Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Frédéric Couchet : Bonjour à toutes. Bonjour à tous.
C’est le moment que vous avez choisi pour vous offrir une heure trente d’informations et d’échanges sur le logiciel libre, les libertés informatiques et également de la musique libre.
Je suis Frédéric Couchet, le délégué général de l’April.
Le deuxième texte : retranscrire, mettre en valeur et partager des textes de femmes via les communs numériques, ce sera le sujet principal de l’émission du jour. Avec également au programme la chronique « La pituite de Luk » sur le thème « Médias hostiles » et la chronique « Le libre et la sobriété énergétique » de Vincent Calame sur le thème « Éloge de la lenteur ».
Le site web de l’émission est libreavous.org. Vous pouvez y trouver une page consacrée à l’émission du jour avec tous les liens et références utiles
Nous sommes mardi 9 juillet2024 , nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.
À la réalisation de l’émission, mon collègue Étienne Gonnu. Salut Étienne.
Étienne Gonnu : Salut Fred.
Frédéric Couchet : Nous vous souhaitons une excellente écoute.
[Jingle]
Chronique « La pituite de Luk » – « Médias hostiles »
Frédéric Couchet : Nous allons commencer par « La pituite de Luk », une chronique rafraîchissante, au bon goût exemplaire qui éveille l’esprit et développe la libido. C’est bien sûr la description de Luk, ça n’engage que le chroniqueur.
La chronique « La pituite de Luk » porte aujourd’hui sur le thème « Médias hostiles ». Le sujet a été enregistré il y a quelques jours. Je vous propose d’écouter ce sujet et on se retrouve juste après.
[Virgule sonore]
Luk : En France, aller sur Internet se résume, pour le plus grand nombre de nos concitoyens, à la fréquentation des réseaux sociaux. Je me souviens, avec une nostalgie teintée de consternation, de l’époque où l’idée que l’Internet/réseau social, le fameux Web 2.0, était considéré comme « le nouveau monde ». Il s’opposait à un ancien monde des médias, totalement dépassés, dont la télévision était le fer de lance. Même du côté de l’Internet libre, il y avait cette conviction qu’un espace inédit de liberté s’ouvrait devant nous. Les consommateurs passifs de médias allaient enfin pouvoir prendre la parole !
En anglais, le terme employé est social media, facile à traduire en « médias sociaux ». Du point de vue du vocabulaire, au moins, cela les range dans la même catégorie que la télé, la radio, les magazines. Ce sont tous des médias. Ça me semble assez juste, un média étant un truc placé entre des gens, qui leur permet de communiquer. Selon cette définition, le vrai Internet lui-même reste un média.
Les élections actuelles nous démontrent douloureusement une chose : les vieux médias sont loin d’être dépassés. Aux régionales, les deux candidats qui ont reçu le plus de votes sont très exactement ceux qui ont eu la meilleure couverture dans les médias de masse. C’est donc dans les vieux médias qu’on fait les meilleures soupes autoritaires !
C’est pour cela qu’on le nomme 4e pouvoir et pour cela, qu’il y a 80 ans, un des piliers du programme du Conseil national de la Résistance était de mettre les médias à l’abri des puissances industrielles. Le CNR ? C’était une bande de gauchiasses initiée par cette fiotte cosmopolite qu’était le Général de Gaulle.
Si j’étais Zuckerberg, je prendrais ça comme un camouflet. Malgré ses milliards de dollars et la quantité terrifiante de données personnelles sous son emprise, d’autres milliardaires arrivent à détruire la démocratie mieux que lui et avec une technologie éculée, de surcroît. Dire qu’il y a quelques années, il vantait un avenir où son réseau social serait une infrastructure de la société, rien de moins ! Aujourd’hui, il se prépare à aller se cacher sous son lit. Mais, vu sa fortune, le fameux lit est un bunker auto-suffisant qu’il fait construire à Hawaï.
C’est qu’au final, les services des GAFAM sont des passoires. L’important étant de faire du bénéfice, peu importe que le service se « merdifie ». Les recherches Google sont vérolées par les sites marchands et les pubs dégueulasses. Meta, le monstre à trois têtes de Zuckerberg, est, quant à lui, l’inverse de celui qui gardait l’antre d’Hadès dans la mythologie grecque. Il a distribué les données personnelles à absolument n’importe qui et prospère sur la diffusion tous azimuts de la désinformation et des idées les plus poisseuses.
Les médias sociaux se sont dissous dans leur propre inanité, tout absorbés à définir quelle sera la nouvelle façon de générer du profit avec des données personnelles.
En conséquence, toutes ces plateformes sont également un terrain de jeu pour les puissances étrangères qui les utilisent pour déstabiliser nos sociétés à leur avantage. Des études révèlent ainsi que l’essentiel de la désinformation émane de très peu de sources.
C’est un jeu auquel tout le monde joue. Les services secrets américains ont, par exemple, fait ça aux Philippines pour décrédibiliser le vaccin chinois du Covid. Ils n’ont, bien entendu, pas pu le faire directement en Chine ou en Russie, car, dans ces pays, les médias sociaux sont strictement contrôlés et largement isolés des influences extérieures. Il est évident, là-bas, que les médias sont des sujets stratégiques, des outils de pouvoir, des armes.
Chez nous, cette dimension a été gommée des esprits, occultée des débats qui se tiennent au sein des médias eux-mêmes.
Les médias plus traditionnels sont désormais concentrés entre un nombre de mains réduit par des gens qui, eux, n’ont pas perdu de vue la nature de ce qu’ils se sont payé.
Et l’Internet libre dans tout ça ? Ce n’est manifestement pas lui qui va sauver la démocratie, sa voix est noyée dans le chaos des rouleaux compresseurs médiatiques. Ce ne sont certainement les solutions de chiffrement ou les médias sociaux alternatifs confidentiels qui vont nous sauver la mise. Dans un système autoritaire, avoir quelque chose à cacher ou fréquenter les mauvais sites, c’est se coller une cible sur le front.
L’Internet devait révolutionner le monde, la télé vient de prouver qu’elle reste la reine du royaume, la Reine de Cœur qui tranche des têtes.
Si les médias sont des armes, les partisans d’une informatique libre doivent être lucides et constater qu’ils en ont des toutes petites, comparativement à l’adversité, bien sûr.
[Virgule sonore]
Frédéric Couchet : Vous êtes de retour en direct sur radio Cause Commune. Nous venons d’écouter un sujet enregistré il y a quelques jours, consacré au thème des « Médias hostiles ». Cela nous fait plaisir de le diffuser sur une radio associative, un média indépendant qui va continuer à faire son travail. Vous êtes sur Cause Commune 93.1 FM.
Nous allons faire une pause musicale.
[Virgule musicale]
Frédéric Couchet : J’en profite pour remercier Isabella Vanni, ma collègue, qui a préparé l’émission du jour. Je vois que dans les musiques qu’elle a prévues, je pense qu’elle a fait la première pause musicale pour moi, parce que c’est une de mes artistes préférées, un de mes morceaux préférés.
Nous allons écouter Yesterday par Kellee Maize. On se retrouve dans trois minutes. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
Pause musicale : Yesterday par Kellee Maize.
Voix off : Cause Commune, 93.1.
Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Yesterday par Kellee Maize, disponible sous licence libre Creative Commons Partage dans les mêmes conditions.
[Jingle]
Frédéric Couchet : Nous allons poursuivre par le sujet principal.
[Virgule musicale]
Le deuxième texte : retranscrire, mettre en valeur et partager des textes de femmes via les communs numériques
Frédéric Couchet : Nous allons poursuivre par notre sujet principal qui va porter sur Le deuxième texte : retranscrire mettre en valeur et partager des textes de femmes via les communs numériques. Ce sujet est animé par Laurent Costy, vice-président de l’April, avec nos invités Clara Verdier et Fil.
Laurent,je te passe la parole.
Laurent Costy : Merci.
La corbeille
« Choisis-moi, dans les joncs tressés de ta corbeille,
Une poire d’automne ayant un goût d’abeille,
Et dont le flanc doré, creusé jusqu’à moitié,
Offre une voûte blanche et d’un grain régulier.
Choisis-moi le raisin qu’une poussière voile
Et qui semble un insecte enroulé dans sa toile.
Garde-toi d’oublier le cassis desséché,
La pêche qui balance un velours ébréché
Et cette prune bleue allongeant sous l’ombrage
Son œil d’âne troublé par la brume de l’âge.
Jette, si tu m’en crois, ces ramures de buis
Et ces feuilles de chou, mais laisse sur tes fruits
S’entre-croiser la mauve et les pieds d’alouette
Qu’un liseron retient dans son fil de clochettes.
Ce poème, intitulé La corbeille, est tiré du recueil Tandis que la terre tourne de Cécile Sauvage, édité en 1910 au Mercure de France.
C’est toujours passionnant de préparer une émission, parce qu’on découvre plein d’univers qu’on ne soupçonne pas. On va découvrir tout cela aujourd’hui, avec l’association Le deuxième texte.
On accueille donc, comme l’a dit Frédéric, Fil et Clara qui vont se présenter respectivement. Clara.
Clara : Bonjour. Merci pour l’invitation. Je m’appelle Clara et ça fait deux ans et demi, maintenant, que je suis au Deuxième texte. Pour ma part, je ne suis pas arrivée tout à fait au début de l’association, mais à un atelier, en fait, un peu comme ça. Au départ, je cherchais à m’engager pour la cause féministe, j’étais déjà convaincue, mais je ne savais pas exactement comment m’impliquer. C’était juste après la sortie du livre, je ne sais pas si vous en avez entendu parler, Le génie lesbien d’Alice Coffin, qui incite, notamment, à remplir sa bibliothèque d’écrits de femmes parce que, finalement, on en lit très peu au cours de sa vie. C’est comme cela que j’ai décidé de m’engager dans cette association qui met justement, à disposition de tous, en libre accès, des textes de femmes pour essayer de changer un peu nos représentations.
Laurent Costy : L’association fait pas que ça, on va en parler pendant 45 minutes à peu près.
Fil.
Fil : Bonjour. Je m’appelle Fil. Je suis dans l’association depuis sa création. J’y suis resté d’abord parce que l’équipe était chouette et c’est quand même quelque chose de plutôt motivant ; que j’étais assez convaincu par l’importance du bénévolat et des communs numériques, des communs en général et des communs numériques en particulier ; et puis que le contexte autour de l’égalité femmes-hommes et du besoin de plus de diversité me touchait. En particulier, on est parti sur un projet qui était de rendre plus accessibles les textes de femmes, indépendamment du milieu dont on venait, des revenus qu’on avait, etc., du coup, en particulier, participer plutôt à l’éducation en France pour permettre d’avoir de nouveaux repères, y compris dès l’enfance.
