Émission Libre à vous ! diffusée mardi 16 mars 2021 sur radio Cause Commune


Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Étienne Gonnu : Bonjour à toutes. Bonjour à tous.
Nous vous proposons aujourd’hui une spéciale Playlist de Libre à vous !, de la musique libre avec les commentaires experts de Valentin. Avant ça, Vincent nous proposera sa réflexion à l’approche de la date anniversaire du premier confinement dans sa chronique « Jouons collectif ». En fin d’émission nous ferons un point avec Interhop sur son action contre le partenariat entre l’État et la plateforme Doctolib.

Vous êtes sur la radio Cause Commune, la voix des possibles, 93.1 FM et en DAB+ en Île-de-France et partout dans le monde sur le site causecommune.fm.

Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Je suis Étienne Gonnu, chargé de mission affaires publiques pour l’April.

Le site web de l’April est april.org, vous pouvez y trouver une page consacrée à cette émission avec tous les liens et références utiles et également les moyens de nous contacter. N’hésitez pas à nous faire des retours ou nous poser toute question.

Nous sommes le 16 mars 2021, nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.

À la réalisation de l’émission Adrien. Salut Adrien.

Adrien Bourmault : Salut.

Étienne Gonnu : Si vous souhaitez réagir, poser une question pendant ce direct, n’hésitez pas à vous connecter sur le salon web de la radio. Pour cela rendez-vous sur le site de la radio, causecommune.fm, cliquez sur « chat » et retrouvez-nous sur le salon dédié à l’émission.
Nous vous souhaitons une excellente écoute.

Tout de suite place au premier sujet.

[Virgule musicale]

Chronique « Jouons collectif » de Vincent Calame, bénévole à l’April, sur l’anniversaire du confinement

Étienne Gonnu : Pour notre premier sujet, j’ai le plaisir d’avoir avec moi en studio Vincent Calame pour sa chronique « Jouons collectif ». Est-ce que ça va Vincent ?

Vincent Calame : Oui. Bonjour Étienne.

Étienne Gonnu : Quel sujet as-tu souhaité traiter aujourd’hui ?

Vincent Calame : Comme nous sommes à la veille de la date anniversaire du confinement, je me suis dit que cela pouvait faire un sujet de chronique. Bon ! Évidemment, on fait mieux dans l’originalité, j’imagine que demain ce sera un des principaux sujets traités dans les médias, surtout avec la menace d’un nouveau confinement qui plane sur l’Île-de-France. Et puis nous saturons tous d’avoir ça comme premier sujet de conversation. Nous avons tous hâte d’en finir et de retourner à nos activités normales. Seulement voilà ! Personne ne se hasarde à dire quand nous retrouverons une activité normale et surtout si cela reviendra comme avant. D’ailleurs, je crois que beaucoup d’entre nous ne souhaitent pas que les choses redeviennent juste comme avant et qu’au moins cette crise ait comme bénéfice de nous faire changer d’orientation.
Quoi qu’il en soit, à mon petit niveau de chroniqueur dans l’émission Libre à vous !, j’ai l’impression de vivre dans l’imposture.

Étienne Gonnu : Comment ça ?

Vincent Calame : Ma chronique s’appelle « Jouons collectif » et depuis maintenant un an, en matière de jeu collectif, ce n’est pas terrible comme on peut s’en douter. Certes, il y a eu une accalmie en septembre, mais le cœur n’y était pas vraiment, et ça s’est fracassé sur le confinement de novembre. Bien sûr, il y a les visioconférences, j’ai eu droit à quelques longues interventions au téléphone pour régler des problèmes sur des systèmes d’exploitation que je ne connaissais pas – et que je ne désire pas connaître plus que ça –, je ne vise personne en particulier, bien sûr. J’ai eu à me faire quelques auto-attestations pour aller relancer l’ordinateur de la comptabilité, le seul qui devait rester allumé dans les bureaux et qui ne fonctionnait plus. Bref !, rien de palpitant à se mettre sous la dent et rien de susceptible de devenir sujet de chronique. Il fallait surtout faire tourner la boutique avec les outils existants et l’heure n’était plus au lancement de nouveau projets.

Étienne Gonnu : Pourtant, on a l’impression que ce qu’on pourrait appeler le secteur du numérique est sorti renforcé par cette crise. Non ?

Vincent Calame : Certainement. Les personnes qui travaillent dans l’informatique font incontestablement partie des groupes professionnels qui ont le moins souffert de la crise, notamment parce que tous les outils pour le télétravail étaient déjà en place et déjà largement pratiqués. Si on travaille sur des serveurs accessibles par l’Internet, qu’importe le lieu d’où on se connecte ; on comprendra que je ne cherche pas à me plaindre, ce serait indécent comparé à d’autres métiers. Mais même si on a fait du numérique son gagne-pain, il ne faut pas trop se réjouir de son renforcement. Nul besoin d’être un technophobe patenté ou un amish qui s’éclaire à la bougie pour s’inquiéter de la déshumanisation portée par le numérique. Comme l’argent, le numérique est un bon serviteur et un mauvais maître. Oui, le numérique comme outil pour faire se rencontrer des humains et « jouer collectif », justement. Non comme médiateur exclusif de nos relations. À titre personnel, en tant qu’informaticien libriste, je crois qu’il faut maintenant se penser comme un « anti-geek ».

Étienne Gonnu : Un « anti-geek » ! Que veux-tu dire par là ?

Vincent Calame : Le terme « geek » peut avoir plusieurs sens, mais je pense que le plus répandu est celui de passionné de l’informatique à l’affût des nouveautés, prêt à tester des innovations, en tout cas, c’est en ce sens quand je parlais « d’anti-geek ». Toute nouvelle innovation doit être questionnée. Quand on possède des bribes de connaissances techniques, qui sont peu répandues dans la population en général, cela oblige à le faire, à questionner ces innovations, pour peu d’ailleurs qu’on ait une certaine conscience politique.
Le développement d’outils libres est plus lent, moins flamboyant – on ne va pas se mentir – que la dernière application à la mode qui trotte et c’est tant mieux ! Moins de clinquant et plus de robustesse, c’est la devise. La fracture numérique est une réalité, l’illectronisme aussi – l’illectronisme c’est illettrisme en matière de numérique – et nous sommes convaincus, à cette antenne, que le logiciel libre est la solution. Bref, nous devons être « anti-geeks » dans le sens où nos passions et nos compétences ne doivent pas nous rendre aveugles à l’évolution du monde numérique. Le confinement a mis en lumière le poids du numérique et de l’informatique, à nous d’être les empêcheurs de zoomer en rond !
Je salue Adrien qui est en régie et qui, le mois dernier, avait abordé ce sujet à l’université.

Étienne Gonnu : Oui. C’est terrible avec Zoom. Je vois mieux ce que tu veux dire par « anti-geek » et, vu comme ça, je ne peux que te rejoindre. D’ailleurs je pense qu’au fond ce qu’on défend et promeut à l’April et plus généralement le cœur de ce qu’est le logiciel libre, c’est ça, c’est avoir conscience, c’est faire prendre conscience que les choix en termes d’informatique et de technologie de manière générale sont des choix politiques. Est-ce qu’on veut collectivement pouvoir débattre de ces choix, en être acteurs et actrices ? Ou est-ce qu’on veut se contenter de subir les décisions d’acteurs privés comme Zoom dont les intérêts peuvent être antagonistes aux nôtres. On voit bien l’importance de s’engager politiquement et d’amener tout ça sur le terrain du politique.
Merci pour cette belle chronique et ce petit point. Effectivement, un an c’est long ! On se serre les coudes et on s’en sortira plus forts ensemble.
Merci d’avoir partagé ta réflexion avec nous, Vincent, et à nous aussi de trouver d’autres manières de « jouer collectif ».

Vincent Calame : Complètement.

Étienne Gonnu : Une fois n’est pas coutume, nous allons tout de suite passer à notre sujet suivant.

[Virgule musicale]

La Playlist de Libre à vous !, sélection de musiques libres déjà diffusées dans l’émission

Étienne Gonnu : Nous vous proposons aujourd’hui une spéciale Playlist de Libre à vous !, une sélection de musiques libres que nous avons déjà diffusées dans l’émission, commentées par Valentin, lui-même musicien et coanimateur de l’émission Les joyeux pingouins en famille sur Cause Commune, un échange enregistré le 4 février 2021. On se retrouve juste après, dans une cinquantaine de minutes. Je vous souhaite une belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

[Virgule sonore]

Étienne Gonnu : J’ai le plaisir aujourd’hui d’être en studio avec Valentin des Joyeux pingouins en famille. Salut Valentin.

Valentin : Salut Étienne.

Étienne Gonnu : Pendant la période de confinement on avait initié des émissions spéciales La Playlist de Libre à vous !, des musiques libres qu’on avait déjà diffusées, qu’on réécoutait et que tu nous commentais.
Là, on va enregistrer une nouvelle édition, la huitième de cette Playlist de libre à vous !, huitième si mon compte est bon.
On va écouter quelques musiques libres que tu vas avoir le plaisir de commenter pour nous faire partager ton expertise.

