Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Frédéric Couchet : Bonjour à toutes. Bonjour à tous.
Vous utilisez sans doute VLC, le lecteur multimédia au logo à la forme de cône de chantier, mais savez-vous que c’est un logiciel libre ? Connaissez-vous l’histoire de ce logiciel, son fonctionnement, son mode de développement ? Ce sera le sujet principal de l’émission du jour. Avec également au programme la première chronique de Thypaine Bonnet sur l’open data et la réutilisation des données publiques et aussi, en fin d’émission, la chronique de Vincent Calame qui rendra hommage au copier-coller.
Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission qui vous raconte les libertés informatiques, proposée par l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Je suis Frédéric Couchet, le délégué général de l’April.
Le site web de l’April est april.org, vous pouvez y trouver une page consacrée à cette émission avec les liens et références utiles et également les moyens de nous contacter. N’hésitez pas à nous faire des retours ou nous poser toute question.
Nous sommes mardi 21 septembre 2021, nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.
À la réalisation de l’émission aujourd’hui, mon collège Étienne Gonnu. Bonjour Étienne.
Étienne Gonnu : Salut Fred.
Frédéric Couchet : Nous vous souhaitons une excellente écoute.
[Jingle]
Frédéric Couchet : Avant de commencer le premier sujet, nous allons vous proposer un petit quiz. Eh oui !, c’est le retour des quiz. Je vous donnerai la réponse en fin d’émission, mais peut-être trouverez-vous avant. Vous pouvez proposer des réponses sur le salon web de la radio, je rappelle, causecommune.fm, bouton « chat », salon #libreavous. La question est : dans sa chronique, en fin d’émission, Vincent Calame va rendre hommage au copier-coller qui permet, par exemple, de copier des données d’un endroit à un autre en informatique. Savez-vous quel est le lien possible de cette pratique avec le journaliste et écrivain américain Hunter S. Thompson ? Si vous trouvez la réponse, vous venez sur causecommune.fm, bouton « chat », #librevous.
On va commencer par le premier sujet.
[Virgule musicale]
Chronique In code we trust de Typhaine Bonnet, avocate au cabinet Dune sur l’open data et la réutilisation des données publiques
Frédéric Couchet : Évoquer le code à la main une règle de droit ou un procès en lien avec les œuvres, les données, les logiciels ou les technologies, c’est la chronique In code we trust, « Dans le code nous croyons », chronique proposée jusqu’à présent par Noémie Bergez, avocate au cabinet Dune. Pour cette nouvelle saison de Libre à vous !, la chronique sera également assurée par Typhaine Bonnet, avocate elle aussi au cabinet Dune, que nous avons le plaisir d’accueillir pour la première fois au studio. Bonjour Typhaine.
Typhaine Bonnet : Bonjour Fred.
Frédéric Couchet : Elle est prête. Elle va nous parler aujourd’hui d’open data et de données publiques. Je lui passe la parole.
Typhaine Bonnet : Bonjour à toutes et à tous. Merci Fred pour cette présentation.
Aujourd’hui je vais vous parler de l’open data et de la réutilisation des données publiques.
L’open data qu’est-ce que c’est ? L’open data est un mouvement d’ouverture et de mise à disposition des données produites et collectées par les services publics tels que les administrations ou les collectivités locales.
En France, le mouvement de l’open data a connu ses premières origines grâce à une directive européenne de 2003 qui concernait la réutilisation des informations du secteur public. Elle s’est traduite par une ordonnance, en 2005, qui reconnaissait la liberté aux citoyens d’accéder aux documents administratifs et le droit de réutiliser ces documents.
À l’origine, cette ordonnance n’imposait pas de publier de manière proactive des informations mais reconnaissait simplement le droit d’en obtenir communication sous quelque forme que ce soit ou quel que soit leur support.
Le mouvement de l’open data s’est ensuite accéléré en France par l’adoption, en 2016, de la loi pour une République numérique qui a consacré l’ouverture des données publiques par défaut.
Je vous expliquerai brièvement le cadre juridique de la mise en ligne des données publiques puis les règles liées à la réutilisation de ces données publiques.
Le cadre juridique de la mise en ligne des données publiques est posé par le Code des relations entre le public et l’administration, le CRPA.
Depuis 2016, les administrations qui emploient plus de 50 personnes et les collectivités territoriales qui ont plus de 3500 habitants ont l’obligation de publier par défaut certaines données et certains codes sources. Il va notamment s’agir des bases de données produites ou reçues par les administrations, mais aussi des données dont la publication va présenter un certain intérêt économique, social, sanitaire ou encore environnemental. On y retrouve par exemple les données de qualité de l’air, les données géographiques ou encore les données qui ont été liées, par exemple, à l’épidémie de Covid-19.
Le site data.gouv.fr recense et donne accès aux différents jeux de données publiques qui sont publiés par les administrations. On va y retrouver, par exemple, toutes les notifications de violation de données personnelles qui ont été réalisées auprès de la CNIL, la Commission nationale de l’informatique et des libertés. On peut aussi y retrouver toutes les marques qui ont été déposées en 2020 auprès de l’INPI, l’Institut national de la propriété industrielle.
La mise en ligne des données publiques peut également résulter d’une personne privée puisque, en fait, toute personne, vous comme moi, peut demander à accéder à des documents administratifs et, à ce titre, on peut demander à l’administration qu’elle procède à la publication en ligne de ces documents.
Le droit d’accès aux données publiques va s’accompagner du droit de réutiliser les données publiques. Il s’agit du droit pour toute personne – donc toute personne physique, toute personne morale c’est-à-dire les sociétés, ou encore toute personne publique – d’utiliser les données à des fins commerciales ou non et pour un objectif autre que celui pour lequel les documents administratifs ont été produits.
Le CRPA prévoit donc une réutilisation des informations publiques ; cela figure dans ses documents. Pour faciliter cette réutilisation, il est prévu que l’administration met à disposition gratuitement ces données. Donc le principe c’est la gratuité, mais évidemment il y a une exception : parfois les administrations peuvent mettre à disposition à titre onéreux les données qu’elles vont produire, seulement dans le cas où elles sont tenues de couvrir une part des coûts liés à leur mission de service public.
Lorsque les administrations diffusent les données à titre gratuit, elles ne sont pas obligées de les mettre sous licence. Dans ce cas c’est très simple, l’utilisateur peut les utiliser à condition de ne pas altérer l’information publique, de ne pas dénaturer cette information et enfin de mentionner les sources et les dates de dernières mises à jour.
L’administration peut également choisir de diffuser les données publiques sous une licence. C’est conseillé lorsqu’elle met à disposition les données à titre gratuit, en revanche c’est obligatoire lorsqu’elle met à disposition les données à titre onéreux. Dans ce cas, l’administration peut choisir une licence ouverte. C’est strictement encadré. Un décret liste les différentes licences libres que l’administration peut utiliser.
La première c’est la licence ouverte de réutilisation des informations publiques de l’État. C’est une licence qui est très permissive puisqu’elle permet à l’utilisateur d’utiliser les données soumises à la licence à des fins commerciales ou non, dans le monde entier, à condition seulement de mentionner la paternité de l’information. C’est-à-dire qu’il va falloir indiquer la source de l’information et sa date de dernière mise à jour. Ça peut être fait très facilement, par exemple en utilisant un lien hypertexte qui renvoie à la source de l’information.
Ensuite, l’administration peut choisir d’utiliser l’Open Database License, l’ODbL, qui elle est une licence un petit peu plus compliquée puisque c’est une licence de partage à l’identique. C’est-à-dire que tout le monde peut réutiliser les données sous licence ODbL à condition d’inclure une copie de la licence dans la base de données, d’indiquer l’auteur de la base de données sous licence ODbL et ensuite de partager les données dérivées sous la même licence. En fait, cela signifie que toute personne qui a enrichi une base de données initiale sous licence ODbL avec d’autres données doit redistribuer cette base de données dérivée sous la même licence si elle en a fait une réutilisation publique.
Si les administrations ne souhaitent pas utiliser une de ces deux licences, elles peuvent choisir de faire homologuer leur propre licence.
C’est pour ça que vous devez être très vigilant quand vous choisissez d’utiliser un jeu de données publié sous licence libre, il faut regarder la licence. Par exemple l’INPI a fait homologuer ses propres licences pour les différents jeux de données qu’il a et ces licences-là prévoient de respecter le droit de propriété intellectuelle des tiers. Ça veut dire que si vous souhaitez utiliser les bases de données de l’INPI, il faut obtenir les autorisations dont vous pourrez avoir besoin, auprès des tiers, pour utiliser ces données.
Enfin, la réutilisation des données publiques suppose aussi de s’assurer du respect du Règlement général sur la protection des données et de la loi informatique et libertés puisqu’il existe de nombreux jeux de données qui peuvent comporter des données à caractère personnel, notamment des données permettant d’identifier indirectement une personne. C’est par exemple le cas du fichier de demande de valeurs foncières de la Direction générale des finances publiques. C’est un fichier dans lequel on retrouve un peu l’historique des transactions sur les biens immobiliers. Dans ce cas, le ré-utilisateur des données publiques devient responsable du traitement, donc il faut être assez vigilant avec l’utilisation de ces fichiers puisqu’il convient de faire attention à ce que l’utilisation des données soit licite : le traitement de données doit être fondé sur une base légale, ça peut être le consentement d’une personne, l’exécution d’une mission d’intérêt public ou encore l’intérêt légitime qui est poursuivi par le responsable de traitement. Attention puisque, dans ce cas, il convient de vérifier que les droits et libertés des personnes concernées ne prévalent pas sur les intérêts du responsable du traitement. C’est un petit difficile à évaluer !
Ensuite, il faut s’assurer que la finalité de réutilisation des données est légitime. Là, la CNIL précise qu’il faut être vigilant puisque le traitement qui va être mis en œuvre ne doit pas aboutir à un degré d’identification des personnes concernées plus important que celui des données qui sont contenues dans le fichier. C’est-à-dire que si vous utilisez un fichier d’une administration mis sous licence libre, il ne faut pas essayer d’identifier les personnes dont les données sont contenues dans ce fichier.
Ensuite, seules les données pertinentes et à jour doivent être utilisées.
Et enfin, il faut s’assurer que la réutilisation des données est réalisée en toute transparence, c’est-à-dire que si vous mettez à disposition une base de données dérivée d’une base de données d’une administration, il faudra l’accompagner d’une information générale sur le traitement des données à caractère personnel qui peut être effectué via cette base de données. Il y a un exemple sur le site data.gouv.fr sur le fichier de demande de valeurs foncières des finances publiques qui est accompagné d’une note d’information générale pour toute personne, pour savoir quelles sont les données qui sont à l’intérieur de ce fichier et comment il convient de les traiter.
En conclusion, je dirais que le mouvement de l’open data est en constante évolution et qu’il faut être vigilant puisqu’en 2019 on a eu une nouvelle directive européenne sur l’open data qui n’a pas encore été transcrite en France, donc on l’attend avec impatience puisqu’elle prévoit une obligation un peu plus large pour les administrations de mettre à disposition certaines informations publiques puisque certaines entreprises publiques ou les entreprises privées qui sont investies d’une mission de service public devront elles aussi rendre librement réutilisables leurs données publiques fournies dans le cadre d’un service public. Par exemple, il va s’agir des données des musées ou alors des données des bibliothèques. Pour en savoir plus, on va attendre la transposition en France.
Frédéric Couchet : Merci Typhaine. On attendra aussi vu que la transposition qui rajoute généralement des restrictions, on l’a vu dans d’autres projets de loi, notamment sur ces sujets-là.