J’ai une formation en informatique, ça m’avait aussi poussé vers les communs numériques, à la recherche publique qui, elle aussi, m’a poussé vers les communs numériques.
Laurent Costy : Merci Fil. Du coup, il va falloir nous expliquer un petit peu ce qu’est Le deuxième texte, l’association Le deuxième texte, pourquoi c’est né, comment c’est né. Qui veut commencer ? Clara ou Fil ?
Clara : Fil est l’un des fondateurs de l’association, peut-être qu’il veut raconter l’histoire.
Laurent Costy : On lui laisse raconter l’histoire. Merci Clara.
Fil : En mars 2017, un hackathon de trois jours a été organisé à la fois par le ministère de l’Égalité femmes-hommes. C’est une organisation sur trois jours avec plein de gens qui se regroupent et qui ont envie de pousser un objectif commun et de travailler. Initialement, les hackathons viennent de tout ce qui est informatique, mais, là, c’était dans l’objectif de travailler à améliorer l’égalité femmes-hommes autour des communs numériques, des données en particulier. Il y avait Laurence Rossignol, qui était la ministre de l’Égalité femmes-hommes [ministre des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes], et Etalab, une structure d’État qui permet de faciliter le service public par l’usage des données.
Ils ont donc organisé cela dans un contexte qui était vachement agréable. Pour vous donner une idée : pour faciliter la participation des jeunes parents, il y avait une garderie qui permettait d’initier les jeunes enfants au développement, à la programmation, d’une manière un peu ludique, ce n’était pas Scratch, ça pouvait être beaucoup plus tôt. Scratch est un langage d’initiation au développement.
Laurent Costy : Avec des briques, tout coloré.
Fil : Exactement, tout à fait, quelque chose qui facilite. On avait donc un cadre qui était vraiment agréable, bienveillant, des coachs venaient nous aider. C’était extrêmement agréable, le contexte était enrichissant, bref ! C’était super chouette. On a travaillé pendant trois jours. On a eu la chance d’avoir des gens qui avaient des compétences vraiment complémentaires à la fois dans le numérique, dans la communication, dans la recherche et l’utilisation des données, dans tout ce qui est aussi animation de communauté. On a donc pu produire une maquette, on a remporté un prix et, suite à ce prix, on s’est dit que c’était vraiment trop dommage de s’arrêter, qu’on allait essayer de continuer. On a donc créé une association pour pouvoir prolonger cet engagement.
Laurent Costy : D’accord. Les personnes qui ont créé l’association se connaissaient avant ou, finalement, c’est cette rencontre, ce hackathon en mars 2017, qui a fait que vous avez, après, poursuivi ensemble sans vous connaître en amont ?
Fil : On avait un noyau dur, on avait trois personnes qui se connaissaient auparavant ; d’autres personnes sont venues sur place, nous ont rejoints et ont permis de compléter les compétences de l’équipe de manière assez intéressante, parce que, forcément, il y avait un biais dans les compétences qu’on avait puisqu’on se connaissait et on venait plus ou moins du même milieu ; en fait, on venait initialement d’une association qui s’appelait la Confédération des jeunes chercheurs, feu association qui s’intéressait aux jeunes chercheurs, étonnamment.
Laurent Costy : Étonnamment ! Donc six mois après ce hackathon, en 2017, création de l’association. Clara, du coup, quel nom a été choisi pour cette association et pourquoi ce nom ?
Clara : En tout cas, le nom qui a été gardé aujourd’hui c’est « Le deuxième texte », ça fait référence au Deuxième Sexe, le livre de Simone de Beauvoir qui a été écrit il y a maintenant quand même quelque temps. Au tout départ, ça s’appelait « George Le deuxième texte », c’est d’ailleurs le lien qui a été gardé pour notre site web. George faisait référence à ce nom qu’employaient beaucoup de femmes autrices, tout simplement pour pouvoir, à l’époque, être publiées ; on pense surtout à George Sand qui est la plus connue d’entre elles.
Laurent Costy : Dans les nombreux liens auxquels on fait référence sur la page de l’émission, vous verrez effectivement apparaître le mot « george ». Maintenant, vous avez l’explication de la raison pour laquelle on retrouve ce prénom.
Du coup, au fil du temps, l’objet de l’association se consolide. On peut peut-être préciser un peu l’objet de l’association, ses différents buts.
Clara : Bien sûr.
Un premier but était plus orienté vers les enseignants, les universitaires, tous ceux qui enseignent à un moment ou un autre. Il s’agissait de trouver, tout simplement, des alternatives pour les manuels scolaires, en fait essentiellement pour avoir des autrices à étudier en cours. On a notamment créé un portail qui permet de se documenter à ce sujet-là.
On a également essayé de pousser vers la création de chiffres, puisqu’il existe très peu de chiffres pour parler des autrices, on ne sait pas exactement quelle est la proportion d’auteurs ou d’autrices aujourd’hui dans les différents genres littéraires, etc. On a également essayé de mettre en lumière tout cela pour poser le constat, pour voir comment on pouvait changer ça aussi.
Laurent Costy : C’est ça, d’abord essayer de faire un constat, voir combien d’auteurs étaient étudiés, d’autrices étaient étudiées et, justement, mettre en évidence ce chiffre-là. Et, mettre en évidence ce chiffre-là, c’était déjà une forme de démonstration finalement. Très bien.
Clara : Ça venait aussi d’un constat. En fait, une pétition est sortie en 2017, je ne sais pas si ça va vous parler, qui a recueilli 20 000 signatures pour dénoncer l’absence d’autrices au bac littéraire, menée par une enseignante, qui s’appelle Françoise Cahen, du Val-de-Marne. Cela nous avait effectivement beaucoup impactés et c’est aussi pour cela que des personnes s’étaient mobilisées pour ce hackathon. C’est un peu dans cet ordre-là que les choses se sont faites.
Laurent Costy : Très bien. Du coup, l’usage du mot « autrice » a un peu émergé à ce moment-là ? Ça allait un peu avec le processus ou pas du tout ?
Clara : Je ne sais plus exactement quand est-ce qu’a réémergé le mot « autrice », en tout cas c’est un mot dont on n’a pas l’habitude de l’usage aujourd’hui, on a tendance à dire « auteur » ou « auteurE », d’ailleurs, c’est ce qui est recommandé par l’Académie française encore aujourd’hui. Ça correspond effectivement à une période, donc en 2017, où Éliane Viennot, Aurore Évain aussi, qui est pas mal médiatisée, avaient justement ressorti des vieux textes pour montrer qu’en fait « autrice » est un mot qui a toujours existé en français, qui permet justement de marquer davantage le féminin, de ne pas dire toujours « auteur » comme si c’était le générique. On a donc décidé, de manière un peu militante d’une certaine manière, de réutiliser le mot « autrice », qui est d’ailleurs maintenant accepté dans le langage d’aujourd’hui, en 2024.
Laurent Costy : D’accord. Pour essayer d’être le plus inclusif possible dans l’écriture et, effectivement, éviter d’oublier un peu la deuxième partie de l’humanité.
Très bien. Fil, as-tu des choses pour compléter, par rapport à cet objet ?
Du coup, on va rentrer dans le concret, dans le dur : que fait l’association maintenant au quotidien ? Depuis sa création, quelles sont les grandes actions, les choses dont vous pouvez être fiers et aussi le cumul de ces actions-là dans le temps, le retour ? Maintenant, vous pouvez commencer à avoir aussi un retour par rapport à ce que vous avez lancé il y a maintenant six/sept ans, c’est ça ? On vous écoute. Il y a un blog, si j’ai bien compris, où vous concentrez pas mal d’informations. Vas-y Fil.
Fil : Tout à fait. En fait, on a commencé par faire un blog. En même temps que ce portail pour essayer de trouver des autrices, on a fait un blog où on a recensé toutes les informations qu’on trouvait dans notre état des lieux. On a donc commencé par rassembler des informations : quelles sont les autrices disponibles sur le site de la Bibliothèque nationale de France, par exemple, ou dans Wikidata, un site qui est associé à Wikipédia, qui permet de faire base de données derrière, qui permet de recenser tous les chiffres, les dates de naissance, etc.
On a donc commencé à publier ces statistiques, entre autres, avec les statistiques institutionnelles : combien on avait de textes au niveau des manuels scolaires, combien on avait de textes de femmes, combien on avait d’autrices qui étaient étudiées dans les textes des concours, des diplômes, etc. On s’est attaqué aussi à des choses plus légères, qui montrent aussi le sexisme dans la société : la présence des femmes dans les biopics, les films qui sont inspirés par des femmes, des femmes de lettres entre autres ; on s’est intéressé aux portraits dans les musées, on a même fait des statistiques sur les citations présentes à l’intérieur des papillotes Révillon et on s’est rendu compte qu’il y avait moins de 1,1 % d’autrices sur les 600 chocolats qu’on a mangés en 2019. Eh bien, en 2023, suite à notre interpellation, ou pas, en tout cas Révillon a évolué puisqu’on était à 51,6 % d’autrices.
Laurent Costy : Pour que les gens comprennent bien : dans les chocolats il y a des citations et il y en avait 2 sur 100 qui étaient des citations de femmes ! OK, je comprends mieux.
Clara : Il y en avait 7 sur 600.
Laurent Costy : Ah oui ! 7 sur 600, ce n’est pas beaucoup !
Clara : Il a fallu manger beaucoup de chocolats.
Laurent Costy : Du coup, ça a évolué ? Vous avez fait une interpellation à l’entreprise directement ? Vous avez fait un courrier ?
Fil : Pas un courrier, on les a interpellés sur les réseaux sociaux.
Laurent Costy : Bien sûr, ce sont les moyens modernes, excusez-moi je suis un peu old school.
Fil : On les a interpellés, on leur a dit qu’il y avait un souci là-dessus, de la même manière qu’on a interpellé Google en disant « il nous dit que “autrice”, c’est erroné, il y a un problème ». Donc on a interpellé des gens.
Laurent Costy : Excuse-moi. « Autrice », c’est erroné, c’est-à-dire ?
Fil : Pour les gens qui utilisaient Google, le mot « autrice » était souligné en rouge en disant « il y a une erreur ».
