- Titre :
- Enseignement supérieur, recherche et Logiciel Libre
- Intervenant·e·s :
- Oliver Rack - Loïc Horellou - Myriam Criquet, interprète - Guy Chouraqui
- Lieu :
- Rencontres Mondiales du Logiciel Libre - Strasbourg
- Date :
- juillet 2018
- Durée :
- 1 h 04 min
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- Licence de la transcription :
- Verbatim
- Illustration :
- capture d’écran de la vidéo
- transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l’April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.
Description
Penser les politiques publiques numériques par le biais de l’Université et des Grandes Écoles : quelles pédagogies et quels investissements ? Enjeux et voies de transition pour les communs numériques.
Transcription
Guy Chouraqui : Il est 18 heures 23, c’est une heure raisonnable pour démarrer ; notre retard n’est pas excessif et l’essentiel est marqué au tableau comme vous le voyez avec, sur l’écran, le titre, le propos, la thématique que nous allons aborder ensemble et les deux intervenants qui sont pour l’instant présents c’est-à-dire Loïc Horellou et Oliver Rack. Nous attendons peut-être Bibiana Boccolini, mais je n’ai pas de nouvelles donc nous verrons bien dans les minutes qui viennent si nous avons ce point de vue qui vient de l’Amérique du Sud.
Il y a un point particulier qu’il faut aborder au démarrage, c’est le fait qu’il y aura un intervenant qui s’exprimera en allemand mais dont l’intervention sera traduite ; c’est un confort très grand mais qui s’assortit d’une petite servitude qui fait qu’il faut nécessairement dans les interactions entre le public, entre les auditeurs et les intervenants, laisser un petit décalage pour que le temps de la traduction s’effectue et que le dialogue s’instaure de manière correcte. C’est un problème de fond qui n’a rien à voir avec le numérique et c’est bien lié à l’un des problèmes de l’Europe qui est la diversité des langues que nous parlons. Pour l’instant français avec Loïc Horellou, l’allemand et peut-être un peu plus tard l’espagnol avec Bibiana Boccolini.
La thématique générale est suffisamment bien exprimée par le titre. Le propos concerne l’université, l’éducation, les grandes écoles. L’impact du numérique, de la culture numérique, est à double tranchant comme c’est très souvent le cas : une facilitation des échanges, une facilitation donc de l’éducation, de la transmission des connaissances et, en même temps, des effets pervers qui sont liés au fait que la pression économique sur l’éducation est considérable. Durant ma carrière j’ai été témoin à l’université de Strasbourg du fait que le poids économique des grandes firmes informatiques lamine complètement les logiciels libres, à part des efforts individuels qui ont une portée forcément limitée.
Nous allons voir ces ouvertures, ces possibilités et, en même temps, ces difficultés que je qualifiais il y a instant d’effets pervers, nous allons voir cela par le portrait que va nous donner Oliver Rack à propos de l’Allemagne. Il se trouve qu’Oliver Rack est très intéressé par les aspects politiques de ces techniques numériques pour l’Europe et pour le monde entier et ce point de vue est très informé puisque vous avez, Oliver Rack, participé à énormément d’actions autour de l’open government, le gouvernement ouvert naturellement et, par votre voix, nous allons entendre un peu votre point de vue et la problématique que nous allons proposer à nos auditeurs. Je donnerai ensuite la parole à Loïc Horellou naturellement. Oliver Rack, à vous.
Oliver Rack : OK. Thank you. I’m Oliver Rack, at first I want to excuse myself that I can’t speak French that well – just « un peu comme ci, comme ça ». But I’d like to encourage us all to train more in English since now that the Brits are out of Europe, we can now all speak English much easier without any winner in this language war of the last decades. Now Germany and France are getting more and more in focus for collaboration from a European point of view, as a new nucleus of Europe. Therefore, we are here in a nice region where there is a good prosperous cross-border rich and may be we will see what this collaboration between France and Germany will be in the next years.
