Voix off : Libre à vous ! l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Frédéric Couchet : Bonjour à toutes, bonjour à tous dans l’émission Libre à vous !. C’est le moment que vous avez choisi pour vous offrir 1 heure 30 d’informations et d’échanges sur les libertés informatiques et également de la musique libre.
« Parcours libriste » avec Françoise Conil, ingénieure en développement logiciel au CNRS ou, plus simplement peut-être, développeuse, on verra avec elle tout à l’heure, c’est le sujet principal de l’émission du jour. Avec également au programme, en début d’émission, la chronique de Gee, très attendue, sur le Métavers, et aussi, en fin d’émission, la chronique « Pépites libres », de Jean-Christophe Becquet, sur l’archive HAL et la science ouverte.
Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission qui vous raconte les libertés informatiques, proposée par l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Je suis Frédéric Couchet, le délégué général de l’April.
Le site web de l’émission c’est libravous.org. Vous pouvez y trouver une page consacrée à l’émission du jour, avec tous les liens et références utiles et également les moyens de nous contacter.
À ce propos, nous avons ouvert un questionnaire pour mieux vous connaître, auditrices et auditeurs de Libre à vous !. Y répondre vous prendra cinq minutes et nous permettra d’évaluer l’impact de notre émission. C’est également une occasion pour vous de nous faire des retours et de nous aider à améliorer l’émission. Vous pouvez retrouver le questionnaire sur le site libreavous.org, ça vous prendra juste cinq minutes, en fin d’émission, pour répondre aux questions.
Nous sommes mardi 17 janvier 2023. Nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion.
À la réalisation de l’émission du jour mon collègue Étienne Gonnu. Bonjour Étienne.
Étienne GonnuSalut Fred. Je vais profiter que ce soit encore le mois de janvier pour souhaiter à tous nos auditeurs et auditrices une très belle année 2023.
Frédéric Couchet : Merci. Nous vous souhaitons une excellente écoute.
[Jingle]
Chronique « Les humeurs de Gee » sur le Métavers
Frédéric Couchet : Nous allons commencer par la chronique « Les humeurs de Gee ». Gee, auteur du blog-BD Grise Bouille, va nous exposer son humeur du jour. Des frasques des GAFAM aux modes numériques, en passant par les dernières lubies anti-Internet de notre classe politique, il partage ce qui l’énerve, l’interroge, le surprend ou l’enthousiasme, toujours avec humour. L’occasion peut-être, derrière les boutades, de faire un peu d’éducation populaire au numérique. Le thème du jour, le Métavers.
Bonjour, Gee.
Gee : Bonjour Fred et salut à toi, public de Libre à vous !
Si je t’avais causé de Métavers, ou Metaverse dans sa version anglaise, il y a de cela tout juste deux ou trois ans, tu n’aurais sans doute pas eu la moindre idée de ce dont je te parlais. Pas parce que le mot n’existait pas encore – il est documenté sur le Wiktionnaire depuis plus de 10 ans — mais il était encore peu utilisé jusqu’à très récemment.
C’est sans doute principalement à Facebook que l’on doit ce soudain intérêt pour le Métavers. Une impression confirmée si l’on regarde les statistiques de Google sur la popularité du mot-clef : cette popularité est très faible jusqu’en octobre 2021 où elle explose littéralement. Octobre 2021, c’est le moment où l’entreprise qui gère Facebook prend le nom de Meta et annonce son intention de se concentrer sur le développement d’un « Métavers ».
Bon, là, tu te dis peut-être, « hou, la, Gee qui commence sa chronique en nous parlant de Facebook et de Google, qu’est-ce qui se passe ? Il s’est fait racheté par les GAFAM, ce pourri ? ». Alors, déjà, reste poli s’il te plaît. Eh non, je ne me suis évidemment pas converti aux GAFAM pendant la nuit et, si je te parle de Métavers, ça n’est certainement pas pour en faire la promo.
Remettons les points sur les « i », pour commencer, c’est quoi, le Métavers ?
Le Wiktionnaire, dont je parlais plus tôt, nous dit que c’est un « univers virtuel ». Point. C’est un petit peu léger comme définition. Il y a des tonnes d’univers virtuels. N’importe quel jeu vidéo se déroule dans un univers virtuel, sans que ce ne soit un Métavers pour autant. Au sens large, on pourrait même considérer que n’importe quelle œuvre de fiction se déroule dans un univers virtuel ; même la plus ancienne légende de la plus primitive des civilisations humaines décrit souvent un univers virtuel, au sens « fictif ».
Mais le Métavers, c’est bien plus que cela, c’est la contraction de « méta » et « univers », et « méta » ne signifie pas « virtuel ». C’est un préfixe qui signifie « profond » ou « au-delà ». Quand Facebook nous promet le Métavers, elle nous promet un univers qui étend le nôtre, un univers virtuel, certes, mais qui rivalisera avec notre univers physique, dans lequel on pourra se mouvoir et… vivre, en fait. Avec la technologie des casques de réalité virtuelle, on pourrait fréquenter des amis à des kilomètres de là comme si les distances n’existaient plus, dans une réalité plus vraie que nature, que l’on pourrait modeler comme on le voudrait, libérés des contraintes du monde bassement physique !
Ça ne vous fait pas rêver ça ? Eh bien c’est marrant, moi non plus ! Et pas juste parce que les quelques exemples de Métavers qu’on a vu jusqu’à maintenant nous ont plutôt fait pleurer de rire ! Oui, parce que si c’était pour nous pondre des remakes complètement pétés de Second Life, avec des graphismes qui feraient honte à la Playstation 2, ce n’était vraiment pas la peine de se la raconter avec des expressions nébuleuses comme « Métavers » ! Mais surtout, parce que les casques de réalité virtuelle, quand c’est appliqué aux jeux vidéos, ça peut être rigolo – j’en ai moi-même déjà testé, et oui, c’était chouette ! Mais un casque de réalité virtuelle pour accéder à des mondes factices auxquels confier nos vies, eh bien ça n’évoque pas un imaginaire très positif, en général.
Je m’explique. On aime souvent dire que la réalité dépasse la fiction et que la technologie d’aujourd’hui rappelle parfois la science-fiction d’hier. Par exemple, on s’émerveillait toujours de voir les personnages de SF communiquer par visiophone quand nous étions bloqués sur nos bêtes téléphones audios. Et la visio a fini par être développée et a plutôt été adoptée avec enthousiasme. Certes, elle n’a pas du tout remplacé le téléphone comme la SF [science-fiction] nous le prédisait, mais elle existe et est couramment utilisée.
Alors que le Métavers ! Je pense que pour beaucoup de monde ça évoque Matrix, un blockbuster assez furieusement dystopique où le monde virtuel est une véritable prison pour l’esprit des êtres humains, qu’on garde occupés dans leur Métavers, la Matrice, pendant qu’on les utilise comme combustible pour alimenter des machines.
Ça me rappelle aussi un bouquin que j’avais lu quand j’étais ado, un truc qui s’appelait Slum City, écrit par le français Jean-Marc Ligny. Dans Slum City, si je me souviens bien, l’humanité vivait principalement dans un Métavers, branchée en quasi-permanence à ses casques de réalité virtuelle, l’univers réel étant devenu considéré comme une sous-réalité. Et autant vous dire qu’à 14 ans, j’avais été assez marqué par l’histoire d’un des personnages principaux, un personnage qui finit par découvrir que ses parents sont en fait morts depuis plusieurs semaines dans le salon, bien installés dans leurs fauteuils de réalité virtuelle, parce qu’ils s’y étaient tellement perdus qu’ils avaient fini par oublier leur réalité physique, jusqu’à ne plus jamais se déconnecter pour se nourrir ou dormir.
Bon ! Ça, c’est mon souvenir personnel, mais la SF regorge d’histoires comme ça et c’est pas un hasard ! On sent quand même assez bien que, derrière toutes les belles promesses de mondes idéaux et de libération, le Métavers a tout le potentiel pour devenir une véritable prison. Dorée, peut-être, mais une prison quand même ! Et il ne faut pas se leurrer, les expériences de confinement liés au Covid-19 n’ont rien fait pour arranger ce sentiment. Je parlais de la visio tout à l’heure, autant la visio a été salutaire pour entretenir un semblant de relations sociales pendant les confinements, autant ça a été l’occasion d’en découvrir les limites. La visio pour le télétravail c’est pratique, mais ça remplace difficilement une soirée canapé entre amis. Même quelqu’un comme moi, qui suis plutôt très casanier, geek, introverti, qui aime bien être seul, qui n’aime pas trop la foule, j’ai fini par me surprendre à dire des choses incroyables comme « on sort, on va voir des gens ? »
C’est peu dire que l’idée de me poser un casque sur le museau pour voir des avatars en 12 polygones de mes proches ne m’attire pas du tout. Surtout dans un monde qui sera, à n’en pas douter, blindé de publicités et entièrement conçu pour exploiter toujours plus nos comportements, nos données personnelles, etc.
Quel intérêt aurait Facebook à balancer des milliards dans un projet de Métavers, sinon pour ça ? Autant te dire qu’aller aux toilettes pendant la pub, au milieu du film, je doute que ça soit possible dans le Métavers. Non ! Le Métavers, tu seras dans la pub. Je te laisse imaginer le niveau de liberté que t’autorisera un univers entièrement façonné et contrôlé par Facebook.
Fort heureusement, il semblerait que je ne sois pas le seul à faire un rejet assez viscéral à l’idée de Métavers. Sans même parler des bad buzz sur la qualité risible des graphismes présentés ou les prix encore assez rédhibitoires des casques de réalité virtuelle, c’est peu dire que les projets de Métavers n’attirent pas les foules. Ainsi Horizon Worlds, le fameux Métavers de Facebook, ne compte qu’environ 200 000 visites par mois. Certes, c’est beaucoup, mais cela reste ridicule par rapport aux 3,5 milliards de visites des autres applications du groupe, Facebook et Instagram en tête. L’action de l’entreprise Meta a d’ailleurs perdu les 3/4 de sa valeur depuis le lancement de ce Métavers.
C’est d’ailleurs un des points qui me rend parfois quand même optimiste sur l’emprise des GAFAM sur nos sociétés : des fois, les GAFAM se plantent. Rappelez-vous des smartwatches, les montres intelligentes qui étaient appelées à prendre la suite des smartphones dans la grande révolution des objets connectés, avant de faire un flop plutôt retentissant ; même chose pour les Google Glass, des lunettes connectées avec affichage de réalité augmentée et qui n’ont jamais suscité beaucoup d’enthousiasme.