On a essayé d’interpeller des éléments qui participaient en masse au monde, on va dire, donc, des sites très utilisés, des produits très utilisés, et puis aussi ceux qu’on avait sous la main, d’où Révillon, on aimait bien manger des chocolats à Noël.
Laurent Costy : Très bien. Une des premières étapes, c’est finalement essayer d’y voir clair, essayer d’identifier la réalité, se baser sur des chiffres, des statistiques et ça rejoint, après, la question peut-être des données ouvertes, qui est aussi quelque chose qui vous tient à cœur.
Clara : Oui effectivement. Par exemple, quand on fait la démarche de produire des statistiques, on essaye toujours d’être transparents sur cette démarche-là. Le fait qu’on choisisse Wikidata, qui n’est pas quelque chose de sombre, ce n’est pas une boîte noire d’informaticien, n’importe qui peut l’utiliser. En fait, dans nos billets de blog, on propose la démarche à suivre, parfois on propose aussi des vidéos à suivre, donc n’importe qui peut reproduire ça chez soi, dans n’importe quel domaine de la société.
Laurent Costy : Vous donnez la recette avec laquelle vous êtes arrivés à produire la statistique. Comme ça, les gens peuvent critiquer, éventuellement recalculer s’il y a des erreurs, etc., puisque tout le monde peut faire des erreurs. On a donc la recette et on est capable de reproduire le calcul si on le souhaite. OK. Merci.
Clara : Tu veux enchaîner, Fil ?
Fil : Peut-être pour compléter sur les données qu’on va utiliser. Celles qu’on utilise seront, en général, des données ouvertes pour qu’on puisse les réexploiter, les réutiliser, pour que les personnes qui sont intéressées puissent faire de même ; on va essayer d’éviter d’utiliser des données qu’on nous a données sous le manteau.
De la même manière, quand nous allons produire des données, comme le nombre de textes de femmes qui ont été étudiés dans un concours, on va en faire un dépôt, une archive ouverte, quelque chose qui va être accessible à tout le monde et qui peut être réexploité, y compris par la recherche par exemple. C’est une matière première qui est ouverte, réutilisable derrière.
Laurent Costy : Où déposez-vous ça, du coup ?
Fil : Entre autres, on va avoir un dépôt de données ouvertes du Deuxième texte sur data.gouv.fr, un site de l’État, un endroit qui est dédié à pouvoir rendre accessibles, on va dire, des données ouvertes. On va aussi avoir des données sur Wikidata, sur Wikisource, on en reparlera un petit peu plus tard.
Laurent Costy : Très bien. Du coup, je me permets un petit aparté. C’est vrai que la question des données ouvertes, de l’open data, de data.gouv, montre que l’État se soucie, se questionne par rapport à ça, c’est plutôt intéressant, ça fait plusieurs années que l’État se pose des questions et essaye de contribuer un peu à cette ouverture des données. Maintenant, je fais référence à un texte de Christophe Masutti, qui a été référencé dans la dernière revue de presse de l’April. Il y a une tendance à se dire que les communs et les data c’est important, mais Christophe Masutti écrit qu’il faut aussi faire attention à ne pas assécher les communs numériques. Il y a une volonté de l’État de contribuer, mais, parfois, c’est un peu maladroit parce que ça vient assécher, ça oublie tout ce qu’il y a derrière, les gens qui contribuent, et ça oublie aussi de nourrir tout l’écosystème initial. J’essaierai de penser à mettre ça, je ne l’ai pas encore mis, dans la page des références de l’émission. Ce texte-là est intéressant parce que, justement, il apporte un regard un peu objectif sur la façon dont l’État approche la question de l’open data. Ils ont bien compris que c’est important, mais, parfois, ils sont un peu maladroits sur l’approche.
C’était une petite parenthèse, excusez-moi. Quand j’ai lu la préparation de l’émission, je me suis dit que c’était intéressant de faire ce lien avec le texte que Christophe Masutti, une personne de Framasoft, a produit récemment.
On a parlé du blog que Le deuxième texte a produit, finalement c’est la première action qui a permis de communiquer un peu sur toutes les actions qui étaient mises en œuvre. Sur le blog, avez-vous encore des choses à dire ou, peut-être, voulez-vous évoquer les actions suivantes ?
Clara : On peut peut-être enchaîner, puisqu’on n’a pas seulement un blog, on a aussi un moteur de recherche qui aide à trouver des autrices. Comme on l’a dit, on a essayé de faire des statistiques, notamment sur les manuels scolaires, qu’on a voulu, après, rendre accessibles. Par exemple, il faut savoir qu’au brevet, jusqu’en 2017, il y avait 22 % de femmes enseignées pour 78 % d’hommes et plus on monte dans les classes supérieures, plus ce chiffre diminue, ce qui n’est pas forcément intuitif, puisqu’on tombe, par exemple au bac, à 9 %, donc une personne sur dix seulement, et, pour l’agrégation c’est à peu près pareil, 8 % de femmes enseignées.
L’idée c’était donc d’avoir un moteur de recherche intuitif, facile à utiliser, pour qu’on puisse trouver une alternative aux auteurs qui étaient proposés dans les manuels scolaires ou par rapport à une thématique scolaire. C’était plutôt quelque chose qu’on mettait en regard toujours par rapport à un homme. C’est quelque chose qu’on a fait évoluer par la suite, puisqu’on ne voulait pas que les femmes soient toujours reliées à des hommes, on voulait qu’elles puissent aussi exister en tant qu’autrices à part entière, qui ont parfois leurs propres mouvements.
Laurent Costy : Sans dire « c’est la femme de untel », c’est ça, sans systématiquement les associer au travail d’un homme.
Clara : Pour les surréalistes, on va toujours parler d’André Breton et on ne va jamais parler des femmes autour. C’est bien aussi de dire qu’elles ne sont pas là que par rapport aux hommes qui existent déjà dans le mouvement. On a donc décidé de faire quelque chose plutôt par rapport à qui est contemporain de qui. C’est donc comme cela que fonctionne le moteur de recherche aujourd’hui. Une fois que vous arrivez sur cette page, on vous propose du contenu pédagogique associé pour vous aider à enrichir vos cours, puisque, malheureusement, c’est parfois difficile de trouver des informations sur le sujet, ça peut donc renvoyer vers divers sites. Tout à l’heure, on parlait de la BNF ou de Wikidata, c’est principalement ça.
Laurent Costy : Je suis allé voir le moteur de recherche « Autrices », et l’exemple qui est donné, avant qu’on puisse saisir quelque chose, c’est « Pierre de Ronsard » qui est mentionné. C’est volontaire ? Je t’embête !
Fil : Tout à fait. Mais, comme le disait Clara, historiquement on est parti sur des figures d’alter ego. On s’est dit « je suis prof de français, j’ai l’habitude d’étudier Ronsard, j’ai l’habitude d’étudier Verlaine, j’ai l’habitude, etc., et je voudrais trouver des alternatives, pas forcément parce que je suis convaincu, ça peut être tout bêtement parce que j’en ai marre d’utiliser les mêmes auteurs ». Par défaut, effectivement, on a commencé par un auteur qui semblait beaucoup étudié et on s’est dit « qui est-ce qu’on pourrait trouver d’autre ? ». Les programmes ont évolué, mais, à l’époque, il y avait des notions qui étaient souvent liées aux mêmes époques ; typiquement on avait, pendant le siècle des Lumières, des notions qui ont été beaucoup étudiées par les auteurs et les autrices de l’époque. On s’est dit « on va essayer de trouver des personnes qui vivaient à la même époque », d’où le terme « alter ego ». L’idée, ce n’est pas forcément « la femme de », ça peut être tout bêtement « on aimerait avoir Olympe de Gouges, par exemple, quand on parle de liberté » ; connue, elle choque, mais efficace.
Laurent Costy : OK. C’est donc moi qui n’avais pas compris la logique du moteur de recherche, tout simplement. Ce n’est pas une erreur de l’association Le deuxième texte.
Je t’en prie Fred, tu voulais intervenir.
Frédéric Couchet : Je vais juste relayer la question de Marie-Odile, et la réponse de Clara, sur le salon web. Vous pouvez nous rejoindre sur causecommune.fm, bouton « chat » et salon #libreavous. Elle demande quelle est la formation de Clara. Clara a répondu sur le salon, je vais lui demander de répondre aussi à la radio.
Clara : Oui, c’est mieux en direct. Comme formation, j’ai fait un master de sociologie et de statistiques, d’où le goût pour les statistiques.
Laurent Costy : Ah oui ! C’est effectivement important de le préciser. Je comprends mieux !
Clara : Je fais encore des statistiques aujourd’hui dans mon métier, pour la sociologie, et c’est peut-être cela qui m’a beaucoup sensibilisée aux thématiques d’égalité de genre, à ce genre de choses.
Laurent Costy : Très bien, merci, cette précision était importante.
Par rapport au moteur de recherche, est-ce qu’il y a encore des choses à éclairer ?
Clara : Je voudrais dire qu’on produit des chiffres, on donne un outil utile à tous pour rechercher des autrices et, après, on essaye de rendre ces autrices visibles. Pour cela, on a créé un concours, c’est la troisième grosse activité de notre association. C’est un défi qui s’appelle « JeLaLis », pour faire lire des autrices et leur donner de la visibilité ; c’est centré sur les autrices uniquement d’expression française. Le but c’est de leur donner de la visibilité de manière créative : il y a des gens qui créent des podcasts sur le sujet, là il y a Libre à vous !, mais ça pourrait être d’autres podcasts, on avait eu un podcast sur les femmes de la Commune, par exemple, fait par des collégiens et collégiennes. Des gens vont également créer des interviews fictives, par exemple, ou qui vont créer un compte Instagram pour parler des influenceuses d’antan. L’imagination de chacun est toujours assez intéressante. C’est un concours auquel on peut participer seul ou en groupe. On a un an pour essayer de parler d’une autrice de son choix, qu’elle soit du 20e siècle ou beaucoup plus ancienne, puisqu’on a des autrices, comme Marie de France, qui datent plutôt de la période médiévale. La seule condition c’est que l’autrice soit décédée depuis plus de 70 ans puisqu’il faut que son œuvre soit dans le domaine public.
Laurent Costy : Très bien. Du coup, le niveau scolaire ? À qui ça s’adresse ? À quel nombre d’élèves ? Peut-on le faire en petits groupes, en grands groupes ?