The open government. We are facing new times where information and knowledge are managed by private companies and there is a big shift of power from that and we don’t know how the next decades will look like in this matter but we know that government has the public value in its DNA. So this is where we can say “OK this is our fallback”, to have this as a fallback in technological transformations, we should empower it much more as a role-model for technological transformations. And therefore it’s good for the government to open up, to be transparent in the one way to see what this system of government and administration is running like to have the system safety on the one hand but on the other hand to have innovation dynamics and joint powers in knowledge between government, civil society, the science and research people but also enterprises too. And this is now more and more principle and culture that governments open up which was mainly implemented, or lets say driven, in the US and the UK. A strong driver was Barack Obama when he started the Open Government Partnership in 2011 together with the Brazilian administration in this time to roll out this principle of co-creation throughout the world, now there is like a network of competencies on the one side but also of evaluation. Open government roll outs in the participating member states. And now there are 75, France since a couple of years is a member of this network, Germany stepped in December 2016 in Paris when there was a big assembly.
What has this got to do with Open Source and Open Data ? Quite a lot. Co-creation can really work. There have to be open systems in each matter. There has to be Open Access and Open Science to exchange this knowledge. And from this point of view, especially when it comes to Open Science, organizing information is one of the basic meanings of viewing human beings, therefore it should be a human right to have the tools for organizing information to knowledge, as accessible, as usable as possible. And also data for sure. And when it comes to artificial intelligence which is really quite a rising topic, I wouldn’t say issue, a rising topic, there will be kicked a lot of new questions, also in a societal matter, what AI makes to societies. And for this it is very important to have a look inside how AI mathematics and heuristics are working, which data are used for it, which data are used for training AI. And so this would be a good deal to have this as open as good as possible.
Myriam Criquet, interprète : Nous allons maintenant traduire ce qui a précédé. Oliver Rack nous a parlé de l’Open Government en nous expliquant que nous sommes en train de faire face à de nouvelles problématiques et ces nouvelles problématiques interrogent le pouvoir. Nous ne savons pas, bien sûr, où est-ce que nous allons aller, mais ce que nous savons c’est que les technologies de l’information vont s’imposer aussi aux gouvernements et c’est pour ça que les administrations s’y sont intéressées.
Le savoir, le partage des connaissances, a intéressé les gouvernements et la société civile mais aussi les entreprises. Il y a de plus en plus d’initiatives qui se produisent tout autour de l’Europe. Il y a des réseaux de compétences qui se créent mais aussi des réseaux d’évaluation.
La France et l’Allemagne ont créé ces réseaux et ces réseaux travaillent sur une co-création entre l’open source et l’open data. En fait, l’open source et l’open data sont des parties de l’open science et tout un réseau d’échange d’informations en est la base.
C’est une base qui devait être reconnue par tous parce que c’est en particulier la base des droits de l’homme. Et la data, particulièrement, est impactée, intéresse ces réseaux. C’est très important, en fait, d’avoir dans ces réseaux un regard sur ce qui se passe dans les mathématiques et de savoir comment ces data sont appréhendées par elles pour connaître les utilisations et celles qui sont positives.
Guy Chouraqui : Merci beaucoup pour l’écho que vous donnez à l’intervention d’Oliver Rack qui était faite en anglais et non pas en allemand comme je l’avais prévu, mais vous avez donné une image tout à fait exacte pour autant que je puisse en juger. Réaction.
Loïc Horellou : Réaction ou plutôt une autre série d’exemples qui vont être tirés de ce que je connais. Je suis enseignant dans une école d’art et je suis designer, à côté, d’interactions, d’interfaces, etc. Les écoles d’art, à la différence de gouvernements, de régions entières ou de pays, sont des petites administrations et comme toutes les administrations, les petites structures, on est aussi amené à travailler avec des données, des logiciels, etc. Dans les structures de l’échelle de celle d’où j’interviens, il se trouve que le responsable informatique ou la responsabilité du réseau informatique de l’école, il n’y a qu’une personne qui doit gérer des questions très pratico-pratiques de comment les gens réussissent à avoir une connexion wifi qui fonctionne et au choix des logiciels qui vont être faits par l’école.