Restons prudents sur les prédictions hasardeuses, peut-être que le Métavers finira par s’imposer, je n’en sais rien. Ne sous-estimons jamais la puissance des multinationales à nous faire avaler des choses dont nous ne voulons pas, à créer des besoins, comme on dit.
Pour l’instant en tout cas, au-delà de Facebook, même d’éventuels Métavers publics – dont on pourrait espérer qu’ils ne soient pas au service de la captation de données et de la publicité – peinent à convaincre les gens. Ainsi la Commission européenne a balancé, quand même, 387 000 euros dans un Métavers gratuit, accessible à tout le monde, et qui a rassemblé pour sa soirée d’ouverture un nombre record de cinq personnes. Pas 5000 !, cinq.
Bref, pour le moment, le Métavers n’a pas l’air d’intéresser grand monde à part les quelques techno-béats qui continuent à penser qu’il faudrait s’échapper vers d’autres mondes – sur Mars pour Elon Musk ou dans la réalité virtuelle pour Zuckerberg – au moment où de plus en plus de gens s’inquiètent du fait qu’il serait sans doute préférable de ne pas totalement flinguer le nôtre, de monde.
Est-ce qu’un Métavers adopté massivement serait compatible avec les objectifs de limitation du réchauffement climatique ? Personnellement j’ai des doutes, mais je vous laisse y réfléchir et je vous dis salut !
Frédéric Couchet : Merci Gee de nous laisser sur cette question très intense.
C’était la chronique « Les humeurs de Gee ». Je rappelle que le site de Gee est grisebouille.net, n’hésitez pas à aller voir pour vous amuser, pour apprendre des choses et éventuellement pour aider Gee dans ses activités.
Nous allons faire une pause musicale.
[Virgule musicale]
Frédéric Couchet : Après la pause musicale, nous parlerons avec notre invitée, Françoise Conil, qui est ingénieure logiciel au CNRS, la première invitée d’un nouveau format de sujet principal, « Parcours libriste ». En attendant, nous allons écouter Beyond the warriors par Guifrog. On se retrouve dans deux minutes. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
Pause musicale : Beyond the warriors par Guifrog.
Voix off : Cause Commune, 93.1.
Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Beyond the warriors par Guifrog, disponible sous licence libre Creative Commons Attribution, CC BY. J’en profite pour remercier le site auboutdufil.com, qui est notre fournisseur à peu près attitré de toutes ces belles musiques libres. Sur chacune de ces musiques vous avez, en plus, une description, une analyse de la musique, que ce soit par Alice ou par la personne responsable du site, Éric Fraudain.
C’était Beyond the warriors par Guifrog, disponible sous licence libre Creative Commons Attribution, CC BY et le site c’est auboutdufil.com, tout simplement.
[Jingle]
Frédéric Couchet : Nous allons poursuivre par notre sujet principal.
[Virgule musicale]
Parcours libriste avec Françoise Conil, ingénieure en développement logiciel au CNRS
Frédéric Couchet : Cette édition de Libre à vous ! est la première avec, comme sujet principal, un nouveau format qu’on a intitulé « Parcours libriste ». L’idée c’est d’inviter une seule personne pour parler de son parcours, personnel et professionnel, donc un parcours individuel mais qui, bien sûr, va être l’occasion de partager des messages, suggestions et autres.
Pour cette première édition nous avons le grand plaisir d’accueillir Françoise Conil, ingénieure en développement logiciel au CNRS.
Bonjour Françoise.
Françoise Conil : Bonjour Frédéric.
Frédéric Couchet : Comment allez-vous ?
Françoise Conil : Très bien.
Frédéric Couchet : Très bien. OK.
N’hésitez pas à participer à notre conversation au 09 71 72 51 55 46 ou sur le salon web dédié à l’émission, sur le site causecommune.fm, bouton « chat ».
Comment avons-nous découvert Françoise Conil ? Une fois qu’on s’est posé la question de ce nouveau format qui nous paraissait intéressant, on voulait trouver une invitée. Il se trouve que l’an dernier le CNRS a publié une BD qui s’appelle Les décodeuses du numérique, qui présente 12 portraits de chercheuses, enseignantes-chercheuses et ingénieures dans les sciences de l’informatique et du numérique. Nous avions déjà reçu, en septembre 2022, Sarah Cohen-Boulakia, qui est bio-informaticienne, le sujet c’était sur la reproductibilité des environnements logiciels pour la recherche, le podcast est disponible sur libreavous.org/151. Dans cette revue, il y avait une informaticienne, en l’occurrence Françoise Conil. Le titre du portrait, et je pense qu’on y reviendra au cours de l’émission, c’est « Françoise Conil, coder pour un mode meilleur » ; à un moment ou à un autre il faudra nous expliquer ce choix de titre.
La première question traditionnelle, en général, c’est de demander une courte présentation. En fait là, le principe de l’émission c’est de vous présenter tout au long de l’émission. J’ai quand même envie de vous demander comment vous vous présentez quand vous êtes, par exemple, dans une soirée, quand vous rencontrez des personnes. Qu’est-ce que vous expliquez ?
Françoise Conil : J’explique que je suis informaticienne, souvent je ne détaille pas si les gens ne connaissent pas forcément bien, je peux aussi dire que je suis au CNRS. Souvent, je dis juste informaticienne.
Frédéric Couchet : Vous ne dites pas « ingénieure en développement ».
Françoise Conil : Pas toujours.
Frédéric Couchet : Pourtant, dans la BD, c’est bien marqué « ingénieure en développement logiciel ». Pourquoi ne pas dire carrément « ingénieure » plutôt qu’utiliser le terme « informaticienne » ? Est-ce que c’est parce qu’il y a une différence ou y a-t-il une autre raison ?
Françoise Conil : Peut-être, pendant longtemps, l’idée de ne pas vouloir exposer un titre, ne pas écraser mon homologue en lui disant « je suis ingénieure », peut-être ça aussi.
Frédéric Couchet : D’accord. OK. On va exceptionnellement dire votre âge, nous sommes de la même génération. Vous avez 54 ans, c’est ça ?
Françoise Conil : Oui.
Frédéric Couchet : On va essayer de parler un petit peu de votre parcours et on va peut-être commencer par la jeunesse. Dans la BD – et j’encourage vraiment les gens, en complément de l’émission, à aller consulter cette BD, les références sont sur le site de l’émission libreavous.org ou sur le site causecommune.fm –, il est indiqué dès le départ un attrait pour les sciences et surtout pour la physique et la chimie. D’où ça vient ? Est-ce que c’est un héritage familial ? Est-ce que c’est une découverte par vous-même ? Comment s’est matérialisé cet attrait pour les sciences et vers quel âge ?
Françoise Conil : Vers quel âge, ça va être compliqué ! Mon père a fait plutôt un cursus scientifique, du coup je n’ai jamais été en peine sur ces matières-là, la science, la physique, tout ça se passait bien. J’étais éventuellement moins à l’aise avec le français, l’histoire-géo, etc., donc, naturellement, je suis allée vers ce qui était le plus adapté à ce que j’étais capable de faire.
Frédéric Couchet : D’accord. Est-ce que vos parents vous ont encouragée ou, au contraire, limitée ? Quelle était leur position par rapport à ça ?
Françoise Conil : J’étais encouragée. Je voulais faire ingénieure, ils m’ont encouragée à le faire, il n’y a pas de souci, au contraire. J’ai eu la chance d’avoir l’aide de mon père pendant ma scolarité, si je calais un peu sur deux/trois questions, c’était sûr qu’il était capable de m’aider, c’était une chance.
Frédéric Couchet : Vous vous débrouilliez aussi toute seule. J’ai vu, dans la BD, que, par exemple, vous avez démonté une calculatrice. Quel était l’objectif de démonter cette calculatrice ? C’était quoi comme calculatrice ?
Françoise Conil : Une TI-57.
Frédéric Couchet : Une Texas Instruments.
Françoise Conil : Ça ressemblait un peu à la calculatrice, je crois que c’est une HP, que les astronautes d’Apollo ont apportée pour faire leur voyage sur la lune. C’étaient les calculatrices des années 80. En fait elle ne marchait plus, j’ai voulu la démonter, voir comment c’était fait à l’intérieur et je n’ai pas été capable de la remonter ! Ça a été un peu ma première leçon : si tu démontes quelque chose, note bien où se placent les éléments pour pouvoir être capable de remonter.
Frédéric Couchet : Et mettre les vis dans un pot pour ne pas les perdre !
Françoise Conil : Maintenant on a beaucoup plus de facilités avec nos smartphones pour faire une petite photo de temps en temps. C’est vrai que c’est un peu ce qui m’est resté : « si tu démontes, fais attention d’être capable de remonter ! »
Frédéric Couchet : Par contre, les smartphones d’aujourd’hui sont juste indémontables, à part certains, comme le Fairphone, qui est conçu pour être durable et démontable, mais, aujourd’hui la plupart des smartphones ne sont pas démontables.
Donc un attrait pour les sciences, surtout mathématiques et physique. Je suppose, vu votre génération, que vous faites un bac C.
Françoise Conil : Bien sûr.
Frédéric Couchet : On va dire le bac traditionnel, à l’époque, maths/physique.
Françoise Conil : Je préférais plutôt les maths que la physique, donc c’est l’orientation C qui me convenait davantage.
Frédéric Couchet : Donc bac C et après vous faites une classe prépa, vous êtes admise en classe prépa.
Françoise Conil : En fait j’ai la possibilité d’aller en classe prépa et, par le plus grand des hasards, j’ai fait un dossier pour aller dans une école avec prépa intégrée, à l’INSA.
Frédéric Couchet : Quelle est la différence entre les deux pour les personnes qui ne savent pas ? Qu’est-ce qu’une prépa intégrée ?
Françoise Conil : Si on part en classe prépa, en fait ce sont deux à trois ans pendant lesquels on travaille énormément pour, au final, passer des concours pour intégrer des écoles d’ingénieur, mais vous n’avez pas l’assurance de savoir où vous irez. C’était réputé comment étant très difficile.
Frédéric Couchet : Beaucoup de travail personnel nécessaire, je ne dirais pas élitiste, mais avec un taux d’échecs important.