Je vais juste préciser quelques petits points sur l’ODbL, l’Open Database License. Tu as expliqué, effectivement, qu’il s’agit de partage dans les mêmes conditions. Elle se rapproche, en fait, des licences libres logicielles de type copyleft, ce qu’on appelle la gauche d’auteur. Si vous voulez en savoir plus, on a abordé ce sujet spécifique aux logiciels libres dans l’émission numéro 24 du 7 mai 2019. Vous retrouverez le podcast sur libreavous.org/24 avec Olivier Hugot, avocat au cabinet Dune et Mélanie Clément-Fontaine qui était, qui est toujours je pense, directrice du laboratoire de recherche Droit des Affaires et Nouvelles TEchnologies à l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines.
Je vais rappeler que sur le site de l’April, april.org, et sur causecommune.fm, on trouve une page avec toutes les références que Typhaine a citées, il y en a beaucoup.
En tout cas je te remercie pour cette première chronique. Ça s’est bien passé ?
Typhaine Bonnet : Oui, ça a été. Merci.
Frédéric Couchet : Effectivement avec les conditions sanitaires, les conditions ne sont pas forcément idéales pour une intervention. En tout cas c’est un grand plaisir que cette chronique In code we trust, « Dans le code nous croyons », sera assurée, je ne sais pas si alternativement, par Noémie Bergez et Typhaine Bonnet du cabinet Dune.
Typhaine, je te souhaite une bonne fin de journée.
Typhaine Bonnet : Merci. Bonne journée à vous.
Frédéric Couchet : Merci. On va faire une pause musicale.
[Virgule musicale]
Frédéric Couchet : Après la pause musicale nous aborderons notre sujet principal consacré au lecteur multimédia libre VLC.
La première pause musicale concerne Aaron Schwartz qui était militant des libertés informatiques et de la culture libre, convaincu que l’accès à la connaissance est un moyen d’émancipation et de justice. D’un point de vue technique il est notamment contributeur au développement de RSS qui est très utilisé, les radios l’utilisent beaucoup pour les flux podcasts. Il a également participé au développement des licences Creative Commons avec notamment Larry Lessig. Aaron Schwartz s’est suicidé le 11 janvier 2013 à l’age de 26 ans.
Dans l’émission 49 de Libre à vous !, nous avions consacré une note de lecture du livre de Flore Vasseur Ce qu’il reste de nos rêves,, consacré à Aaron Schwartz, que vous pouvez retrouver sur libreavous.org/49.
Nous allons écouter une chanson hommage à Aaron Schwartz qui date de 2016. Elle s’appelle Aaron par Gee, Simon Girodot. On se retrouve dans 4 minutes 30. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
Pause musicale : Aaron par Simon Girodot dit Gee.
Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Aaron par Simon Girodot dit Gee, disponible sous licence libre Creative Commons Partage dans les mêmes conditions, CC By SA.
Le site de Gee est Grise Bouille, grisebouille.net, c’est un blog, BD, humoristique et hétéroclite où se côtoient fictions absurdes, vulgarisation scientifique, satyre politique et il est publié entièrement sous licence Creative Commons Partage dans les mêmes conditions. Simon Girodot fait également partie de Framasoft. Je remercie grandement Christian Momon, administrateur de l’April, de nous avoir fait découvrir ce titre qui est vraiment très beau.
Je signale également que Flore Vasseur, qui a donc consacré un livre à Aaron Schwartz, est la réalisatrice de Bigger Than Us qui sort demain mercredi 22 septembre. C’est un long métrage de documentaires tournés aux quatre coins de la planète sur une jeunesse merveilleuse qui lutte pour les droits humains, le climat, la liberté d’expression, la justice sociale, l’accès à l’éducation et à l’alimentation.
Je vais en profiter, juste avant de passer au jingle, de rappeler la question quiz, n’hésitez pas à essayer d’y répondre sur le site causecommune.fm, bouton « chat », salon #libreavous. Dans sa chronique, en fin d’émission, Vincent Calame va rendre hommage au copier-coller en informatique. Savez-vous quel est le lien possible de cette pratique avec le journaliste et écrivain américain Hunter S. Thompson qui a notamment écrit Las Vegas parano.
En attendant on va passer au sujet suivant.
[Virgule musicale]
Frédéric Couchet : Le réalisateur, Étienne, est très fort parce qu’il a lancé le bon jingle alors que je n’ai pas suivi l’ordre habituel des jingles. Étienne, tu es très fort !
On va passer au sujet principal.
Le lecteur multimédia libre VLC avec Jean-Baptiste Kempf. Rediffusion d’un sujet diffusé le 29 octobre 2019
Frédéric Couchet : Vous utilisez sans doute VLC, ce lecteur multimédia dont le logo ressemble à un cône de chantier. Savez-vous que c’est un logiciel libre ? Connaissez-vous l’histoire de ce logiciel ? Son fonctionnement ? Son mode de développement ? C’est le thème principal de notre émission du jour qui est, en fait, une rediffusion d’une émission du 29 octobre 2019 mais qui reste toujours d’actualité. On va donc écouter cette rediffusion et on se retrouve dans une cinquantaine de minutes.
[Virgule sonore]
Frédéric Couchet : Nous allons donc poursuivre par notre sujet principal qui porte aujourd’hui sur le célèbre lecteur multimédia libre VLC dont l’icône est un cône de chantier et nous allons bientôt apprendre les raisons de ce choix. Notre invité est Jean-Baptiste Kempf président de VideoLAN, l’association qui gère VLC, et fondateur de la société Videolabs qui crée des services autour de VLC et, plus généralement, des nouveautés autour de la vidéo. Bonjour Jean-Baptiste.
Jean-Baptiste Kempf : Bonjour.
Frédéric Couchet : On a déjà eu l’occasion d’avoir Jean-Baptiste dans l’émission en octobre 2018 pour nous parler de DRM, les fameuses menottes numériques sur lesquelles on reviendra très rapidement au cours de l’émission ; vous pouvez évidemment écouter le podcast.
Déjà une première petite question, une présentation personnelle. Jean-Baptiste, d’où viens-tu ? Qui es-tu ? Quel est ton parcours ?
Jean-Baptiste Kempf : Je m’appelle Jean-Baptiste. Je suis un geek, j’ai 36 ans, je suis Parisien, j’ai vécu la plupart de ma vie à Paris. Ça fait un bout de temps, à peu près 13 ou 14 ans, que je fais du VLC et que ça a pris de plus en plus de temps dans ma vie jusqu’à être mon métier principal.
Frédéric Couchet : C’est quoi un geek ? Tu as employé ce mot-là au début.
Jean-Baptiste Kempf : Oui. Quelqu’un qui adore coder et être sur son ordinateur. Moi j’ai toujours été dans le logiciel libre dès que je me suis mis à l’informatique, pendant que j’étais en école.
Frédéric Couchet : Donc un passionné, notamment d’informatique.
Jean-Baptiste Kempf : Principalement.
Frédéric Couchet : Principalement.
Jean-Baptiste Kempf : Mais aussi de bons bouquins de fantaisie comme, en bon routard, Le Guide du voyageur galactique de l’espace.
[Rires]
Frédéric Couchet : En plus c’est un grand honneur de te recevoir car, depuis le 15 novembre 2018, tu as eu le grade de chevalier de l’ordre national du Mérite, c’est l’une des plus importantes décorations françaises. Ça a l’air de te faire soupirer mais, en même temps, ça récompense une dizaine d’années de contribution à la fois dans ta société et dans la communauté du Libre.
Jean-Baptiste Kempf : Ça va te faire rigoler parce je suis un gros boulet : je n’ai toujours pas récupéré cette décoration parce qu’il faut organiser une cérémonie, avoir quelqu’un qui te la remet, et je dois avouer que ce n’était pas vraiment dans mes priorités, notamment personnelles, cette année. Il faut absolument que je m’en occupe parce que sinon je ne vais jamais avoir le droit de la porter. C’est génial ; c’est clair, c’est génial parce que ça montre notamment qu’on a des gens, dans l’État, qui commencent à comprendre ce qu’est le logiciel libre et pourquoi c’est important pour l’État et pour la France. C’est vraiment très cool. C’était Mounir, à l’époque, qui m’avait proposé.
Frédéric Couchet : Mahjoubi, qui était ministre du numérique [secrétaire’État chargé du numérique].
Jean-Baptiste Kempf : Maintenant c’est Cédric O, je crois, qui l’a remplacé. Donc c’est très cool. Par contre, ce que je n’aime pas, c’est que c’est une décoration personnelle pour un projet qui est un projet commun. C’est sûr que je suis la personne qui a passé le plus de temps autour de VLC et d’autres projets autour de VideoLAN, mais je suis toujours un peu mal à l’aise avec ça.
Frédéric Couchet : C’est le côté starisation qui ne te plaît pas.
Jean-Baptiste Kempf : Ouais. Il y a beaucoup trop de starisation dans tout ce qui est tech, tout ce qui est startup. On parle plus souvent, on voit plus souvent, à propos des startups, plus des photos des fondateurs que de leurs produits. Ça me gêne un peu ; ce n’est pas très grave, mais ça me gêne un peu.
Frédéric Couchet : OK. Avant d’oublier je précise que si des personnes qui écoutent veulent appeler pour faire une intervention et notamment poser une question à Jean-Baptiste, vous pouvez appeler le 09 50 39 67 59 et Étienne Gonnu, en régie, attend vos appels.
Déjà une petite première question. En fait de très nombreuses personnes utilisent VLC souvent sans savoir que c’est un logiciel libre et ça permet à ces personnes de lire des vidéos. Mais toi, quand tu présentes, par exemple peut-être en soirée, ce que tu fais, comment tu présentes VLC, en une ou deux phrases, un petit résumé ?
Jean-Baptiste Kempf : Ça dépend de qui est en face, du public, et ça dépend de si je veux troller ou pas. En général, je dis que c’est un lecteur multimédia capable de lire tous les formats de fichiers audio, vidéo et qui marche partout. Ça c’est l’accroche et après, surtout, je dis que c’est un logiciel libre, développé par une communauté, pour le bien commun.
Frédéric Couchet : D’accord. C’est intéressant parce qu’une des forces, effectivement, de VLC c’est de lire à peu près tous les formats de fichiers et on va y revenir dans la partie plus technique, présentation des fonctionnalités. Tu dis que c’est une communauté qui développe ça, justement, on va parler de l’histoire de ce projet. Comment c’est né ? Parce que c’est un projet très ancien, il y a de nombreuses années. Est-ce que tu peux nous raconter comment est né ce projet à l’École centrale de Paris, si j’ai bien suivi ?
Jean-Baptiste Kempf : En fait, ce qui est marrant dans VLC, c’est qu’il n’y a pas eu de créateur de VLC et surtout il n’y a personne qui a voulu faire VLC. Souvent, quand je raconte ça aux gens, ça les déçoit un peu. Il n’y a personne qui s’est dit « je vais faire un nouveau lecteur vidéo, ça va être mieux que le reste ». En fait, c’est une succession de projets qui commence il y a très longtemps, et une partie du projet du projet est devenu VLC. Je vais m’expliquer un petit peu parce sinon c’est un peu flou.
Frédéric Couchet : Avec des dates.
Jean-Baptiste Kempf : Le projet originel date du fait que dans les années 60 l’École centrale Paris a déménagé de la gare de Lyon à Châtenay-Malabry, dans le sud de Paris, pour des raisons un peu bizarres, mais notamment parce que l’Éducation nationale n’avait pas l’argent pour le faire. On s’est retrouvé avec une grande école française qui était sur un campus géré par des anciens élèves, donc privé. Et tout dans l’organisation du campus était fait par des étudiants : le téléphone, la télé, la radio, la cafétéria et le réseau informatique. Dans les années 80 ils mettent un réseau informatique et c’était un réseau informatique qui était basé sur Token Ring, donc un réseau très lent. Vers le milieu des années 90, les étudiants veulent avoir un réseau plus rapide et, quand ils vont voir l’École pour dire « on a besoin d’un nouveau réseau plus rapide », en particulier pour jouer, il ne faut pas mentir.