Clara : On peut faire ça seul ou en groupe. On n’a pas mis de limite de personnes pour la taille des groupes, c’est vraiment à la discrétion de chacun. Ça s’adresse à tout le monde, pas forcément que les scolaires ; je crois que les plus jeunes qu’on a eus c’étaient des primaires, sinon pas mal de collégiens et des licences. Mais même les gens qui ne sont plus dans un cursus universitaire peuvent participer, c’est vraiment ouvert à tous et à toutes.
Laurent Costy : D’accord et on gagne combien ? 40 000 euros j’imagine !
Fil : On gagne de beaux livres, des livres déjà, mais aussi de beaux livres, évidemment écrits par des femmes. On va avoir, par exemple, un dictionnaire des autrices. Ces cadeaux sont offerts à la classe ou à l’individu, à la personne qui gagne.
Il est intéressant de noter que, pour cette édition, on ne laisse pas les gens sauter à l’eau tout seuls, on va aussi essayer de les former aux communs numériques. Typiquement on propose, sans aucune obligation, de leur faire découvrir des outils, ça peut être uMap ou OpenStreetMap, ça peut être les Framapads, ça peut être Wikipédia, l’encyclopédie bien connue, mais aussi Wikisource dont on va reparler tout à l’heure, Wikidata, donc pas mal d’outils, comme ça, qui sont souvent en ligne, des outils libres, mais aussi des licences qui sont associées, on pourra en reparler un petit peu tout à l’heure. On parle aussi beaucoup, dans les communs numériques, des licences Creative Commons qui sont des licences qui permettent de redistribuer plus facilement les données, les réexploiter, des licences libres en particulier, donc, on entendra souvent parler des licences Creative Commons Attribution Partage dans les mêmes conditions.
Laurent Costy : Très bien. Merci pour cet éclairage. Tu as parlé de uMap et d’OpenStreetMap. Dans dans la préparation de l’émission j’ai rêvé ou, en fait, vous localisez aussi les autrices, c’est ça ? J’ai bien vu qu’il y a une carte, du coup, peut-être que vous pouvez éclairer aussi cet aspect-là ?
Fil : Dans JeLaLis, on a une carte qui permet d’identifier les autrices et tous les lieux en France qui sont associés à ces autrices, c’est-à-dire qu’on peut avoir les lieux de naissance, les lieux de décès, éventuellement les lieux où elles ont vécu. Pour choisir son autrice, si on n’a absolument aucune idée ou que, éventuellement, on veut laisser faire le hasard, l’idée c’est qu’on va pouvoir sélectionner quelqu’un qui est proche de chez soi. Effet de bord intéressant, on peut se dire « tiens, dans ma ville, on veut renommer ou nommer une nouvelle rue », on peut aussi taper dans ce moteur.
Laurent Costy : Extrêmement intéressant. Avez-vous déjà eu un peu des retours, justement de ces usages-là ? C’est une hypothèse ou ça s’est déjà produit ?
Fil : Différentes applications ont été faites. Un de nos collègues, Philippe Gambette, l’un des fondateurs de l’association, qui est chercheur, a travaillé, entre autres, dans un projet de recherche sur les communs numériques pour essayer de faire mieux connaître les autrices. Entre autres, il y a eu des applications comme des balades virtuelles, on va dire des déambulations pour découvrir les autrices à certains endroits. Des personnes se sont intéressées à ce moteur de recherche pour, effectivement, essayer de savoir quelles sont les autrices dans tel ou tel coin ; nous nous sommes éventuellement déplacés dans certains endroits pour essayer de découvrir ensemble ce qu’il y avait dans les archives, ce qu’on pouvait y trouver.
Par contre, pour répondre à ta question, on n’a pas eu d’exploitation directement de, je ne sais pas, la base adresses nationales pour essayer d’identifier qu’il n’y a pas d’autrices à tel endroit, etc.
Par contre, ce qu’on peut faire et qui a déjà été fait, entre autres par Philippe, c’est essayer d’identifier le pourcentage, on va dire, de mobilier urbain ou de rues qui sont dédiées à des femmes, à des hommes. Parfois, éventuellement, on va trouver des rues genre Pierre et Marie Curie, les deux sont associés. Et sans surprise, malheureusement, on se rend compte qu’il y a très peu de rues qui sont associées à des femmes, souvent des petites rues, des petites places.
Laurent Costy : D’accord. Avez-vous déjà fait des statistiques sur ça ? C’est en cours ?
Clara : Je crois qu’il y a une chercheuse géographe qui travaille là-dessus.
Fil : Il me semble qu’on avait effectivement des statistiques, mais je ne saurais pas vous les dire de tête.
Clara : Parfois, il y a aussi un autre biais dans les noms de rues : quand la rue porte un nom de femme, il n’y a que le nom de famille qui apparaît, donc on ne sait pas que c’est une femme.
Laurent Costy : D’accord. C’est donc en créant ces cartes-là et en vous posant ces questions autour de ce sujet-là que vous vous êtes aperçus de cela. Très bien. Merci beaucoup pour cet éclairage.
Je vais repasser la parole à Fred qui va, je crois, nous introduire la pause musicale, entre autres.
Frédéric Couchet : En parlant de licence Creative Commons, la plupart de nos pauses musicales sont sous licence Creative Commons ou licence Art Libre qui est une licence d’origine française.
Le choix d’Isabella. Nous allons écouter Spleen & Sénégal par Le Chaos Entre 2 Chaises. Ce chouette titre a été déniché par Vincent Calame, dont on entendra la chronique tout à l’heure, merci à lui. On se retrouve dans quatre minutes. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
Pause musicale : Spleen & Sénégal par Le Chaos Entre 2 Chaises.
Voix off : Cause Commune, 93.1.
Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Spleen & Sénégal par Le Chaos Entre 2 Chaises, disponible sous licence Libre Creative Commons Attribution, CC By.
Une présentation de ce groupe est disponible sur le site auboutdufil.com. Alice y raconte notamment la genèse du groupe qui a eu lieu pendant le confinement et les raisons qui ont amené le fondateur du groupe à placer la musique sous licence libre.
[Jingle]
Frédéric Couchet : Nous allons poursuivre notre discussion animée par Laurent Costy, avec Clara et Fil de l’association Le deuxième texte. Sujet consacré à la transcription, la mise en valeur et le partage de textes de femmes via les communs numériques. Je vous laisse la parole.
Laurent Costy : Merci Fred.
On a commencé à regarder les actions que Le deuxième texte met en œuvre. On nous a expliqué tout ce qu’il y a sur le blog du Deuxième texte qui a commencé dès le début de l’association, en 2017 ; on a évoqué le moteur de recherche qui permet de trouver des autrices, de nouvelles autrices ; on a évoqué le défi JeLaLis qui permet à un groupe de jeunes en milieu scolaire, à un jeune seul ou à une classe de mettre en évidence, à sa manière, une autrice. Vous souhaitiez aussi nous parler des ateliers Wikisource. Clara, je te laisse la parole.
Clara : Oui. Juste pour dire que le défi JeLaLis n’est pas ouvert seulement aux scolaires. N’importe qui, dans cette pièce, qui veut participer, peut participer. La prochaine édition commence en septembre.
Laurent Costy : Ouvert à toutes et à tous.
Clara : Tout à fait.
Le quatrième pôle de notre association, ce sont les ateliers Wikisource. D’ailleurs, depuis maintenant un mois, on a un vice-président spécialisé dans les wikis : Wikipédia, Wikisource, Wikidata, etc. L’idée, c’est de se réunir une fois par mois pour essayer, à notre tour, d’enrichir la littérature en remettant des textes de femmes en ligne, accessibles gratuitement à tous, accessibles facilement puisqu’on sait que Wikipédia est, en général, le premier lien qui sort dans un moteur de recherche et c’est aussi le cas de Wikisource qui ressort énormément.
Wikisource, c’est la bibliothèque libre de Wikipédia, qui a été créée deux ans après l’encyclopédie, fin 2003. Comme pour tous les wikis, il y a des déclinaisons par langue ; nous travaillons essentiellement sur la francophone, pas seulement celle française, je dis bien francophone, puisque l’idée c’est aussi d’être inclusifs par rapport aux autres nationalités et avec toutes les langues françaises qui existent à travers le monde, puisqu’on n’a pas la même langue au Québec ou en Afrique.
Ces ateliers ont lieu une fois par mois. Ça consiste à apprendre à maîtriser l’outil Wikisource : on a la photo d’un livre, on va utiliser l’océrisation, la reconnaissance de textes par ordinateur. À partir de là, l’humain va relire le texte pour voir si tout est bien mis en forme, si l’orthographe est respectée puisque ça dépend souvent de la qualité de l’image en entrée. Une fois qu’on a tout relu, le texte est accessible à tout le monde.
Laurent Costy : J’ai fait de la reconnaissance de caractères de manière très amateur, sur des tout petits textes, avec des logiciels libres. Quels types de logiciels utilisez-vous ? Avez-vous réussi à en trouver des performants côté libre, comment ça fonctionne ? Ou, pour l’instant, on reste sur des outils éprouvés et privateurs ?
Fil : En fait, une OCR, c’est-à-dire une reconnaissance de caractères, est disponible directement à l’intérieur de Wikisource. On a, pour ça, un petit bouton qui permet de choisir. Nous avons déjà fait des tests avec Tesseract, typiquement, qui est un outil libre, mais on peut aussi faire appel à des outils comme celui de Google. Vous n’êtes pas sans savoir que dans les transcriptions on va beaucoup dépendre de l’apprentissage des polices de caractères. Or, on travaille avec des livres qui, parfois, datent et sont très vieux. Pour cela, malheureusement, le logiciel de transcription et de reconnaissance de caractères est important, mais on a aussi besoin de données libres – on retombe dessus – pour pouvoir apprendre les polices de caractères et, malheureusement, parfois on n’en a pas suffisamment pour ce genre de vieux livres.
Laurent Costy : Le texte en introduction datait de 1910. Vous êtes remonté jusqu’à des textes de quelle année ?
Clara : Je sais que j’ai travaillé sur des textes du 17e, mais je ne suis pas allée chercher forcément plus en avant.
Laurent Costy : Déjà, 17e, ne serait-ce que par rapport au langage, j’imagine que c’est quand même beaucoup plus compliqué à appréhender.
Clara : Oui. On est souvent obligé de vérifier l’orthographe des mots, puisque, à l’époque, le français était un peu plus mouvant qu’aujourd’hui, avec l’Académie française qui est apparue avec Richelieu, donc plusieurs orthographes étaient tolérées. On est souvent obligé d’utiliser le site du CNRTL [Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales] : vous tapez votre mot et on vous propose les différentes orthographes qui ont existé à travers les siècles et ce qu’elles signifient.