Françoise Conil : Oui. On passait de notes à peu près normales à des cartons. On savait que les têtes de classe allaient se retrouver avec 5 de moyenne, donc ça pouvait faire peur, ça me faisait un petit peu peur. C’est pour ça que je suis plutôt allée vers cette option, avec une école intégrée, c’est-à dire que tout se passe au sein de la même école. Il y a quand même du travail pendant les deux premières années, il y a aussi le risque, la possibilité de ne pas continuer si on n’arrive pas à avoir les bons résultats. Mais, globalement, c’est plus fluide, c’est moins dur parce que, en fait, les cours sont faits, sont orientés en fonction des options que l’école propose par la suite.
Frédéric Couchet : Vous avez ces deux possibilités et vous avez un prof, je suppose en terminale, qui, dans la BD c’est marqué, vous déconseille la prépa, mais, dans la BD, il n’est pas expliqué pourquoi il vous déconseille. Pourquoi vous déconseille-t-il ?
Françoise Conil : Il me déconseille d’y aller parce qu’il dit que je ne tiendrais pas la prépa.
Frédéric Couchet : Pourquoi ne tiendriez-vous la prépa ?
Françoise Conil : Je pense qu’il pense que, psychologiquement, je ne serai pas assez solide pour la suivre. Je n’ai pas d’explication, mais, effectivement, j’avais peur et il m’a dit qu’il n’était pas sûr que je tiendrais le choc dans cette atmosphère qui était quand même, on le sait, difficile. J’avais confiance dans l’avis de ce prof que j’aime beaucoup, qui a vraiment fait des trucs très bien, du coup je fais ce choix.
Frédéric Couchet : Excusez-moi de vous poser la question, est-ce qu’il pense que vous ne tiendrez pas parce que vous êtes une femme, ou est-ce qu’il pense que vous ne tiendrez pas parce que vous êtes Françoise Conil et qu’il vous connaît ?
Françoise Conil : Je ne peux pas dire que lui était comme ça. Non. Peut-être que, quelque part, il pourrait y avoir eu ça, mais ça n’était pas perceptible.
Frédéric Couchet : OK. Donc vous suivez son conseil et vous faites donc une prépa intégrée à l’INSA de Rouen, l’Institut national des sciences appliquées. Et comment se passent les études ?
Françoise Conil : Très bien.
Frédéric Couchet : Par rapport à votre crainte de la prépa où, tout d’un coup, on passe à de super à de mauvaises notes, est-ce que ça se passe pareil ?
Françoise Conil : Non, là les notes sont correctes. On a évidemment un choc quand on passe du lycée aux études supérieures, on se retrouve avec des choses qui sont beaucoup plus pointues, directement plus difficiles, donc ça fait un peu bizarre ; on s’adapte progressivement. Le volume de travail ne m’a pas choquée, c’était absorbable, ce n’était pas traumatisant.
Frédéric Couchet : Ça n’était pas traumatisant. C’était un niveau élevé mais qui était compatible avec vos compétences et votre envie de travailler.
Est-ce que vous vous souvenez un peu quelle était la répartition en termes de genre dans cette école à l’époque ? On va dire que ce sont les années 1985/1990, à peu près.
Françoise Conil : Je ne me souviens pas, globalement, sur la promo des deux premières années. Je sais juste que quand je suis partie sur le département maths/info, nous étions 25 % de filles. 6 filles, 25 garçons, nous n’étions pas très nombreux.
Frédéric Couchet : Vous étiez plus nombreuses à l’époque qu’aujourd’hui.
Françoise Conil : Oui. Aujourd’hui c’est catastrophique !
Frédéric Couchet : C’est catastrophique, avec, en plus, la réforme récente du baccalauréat, la présence de filles et de femmes a considérablement baissé.
Françoise Conil : C’est vraiment dommage, parce que ce sont des matières qui sont complètement abordables et totalement adaptées à des femmes. On n’est pas un milieu industriel, dur. Il n’y a rien qui empêche une femme de se lancer là-dedans.
Frédéric Couchet : Je précise que sur le salon web Marie-Odile Morandi, qui fait notamment les transcriptions pour l’April, dit que dans sa prépa en 1969/1970, 34 garçons et 6 filles. Vous, c’était plutôt 1985/90 ?, à peu près cette période-là ?
Françoise Conil : Les années 1985/90, oui, c’est ça.
Frédéric Couchet : Donc vous êtes diplômée.
Françoise Conil : Je peux dire aussi qu’à l’époque on n’avait pas l’environnement informatique. Quand j’ai commencé l’école, on avait deux salles avec des terminaux, les micro-ordinateurs sont arrivés en fin de deuxième année et il n’y avait pas beaucoup de salles, donc difficile d’accéder aux machines. On n’avait pas d’ordinateur personnel parce que ça coûtait beaucoup trop cher, la plupart des gens n’en avaient pas.
Frédéric Couchet : Est-ce que c’était ouvert jour et nuit ?
Françoise Conil : On pouvait y accéder, mais j’avoue que je ne l’ai pas fait.
Frédéric Couchet : Je vous pose la question parce que nous avons fait nos études à peu près à la même période. J’étais à la fac, la fac était ouverte jour et nuit et nous venions la nuit pour avoir accès aux machines.
Françoise Conil : Si on voulait accéder aux machines, c’est vrai que ceux qui étaient, on va dire, plus geeks, y allaient ; quelques-uns y allaient. C’est vrai que c’était compliqué d’accéder aux salles dans les horaires standards, pour y accéder il fallait y aller hors horaires standards, mais je n’ai pas trop essayé.
Frédéric Couchet : À cette époque-là, à Paris 8, en tout cas en première année, on n’avait pas d’accès à Internet. Est-ce qu’à l’époque vous aviez un accès à Internet à l’INSA de Rouen ?
Françoise Conil : Non. Absolument pas, même dans la vie professionnelle. Internet est quelque chose qui est arrivé beaucoup plus tard, à partir des années 2000.
Frédéric Couchet : On peut imaginer que c’est une autre façon d’apprendre l’informatique, complètement une autre façon de travailler à cette époque-là.
Concernant cette période des études, y a-t-il des choses que vous voulez aborder, des points de frustration ?
Françoise Conil : Comme on en a un petit peu discuté, au départ de mon parcours je n’étais pas nécessairement geek. Il y a eu des petites frustrations.
Frédéric Couchet : Quelle définition donnez-vous au mot geek ? Quelle est votre définition de geek ?
Françoise Conil : Quelqu’un qui passerait tout son temps libre, pour qui ce serait autant un hobby, qui y passerait énormément de temps, qui aurait fait beaucoup de nuits en salle info, ce que je n’ai pas nécessairement fait. Au début, pendant mes études, j’étais plutôt partie sur l’orientation maths, mais après, à la sortie, il y avait peu de postes.
Frédéric Couchet : Il y avait peu de travail disponible en maths.
Françoise Conil : Mon stage ingénieur c’était de faire de l’analyse de données de production dans une usine de pâte à papier. J’étais partie pour faire des stats, des maths et ces choses-là. Et puis, justement, ma première frustration vis-à-vis du logiciel, c’est que ce logiciel de stats que la société avait acheté, qui était donc un logiciel payant, n’avait pas de documentation. La documentation était payante.
Frédéric Couchet : On parle de votre premier stage.
Françoise Conil : Mon premier stage, stage étudiant, stage ingénieur. Donc documentation payante et moi obligée de passer mes exemples pour voir un petit peu, identifier à quoi correspondait tel paramètre pour les différents traitements, donc je n’avais pas trouvé que c’était très agréable. C’était un premier point que j’avais trouvé un petit peu négatif. Avant de dire que j’avais une conviction, c’est plutôt un ensemble de frustrations ou de déceptions qui m’ont un petit peu marquée dans mon expérience professionnelle ou de stage.
Frédéric Couchet : D’ailleurs pas mal de gens, dans le monde du logiciel libre, disent qu’on développe souvent les choses là où ça gratte, là où on a une frustration. Visiblement, vous en avez eu quelques-unes, on aura l’occasion d’en parler, là c’est lors de votre stage. Sinon, finalement, vos études à l’INSA de Rouen se passent bien, diplômée. Vous venez de le dire, vous êtes plutôt maths, donc vous auriez bien aimé travailler en maths en sortant de l’INSA de Rouen, par contre il y a moins de postes en maths qu’ailleurs, finalement quel est votre choix ?
Françoise Conil : À l’époque, c’était les années 90, le marché informatique était très favorable, comme il l’est actuellement, donc j’envoie quelques candidatures et on me propose de venir travailler dans une société de télécommunications. Je ne voulais pas trop aller à Paris, mais c’était en lointaine banlieue parisienne, donc c’était un moyen d’être à Paris sans y être. Et eux, de leur côté, comme c’était la moyenne banlieue, avaient du mal à recruter, parce que ceux qui voulaient aller à Paris ce n’était pas Paris et ceux qui ne voulaient pas aller à Paris n’avaient pas envie d’y aller non plus.
Gee : Où était-ce, par curiosité ?
Françoise Conil : À Dourdan, dans l’Essonne, un village très agréable à vivre.
Frédéric Couchet : C’est une entreprise de télécommunications. Une grosse entreprise ? Une petite ?
Françoise Conil : C’était le groupe Sagem, en l’occurrence, pour moi c’était la SAT, Société Anonyme de Télécommunications, et j’ai commencé à travailler sur des autocommutateurs.
Frédéric Couchet : Qu’est-ce qu’un autocommutateur ?
Françoise Conil : C’est un appareil qui permet de connecter tous les téléphones de l’entreprise et de gérer tout ce qui est appel, avoir aussi des logiciels particuliers par exemple pour faire ce qu’on appelle la distribution automatique d’appels, donc les centres d’appel, par exemple, dans les hôpitaux, il y a des fonctions un petit peu particulières, donc pas mal de choses. Il faut savoir qu’à l’époque c’étaient des baies. Il y avait une équipe électronique et une équipe informatique et c’étaient des grosses baies avec des cartes électroniques.
Frédéric Couchet : On va dire des sortes de grosses armoires.
Françoise Conil : Comme ça.
Frédéric Couchet : Nous sommes à la radio, je précise que Françoise Conil nous fait des signes, on va dire de 80 cm sur un mètre de hauteur.
Françoise Conil : C’étaient des équipements qui prenaient de la place et, pour gérer 500 postes, on avait un million de lignes de logiciel. On ne s’imagine pas nécessairement !
Frédéric Couchet : Des lignes de logiciels déjà écrites ou des lignes de logiciels que vous avez écrites ?
Françoise Conil : Quand je suis arrivée, je crois que ce modèle d’autocommutateur avait déjà été acquis, donc on avait déjà acheté une partie matérielle et logicielle. Après, nous développions des fonctionnalités complémentaires dessus.