Et malheureusement, sur ces choix-là, ce qu’on constate c’est que la plupart du temps on va vers les solutions les plus faciles, les plus clefs en main qui sont celles amenées par les grands groupes informatiques : sur tout ce qui va être de l’ordre du travail collaboratif on va souvent s’orienter vers des plateformes Google ou Microsoft Office. Du côté de la Haute École des arts du Rhin, c’est Microsoft qui a été choisi puisque la société avait pu amener la garantie que les serveurs seraient hébergés sur le continent européen. Donc voilà ! Les choix de logiciels qui sont faits sur des structures de 400, 600, 700 usagers sont faits comme ça. Et du côté de mon activité de designer, c’est ce que je pouvais constater aussi sur des petites collectivités, des petites villes, c’est-à-dire qu’elles, elles ont un ou deux agents de la mairie ou un ou deux employés qui ont un regard plus ou moins pertinent ou plus ou moins critique sur la manière dont on va utiliser ces outils-là, et puis les choix sont faits par ces personnes-là. En général il y a la question de budget qui rentre en ligne de compte et après tout le monde, en fait, bricole un petit peu.
J’expliquais tout à l’heure qu’on a travaillé il y a deux ans avec les médiathèques de Strasbourg sur la question de leurs fonds bibliographiques et les notices. Et alors qu’on est dans une période où les systèmes se complexifient de plus en plus, on a de l’échange de données dans tous les sens, on parle d’API [Application Programming Interface], etc., j’ai découvert à ma grande surprise que les réseaux de médiathèques, pour s’échanger des informations entre eux, utilisaient toujours un format de fichier qui s’appelle le MARC [1] [MAchine-Readable Cataloging], qui a plus de 40 ans, qui avait été créé par la bibliothèque du Congrès des États-Unis dans les années 70, et qui est un format qui paraît, quand on ouvre le fichier, complètement antédiluvien avec un encodage ISO qui ne ressemble à rien, donc il faut trouver des analyseurs qui ont été bricolés par des responsables de médiathèques dans leur coin, etc. Et c’est vrai que j’ai l’impression qu’on est dans un monde où on parle de très grands systèmes et au final la sectorisation, la compartimentation de tout un tas de structures fait que beaucoup de gens se retrouvent à bricoler et à prendre des décisions dans leur coin sans avoir connaissance d’initiatives qui vont voir des impacts, qui vont permettre des grandes ruptures techniques à des échéances énormes.
Guy Chouraqui : On peut peut-être maintenant donner le temps de retransmettre à l’intention d’Oliver Rack l’expérience que Loïc vient de nous dire ; donc à l’intention d’Oliver Rack, merci.
Myriam Criquet, interprète : Loïc Horellou teacher in the Haute École des arts du Rhin… [Traduction en anglais de l’intervention précédente, NdT]
Oliver Rack : Yeah, yeah, should turn this scale structure, but there are also financing problems in bigger scale structures. Sure the transformation, this digital transformation is not something which comes for free. And we have one big partner, this is the European Union, which has strong interests in a European way of digitalization. And also in digitalization there is the chance of cohesion and convergence of the European Union, there is a new field where there can be European standards, stuff like this. So we have for example the field of e-government, we have the field of how can we harmonize or standardize meta-data structures across Europe and for example the INEA [2] wich is the Innovation and Networks Executive Agency is strongly interested in having the standards, they are giving grants for that. So I think the one thing is we don’t know what will be the best standards so there is a lot of research currently, but this is nice and also the small places and the small institutions can apply for some grants. So when it comes to digitalization, it’s not only a technical question, for sure it’s an all political question what way digitalization runs, but it’s also a question of building up capacities in technological issues but also in let’s say fund-raising issues. When you do something in digitalization in the institutions you should build up a good fund-raising culture and structure so you can take part in this big European process. They currently are the strongest in financing besides the business development financing in digitalization like the French techs [3], but in research and in implementing digitalization in the public sector issues, it is mostly to find in the European Union.
Guy Chouraqui : Merci.
Myriam Criquet, interprète : Oliver Rack a parlé de l’aspect financier. Bien sûr la transformation numérique est une question à laquelle l’Union européenne porte un grand intérêt et la digitalisation est un terme qui l’intéresse aussi par rapport aux standards européens que l’on pourrait avoir. Des standards européens qui seraient à la fois pour le e-gouvernement mais aussi pour harmoniser les standards des données et sur ce thème il y a quelque chose qui a un fort impact.
