Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Frédéric Couchet : Bonjour à toutes. Bonjour à tous dans Libre à vous !. C’est le moment que vous avez choisi pour vous offrir une heure trente d’informations et d’échanges sur les libertés informatiques et également de la musique libre.
Ce mardi, nous vous convions Au café libre pour débattre autour de l’actualité du logiciel libre et des libertés informatiques. Ce sera le sujet principal de l’émission du jour. Avec également, en début d’émission, la chronique d’Antanak et, en fin d’émission, la chronique de Vincent Calame « Semences, une histoire politique ; partie 4 ».
Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission qui vous raconte les libertés informatiques, proposée par l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Je suis Frédéric Couchet, le délégué général de l’association.
Le site web de l’émission c’est libreavous.org. Vous pouvez y trouver une page consacrée à l’émission du jour avec tous les liens et références utiles et également les moyens de nous contacter. N’hésitez pas à nous faire des retours ou nous poser toute question.
Notre émission est diffusée, depuis 2018, sur les ondes de radio Cause Commune. Cette diffusion permet de toucher un très large public.
Radio Cause Commune fonctionne grâce à l’engagement de bénévoles, sans aucune personne salariée, mais a, bien sûr, des frais de fonctionnement. La radio a fait face récemment à de gros soucis financiers.
Un appel aux dons avait été lancé. Nous tenions tout d’abord à vous remercier, car, grâce à vous, grâce à votre soutien, à votre mobilisation, Cause Commune va pouvoir passer la fin d’année avec un peu plus de sérénité. L’objectif initial de 13 000 euros vient tout juste d’être dépassé, c’est donc formidable ! Mais l’équipe de la radio a décidé de ne pas s’arrêter là. Je relaie donc un appel de l’équipe.
Ce qui nous serait utile, désormais, c’est qu’avant le 31 décembre, on fasse découvrir Cause Commune à un maximum de personnes nouvelles. Pourriez-vous demander, s’il vous plaît, à trois personnes à qui vous voulez du bien de visiter le site de Cause Commune, causecommune.fm, et de cliquer sur l’appel aux dons pour découvrir cette radio associative et citoyenne ? Ces trois personnes pourraient ensuite faire un petit don, même de trois, cinq, ou sept euros. L’idée de ce nouvel objectif est d’atteindre les 1000 personnes donatrices avant la fin de l’année.
Au jour où on lance un nouvel appel, vous êtes moins de 200 personnes à avoir permis de récolter la somme initialement demandée. Alors oui, le pari des 1000 personnes est ambitieux, mais on compte sur vous qui aimez cette radio libre et qui souhaitez la faire grandir.
Nous sommes mardi 12 décembre 2023, nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.
À la réalisation de l’émission du jour, Magali Garnero. Salut Mag.
Magali Garnero : Salut Fred.
Frédéric Couchet : Nous vous souhaitons une excellente écoute.
[Jingle]
Chronique d’Antanak « Que libérer d’autre que du logiciel » - « Comment rendre l’intelligence artificielle plus inclusive ? »
Frédéric Couchet : « Que libérer d’autre que du logiciel », la chronique d’Antanak. Isabelle Carrère et d’autres personnes actives de l’association Antanak se proposent de partager des situations très concrètes et/ou des pensées mises en actes et en pratiques au sein du collectif : le reconditionnement, la baisse des déchets, l’entraide sur les logiciels libres, l’appropriation du numérique par toutes et tous.
Bonjour Isabelle.
Isabelle Carrère : Bonjour.
Frédéric Couchet : Comme d’habitude, je vais découvrir le sujet de ta chronique du jour, donc c’est à toi.
Isabelle Carrère : Merci beaucoup.
Aujourd’hui j’avais, en fait, deux sujets. Je ne sais pas si ça va tenir, si ça ne tient pas, je vais improviser, je n’en ferai qu’un et je ferai l’autre l’année prochaine.
J’avais un premier sujet parce que le numéro de novembre de la revue La Déferlante, la revue des révolutions féministes, et en novembre je n’étais pas là, a fait un article sur l’intelligence artificielle et elle avait mis un titre à cet article-là, et la question posée par ce titre de la La Déferlante m’a d’abord étonnée : « Comment rendre l’intelligence artificielle plus inclusive ? »
En effet, le terme d’inclusivité m’agace tellement il est dans toutes les bouches, comme à la mode, on croirait peut-être qu’inclure suffirait à être ensemble : on inclut des différences dans les échanges, on inclut des féminins dans l’écriture, on inclut des personnes dites étrangères, on inclut des personnes dites éloignées du numérique, etc. Je ne suis pas sûre que ça suffise, mais, disons que c’est un maître-mot, admettons-le pour le moment.