Frédéric Couchet : Ça veut dire qu’à l’époque, quand on achetait un matériel qui coûtait donc très cher, finalement le logiciel était livré avec, il n’était pas sous licence libre, par contre vous pouviez le modifier pour l’adapter à vos besoins. C’est ça ?
Françoise Conil : Ils ont acheté l’ensemble, je ne sais pas combien.
Frédéric Couchet : Le code source était là.
Françoise Conil : Oui, on avait le code source. Nous étions une quinzaine de personnes dans l’équipe et on travaillait dessus en réparti. En fait on travaillait sur le même code, en parallèle, à quatre/cinq équipes. Quand il fallait faire des releases, on fusionnait le code. Il y avait déjà des gestionnaires de versions, on était sur des terminaux VAX à l’époque.
Frédéric Couchet : On a consacré une émission, il n’y a pas longtemps, aux gestionnaires de versions, je n’ai pas le numéro en tête, mais mon réalisateur préféré va me retrouver le numéro dans quelques instants ; on en a effectivement parlé récemment.
Françoise Conil : Juste pour informer les plus jeunes : les gestionnaires de versions ne sont pas apparus avec SVN et Git, ni même avec CVS.
Frédéric Couchet : Exactement ! Ni même avec RCS avant. Si ces mots ne vous disent rien, vous allez sur libreavous.org et vous cherchez gestionnaire de versions. On a consacré une émission, il n’y a pas très longtemps, à ce sujet.
Tout à l’heure vous parliez de frustration dans votre premier stage, est-ce que vous avez eu des frustrations dans cette expérience professionnelle et, inversement, des choses que vous avez vraiment bien aimées ?
Françoise Conil : Ça par exemple, le fait de pouvoir travailler à 15, d’avoir un logiciel que je trouvais quand même assez facile pour gérer les releases, etc., je trouvais que c’était quelque chose qui était très bien. L’équipe était très bien, était sympa, j’ai beaucoup appris, c’était vraiment très intéressant. Tout l’aspect des télécoms m’était inconnu, je n’avais pas étudié le réseau.
Frédéric Couchet : Vous n’aviez pas vu ça à l’école.
Françoise Conil : Non. C’était intéressant d’intégrer ce monde-là. J’ai donc travaillé sur les autocommutateurs puis j’ai changé, j’ai travaillé sur des modems ADSL ou des modems simples avec des protocoles de transfert de fichier. Une des frustrations ça été sur une application qu’on faisait sur Windows, on voulait faire du drag and drop, du glisser-déposer. La partie déposer, donc drop, était documentée, c’était du code Microsoft, on avait la documentation du drop, mais il n’y avait pas moyen d’implémenter le drag, on n’avait pas le glisser, c’était quelque chose qui était undocumented. Dans certains magazines on voyait des façons de le coder, mais ce n’était pas officiellement releasé par Microsoft qui se gardait une avance pour pouvoir faire le drag. Si vous vouliez le mettre dans votre application, vous vous basiez sur des trucs pas documentés. Je n’avais pas eu envie de dire « j’ai trouvé un truc dans un article dans Dr. Dobb’s Journal, c’est trop cool, on va le mettre dans le logiciel » et ça ne marche pas dans une version suivante.
Frédéric Couchet : Je précise que Dr. Dobb’s Journal, je ne sais pas si ça existe encore, en tout cas à l’époque c’était un journal dans lequel il y avait beaucoup de code, beaucoup d’informatique. Je précise que l’édition sur les logiciels de gestion de versions décentralisés, c’est dans Libre à vous ! 160 donc sur libreavous.org/160.
Donc le « déposer » est documenté mais pas le « glisser », que se passe-t-il ? En quoi cela vous bloque ?
Françoise Conil : Puisque ces choses-là existaient, je ne comprenais pas pourquoi les deux n’étaient pas documentées, puisque, forcément, ils avaient mis en œuvre les deux. Pourquoi ne documentaient-ils pas les deux ? Après, je ne vais pas épiloguer plus que ça, c’était un des trucs.
On a pu aussi discuter de la base de données que j’ai reprise et tout ce qui en découlait. J’avais récupéré une base de données Clipper à l’époque, ça tournait sous DOS, et il fallait la mettre sous Windows. Du coup, je choisis de rester avec les outils de la même société, Computer Associates, et je tombe sur des bugs. J’étais toute seule. À l’époque, toujours la même chose, pas d’Internet, pas de Stack Overflow, pas tout ce qu’on veut.
Frédéric Couchet : Stack Overflow c’est un site web sur lequel on trouve plein de réponses à plein de questions, notamment techniques.
Françoise Conil : J’appelle le support pour dire que j’ai ce problème-là, j’indique comment je fais. On me dit : « C’est un problème connu. – OK, très bien, mais comment je fais pour ne pas me prendre tous les bugs qui sont déjà répertoriés ? Est-ce que vous avez un endroit où sont recensés les problèmes ? ». Et là, mon interlocuteur me dit : « C’est l’expérience ! ». Je trouve ça assez désagréable comme réponse. Je suis toute seule à bosser là-dessus et je me dis que je n’ai pas vraiment envie de me prendre des murs comme ça. Je savais qu’on avait une alternative, Visual FoxPro, il y avait peut-être des trucs libres mais, à l’époque, je ne le savais pas. Je choisis donc de partir sur ça, parce que je savais que Microsoft fournissait ce genre de chose, des bases de problèmes qu’on recevait sur des DVD, sur lesquels on pouvait au moins essayer de retrouver les problèmes qu’on avait.
À l’époque on avait un contrat avec Microsoft, j’ai des chiffres en tête, j’espère qu’ils ne sont pas faux, ça m’avait marqué donc j’avais gardé ces chiffres : on avait un contrat à 100 000 francs, on pouvait poser 10 questions, ce qui fait qu’une question c’était 10 000 francs, 1 500 euros d’aujourd’hui, donc on réfléchit avant de poser une question.
Frédéric Couchet : On paye à la réponse à la question ou à la réponse reçue ?
Françoise Conil : Je tombe sur un bug embêtant, mais que j’arrive à reproduire dans les exemples qu’ils fournissaient. Je me dis on va poser la question, en plus c’est reproductible, ça va marcher. On commence à engager le processus. On me demande quel est mon OS et plein d’informations, je rentre un petit peu tout ça, et là je suis entrée dans une espèce de processus où je recevais une réponse toutes les semaines – ça c’est sûr, il y avait un suivi ; la première fois c’est « vous ne m’avez pas donné le numéro de version d’un truc dans le coin » ; première réponse c’est ça, une semaine après c’est « je ne reproduis pas votre problème sur Windows NT », mais j’étais sur 95, je l’avais dit !, etc., et ça dure un mois comme ça. J’en ai eu un peu assez parce que ça ne m’avançait pas.
Frédéric Couchet : On peut comprendre !
Françoise Conil : J’apitoie un admin de ma société qui me permet de me connecter à ce qu’on appelle des BBS à l’époque, des serveurs de chat.
Frédéric Couchet : BBS, bulletin board system, ce sont des serveurs sur lesquels on se connectait via des lignes téléphoniques à la fois pour partager des fichiers et aussi pour se connecter à des messageries pour échanger des messages avec les personnes. On pouvait chatter.
Françoise Conil : Et là, incroyable !, je me connecte sur ce BBS, je pose ma question et 20 minutes après j’ai la réponse ! 20 minutes ! Là c’est la magie de la communauté. Après j’ai évidemment demandé à ce que la question ne soit pas décomptée de notre contrat !
Frédéric Couchet : Pour ne pas payer 10 000 francs.
Françoise Conil : Ça fait partie des choses qui me sont restées très présentes. Cette force de la communauté qui apporte une réponse : This is a well-known bug and the workaround is ....
Frédéric Couchet : En plus une réponse gratuite.
Françoise Conil : Gratuite !
Frédéric Couchet : Et sans y passer un mois !
Françoise Conil : C’est un vécu. C’est cette force de la communauté qui fait qu’on a des Wikipédia qui sont des encyclopédies contrôlées par la communauté des personnes qui contribuent, dans lesquelles on a assez confiance parce que, si quelque chose d’erroné est écrit, on peut espérer que ça va être corrigé.
Frédéric Couchet : Tout à fait. Il y a une question sur le salon web concernant l’expression « faire des releases ». Une release est une version d’un logiciel ou d’un système.
C’est donc votre entreprise dans le privé. Vous vouliez faire des maths, vous vous retrouvez finalement à faire des commutateurs, de l’informatique, à découvrir les « joies », entre guillemets, de travailler des logiciels privateurs, avec des supports ultra-chers et qui, en plus, ne sont visiblement pas très efficaces.
Françoise Conil : Je raconte une anecdote de frustration. J’avais quand même le MSDN, la base de données des problèmes connus, qui était quelque chose de rassurant, d’assez professionnel. Il ne faut pas non plus brosser un tableau plus noir qu’il ne l’est. Pour moi c’était juste une petite comparaison, « tiens, c’est marrant, je pose une question sur un forum communautaire et j’ai un support intéressant. »
Frédéric Couchet : Avant de passer à votre parcours actuel, notamment dans le public, on va juste faire une pause musicale dans quelques instants. Est-ce que vous souhaitez rajouter quelque chose sur cette partie expérience dans le privé, juste avant qu’on fasse la pause musicale que vous avez choisie, je le précise, et qui est d’actualité. Sinon on peut passer directement à la pause musicale, comme vous voulez.
Françoise Conil : Si on passe après à la partie du CNRS, je vais parler de ce que je fais et de mes implications. À l’époque, dans la société, je m’étais impliquée dans le CE pour les commissions.
Frédéric Couchet : Dans le comité d’entreprise. D’accord.
On va faire une pause musicale qui a été choisie, je la remercie, par Françoise Conil et qui, en plus, est en plein dans l’actualité. Vous allez comprendre en écoutant ce titre. Nous allons écouter Grève angélique par KPTN. On se retrouve dans quatre minutes. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
Pause musicale : Grève angélique par KPTN.
Voix off : Cause Commune, 93.1.
Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Grève angélique par KPTN, disponible sous licence libre Creative Commons Partage dans les mêmes conditions, CC BY SA. C’est évidemment dans l’actualité, cette chanson parle d’anges déchus à la fin. Je vous rappelle qu’il y a des manifestations jeudi 19 janvier 2023, enfin la première manifestation parce que, évidemment, il y en aura d’autres.
[Jingle]
Frédéric Couchet : Étienne me rappelle qu’il y a grève, surtout grève, jeudi 19 janvier.