Frédéric Couchet : Pour jouer en réseau au début.
Jean-Baptiste Kempf : Pour jouer en réseau et l’École leur dit : « Écoutez, vous allez être gentils, vous allez l’utiliser pour jouer en réseau et pas du tout pour travailler » et surtout, la raison principale de l’École c’est « vous comprenez, le campus est privé, on ne peut rien y faire » ; ils disent : « Allez voir les partenaires ». Là c’est le projet qui s’appelait Network 2000 – on est en 1995, à l’époque, évidemment, tout projet s’appelle 2000 sinon ce n’est pas un vrai projet – ils vont voir des partenaires, ils vont voir notamment TF1 qui dit : « Le futur de la vidéo c’est le satellite — aujourd’hui c’est facile de rigoler, mais en 1995 c’était important — et pour 1500 étudiants s’il faut mettre 1500 décodeurs et 1500 antennes ça va coûter une fortune. On vous propose de mettre juste un réseau très rapide, numérique – ce sont les débuts de la vidéo numérique – on met une grosse antenne et on diffuse la vidéo sur tout le réseau hyper-rapide. » Évidemment on est en 1994/95, les ordinateurs les plus puissants ce sont des 486DX-33, DX-66 ou des Pentium 60, c’est absolument impossible, sans avoir des grosses machines, de faire du décodage vidéo taille DVD à l’époque, sans matériel, mais ils le font quand même et c’est comme ça qu’ils justifient l’achat d’un nouveau réseau pour ce projet dans l’association des étudiants qui gérait le réseau informatique. À ce moment-là il n’y a pas du tout de VLC.
Ça finit, il y a une démo qui marche, ça crashe au bout de 50 secondes ; on fait une démo de 42 secondes, comme ça c’est nickel, c’était cross-platform, ça marchait grosso modo sous BeOS et Linux, rien d’autre, mais on montrait que c’était possible. Pendant un an il ne se passe plus rien. Il y a des étudiants, en 98, qui disent : « C’est un projet qui est marrant, de diffusion de vidéos sur un réseau, il y a peut-être d’autres campus ou des réseaux d’entreprises qui sont intéressés ». Donc ils remontent un projet qui, à ce moment-là, s’appelle VideoLAN, lan qui veut dire réseau local en anglais. Donc ils commencent le projet VideolAN. On est en 98 et là ils ont comme objectif de devenir open source et d’être cross-platform. Dans VideoLAN, il y avait une partie serveur, une partie réseau, une autre partie un truc un peu compliqué, et il y avait une partie cliente. Mais la partie cliente ce n’était pas forcément le focus, parce que ce n’était pas forcément l’endroit le plus compliqué. La partie cliente s’appelle VideoLAN client.
Frédéric Couchet : Donc VLC.
Jean-Baptiste Kempf : À ce moment-là tout le monde l’appelle VideoLAN client. Ça va s’appeler VLC trois ou quatre ans plus tard, au moment où en 2001, après une bataille de longue haleine, l’École autorise le changement de licence pour que ça passe d’une licence propriétaire vers une licence open source, libre.
Frédéric Couchet : Une licence libre, en l’occurrence la licence GNU GPL, General Public License.
Jean-Baptiste Kempf : Exactement. Ils ne précisent pas la version, ils disent GNU General Public License et ils ne précisent pas VLC, ils précisent « pour l’ensemble des logiciels du projet VideoLAN ».
Donc VLC c’est une petite partie du projet VideoLAN, qui est un projet dont le but a été d’être libre, mais qui, au début ne l’était pas, basé sur un projet qui était originellement de faire un nouveau réseau parce qu’il y avait un réseau informatique lent à l’époque. Quand ça passe en logiciel libre, c’est à ce moment-là qu’il y a des contributions extérieures importantes qui font que ça passe sous Windows et sous Mac OS rapidement et pas à l’initiative des élèves et que ça commence à démarrer à l’extérieur.
En fait il n’y a personne qui s’est dit « waouh !, je vais faire un nouveau lecteur, je vais le porter partout ». Ce sont vraiment des étudiants, plusieurs générations d’étudiants parce qu’on parle de 1994 à 2002 pour le début de l’explosion et il n’y a personne qui s’est dit « je vais créer VLC ! »
Frédéric Couchet : D’accord. L’École centrale de Paris c’est une école d’ingénieurs. Toi tu intègres l’École centrale à quelle date ?
Jean-Baptiste Kempf : En 2003.
Frédéric Couchet : En 2003. Comme tu l’as dit en introduction, tu es un geek et tu es là pour apprendre, je suppose que tout de suite le projet te plaît. Est-ce que tu contribues tout de suite ?
Jean-Baptiste Kempf : C’est pire que ça. En fait, moi j’ai choisi l’École centrale Paris parce que je savais que c’était une école où il y avait une association informatique qui faisait du Libre.
Frédéric Couchet : Tu as choisi l’école pour ça ! D’accord !
Jean-Baptiste Kempf : En vacances j’avais rencontré quelqu’un ; j’ai eu le choix entre plusieurs grandes écoles et je suis allé à Centrale parce que je savais que un, il n’y avait pas beaucoup de cours et deux, parce qu’il y avait une association qui faisait du réseau, qui était sous Linux. C’est clair qu’à l’époque je n’y connaissais rien. Ça a été mon choix, c’est pour ça que ça que je suis allé à Centrale.
Frédéric Couchet : C’est marrant parce que ça me rappelle ma propre histoire à Paris 8, mais des années avant parce que je suis un peu plus vieux que toi.
Donc tu arrives à Centrale en 2003. À l’époque il n’y a pas d’association qui porte ce projet et, si j’ai bien suivi, c’est toi qui vas initier l’idée de créer une association qui va s’appeler VideoLAN.
Jean-Baptiste Kempf : En fait ça arrive bien plus tard. À l’époque entre les gens du réseau VIA et les gens de VideoLAN c’était très interconnecté. Je deviens vice-président de l’association du réseau et c’est moi, avec notamment un autre développeur qui s’appelle Rémi, qui portons pendant une année cette association, donc on fait des choses sur VideoLAN. La première chose que je fais sur VideoLAN c’est gérer la diffusion interne de la télévision pour le campus de Centrale. Et ça, ça doit être fin 2003/début 2004 que je commence à toucher au projet VideoLAN, mais pas du tout par la partie code, vraiment par la partie infrastructure. En fait, plus tard je fais un stage, en 2005/2006, et je m’emmerde pendant ce stage.
Frédéric Couchet : C’est aux États-Unis, ce stage ?
Jean-Baptiste Kempf : Pas du tout. J’étais au CEA [Commissaria à l’énergie atomique], à la direction des applications militaires. Le stage était génial, mais j’avais beaucoup trop de temps. Je me suis vraiment amusé sur le stage, mais c’est juste que ça n’allait pas assez vite pour moi. Donc j’ai fait deux choses : j’ai fait pas mal de documentation et j’ai commencé à aider sur VLC.
En fait, on s’est retrouvé un peu avec le problème que le projet était trop gros pour l’école, trop gros pour des étudiants, trop d’utilisateurs, et c’était très difficile de faire quoi que ce soit, surtout parce qu’en 2006/2007/2008 la nouvelle génération d’étudiants n’est vraiment pas intéressée par le projet. C’est à ce moment-là, fin 2007 et début 2008, que je lance l’idée de se séparer de l’école. Je crée l’association au VideoLAN Dev Days en décembre 2008, hébergée chez Free et c’est là où on fait un vote, où on décide de créer une association. Début 2007 il n’y avait plus que deux personnes et demie actives sur le projet. Quand j’étais dans mon stage, comme tu l’as dit aux États-Unis, j’ai passé beaucoup de temps à retrouver des mondes, des anciens et des nouveaux, pour se remotiver autour du projet et ça va prendre quelques années pour qu’on arrive à la version 1.0 de VLC.
Frédéric Couchet : D’accord. On va y arriver. Petite question : le choix du cône chantier comme icône, c’était à cette époque-là ou pas ?
Jean-Baptiste Kempf : Quand je suis arrivé, le cône de chantier était déjà là.
Frédéric Couchet : Est-ce que tu sais pourquoi le cône de chantier a été choisi ?
Jean-Baptiste Kempf : Oui, je sais, évidemment !
Frédéric Couchet : Vas-y.
Jean-Baptiste Kempf : Il faut savoir, et je suis désolé pour les auditeurs, qu’il y a une bataille d’anciens pour expliquer quelle est la raison du cône, mais quand moi je suis arrivé à Centrale, c’est sûr, on avait des étages de 24 étudiants et sur l’étage du 2H, l’étage du réseau, il y avait à peu près une centaine de cônes, il y avait une armoire à cônes.
Frédéric Couchet : Le culte du cône !
Jean-Baptiste Kempf : Le culte avec des jeux physiques comme le cône acrobatique, le « côneball », des batailles, des montages de batailles moitié laser moitié cônes. Il y avait vraiment un culte sur le cône qui était très drôle, pas du tout malsain, attention pour ceux qui ont peur, très marrant et hyper deuxième ou troisième degré. À l’origine ils avaient besoin de parler à un étudiant qui ne voulait pas leur ouvrir la porte. En fait, après une soirée probablement un peu arrosée, ils ont utilisé le cône comme porte-voix pour l’appeler et l’alpaguer depuis sa fenêtre. Plutôt que d’avoir une petite mandoline pour chanter une sérénade, ils ont pris un cône qui était là. Ça c’était des gens autour du réseau et, en fait, dans la première sortie sous Linux X11.
Frédéric Couchet : X11 c’est l’environnement de fenêtrage graphique, on va dire.
Jean-Baptiste Kempf : Avant, la première version était en framebuffer, c’est encore au niveau plus bas. Ça passe à la première version. En fait, à l’origine, tout le monde se tirait un peu la bourre dans VLC, ce qui est normal parce qu’il y avait toujours plein de choses à faire, c’est super marrant. Donc celui qui met la première version X11, il commit à quatre heures du matin, même si ce n’est pas fini, mais juste parce qu’il a quand même fait le plus gros du boulot, il envoie sa version et, pour montrer que ce n’est pas fini, il met comme icône le petit cône de chantier pour dire que c’est en travaux.
Ensuite Sam Hocevar, qui est un des génies qu’il y a eu autour du projet, dessine la première icône et ça reste. Donc ce n’est pas réfléchi, c’est complètement débile d’utiliser un cône de chantier pour un lecteur multimédia, mais c’est un coup marketing absolument génial parce que c’est hyper-reconnaissable. Là, maintenant, je vais partout dans le monde, quand je parle de VLC les gens connaissent déjà beaucoup plus que l’École centrale Paris ou des choses comme ça, mais, surtout, il y a plein de gens qui font : « Je ne sais pas trop » et tu dis : « Mais si, le cône qui lit des vidéos » et là, c’est universel.
Frédéric Couchet : Le cône de chantier. C’était une excellente idée et on salue Samuel Hocevar qui a aussi été le responsable du projet Debian, qui est aussi un grand fan de cinéma, notamment de La Classe américaine, dont on parlera peut-être un jour. En tout cas, allez chercher sur un moteur de recherche Samuel Hocevar, c’est un génie.
Jean-Baptiste Kempf : Et qui a été un des premiers à introduire Wikipédia en France.
Frédéric Couchet : Exactement. C’est aussi un des fondateurs de Wikimédia France.
J’ai une petite question sur le salon web de la radio, je rappelle que c’est sur causecommune.fm, donc une réponse rapide, Marie-Odile demande : « Est-ce que cette école est toujours aussi sympa afin de la conseiller aux jeunes qui vont prochainement passer des concours ? » L’ECP ? Est-ce que tu conseillerais d’aller à l’ECP aujourd’hui ?