Fil : Peut-être pour décrire, parce que c’est un acronyme assez abscons, en fait c’est un dictionnaire qui est abondé, je crois, par le CNRS, le Centre national de recherche scientifique. L’idée c’est de pouvoir décrire, à partir de plein de dictionnaires qui ont existé ou qui existent, des dictionnaires de référence, les différentes orthographes qui ont existé.
Laurent Costy : Les différences d’orthographe, j’imagine aussi les différents sens.
Fil : Aussi, évidemment. Parfois, lors d’une transcription, on tombe sur des termes pour lesquels on va se dire qu’il y a une erreur. Dans ce cas-là, dans la transcription, non seulement on essaye que ça ait du sens, mais on doit aussi faire la mise en page. On peut donc être capable de dire qu’on va faire la mise en page dans une écriture lisible aujourd’hui ou qu’on garde l’écriture de l’époque, ce qui permet éventuellement, à des chercheuses et des chercheurs, de pouvoir faire l’étude à l’époque et l’étude aujourd’hui. Dans ces cas-là, ça va être extrêmement utile, comme disait Clara.
Clara : En général, on essaye de garder l’orthographe d’époque, par contre de moderniser la mise en forme. Par exemple, on avait peut-être tendance, à l’époque, à plus coller le point d’exclamation au mot de la fin de la phrase, comme ça se fait un peu en anglais aujourd’hui.
Laurent Costy : De toute façon, Fred n’aime pas du tout les points d’exclamation !
Frédéric Couchet : C’est Robert De Niro qui n’aime pas ça. On mettra la référence dans la page consacrée à l’émission pour que les gens comprennent.
Clara : Dans ces cas-là, on va remettre un espace de force.
Par contre, par exemple le mot « enfants », si vous tombez sur des textes du 17e siècle, il n’y a pas le « t », à la fin, donc n’essayez pas de le rajouter.
On peut effectivement corriger des textes parce que, pour les vieux textes, ce n’était pas le même type d’édition, il y avait peut-être moins de relecture, on retrouve donc de vraies fautes dans les éditions. Dans ces cas-là, on a des petites balises pour dire « on a corrigé, voilà ce qu’il y avait dans le texte initialement et voilà ce qu’on vous met actuellement ».
Laurent Costy : C’est un travail de recherche qui est effectivement passionnant que de pouvoir comparer. Respect ! J’imagine que ça prend quand même pas mal de temps. Vous faites des statistiques, donc vous savez de combien de temps vous avez besoin pour transcrire une page du 17e siècle.
Clara : Plus de temps que pour une du 20e, c’est sûr. Ça dépend aussi de la mise en page : quand vous avez des petites pages avec 20 lignes à relire ou des textes très denses, sur des grandes pages, il faut forcément un peu plus de temps.
Laurent Costy : Vous avez déjà transcrit des textes qui étaient manuscrits au départ ? C’est compliqué ?
Clara : C’est plus rare. Je sais que dans l’association on a une personne qui, actuellement, s’intéresse aux procès de sorcières qui sont essentiellement manuscrits. Disons que le projet c’est un peu de savoir comment elle va les relire. Par contre, ça arrive ponctuellement d’avoir des petites parties manuscrites sur les textes, quand vous avez, par exemple, une dédicace en début de livre ou des petits commentaires, et là effectivement on peut choisir un peu la typo pour essayer d’imiter le côté manuscrit. En général, on essaye de les retranscrire, mais on ne se retrouve pas à faire ça vraiment sur des très vieux textes. On ne fait pas de paléographie, cet art de lire tout ce qui est vieilles écritures, par exemple médiévales. Là, souvent, vous avez des lettres vraiment très stylisées, on a l’impression que c’est un « M » ou un « P », alors que ça n’a rien à voir ; on ne fait pas ça. On fait quand même des textes un poil plus récents, on va dire.
Laurent Costy : Tu appelles ça comment ? La paléographie. J’avais assisté à une conférence sur l’arobase. Pareil, l’histoire de l’arobase est juste incroyable, c’est de la paléographie.
Clara : En général, si vous tombez sur une arobase, c’est un « E ».
Laurent Costy : C’est un « E ». Il y avait aussi une question commerciale qui venait des États-Unis. C’était extrêmement intéressant.
Frédéric Couchet : Je vais relayer une question d’Étienne sur le salon web : s’il y a eu plusieurs éditions et rééditions dans le temps, on imagine qu’il peut y avoir des différences, quelle édition choisissez-vous dans ce cas ?
Clara : C’est une très bonne question.
Frédéric Couchet : Étienne pose de très bonnes questions !
Laurent Costy : C’est pour cela qu’on l’a mis à la régie.
Fil : Ça fait partie des choix éditoriaux. Du coup, selon la qualité de l’œuvre, plusieurs critères peuvent rentrer en compte : ça peut être la qualité de l’œuvre, ça peut être le contenu de l’œuvre, si on sait que telle édition est plus complète, corrigée ; ça peut être aussi l’intérêt historique aussi. Flora Tristan est l’une des premières femmes à avoir dit « Prolétaires de tous pays unissez-vous ». Elle ne l’a pas dit dans ces termes, mais elle l’a dit avant Karl Marx et Engels, eh bien, dans ce cas-là, on peut choisir le premier texte historique, parce qu’il a une valeur historique.
On peut avoir un texte dans une qualité qui est décevante et, dans ce cas-là, on sait que la reconnaissance de caractères va être particulièrement compliquée, on va plutôt se faciliter la vie en prenant autre chose.
Parfois, les sources sont aussi compliquées à obtenir, d’ailleurs, dans ce cas-là, on peut aller dans une bibliothèque ou aux archives départementales pour essayer de trouver des textes qu’on n’a pas trouvés ailleurs.
Laurent Costy : Comme pour les vieux films, vous allez dans les bibliothèques ! Respect !
Clara : On fait de l’informatique avec la poussière.
Laurent Costy : Informatique et poussière, ça n’a jamais été très bon !
On a parlé de Wikisource, je vois les mots Wikimédia, Wikipédia, Wikidata, Wikiquote. Est-ce qu’il y a des choses à expliciter autour de tout ça ?
Frédéric Couchet : Peut-être une question : le mot wiki revient très souvent, mais je ne suis pas sûr que vous ayez expliqué ce qu’est un wiki. Pourriez-vous expliquer ce qu’est un wiki, pour montrer que, finalement, c’est quelque chose de relativement « simple », entre guillemets. Clara ?
Clara : En général, les gens connaissent plutôt Wikipédia, je pense que c’est effectivement le plus médiatisé. Le principe d’un wiki c’est d’avoir un espace collaboratif où on peut publier à plusieurs. Ça implique aussi d’avoir un espace de discussion, pas forcément un chat, pour discuter sur ce qu’on travaille ensemble et d’avoir un historique pour suivre les modifications qui ont été faites.
Wikipédia est effectivement le plus connu, c’est une encyclopédie collaborative qui fonctionne comme ça.
Wikisource est une bibliothèque collaborative où on relit à plusieurs des livres pour les rendre accessibles sur la bibliothèque [aux formats PDF ou de ePub, par exemple, Note de l’intervenante].
Wikidata est une base de données collaborative. On la connaît plutôt par Wikipédia. Si vous voyez les encadrés en haut à droite des pages, avec une image, pour une personnalité par exemple, ce qu’on appelle les infobox, c’est directement tiré de Wikidata, la base de données. C’est en particulier avec ça qu’on va faire nos statistiques.
On a encore d’autres choses. On a donc un Wikiquote, par exemple, c’est de l’anglais pour les citations. Quand on trouve des citations d’autrices, qui ont été réutilisées, qui justifient d’une certaine notoriété, on va pouvoir, là aussi, mettre des citations en ligne qui pourront être utilisées à leur tour.
Frédéric Couchet : Tu viens de prononcer le mot notoriété. J’ai une petite question. Je ne vais pas venir sur le sujet auquel pense Fil, mais comment est défini le terme « notoriété » dans ce cas-là, des femmes autrices ? Comment est définie la notoriété ? Est-ce qu’il y a une définition, quelque chose ?
Fil : Je pense que tu évoques plutôt la notoriété au sein de Wikipédia.
Juste peut-être un aparté sur Wikisource. Wikisource date de 2003, c’est vraiment ancien, du coup on n’a pas forcément les mêmes règles qui s’appliquent sur chacun des projets frères : pour Wikiquote, Wikidata, Wikipédia, Wikisource, ce ne sont pas forcément les mêmes règles, en fait, en général, ce ne sont pas les mêmes règles [y compris entre deux version linguistiques différentes, comme Wikipédia francophone et Wikipédia anglophone, Note de l’intervenant]. Typiquement si demain, sur Wikisource, on a un texte très intéressant, on n’a pas besoin de s’intéresser à la notoriété de la personne. Il faut que ce soit libre de droit.
Pour revenir à la notion de notoriété, là, on fait référence à Wikipédia, il y a tout toute une galaxie de règles qui, parfois, ne sont pas super claires. En fait, il s’agirait peut-être même de notabilité, mais, en gros, il s’agit d’avoir une présomption que la personne est suffisamment connue pour pouvoir mériter sa page Wikipédia. Pour ça, on va essayer d’avoir des critères qui peuvent être généraux, dans ce cas-là ça va être des sources. Ce qu’on appelle une source, ça peut être un journal, dans ce cas-là, on va essayer d’avoir une source d’envergure nationale, typiquement un journal comme Le Monde ou Le Figaro, fiable, une source qui est donc crédible, qui n’est pas connue pour faire des fake news ou ce genre de choses, et on va essayer d’avoir une notion de pérennité, de durabilité de la notoriété dans le temps. C’est-à-dire que si c’est une personne qui a été connue sur un événement ponctuel, on ne va pas considérer que c’est notable.
Clara : En fait, on évite les effets de mode, sauf si on a parlé de cette mode à travers le temps, comme la Tecktonik, par exemple.
Frédéric Couchet : Ou une personne qui a participé, par exemple, à une télé-réalité ponctuelle, elle est connue ponctuellement, elle a une notoriété ponctuelle, elle a fait le buzz, mais pas sur la durée.
Fil : On pourrait le penser. J’ai en tête une personne qui est peut-être la même que celle à laquelle tu penses.
Frédéric Couchet : Non, je pensais comme ça, c’est le premier exemple qui m’est venu à l’esprit.