Oliver Rack est d’accord avec Loïc Horellou sur la question du financement. La question, en fait, c’est que nous n’avons pas aujourd’hui, nous ne connaissons pas aujourd’hui la bonne façon finalement, la façon unique de fonctionner. On se rend compte que la question de la solution numérique ce n’est pas seulement une question technique, c’est aussi une question qui est politique et financière et les véritables interrogations sont celles qui portent sur les choses suivantes : comment construire, en fait, les capacités à pouvoir faire cette transformation numérique et comment ensuite arriver à les financer. Et en fait la recherche, comme les administrations, devront passer par des business développements.
Guy Chouraqui : Avec ces séries de points de vue et les traductions que vous venez de nous donner, il s’est passé presque une demi-heure et sans doute, vu les sujets brûlants qui ont été abordés à la fois politiques, économiques et techniques, l’auditoire aurait sûrement le désir de s’exprimer à son tour. Vous pensez qu’on peut donner effectivement la parole à l’auditoire à ce stade de la conversation ?
Loïc Horellou : Si je peux juste ajouter une remarque sur ce qui vient d’être dit et après je pense qu’effectivement…
Oui, je suis tout à fait d’accord sur ces questions, la question des fonds à trouver pour pouvoir développer, tant dans l’enseignement supérieur que les administrations, etc. Ce qui est quand même génial c’est qu’on se rend compte qu’en fait des structures privées aussi grosses que Microsoft, Google, Apple, etc., sont prêtes à amener leurs solutions gratuitement et que ça génère une espèce de distorsion de concurrence absolument gigantesque à l’égard de structures locales privées également qui, elles, ne peuvent pas se permettre de donner leurs outils ou leurs solutions ou leur expertise parce qu’elles ne s’en sortiront pas. Là où les très grands groupes sentent bien qu’ils vont avoir un levier. Si je prends les étudiants qui sont tous sur une solution Office du côté de notre établissement, là on a accès à un abonnement gratuit, peut-être que certains vont finir par payer, à un moment ou un autre, 30 ou 40 euros l’année pour avoir accès à des outils qui leur paraissent assez intéressants. De même chez Google pour pouvoir avoir de l’espace de stockage sur leur drive, etc. Ce qui fait que là ils ont un public captif qui est super. Il y a eu des énormes partenariats signés par l’Éducation nationale en France, je crois que c’était avec Microsoft aussi.
On a, du côté des écoles d’art, les mêmes types de problèmes avec Adobe qui, en plus, est dans une situation de quasi-monopole sur les solutions qu’il amène. En fait il y a très peu de culture du logiciel libre, des solutions annexes qui existent, chez les décideurs et les administrateurs, etc. Je le vois dans l’école où j’interviens : on a tenté, avec certains collègues, d’avoir du débat, de sensibiliser l’administration de l’école à ces questions et on se rend compte qu’au moment de prendre la décision on va quand même vers la solution qui parait la plus simple, la plus facile, la plus immédiate, qui est de passer par des grands groupes au détriment des données qu’on pourrait générer, au détriment de ces histoires de captivité des usagers, etc. Il y a quelque chose de l’ordre de la collecte de fonds et vraiment de la médiation de ces questions-là et de la sensibilisation des administrations et des décideurs qui paraît essentielle.
Myriam Criquet, interprète : Loïc Horellou says he is OK with you… [Traduction en anglais de l’intervention précédente, NdT]
Oliver Rack : Yeah, there is a lot of truth in, so this is why I think that the public responsibility should be engaged and empowered to give us alternatives. There’s nowhere written that a public sector driven or a public ownership driven software should be not as good as a private. We have public financed television, which is mostly better than the private television ! So there are ways out, but we are just starting with it, we maybe are starting a little late, but I think this should be really a task and it’s a big task, maybe this is only a task that can only be solved on a European level, that we have alternatives in software, in platforms, which is also more important because on platforms, software are built on, so the dependency from other markets and from other economies, from foreign economies is scaling there. And this is what the European Union is trying with FIWARE [4] as a platform [5] under European Public License for smart cities, because they have identified this problem, and so it should be in other topics too. One big issue is like social media platforms, where I say : what is the difference between social media and television ? It’s the kind how media are organized these days. Why shouldn’t this be like ARTE, a public financed or co-financed – but I give some fees it’s OK ? But in a libre way of running like our European culture as US are. So I know what you are saying, these are the real issues, it can’t be only solved on the shoulders of community, of developers. It’s smaller the use case is, the harder it is to have a good maintenance software so there should be a public duty in it.