Valentin : Avec plaisir.

Étienne Gonnu : Occasion pour moi de rappeler que toutes nos pauses sont sous licence libre qui permet de partager librement ces musiques avec nos proches, de les télécharger parfaitement légalement, de les remixer y compris pour des usages commerciaux. Les licences type Creative Attribution CC By, Creative Commons Partage dans les mêmes conditions, CC By SA, ou encore la licence Art Libre.
Je précise que tu n’as pas encore écouté les morceaux que nous allons diffuser. C’est du free style comme tu nous l’avais indiqué.

Valentin : C’est ça. J’aime bien pouvoir donner une part de liberté, rester libre dans mes commentaires. J’en profite pour dire encore merci pour l’invitation. Je suis très content de faire ça avec vous. Je trouve que c’est une initiative très chouette et je trouve surtout très chouette d’essayer de promouvoir un peu le monde de la musique libre étant moi-même étant artiste et évoluant dans un milieu artistique. On a beaucoup de contraintes liées aux droits d’auteur et beaucoup de manque de liberté. C’est vraiment une chouette initiative que je suis content de promouvoir à travers ces petits commentaires.

Étienne Gonnu : Super. Je suis ravi de faire ça avec toi. Tu avais fait toutes les autres émissions avec mon collègue Frédéric Couchet. J’ai eu le plaisir de sélectionner les différents morceaux. On a toujours l’impression de donner un part de soi-même quand on choisit de la musique ; je l’ai fait avec plaisir et un peu de réticence.
Je te propose de commencer en douceur avec Island de Extenz. On va se retrouver juste après sur radio Cause Commune, la voix des possibles.

Island par Extenz

Étienne Gonnu : On finit ce morceau sur des bruits de mouettes et de vagues, pour commencer en douceur. Nous venons d’écouter Island par Extenz, disponible sous licence Creative Commons Attribution. Je vais juste préciser qu’Extenz est un artiste originaire de la République tchèque qui souhaite rester anonyme, donc il communique exclusivement à travers ce pseudonyme.
Qu’as-tu pensé de ce premier morceau, Valentin ?

Valentin : Effectivement on commence un peu en douceur, quoiqu’on soit mi-douceur mi un peu club. C’est une douceur un peu suggestive de ce côté-là.
On a une introduction très lunaire avec une espèce d’instrument électronique qu’on peut appeler pad, qui nous met dans une espèce de nuage un peu rosé, tranquille, qui nous est servi en guise d’introduction, qui va être accompagné d’un saxophone, cette fois en instrument acoustique qui nous rappelle un peu une ambiance que pourraient poser des artistes comme Thylacine ou Bakermat, dans ce délire un peu de Jazz House Blues acoustique.
Justement, la musique évolue avec l’arrivée de petits synthétiseurs qui vont donner un côté un peu plus rythmique à la musique, jusqu’à une montée, l’arrivée au drop. Le drop c’est le moment où la musique part vraiment, on a l’entrée de la batterie électronique. Cette fois on est dans une rythmique très club, très « boum tchac, boum tchac ». Ça donne un côté très House qui confirme encore un peu cet esprit proche d’artistes comme Thylacine ou Bakermat.
Je trouve qu’il y a vraiment une espèce de couleur un peu rosée dans ce morceau, je ne sais pas pourquoi, c’est peut-être le côté un peu lunaire, on a un peu l’impression d’être sur un coucher de soleil en festival ou à la plage. On est dans une espèce de mélange entre de la mélancolie mais, en même temps, il y a quelque chose de dynamique, un peu de nostalgie aussi, mais c’est quelque chose d’assez subjectif. En tout cas c’est le style de musique que j’écoutais beaucoup il y a quelques années, notamment avec des artistes plutôt allemands comme Paul Kalkbrenner, du coup un mélange de club, en même temps un peu de mélancolie. C’est un peu la musique de club émotive, on pourrait dire. Les rythmes qui sont joués au saxophone sont assez simples, ce sont des mélodies avec trois notes qui jouent un peu en question-réponse, qui jouent en boucle, mais ça suffit pour nous donner envie un peu de bouger, de danser.
Au milieu de la chanson on a un petit break, une pause dans la rythmique, une pause qui s’apparente un peu à ce qu’on avait dans l’introduction. À ce moment-là arrivent des instruments rythmiques, plutôt à bois, qui apportent une touche un peu plus mi-acoustique et organique qui contraste avec l’aspect électronique de la boîte à rythme et des autres synthétiseurs. C’est vrai que sur tout le long du morceau on a toujours un peu ce contraste entre acoustique et électronique. Comme tu l’as dit, sur la fin on a eu les mouettes. On a eu aussi, sur le break, d’autres petits bruits d’eau, d’écoulement de rivière. Ce sont des enregistrements qu’on peut appeler feel recording, c’est le fait d’enregistrer des bruits.
D’autres choses sont apparentées à l’acoustique, évidemment l’utilisation du saxophone, mais aussi, sur la boîte à rythme, l’utilisation de ce qu’on appelle les snaps, sur le deuxième temps et le quatrième temps du rythme, ce sont tout simplement des claquements de doigts. Du coup on est constamment dans ce mélange un peu de musique mi-acoustique, mi-électronique, mi-club.
On est sur une structure assez simple avec une introduction, un passage A) qui nous fait danser, un break, un passage A’) qui nous fait à nouveau danser, une fin tranquille. En tout cas, c’est bien commencer. Merci pour ce choix, je le trouve très chouette. C’est une très belle introduction que je n’aurais pas du tout attribuée à un Tchèque, je ne sais pourquoi. Ça ne ressemble pas trop à ce qu’on peut trouver en République tchèque même si je ne parle pas vraiment en tant que connaisseur. En tout cas c’est très sympa.

Étienne Gonnu : Ravi que ça t’ait plu. Pour le côté rosé, sur la page SoundCloud du morceau et de l’artiste, ça parle de Tropical House et l’illustration c’est une île avec un ciel plutôt un peu rosé de fin de journée, de début de fête, peut-être, que l’on peut imaginer.

Valentin : D’accord. Ce terme de Tropical House est un peu ambigu. J’ai du mal à bien le cerner, à pouvoir définir vraiment ce que c’est. Si on avait des choses qui devaient nous rappeler les Tropiques, à part peut-être l’impression d’être en vacances avec les mouettes, je ne vois pas ce qu’il peut y avoir d’autre. En tout cas très sympa. C’est vrai qu’on donne un peu ce nom à beaucoup de musiques de ce type.

Étienne Gonnu : D’accord. Je l’ignorais, je t’avoue.
Je te propose de passer au morceau suivant. On va revenir en France. On va changer de style avec La vie sans toi de Ceili Moss. On se retrouve juste après, toujours sur la radio Cause Commune 93.1 FM et en DAB+ en Île-de-France et sur causecommune.fm partout dans le monde.

Valentin : Tu as eu une petite phrase d’introduction, tout à l’heure tu as dit qu’on a commencé en douceur. Là ça va être quoi selon toi ?

Étienne Gonnu : Tu nous le diras après, je vais réfléchir.

Valentin : OK.

Étienne Gonnu : C’est moins doux en tout cas.

Valentin : D’accord. Moins doux.

La vie sans toi par Ceili Moss.

Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter La vie sans toi par Ceili Moss, disponible sous licence Creative Commons Attribution.
Je vais préciser deux choses. On a déjà eu le plaisir d’écouter un morceau de ce groupe dans une émission précédente La Playlist de Libre à vous ! intitulé Quand nous sommes à la taverne. Je précise également que le chanteur s’appelle Laurent Leeemans et on a eu le plaisir de l’interviewer dans l’émission Libre à vous ! du 21 avril 2020, émission 63, dans le cadre de son nouveau projet The Imaginary Suitcase. Vous pouvez retrouver le podcast de son interview sur causecommune.fm.
Qu’as-tu pensé de ce morceau Valentin ?