Fil : C’est intéressant. On a eu un effet Loana, typiquement, et Loana a sa page Wikipédia, parce qu’il y a eu des suites, derrière, qui n’étaient pas liées juste à un épisode connu dont les plus anciens se souviennent.
Laurent Costy : Merci pour moi ! Très bien. C’est intéressant parce que c’est vrai qu’on ne parle pas forcément de toute cette galaxie, on parle souvent de Wikipédia et on oublie, peut-être, ce que tu appelles des projets frères, des choses qui sont vraiment dans cet esprit des communs, qui agrandissent ce commun numérique qu’est Wikipédia et qui est le plus connu.
Travaillez-vous avec des partenaires par rapport à tous ces projets d’écriture de communs numériques ?
Clara : C’est vrai que nous sommes très centrés sur Wikisource, la bibliothèque, du coup quand on met en ligne un texte, on va vérifier, par exemple, que cette autrice a une page Wikipédia ; on va se retrouver sur Wikipédia à créer la page et [si elle remplit les critères d’admissibilité, Note de l’intervenante], dans ce contexte-là, on va, par exemple, se retrouver en partenariat avec une autre association qui lutte contre les biais de genre, qui s’appelle Les sans pagEs, s, a, n, s, celles qui n’ont pas de page, avec un « E » majuscule à « page », à la fin, pour accentuer le féminin.
Frédéric Couchet : Pour reprendre l’écriture inclusive Il y a quelques années, il n’y avait pas le point médian ou autre et c’est souvent pour accentuer le « e » qu’on le met en majuscule.
Clara : On dit « une page », mais il n’y a pas de forme féminine très prononcée. En français, il y a beaucoup de mots, même masculins, qui finissent par un « e ».
Fil : Typiquement, un terme épicène est un terme qui a la même déclinaison pour le masculin et pour le féminin. « Partenaire » va être un terme épicène, parce que je peux dire un ou une partenaire. L’idée, c’est de pouvoir éviter d’invisibiliser une femme en utilisant un terme qui va avoir une forme différente ; ça peut être à l’écrit mais aussi à l’oral. Typiquement, c’est aussi la raison pour laquelle on a choisi « autrice ». À la radio, je vous aurais dit « auteur », « des auteurs », vous n’auriez pas su si on parlait de femmes ou d’hommes. Le fait de parler d’auteurs et d’autrices, on sait qu’on inclut vraiment les deux.
Frédéric Couchet : Comme à la radio, on a des auditeurs et des auditrices.
Fil : Exactement.
Laurent Costy : Parfait. On a balayé les quatre grands projets vraiment effectifs actuels. En termes de futur, de projets à venir, j’imagine que vous avez des choses dans les cartons ?
Clara : Oui, on a toujours des tonnes de projets. On va essayer de prolonger ce qu’on fait déjà.
On s’était rendu compte que toutes ces autrices qu’on recense ne correspondent pas toujours à des mouvements littéraires bien définis. On a appris qu’il y avait le Nouveau Roman, qu’il y avait le surréalisme, qu’il y avait la littérature romantique classique, et, parfois, elles sont un peu à part. L’idée ça va être de voir s’il existe des mouvements de femmes, s’il existe des courants, par exemple le surréalisme, qui auraient pu être des courants de femmes à d’autres périodes, peut-être plus tard que pour les hommes. On va essayer d’étudier ce genre de chose et de produire, on espère cette année, une frise chronologique, pour essayer de mettre tout ça en images et donner, là aussi, un nouveau contenu pédagogique pour les professeurs, pour qu’ils puissent s’en emparer.
On a aussi un deuxième projet qui s’appelle ChronAutrices. C’est un jeu, un timeline, si vous connaissez le mot anglais : vous avez plusieurs dates et il faut essayer de trouver laquelle est arrivée avant la précédente.
Frédéric Couchet : Une ligne de temps.
Clara : Une frise chronologique, en français c’est mieux. Vous avez une première carte avec une année et, à votre tour, vous tirez une carte avec une citation et vous devez essayer de deviner si cette citation, est arrivée avant ou après cette année ; plus vous avez de cartes, plus c’est difficile. Par ce biais-là, on voulait essayer de faire connaître des autrices et des citations et donner envie de les lire. L’idée c’est que sur cette citation vous aurez un QR Code qui vous permettra, d’une part, d’aller lire le texte sur Wikisource, si la citation vous a plu, ou d’aller en savoir un peu plus sur la page Wikipédia de l’autrice. C’est presque finalisé, on espère pouvoir débuter ça en septembre.
Laurent Costy : Parfait. Du coup, avec tout ce que vous avez décrit, ce que vous faites déjà, les projets que vous avez, au doigt mouillé je pense que vous êtes à peu près 30 salariés et 40 bénévoles, c’est ça ?
Fil : Bien évidemment ! On recrute ! En fait, on joue beaucoup sur l’effet levier, c’est-à-dire qu’on forme un peu les gens. Par exemple, avec le défi Jelalis, on va former les gens et, ensuite, les personnes vont pouvoir gérer de manière autonome ou nous rejoindre si elles le souhaitent. On fait donc ces ateliers, dont Clara parlait, qui ont lieu une fois par mois et c’est l’occasion de recruter.
Frédéric Couchet : Ces ateliers n’ont lieu qu’à Paris ? Plutôt, où ont lieu ces ateliers ?
Fil : C’est une bonne transition parce qu’on a eu beaucoup trop de choses à dire et on n’a pas pu parler de tout. Ces ateliers ont eu beaucoup lieu à Paris, ils ont commencé au local de Wikimédia France, ensuite ils ont eu lieu à la Cité Audacieuse à Odéon, ils ont eu lieu à la Gaîté Lyrique, à Châtelet, toujours à Paris, ils ont lieu, en ce moment, à Violette and Co, une librairie féministe et lesbienne à côté de République. On a même fait des ateliers au local de l’April.
Clara : En avril, pour le jeu de mots !
Fil : On a fait quelques ateliers à l’extérieur, on a fait des ateliers à Besançon. On essaye de ne pas être trop parigos–centrés, mais, les bénévoles étant essentiellement à Paris, c’est vrai qu’on est souvent là.
Clara : Je trouve que c’est une mauvaise explication, parce que, systématiquement, nos ateliers sont en visio, ils sont donc volontairement décentralisés, d’une certaine manière. Vous pouvez venir en présentiel à Paris ; en visio, on essaye d’avoir un son de qualité puisqu’on a un micro, on partage nos écrans. On a souvent des documents qu’on met aussi à disposition en ligne. On a des gens qui viennent de loin, qui sont là. On a un habitué qui habite au Cameroun, par exemple. La dernière fois, il y a dix jours, on a eu également quelqu’un du Bénin. Donc, vraiment, peu importe d’où vous êtes, même si vous êtes sur téléphone portable, puisqu’on a des personnes qui se connectent sur téléphone, vous pouvez participer à nos ateliers.
Fil : Peut-être pour compléter : pour essayer de faciliter la participation et éviter les biais liés aux moyens, pour les personnes qui sont à Paris ou à l’endroit où on fait l’atelier, on met aussi à disposition des ordinateurs de seconde main, environnement oblige, réinstallés sous GNU/Linux, un système d’exploitation libre, évidemment, pour permettre de contribuer, même si on n’a pas d’ordinateur et ça fait du bien à l’environnement.
Clara : Les ordinateurs, c’est aussi un coût d’entrée. Le but c’est vraiment que tout le monde puisse participer. Parfois, on arrive aussi à faire ça dans des salles équipées d’ordinateurs pour en avoir un peu plus à disposition et ne pas avoir trop d’ordinateurs à balader.
Laurent Costy : Pour ne pas laisser dans le doute les personnes qui nous écoutent, il n’y a pas de salariés à l’association ; j’ai laissé planer le truc.
Fil : Non, malheureusement !
Clara : C’est vrai qu’on a pas du tout répondu à la question du nombre.
Fil : En fait, on a une centaine de membres qui sont des personnes qui nous soutiennent ; dans les membres actifs et actives, on est plutôt autour d’une dizaine.
Clara : Au bureau, on est autour d’une dizaine, mais, en membres actifs, on est plus, on est une vingtaine puisqu’il y a quand même une dizaine de personnes qui viennent aux ateliers de manière régulière.
Laurent Costy : Comment comptez-vous les membres actifs, puisque vous m’avez précisé que l’adhésion est gratuite, ce qui peut paraître étonnant, ce qui, en tout cas, n’est pas une pratique régulière ? Je pense que c’est donc une volonté d’être le plus ouverts possible pour qu’il n’y ait pas de barrière financière.
Fil : Tout à fait. D’ailleurs, on peut revenir au hackathon, on a eu des coachs qui ont essayé de nous convaincre que les profs avaient de l’argent, qu’ils pouvaient mettre de l’argent ! Depuis le début, ça a été vraiment de limiter le nombre de barrières, d’où effectivement, l’adhésion gratuite. On va compter les personnes en fonction du fait, comme disait Clara, qu’elles reviennent régulièrement.
Laurent Costy : Vous utilisez Bénévalibre ? J’essaye de le promouvoir !
Fil : Pas encore, mais c’est en réflexion.
Frédéric Couchet : Vu que tu as prononcé Bénévalibre, dis ce que c’est.
Laurent Costy : Bénévalibre est un logiciel libre qui facilite la valorisation du bénévolat dans les associations. C’est un logiciel libre et un service gratuit à l’usage pour les associations. Vous avez un autocollant sur votre dos d’ordinateur, c’est pour cela que je me suis permis cette question.
Clara : Nous sommes très sensibles à ce sujet, c’est effectivement un sujet qu’on a abordé à notre AG le mois dernier, en juin. On ne l’a pas encore utilisé, mais on va l’utiliser, c’est un peu le projet pour ces prochains temps.
Par contre, en ce moment, on écrit pour demander des subventions, notamment pour pouvoir proposer quelque chose de plus convivial dans les ateliers, avec un peu de nourriture, de boisson, ce genre de choses. Dans la subvention on essaye, un peu à la manière de Bénévalibre, de calculer le temps et le coût des bénévoles.
Frédéric Couchet : Je relaye une question et je rigole parce que Marie-Odile a donné une réponse à la question, donc je vais faire les deux. Étienne pose une question : quel est le profil moyen, s’il y en a, des participantes et participants ?, et Marie-Odile, pour rigoler, répond « des retraité·es », sachant qu’elle-même est retraitée. Vu vos âges, vous n’êtes pas retraités. Quel est le profil moyen, s’il y en a, a des participantes et participants au Deuxième texte ?
Clara : Je ne crois pas qu’on ait tant de retraités que ça !