Myriam Criquet, interprète : Oliver Rack nous a expliqué qu’il partage ce que pense Loïc. La responsabilité du public doit être engagée et il faut effectivement faire monter en capacité et en compétences les personnes qui sont des personnes publiques, des décideurs, sur les alternatives qui existent aux logiciels privateurs. Il n’y a pas, en fait, de fatalité à ce qu’on utilise des logiciels privateurs et il pense qu’on pourrait faire un parallèle entre la télévision publique et la télévision privée. La télévision publique, selon lui, est de meilleure qualité que la télévision privée et, en fait, l’éducation aux alternatives aux logiciels privateurs, donc le logiciel libre, est déjà commencée. Bien sûr c’est un gros travail, mais ce travail doit se faire avec l’Europe qui pense non seulement en termes de logiciels mais aussi en termes de plateformes. En termes de plateformes, pourquoi ? Parce qu’en fait il y a une dépendance aux autres marchés, notamment aux économies extérieures à l’Europe qui se nichent là, donc l’Europe est en train de penser une licence publique européenne pour les Smart Cities et elle pense aussi aux plateformes de réseaux sociaux.
La différence entre les réseaux sociaux et les télévisions, c’est surtout la façon dont ils sont organisés. Pour lui le Libre ne peut pas résider seulement, ne peut pas simplement peser sur les épaules, dit-il, d’une petite communauté de développeurs, c’est une question dont l’Europe doit aussi s’emparer.
Guy Chouraqui : Si vous êtes d’accord, je demande au public. Nous avons le temps maintenant pour des réactions de l’auditoire qui ne peuvent pas manquer vu la diversité et la profondeur de tous les problèmes qui ont été présentés à travers l’exemple d’une école d’art et à travers l’exemple de l’expérience de Oliver Rack. Donc aux auditeurs de s’exprimer pour l’une ou l’autre question.
Public : J’entends parler de captivité du public par rapport à Microsoft et Google, par rapport à des formats qui seraient plus faciles à prendre et, du coup, et plus jolis à regarder. Je pense que c’est un mauvais calcul ; le fait que ce soit gratuit ce n’est pas une solution. Le logiciel libre est souvent aussi gratuit dans plusieurs cas. En fait, ce qui se passe, c’est qu’on n’a pas abordé la notion de pérennité des données d’une part et aussi des données qu’on va fournir à tous ces GAFAM. Par l’intermédiaire, l’utilisation du logiciel libre, tout ça est exclu. C’est-à-dire qu’on ne va pas laisser de données personnelles à ces GAFAM, d’une part, et d’autre part la pérennité des données est assurée. Donc en fait enfermer l’utilisateur dans un format propriétaire, c’est l’enfermer dans l’utilisation de données à court terme. Si vous voulez utiliser des données à long terme, il faut évidemment choisir le logiciel libre.
Loïc Horellou : Oui. Je suis tout à fait d’accord. Je relatais l’exemple de ce qui se passe vraiment dans la tête des gens qui sont en situation de prendre ces décisions-là et c’est très difficile de les faire évoluer sur ces questions-là.