En tout cas, c’est assez intéressant. Dans cet article, trois personnes proposent leur constat concernant l’intelligence artificielle. Il y a Vanessa Nurock qui est responsable, entre autres, de la chaire d’éthique du vivant et de l’artificiel à l’Unesco, tout un programme !, Amélie Cordier qui est docteure en intelligence artificielle et fondatrice d’une asso à Lyon, et Doaa Abu-Elyounes qui est juriste et travaille aussi auprès l’Unesco. Les trois évoquent les biais de l’intelligence artificielle et remettent en question la soi-disant neutralité des traitements, des calculs et des résultats.
Doaa Abu-Elyounes donne notamment l’exemple des utilisations de l’intelligence artificielle pour détecter – je ne sais pas si vous vous souvenez de cette histoire, je crois que c’était 2020 ou 2021 – les fraudes aux aides sociales aux Pays-Bas mais aussi aux États-Unis, je crois que c’était en 2021. Le gouvernement néerlandais avait été mis en cause sur des pratiques parce que 20 000 familles avaient été accusées, à tort, au moyen d’un paramétrage sous forme d’un profilage ethnique, avec des indicateurs du type avoir une deuxième nationalité ou ne pas parler le néerlandais complètement, couramment, etc. Il y avait vraiment eu un scandale de ce côté-là.
On s’en étonne, mais ce n’est pas très étonnant, puisque, ce qui est intéressant, c’est que les données qui sont celles que l’intelligence artificielle traite sont des données choisies.
D’autres éléments sont évoqués dans cet article, ce dossier de La Déferlante. Un peu plus loin, Amélie Cordier indique s’être prêtée à utiliser une application, Stable Diffusion, je ne sais pas si je prononce bien, et voilà les résultats. Elle a dit : « Est-ce que tu pourrais me créer un portrait de médecin ? », et là, c’est un homme, blanc, de 40 ans, qui s’affiche, comme c’est bizarre ! En fait, ça ne nous étonne pas, c’est ça qui est terrible, ça ne nous étonne même plus ! En effet, les apprentissages que l’on fait faire aux machines sont des techniques supervisées par des humains, donc ce n’est pas la machine qui se crée elle-même son jeu de règles ou de données, mais c’est bien ce qu’on lui fournit qu’elle est capable, ensuite, de traiter.
Donc, les déséquilibres, les discriminations, ne sont que le reflet de celles de la société.
Dans le cursus d’intelligence artificielle, par exemple, toutes les trois, intervenant dans cet article, notent que peu de femmes sont là, se forment puis travaillent dans le secteur de l’intelligence artificielle. Du coup les choix, à chaque étape, ont évidemment un effet sur le produit fini.
Elles concluent sur le fait que des outils, tel ChatGPT, sont biaisés par leur fabricant, exemple sur les réponses proposées dans différentes langues parce que, en fait, les contenus ne sont que des contenus traduits de connaissances américaines. Du coup, ce ne sont pas du tout des savoirs en provenance du pays, de la culture ou même de la langue concernée.
J’ai entendu ailleurs, ce n’est pas dans l’article de La Déferlante, qu’une boîte, qui s’appelle Remotasks, emploie actuellement 240 000 travailleurs en Inde ou dans des pays d’Afrique, pour fournir des données. Évidemment ils sont tous très bien payés ! Donc, ils fournissent des données déjà codifiées pour nourrir les machines et leur permettre des requêtes. En fait, la nature des données qui leur est demandé d’ajouter sont celles qui proviennent des États-Unis.
Bref ! Je vois de plus en plus de personnes se satisfaire d’outils dont les algorithmes ne sont pas très transparents, pas très reconnus et pas non plus multi-situés, si vous me passez cette expression. Du coup comment faire ? Moi qui ne suis pas une informaticienne, je me dis que quand il s’agit de préparer une voiture sans conducteur — je trouve ça très bête comme affaire et comme sujet, mais enfin ! —, potentiellement, ça peut ne pas être trop dangereux de lui expliquer quelle est la différence entre une voiture, un mur, un piéton ; tout ça peut être codifié de manière assez... OK ! Dont acte. Mais quand il s’agit, par exemple, d’un choix de traitement médical, adapté ou pas à telle personne, je trouve que c’est un peu plus dangereux que ça ne soit pas multi-situé.
Est-ce qu’il y a une intelligence artificielle libre ? Est-ce que c’est idiot comme question ? Est-ce qu’il y a une intelligence artificielle vraiment féministe ? Ou, allez, je pousse le bouchon un peu plus loin, une intelligence artificielle queer ? Je ne suis pas sûre !