Valentin : The Imaginary Suitcase, ça me dit quelque chose, j’ai l’impression de l’avoir déjà entendu quelque part. En tout cas, j’ai toujours un peu plus de mal avec ce genre de musique qui mélange une espèce de chanson française style jazz-rock avec un peu de ska, qui me fait toujours un peu penser aux Aristochats. J’ai du mal à bien pouvoir en faire un commentaire. Je vais quand même m’adonner avec plaisir à partager mes remarques.
On est sur une entrée avec une guitare acoustique sur un tempo, globalement sur tout le morceau, très rapide. La guitare acoustique joue des accords dans ce qu’on appelle une descente chromatique, j’y reviendrai plus tard pour essayer d’expliquer un peu plus ce mot.
Arrive ensuite une guitare électrique qui joue en arpèges et une batterie qui va jouer sur le temps directement, d’une manière encore plus rapide, ce qui fait que c’est comme si on était pressé par le temps. Un terme technique exact existe pour décrire ce mode de technique, mais je l’ai complètement oublié. On a aussi une contrebasse derrière qui va apporter ce côté un peu Aristochats, un peu jazz-rock ; la contrebasse est beaucoup utilisée en jazz même si c’est utilisé dans plein de choses différentes.
On a aussi une voix qui arrive, une voix assez grave mais assez chaude et assez présente, presque une voix caverneuse qui est mi-chantée, mi-parlée. Au bout d’un moment la voix est accompagnée par un violon et une flûte traversière qui va donner un côté un peu plus mélodieux et féerique à cette musique.
Comme je l’ai dit en introduction, on est un peu sur une espèce de mélange avec de la chanson française, avec une ambiance un peu ska. Au niveau de la rythmique je trouve que c’est vraiment la batterie qui donne ce côté ska. On n’a pas de batterie qui joue sur le contretemps et pas non plus de de cuivres qui sont assez présents dans la musique ska. Une ambiance très jazz-rock qui est surtout soulignée par le solo de guitare à partir de la troisième partie de la chanson à peu près. Un solo qui va utiliser des notes assez employées pour le jazz mais en même temps, parfois, des expressions techniques qui sont plus utilisées dans le rock.
En tout cas, tout le long de la chanson on est sur une ambiance assez tendue, ce qui explique aussi peut-être le titre de la chanson La vie sans toi. On est sur quelque chose d’un peu tendu, ce qui va être souligné avec l’utilisation des chromatismes. On a quasiment les mêmes accords qui sont joués à la guitare tout le long du morceau. Qu’est-ce qu’un chromatisme, Étienne ?

Étienne Gonnu : Je ne sais pas. Très bonne question !

Valentin : J’essaie d’expliquer. C’est tout simplement le fait de jouer des notes qui sont très proches. S’ensuit forcément une gamme ou une mélodie donnée. Dans la musique on ne peut pas jouer n’importe quelles notes tout le temps, il faut suivre certaines règles. Avec les chromatismes on va casser, briser ces règles et jouer des notes qui sont complètement proches. Je vais vous chanter, du coup ça donne [Valentin fredonne, NdT]. Quand je le chante on sent ce côté un peu tendu, un peu plus stressant, qui est un peu plus embelli par la guitare. Mais à la voix, comme ça, si j’essaye de vous chanter les notes, ça donne complètement autre chose. Les paroles apportent aussi de la tension. Je ne me souviens plus trop des paroles, mais on a toujours ce côté un peu tendu. On a une alternance entre couplets très rapides — ce côté accéléré, pressé, accentue en plus la tension — et, en même temps, des moments complètement cassés, brisés, où là le temps est presque divisé par deux, il y a un peu plus de respiration, peut-être même un peu plus de motifs mélodiques au niveau du chant. Là c’est presque plus parlé, contrairement aux autres passages.
En tout cas on a un joli contraste sur tout ce morceau, une jolie ambiance un peu pressée. Même si je suis moins touché par cette musique, elle est très sympathique.

Étienne Gonnu : Je vais parler du thème de la chanson. Sur la page BandCamp du morceau, je ne sais pas si c’est l’artiste, le groupe lui-même qui a fait un commentaire ou quelqu’un qui suit ce groupe : « A breakup song in French. Not the usual "the sun ain’t gonna shine anymoooooore" style, mind you… », donc « une chanson de rupture. Ce n’est pas la chanson traditionnelle de rupture où on dit il n’y a plus de soleil, je suis triste ». Je trouve que tu décris bien cette tension qui ressort effectivement, qu’on ressent bien à travers ce morceau.

Valentin : Comment tu exprimerais cette chanson, comment tu la décrirais ? Je fais toujours mes commentaires, mais c’est aussi agréable d’avoir les vôtres.

Étienne Gonnu : C’est difficile parce que tu viens de donner le tien. Je suis forcément influencé. Disons que dans ce que tu as dit, j’ai bien ressenti cette tension et cette fuite. On est pressé, on a envie de tout casser et on fonce.

Valentin : Qu’est-ce qui fait que tu as choisi cette musique en particulier ? Tu m’as dit en off que tu étais content de choisir les musiques.

Étienne Gonnu : C’est subjectif. Je ne sais pas, ça m’a touché. Les parties très rapides et peut-être chromatiques, je ne sais pas si c’est le terme. Une musique que j’aime bien parce qu’il y a un grain de folie. Je trouve que ça dégage un grain de folie et, dans la musique, c’est quelque chose que généralement j’apprécie.

Valentin : Est-ce qu’il y a des artistes que tu pourrais comparer ça ?, parce que je ne connais pas forcément d’artistes dans ce milieu-là.

Étienne Gonnu : Je suis très mauvais. Il y a des périodes où j’aime bien écouter de la musique, en ce moment j’en écoute un peu moins. Je suis extrêmement mauvais pour citer des musiques en blind test, c’est une horreur totale. Je suis celui qui l’a toujours sur le bout de la langue, mais incapable de le donner le nom.

Valentin : OK. Moi aussi je suis un peu comme ça.

Étienne Gonnu : Même avec une expertise !

Valentin : D’accord. OK.

Étienne Gonnu : Je te propose de passer au morceau suivant. Toujours de la guitare mais moins propre, on verra, peut-être. Du coup un morceau en anglais. Il s’agit de Who’s that kid ? par Defy the mall. On se retrouve juste après.

Who’s that kid ? par Defy the mall

Étienne Gonnu : Ça se coupe un peu abruptement, je vais revenir là-dessus tout de suite. Nous venons d’écouter Who’s that kid ? par Defy the mall, distribué sous licence Creative Commons Partage à l’identique, CC By SA.
Je suis Étienne Gonnu de l’April. J’ai le plaisir d’être avec Valentin qui partage avec nous ses impressions sur une sélection de musiques libres diffusées dans Libre à vous !.
Je te propose de partager les quelques impressions que j’ai eues avant que tu puisses partager les tiennes.

Valentin : Avec plaisir, parce qu’en plus je n’ai pas trop écrit. Du coup vas-y !

Étienne Gonnu : Je pense qu’on est sur quelque chose d’assez simple. Ça a coupé abruptement parce que c’est un morceau d’un album qui dure 16 minutes. C’est le genre d’album qui s’écoute dans son intégrité, je pense qu’il a été découpé, j’imagine que c’est comme ça, que ça se fait pour pouvoir diffuser de la musique, bref !, donc on a le morceau suivant qui passait.
Personnellement j’aime bien de temps en temps me mettre ce genre de morceau à l’ancienne, avec un son qui gratte un peu, du bon gros punk à l’ancienne. Je pense que c’est assez basique en rythmique, etc., peut-être pas, tu nous diras ce que tu en penses. J’aime bien quand ça gratte un peu, quand c’est un peu sale comme ça.

Valentin : C’est vrai que rythmiquement j’ai eu du mal à beaucoup me concentrer. Je ne me suis pas trop concentré sur la globalité du morceau.
En tout cas, on est sur quelque chose de très classique, comme tu l’as dit, qui donne tout de suite la couleur avec une guitare très saturée qui joue un riff qui s’approche vraiment du punk, avec un jeu presque dissonant avec beaucoup de larsen qui arrive, qui donne ce côté un peu crado, un peu sale. Cette ambiance très punk est amplifiée par la voix du chanteur qui est traitée avec un effet comme s’il chantait à travers un haut-parleur, une technique qui était quand même beaucoup utilisée vers la fin des années 70 au moment où le punk est vraiment arrivé. Pour moi, il y a aussi un côté presque Blur parfois, Blur a pas mal utilisé cette technique-là.
Du coup très sympa, mais comme pour beaucoup de groupes un peu de rock qui sont diffusés en musique libre, j’ai toujours les mêmes critiques qui sont liées au mix. Le mix c’est le fait d’égaliser les niveaux des volumes de chaque instrument, quelque chose qui est assez difficile à faire, assez technique, d’autant plus avec un groupe de punk qui veut donner une certaine image.
Le mix manque un peu de puissance, du coup ça donne presque l’impression que les personnes qui jouent sont assez timides. La batterie est assez faible derrière, alors qu’il y a pourtant un jeu qui est intéressant. La basse est très dissimulée sous la guitare, on a du mal à bien l’entendre. Par moments on a l’impression que le chanteur manque un peu de pêche.
Je pense vraiment que ce sont des mauvaises critiques parce que n’était pas du tout leur intention. Je suis sûr que ces musiciens avaient vraiment la patate et voulaient donner volontairement un côté très sale. Mais le traitement des instruments fait que ça manque un peu de pêche, de dynamisme et, sans dire que ça fait un peu copier-coller ou cliché, en tout cas ça sonne un peu timide pour moi. C’est vraiment la critique que je fais, mais, encore une fois, c’est quelque chose de très difficile à faire. Généralement la majorité des artistes qui mettent leur musique en Libre c’est qu’ils n’ont pas eu les moyens de faire appel à des gros producteurs pour traiter leur musique derrière, parce que sinon ils devraient être rentables et faire payer leurs morceaux. Ceci explique cela.
Sinon très sympa. Je suis très fan de ce genre de musique et ça fait toujours plaisir d’avoir quelque chose d’un peu classique, même si on pourrait dire que c’est cliché, ça fait toujours du bien d’entendre quelque chose comme ça qui nous rappelle ce qu’on connaît.