Jean-Baptiste Kempf : Désolé, je n’en sais rien du tout. Maintenant elle s’appelle CentraleSupélec, ça a été fusionné avec Supélec. J’y vais de temps en temps parce que je suis toujours administrateur de l’association du réseau, je trouve que les gens sont toujours aussi cool, par contre je trouve que leur campus est quand même moins marrant que le nôtre.
Frédéric Couchet : D’accord. Voilà la réponse par rapport à ça.
On a bien compris qu’au départ il y a pas mal d’étudiants et d’étudiantes qui ont contribué. On va revenir tout à l’heure sur la contribution concrète, aujourd’hui, à VLC, parce que les gens doivent se dire qu’il doit y avoir des centaines de personnes qui contribuent tous les jours à VLC. On va aussi parler du financement, mais dans une deuxième partie. Une fois passé cet historique, on remarque que c’est un logiciel libre qui existe depuis très longtemps, qui se développe. Aujourd’hui c‘est la version 3.0, c’est ça ?
Jean-Baptiste Kempf : C’est ça.
Frédéric Couchet : 3.0. Tu l’as dit tout à l’heure, l’un des grands atouts de VLC en termes de fonctionnalité, c’est que ça intègre les codecs nécessaires à la lecture de la plupart des formats audio et vidéo et que VLC peut aussi lire à peu près tous les flux réseau. Donc le choix de VLC, pour beaucoup de gens, c’est aussi la qualité et la capacité d’accéder à peu près à tous les contenus. Une autre caractéristique c’est la capacité de lire des flux un petit peu endommagés et de les réparer à la volée, c’est assez magique ! Un autre avantage, et là j’aimerais bien que tu expliques comment vous faites, c’est le côté multiplateforme, parce que souvent les logiciels libres sont disponibles sur environnement Windows, Mac, GNU/Linux, mais vous allez encore plus loin, c’est de l’Android, c’est de l’iPhone, c’est OS2. C’est intégré dans certaines box et ça serait intéressant d’en reparler tout à l’heure. Comment faites-vous pour ce côté multiplateforme ?
Jean-Baptiste Kempf : Il y a plusieurs raisons. La première raison c’est que VLC est hyper-modulaire, contrairement par exemple à un autre lecteur multimédia qui est sur Linux qui s’appelle MPlayer, qui était là avant. Le cœur de VLC est tout petit, ça doit être un dixième du code, un vingtième du code, et après on a plein de modules. La raison pour laquelle VLC est passé en modules, ça n’est pas du tout une idée, une grande idée en disant « il faut absolument faire ça », c’était, je suis désolé pour le terme technique, pour raccourcir les temps de compilation à l’époque. Quand on faisait une modification on modifiait juste un module et on compilait à nouveau, c’était beaucoup plus rapide que tout compiler.
Frédéric Couchet : La compilation c’est partir du code source pour arriver à la version compréhensible par l’ordinateur.
Jean-Baptiste Kempf : C’est ça. En fait, pour faire plus simple, c’était juste plus facile de développer, mais ça n’était pas dans le but d’être plus cross platform, c’était vraiment Sam qui voulait coder plus rapidement, donc, pour aller plus rapidement dans son développement, il est passé en modules. Et ce passage en modules, en fait c’est vraiment un coup de génie, qui n’était peut-être pas forcément vu à l’époque, c’est que ça a permis justement d’être sur plein de plateformes, puisque quand tu vas sur une autre plateforme tu fais juste une nouvelle sortie audio, une sortie vidéo, une nouvelle interface et puis c’est tout ; tu n’as pas à modifier tout le reste. Et, deuxième effet cool qui est très bien, ça permet aux gens qui rentrent dans le projet de commencer à contribuer sans être capables de comprendre ce qui se passe au cœur. Moi, pendant quasiment deux ans depuis le premier moment où j’ai codé sur VLC, je n’ai jamais rien fait dans le cœur de VLC parce que c’est compliqué, mais ce n’est pas grave, comme ce sont des modules, tu rajoutes juste une fonctionnalité : tu veux un nouveau format, tu rajoutes juste un module ! Et quand tu veux placer sur d’autres plateformes, que tu as mentionnées, mais on est aussi sur Apple TV, sur Android TV, on a une version qui marche sur la PS4 – elle n’est pas publique parce que, pour des raisons de liberté, on ne peut pas la publier.
En fait, ce que je dis, c’est que VLC est un des logiciels le plus porté sur plein d’autres plateformes, en tout cas interfaces. On est sur plus de plateformes que Chrome, on est sur plus de plateformes que Firefox, que LibreOffice et je ne parle même pas, évidemment, de logiciels propriétaires comme Office ou Apple.
Il faut comprendre que, évidemment, ça prend beaucoup de temps, mais, en fait, le cœur de VLC est géré par cinq personnes. C’est important. Ce sont des gens très bons et je suis poli, à part moi, ce sont des gens vraiment exceptionnels au niveau code, qui sont de classe internationale, qui sont hyper-bons, qui savent ce qu’ils font et c’est ça qui permet de supporter plein de plateformes. Ensuite on est très conservateurs sur notre approche du code : on écrit tout en C, un petit peu de C ++.
Frédéric Couchet : C est un langage de programmation.
Jean-Baptiste Kempf : En langage de programmation C, donc vraiment du bas niveau, parce que c’est un langage qui est très limité mais qui est relativement simple, dont on connaît très bien les limites, donc ça permet à VLC de garder cette qualité. Et un truc important aussi concernant VLC, sa marque, c’est que les gens normaux, pas les gens qui passent leurs journées à recompiler leur VLC sur Linux, font confiance au code et ça c’est hyper-important.
La deuxième raison c’est que, dans VLC, il y a des gens comme moi qui ont été hyper-embêtants sur la qualité du produit. J’ai emmerdé les autres développeurs des centaines de fois en disant « non, ça ce n’est pas possible, ça casse ce problème pour l’utilisateur ». J’ai passé des heures et des heures sur les forums, sur Twitter, etc., à écouter ce que voulaient nos utilisateurs. C’est hyper-important, ce n’est pas la partie la plus marrante. Pour moi c’est important d’avoir du produit qui fonctionne.
Frédéric Couchet : Justement sur la partie support j’ai une question : est-ce que globalement l’équipe reçoit plus d’encouragements ou de remerciements que de plaintes, ou traditionnellement… ?
Jean-Baptiste Kempf : Non ! On n’entend que des plaintes, voire des insultes ou des menaces de mort.
Frédéric Couchet : À ce point-là !
Jean-Baptiste Kempf : Oui. Des gens ont envoyé des lettres anonymes que j’ai reçues chez mes parents. Il y a des tarés partout ! Par rapport aux centaines de millions d’utilisateurs, en fait les plaintes c’est ridicule. Évidemment, quand tu es de l’autre côté, tu ne vois que la partie négative et c’est vrai que de temps en temps tu as des mecs qui te dises : « C’est trop bien ! » Des mecs m’ont envoyé de la bière parce que sur un thread reddit j’ai dû raconter qu’une des bières que j’adore c’est la Kasteel Rouge et quelqu’un m’a envoyé, qui est arrivée chez mes parents, une caisse de Kasteel Rouge, que j’ai bue.
Frédéric Couchet : Est-ce qu’il t’a invité au Dernier Restaurant avant la fin du monde ?
Jean-Baptiste Kempf : Non, on ne m’a pas encore invité au Dernier Restaurant avant la fin du monde, mais on m’a déjà invité pas mal de fois au Dernier bar avant la fin du monde soit celui de Paris soit dans d’autres endroits.
Frédéric Couchet : Il y en a dans d’autres endroits ?
Jean-Baptiste Kempf : Oui. Il y en a dans d’autres endroits.
Frédéric Couchet : D’accord. OK.
Tu parlais à l’instant de la qualité, notamment par rapport à l’expérience utilisateur et utilisatrice. Il y a un autre sujet qui doit sans doute te faire stresser c’est la sécurité. D’ailleurs je ne sais pas sur combien de machines, si c’est estimable, VLC est installé, mais le problème de sécurité soit par un bug soit par une injection de code malveillant, ça doit te faire flipper !
Jean-Baptiste Kempf : C’est clair que c’est un vrai sujet qui est très compliqué.
Je vais d’abord répondre à ta première question qui est combien il y a de VLC installés. On ne fait pas de télémétrie – moi j’appelle ça de l’espionnage, certains appellent ça de la télémétrie, ça s’appelle de l’espionnage même quand c’est Mozilla qui le fait, nous on ne fait pas d’espionnage –, par contre, c’est vrai qu’on peut savoir des choses. On peut savoir le nombre de téléchargements sur notre site web, sachant qu’il y a évidemment plein d’autres sites de téléchargement comme Download.com, Telecharger.fr et, évidemment, toutes les distributions Linux qui redistribuent sans passer pas nous, donc on n’a pas cette information. Mais là, déjà, on voit qu’on est à peu près à 25 millions, 30 millions de téléchargements par mois. Deux tiers, en fait, ce sont des updates, mais le reste ça ne l’est pas. Déjà, le fait qu’il y ait pas mal d’updates, ça nous donne des informations.
Frédéric Couchet : Les updates ce sont les mises à jour.
Jean-Baptiste Kempf : Les mises à jour. Après, on a des informations de Microsoft, du nombre d’utilisateurs, notamment pour les crash reports.
En fait, on n’a pas d’info fiable mais on a une estimation. En nombre d’utilisateurs actifs, ce que tu définis comme une personne qui utilise VLC une fois dans le mois, sous Windows on a 300 millions d’utilisateurs actifs.
Frédéric Couchet : Waouh !
Jean-Baptiste Kempf : Donc tu peux considérer qu’en nombre d’installations on doit être au moins au double, en nombre d’installations !
Frédéric Couchet : Sous les environnements GNU/Linux, FreebSD et autres, libres, on n’a pas d’estimations.
Jean-Baptiste Kempf : Si. À une époque j’avais fait des estimations : grosso modo on prend le nombre sur Windows, on divise par dix et on a la part de marché qu’on a sous Mac OS et on prend exactement la même chose sous Linux, donc ça fait 30 millions. Sur les machines bureau on pense qu’on a 350 millions d’actifs, donc en nombre d’installés c’est peut-être 600 millions, 700 millions. Après il y a les mobiles. On a eu, par exemple sur Android, 250 millions de téléchargements, de comptes qui l’ont téléchargé et 60 millions d’actifs et sur iOS quelque chose de similaire. Ça donne un ordre d’idée.
Frédéric Couchet : C’est une grosse masse.
Jean-Baptiste Kempf : C’est une grosse masse.
Frédéric Couchet : Donc la partie sécurité doit être stressante !
Jean-Baptiste Kempf : En particulier parce qu’on fait du C, on est vraiment au bas niveau, on n’est pas en train d’avoir un langage qui nous aide parce que dans le multimédia, on n’a pas le choix, il faut être hyper-performant. On va le plus proche du matériel, donc on a accès au bas niveau, donc on a accès, en fait, vraiment à tout. Pour ceux qui comprennent, quand on est dans VLC on est vraiment en mode kernel quasiment partout.
Frédéric Couchet : C’est-à-dire qu’on est au plus proche du matériel, donc on peut quasiment tout faire.