La seule raison qui leur a fait choisir Microsoft à la place de Google, c’était cette question de serveur européen, donc il y avait quand même un embryon de conscience de la localisation des données, mais pour tout le reste c’était assez ardu. Il y a vraiment une question de sensibilisation des décideurs finaux et des gens qui prennent des décisions qui sont assez peu exposés, en fait, directement à la question du Libre. On est plutôt, il me semble, sur des questions d’outils métier. C’est-à-dire qu’à un moment les gens ou les structures ou les DSI ou les administrations quand ils ont un outil métier qui leur convient, qu’il soit libre ou privé, ils le gardent, parce qu’en fait ils mettent tellement de temps à évoluer et à transformer leur usage qu’en fait ils deviennent assez feignants avec ça ou plus très curieux parce que ça fait beaucoup de travail après. Ils ont été nourris à des solutions Microsoft pendant des décennies, ils ont été nourris avec des ActiveX dans Explorer pendant des décennies, etc., et c’est très dur de les faire sortir de ces systèmes-là. Je parle sur les petites structures.
Il n’y a pas longtemps on a eu à rencontrer la DSI de l’université Strasbourg pour tout un tas de choses, notamment la question du réseau, l’accès fibre optique, etc., et quand vous avez des DSI bien en place avec tout un tas de spécialistes et de spécialités là-dedans, je pense que c’est beaucoup plus simple, en fait, d’évoluer sur ces usages-là. En général on se rend compte que, de toute façon, des outils et des solutions libres sont beaucoup plus employés dans ces contextes.
Mais sur les petites structures, c’est là qu’Oliver Rack a raison, il manque probablement une initiative à grande échelle de type européen ou au moins à échelon national pour mettre en évidence des solutions libres, open source avec une pérennité de données et des formats ouverts, mais qui soit portée par des acteurs de suffisamment grande échelle pour que les gens soient rassurés sur ces outils-là, parce qu’en fait on se rend compte qu’il y a beaucoup de crainte chez les gens qui sont en situation de prise de décision.
Myriam Criquet, interprète : Loïc told that… [Traduction en anglais de la réponse de Loïc Horellou, NdT]
Public : Je vais poser ma question en anglais parce que c’est plus une réaction à Oliver.
So Oliver, I totally agree with what you are saying, but in the same time there is a kind of a discrepancy, between European policies that go towards neoliberalism and policies that go toward free software. I’m well aware that free software and open source is compatible within a neoliberal system, but still I think that there is a tension. How do you imagine that it could be resolved ?
Oliver Rack : This depends on the critical mass because it is a political decision. In the administration of the European Union, you have like in every administration responsibilities for economic development, for transatlantic cooperation and on the other side you have responsibilities for public good, public administration and public servants. So it’s not just one policy, it depends, what the council decides, where the road map runs too. So it’s up to us to showcase open solutions, to advertise them, to have a critical mass in these questions ; that this critical mass can be mirrored in our representatives in the Parliament. So this is the questions, but I think that we have a better mixture than like in the US on this question, but we have to maintain this political opinion and this European position because I think there is really a space in this transformation where Europe can find its place. It’s another kind of economical development, we have a tradition in, we call it "Technikfolgen", that is the outcomes of technology. We have a special culture in Europe, especially in Germany and France, so this can be somewhen also an advantage in this geography of Europe when people say ah its good for us to live here, because there’s a European way in development, it’s not an Asian or Chinese way, it’s not a North American US way, it’s a European way. So this should be maintained that we keep this track, I think the track is quite OK, currently.
Myriam Criquet, interprète : Une personne dans l’assistance a posé une question à Oliver, en anglais, en lui disant qu’elle était totalement d’accord avec lui mais qu’il y avait une tension, semble-t-il, entre les politiques mises en place et l’open software et le logiciel libre.
Oliver a répondu que l’administration avait ses responsabilités, prenait ses responsabilités, parlait beaucoup de développement économique et qu’il y avait en fait plusieurs politiques : les politiques pour le développement économique, les politiques sur le bien public, sur les administrations et sur les services. Pas une politique unique. En dehors de cela c’est à nous de nous prendre en charge et de montrer des cas d’usage, d’ouvrir des solutions et puis de faire une masse critique qui pourrait influencer nos représentants.
Nous avons, selon lui, à maintenir cette position particulière qu’a l’Europe et cette opinion politique particulière des Européens. Ce n’est pas simplement et seulement une question économique. Nous avons une tradition et une culture spécifique en Europe, spécialement en France et en Allemagne, et c’est cette culture spécifique, en plus de notre territoire, qui peut être un avantage pour le logiciel libre.