Nous allons reprendre le fil de notre discussion avec ce nouveau sujet principal, « Parcours libriste », avec Françoise Conil qui est ingénieure informaticienne en développement logiciel au CNRS.
Je rappelle que vous pouvez participer à notre conversation par téléphone au 09 72 51 55 46 ou sur le salon web dédié à l’émission, sur le site causecommune.fm, bouton « chat ».
J’en profite, avant de reprendre et d’enchaîner sur notre échange, pour faire un petit retour à Françoise en direct du salon. Quelqu’un nous dit : « On apprend plein de choses avec le parcours de Françoise Conil, bravo à elle et bravo aussi pour cette nouvelle rubrique, c’est passionnant ! ». Je trouve ça effectivement passionnant.
Juste avant la pause musicale on en était à votre parcours, à vos activités dans le privé. Finalement comme l’explique, je le rappelle, la super BD Les décodeuses du numérique du CNRS, à un moment vous avez candidaté pour un poste au CNRS. Première question : pourquoi, tout d’un coup, vous vous dites « je veux aller travailler au CNRS » ?
Françoise Conil : À l’époque j’étais dans les télécoms, je suis mon mari qui est recruté par une entreprise sur Lyon, dans les années 2001/2002, et on a l’éclatement de la bulle télécoms, la bulle internet. Je passe là une période très compliquée, j’envoie des centaines de lettres de candidature. On va dire que les postes télécoms étaient plutôt à Grenoble et, en plus, le secteur était très touché, je n’arrive pas à trouver facilement du travail à Lyon. Au bout d’un moment, je découvre qu’il y a des concours pour le CNRS et je passe le concours, en ne croyant pas nécessairement à mes chances parce que beaucoup de gens me disent « tu sais les postes sont souvent déjà pourvus, il y a déjà des gens sur le coup ». Pour y être, on a aussi beaucoup de gens qui sont sur des CDD, des choses comme ça, c’est vrai que, parfois, il y a déjà des gens qui sont dans la place, qui pratiquent le poste ou les missions, mais ce n’est pas une obligation. Donc j’y vais, mais de manière assez décontractée, parce que tout le monde me dit que ça ne va pas forcément fonctionner. En fait, non, ça a très bien marché.
Frédéric Couchet : D’ailleurs dans la BD vous dites, c’est page 46, « en 2004 j’ai passé un concours pour entrer au CNRS en tant qu’ingénieure. Malgré mon syndrome de l’imposture et ma timidité, je l’ai eu. » Donc vous avez à la fois ce syndrome de l’imposture, la timidité, est-ce que vous l’avez encore ou pas ?
Françoise Conil : Oui, ça reste. On dit souvent que c’est assez répandu chez les femmes, mais, pour le vivre, j’ai l’impression que c’est quand même assez répandu chez les gens que je pourrais côtoyer. Petit à petit je relève des témoignages d’assistants, de gens qui ont travaillé par exemple avec Bertrand Tavernier, le réalisateur, pour faire des films, je ne sais plus si c’était un dialoguiste, un scénariste, mais quelqu’un qui faisait du très bon travail et Tavernier racontait « il a donné sa démission dix fois, il dit "je ne vais pas y arriver, c’est trop pour moi" ». C’est incroyable de se dire que quelqu’un qui est à ce niveau-là a aussi des doutes. En fait, plus ça va plus je relève dans des belles carrières, des gens qui ont aussi ces doutes. Je trouve que c’est important de dire que même si ça a marché, même si on a réussi, il y a aussi, parfois, des moments de doute, même chez les gens qui réussissent bien. C’est bien qu’on voie que ça existe chez tout le monde, peut-être pas chez tout le monde, mais chez un certain nombre.
Frédéric Couchet : Par rapport à ça, vous répondez indirectement à une question sur le salon web, je vais la relayer : est-ce que le syndrome de l’imposture est dû au genre féminin, ou pas ?
Françoise Conil : Je pense qu’il y a beaucoup de femmes qui ont un manque de confiance, nous sommes plusieurs à le penser. Est-ce que manquer de confiance est lié à des vécus ? Dans mon école d’ingénieure, un prof d’informatique a dit la première année : « Les filles ne comprendront jamais rien à l’informatique, j’en veux pour preuve la moyenne des filles versus la moyenne des garçons ». J’ai trouvé que c’était un peu trop gros pour y accorder crédit. Mai si vous avez, au fil du temps, des petits messages comme ça, des remarques…
Frédéric Couchet : Ça s’imprègne dans le cerveau.
Françoise Conil : Quand j’étais dans le privé, je décroche le téléphone d’un collègue et la personne en face me dit : « Je veux parler à monsieur machin. — Il n’est pas là. — Vous n’avez qu’à prendre son agenda ! »
Frédéric Couchet : On suppose que vous êtes son assistance.
Françoise Conil : Ce genre de choses auxquelles on peut être confrontée au fil du temps évidemment ça énerve, mais est-ce que ça n’a pas un impact aussi dans la confiance ? C’est possible.
Frédéric Couchet : Au CNRS, le Centre national de la recherche scientifique, vous travaillez avec des chercheuses et des chercheurs, quelle est votre activité ? Quel est votre job en gros ?
Françoise Conil : Au démarrage, mon job était plutôt de m’occuper du parc informatique, des différents ordinateurs, installer, ré-installer, mettre le matériel à disposition et travailler dans le système d’information, notamment sur le site web, pendant longtemps, pendant plusieurs années, je me suis occupée de faire évoluer le site web du labo.
C’est un laboratoire de recherche en informatique, c’est passionnant parce qu’on est avec des chercheurs informaticiens et c’est extrêmement riche. Ma troisième mission c’est de travailler sur les projets de recherche des chercheurs et de développer les parties qui ne sont pas les parties qui comportent la partie recherche, soit de packager, soit de travailler à la reproductibilité du code. Il y a plein de choses à faire pour qu’eux puissent se concentrer sur la partie algorithme et leur recherche.
Frédéric Couchet : Donc vous apportez la compétence ou l’expertise informatique. Est-ce que vous utilisez des langages de programmation particuliers, des environnements particuliers pour ça ?
Françoise Conil : C’est en arrivant au CNRS que j’ai beaucoup plus baigné dans le logiciel libre.
Frédéric Couchet : C’est là que vous l’avez découvert en grande partie.
Françoise Conil : C’est là que j’ai eu l’occasion de le découvrir et de commencer à me former, du moins à apprendre des connaissances dessus. Les serveurs étaient sous Debian, une distribution libre. Sur les postes il y avait Windows, souvent il y avait un double démarrage, je ne me souviens plus si c’était aussi Debian à l’époque.
Frédéric Couchet : Le double démarrage permet de démarrer l’ordinateur sur un système ou un autre. C’est pratique si on veut migrer vers un système libre tout en gardant un environnement privateur tel que Windows pour tester. Et quels sont les langages de programmation ?
Françoise Conil : C’est extrêmement variable parce que ça dépend complètement de chaque chercheur. Dans le privé j’ai beaucoup travaillé en C, en Pascal, et dans le public j’ai fait un peu de C++, j’ai fait pas mal de Python.
Frédéric Couchet : Aviez-vous appris ces langages à l’école ou pas ?
Françoise Conil : On avait fait du C.
Frédéric Couchet : Mais, finalement, vous avez appris les autres après. C’est intéressant parce que dans les métiers de l’informatique il y a une évolution constante.
Françoise Conil : C’est tout le temps en mouvement, il y a du changement.
Frédéric Couchet : D’ailleurs est-ce que c’est bien ou c’est mal ?
Françoise Conil : C’est passionnant. Il y a deux côtés : c’est passionnant parce que ce n’est pas statique et ça peut être fatigant parce que, parfois, ça change trop, ça va vite, c’est pour ça qu’à un moment j’avais parlé d’une musique qui s’appelait Trop vite. Il y a des modes et ces modes passent. On a parfois le sentiment d’une accélération, de quelque chose qui va très vite quand même, mais c’est très intéressant parce que, justement, on apprend tout le temps. Et l’informatique est un métier créatif, parce qu’on imagine, on doit réfléchir à ce qu’on va créer, à ce qu’on va coder, c’est vraiment très satisfaisant de ce point de vue là.
Frédéric Couchet : Vous disiez tout à l’heure que dans l’entreprise privée vous étiez en équipe pour travailler sur le code. Au CNRS, dans ce labo, est-ce que vous êtes toute seule dans la partie informatique ou est-ce que vous travaillez avec des collègues ?
Françoise Conil : C’est assez variable. Souvent on n’est pas très nombreux sur les projets. Par exemple, dans mon laboratoire, nous sommes 350, nous sommes peut-être une dizaine d’ingénieurs maintenant, ce qui a évolué au fil du temps. Pour travailler sur les projets des chercheurs, s’occuper du système d’information, etc., ça ne fait pas forcément des gens à mettre en continu partout. En fait, on est rarement deux ingénieurs sur une même mission et on travaille plutôt en petite équipe avec les chercheurs, les doctorants, les post-doctorants, les étudiants. Ce sont plutôt de plus petites équipes que ce que j’ai pu avoir dans l’industrie.
Frédéric Couchet : D’accord.
Imaginez-vous faire ce métier de développeuse jusqu’à la fin ? Souvent, enfin de temps en temps, des gens disent que le métier de développement est juste une étape avant de passer à autre chose. J’ai l’impression que vous vous le considérez vraiment comme une activité qui vous passionne, que vous avez envie de faire jusqu’à « la fin », entre guillemets.
Françoise Conil : Ça me plaît d’autant plus maintenant qu’on a Internet et tout ce qui est logiciel libre, on a, en fait, une richesse de ressources, une richesse de logiciels libres, une richesse de projets ouverts dont on peut voir le code, sur lesquels on peut apprendre des tas de choses, une richesse de systèmes de formation, c’est-à-dire des MOOC, des Wikipédia, des blogs. Les MOOC, Massive Open Online Courses.
Frédéric Couchet : Des cours massifs en ligne sur différents sujets.
Françoise Conil : Sur France Université Numérique, par exemple, vous avez plein de cours en ligne auxquels vous pouvez vous inscrire. Vous avez beaucoup de ressources, comme je disais tout à l’heure. Grâce à Internet on peut explorer, on peut se sentir moins bloqué qu’à une certaine époque où on n’avait pas tous ces outils de communication. Ça reste un métier où on a la satisfaction de créer des applications et, parfois, de pouvoir créer des choses qui sont utiles à la société.