Étienne Gonnu : C’est sûr. Je pense que pour beaucoup de monde le punk c’est une période de vie. C’est toujours agréable de se replonger dans ce genre de nostalgie.

Valentin : C’est clair.

Étienne Gonnu : Ça, c’était avant qu’on ait un programmateur musical, Éric Fraudain d’Au bout du fil. On cherchait surtout avec Fred les musiques nous-mêmes et, à un moment, j’ai eu envie de trouver un peu de musique punk en musique libre, pour changer un peu. Je me disais que c’est plutôt un style où on va trouver de la musique libre et ce n’est pas si évident que ça. On pourrait penser que dans l’imaginaire punk on a plutôt envie de s’affranchir des grands groupes, bref !, du système capitaliste.
Je te propose de passer au morceau suivant.

Valentin : Est-ce que Éric Fraudain met du punk dans Au Bout du Fil ?

Étienne Gonnu : Je lui demanderai. Je n’ai pas écouté tout ce qu’il a mis en ligne. Il est très éclectique. Il dit lui-même, justement, qu’il aime bien changer de style et sortir de ses zones de confort habituelles.

Valentin : Après c’est très électro aussi. En même temps, c’est plus simple de produire de la musique électronique et de la mettre sous licence libre.

Étienne Gonnu : C’est peut-être plus facile d’auto-produire. C’est ça ?

Valentin : C’est ça. Oui.

Étienne Gonnu : OK. Oui.
Pour le morceau suivant, on va changer radicalement de style. Un style beaucoup plus planant, je trouve. Ça s’appelleSide effects par Foglake. On se retrouve juste après toujours sur Cause Commune.

Side effects par Foglake

Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter Side effects par Foglake, disponible sous licence Creative Creative Commons Attribution.
En fait, en l’écoutant, je me dis que ce n’est peut-être pas si radical que ça comme changement. On reste sur un morceau assez simple, on entend chaque corde qui gratte, en tout cas c’est très personnel et très subjectif. J’apprécie assez la voix, ce côté assez androgyne de la voix, très posé, très planant pour le coup. Je pense que le titre Side effects, « Effets secondaires », touche peut-être ce côté planant, justement.
Qu’en as-tu pensé Valentin ?

Valentin : Déjà ça a été très bref, j’ai été un peu surpris par le changement à la fin, un peu direct. Je pense pour l’instant, même si c’est toujours un peu bizarre de dire ça, que c’est mon morceau préféré de ceux qu’on a écoutés.
En plus c’est agréable d’avoir ça parce que sur le précédent morceau j’étais assez critique sur ce qu’on appelle le mix, le traitement de chaque instrument, en disant que ça manquait un peu de dynamisme et, du coup, ça donnait un côté cliché, presque un côté un peu amateur à la musique. Là je trouve qu’on a vraiment l’opposé. Le mix est extrêmement bien fait ; en fait, c’est le mix qui donne presque toute la richesse de la musique.
On a une introduction directe en plus, on n’a pas le temps, on n’est pas là pour rigoler. C’est pour ça que je ne suis pas d’accord avec le côté planant parce que ça commence direct, d’un coup. On est directement transporté par une voix, des guitares, une batterie, tout ça dans un côté un peu calme. Là on peut comprendre le côté planant parce que tout est assez calme, on n’est pas sur du gros son sur lequel on va danser, mais on est emporté. Il y a un groupe qui est là qui, nous emporte complètement.
Tu as parlé des cordes frottées, c’est vraiment quelque chose que je trouve très agréable, on entend presque plus les cordes frottées que les notes. Pourtant, il y a quand même quelque chose qui nous emporte, il y a une espèce de discrétion, de subtilité qui est très agréable, qu’on retrouve aussi dans la voix, la voix qui est androgyne, comme tu l’as dit, mais qui est assez en retrait finalement, qui est aussi traitée avec un effet qui donne l’impression que la chanteuse chante un peu sous un haut-parleur. Malgré le fait qu’elle soit en retrait, on sent une vraie intensité dans sa voix, une vraie chaleur qui emporte encore plus. C’est très subtil, mais j’ai l’impression que la voix était doublée par un homme derrière, ce qui rajoute une vraie couleur, une vraie puissance à la voix.
La preuve que le mix est bien fait c’est que malgré ce côté un peu en retrait, ces effets, on sent toute la puissance du morceau. On ne s’ennuie jamais alors, qu’en fait, globalement, ce sont quand même les mêmes motifs qui se répètent du début jusqu’au moment où c’est presque la fin. Justement, avec ce traitement sur les instruments, à certains moments on entend vraiment des différences où certains instruments sont plus mis en avant que d’autres. Il y a des changements un peu brutaux qui se font de cette manière-là, mais on n’est pas du tout choqué, on est complètement porté, on ne s’ennuie pas.
La conclusion est peut-être un peu expéditive, un peu brève, peut-être qu’elle tombe un peu comme un cheveu dans la soupe. À part ça, franchement, très beau morceau, très bon choix.

Étienne Gonnu : J’ai aussi beaucoup accroché. Peut-être que le côté bref — je suis sur la page BandCamp — tient au fait que ce sont des morceaux très courts, peut-être à une exception près. De mémoire — ça fait quelque temps que je n’ai pas écouté, j’aurais peut-être dû réécouter dans son intégralité —, je crois que c’est vraiment cette idée de morceaux qui s’enchaînent, qui s’écoutent dans une succession.

Valentin : C’est très intéressant.

Étienne Gonnu : Donc peut-être à réécouter. On vous y invite. En tout cas, j’ai un bon souvenir de l’album qui s’appelle Dragonchaser où on retrouve peut-être une thématique avec le côté effets secondaires. Ravi que ça t’ait plus.

Valentin : Side effects j’ai oublié ce que c’est, mais c’est aussi un terme technique qui fait référence à tout le milieu du mix, de l’ingénierie du son, du traitement sonore en fait. Je ne sais plus ce que c’est, mais c’est un terme technique qui vient de ça.

Étienne Gonnu : D’accord. Je crois que nous avons tous accès à une base de données. On regardera ça.
On va passer au sujet suivant. Pour le coup le changement va être radical. On part sur de la musique électronique, tu en parlais avant. Tu me diras ce que tu en penses, en tout cas c’est le genre de musique qui me pousse à battre le rythme avec la tête. Il s’agit d’Inception par Clone Me Twice. On se retrouve juste après sur radio Cause Commune.

Inception par Clone Me Twice (fka C5)

Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter Inception par Clone Me Twice, disponible sous licence Creative Commons Partage à l’identique, CC By SA.
Clone Me Twice fait partie de ces artistes repérés pour nous par Éric Fraudain du site auboutdufil.com, que je mentionnais, qui est le programmateur musical pour Libre à vous ! depuis septembre 2020. D’ailleurs, je vais en profiter pour remercier Éric pour toutes les pépites libres qu’il déniche. D’ailleurs je vous propose, pour valoriser son travail, de vous lire un court extrait de ce qu’il a écrit sur Clone Me Twice : « Sous ce pseudonyme alambiqué se cache un jeune artiste d’à peine vingt ans, originaire de Vienne, dont le véritable nom est Killian Mayer. Si vous le connaissez déjà, c’est peut-être sous son ancien pseudonyme « C5 ». Clone Me Twice a beau être jeune, il a plus d’une corde à son arc : il est batteur, compositeur, producteur, réalisateur ou encore auteur. Passionné de musique, notamment électronique, il a vite compris qu’il était aussi à l’aise sur un logiciel informatique qu’avec un instrument dans les mains. Il a commencé à produire de la musique très tôt, alors qu’il était à peine adolescent ». C’est un extrait de auboutdufil.com sur l’artiste Clone Me Twice.
Qu’as-tu pensé de ce morceau Valentin ?

Valentin : Déjà, tu as mis ce morceau en disant tout de suite que c’était quelque chose qui te touche, qui te donne envie de bouger la tête. C’est ça ?

Étienne Gonnu : Ouais, un truc qui donne la pêche. Qui est d’apparence simple, peut-être pas tant que ça, mais qui tout de suite me donne un peu la pêche, me fait bouger la tête. Si je suis sur une tâche un peu bête, je la fais avec plus d’enthousiasme en écoutant ça.