Fil : Je crois qu’on en a, mais je ne pense pas que ce soit la majorité.
Clara : C’est vrai que normalement, dans l’associatif, il y a pas mal de personnes retraitées parce qu’on dit qu’elles ont plus de temps libre.
Frédéric Couchet : Finalement, par rapport à beaucoup de projets libristes où il y a quand même beaucoup de vieilles personnes, on va le dire, pas forcément retraitées et, dans la liste, j’inclus Laurent et moi, des cinquantenaires. Vous êtes beaucoup plus jeunes que nous, c’est évident, quand même plus jeunes que nous, est-ce que le profil des personnes participantes est plutôt jeune ?
Clara : Je dirais que dans les membres actifs, on est peut-être a une moyenne d’âge de 35, mais je n’ai encore pas fait de statistiques sur le sujet. Après, je n’ai pas regardé sur la centaine d’adhérents.
Frédéric Couchet : Pour le Libre, c’est jeune. Étienne complète sa question : il pensait aussi en termes de rapport hommes-femmes.
Clara : Majoritairement féminin, mais pas uniquement.
Fil : Majoritairement, ce qui est intéressant, c’est qu’on a quand même beaucoup de personnes qui soit se définissent comme homme, soit ne se définissent pas comme femme, qui viennent et sont intéressées. Heureusement, quelque part, ce n’est pas quelque chose qui se cantonne ou qui se limite, on n’est pas intéressé par les autrices seulement quand on s’identifie comme femme et c’est plutôt intéressant ; c’est d’autant plus intéressant qu’on peut découvrir des textes extrêmement intéressants, dont on n’a jamais entendu parler. Je me souviens d’un des textes qu’on a transcrit il y a quelques années au moment où ce documentaire était passé sur Arte, sur la Commune de Paris, Souvenirs d’une morte vivante – Une femme dans la Commune de 1871, un livre qui avait été écrit il y a plus d’un siècle, par Victorine Brocher, qui avait été transformé, on va dire, en BD, mais aussi en documentaire [Les damnés de la Commune], avec une distribution, Yolande Moreau, Arthur H, une belle distribution sur Arte, qui était extrêmement intéressant. C’est un texte dont on a découvert l’original un peu par hasard finalement. On découvre des perles et c’est vraiment passionnant.
Pour résumer, pas besoin d’être un homme à la retraite ou une femme à la retraite pour faire ça, on a une diversité qui est assez vaste.
Clara : On peut peut-être aussi parler de la diversité des professions dans l’association, même s’il y a des tendances : on a quelques personnes branchées informatique, qui, en général, viennent plus du milieu du Libre ; on a aussi des universitaires et des enseignants du secondaire ou du primaire ; on a pas mal de documentalistes, bibliothécaires, libraires, donc autour du métier du livre. Après, c’est un peu plus large que ça.
Laurent Costy : Le temps file. On s’était dit qu’on aurait plein de temps et, en fait, non, ce n’est jamais vrai.
Je vais vous poser les deux/trois questions qui nous restaient, vous allez picorer et répondre à celle à laquelle vous avez envie de répondre. Il y avait la question des effets mesurés depuis le lancement du projet, ça peut être quand même un petit retour intéressant. Comment fait-on pour s’impliquer dans l’association ?, on n’y a pas vraiment répondu, vous pouvez aussi y répondre. Je laisse encore un temps, mais, grosso modo, on n’a plus beaucoup de temps. Donc, déjà sur ces deux points là, si on peut éclairer un peu les choses.
Clara : Depuis le lancement du projet, on a mis à disposition 200 textes de femmes en six ans et on a aussi fait des statistiques sur la façon dont, sur Wikisource, les nouveaux textes s’étaient un peu féminisés grâce à nos actions et celles de la communauté qui s’est aussi sensibilisée à tout ça depuis : en 2018, quand on a commencé, on avait 14 % de textes, dans les nouveaux textes transcrits, qui étaient des textes femmes ; aujourd’hui, on est à 20 %, donc six points de plus ; après, selon le genre littéraire, ça a plus ou moins augmenté, on a vu que ça avait surtout augmenté notamment pour les romancières qui sont passées de 24 à 33 %, donc neuf points de plus.
Ensuite, pour vous engager dans notre association, vous pouvez adhérer gratuitement sur le site. Le fait d’adhérer, même si c’est gratuit, vous permettra d’être tenu informé par la newsletter qui n’est pas du tout envahissante, puisqu’elle est plutôt de l’ordre d’une fois par trimestre. Vous avez également des réseaux sociaux pour suivre notre actualité, qui sont un peu plus dynamiques. Fil, tu veux compléter ?
Fil : Vous pouvez aussi participer à l’un de nos projets sur Wikisource, le concours JeLaLis ou la création des statistiques sur les autrices. On aura probablement un datathon, on aime bien ça aussi, pour collecter les données en format libre, évidemment.
En rejoignant l’association, vous pouvez participer à distance. On a un canal Mattermost et on a des outils libres [et respectueux de la vie privée, Note de l’intervenant], en ligne, pour pouvoir participer.
Vous pouvez évidemment assister à notre assemblée générale, une fois par an, la dernière a eu lieu dans les locaux de l’April.
Je pense aussi qu’il ne faut pas avoir peur de ne pas se sentir légitime, parce qu’on a tous et toutes commencé sans savoir comment faire. On a des ateliers de formation, que ce soit pour Wikisource ou avec notre partenaire Les sans pagEs. Au début, on commence par une petite demi-heure pour expliquer un petit peu quels sont les codes pour pouvoir participer.
Laurent Costy : Comme dirait notre chère présidente « vous êtes la bonne personne ». Fred, tu allais le dire !
Frédéric Couchet : Je venais de le noter sur le papier pour ne pas oublier.
Laurent Costy : Il reste à chacun deux minutes. Peut-être pouvez-vous nous partager le texte qui vous a le plus plu, depuis que vous êtes au sein de l’association et, éventuellement, conclure avec un point que vous voulez rappeler ou que vous n’avez pas eu le temps d’aborder et de partager.
Clara : Le texte qui m’a le plus plu à la relecture, c’est vraiment un vieux texte, moi ce sont plutôt les vieux textes. C’est un texte du 18e, de 1787, en fait c’est de la proto science-fiction féministe. C’est écrit par Marie-Anne Robert, ça s’appelle Voyage de Milord Céton dans les sept planètes, c’est vraiment un voyage intergalactique au 18e où on va rencontrer une utopie d’amazone par exemple, on va rencontrer des femmes philosophes ou des femmes qui peuvent vivre en autonomie hors du mariage.
Laurent Costy : À cette époque-là, c’était quand même un exploit !
Clara : Oui, c’était plutôt incroyable de lire ça ! Ça se lit très bien.
Laurent Costy : Merci Clara.
Fil : En fait, j’hésite, j’ai déjà parlé de Victorine Brocher, le livre c’est Souvenirs d’une morte vivante – Une femme dans la Commune de 1871. Du coup, je vais parler de Cécile Sauvage que tu as citée tout à l’heure en introduction, c’est une poétesse de la nature, on en a fait des transcriptions, elle a été rééditée aux Éditions de la Table ronde avec découverte de nouveaux textes. En fait, c’est une version posthume de son journal, qui a été poussée par son mari, qui a été grandement censurée pour éviter, on va dire, la partie suggestive. Ce sont des œuvres vraiment extrêmement intéressantes, on en a eu un écho tout à l’heure.
Laurent Costy : Ça m’a inspiré et, quand on a préparé l’émission, ça m’a donné envie de lire, du coup je me suis penché sur les textes que vous avez pointés, c’est toujours extrêmement intéressant. Merci pour ces textes soulignés et, pour conclure, éventuellement ?
Fil : Venez nous aider à redonner aux femmes leur place dans les lettres.
Clara : Vous êtes la bonne personne !
Laurent Costy : Parfait. Fred je te repasse la parole.
Frédéric Couchet : La référence à l’expression « Vous êtes la bonne personne », c’est une présentation de Bookynette, la présidente de l’April, qui a fait deux ou trois fois cette présentation, qui est très inspirante sur le sentiment de légitimité. Vous cherchez sur Internet « Vous êtes la bonne personne, Bookynette ». On mettra aussi les références. D’ailleurs, vous pouvez retrouver toutes les références qu’on a citées ou les sites web qui ont été évoqués, etc., sur le site libreavous.org/215, car c’est la 215e émission et la dernière de la saison.
Merci à Fil, Clara et Laurent pour cette émission sur Le deuxième texte et bonne fin de journée.
Fil : Merci à vous.
Clara : Merci pour l’invitation. Bonne journée.
Frédéric Couchet : Nous allons faire une pause musicale.
[Virgule musicale]
Frédéric Couchet : Ce coup-ci, nous allons écouter une suggestion de Gee, tu me le demandais tout à l’heure Laurent, c’est celle-ci. Nous allons écouter Blueberry par That iz Louis & Raphaël M. On se retrouve dans trois minutes. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
Pause musicale : Blueberry par That iz Louis & Raphaël M.
Voix off : Cause Commune, 93.1.
Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Blueberry par That iz Louis & Raphaël M, disponible sous licence Libre Creative Commons Partage dans les mêmes conditions, CC By SA. Ce titre nous a été signalé par Gee, chroniqueur bien-aimé de Libre à vous !, donc merci à lui. C’est l’œuvre d’un étudiant de l’Université de technologie de Compiègne, qui a été publiée récemment sous licence libre, à l’occasion d’un cours sur le thème des low-tech et du solarpunk qui est un genre de science-fiction.
[Jingle]
Frédéric Couchet : Nous allons passer au sujet suivant.
[Virgule musicale]
Chronique « Le Libre et la sobriété énergétique » de Vincent Calame – « Éloge de la lenteur », rediffusion de la chronique du 21 février 2023
Frédéric Couchet : Dans la saison précédente de Libre à vous !, notre fidèle chroniqueur Vincent Calame partageait ses lectures et réflexions autour du thème « Le libre et la sobriété énergétique ». Pour conclure cette dernière émission de la saison 8 de Libre à vous !, nous vous proposons de réécouter sa chronique du 21 février 2023, intitulée « Éloge de la lenteur », avec le souhait que cet été soit propice à toutes et à tous pour nous réapproprier notre temps.
[Virgule sonore]
Étienne Gonnu : Pour finir, je vous propose une exploration de la contribution du Libre à un enjeu politique, social et environnemental, c’est la chronique « Le libre et la sobriété énergétique » de Vincent Calame.
