine Sabattier : En même temps Elon Musk, le propriétaire de X, au contraire défend mordicus la liberté d’expression.
Pierre Beyssac : C’est un peu le paradoxe : quand il est arrivé, il a réduit le nombre de modérateurs sur Twitter, en fait, il a réduit tout le personnel de Twitter, notamment la modération, parce qu’il y avait quand même une modération humaine, il y a une partie automatique, mais on ne sait pas exactement comment ça fonctionne, il n’y a pas une grande transparence, il a rajouté un peu de transparence. Il défend effectivement la liberté d’expression, mais, ce faisant, il a surtout rouvert à tout un tas de bots qui étaient relativement mis de côté, qui étaient relativement discrets – c’est ce que j’imagine, c’est une hypothèse de ma part –, il a donc dû prendre des mesures pour essayer de détecter les bots. On voit les problèmes de la censure automatique et de la modération automatique qui peut avoir des effets de bords. Il y a presque plus d’efficacité contre les humains que contre les bots. Ça peut être un problème !
Delphine Sabattier : Je ne sais pas si ce problème se règle politiquement.
Pierre Beyssac : C’est délicat. On a eu, effectivement, le cas de la loi Avia [9], en France, qui visait justement à réduire la haine en ligne, qui, en fait, intimait aux plateformes le fait d’avoir des systèmes de modération humains ou automatiques, en fait une sorte de justice privée. L’intérêt du DSA et du DMA, c’est qu’ils mettent une responsabilité sur les grandes plateformes pour ne pas censurer à tort et à travers et aux États aussi pour ne pas bloquer sans avis de l’Union européenne, pour éviter de la censure aussi bien du niveau étatique que du niveau des plateformes.
Delphine Sabattier : On a une question de Jean-Paul Smets, un grand défenseur du Libre, qui s’interroge énormément sur ce que peut faire le politique en matière de régulation et, surtout, de sur-régulation, estime-t-il. On l’écoute.
Jean-Paul Smets, voix off : Bonjour. Je suis Jean-Paul Smets, PGD de l’opérateur de Edge Computing Rapid.Space.
Les réglementations en Europe sur le cloud sont de plus en plus lourdes : entre la directive NIS 2 [10], le PLD [Product Liability Directive], la qualification européenne EUCS [European">Union Cybersecurity Certification Scheme] ou SecNumCloud [11], le ticket d’entrée pour accéder au marché européen dépasse le million d’euros en formalités essentiellement administratives, c’est 40 fois plus cher qu’en Chine, 20 fois plus qu’aux États-Unis. Cela favorise les grands opérateurs de cloud américains. Par ailleurs, les réglementations sont rédigées dans un sens favorable au logiciel propriétaire plutôt qu’au logiciel libre ; les sites de production industrielle en France sont en train de délocaliser à cause de l’impossibilité de mettre en œuvre l’interprétation par l’ANSSI [Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information
] de la directive NIS 2 ; il y a quelques jours, des développeurs ont été arrêtés au Portugal et extradés.
En tant que député européen, que comptez-vous faire pour faire cesser la destruction d’emplois en raison de la sur-règlementation du numérique en Europe et restaurer la liberté, pour les auteurs de logiciels, de vivre de leur création de façon indépendante ?
Delphine Sabattier : Ah ! Que répondez-vous ?
Pierre Beyssac : C’est saignant ! Je n’étais pas au courant du ticket de un million, mais j’y crois tout à fait. La réglementation est effectivement coûteuse et les réglementations visant à protéger les citoyens, protéger les consommateurs en fait, sont coûteuses à mettre en œuvre. Les PME, et ça touche aussi le logiciel libre, ne sont pas forcément bien outillées, n’ont pas l’argent ni la masse critique en termes de chiffre d’affaires, en termes de clientèle, pour respecter la réglementation. Il y a même eu des choses assez paradoxales. Dans un projet comme Gaia-X [12], qui visait à faire du cloud européen, à mettre en avant les acteurs européens, se sont non pas infiltrés mais sont entrés légitimement les GAFAM, parce que c’était calibré pour ne pas le leur interdire. Le sujet est donc très complexe.