Vous me direz que c’est loin des préoccupations directes d’Antanak, certes, puisque les gens, malheureusement, parmi les personnes qui viennent nous voir, ne se préoccupent pas assez de ces questions-là. Mais justement, je me trouve, en fait, en difficulté sur la capacité à expliquer ce qui me chagrine ou sur la façon de présenter à des personnes qui « débarquent », entre guillemets, si vous me passez l’expression, sur le sujet du numérique, de l’informatique. Comment parle-t-on de cela, sans faire peur à tout le monde bêtement, et, en même temps en essayant, comme on essaye de le faire dans l’éducation populaire, d’éduquer à une certaine forme de discernement. Je trouve que c’est un sujet.
Cet article me paraissait intéressant et cette série de choses dans la revue La Déferlante.
J’ai encore deux minutes ?
Frédéric Couchet : Oui. C’est dans quel numéro ?
Isabelle Carrère : C’est le numéro 12 de novembre de 2023.
Frédéric Couchet : Pour les personnes qui nous écouteront notamment dans le futur. Il est disponible actuellement en kiosque.
Isabelle Carrère : Tout à fait. Il l’est encore, c’est un trimestriel, normalement c’est octobre, novembre, décembre.
Frédéric Couchet : Un trimestriel. Tu as encore deux minutes si tu veux, vas-y.
Isabelle Carrère : J’ai encore deux minutes, c’est vrai ?
Je voulais juste dire un petit mot qui a un peu plus de sens, en lien direct avec Antanak : ce matin j’étais à une réunion d’un réseau de Paris, qui s’appelle le Réseau d’inclusion numérique pour le 18e, et là on a rencontré des gens de cybermalveillance.gouv.fr. Ces personnes sont au nombre de 20 – je ne le savais pas, je pensais qu’ils étaient bien plus bien plus nombreux que ça, mais non ! Elles sont 20 personnes en tout sur tout le territoire. C’est une plateforme qui a été créée en 2017 et qui a pour « cible », entre guillemets, des particuliers, des associations, des petites entreprises et des collectivités territoriales. C’est assez intéressant. Je me suis dit « hou, la, la, ça va être hyper-normatif dans le « qu’est-ce qu’il faut faire, qu’est-ce qu’il ne faut pas faire » ou bateau genre « changez bien votre mot de passe, n’utilisez pas... ». Il y a ça, c’est vrai, c’est factuel, il y a tout ça, mais j’ai trouvé que ce n’était pas si pire dans la façon de présenter aussi d’autres thématiques. Je trouve qu’ils ont un peu avancé, ils ont fait des mallettes pédagogiques, ils ont fait des machins, alors, certes, uniquement en français, mais c’est déjà bien, des kits de sensibilisation, des petites fiches et ils disent assister beaucoup de victimes ; ils ont donné des chiffres, c’était 6000 victimes, depuis 2017, qu’ils ont assistées, accompagnées et aidé soit à retrouver leurs données, leurs informations, etc., soit, en tout cas, à remonter le choc. J’ai trouvé ça intéressant. Le seul truc qui est bizarre : parmi les 62 membres de cette plateforme, il y a, entre autres, Google ! Ah ! Ah ! J’ai posé la question, on m’a dit « c’est obligé, ils font partie de l’écosystème ! » Je n’ai vu l’April !
Frédéric Couchet : Nous ne pouvons pas être présents partout ! Par contre, si c’est la structure à laquelle je pense, son responsable est Jérôme Notin et, sauf erreur, c’est un est un libriste.
Isabelle Carrère : Tout à fait, ils ne travaillent qu’avec du Libre : toute leur documentation, tous leurs trucs.
Frédéric Couchet : Je l’ai connu dans une autre vie, il y a une vingtaine d’années. D’ailleurs, récemment, il est intervenu au salon Open Source Expérience [« Table">ronde : L’open source peut-il être un allié pour la cybersécurité ? »] dont on va parler, tout à l’heure, dans Au Café libre.
Isabelle Carrère : C’est une chose qui m’a bien intéressée : eux-mêmes ne travaillent qu’avec des logiciels libres et ils en parlent aussi.
Frédéric Couchet : Le site web, de mémoire, cybermalveillance.gouv.fr. On mettra les références sur le site de l’émission, libreavous.org, et sur le site causecommune.fm.
Merci Isabelle et, exceptionnellement, tu vas rester avec nous parce que tu vas participer Au café libre juste après. En attendant, on va faire une pause musicale.