Avec Sarah, que vous avez invitée ici, nous avons eu l’occasion de travailler sur un projet de données Covid pour l’INSERM [Institut national de la santé et de la recherche médicale] pendant la pandémie. On a aidé un laboratoire qui avait des processus assez manuels de récupération de données et qui, au moment de la pandémie, s’est retrouvé à ne pas passer à l’échelle. Ils avaient besoin de récupérer les métadonnées, les données sur les protocoles d’essais cliniques, pour analyser les essais cliniques qui sont faits dans le monde. Il y a des registres nationaux ou multinationaux et ils vont aller récupérer tout ce qui a été fait dans le monde pour voir si, au hasard, l’hydroxychloroquine marche ou ne marche pas.
Ils récupéraient les données de l’OMS, en CSV, et après ils allaient chercher des données complémentaires sur les différents registres, mais ils faisaient les recherches de données complémentaires à la main, ce qui était laborieux, et ça ne passait plus avec la pandémie où, là, il y a eu une explosion des études, évidemment. Ils ont demandé de l’aide au CNRS qui a accepté que le personnel qui travaille dans ses unités collabore sur ces projets. On a des personnels qui sont, comme moi, au CNRS, mais on a aussi des gens qui travaillent dans des laboratoires, dont le CNRS est la tutelle, mais qui sont des personnels de l’université. C’est là qu’avec Sarah nous avons travaillé sur ce projet.
Frédéric Couchet : Je rappelle que c’est Sarah Cohen-Boulakia.
Avant de poser une question en réaction et aussi pour vous permettre de respirer un petit peu, je précise que l’OMS c’est l’organisation mondiale de la santé et CSV est un format de fichier, en gros c’est un tableur dans lequel il y a un certain nombre de données et ce format permet de les importer dans différents logiciels.
Je ne sais plus quelle expression vous avez employée il y a un instant, mais ça m’a fait penser au titre de la BD, je suppose que ce n’est pas vous qui l’avez choisi, en général ce ne sont pas les personnes qui sont interviewées qui choisissent les titres. J’ai trouvé ça intéressant, je vais le redire, c’est « Françoise Conil, coder pour un monde meilleur ». Est-ce que vous vous retrouvez dans cette définition et finalement, si je comprends bien, le fait d’avoir un impact sociétal, politique sur le monde est-il important pour vous ?
Françoise Conil : Oui, c’est une motivation, ça c’est clair.
Frédéric Couchet : Une grande motivation.
Françoise Conil : Je n’ai aucune envie de travailler pour un organisme qui collecterait des données privées, ça ne me ferait pas plaisir. Après il y a forcément des moments, dans son travail, où on est amené à travailler sur des projets qui nous plaisent plus ou moins. Je ne jette pas la pierre, c’est trop facile, mais je suis ravie d’avoir eu l’opportunité de travailler sur des projets utiles à la communauté.
Frédéric Couchet : Je lis encore une fois la bande dessinée : « Je suis une grande militante du logiciel libre ». Concrètement, comment se matérialise cette militance ?
Françoise Conil : Sur ma machine, à titre personnel comme à titre professionnel, j’utilise des logiciels libres et je trouve que ça répond très bien aux besoins que j’ai, ça me permet de faire tout ce dont j’ai besoin. Je ne souhaite pas utiliser des logiciels fermés ou des logiciels dont on sait qu’ils accaparent beaucoup de données personnelles dans un but qui ne me plairait pas nécessairement. C’est pour ça que je n’aime pas que l’on m’envoie des liens Zoom, je n’aime pas qu’on m’envoie un docx ; par exemple, j’utilise LibreOffice. Si j’envoie un mail à quelqu’un dont je ne sais pas s’il a le logiciel, je vais lui envoyer un pdf ! Je propose que les gens n’envoient pas un format fermé, même si LibreOffice va arriver à l’ouvrir. Quand on a des alternatives qui fonctionnent bien, j’aime autant qu’on utilise des solutions ouvertes comme BBB [BigBlueButton]. On a Jitsi au sein de l’ESR qui marche très bien sur un petit nombre. Je peux aussi comprendre que, sur des besoins particuliers, on puisse faire des choix particuliers, mais souvent nous ne sommes pas 200 personnes, sauf pour les cours.
Frédéric Couchet : Tout à fait. Je vais juste préciser que BBB et Jitsi sont deux logiciels libres de visioconférence et ESR, je suppose que c’est Enseignement supérieur et la Recherche.
Là c’est une militance un peu professionnelle. Comment se passe la militance au sein de la famille ? Est-ce qu’il y a une militance au sein de la famille, avec votre mari et vos enfants ?
Françoise Conil : Oui. Au bout d’un moment quand j’étais assez familière, surtout quand sont apparues des distributions comme Ubuntu qui facilitent l’installation, j’ai choisi d’installer les postes de la maison avec ce système d’exploitation. À la maison c’est bien sûr Ubuntu, LibreOffice, etc. Ça s’est bien passé pour mon mari. On va dire que le meilleur allié a été Windows Vista qui était sur le portable qu’on avait acheté. C’était donc une version de Windows qui a été très mal vécue par beaucoup d’utilisateurs. Mon mari m’a dit « tu m’as parlé d’un truc », j’ai dit « si tu veux on installe ». Pour la bascule, le meilleur allié a été clairement ça.
La difficulté que j’ai eue c’est avec les enfants, quand ils sont amenés au collège, au lycée, à collaborer avec les autres pour faire des documents communs. Mes enfants n’ont pas choisi d’être dans cet environnement-là, donc ils me reprochent, éventuellement, qu’ils n’arrivent pas bien à éditer le docx, que c’est tout cassé après.
Frédéric Couchet : Ou inversement quand ils envoient un fichier fait avec LibreOffice, les autres ne savent pas faire.
Françoise Conil : N’étant pas à la source du militantisme, ils ne vont pas forcément dire aux autres « tu n’as qu’à installer », et c’est normal. C’est une période où ça les a peut-être un peu contrariés sur les moments où ils avaient à faire ça. Je pense que maintenant on a des solutions : les enfants peuvent travailler sur des Nextcloud, sur OnlyOffice, ils peuvent collaborer sur des solutions en ligne, libres, et ne plus avoir ces problèmes-là.
Frédéric Couchet : D’autant plus qu’actuellement l’Éducation nationale propose des applications basées sur Nextcloud, qui est un outil de gestion de documents, de fichiers, etc., en ligne, disponible pour les enseignants et pour les élèves.
Gee, tu voulais réagir, poser une question.
Gee : Moi aussi j’ai ce truc d’installer, bien sûr, GNU/Linux un peu partout. Est-ce que ça ne vous met dans une position de devenir la mainteneuse générale de l’informatique à la maison ?
Françoise Conil : Si.
Gee : Je fais ça chez moi, mais je ne l’ai jamais fait pour ma famille, par exemple pour mes parents ou ma sœur, parce que j’ai peur, justement, de devenir la personne référente. En général, les gens qui ont un Windows se débrouillent un peu par eux-mêmes et tout le monde a un peu Windows, mais, quand on a GNU/Linux, on devient un peu la personne qu’ils viennent voir.
Françoise Conil : Je ne l’ai pas fait sur un cercle large parce que ça poserait effectivement ce problème. Pour mes enfants, qui ont terminé leurs études supérieures, je n’avais quand même pas été méchante jusqu’au bout, j’avais acheté une box, ils avaient quand même la possibilité de jouer sur une box, pour ne pas tout leur enlever. Quand ils ont fait leurs études, on leur a acheté un portable et, au début, ils étaient très contents, ils avaient enfin Windows dessus, ils allaient avoir les mêmes outils que les autres et tout ça. Au bout de six mois mes deux enfants ont installés un double démarrage pour pouvoir travailler sous GNU/Linux. Il faut voir aussi que parfois, dans les études, on a besoin de certains logiciels un peu particuliers qui sont utilisés en enseignement et qui vont tourner sous Windows. Mon fils continue à tourner purement en Ubuntu et ma fille est passée plutôt sur Mac pour des facilités, parce que c’est plus simple pour elle.
Mes enfants savent qu’il y a ces alternatives et par exemple ma fille, quand elle veut faire certains documents, elle utilise Scribus. Ils savent ce qu’est le logiciel libre, ils savent qu’ils peuvent faire des choix et c’est ce que j’aimerais que tout le monde puisse savoir.
Frédéric Couchet : Je précise que Scribus est un logiciel libre de mise en page.
Quand vous dites que vous aimeriez que tout le monde puisse savoir que ça existe, est-ce que vous pensez plus spécifiquement à l’école ?
Françoise Conil : Oui, clairement, qu’on fasse attention à ne pas enfermer les gens dans un mono-système où ils ne sauraient pas qu’il y a des alternatives existantes qui sont peut-être moins connues. Je pense que la plupart des gens savent qu’il y a Windows et Mac mais beaucoup, dans le grand public, ne savent pas nécessairement ce qu’est GNU/Linux, les possibilités qu’il y a, comment ça fonctionne. Ce n’est pas que ça serait facile, peut-être qu’ils ne feront pas ce choix, mais on sait que ça existe. Comme moi, quant au début il y avait Linux, qu’il fallait compiler, etc., ce n’était pas évident. Je n’avais pas choisi de plonger à ce moment-là vers le logiciel libre, mais quand c’est devenu plus facile de mon point de vue, j’ai pu y passer. J’avais acquis des compétences, j’ai aussi eu la chance d’avoir pu les acquérir dans mon boulot, il faut reconnaître. On a aussi des install-parties qui se déroulent dans différentes villes pour aider les gens à appréhender, à découvrir, pas forcément changer leur système, mais au moins savoir qu’ils peuvent installer un certain nombre de logiciels qui sont libres et qui existent.
Je pense que c’est bien que les personnes sachent qu’il y a des logiciels qu’elles peuvent acheter, mais qu’il y a aussi des options libres qu’elles peuvent tester et évaluer pour voir si ça répond à leurs besoins.
Frédéric Couchet : Je vais préciser que les install-parties sont des évènements où des gens qui connaissent bien les logiciels libres vous accueillent pour vous aider à une prise en main des logiciels libres, soit installer des logiciels libres, soit installer complètement un système, et surtout qui font l’accompagnement des premiers pas. Si vous allez sur le site de l’Agenda du Libre, agendadulibre.org, vous pouvez retrouver un certain nombre d’évènements de ce genre. Il y en aura notamment beaucoup en mars et en avril dans le cadre du Libre en Fête. On aura l’occasion d’en reparler.