Jean-Baptiste Kempf : Et surtout j’ai accès à tout, normalement j’ai accès à tous tes fichiers, si tu crashes VLC. C’est le même problème qu’a Chrome, sauf que Chrome ils ont une approche, ils ont des millions pour améliorer ça. On a vu, par exemple, que la CIA a utilisé une fausse version de VLC et, en même temps que tu regardais ton film, il y avait un petit plugin qu’ils avaient rajouté, un petit module de VLC qu’ils avaient rajouté qui, en fait, chiffrait tous tes documents dans ton dossier « Mes documents » sous Windows et les envoyait quelque part. Ce n’était pas notre version de VLC mais c’était une version récupérée quelque part qu’ils redistribuaient et tu ne t’en rends pas compte : tu regardes un film, ça dure deux heures ou trois heures quand c’est Avengers games, donc ton PC travaille, il y a un peu de bruit, ça ne t’étonne pas.
Ça c’est un vrai problème et puis il y a des failles de sécurité, comme pour tous les logiciels, mais les gens font un peu moins les mises à jour que pour Chrome ; tu passes ton temps à faire ça pour ton navigateur. On a une approche, notamment depuis trois ans, qui est très proactive, où on va notamment analyser le code et faire des choses comme ça pour, justement, trouver des bugs en amont. On a eu un bug bounty par la Commission européenne qui payait des hackers pour essayer de trouver des problèmes dans VLC et ensuite nous on allait réparer.
Frédéric Couchet : C’est le projet FOSSA [Freeand Open Source Software Audit] ?
Jean-Baptiste Kempf : Sur le projet FOSSA.
Frédéric Couchet : Le projet FOSSA de la Commission européenne.
Jean-Baptiste Kempf : Évidemment que c’est grâce à Julia Reda.
Frédéric Couchet : L’ancienne eurodéputée du Parti pirate.
Jean-Baptiste Kempf : Évidemment il n’y a qu’elle qui est intéressée par ce genre de truc. C’était vraiment très cool et ça permet de remonter des problèmes, mais ça ne règle pas le problème fondamental. Pour régler le problème fondamental on a une idée avec un système de sandboxing, c’est très compliqué et surtout ce sont des choses qui n’ont jamais été faites.
Frédéric Couchet : Est-ce que tu peux expliquer en une phrase ce qu’est le sandboxing ? Ou après la pause musicale si tu veux.
Jean-Baptiste Kempf : L’idée du sandboxing et je ne pourrai pas faire plus technique que ça…
Frédéric Couchet : Moins technique que ça.
Jean-Baptiste Kempf : Ouais, pardon. Quand VLC a un problème, en fait il est dans son petit environnement, donc il n’a accès à rien sur ta machine, donc ça n’est pas grave.
Frédéric Couchet : C’est un bac à sable juste pour VLC.
Jean-Baptiste Kempf : C’est ça. En fait, ça c‘est la théorie. En pratique, il va falloir mettre une dizaine de bacs à sable à l’intérieur de VLC et c’est très compliqué.
Frédéric Couchet : On va permettre aux gens de réfléchir en écoutant une pause musicale. Nous allons écouter Jack’s Playing Ball par Jono Bacon. On se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause Commune.
Voix off : Cause Commune 93.1.
Pause musicale : Jack’s Playing Ball par Jono Bacon.
Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Jack’s Playing Ball par Jono Bacon, disponible sous licence libre Creative Commons By SA, c’est-à-dire Partage dans les mêmes conditions. Vous retrouverez les références sur le site de l’April, april.org et sur le site de la radio, causecommune.fm.
Vous écoutez toujours l’émission Libre à vous ! sur radio Cause Commune 93.1 FM en Île-de-France et partout ailleurs sur le site causecommune.fm. Je vous rappelle que vous pouvez nous appeler, si vous voulez poser une question en direct, au 09 50 39 67 59.
Nous allons poursuivre notre discussion sur VLC, le lecteur multimédia libre, avec Jean-Baptiste Kempf du projet VideoLAN et de la société Videolabs dont on parlera tout à l’heure.
Juste avant on parlait de technique et notamment de sandboxing, bac à sable, et pendant la pause musicale Jean-Baptiste m’expliquait un petit peu les projets pour la version à priori 5, ça a l’air d’être quand même un sacré enjeu technique.
Là on va parler un petit peu des problématiques juridiques. On va les aborder rapidement parce que chacune de ces problématiques juridiques est complexe en tant que telle.
Déjà j’ai une première question parce que tu es connu pour avoir reçu des propositions, parait-il de plusieurs dizaines de millions d’euros, en échange de l’insertion de publicités et de logiciels malicieux dans VLC et tu as refusé. Pourquoi ?
Jean-Baptiste Kempf : C’est tout à fait exact. Ça m’est arrivé au moins trois fois, des mecs qui voulaient, en même temps que ça installe VLC, ça t’installe un antivirus Avast ou Avira, changer ta page de démarrage ou installer des spyware. Ça c’est hostile à l’utilisateur donc pour moi c’est no way, quel que soit le montant.
J’ai des gens qui m’ont proposé de racheter le nom de domaine videolan.org. Déjà ils étaient un peu plus malins parce que c’est un peu plus malin que d’essayer de mettre de la merde dans VLC, mais pareil, ça ne correspond pas à quelque chose qui est bien pour mes utilisateurs ni à la philosophie que j’ai autour du projet. Je ne suis pas contre l’argent en soi, mais l’argent ça doit être fait de façon morale.
Frédéric Couchet : D’accord. Au niveau des problématiques juridiques, on va parler de deux problématiques juridiques précises assez rapidement, les DRM, les menottes numériques et ensuite brevets.
Les DRM, les menottes numériques, on en a déjà parlé avec toi et Marie Duponchelle dans l’émission d’octobre 2018, vous retrouverez le podcast évidemment en ligne, donc les menottes numériques qui empêchent un certain nombre d’usages. Il y a quelques années VLC avait saisi l’HADOPI [Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet] parce que beaucoup de gens ignorent que l’HADOPI, au-delà de son activité bien connue, a normalement la régulation de ce qu’on appelle les mesures techniques de protection, ce que nous on appelle les menottes numériques, et, notamment, vous l’aviez saisie concernant les Blu-ray, le format des Blu-ray pour savoir si VLC avait les capacités juridiques – non pas techniques parce que techniquement vous saviez le faire, évidemment – pour lire ces fameux Blu-ray. Première question : pourquoi avez-vous dû saisir l’HADOPI ? Quelle a été la réponse de l’HADOPI et quelle est la situation aujourd’hui par rapport à la lecture notamment de ces Blu-ray ?
Jean-Baptiste Kempf : VLC est capable de lire les DVD depuis 2001 et, en fait, c’était avant les lois LCEN, EUCD…
Frédéric Couchet : LCEN, loi pour la confiance dans l’économie numérique et EUCD c’est la version française de la directive droit d’auteur.
Jean-Baptiste Kempf : Des lois qui avaient été faites et, en fait, on était passés avant ça. Quand on veut mettre la lecture du Blu-ray dans VLC on est après ça et il y a notamment une agence de régulation des mesures techniques de protection qui avait été créée et qui n’avait jamais rien foutu. Ils n’avaient même pas rendu le rapport annuel qu’ils devaient rendre, donc on a mergé ça dans HADOPI au moment de la loi HADOPI. En théorie, c’était à eux de nous aider parce qu’en fait il y a un problème fondamental qui est l’interopérabilité et les mesures techniques de protection. Grosso modo, ce sont deux concepts qui sont impossibles et puis la loi était hyper peu claire, donc on est allé poser des questions, puisque, en théorie, ils étaient le régulateur. On n’a rien compris à la réponse, en particulier parce qu’ils n’ont rien compris à la question. Ils ont fait ça avec une mauvaise foi absolument forte. Ils n’ont jamais réussi à comprendre, ça a mis deux ans avant qu’on réussisse à avoir une question au gouvernement par un député et c’est à ce moment-là qu’ils ont commencé à se bouger. Grosso modo, ils n’ont rien compris à la question, ils ne nous ont même pas posé la question. En fait ils étaient vraiment dans un mode complètement politique avec Franck Riester.
Frédéric Couchet : Actuellement ministre de la Culture et anciennement rapporteur du projet de loi HADOPI.
Jean-Baptiste Kempf : À la fin il s’est rendu compte, en fait, qu’il y avait quelque chose à faire et qu’on n’était pas là juste pour les emmerder, qu’on posait vraiment une question ! Et puis il y avait le secrétaire général de la HADOPI dont j’ai oublié le nom.
Frédéric Couchet : Éric Walter.
Jean-Baptiste Kempf : Éric Walter, qui a essayé de bouger, mais c’était trop tard. J’ai dit publiquement que c’étaient des gros nuls. Je le redirai publiquement.
Frédéric Couchet : En fait, tu es en train de le redire publiquement !
Jean-Baptiste Kempf : Je peux le redire une fois de plus, ça ne me dérange pas. Jacques Toubon qui, évidemment, ne se souvient pas de moi parce que c’était mon maire quand j’habitais dans le 13e arrondissement de Paris, qui a écrit dans la presse que j’étais un méchant, grosso modo.
Frédéric Couchet : Jacques Toubon qui est aussi un ancien ministre de la Culture et qui, à l’époque, devait être député européen, je pense.
Jean-Baptiste Kempf : Peut-être. Aujourd’hui il fait un travail qui est plutôt bien en tant que médiateur civique de la République [Défenseur des droits], je crois que ce qu’il fait est plutôt pas mal. Il m’avait gonflé. Une fois je l’ai croisé, je lui ai dit qu’il n’avait rien compris au sujet et je crois qu’il m’a dit : « C’est possible, je n’ai rien compris ! »
Frédéric Couchet : Donc l’HADOPI a répondu à côté ou n’a pas compris le sujet. Aujourd’hui, légalement, comment ça se passe ?
Jean-Baptiste Kempf : Je ne sais pas. Tu peux lire les Blu-ray qui ne sont pas chiffrés, qui n’ont pas de DRM, c’est peut-être 1 % des Blu-ray, notamment pas mal d’imports japonais, ensuite il faut que tu trouves une façon de contourner la protection. Par exemple, sur le site de VideoLAN, tu peux télécharger une bibliothèque qui peut te permettre ça, mais elle n’a pas les clefs. Donc, ensuite, il faut aller trouver des clefs sur Internet. Ce n’est pas très compliqué, ça marche très bien, mais en tout cas, légalement, je n’ai pas le droit de le diffuser ; peut-être un jour ! Peut-être qu’aujourd’hui j’ai le droit de diffuser la bibliothèque, mais les clefs je ne pense pas. Mais je n’en sais rien !
Frédéric Couchet : On ne sait pas. Et l’autorité qui est en charge de donner la réponse ne sait pas.
Jean-Baptiste Kempf : Non. Ce sont des gros nuls aussi bien l’ARMT [Autorité de régulation des mesures techniques] que l’HADOPI. Et maintenant, ils ne savent tellement pas quoi faire de ce gouffre financier, de cette connerie du début jusqu’à la fin, qu’ils vont essayer de la merger dans le CSA [Conseil supérieur de l’audiovisuel]. Le CSA est quand même un petit peu plus compétent, mais, pour avoir déjà discuté avec eux sur les questions de TNT numérique, c’est complètement noyauté par des lobbies ; c’est absolument une catastrophe !
Frédéric Couchet : D’accord. Ça ce sont les DRM, la base juridique c’est le droit d’auteur. On va passer aux brevets et notamment aux formats des fameux codecs audio ou vidéo. Il y a des codecs libres, des formats qui sont libres, mais, dans la vidéo et dans l’audio, il y a beaucoup de formats qui ont des brevets. Comment VLC gère cette situation ?
Jean-Baptiste Kempf : Il y a deux endroits, les deux pires endroits au monde pour les brevets, c’est le multimédia et la 3G, grosso modo. C’est ce qu’on appelle des minefields, c’est-à-dire des champs de mines au niveau brevet. Tout est breveté. Le concept de base est breveté. Philips a attaqué plein de boîtes jusqu’à il y a trois ans sur les sous-titres parce que le concept de sous-titre était breveté.