Valentin : Moi c’est l’inverse. Je rigole !
C’est une musique électronique qui me touche vachement moins. Je suis moins touché, moins à fond derrière ça. Par contre, je dois avouer que je suis étonné d’apprendre qu’il est si jeune, parce que c’est très bien produit. Objectivement il n’y a rien à dire. C’est assez bien fait, c’est même assez impressionnant parce qu’il y aurait énormément de choses à dire sur cette musique, peut-être même un peu trop, c’est peut-être ça son défaut. Elle bouge dans plein de styles différents, c’est assez impressionnant. On pourrait lui coller plein d’étiquettes, ce qui serait assez dur, du coup, de les coller. Le côté que j’aime bien c’est ce côté multi-casquette, multi-étiquette justement.
On a une introduction avec des synthétiseurs qu’on appelle 16 bits, qui sont les synthés un peu crados qu’on peut avoir sur la Game Boy ou sur les jeux un peu à l’ancienne. Je ne pourrai pas vous expliquer pourquoi c’est comme ça, ce sont les termes techniques de l’acoustique. En tout cas, on a tout de suite cet univers qui nous plonge presque dans un univers un peu Tetris. On est dans une ambiance qui se rapproche plus de l’eurodance. L’eurodance est un style de musique qui s’est développé, une espèce de mélange entre la disco et la techno, qui peut sonner un peu cliché pour moi mais qui a quand même été beaucoup été utilisé. Le vrai cliché de l’eurodance, pour donner un exemple, c’est l’artiste Cascada. Là on est loin de Cascada, mais on trouve quand même cette ambiance eurodance. On a, d’un coup, une guitare électrique qui arrive dans une ambiance un peu plus punk, qui donne presque une impression plus électro-punk comme pouvait l’apporter le groupe italien The Bloody Beetroots dans la fin des années 2000. En même temps, on balance dans plein de styles de musique différents : on a parlé d’eurodance, de musique électro-punk. On a aussi quelque chose qui se rapproche du Glitch Hop, de la trance parfois utilisée par le synthétiseur, parfois même de l’hardtek avec un martèlement de la grosse caisse, du kick, qui nous emporte presque avec un son un peu saturé, on n’est pas sur un tempo hardtek mais quand même, globalement parfois, quelque chose d’un peu sale.
On navigue entre plein de styles de musique différents. C’est pour moi la vraie richesse de cette musique, ça nous emporte, après ça peut être son défaut. En tout cas très bien produit, surtout pour quelqu’un d’assez jeune. Les logiciels de musique permettent justement de pouvoir s’essayer à plein de choses, de casser un peu les barrières, les codes. C’est une musique qui globalement, pour moi, aurait pu dater de la fin des années 2000. C’est intéressant, en plus, de voir que c’est quelqu’un qui n’est presque pas connu musicalement à cette période-là qui compose ça. C’est chouette, mais ça me touche moins !

Étienne Gonnu : Les goûts et les couleurs !

Valentin : C’est ça.

Étienne Gonnu : C’est marrant parce que dès la première fois que je l’ai écouté j’ai tout de suite ressenti ce côté Game Boy que tu mentionnes, un peu old school. Le fait qu’il soit de Vienne t’a surpris ? Tu étais étonné.

Valentin : Non. Déjà, les Autrichiens ont la rigueur germanique qui fait que très tôt ils font des choses très impressionnantes. Vienne c’est le carrefour entre l’Europe de l’Est et l’Europe plus de l’Ouest, c’est un carrefour de plein d’influences musicales riches et variées. Sans oublier que les plus grands compositeurs de musique européenne occidentale viennent de Vienne, du coup rien de surprenant à ça.

Étienne Gonnu : OK.
Pour le morceau suivant, je te propose de choisir entre une autre musique électronique beaucoup plus calme, beaucoup plus posée — c’est mon ressenti, peut-être que tu me contredira — ou de la musique française que je ne saurais pas trop décrire. Je ne suis pas très doué pour décrire.

Valentin : C’est moi qui dois choisir ?

Étienne Gonnu : On aura peut-être le temps de passer les deux. De quoi as-tu plutôt envie ?

Valentin : Vas-y pour la chanson française.

Étienne Gonnu : Il s’agit d’Oublier par Prince Ringard. On se retrouve juste après, toujours sur Cause Commune.

Oublier par Prince Ringard

Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter Oublier par Prince Ringard, distribué sous licence Art Libre.
Je suis Étienne Gonnu de l’April et nous discutons avec Valentin de musiques libres que nous avons diffusées dans Libre à vous !.
Qu’as-tu pensé de ce morceau, Valentin ?

Valentin : Tu as dit chanson française. Qu’est-ce que tu rajouterais de plus à ça ?

Étienne Gonnu : J’ai réfléchi un peu pendant le morceau et j’ai beaucoup de mal à décrire. Il y a peut-être un côté punk dans les paroles. Au sein de la musique j’aime bien l’harmonica. J’aime beaucoup sa voix, en fait, qui donne une ambiance, qui traduit ce qui correspond bien à cette idée, « oublier », qu’il répète à la fin. En tout cas ça me parle.

Valentin : Ça m’a aussi beaucoup parlé. C’est mon deuxième morceau préféré de ceux qu’on diffuse. Je suis content de mon choix, d’avoir choisi cette musique. Vraiment une belle découverte, merci.
Effectivement chanson française, mais aussi une inspiration un peu blues qui est soulignée par l’harmonica, par la guitare, la basse, la batterie. Cette voix très rauque, très forte – je n’arrive pas à lire mes notes. Je trouve qu’elle ressemble à la voix du chanteur de Trust, plus aujourd’hui qu’avant parce qu’avant il avait une voix un peu plus aiguë mais maintenant qu’il a pris de la bouteille, franchement le chanteur de Trust a presque la même voix, j’aurais pu croire que c’est lui qui avait chanté.
Ce qui est très intéressant c’est qu’on a une guitare et une batterie qui jouent de manière très simple, qui jouent à peu près la même chose tout le temps, et ça laisse beaucoup de place, d’espace pour mettre d’autres choses. C’est une vraie richesse d’écriture.
On a une basse qui est très mélodique, qui est beaucoup plus mélodique que la guitare alors que d’habitude c’est un peu plus l’inverse. Je trouve très intéressant d’avoir fait ce choix-là et aussi d’avoir laissé autant de place, du coup, ça met vraiment en avant la voix et le texte. Je trouve que c’est impressionnant comme on sent encore l’écho, la trace du chanteur même quand il ne chante plus ; une fois qu’il termine ses phrases, c’est comme si les phrases qu’il chante restaient un peu dans les airs avec nous et se dissipaient tout doucement. La voix se dissipe mais l’harmonica vient tout de suite répondre comme un jeu de questions/réponses. Tout ça crée beaucoup de poésie aussi soulignée par les textes, comme tu disais justement. On est vraiment sur un bel ensemble qui marche bien, ça file droit, on sait où on va. On pourrait presque l’écouter en boucle, ça ne nous dérangerait pas. C’est vraiment très agréable. Franchement bravo, c’est très chouette.

Étienne Gonnu : Je voulais le noter, j’ai oublié. L’artiste avait envoyé un CD dédicacé pour nous remercier d’avoir diffusé ce morceau.

Valentin : Carrément !

Étienne Gonnu : Il diffuse librement sa musique.

Valentin : S’il veut m’envoyer un CD dédicacé, je ne suis pas contre !

Étienne Gonnu : On lui en fera part quand on diffusera le morceau.
Du coup on a le temps de passer le morceau suivant. On va écouter et on verra ce que tu en penses ensuite. Il s’agit de Room 208, two hundred eight, je ne sais pas comment ça se prononce, par Aerocity. On se retrouve juste après.

Room 208 par Aerocity

Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter Room 208 par Aerocity, disponible sous licence libre Creative Commons Attribution.
Du coup j’ai un doute sur la façon dont j’ai qualifié ce morceau, à la fois sur son côté électronique et à la fois sur son côté posé. Je ne sais pas ce que tu en as pensé.

Valentin : Je suis absolument d’accord. Effectivement très posé, qui est souligné par ce son de piano, ce n’est pas un piano seul, c’est comme si on avait amplifié le son du marteau qui frappe sur la corde, parce que c’est comme ça que marche un piano, comme s’il y avait un autre instrument doublé avec, qui apporte un côté un peu rêveur, avec en plus l’ambiance planante qui est prolongée par des synthétiseurs nuageux. Chaque touche du piano est aussi un peu prolongée par un effet derrière la touche qui fait qu’on est complètement comme dans un rêve.
C’est très posé, très planant, on sent toujours une présence un peu électronique qui est marquée surtout dans la deuxième partie du morceau ; on a l’impression qu’on est surtout sur un piano seul, d’un coup arrivent des petites percussions très discrètes dans le fond du casque et, en même temps, une basse encore discrète mais puissante.
Ce qui est intéressant c’est qu’on n’a pas l’impression que le piano est joué de manière classique, on a l’impression que quelqu’un tape sur les notes. Ça m’a presque fait penser à la manière de jouer qu’on peut avoir sur cet instrument qui s’appelle le hand drum, j’ai oublié un peu le nom, vous voyez, un peu une soucoupe volante qui donne aussi un son très joli. On a presque l’impression que quelqu’un tapait sur le piano plutôt que jouer dans la manière dont c’était joué rythmiquement.
J’ai trouvé ça vraiment très joli. Très beau choix. Ça me fait beaucoup penser à l’album qu’ont fait en duo les artistes Murcof et Vanessa Wagner, on est exactement sur la même ambiance : un piano qui est rajouté par des effets, des percussions discrètes et des synthétiseurs. Je suis très sensible à ce genre de musique. Merci pour ce choix.