Public : I have a question for Oliver. My question is as follows, some months ago, actually I conducted some audits on government websites in Germany and French one as well, and I’ve been surprised to see that on German websites, for example, you don’t have any tracking software such as Google Analytics, which are installed on this. And when I conducted my audit I found no government website in Germany using solutions such as Google Analytics where actually in France I found some. And my question was as follows : do you have some specific guidelines in Germany when you are working in the public sector, when building a web site ? Do you have some specific guidelines which are saying, for example : “you should not use any specific solution, or you should use only free software or open source solutions”. That’s my question, because I looked for France and couldn’t find such a guideline and I was wondering if in Germany you have some ? And what is the name of these guidelines if it exists ? Thank you.
Oliver Rack :
I’m not so deep in this question, but there is the General Data Protection which is a guideline of what has to be, what has to be the state of the art in privacy. And you think there are better protections in Germany on the governmental website than in France ? OK ! That’s interesting. No, for sure there are guidelines when it comes to accessibility, I know from these guidelines, there are also European guidelines. But, how the privacy is translated in work papers, how you have to build the website, I don’t know.
Loïc Horellou : De mon côté je sais juste qu’effectivement ces questions de Google Analytics on les voit fréquemment apparaître dans les cahiers des charges de certaines commandes publiques en France. Donc il y a une demande de ça parce qu’à nouveau c’est probablement le système dont tout le monde a entendu parler !
Oliver Rack : How many websites did you check ?
Public : 200.
Oliver Rack : Oh, really !
Public : Yeah 200 actually, I just find the website which was indexing let’s say all the German government websites and I just send a bot on all of them in order to see which tracking code was installed on the source code, I did the same thing for France. And I have been surprised to see this huge difference which was really ; in Germany you have zero Google solution, whereas for France you still have some websites which are still carrying the tracking count, they do a lot of cleaning but there are still some. And I was surprised to find that out, and I wanted to know if it’s more privacy awareness or if it was more specific guidelines you had. Thank you.
Oliver Rack : em>For sure, in Germany privacy is a really strong culture, this comes from history, it comes from the Third Reich and it comes also from East German history so that there have been strong maintenance of the citizens. So the General European Data Protection is mainly influenced from German activists. So this may be the reason, but now we have all the same law. Did you check it before the… OK. Do you want to check it now again ? Aha, but this would be interesting !
Myriam Criquet, interprète : Il a été posé une question à Oliver. Il y a quelques mois, une personne dans l’assistance a bénéficié d’un contrat, d’un audit pour le gouvernement allemand. Elle devait regarder les trackers qui étaient sur les sites web du gouvernement. Elle a fait une comparaison entre ce qui se passe en France et ce qui se passe en Allemagne et s’est rendu compte qu’en Allemagne il n’y avait pas de trackers. La question qu’elle a posée est : est-ce que vous avez, en fait, des sortes de guides à suivre ou pas ?
Oliver a répondu que le Règlement général sur la protection des données [6] formait peut-être les guidelines, les lignes directrices, et que c’était aussi l’actuel état de l’art en la matière, mais que, à sa connaissance, il n’y avait pas d’autres guidelines. Il se rappelle des guidelines, des lignes directrices sur l’accessibilité.
Google Analytics semble apparaître en France, nous a dit Loïc, sur les offres publiques de façon générale.
Cela vient peut-être, nous répond Oliver, du fait que ces 200 sites qui ont été regardés par la personne du public montre qu’il y a une plus grande conscience, une plus grande culture de la vie privée en Allemagne qui vient du fait qu’il y a eu, dans l’histoire en Allemagne, une période où il y avait donc l’Allemagne de l’Est et l’Allemagne de l’Ouest et le RGPD est venu en grande partie de l’intervention d’activistes allemands.