Delphine Sabattier : En fait, la question c’est : quelle est la position du Parti Pirate sur cette régulation ? Est-ce que vous êtes d’accord, aujourd’hui, sur ce constat que fait Jean-Paul Smets : on est dans un phénomène de sur-régulation pénalisant ?
Pierre Beyssac : Sur-régulation, je ne sais pas. Il y a quand même eu des éléments, notamment du Cyber Resilience Act et de l’IA Act, qui pouvaient gravement pénaliser le logiciel libre et les PME et qui ont été enlevés suite au retour des communautés, des Partis Pirates et ainsi de suite, mais on peut certainement faire mieux. Il faut déjà éviter d’en faire plus ou alors le faire intelligemment en ciblant pour, justement, ne pas pénaliser les petits acteurs, c’est la première chose.
On peut aussi envisager, et c’est une grande force des Américains, la commande publique, notamment la commande des grands groupes. En Europe c’est plus, comment dire, plus varié, mais notamment en France c’est très difficile quand vous êtes une PME et, à fortiori, évidemment, un auteur de logiciels libres bénévole, d’aller dans le CAC 40, parce qu’il y a des procédures qui sont très similaires à celles des marchés publics, des procédures de conclusion de contrats qui sont très longues. Côté État, côté administrations, paradoxalement, c’est plus ouvert maintenant, mais il y a des progrès à faire. Les administrations utilisent pas mal de logiciels libres, les PME peuvent être sensibilisées, mais il faudrait peut-être améliorer le Small Business Act européen pour essayer d’inciter à plus de commande publique ou de grands groupes, d’une part, et aussi, peut-être, simplifier les formalités parce qu’avoir un expert en marchés publics pour répondre pertinemment à des marchés, c’est aussi du gros boulot et ça coûte cher.
Delphine Sabattier : Quand je vous entends, je retrouve, en fait, beaucoup d’éléments aussi présents dans le parti Volt qu’on a reçu juste avant. Vous ne faites pas liste commune ?
Pierre Beyssac : Pour tout vous dire, on en avait parlé. On a énormément de convergences avec Volt, c’est clair, beaucoup d’idées communes. Nous sommes plus spécialisés en termes de numérique et droits fondamentaux, mais, effectivement, on a beaucoup de convergences.
Delphine Sabattier : Vous avez choisi de faire liste à part.
Pierre Beyssac : Pour l’instant oui. On avait envisagé, éventuellement, de faire alliance, puis Volt a fait une alliance avec le PRG [Parti radical de gauche] et Régions et Peuples Solidaires. Peut-être dans le futur. En attendant, on fait avancer nos idées et nos valeurs et on n’est pas contre, effectivement, le fait de mettre en avant nos convergences, pas du tout.
Delphine Sabattier : D’un mot comment feriez-vous pour nous convaincre d’aller voter tous, massivement, aux Européennes.
Pierre Beyssac : Je dirais que l’Europe est devenue très importante pour nous tous, l’Union européenne.
La législation, en termes de numérique, ne va pas s’arrêter, parce que c’est un sujet de plus en plus majeur et pas qu’en termes de numérique, ça touche aussi l’environnement, on a donc des choses à faire avancer.
On pense qu’il faut faire avancer la construction européenne plutôt que la détruire, même si elle a des défauts.
On pense que nos sujets deviennent majeurs et ne sont pas assez mis en avant. Côté Parti Pirate on pense vraiment qu’il faut nous donner plus de visibilité. Sur l’anonymat en ligne, par exemple, on a eu des tribunes dans des journaux généralistes, ce qui est très rare et, petit à petit, quand même, il commence à y avoir une prise de conscience de l’importance de ne pas se tirer des balles dans le pied en matière de législation sur le numérique.
Delphine Sabattier : Merci beaucoup. Merci Pierre Beyssac, du Parti Pirate.
Merci aussi à Julien Gola qui était à la réalisation aujourd’hui.
POL/N sera de retour très vite pour des spéciales élections européennes. Si vous voulez ne rater aucun épisode, inscrivez-vous à la newsletter sur Ausha et suivez-nous aussi sur votre plateforme de podcast et d’écoute préférée. À très vite.
Pierre Beyssac : Merci beaucoup pour l’invitation.