Étienne Gonnu : J’ai beaucoup apprécié ce côté un peu onirique que tu décris, on est ailleurs, on rêve un peu. Ça s’appelle un handpan.

Valentin : C’est ça !

Étienne Gonnu : Je le sais parce que ma compagne vient de m’en offrir un pour mon anniversaire. Ça un côté très organique, très relaxant ; c’est très chouette.

Valentin : Félicitations ! C’est ça. Dans ma tête j’avais hand poke, mais c’est le fait de se tatouer avec une aiguille.

Étienne Gonnu : D’accord !

Valentin : Ça n’a rien à voir !

Étienne Gonnu : Ça ne produit sans doute les mêmes sons.
Je regarde le temps que nous avons. Je pense que nous arrivons sur la fin de cette huitième édition de La Playlist de Libre à vous !. Un grand merci Valentin.

Étienne Gonnu : Merci à toi pour l’invitation.

Étienne Gonnu : Avec plaisir.

Valentin : Pour la prochaine tu nous feras un concert de handpan ?

Étienne Gonnu : On verra ! Avec plaisir.
Je rappelle quand même que tu animes des émissions, toi aussi, sur Cause Commune, notamment Les joyeux pingouins en famille.

Valentin : C’est ça. Rendez-vous tous les jeudis à 21 heures pour Les joyeux pingouins en famille et tous les dimanches à 18 heures pour l’émission Tintamarre, cette fois c’est moi qui fais les playlists. Je ne parle pas tout le temps. C’est moi qui fais une sélection un peu précise selon une ambiance, une atmosphère. C’est tout simplement la joie d’écouter et de partager de la musique.

Étienne Gonnu : Super. Tu peux nous rappeler les deux rendez-vous ?

Valentin : Le jeudi à 21 heures et le dimanche à 18 heures.

Étienne Gonnu : OK. Super. Bonne fin de journée à toi Valentin.

Valentin : Merci. Salut.

Étienne Gonnu : Salut.

[Virgule sonore]

Étienne Gonnu : J’espère que ça vous a plu. Un échange enregistré le 4 février 2021.
Vous retrouverez les références des musiques commentées ainsi que la playlist des musiques diffusées sur la page dédiée à l’émission sur april.org et sur causecommune.fm.

Vous écoutez toujours Libre à vous ! sur radio Cause Commune, la voix des possibles, 93.1 FM et en DAB+ en Île-de-France et partout dans le monde sur le site causecommune.fm.

Je suis Étienne Gonnu, chargé de mission affaires publiques pour l’April.

Nous allons passer à notre sujet suivant.

[Virgule musicale]

Un point avec l’association Interhop sur son recours contre le partenariat entre l’État et la plateforme Doctolib

Étienne Gonnu : Pour notre dernier sujet, j’ai le plaisir d’accueillir par téléphone Adrien Parrot, de l’association Interhop, et Juliette Alibert, avocate au barreau de Paris. Vous êtes avec nous ? Bonjour.

Juliette Alibert : Bonjour.

Adrien Parrot : Bonjour.

Étienne Gonnu : Nous allons avoir le plaisir, en tout cas grand intérêt à discuter avec vous du recours que menait l’association de promotion du logiciel libre pour la santé, Interhop, contre le partenariat entre l’État et la plateforme Doctolib pour la prise des rendez-vous pour la vaccination contre le Covid-19.
Nos auditeur·rice·s fidèles se rappelleront sans doute que nous avons déjà reçu Interhop qui avait également fait un recours contre le Health Data Hub, une plateforme pour la recherche sur les données de santé, parce que cette plateforme hébergeait ses données chez Microsoft ; ça avait été, à l’époque, un recours victorieux puisque le Conseil d’État avait enjoint la plateforme de trouver une autre solution d’hébergement qui ne soit pas soumise au droit américain, on y reviendra sans doute.
Qu’est-ce qui a motivé ce recours contre le partenariat entre l’État et Doctolib ? Adrien Parrot.

Adrien Parrot : En effet on a attaqué. On fait à nouveau un recours en Conseil d’État. On était associé à 13 autres parties dont des syndicats de médecins et de patients ; la Ligue des droits de l’homme était aussi avec nous.
En fait, ce sont des sujets tout à fait connexes entre le Health Data Hub hébergé chez Microsoft et le partenariat dans le cadre de la prise de rendez-vous chez Doctolib en l’occurrence, puisque Doctolib est hébergé, cette fois-ci, pas chez Microsoft, mais chez Amazon Web Services, qui est le cloud d’Amazon. On a attaqué ce partenariat sur les mêmes fondements que sont le recours à des sociétés soumises au droit américain, donc non soumises strictement au droit européen comme devraient l’être, à notre sens, les sociétés qui hébergent des données de santé.

Étienne Gonnu : Pourquoi est-ce un problème que ces données qui concernent les prises de rendez-vous pour la vaccination soient hébergées chez Amazon ?

Juliette Alibert : Ce qui est problématique, d’ailleurs c’est la même problématique que dans le cadre du contentieux sur le Health Data Hub que vous l’avez rappelé, c’est effectivement qu’en l’état, le droit américain, de par ses effets extra-territoriaux, ne permet pas de garantir un niveau d’adéquation en termes de protection équivalent au RGPD, notamment au regard de certaines lois qui permettent aux autorités des services de renseignement d’avoir accès aux données sur le fondement du FISA [Foreign Intelligence Surveillance Act] ou de l’Executive Order.
Le fait que Doctolib héberge effectivement ces données personnelles, ces données de santé, au sein d’une société soumise au droit américain, ça veut dire que dès lors qu’il y a ces demandes sur le fondement des deux bases légales que j’ai rappelées, effectivement les données se retrouvent aux États-Unis, en méconnaissance du RGPD ; donc ça c’est problématique.

Étienne Gonnu : Le RGPD est la réglementation européenne qui régule un peu l’usage que les entreprises — ou n’importe quel acteur — peuvent faire des données personnelles, si on résume à gros traits. Tous ces sujets sont notamment traités dans la chronique mensuelle de Noémie Bergez sur Libre à vous ! ; je mettrai les références ce qui pourra permettre aux personnes que ça intéresse de creuser le sujet.
Là vous parlez d’extra-territorialité, c’est-à-dire comment le droit européen peut s’appliquer à des entreprises étrangères, c’est ça l’idée ?

Juliette Alibert : Plutôt là, en l’état, on a effectivement des données qui sont hébergées sur le sol français, sur le sol européen, parce que les sociétés, donc les données, sont hébergées sur le sol français et européen, mais comme ce sont des sociétés dont le siège social est aux États-Unis, elles sont soumises au droit américain. Donc, sur la base de la section 702 du FISA, par exemple, il est possible à tout moment aux autorités américaines de demander un accès aux données auprès de ces grosses sociétés et même d’imposer à ces sociétés de taire l’accès à ces données, c’est-à-dire de le faire sans que les citoyens européens soient informés.
Sur la base de l’Executive Order, c’est complètement différent : ces autorités-là peuvent se servir, c’est comme une espèce de pompe, elles peuvent directement pomper les données. C’est ce qui a donné lieu à une jurisprudence importante, la jurisprudence Schrems II cet été, qui, au regard de ces ingérences-là, a fait valoir que dès lors qu’une société qui héberge des données à caractère personnel est soumise au droit américain, c’est totalement incompatible avec le RGPD.

Étienne Gonnu : La fameuse fin du Privacy Shield, c’est bien ça ?

Juliette Alibert : Exactement.

Étienne Gonnu : On en a beaucoup entendu parler.
Si je me rappelle bien, cette décision, le Schrems II, est intervenue juste avant une décision du Conseil d’État dans le recours d’Interhop – et d’autres personnes, dans le collectif SantéNathon – contre le Health Data Hub, et c’est sur la base de cette jurisprudence que le Conseil d’État a donné raison au collectif SantéNathon, ou je me trompe ?

Juliette Alibert : Le référé était un référé liberté, il y a eu une décision de rejet, mais en même temps, en substance, à ce moment-là, le juge a reconnu au regard de la jurisprudence Schrems II qu’effectivement les risques étaient réels et il a simplement laissé un délai raisonnable pour que le Health Data Hub soit hébergé auprès d’un autre hébergeur, donc changer et passer de Microsoft à notamment un hébergeur soumis au droit français ou, en tout cas, au droit européen.

Étienne Gonnu : D’accord. Quand on revient maintenant au présent, vous nous faisiez part de grandes similitudes, la problématique étant similaire, c’est-à-dire un hébergement chez une entreprise soumise au droit américain, et pourtant la décision du Conseil d’État n’a pas été la même.