Le temps passe très vite à la radio, comme je vous l’avais dit, ça file. Il nous reste quand même quelques minutes.
On a mis sur la page web de l’émission, sur libreavous.org et sur causecommune.fm, un certain nombre d’activités que vous faites, vos participations. On ne va pas toutes les lister, on aura une deuxième émission.
Peut-être, par exemple, les actions de médiation de votre laboratoire, je vois notamment « présentation de votre métier à des élèves de troisième en stage d’observation ». Comment ça se passe ? Qui accueillez-vous ?
Françoise Conil : On accueille des élèves de troisième. Souvent, évidemment, comme dans beaucoup d’endroits, ça va être des enfants du personnel, ça va être des enfants des voisins, des connaissances qui disent « mon fils a envie de voir l’informatique » ou « ma fille », malheureusement c’est souvent « mon fils », c’est beaucoup moins souvent « ma fille » et ça fait partie des actions que je veux essayer de favoriser, essayer d’accueillir plus de filles à ce stade-là pour qu’elles découvrent ce qu’est l’informatique, qui y travaille, justement comme sur la BD, qu’elles voient les profils, qu’il y a plein de femmes qui y travaillent, que ce n’est pas réservé aux hommes. On leur montre les différents aspects, on va leur montrer le système d’information. Je vais leur expliquer quels sont les outils que j’utilise en tant que développeuse. On va faire un petit peu de programmation web. Pendant longtemps on a fait du Scratch, j’ai aussi formé quelques professeurs de collège. Maintenant Scratch est utilisé à l’école, donc on ne va pas leur refaire ce qu’ils font déjà. On essaye de leur présenter un petit peu de Python, un peu de manipulation de données aussi. Je suis ouverte à toute idée. On leur montre aussi les plateformes du laboratoire, comment fonctionnent les serveurs. Mes collègues administrateurs vont, par exemple, démonter un disque dur et on va voir comment c’est fait pour ces anciens disques durs, maintenant ça change, ça va être des SSD, ce sera peut-être moins visible. On peut faire tout un tas de choses assez concrètes. On peut aussi montrer les métiers du laboratoire, tous les gestionnaires administratifs, voir un peu ce qu’ils font au quotidien dans la gestion du laboratoire. C’est un stage d’observation, on leur montre, on peut les faire manipuler un petit peu s’ils en ont envie, si on peut, si on a les machines.
Frédéric Couchet : D’accord. Vous êtes aussi une militante à ce niveau-là quelque part. Je vais préciser que Scratch est un logiciel libre d’apprentissage de la programmation de manière graphique, de manière visuelle, qui est développé par le MIT, l’Institut de technologie du Massachusetts.
Le temps file très vite, je ne suis pas sûr qu’on va faire une pause musicale, je préviens la régie et la personne qui intervient après.
Est-ce que vous auriez un dernier sujet que vous voudriez aborder rapidement ? Je précise quand même que Françoise avait préparé beaucoup de sujets. Elle reviendra pour approfondir.
Françoise Conil : Dans les activités de médiation on a aussi tout ce qui est informatique sans ordinateur, informatique débranchée, où on montre un peu les concepts informatiques mais sans le faire sur ordinateur. C’est assez sympa de faire ça, ça fait partie des liens que je vous ai transmis. Il y a bien sûr des associations comme Femmes & Sciences, etc., où il s’agit d’accueillir des lycéennes, pareil, pour leur parler, leur montrer notre parcours, comme je fais là, et de montrer que ce n’est pas réservé à un genre.
Frédéric Couchet : Ce n’est pas réservé à un genre et c’est vraiment très important de faire ce genre de chose. On aura d’ailleurs bientôt une émission sur le recrutement en informatique : comment engager des femmes et comment les garder, parce que la difficulté c’est aussi de les garder, la date n’est pas encore fixée, on vous tiendra évidemment au courant.
Je sais que la question est toujours délicate, la dernière question, là ça va être l’avant-dernière. En général, la question qu’on pose est « est-ce qu’en moins de deux minutes, vous pouvez résumer les principaux messages que vous vouliez faire passer ? » Qu’est-ce qui vous tient à cœur ?
Françoise Conil : Je vais redire ce que j’ai apprécié autour du Libre : l’ouverture, la liberté et la richesse qu’apportent les logiciels libres, les encyclopédies en ligne, tout ce à quoi on peut avoir actuellement accès.
Ce sont aussi des logiciels dans lesquels on peut avoir plus confiance pour le respect de la vie privée. On parle beaucoup de la collecte des données : si vous vous connectez à un site à un web et que vous êtes obligé de décocher 40 cases de partenaires commerciaux, ce sont quand même des choses qui ne sont pas très agréables.
Ça permet de développer la curiosité parce qu’on a accès à beaucoup de choses.
Je dirais aussi une chose : soyez bienveillants avec les personnes qui proposent et maintiennent les logiciels libres. On ne peut pas exiger d’elles qu’elles corrigent, qu’elles fassent évoluer telle ou telle chose. Ce sont souvent des gens qui ne le font pas de façon professionnelle, qui le font sur leur temps libre. Gardez en tête, quand vous utilisez un logiciel libre, que ce n’est pas un dû que d’exiger des fonctions, des évolutions et des corrections.
Frédéric Couchet : C’est un bon rappel.
La dernière question qu’on pose rarement, mais vu la thématique, « Parcours libriste », ça me paraît intéressant : est-ce que vous auriez un ou deux conseils de lecture ou de podcast, que ce soit en rapport avec votre activité, avec le Libre ou pas. Faites-vous plaisir !
Françoise Conil : J’ai un vieux livre de science-fiction, qui date, je crois, des années 50, de Marion Zimmer Bradley, qui a été cité dans une conférence, que j’ai acheté il n’y a pas longtemps, qui s’appelle La vague montante. Ce sont des humains qui quittent la Terre, qui vont sur une autre planète, leur vaisseau est endommagé par le voyage. Sur cette planète ils mettront longtemps avant de pouvoir remettre le vaisseau en service et ils reviennent sur la Terre au moins quelques siècles plus tard. Ils pensent que la Terre est devenue encore plus évoluée, etc. On va voir ce qu’ils découvrent. C’est un livre très court, il fait 130 pages, et qui est très sympa à lire.
Frédéric Couchet : D’accord. Un deuxième conseil.
Françoise Conil : En ce moment je suis en train de regarder une série qui s’appelle OVNI(s), sur un bureau de signalement de phénomènes Ovni au CNES [Centre national d’études spatiales]. C’est une série qui se passe dans les années 1970/80 et c’est rigolo parce qu’il y a plein de clins d’œil à une époque qu’on a vécue ; je la trouve très rigolote et pas angoissante.
Frédéric Couchet : Je ne la connais pas, mais j’en ai entendu beaucoup de bien. Donc OVNI(s). Et moi je vous conseille vraiment la lecture de la BD Décodeuses du numérique, publiée aux Éditions CNRS ; elle vaut 6 euros, il y a 12 portraits de femmes très diverses, très variées, vous pouvez l’acheter pour la lire ou l’offrir – je l’ai offerte à plusieurs personnes. Les histoires sont passionnantes, l’illustratrice est de grand talent, elle a su mettre une pointe d’humour dans tout ça, c’est vraiment à conseiller.
Françoise Conil : Sachez aussi, quand même, si vous ne pouvez pas l’acheter, qu’elle est accessible sur le site des décodeuses du numérique au format pdf. J’ajoute que Léa Castor est quelqu’un de formidable, très militante, que sa BD suivante est sur l’IVG.
Frédéric Couchet : Très bien. Dernière question, parce que notre libraire qui écoute, Bookynette, demande quel est le titre du livre de Marion Zimmer Bradley ?
Françoise Conil : La vague montante.
Frédéric Couchet : Je salue Bookynette qui est libraire et qui est aussi présidente de l’April. On la salue.
Franchement Françoise, je pense que ce que je vais dire sera partagé, j’ai trouvé cet échange passionnant. Je vous remercie d’autant plus d’avoir été la première à accepter ce nouveau format, malgré, comme vous le disiez tout à l’heure, votre timidité, malgré le fait que ce soit toujours compliqué de parler de soi. Je n’aimerais pas être à votre place ! Ça a été franchement super. Je vous remercie.
Françoise Conil : Merci à vous.
Frédéric Couchet : On ne va pas faire de pause musicale vu qu’on a un petit peu dépassé le temps, on va simplement faire le jingle le temps de récupérer notre intervenant suivant.
[Virgule musicale]
Chronique « Pépites libres » de Jean-Christophe Becquet sur l’archive HAL et la science ouverte, en mémoire d’Aaron Swartz
Frédéric Couchet : Texte, image, vidéo ou base de données, sélectionné pour son intérêt artistique, pédagogique, insolite, utile, Jean-Christophe Becquet nous présente une ressource sous une licence libre. Les autrices et auteurs de ces pépites ont choisi de mettre l’accent sur les libertés accordées à leur public, parfois avec la complicité du chroniqueur. C’est la chronique « Pépites libres » de Jean-Christophe Becquet, vice-président de l’April. Le thème du jour : l’archive HAL et la science ouverte, en mémoire d’Aaron Swartz.
Jean-Christophe, tu es au téléphone ?
Jean-Christophe Becquet : Oui. Bonjour à tous, bonjour à toutes et bonne année pour commencer.
Aaron Swartz était un fervent défenseur des libertés numériques et de la culture libre. À peine âgé de 13 ans, il reçoit l’ArsDigita Prize pour son projet The Info Network, une encyclopédie éditée par les internautes avant l’invention de Wikipédia. Il est l’auteur de nombreux textes sur les enjeux sociétaux du droit d’auteur et la liberté d’accès à la connaissance. Il participe également à la rédaction des licences Creative Commons. C’est un précurseur de l’open data et de la science ouverte. Il télécharge plusieurs millions d’articles scientifiques disponibles sur le site de JSTOR [Journal Storage], pour les mettre gratuitement à la disposition de tous. Cette action lui vaut un procès pour violation du Computer Fraud and Abuse Act. Poursuivi par la justice fédérale américaine, il encourt jusqu’à 35 ans de prison. Il met fin à ses jours le 11 janvier 2013 à l’âge de 26 ans. Sa disparition est un drame humain et une immense perte pour les communautés du Libre et de l’Internet ouvert. Je voudrais lui dédier cette chronique.