Public : À mon sens il y a une question, quand on parle d’Enseignement supérieur de Recherche et de logiciel libre qui ne doit surtout pas être oubliée, quand il s’agit d’expliquer pourquoi le logiciel libre est important dans les universités et les écoles dont les écoles d’art, c’est ce que permet le logiciel libre comme ouverture, élargissement de la porosité entre l’éducation, l’enseignement, la recherche et le développement. C’est-à-dire que les laboratoires de recherche publics dans les universités ainsi que tous les chercheurs qui peuvent travailler, comme Loïc, dans des écoles d’art ou Anne qui est là, Anne Laforet, le logiciel libre en étant utilisé par les enseignants et les chercheurs qui peuvent eux-mêmes contribuer à ces logiciels, eh bien ça permet de vraiment créer ce cercle vertueux, à mon sens, qui peut, du coup, profiter à l’intégralité de la société et non pas à des sociétés privées particulières. C’est, à mon sens, l’une des questions majeures de ce soir.
Loïc Horellou : Une réaction. Ce qui se passe en école d’art, tout à l’heure on parlait du repas de ce soir, je pense qu’en école d’art beaucoup de gens sont un peu flexitariens. C’est-à-dire que plein d’étudiants, d’enseignants ont envie du bien-être de l’humanité, mais le problème c’est que dès qu’il faut évoluer sur nos méthodes et changer un petit peu ce qu’on fait, ça devient plus compliqué.
Beaucoup de gens sont quand même prêts à utiliser des solutions privées parce qu’elles paraissent être les plus faciles et les plus immédiates et cette question des logiciels libres est plutôt prise en compte par les étudiants qui sont les plus pointus, les plus avancés et dans ces réflexions et dans l’usage des outils numériques informatiques.
Ce qu’on essaye quand même de signaler à la masse des étudiants avec certaines personnes dont Anne qui est ici, c’est que ce qu’on constate en particulier dans le champ artistique c’est qu’en fait un logiciel c’est un outil et que cet outil-là, en général, il est développé avec une pensée de la personne qui l’a créé. À un moment, utiliser des logiciels qui sont utilisés par des millions de personnes, eh bien on a des millions de personnes qui pensent de la même manière et qui font des choses de la même manière. Et particulièrement dans le domaine des écoles d’art où on essaye d’avoir une pensée par et pour la création, ça peut devenir compliqué. C’est-à-dire qu’en fait on voit trop fréquemment des nouvelles fonctionnalités qui émergent dans des outils Adobe par exemple et qui sont immédiatement adoptés par la plupart des utilisateurs. On a l’impression qu’ils ont fait quelque chose de super nouveau et que c’est génial et fait ils ont appuyé sur un bouton de la nouvelle fonctionnalité. Et ça c’est quand même aussi très compliqué d’en faire prendre conscience aux étudiants et, par extension, aux gens qui vont être responsables des achats dans les écoles.
Guy Chouraqui : Voilà. Encore une question ?
Public : La traduction.
Guy Chouraqui : Oui, l’interprétariat.
Myriam Criquet, interprète : Someone asked a question… [Traduction en anglais des propos précédents, NdT])
Guy Chouraqui : Puis-je, à titre personnel, mais je suis sûr que je me fais l’écho de beaucoup d’entre vous, demander à l’interprète, à la traductrice, de prononcer son nom, car elle a fait un travail que je considère comme remarquable dans l’improvisation en temps réel, le temps réel qui est un challenge pour tous les informaticiens. Vous avez donc fait un travail si bon que je serais très heureux que vous prononciez votre nom à haute voix, à côté de ceux de Loïc Horellou et d’Oliver Rack. Madame ?
Myriam Criquet, interprète : Bonjour. Je m’appelle Myriam Criquet et je suis de l’association Montpel’libre [7]. Je suis désolée, j’ai fait ce que j’ai pu et j’ai essayé de faire au mieux.
Guy Chouraqui : J’ai une très grande gratitude pour le travail que vous avez effectué ; je vous en remercie personnellement et aussi au nom de tout le monde.
Nous avons atteint la limite d’une heure, largement dépassée d’ailleurs depuis quelques instants et, à moins qu’il y ait quelque chose qui vous empêche de dormir par la suite si vous ne le dites pas maintenant, nous allons nous séparer en remerciant beaucoup les intervenants et, une fois de plus, notre interprète. Merci.
[Applaudissements]