Adrien Parrot : En effet. Déjà, la problématique que l’on essaie de soulever est vraiment systémique. Il faut redire qu’on n’est ni contre la recherche ni contre la prise de rendez-vous avec l’utilisation d’outils numériques, par contre on veut vraiment faire prendre conscience des risques liés à ces textes de portée extra-territoriale, qui s’appliquent directement sur les serveurs hébergés, même si les serveurs sont hébergés en France.
En effet, la décision ne va pas exactement dans le même sens que la précédente décision du Conseil d’État sur le HDH, sur le Health Data Hub. Dans le cadre de ce recours, on a demandé plusieurs fois à l’écrit et à l’oral lors de l’audience — Juliette Alibert l’avait fait en tant qu’avocat, les parties l’avaient demandé — que la CNIL soit saisie pour que la CNIL puisse donner un avis dans un cadre différent. Lors de l’audience, au Conseil d’État en octobre dernier, c’était sur les entrepôts de données de santé que la CNIL avait donné son avis, donc un sujet connexe parce qu’il y a de l’hébergement de données, mais ce n’était pas exactement le même cadre. Donc on voulait un avis juridique de la CNIL sur l’hébergeur, en l’occurrence Amazon, et ça, malheureusement, on ne l’a pas eu, on n’a pas réussi à l’avoir. C’est vrai que personnellement je suis très déçu que cet avis n’ait pas eu lieu. Il aurait été sûrement aidant d’un point de vue juridique et d’un point de vue technique aussi pour analyser exactement la sécurité de la plateforme de prise de rendez-vous.

Étienne Gonnu : Oui, bien sûr.
Je pense que la plupart des gens connaissent la CNIL, mais au cas où, on rappellera qu’il s’agit d’une autorité administrative indépendante, la Commission nationale informatique et libertés, qui a pour objet de faire appliquer le Règlement général sur la protection des données personnelles. Elle avait effectivement donné un avis, tu le rappelais Adrien, contre le Health Data Hub, qui allait fortement dans le sens que vous indiquez, qui levait beaucoup de drapeaux rouges par rapport à la situation d’un hébergement chez Microsoft, si je me souviens bien.

Adrien Parrot : C’est exactement ça. Elle disait que l’hébergement des données de santé du HDH, du Health Data Hub, devait être strictement soumis à des entités relevant uniquement du droit européen. C’est vrai que c’est clairement un avis qui allait dans le sens de nos inquiétudes et de ce que l’on dénonçait.
Avant d’envoyer des données au Health Data Hub il y a une étape pour une partie des données, une grosse partie, où c’est la CNAM, la Sécurité sociale qui doit donner son accord pour envoyer les données au Health Data Hub. J’ajoute que la CNAM, il y a peut-être maintenant trois semaines, à cause des problématiques juridiques que Juliette Alibert a mis en valeur, le FISA et l’Executive Order, a décidé de bloquer l’envoi des données au Health Data Hub ; le conseil d’administration de la CNAM a décidé de bloquer l’envoi des données au Health Data Hub parce qu’il était soumis à une société américaine et parce que c’est, en l’occurrence, Microsoft.

Étienne Gonnu : Une décision concrète très importante.
Du coup, comment expliquez-vous cette différence ? Quel changement de paradigme utilise le Conseil d’État pour arriver à une conclusion différente sur des sujets qui, finalement, ont l’air assez similaires ? Et comment vous, expliquez-vous cette différence de décision ? Juliette Alibert, peut-être, sur le fond juridique, déjà.

Juliette Alibert : C’est vrai que d’emblée ça s’inscrit effectivement dans la lignée du contentieux sur le Health Data Hub, mais, en même temps, il y a des différences qui sont essentielles, qui sont majeures. D’une part les données traitées par Doctolib ne sont pas pseudonymisées comme c’était le cas sur le Health Data Hub et c’était important de le marquer, parce que cela veut dire qu’elles sont directement identifiantes. C’était un point vraiment différent. Ce qui s’est passé c’est que le juge a considéré dans son ordonnance que d’une part, les données de prise de rendez-vous dans le cadre de la politique vaccinale – dans le cadre du partenariat entre le ministère de la Santé et de Doctolib pour gérer les rendez-vous, pour prendre rendez-vous pour les vaccins – n’étaient pas des données de santé. Lors de l’audience il y a eu un long débat. Les parties et moi-même avons fait valoir qu’effectivement c’était bien des données de santé puisque le fait de répondre directement à la question : est-ce que la personne a eu une première et une deuxième injection ou non, ça renseigne bien directement sur l’état de santé de la personne, même indirectement puisque les personnes, dès lors qu’elles ont un compte associé préexistant, il suffit de croiser l’ensemble des données et puis on sait effectivement notamment pourquoi elles ont pu avoir une première injection en tant que public prioritaire. Rien qu’au moment, en fait, où la personne se fait vacciner, on peut en déduire qu’elle était public prioritaire parce qu’elle souffrait d’une pathologie importante, puisqu’il y avait une liste de pathologies pour avoir droit au vaccin.
C’est un des raisonnements du Conseil d’État — peut-être qu’Adrien pourra me compléter – vis-à-vis duquel on est extrêmement inquiets parce que ça signifie aujourd’hui que les données que sont les rendez-vous ne sont plus considérées comme des données de santé ou, en tout cas, ça ouvre cette brèche-là. Là, on nous dit que ce n’est que pour la politique vaccinale, mais ça ouvre cette brèche qui est très inquiétante et, du coup, ça crée un risque majeur d’atteinte, demain, au secret médical.
Ensuite — je ne vais pas être trop longue, on pourra en discuter après —, ce qui est passé, c’est que le juge, dans sa décision, a fait valoir qu’il y avait des garanties contractuelles suffisantes, notamment un contrat entre Doctolib et Amazon qui permettrait à priori à Amazon de notifier à la société Doctolib si elle avait des demandes d’accès par les autorités américaines ou, en tous cas, d’essayer de s’y opposer. Alors que quand on lit le FISA, par exemple, on se rend bien compte que, de toute façon, sur la base de ces textes, les autorités américaines peuvent directement demander à Amazon de taire ces demandes, donc on ne voit pas vraiment en quoi c’est une garantie. Et, en termes de garanties techniques, ce qui a été mis en valeur par l’ordonnance du juge c’est qu’en fait il y avait, de toute façon, un jeu de clefs détenu par une société tierce, de confiance, et que ça suffisait. Lors de l’audience il y a eu deux heures d’échanges sur les aspects juridiques et sur les aspects techniques aussi, j’aimerais vraiment qu’Adrien puisse compléter ensuite sur tout ce qui était chiffrement, et c’est vrai que dans l’ordonnance tout ça est réduit en un tout petit paragraphe. Je trouve que c’est dommage parce qu’il y a énormément de questions qui étaient posées. On a fait valoir, effectivement, que la CNIL devait être saisie et ça n’a pas été le cas.

Étienne Gonnu : Pour rebondir sur le fait du manque d’avis de la CNIL, on voit bien, on devine même sans être spécialiste du sujet, tout l’enjeu qu’il peut y avoir à considérer qu’effectivement les données par rapport à un rendez-vous médical puissent être considérées comme des données personnelles et tout le danger qu’il y a à considérer qu’elles ne le sont pas, qu’elles n’ont pas cette sensibilité-là. Effectivement, on sera vigilant sur les évolutions jurisprudentielles qu’il pourrait y avoir par rapport à tout ça.
Effectivement, je pense qu’Adrien aura beaucoup à nous dire là-dessus, sur un sujet qui est difficile, celui de la cybersécurité.
Si j’ai bien compris, pour reprendre les propos de Juliette Alibert, une des justifications pour dire que finalement le contrat était OK par rapport au RGPD c’était de dire qu’il y avait des clés de chiffrement, que les données n’étaient pas accessibles à moins d’avoir ces clés pour déchiffrer les données. Mais Interhop a fait un travail de fond très important pour montrer que non, finalement ce n’était pas satisfaisant d’un point de vue de sécurité.
Adrien, tu as la lourde tâche de rendre accessible à des personnes non spécialistes de la cybersécurité tout cet enjeu.