Frédéric Couchet : Sérieusement ?
Jean-Baptiste Kempf : Oui, sérieusement. Et ce ne sont que des trucs comme ça. C’est pour ça que beaucoup de gens n’aiment pas trop le multimédia parce qu’ils ont très peur. Notamment il y a pas mal de distributions Linux qui sont basées aux États-Unis qui ont très peur de ça parce qu’il y a beaucoup d’attaques qui se font et on parle de grosses sommes. C‘est pour ça que c’est un peu l’enfer. Nous, VLC, on n’est pas à supporter un ou deux formats, on supporte tous les formats.
Frédéric Couchet : Donc les formats brevetés.
Jean-Baptiste Kempf : Si je devais payer les prix de toutes les licences, je pense que pour chaque VLC on serait à peu près à une centaine, cent cinquantaine d’euros par VLC distribué. Évidemment ça n’a aucun sens. Là on a la chance d’être en France et la France est un des derniers pays occidentaux à avoir une législation sur les brevets logiciels à peu près saine. Je dis « à peu près saine » parce que ça bouge beaucoup, en fait on est les moins pires, on peut déjà dire ça. En théorie les brevets logiciels ne sont pas valables au niveau européen, ça a été rejeté plusieurs fois par le Parlement. Malgré tout, notamment les Allemands et l’Office européen des brevets acceptent des brevets logiciels s’ils apportent vraiment une innovation, donc ce n’est pas très clair. En tout cas, en France, c’est assez clair et surtout personne n’a envie de savoir la vérité, parce qu’ils savent que s’ils se mettent à nous attaquer, d’abord il n’y a pas d’argent à récupérer chez VideoLAN, mais surtout ils savent qu’on va les faire chier et qu’on ira jusqu’à la Cour européenne des droits de l’homme ; on va faire tout le process, ça prendra dix ans, mais à la fin, le risque, c’est que tous les brevets logiciels seront invalidés et ça, ils ne veulent pas. Donc leur statu quo les arrange pas mal. Pour le moment on n’a pas ce problème-là. Ensuite moi, en fait, non seulement je suis technique, mais je comprends le droit. Je reçois souvent des lettres d’avocats qui me disent : « Oh la, la, tu violes ce brevet ». Moi je lis le brevet je dis « non ». Ils font : « Si ». Je fais « Eh bien non, parce que je ne fais pas le claim, comme ça, etc. »
Frédéric Couchet : Le quoi ? Le claim ?
Jean-Baptiste Kempf : Les brevets c’est très compliqué.
Frédéric Couchet : Ah oui, le claim. Comment dit-on en français ? La prétention.
Jean-Baptiste Kempf : Ouais, tu prétends plein de choses, tu en as une centaine et, à partir du moment où tu montres que la prétention est fausse, tu ne valides pas le brevet. Sauf que moi je suis suffisamment bête pour passer une heure à aller lire le brevet, à essayer de comprendre ce qui se passe et leur dire « en fait votre brevet n’est pas vraiment valide parce que… » Ça m’est arrivé plusieurs fois de leur montrer que ce qu’ils brevetaient été déjà dans VLC et que j’avais l’historique git, donc je pouvais savoir quand ça avait été commité. Là, déjà, tu sens que les mecs sont down broke et qu’on ne va pas trop t’embêter et surtout je leur dis « votre brevet n’est pas valide parce qu’il y a déjà quelqu’un qui l’a déjà fait » ou alors « en fait, moi je peux le contourner ». Et ils ne sont pas habitués parce que c’est un système mafieux. En fait ils arrivent, ils te font peur, ils te disent : « Si jamais je t’attaque ça va te coûter un million d’euros ou alors tu peux me payer la licence de 50 000 » ; donc tu ne prends pas le risque, tu payes. Moi je n’ai pas d’argent et surtout, je n’ai rien à perdre ! Donc je leur réponds et, résultat, ça fait partir la plupart de ces gens-là.
Frédéric Couchet : D’accord. C’est excellent parce que, comme j’ai dit tout à l’heure, en fin d’émission on va reparler de ce sujet, notamment avec un brevet dans un autre domaine qui est celui des images avec GNOME qui a exactement la même réaction, qui se fait attaquer et qui réagit.
Comme le temps file et tout à l’heure tu as dit qu’aujourd’hui VLC était développé principalement, en tout cas le cœur, par cinq personnes, en fait qui paye ces gens-là ? Comment est financé le développement de VLC ? Et je te demanderai aussi de faire le lien avec ta société, Videolabs, qui contribue au financement de VLC.
Jean-Baptiste Kempf : Sur la plupart de l’histoire de VLC, ce n’était que des gens qui travaillaient sur leur temps libre, des étudiants, c’est comme ça que j’ai fait. Jusqu’en 2012 j’avais une deuxième vie le soir, le week-end, mes vacances. On a eu un petit problème qui a commencé et que j’avais vu, notamment en discutant avec GNOME et les gens de KDE, on s’est rendu compte qu’en fait le pic du logiciel libre desktop c‘était 2009/2012, tous les cadors étaient les mecs qui faisaient ça et après on a vu les contributions commencer à se réduire, notamment parce que les étudiants veulent faire une nouvelle startup, ils veulent faire un nouveau jeu vidéo ; maintenant, grâce aux plateformes, ça n’a jamais été aussi facile de publier sur Android, sur iOS ; on préfère faire Flappy Bird plutôt que bosser sur VLC.
Et il y a eu une professionnalisation autour de l’open source, c’est-à-dire vraiment la partie non-libre, c’est-à-dire la partie Google, Facebook, etc., qui est surtout la partie serveur side.
Frédéric Couchet : Le côté serveur.
Jean-Baptiste Kempf : Oui, côté serveur. La partie vraiment logiciel libre sur le bureau c’est quelque chose qui se raréfie, en tout cas en proportion, donc c’est de plus en plus difficile d’avoir des gens qui veulent bien travailler là-dessus et sur leur temps libre, parce que sur leur temps libre ils préfèrent faire des apps et, surtout, ils se sont tous fait rafler par Google, Facebook et autres.
Le deuxième truc, on s’est rendu compte que pour travailler pour le futur VLC il fallait passer par les Smart TV et les smartphones, qui sont tout sauf smart, mais en tout cas c’est beaucoup plus contraignant de travailler dans ces environnements, de développer pour ces environnements-là. Tu ne peux pas demander aux gens, sur leur temps libre, d’avoir une version professionnelle de VLC là-dessus.
Je voulais créer une sous-société de VideoLAN, comme a fait Mozilla, Mozilla.org pour Mozilla Foundation. L’association m’a dit que ce n’était pas une bonne idée, donc j’ai créé une société à côté et j’ai embauché des gens de la communauté pour faire avancer VLC. Maintenant j’ai une boîte qui s’appelle Videolabs, qui ne produit quasiment exclusivement que du logiciel libre. On fait un peu de conseil, mais on fait surtout du logiciel libre ; ça permet d’accélérer VLC et une grosse partie du travail de l’entreprise, c’est-à-dire plus de 50 %, n’a pas de clients, c’est juste améliorer VLC. Il y a encore des gros développeurs qui ne sont pas dans ma société ; c’est comme ça ! Malheureusement il y a un problème, tu parlais de problème de financement, c’est qu’aujourd’hui il n’existe pas de business modèle B2C [business to consumer]open source.
Frédéric Couchet : B2C ?
Jean-Baptiste Kempf : Pour le grand public, donc c’est très difficile de trouver de l’argent pour payer les gens pour continuer à faire développer VLC. Les gens me disent : « Pourquoi tu continues à faire développer VLC ? » En fait, c’est justement parce que tu ne t’en rends pas compte que ça marche. Il y a toujours de nouveaux formats, H.264, H.265, HEVC, on parle de 4k, on parle de HDR et nous on travaille énormément derrière pour que VLC suive les évolutions en même temps, comme ça les utilisateurs ne s’en rendent pas compte, ils disent : « Ça marche toujours ! » Ça marche toujours justement parce qu’on fait cet effort. Et ça, ça coûte de l’argent !
Frédéric Couchet : En parlant d’argent, rapidement. Pendant la pause musicale, tu me parlais techniquement du sandboxing, donc le bac à sable pour la partie sécurisation et tu m’as dit un chiffre…
Jean-Baptiste Kempf : Un million d’euros. Pour améliorer énormément la sécurité de VLC. Il faut le faire, il faut un million d’euros et je vais aller demander un peu d’argent au ministère de la Défense pour une subvention, je vais utiliser les techniques de startup pour aller vérifier si ça ne peut pas intéresser le ministère de la Défense.
Frédéric Couchet : D’accord. Il nous reste peu de temps. Je vais relayer une question que j’ai eue en préparant l’émission sur le salon web et qui concerne une façon de contribuer à VLC qui est moins technique, qui concerne la documentation, même si la documentation ça reste quand même un petit peu technique mais moins que coder en langage C. La question portait sur l’opération Google Season of Docs, donc la saison de la documentation, qui est une manière pour des rédacteurs et des rédactrices techniques d’être rémunérés par Google pour travailler sur des projets libres et améliorer la documentation. Visiblement VLC a eu recours à cette opération. Est-ce que tu as un retour d’expérience ?
Jean-Baptiste Kempf : Oui. On a toujours fait partie de Summer of Code. Là il y avait Season of Docs qui était quelque chose de nouveau. On l’a fait. On a une étudiante qui s’appelle Edi, en fait son nom est un peu long et j’ai un peu de mal à le prononcer donc on l’appelle Edi ; c’est une femme qui habite à Lagos, au Nigéria, et elle en train de refaire la documentation utilisateur de VLC qui est un sujet dont on parle depuis dix ans. C’est vrai que la documentation de VLC est vraiment honteuse par rapport à la qualité du logiciel. Je ne dirais pas que c’est moins technique, je pense que c’est, en fait, plus difficile que coder. Moi je suis capable de coder, mais je serais incapable de faire une documentation, c‘est vraiment très long, très difficile et je pense que c’est quasiment aussi difficile que les transcriptions de Marie-Odile.
Frédéric Couchet : C’est vrai. Tu as tout à fait raison. Deux petites questions, pareil, que j’ai reçues en préparant : à quand une vidéothèque où on pourra classer, chercher films et séries ?
Jean-Baptiste Kempf : 4.0. C’est en bêta. Tu prends les nightly builds de VLC, il y a tout ça.
Frédéric Couchet : Les nightly builds, donc les compilations de tous les soirs. Mais pour quelqu’un qui veut installer sur sa distribution GNU/Linux ?
Jean-Baptiste Kempf : Fin de l’année.
Frédéric Couchet : Fin de l’année, 2019 donc. Pour Noël.
Jean-Baptiste Kempf : Fin de l’année 2019 plus quelques mois de retard, mais c’est à peu près ça. C’est quasiment fini. On a justement tout ça, justement une sorte de iTunes mais beaucoup plus simple, beaucoup plus rapide et sans avoir un média center complet comme Kodi, un truc un peu simple et absolument optionnel. Si les gens veulent juste garder le VLC, ils ont juste le VLC.
Frédéric Couchet : D’accord. Autre question qu’on m’a relayée ou une suggestion : ce serait bien que les devs de VLC, donc les personnes qui développent VLC, y ajoutent un coupeur de vidéo intégré pour couper des longues vidéos en plusieurs petites séquences de trois à cinq minutes. Est-ce que c’est prévu ?
Jean-Baptiste Kempf : Techniquement tu peux déjà le faire dans VLC, c’est juste hyper-compliqué à faire parce que tu as le bouton « record » qui permet de le faire. Si je comprends bien c’est la fonctionnalité qui ressemble à celle que QuickTime avait, qui permet de couper. En fait, ça met juste des marqueurs dans la vidéo et ce n’est pas très compliqué à faire. Ce qui est plus compliqué c’est de trouver une interface correcte pour le faire, je ne sais pas comment on pourrait faire ça dans une interface. Je vais y réfléchir. Il faut que je démarre mon Mac pour voir comment fait QuickTime et je pourrai faire ça.