Salut Vincent.
Vincent Calame : Salut Étienne.
Dans ma chronique précédente, je vous avais parlé du concept de « low-tech ». En faisant mes recherches sur le sujet, j’étais tombé sur un concept proche, la slow.tech, développé notamment sur le site greenit.fr. Je ne vais pas entrer dans le détail ni me lancer dans un long développement sur le distinguo entre « low-tech » et « slow.tech », ce ne serait pas, de mon point de vue, très pertinent, les définitions de ces concepts changeant d’une publication à l’autre. Surtout que j’avais promis, à la fin de ma chronique précédente, de revenir au thème central du logiciel libre et de la sobriété énergétique.
En fait, si je vous parle aujourd’hui en introduction de slow.tech, c’est que, lorsque j’ai découvert ce concept, cela a fait tout de suite écho à une des idées que j’avais listées lorsque j’avais préparé cette nouvelle saison de chroniques, à savoir qu’un des apports du logiciel libre à la sobriété énergétique serait sa plus grande lenteur de développement.
La sobriété énergétique passe par un ralentissement général. C’est évident dans le domaine des transports : aller un peu plus vite consomme beaucoup plus. Limiter, par exemple, la vitesse à 110 km par heure sur les autoroutes, plutôt que 130, serait une source d’économie non négligeable. On sait que ce type de mesure aurait du mal à passer socialement, mais il suffit de le pratiquer volontairement, comme il m’arrive de le faire les quelques fois où je prends la voiture, pour constater son impact sur la consommation pour un rallongement du temps de parcours somme toute assez faible.
Mais ce ralentissement ne concerne pas que les transports. Travailler sur la sobriété, c’est aussi lutter contre l’accélération du monde, contre la satisfaction immédiate de ses désirs, contre la tentation de se doter du modèle dernier cri. Bref !, c’est prendre son temps comme le rappelle cette définition que j’ai glanée dans un ouvrage qui vient de paraître, Sobriété (la vraie), mode d’emploi aux éditions Tana : « Devenir sobre, c’est d’abord réorganiser sa vie et son temps, et redevenir le maître de sa propre horloge. On est riche de son temps. Ne le gaspillons pas ».
Étienne Gonnu : Mais, n’est-ce pas un peu injuste de parler de lenteur pour le logiciel libre ?
Vincent Calame : Je ne voulais pas lancer un troll, et on pourrait tout à fait discuter de mon affirmation que le logiciel libre est plus lent dans son développement que le logiciel propriétaire, surtout en voyant tout ce qu’a produit le logiciel libre en une quarantaine d’années. Cependant, il y a un fait objectif quand on regarde les moyens mis en œuvre : un logiciel développé par des bénévoles ne peut pas rivaliser avec les millions levés par une startup. Même quand le logiciel libre est développé par un éditeur qui a pu mettre en place un modèle économique pour assurer ce développement, cet éditeur atteint rarement la taille des gros éditeurs de logiciels privateurs.
L’important, c’est mettre de côté l’image négative que l’on peut associer au terme « lenteur » et voir tout ce qu’il a de positif si on regarde sous l’angle de la stabilité et de la sécurité. Un ami empaqueteur pour la distribution Debian, à qui on posait récemment la question « à quand la prochaine version ? », a fait cette réponse bien connue dans le monde du libre : « Ce sera prêt quand ce sera prêt ».
Rappelons que la distribution GNU/Linux Debian est un des plus importants projets communautaires du monde du logiciel libre. Sa philosophie, telle que présentée sur son wiki — j’ai mis la page dans les références — c’est de ne sortir une nouvelle distribution que quand celle-ci est prête, que toute l’infrastructure est en place et que le nombre d’erreurs critiques est nul. Ce qui est amusant, c’est que cette philosophie n’empêche pas une sortie régulière, presque tous les deux ans depuis 2005. Comme quoi, ne pas se fixer une échéance peut parfois être le meilleur moyen de tenir ses délais !
Tout logiciel libre possède une feuille de route et doit évoluer, ne serait-ce que parce que son environnement évolue et qu’il lui faut s’adapter, mais chaque projet a son propre rythme, dicté par les personnes qui y contribuent, et c’est une bonne chose. En plaisantant, je dirais qu’il ne faut pas brusquer un logiciel libre, les personnes qui l’utilisent et en profitent doivent faire preuve de patience quand une amélioration tarde à venir.
À titre personnel, j’ai d’ailleurs pu remarquer que lorsqu’une demande émerge, par exemple une nouvelle fonction, ce n’est pas plus mal de ne pas y répondre tout de suite, car il faut laisser un temps de maturation pour que cette demande se précise avant d’y apporter une solution technique. Réagir trop rapidement, ou avec trop d’enthousiasme, fait courir le risque de se rendre compte, après coup, qu’on a répondu à côté du besoin réel.
Bref, les logiciels libres sont les tortues de la fable : rien ne sert de courir, il faut partir à point nous rappelle la morale. Et pour la sobriété énergétique, nous devons être du côté des tortues plutôt que des lièvres.
Étienne Gonnu : Belle allégorie. Je pense aussi que c’est un vrai défi, en tant qu’utilisateur et utilisatrice de technologies, qu’elles soient numériques ou pas, d’accepter qu’on ne va pas toujours être dans la meilleure performance, ou plus de vitesse, ou plus de nouveautés, surtout face à la toute-puissance mise en œuvre pour nous convaincre de toujours plus consommer, que ce nouveau dispositif est vraiment indispensable. Du coup, comme tu le dis bien, je trouve que se réapproprier cette lenteur comme une chose positive et non pas comme quelque chose de subi, c’est vraiment aussi reprendre du pouvoir sur nos usages, et ça apparaît finalement comme une nécessité importante.
En tout cas merci Vincent pour ce bel et salutaire éloge à la lenteur. Et au mois prochain !
Vincent Calame : Oui, au mois prochain.
[Virgule sonore]
Frédéric Couchet : Vous êtes de retour en direct sur radio Cause Commune. Nous venons d’écouter une rediffusion de la chronique de Vincent Calame du 21 février 2023 sur le thème « Éloge de la lenteur ».
Nous approchons de la fin de l’émission, nous allons terminer par quelques annonces.
[Virgule sonore]
Quoi de Libre ? Actualités et annonces concernant l’April et le monde du Libre
Frédéric Couchet : Le quatrième camp CHATONS, le Collectif des Hébergeurs Alternatifs Transparents Ouverts Neutres et Solidaires, se déroulera du jeudi 11 au lundi 15 juillet 2024, à Sévérac, en Loire-Atlantique. Ce camp est ouvert aux membres du collectif et aussi à toute personne intéressée par les sujets du numérique libre au sens large. Une inscription est obligatoire.
Les soirées radio ouverte avec l’équipe de Cause Commune font une pause pendant l’été et seront de retour à la rentrée. Le prochain rendez-vous convivial sera vendredi 6 septembre à partir de 19 heures 30 dans les locaux de la radio, à Paris, au 22 rue Bernard Dimey dans le 18e arrondissement. Une réunion d’équipe, ouverte au public, avec apéro participatif à la clé et également une émission en direct à 20heures à laquelle vous pouvez participer. Occasion de découvrir le studio et de rencontrer les personnes qui animent les émissions.
J’en profite également pour signaler que tous les stocks de la boutique en ligne enventelibre.org ont été mis à jour récemment. En Vente Libre permet d’acheter des produits de différentes associations libristes dont les produits de l’April et aussi de faire des dons. N’hésitez pas à vous rendre sur enventelibre. org soit pour acheter des produits des associations libristes soit pour faire des dons.
Notre émission se termine.
Je remercie les personnes qui ont participé à l’émission du jour : Clara et Fil de l’association Le deuxième texte, Laurent Costy, Luk, Vincent Calame.
Aux manettes de la régie aujourd’hui, Étienne Gonnu.
Merci également à toutes les personnes bénévoles impliquées dans l’émission, que ce soit en régie avec Julie Chaumard, Élise et Bookynette ;
à la post-production des podcasts : Samuel Aubert, Élodie Déniel-Girodon, Lang1, Julien Osman, Olivie Grieco, Quentin Gibaux ;
l’équipe des chroniques et du Café libre qui nous régalent chaque mois : Xavier Berne, Isabelle Carrère et Antanak, Gee, Vincent Calame, Luk, Jean-Christophe Becquet, Marie-Odile Morandi, Laure-Élise Déniel, Laurent Costy, Lorette Costy, Bookynette, Pierre Beyssac, Florence Chabanois, Emmanuel Charpentier ;
les personnes qui s’occupent du site web de l’émission : Vincent Calame, Antoine Bardelli et Jean Gallan ;
côté musique, merci à Joseph Garcia pour la recherche de musiques libres et pour l’interview d’une artiste qui fait de la musique libre ;
merci également à mes collègues Isabella Vanni et Étienne Gonnu et Laurent Costy, bénévole, qui est juste à côté de moi, pour la préparation et l’animation des émissions et un remerciement spécial à Julie Chaumard qui a récemment préparé et animé sa première émission ;
un grand merci également aux bénévoles de Cause Commune qui font vivre cette merveilleuse aventure qu’est cette radio associative et militante ;
et enfin, merci à vous qui nous écoutez soit en direct sur la bande FM en DAB +, sur Internet ou en différé.
Vous trouverez sur notre site web, libreavous.org, toutes les références utiles, ainsi que sur le site de la radio causecommune.fm.
N’hésitez pas à nous faire des retours pour indiquer ce qui vous a plu, mais aussi des points d’amélioration. Vous pouvez également nous poser toute question et nous y répondrons directement ou lors d’une prochaine émission.
Toutes vos remarques et questions sont les bienvenues à l’adresse contact chez libreavous.org.
C’est la dernière émission de la saison, place à la pause estivale.
La prochaine émission aura lieu en direct mardi 3 septembre 2024 à 15 heures 30.
Nous vous souhaitons de passer une belle fin de journée. On se retrouve en direct mardi 3 septembre et d’ici là, passez un bel été et portez-vous bien.
Générique de fin d’émission : Wesh Tone par Realaze.
Frédéric Couchet : On vous prépare une belle rentrée avec, notamment en septembre, deux parcours libristes, l’un avec la reine des elfes, tout simplement, le 3 septembre dans l’émission de rentrée et l’autre avec Maud Royer. Également au programme, deux nouvelles chroniques par Julie Chaumard et Florence Chananois.
On se retrouve à la rentrée.
Générique de fin d’émission : Wesh Tone par Realaze.