Adrien Parrot : Pour rebondir juste rapidement sur les rendez-vous, dire que les rendez-vous ne sont pas des données sensibles et des données de santé ne s’appuie sur aucun argument en lien avec le RGPD, avec le Règlement sur la protection des données. Le RGPD définit les données de santé comme étant en lien directement ou indirectement avec un état de santé, donc déjà la définition est très large, volontairement, pour être protectrice pour les personnes. La CNIL et l’Ordre des médecins, dans un papier commun, avaient clairement dit que les rendez-vous sont des données de santé. Encore une fois, dire que des rendez-vous de vaccination ne sont pas des données de santé ! Est-ce qu’un rendez-vous de gynécologue, de proctologue est une donnée de santé ? Est-ce que chez le cardiologue c’est une donnée de santé ? Je pense que c’est très dangereux de commencer à différencier des données de santé sans fondement réel juridique. Je rajoute aussi que le secret médical c’est le fondement de la médecine et que c’est parce qu’il y a un secret, parce que les patients peuvent parler librement, qu’on peut faire une médecine de qualité. Il faut garder à tout prix ce lien de confiance entre les soignants et les soignés et c’était déjà ce qu’on défendait pour le Health Data Hub, ce fondement même de la confiance et de la relation de soin.
Sur le chiffrement, ce qui se passe pour les rendez-vous – c’est tout à fait détaillé sur le blog d’Interhop –, ce qui est chiffré ce sont les données au repos et les données en transit.
Les données au repos c’est par exemple une sauvegarde, c’est un ensemble de données au repos, donc la sauvegarde est chiffrée chez Amazon aussi. Cette partie-là est chiffrée. Par contre, quand on parle de chiffrement, il faut toujours se poser la question de savoir où est la clé de déchiffrement et cette clé de déchiffrement, de toute façon, elle est aussi chez Amazon. Donc même si les données sont chiffrées au repos – je parle vraiment d’un sous-ensemble, la sauvegarde –, de toute façon les clés de déchiffrement sont présentes aussi chez Amazon.
Le deuxième gros bloc de donnéEs chiffrées ce sont les données en transit entre le serveur et le navigateur. Là c’est le protocole HTTPS ; le « S » de HTTPS veut dire que c’est sécurisé.
On voit qu’on décrit deux blocs chiffrés, les sauvegardes et les données entre le serveur et le navigateur du patient ou même du médecin, mais il y a plein d’autres étapes qui, à notre sens, ne sont pas chiffrées : typiquement le serveur, un peu plus pour les experts peut-être, le back-end qui accède aux données de la base de données, lui, forcément, a accès aux données et ce back-end est aussi chez Amazon. Donc, voilà ! Il y a un moment donné, pour résumer, où les données sont de toute façon déchiffrées sur le serveur d’Amazon.
Deuxième grosse alerte de notre analyse technique, c’est qu’entre les serveurs Amazon et le navigateur des utilisateurs et des utilisatrices, il y a ce que l’on appelle Cloudflare, qui est une société soumise au droit américain qui a des intérêts techniques. On n’est pas en train de critiquer l’intérêt de mettre Cloudflare, par contre la problématique de Cloudflare, c’est que cette société et les serveurs de cette société américaine voient toutes les données passer en clair. Ça c’est aussi un appel peut-être un peu aux plus geek qui écoutent, peut-être même la CNIL, de parler de Cloudflare et d’expliquer sur les réseaux que c’est vraiment un point central qui présente une faille de sécurité très importante.

Étienne Gonnu : Merci. Je pense que ça a été relativement accessible et, clairement, c’est un sujet qui est complexe. J’invite vraiment les personnes que ça intéresse à aller voir, on mettra le lien sur le site de l’April. Interhop a fait un gros travail d’explication, avec des schémas, pour rendre le sujet plus accessible, un sujet qui n’est vraiment pas évident sinon.
Notre temps avance, j’aimerais vous laisser le mot de la fin. Est-ce qu’il y a un point central sur lequel vous aimeriez revenir, un point qu’on n’a pas abordé qui vous paraît essentiel avant que nous nous quittions ? Juliette Alibert.

Juliette Alibert : Pour moi c’est essentiel que sur ces contentieux importants qu’il y ait un travail des techniciens avec les juristes sur l’aspect juridique et sur l’aspect technique. C’est vrai que ça a été un travail de fond très important qu’on a pu mener ensemble avec les parties, notamment avec Interhop, pour faire valoir les enjeux en termes de garanties techniques.
C’est vraiment extrêmement dommage que la CNIL n’ait pas pu être saisie d’autant qu’Adrien a expliqué, a rappelé tout ce qui a pu être démontré dans le cadre de l’audience. Ensuite il y a eu un gros travail parce que des journalistes d’investigation sont venus à l’audience, France Inter, une journaliste qui s’est saisie elle-même de la question, qui a fait les mêmes vérifications que celles que Interhop avait faites et avait présentées à l’audience. Il y a plusieurs journalistes, un chercheur de l’Inria qui sont arrivés aux mêmes conclusions que celles qu’on faisait, qu’on avait déployées. Ça montre bien que c’est important qu’il y ait une montée en compétences et, en tout cas, vraiment un travail entre les juristes et les techniciens, je sais pas comment les appeler, les geeks, sur ces sujets-là, parce que ça permet de mettre en exergue, de faire valoir l’absence de garanties de façon très concrète.
Effectivement, je rejoins aussi Adrien : un des points qui nous met vraiment en difficulté, c’est sur les données de rendez-vous qui ne seraient pas des données de santé. Je pense que c’est une énorme alerte et qu’il va falloir être vigilants. Les parties, de toute façon, n’entendent pas en rester là ; c’est infondé d’un point de vue juridique, en tous cas à notre sens. Effectivement, il faut répondre aux enjeux sanitaires, mais la politique de vaccination et le Covid ça ne permet pas d’aller trop loin et, en tout cas, de revenir sur des acquis en termes de protection de la vie privée et du secret médical.

Étienne Gonnu : C’est entendu. En tout cas, on va suivre votre lutte et vous soutenir autant que possible.
Merci beaucoup Adrien Parrot, président de l’association Interhop, Juliette Alibert, avocate au barreau de Paris. On rappellera les liens, notamment un lien pour soutenir non seulement financièrement mais aussi par des contributions techniques la superbe association Interhop.
Un grand merci à tous les deux. Je vous souhaite une bonne fin de journée et meilleurs vœux pour la continuation de votre combat.

Adrien Parrot : Merci.

Juliette Alibert : Merci beaucoup pour l’invitation.

Étienne Gonnu : Avec plaisir.

Nous approchons de la fin de l’émission. Nous allons terminer par quelques annonces.

Quoi de Libre ? Actualités et annonces concernant l’April et le monde du Libre

Étienne Gonnu : Première annonce, quelque chose qui arrive de manière imminente. Juste après l’émission nous vous proposons une session d’échanges en visioconférence. Vous avez peut-être envie de nous poser des questions, nous faire des remarques. Ça commence à 17 heures sur le site visio.libreavous.org. On pourra consacrer quelques minutes à un échange avant de rentrer chez nous. On continuera par la suite ce temps d’échange en visioconférence chaque samedi de 16 heures à 17 heures, à partir du samedi 27 mars.
Samedi 20 et dimanche 21 mars aura lieu l’édition 2021 de LibrePlanet qui est la conférence annuelle de la Free Software Foundation, la Fondation pour le logiciel libre. Une session de conférences qui seront intégralement réalisées en ligne. D’ailleurs on félicite tous les bénévoles de la Free Software Foundation ainsi que les membres de l’équipe pour cette belle réalisation, réaliser un tel évènement en ligne. Bien sûr, ce sont des conférences en anglais. J’aurais moi-même le plaisir de présenter une conférence sur les actions de l’April samedi 20 mars à 17 heures 55, heure française.
Le mardi 30 mars sera un Libre à vous ! particulier, ce sera la centième. N’hésitez pas à nous envoyer des mots d’amour, bien sûr à écouter l’émission. Vous trouverez l’adresse de contact sur la page de l’April. On aura plein de cadeaux pour vous. Une émission qu’on essaiera de faire aussi exceptionnelle que possible.
Je précise aussi que samedi 20 mars l’April fera son AG 100 % à distance via le logiciel libre de visioconférence BigBlueButton. C’est une AG importante, réservée aux membres. J’en profite pour rappeler aux membres de l’April qui nous écouteraient qu’il est toujours temps de voter pour le conseil d’administration.
Retrouvez, comme d’habitude, toutes les actualités du Libre sur l’Agenda du Libre, agendadulibre.org

Notre émission se termine.
Je remercie bien sûr les personnes qui ont participé à l’émission : Vincent Calame, Valentin, Adrien Parrot et Juliette Alibert.
Aux manettes de la régie aujourd’hui Adrien Bourmault.
Merci également à l’équipe qui s’occupe de la post-production des podcasts : Samuel Aubert, Élodie Déniel-Girodon, Olivier Humbert, Lang1, Sylvain Kuntzmann, tous bénévoles à l’April, Olivier Grieco, le directeur de la radio. Merci également à Quentin Gibeaux, bénévole à l’April, qui découpe le podcast complet en podcasts individuels par sujet.

Vous retrouverez sur notre site web, april.org, toutes les références utiles ainsi que sur le site de la radio, causecommune.fm.

Nous vous remercions d’avoir écouté l’émission.
Si vous avez aimé cette émission, n’hésitez pas à en parler le plus possible autour de vous et également à faire connaître la radio Cause Commune, la voix des possibles

La prochaine émission aura lieu en direct le mardi 23 mars 2021 à 15 heures 30. Notre sujet principal devrait porter sur madada.fr, un site associatif qui vous aide à faire des demandes d’accès aux documents administratifs.

Nous vous souhaitons de passer une belle fin de journée. On se retrouve en direct mardi 23 mars et d’ici là, portez-vous bien.

Générique de fin d’émission : Wesh Tone par Realaze.