J’ai eu la chance d’assister, en décembre 2022, aux Open Science Days à l’UGA, l’Université Grenoble Alpes. La conférence de Sylvain Corlay, sur l’avenir du projet Jupyter, m’a donné envie de l’inviter pour un sujet long dans Libre à vous ! sur ce logiciel libre très utilisé dans l’enseignement et la recherche. On en reparle bientôt. Je retiens également l’intervention de Mélanie Clément-Fontaine intitulée « Licence libre, Open data et science ouverte : de quoi parle t-on ? » et celles de Roberto Di Cosmo sur Software Heritage ou encore de Gaël Varoquaux sur « Logiciel libre et science ouverte dans la cité ». Vous pouvez retrouver les supports et prochainement les vidéos de ces journées sur le site de l’événement dont je donne l’adresse dans les références de l’émission du jour.
Ces conférences m’ont véritablement donné envie d’actualiser mes connaissances sur la science ouverte, notamment un site portail bien familier pour les chercheurs, quelle que soit leur discipline, HAL.
HAL, pour Hyper Articles en Ligne, est le principal dépôt d’archives pour la recherche en France. D’après une note dans l’article Wikipédia consacré à la plateforme, l’acronyme HAL aurait été choisi en référence à l’ordinateur HAL 9000 du film 2001, l’Odyssée de l’espace de Stanley Kubrick. Le site est accessible à l’adresse hal.science. Son objectif, affiché en page d’accueil, est de « Partager librement les savoirs ».
Chaque document sur HAL est indexé avec des métadonnées pour faciliter la recherche : auteur, affiliation, titre, date de publication, mots clés, résumé. HAL fournit également un identifiant unique, idHAL, qui permet de résoudre les problèmes d’homonymies. Chaque auteur peut créer un CV en ligne avec la liste de ses publications. Un article déposé sur HAL n’est pas forcément soumis à la revue par les pairs. L’archivage sur la plateforme ne se substitue donc pas à la publication dans une revue à comité de lecture.
Un peu comme sur Wikimedia Commons pour Wikipedia, MédiHAL est destiné aux images, vidéos et sons produits dans le cadre de la recherche scientifique. HAL permet également le dépôt de logiciels développés dans le cadre d’une activité de recherche. Elle est connectée à Software Heritage.
La plateforme revendique aujourd’hui plus d’un million de documents scientifiques. Cela en fait un excellent observatoire de la science ouverte en France. Selon le site Ouvrir la Science du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, « la science ouverte est la diffusion sans entrave des résultats, des méthodes et des produits de la recherche scientifique. Elle s’appuie sur l’opportunité que représente la mutation numérique pour développer l’accès ouvert aux publications et – autant que possible – aux données, aux codes sources et aux méthodes de la recherche ».
Toutes les publications déposées sur HAL ne sont pas sous licence libre, mais on constate, ces dernières années, une évolution des organismes de tutelle en faveur de l’ouverture. Ainsi, l’Agence nationale de la recherche dispose d’un portail sur HAL. Dans le cadre de sa politique en faveur du libre accès aux publications et aux données de la recherche, elle demande à ce que les travaux issus de ses projets soient partagés sous licence Creative Commons BY.
Plus récemment, c’est le CNRS qui encourage ses chercheurs à ne plus céder leurs droits d’auteur aux éditeurs des revues et à utiliser plutôt la licence Creative Commons BY. Dans son article pour Next INpact, Martin Clavey rappelle que cette licence permet « à tout un chacun de rediffuser, traduire ou réutiliser à d’autres fins le travail des chercheurs du CNRS. »
Ce mouvement semble mondial. Aux États-Unis, une dizaine d’agences fédérales, dont la NASA et le NIH [National Institutes of Health], ont déclaré 2023 année de la science ouverte.
Après des décennies d’enclosure, sommes-nous à l’aube d’une véritable ouverture des résultats de la recherche scientifique ?
Frédéric Couchet : Eh bien, nous l’espérons, Jean-Christophe. Je voulais juste préciser que nous avons déjà parlé dans l’émission Libre à vous ! de science ouverte, de Software Heritage qui archive les logiciels du monde entier. Je ne vais pas vous donner tous les numéros, vous allez sur libravous.org, vous mettez les mots-clés « science ouverte », « Software Heritage ». Je précise juste, comme tu as dédié ta chronique à Aaron Swartz, que c’était le sujet principal de l’émission de la semaine dernière, animé et préparé par Gee, avec Flore Vasseur et Amélie Guiton, qu’on peut retrouver d’ores et déjà le podcast sur libravous.org/164 et la transcription qui a été faite par le groupe Transcriptions.
Dernière précision : tu as parlé de Martin Clavey, qui est journaliste scientifique et qui a rejoint récemment la rédaction de cet excellent magazine en ligne qui s’appelle Next INpact. Voilà les précisions que je voulais apporter.
J’ai vu Françoise Conil hocher de la tête plusieurs fois pendant ton intervention. Est-ce que voulez-vous ajouter quelque chose, Françoise ?
Françoise Conil : HAL est un outil important pour nous, surtout qu’on a quand même une obligation d’avoir toutes les publications de plus en plus sur HAL. Les chercheurs sont évalués sur ce qu’ils ont fait, entre autres, en publications, donc les publications vont être extraites de HAL, ce qui pousse et incite les gens à devoir utiliser aussi cette plateforme, parce que c’est là que vont être automatiquement récupérées les publications pour voir leur activité de publication.
Frédéric Couchet : D’accord, merci Françoise.
Jean-Christophe, est-ce que tu veux rajouter quelque chose ?
Jean-Christophe Becquet : Oui. Ce dont témoigne Françoise, c’est effectivement ce que m’ont témoigné les chercheurs que j’ai pu rencontrer, avec qui j’ai pu échanger lors des Open Science Days. Ce journaliste de Next INpact dont tu parles, Martin Clavey, était également présent aux rencontres, donc de très beaux échanges sur les licences libres.
J’espère qu’on pourra, dans une prochaine émission, inviter Sylvain Corlay à parler du projet sur lequel il travaille, le logiciel Jupyter, un logiciel libre très utilisé dans l’enseignement et la recherche. La manière dont il en parle m’a vraiment donné envie de lui offrir le micro dans Libre à vous !
Frédéric Couchet : Jean-Christophe, c’est parfait, on prend note. En tout cas, le micro t’est ouvert pour préparer ce sujet.
C’était la chronique « Pépites libres » de Jean-Christophe Becquet, vice-président de l’April. Au mois prochain pour ta nouvelle chronique, Jean-Christophe, et belle journée à toi.
Jean-Christophe Becquet : Merci, bonne fin d’émission et au mois prochain.
Frédéric Couchet : Nous approchons de la fin de l’émission, nous allons terminer par quelques annonces.
[Virgule musicale]
Quoi de Libre ? Actualités et annonces concernant l’April et le monde du Libre
Frédéric Couchet : Chères auditrices et auditeurs, nous avons besoin de vous, encore. Nous vous demandons simplement cinq minutes de votre temps. L’équipe de l’émission souhaite en effet vous connaître et vous propose un questionnaire. Vos réponses à ce questionnaire sont très précieuses pour nous, elles nous permettront d’évaluer l’impact de notre émission et de mieux vous connaître. De votre côté, ce questionnaire est une occasion de nous faire des retours. Il est notamment particulièrement important pour nous d’avoir des réponses de la part de personnes qui nous écoutent sur la bande FM ou en DAB+.
L’émission du jour va se terminer dans quelques minutes. Dès la fin de l’émission, prenez juste cinq minutes pour répondre au questionnaire. Nous allons bientôt fermer le questionnaire. Pour répondre, rendez-vous tout simplement sur le site libravous.org, et c’est le premier lien qui est affiché sur la page.
Participez et, ensemble, continuons d’améliorer notre émission.
Dans les annonces, la parution de la nouvelle édition du Guide d’autodéfense numérique, un guide qui fournit conseils et recettes adaptées pour s’orienter dans les méandres parfois hostiles de la jungle numérique. C’est sur guide.boum.org. Sa version papier sera publiée aux éditions tahin party, en librairie à partir du 27 janvier 2023, nous aurons l’occasion de vous en reparler.
Je vous rappelle que sur l’Agenda du Libre vous avez l’ensemble des événements à venir.
Je vais juste parler rapidement des Rencontres Hivernales du Libre 2023, qui auront lieu fin janvier en Suisse.
Il y a aussi un apéro April le 27 janvier, à partir de 19 heures à Paris.
Il y a un rendez-vous Spip chez nos amis en Bretagne, donc le 27 janvier à Brest.
Ce vendredi 20 janvier, à Beauvais, il y a une table ronde sur le domaine de l’éducation en présence de Magali Garnero, présidente de l’April.
Pour tous les autres événements, vous allez sur le site de l’Agenda du Libre, agendadulibre.org, vous y trouverez les références sur tous ces événements et bien d’autres.
Notre émission se termine.
Je remercie les personnes qui ont participé à l’émission du jour : Gee, Françoise Conil, Jean-Christophe Becquet.
Cette 165e émission a été mise en onde par Étienne Gonnu. Merci Étienne.
Merci également aux personnes qui s’occupent de la post-production des podcasts : Samuel Aubert, Élodie Déniel-Girodon, Lang1, Julien Osman, Olivier Grieco, Quentin Gibeaux.
Vous retrouverez sur notre site web libreavous.org, toutes les références utiles ainsi que sur le site de la radio, causecommune.fm. N’hésitez pas à nous contacter.
Si vous préférez nous parler, vous pouvez nous laisser un message sur le répondeur de la radio pour réagir à l’un des sujets de l’émission, pour partager un témoignage, vos idées, vos suggestions, vos encouragements ou pour nous poser une question. Le numéro du répondeur est 09 72 51 55 46.
Nous vous remercions d’avoir écouté l’émission. Si vous avez aimé cette émission, n’hésitez pas à en parler le plus possible autour de vous et à faire connaître également la radio Cause Commune, la voix des possibles.
La prochaine émission aura lieu en direct mardi 24 janvier à 15 heures 30. Notre sujet principal portera sur Scenari, une suite logicielle libre de conception, d’utilisation de chaîne éditoriale pour la création de documents multimédia. J’accélère pour tenir les délais. L’émission se termine dans quelques secondes. Merci de prendre cinq minutes, juste après l’émission, pour répondre au questionnaire, pour qu’on vous connaisse et pour que vous puissiez nous faire des retours, pour cela, rendez-vous sur libravous.org.
Nous vous souhaitons de passer une belle fin de journée. On se retrouve en direct mardi 24 janvier. D’ici là, portez-vous bien.
Générique de fin d’émission : Wesh Tone par Realaze.