Frédéric Couchet : D’accord. Dernière question. Je te laisse le mot de la fin. On a beaucoup parlé de vidéos et j’ai une petite question personnelle parce que j’ai cru comprendre que tu appréciais les séries et les films, est-ce que tu as des conseils de séries ou de films pour les personnes qui nous écoutent ?
Jean-Baptiste Kempf : De séries ou de films ? Moi j’ai plutôt des conseils de bouquins en fait.
Frédéric Couchet : Bouquins, vas-y.
Jean-Baptiste Kempf : Le meilleur livre au monde s’appelle Le Nom du vent de Patrick Rothfuss. Je suis désolé, je vais vous le conseiller, vous allez me détester après quelques mois. En fait il n’y a que deux volumes qui sont sortis et c’est absolument addictif. Dans le même style je vous conseille à peu près tous les Brandon Sanderson mais pareil, il ne faut pas encore commencer son grand chef-d’œuvre, parce qu’il n’a que trois bouquins de 1200 pages et il y en 14 qui sont prêts. En tout cas, il a fait plein de nouvelles et c’est absolument génial. Donc Brandon Sanderson et Patrick Rothfuss, ce sont dernièrement mes grands coups de cœur de bouquins.
Frédéric Couchet : Super. Est-ce que tu as quelque chose à ajouter ou une annonce à faire en cette fin de sujet ?
Jean-Baptiste Kempf : Rien de spécial. Utilisez VLC ! Continuez à soutenir VLC ! Bizarrement VLC est très connu à l’étranger et, en France, il y a parfois un petit désamour ; je pense qu’on n’est jamais prophète en son pays ! En tout cas continuez à parler de VLC parce qu’on en a besoin même si on a l’impression que tout le monde connaît. Vu l’émergence des plateformes qui arrivent avec Netflix et des plateformes qui ne sont pas très ouvertes, par très loyales, c’est important plus que jamais de libérer la vidéo.
Frédéric Couchet : En tout cas merci Jean-Baptiste. C’était Jean-Baptiste Kempf de VLC, du projet VideoLAN, de Videolabs. Merci pour ce que vous faites et je te souhaite une belle journée.
Jean-Baptiste Kempf : Je te remercie.
[Virgule sonore]
Frédéric Couchet : Nous sommes de retour en direct mardi 21 septembre 2021. Vous venez d’écouter une rediffusion d’un sujet consacré à VLC en date du 29 octobre 2019.
Nous allons faire une pause musicale.
[Virgule musicale]
Frédéric Couchet : Après la pause musicale nous aborderons notre dernier sujet avec Vincent Calame qui rendra hommage au copier-coller. Je vais en profiter pour rappeler la question quiz, je la pose aussi à Vincent qui vient d’arriver, comme ça il va avoir le temps de réfléchir. Dans sa chronique Vincent va donc rendre hommage au copier-coller qui permet, par exemple, de copier des données d’un endroit à un autre en informatique. Savez-vous quel est le lien possible de cette pratique avec le journaliste et écrivain américain Hunter S. Thompson ? Vous allez avoir à peu près deux minutes pour y réfléchir. Nous allons en effet écouter J’ai acheté·r un Agno Gastrik chez Wish & Lidl – Part II – #CparPourMoiCPourUnPote par le groupe Plagiat. On se retrouve dans deux minutes. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
Pause musicale : J’ai acheté·r un Agno Gastrik chez Wish & Lidl - Part II - #CparPourMoiCPourUnPote par le groupe Plagiat.
Voix off : Cause Commune, 93.1.
Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter J’ai acheté·r un Agno Gastrik chez Wish & Lidl - Part II - #CparPourMoiCPourUnPote par le groupe Plagiat, disponible sous licence libre Creative Commons Partage dans les mêmes conditions. Le site du groupe Plagiat est plagiat.org et vous pouvez y retrouver sa musique ainsi que des clips.
[Jingle]
Frédéric Couchet : Nous allons passer au sujet suivant.
[Virgule musicale]
Chronique « Jouons collectif » de Vincent Calame, bénévole à l’April, qui rend hommage au copier-coller
Frédéric Couchet : Vincent Calame, informaticien libriste et bénévole à l’April, nous fait partager son témoignage d’un informaticien embarqué au sein de groupes néophytes. Choses vues, entendues et vécues autour de l’usage de logiciels libres au sein de collectifs, associations, mouvements, équipes en tous genres, c’est la chronique « Jouons collectif ».
Bonjour Vincent.
Vincent Calame : Bonjour Frédéric.
Frédéric Couchet : Le thème du jour : l’hommage au copier-coller.
Vincent Calame : Oui, tout à fait. J’avais depuis longtemps cette idée de rendre hommage au copier-coller dans ma liste de sujets potentiels pour cette chronique et il se trouve que le travail fait pour le nouveau site de Libre à vous ! l’a remise sur le devant de la scène. En effet, dans ce travail je me suis occupé de la récupération des données et du contenu des pages des émissions existantes pour les mettre sur le nouveau site. Dans ces cas-là, on essaie d’automatiser un maximum pour récupérer le plus d’informations possible et éviter un laborieux travail de correction post-migration. Mais il arrive toujours un moment où l’automatisation atteint ses limites. Face à la multiplication des cas particuliers, l’intervention humaine est indispensable et le copier-coller est sa meilleure, si ce n’est l’unique, arme à sa disposition. Ultime recours des cas désespérés, le copier-coller n’a cependant pas bonne presse dans le domaine informatique.
Frédéric Couchet : Comment ça ?
Vincent Calame : Parce que c’est aussi une solution de facilité. Je ne parle pas ici des plagiats, lorsqu’un livre ou un mémoire est constitué de morceaux pompés sur Internet. Cela dit, dans le Libre, copier n’est pas un gros mot, c’est même un acte encouragé quand la licence est respectée.
Je pense plutôt au copier-coller au moment de l’écriture de son code informatique. On va copier-coller du code venu d’ailleurs ou du code interne pour reproduire tel ou tel comportement. Or, en procédant ainsi, non seulement on copie également les bogues et les erreurs sans discernement, mais on se complique aussi la mise à jour future : si une erreur est rencontrée dans le bout de code, il faut la corriger partout. On connaît ces bouts de code où les copier-collers se sont accumulés au cours du temps et qui en deviennent illisibles et impossibles à maintenir, d’ailleurs on les rencontre souvent dans les fichiers de configuration. Ça commence par une petite ligne puis une petite ligne et encore une petite ligne pour finir en une masse de code informe. Mais bon !, je crois que l’être humain est ainsi fait : entre un gain immédiat, le copier-coller, et un risque futur hypothétique, il choisit toujours le premier. D’ailleurs, nos problèmes environnementaux en savent quelque chose et je crois que le monde de l’informatique n’échappe à cette règle.
Frédéric Couchet : Il faut donc bannir le copier-coller ?
Vincent Calame : Non, non ! Si c’était ma position, je ne lui rendrais pas hommage. Outre le fait qu’il est souvent la dernière option disponible, il faut aussi éviter une automatisation extrême sous prétexte de l’éviter à tout prix. J’ai un exemple concret dans mon travail pour une fondation : pour les réunions d’équipe, chaque lundi matin, est présentée une compilation des différentes productions des membres de l’équipe. Cette compilation provient de plusieurs sources : les comptes-rendus de réunions, mais aussi des informations budgétaires, des point sur les missions en cours, les activités de la semaine écoulée, etc. Cette tâche est en grande partie automatisée, mais en partie seulement. L’automatisation sélectionne les éléments, les met en forme, les prépare justement pour un copier-coller dans le document final. Après quelques tâtonnements, nous nous sommes rendu compte qu’une automatisation complète du processus ne serait pas souhaitable pour trois raisons : premièrement, elle serait complexe à mettre en place pour un gain, somme toute, modique ; deuxièmement, elle serait assez fragile et très sensible aux changements de configuration – dans notre exemple, la source des données budgétaires change tous les trois ans, donc si l’automatisme se base là-dessus il faut le reprendre ; troisièmement, le passage par un copier-coller est une action humaine qui permet justement de garder de l’humain dans le processus, autrement dit de garder la souplesse nécessaire pour s’adapter à tous les cas particuliers. Je crois qu’il faut se garder des boutons qui font tout en un coup. J’ai même connu des comptables qui se méfiaient des procédures automatiques de transfert de données, par exemple le système de facturation vers la compatibilité générale, et qui préféraient faire une double saisie des lignes budgétaires.
En conclusion, je pense qu’on peut voir le copier-coller comme un outil de fainéant – cela dispense d’une réflexion plus approfondie sur l’organisation de son code –, mais inversement, une automatisation trop poussée est aussi une démarche de fainéant qui peut se révéler dangereuse. Je pense notamment que, quand on gère des données, on devrait toujours se poser la question de comment les récupérer par copier-coller qui est la ressource ultime.
Comme disaient les Latins, res ad triarios rediit, c’est-à-dire « faire appel aux triarii », qui étaient la dernière ligne de défense de la légion romaine, qui n’intervenaient que dans les situations désespérées. Voilà comment je vois l’usage du copier-coller, la dernière possibilité avant la fin.
Frédéric Couchet : Merci Vincent.
Est-ce que tu as trouvé la réponse au quiz qui était un peu un piège puisque je t’ai pris par surprise ? Est-ce que tu as une idée ?
Vincent Calame : Je n’ai pas profité des deux minutes de musique pour consulter un moteur de recherche. Peut-être que ce journaliste n’existe pas et qu’il est constitué de copier-collers d’autres artistes ?
Frédéric Couchet : Le lien n’est pas forcément direct. En fait, quand tu m’as parlé de cette chronique sur le copier-coller, j’ai immédiatement pensé à un article que j’ai lu récemment et qui portait sur la méthode de travail de Hunter S. Thompson. Je rappelle la question quiz : savez-vous quel est le lien possible entre la pratique du copier-coller et le journaliste et écrivain américain Hunter S. Thompson ?
« Vincent prend de la drogue » est une mauvaise réponse parce que, à priori, Vincent ne prend pas de drogue. Et pourtant la page Wikipédia de Hunter S. Thompson indique « Hunter Stockton Thompson popularise le principe de « journalisme gonzo », inventé par Bill Cardoso, enquête journalistique axée sur l’ultra-subjectivité, faite de récits à la première personne, de rencontres, de prise de drogues, tout cela combiné à une plume féroce et à un fort engagement politique ». Hunter S. Thompson débutera comme journaliste dans les années 60 et il publiera des livres considérés aujourd’hui comme des chefs-d’œuvre tels que Hell’s Angels ou encore Las Vegas Parano. Il se suicidera en 2005.
Le lien avec la pratique du copier-coller est le suivant. Il y a quelques jours, même quelques semaines, j’ai lu un article qui parlait des pratiques de cet écrivain. En fait pour apprendre, pour se créer un style, il a recopié à la machine à écrire des livres, notamment Gatsby le Magnifique de Francis Scott Fitzgerald, L’Adieu aux armes d’Ernest Hemingway, dans le but de se familiariser avec le style de ces ouvrages, se faire la plume et aussi pour savoir ce que l’on ressent en écrivant un chef-d’œuvre. Il disait même « je veux ressentir l’effet que ça fait d’écrire aussi bien. Fondamentalement c’est de la musique, je voulais apprendre des meilleurs. »
Bien sûr, comme l’a précisé mon collègue Étienne Gonnu quand on a préparé l’émission et que je lui ai soumis le quiz, l’effet n’aurait pas été le même s’il avait simplement copié-collé des livres avec un outil informatique !
Vincent Calame : C’est sûr qu’en nombre de touches le copier-coller c’est CTRL C/CTRL V, ce qui n’est pas la même chose que taper sur une machine.
Frédéric Couchet : Donc j’ai fait le lien quand tu m’as parlé de cette chronique. J’avoue que le quiz était peut-être un petit peu compliqué. Dans la page Wikipédia de Hunter S. Thompson il est fait référence à cette pratique d’avoir recopié des livres et pas uniquement des livres de Scott Fitzgerald ou d’Ernest Hemingway, il en a utilisé d’autres.
Dans l’apprentissage du développement, il est vrai que réécrire, copier manuellement du code écrit par d’autres est peut-être une pratique de certaines personnes qui ont appris le développement. Je ne sais pas si ça a été ton cas.
Vincent Calame : Oui. Dans les années 80, au début de l’informatique, il y avait beaucoup de journaux sur papier, ils avaient fait ça notamment dans Jeux et Stratégie. Ils proposaient des programmes. On les réécrivait intégralement à la main à partir du listing qui était proposé par le journal. Il y avait Jeux et Stratégie et il y avait un autre journal, dont j’ai oublié le nom, qui était spécialisé là-dedans, qui proposait ces codes. C’est vrai que c’était une bonne source d’apprentissage.
Frédéric Couchet : Ce code n’était pas disponible par exemple via une disquette ou autre ? C’était vraiment écrit dans le journal et il fallait tout recopier pour ensuite le faire fonctionner ?
Vincent Calame : Complètement. Il n’y avait pas de disquette fournie, il y avait le code. Dans Jeux et Stratégie j’ai commencé par des programmes pour calculatrice et ensuite c’était du BASIC, le langage de l’époque.
Frédéric Couchet : D’accord. C’est cool en fait.
Tout à l’heure tu as parlé du copier-coller avec la référence avec le nouveau site Libre à vous !. Comme on a encore quelques petites minutes, on va peut-être en profiter pour rappeler aux auditeurs et auditrices que l’émission a désormais un site web dédié qui s’appelle libreavous.org, qui est dans une phase de préouverture, c’est-à-dire qu’on vous l’a annoncé, chers amis, la semaine dernière avant de faire une annonce plus large. Cette phase de préouverture permet de tester le site, de voir s’il y a des problèmes, de nous faire remonter des bugs. Ce site a été mis en place notamment pas trois bénévoles de l’April dont Vincent qui a donc fait le travail important d’écriture de script pour récupérer les pages consacrées aux émissions Libre à vous ! qui étaient sur le site de l’April, pour les transférer quasiment automatiquement sur le site de Libre à vous !, donc passer d’un site qui est géré avec un outil qui s’appelle Drupal vers un site qui est géré aujourd’hui avec un outil qui s’appelle SPIP dont nous parlerons bientôt en détail dans Libre à vous !. Tu as fait ce travail, Antoine Bardelli a fait le design du site et Jean Galland a fait, on va dire, l’intégration au niveau de SPIP, donc trois bénévoles qui ont travaillé très dur.
Je vais juste en profiter avant de te laisser donner une petite réaction par rapport à ce travail-là, préciser quelques fonctionnalités nouvelles de ce site donc sur libreavous.org. Notamment le lecteur audio des podcasts qui permet le chapitrage. Vous pouvez aller directement à un des sujets. Si, par exemple, vous êtes passionné par la prochaine de Vincent, vous pourrez directement la réécouter dans le prochain podcast.
Il y a également le paramétrage de la vitesse de lecture pour ralentir ou accélérer la vitesse de lecture du podcast. Ralentir pour essayer, par exemple, de mieux vous imprégner des propos, les comprendre, etc. Accélérer, tout simplement parce que, si vous avez peu de temps et que vous voulez passer moins de temps à écouter ou si vous êtes atteint, comme certaines personnes, d’un déficit de l’attention, donc il vous est nécessaire d’accélérer le débit.
Vous avez aussi la possibilité d’accéder à une émission uniquement par son numéro avec une adresse courte. Par exemple l’émission que j’ai animée la semaine dernière « Au cœur de l’April », qui était la 114. Si vous voulez la réécouter, il suffit d’aller sur libreavous.org/114.
Et enfin vous pouvez commenter et mettre des étoiles. Commenter pour pouvoir apporter vos commentaires ou vos remarques sur un épisode et mettre une étoile pour nous envoyer un petit peu d’amour et d’encouragements. C’est important parce que, effectivement, quand on fait de la radio ou des podcasts, on n’a pas forcément des retours, on n’a pas les gens en face de soi pour voir comment ça se passe. N’hésitez à nous envoyer des témoignages d’amour avec une petite notation, quelques étoiles sur le site.
Le site sera officiellement annoncé bientôt, le temps de finaliser un certain nombre de petites choses même si l’essentiel a été fait.
Vincent, sur ce travail de mise en œuvre, en gros tu as scripté, c’est-à-dire que tu as écrit un programme permettant de nous éviter de saisir à nouveau les 115 émissions Libre à vous ! sur le site SPIP. Peux-tu expliquer juste en quelques mots comment ça fonctionne ?
Vincent Calame : En fait, ce qu’on programme c’est un site qui va lire les pages web directement, c’est-à-dire qui va lire les pages web sur le site actuel de l’April et qui va regarder le code des pages web. Ce code des pages web c’est ce que transforme le navigateur pour rendre une page web lisible sur votre écran, en fait c’est un langage qui s’appelle le HTML, vous en avez peut-être entendu parler, c’est un des langages justement de description de page web qui est utilisé. Donc on le lit et on essaye de programmer un petit robot, un peu comme le robot de Google, ce que fait Google quand il indexe un site web, il a des robots qui lisent – un robot c’est un programme informatique automatique qui va lire la page et qui va essayer d’en sortir le titre, d’en sortir le contenu. On écrit le script et cette opération peut soit très bien marcher soit pas du tout marcher. Elle peut très bien marcher – c’était le cas, heureusement, dans le cas de l’April – s’il y a eu un effort de bonne écriture de structure de la page web, qui nous permet de repérer l’endroit où il y a les références. Dans les pages web il y a les références de l’émission, la liste des personnes participantes et il fallait les repérer dans la page web et les séparer. Là, heureusement, c’était bien structuré, donc le script était possible.
J’ai fait ce travail sur d’autres sites où ça l’était beaucoup moins. Il y a des moments où on ne peut rien faire du tout parce qu’une page web ça peut-être une soupe de balises, ça peut être n’importe quoi. Ce qui est important c’est aussi le travail des rédacteurs initiaux qui font un bon effort de structuration dans l’information et c’est là qu’on se rend compte que c’était vachement utile pour la suite.
Frédéric Couchet : En tout cas par ce travail initial et par ton travail, maintenant la 115e émission peut être intégrée automatiquement et ensuite, effectivement, ce sera le site principal. Il y aura des fonctionnalités qui seront rajoutées à un moment. Par exemple, j’ai suggéré l’idée d’avoir la possibilité de commenter à la seconde près pour la version podcast, ce qui peut-être utile. Il paraît que SoundCloud le fait et j’ai vu qu’il y avait une nouvelle application de podcast qui se lançait sur ce thème-là, donc pouvoir commenter, directement à la seconde précise, ce qui peut apporter un peu plus d’interactivité et de réactions.
Vincent Calame : Je pense qu’on pourra ouvrir un site de demandes et de propositions. Il y a déjà une belle liste, tu nous as déjà préparé une belle liste de choses à faire pour améliorer le site !
Frédéric Couchet : Tout à fait. Les personnes qui nous écoutent peuvent évidemment faire leurs suggestions. Elles sont les bienvenues. N’hésitez pas à aller sur le site libreavous.org. Si vous voulez nous envoyer un message, il y a un formulaire de contact.
Vincent Calame : Une très bonne suggestion c’est parfois de montrer des sites web que vous connaissez, que vous trouvez efficaces, qui peuvent être une source d’inspiration. La meilleure chose c’est souvent de nous donner des sources d’inspiration et des exemples qui peuvent nous permettre d’améliorer l’interface.
Frédéric Couchet : OK. Merci Vincent.
C’était la chronique « Jouons collectif » de Vincent Calame. On se retrouve le mois prochain ?
Vincent Calame : Oui.
Frédéric Couchet : Et on va continuer à travailler sur le site Libre à vous !
Vincent Calame : Bien sûr.
Frédéric Couchet : Merci à toi.
Nous approchons de la fin de l’émission. Nous allons terminer par quelques annonces.
[Virgule musicale]
Quoi de Libre ? Actualités et annonces concernant l’April et le monde du Libre
Frédéric Couchet : Dans les annonces d’évènements, il y a les Rencontres Afrique France du Logiciel Libre du 22 au 26 septembre à Montpellier. Plus d’informations sur le site montpellibre.fr.
Au Québec, il y a un évènement pour célébrer les 18 ans des Linux-Meetup, donc des rencontres autour du noyau Linux au Québec. Ça aura lieu le 25 septembre 2021 et ça se fera en visioconférence. Vous trouverez l’annonce et toutes les informations sur la page linuxfr.org, avec tous les détails.
À Nantes, est-ce que vous avez « Envie de numérique sans GAFAM » ?, c’est-à-dire sans ces géants du Web qui font miam-miam avec vos données personnelles ? C’est du jeudi 16 septembre 2021 à partir du 8 heures jusqu’au dimanche 26 septembre 2021. C’est à l’Université de Nantes. Les détails sont sur le site de l’Agenda du Libre.
Côté April, jeudi 23 septembre, il y a une réunion du groupe de travail Sensibilisation, réunion à distance à partir de 17 heures 30, accueil à partir de 17 heures 15. Toutes les informations sont sur le site de l’April, april.org.
Côté radio Cause Commune, je fais un peu de pub à quelques émissions, notamment celles qui arrivent demain. Mercredi 22 septembre à 14 heures, puis en réécoute, il y aura l’émission Le monde en questions qui fera un retour sur 40 ans de R&B.
Toujours mercredi à 21 heures puis en podcast, la première de Science et conscience de Stéphane Manet qui abordera les liens entre éducation et sciences.
Vous retrouverez les infos sur causecommune.fm.
Tous les détails concernant ces événements sont aussi, évidemment, sur le site de l’Agenda du Libre, agendadulibre.org.
Notre émission se termine.
Je remercie les personnes qui ont participé à l’émission : Typhaine Bonnet, Vincent Calame, Jean-Baptiste Kempf.
Cette émission est rendue possible grâce à une équipe en or, notamment pour cette édition, merci à Étienne Gonnu qui était aux manettes de la régie aujourd’hui.
Merci également à l’équipe qui s’occupe de la post-production des podcasts : Samuel Aubert, Élodie Déniel-Girodon, Lang1, Olivier Grieco, le directeur d’antenne de la radio.
Merci également à Adrien Bourmault et Quentin Gibaux, bénévoles à l’April, qui découpent le podcast complet en podcasts individuels par sujet.
Vous retrouverez sur notre site web, april.org, toutes les références utiles ainsi que sur le site de la radio, causecommune.fm.
N’hésitez pas à nous faire des retours pour indiquer ce qui vous a plu mais aussi des points d’amélioration. Vous pouvez également nous poser toute question, nous y répondrons directement ou lors d’une prochaine émission.
Nous vous remercions d’avoir écouté l’émission.
Si vous avez aimé cette émission, n’hésitez pas à en parler le plus possible autour de vous. Faites également connaître la radio Cause Commune, la voix des possibles.
La prochaine émission <em
Nous vous souhaitons de passer une belle fin de journée. On se retrouve en direct mardi 28 septembre et d’ici là, portez-vous bien.
Générique de fin d’émission : Wesh tone par Realaze.