[Virgule musicale]
Frédéric Couchet : Après la pause musicale, nous vous convions Au café libre pour débattre avec nous autour de l’actualité du logiciel libre des libertés informatiques.
En attendant, nous allons écouter You Wanna Dance On my Songs par Calyman. On se retrouve dans trois minutes trente. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
Pause musicale : You Wanna Dance On my Songs par Calyman.
Voix off : Cause Commune, 93.1.
Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter You Wanna Dance On my Songs par Calyman, disponible sous licence libre GNU GPL. J’ai été surpris parce que c’est assez rare qu’on ait cette licence, pourtant c’est moi qui l’ai noté ! je me surprends moi-même
avec mes notes !
Nous allons passer au sujet suivant.
[Jingle]
Au café libre, actualités chaudes, ton relax, débat autour de l’actualité du logiciel libre et des libertés informatiques
Frédéric Couchet : Nous allons poursuivre par notre sujet principal. C’est un sujet taillé pour le direct, donc, si vous écoutez, n’hésitez pas à participer à notre conversation sur le salon web dédié à l’émission, soit sur le site causecommune.fm, bouton« chat », salon #libreavous, soit sur le site de l’émission, libreavous.org.
Nous vous souhaitons la bienvenue Au café libre où on vient papoter sur l’actualité du logiciel libre dans un moment convivial. Un temps de débat avec notre équipe de libristes de choc, issus d’une rigoureuse sélection pour discuter avec elles et eux et débattre de sujets d’actualité autour du Libre et des libertés informatiques. Je les laisserai se présenter, je vais juste faire le tour de table.
En face de moi, à gauche, Emmanuel Charpentier. Salut Manu.
Emmanuel Charpentier : Echarp aussi. Salut Fred.
Frédéric Couchet : En face de moi Florence Chabanois.
Florence Chabanois : Bonjour Fred. Bonjour tout le monde.
Frédéric Couchet : Et, à ma droite, Isabelle Carrère qui est restée.
Isabelle Carrère : Je suis là.
Frédéric Couchet : On va juste faire un petit tour de table rapide de présentation. Isabelle, tu interviens souvent, mais on n’a jamais vraiment fait de présentation formelle. Isabelle Carrère, en quelques mots.
Isabelle Carrère : Oh, là, là !Je ne sais pas quoi dire !
Frédéric Couchet : Tu dis juste Antanak.
Isabelle Carrère : Je vais dire juste ça.
Frédéric Couchet : Association Antanak, qui sont nos voisines.
Isabelle Carrère : Au 18 rue Bernard Dimey et qui travaille sur des tas de sujets autour du numérique.
Frédéric Couchet : C’est antanak.com, avec un « k » à la fin.
Florence Chabanois.
Florence Chabanois : Un mot, c’est ça ?
Frédéric Couchet : Tu as droit à plus.
Florence Chabanois : Je suis actuellement Head of Engineering chez Scaleway, j’ai fondé l’association La Place Des Grenouilles qui est une asso féministe et je fais partie des Duchess qui est une association de femmes dans l’informatique.
Frédéric Couchet : Head of Engineering, c’est responsable de l’ingénierie, on va dire, en français.
Florence Chabanois : C’est tête de l’ingénieur !
Frédéric Couchet : C’est pour ça que je dis « responsable » plutôt que « tête ».
Manu, Echarp, je ne sais pas comment on t’appelle ?
Emmanuel Charpentier : Echarp, mon pseudo. Développeur Java, Ruby on Rails. Je m’occupe de l’Agenda du Libre, développeur mainteneur, et je fais la revue de presse de l’April toutes les semaines.
Salon Open Source Experience
Frédéric Couchet : Exactement.
On va aborder un certain nombre de sujets, on ne sait pas si on va pouvoir tous les aborder et, comme d’habitude, vous n’êtes pas obligés de réagir à tous les sujets.
Tout d’abord, j’en ai parlé pendant le sujet d’avant, on a Open Source Experience, le salon professionnel qui vient de se tenir à Paris, au Palais des Congrès, les 6 et 7 décembre 2023. On va dire qu’Open Source Experience est le salon professionnel autour du logiciel libre, même s’il s’appelle open source — on ne va pas revenir sur la différence, peut-être que vous le ferez, en tout cas ce n’est pas le sujet —, qui réunit à la fois un espace exposants professionnels et puis un Village associatif, sachant que les associations ne payent pas pour avoir accès à cet espace et c’est historique, depuis le premier salon à Paris, en 1999, ça commence à remonter. Et puis il y a des conférences, à la fois quelques plénières, et puis un format assez court, 20 minutes questions incluses, en général ce sont 15 minutes plus 5 minutes de questions/réponses.
J’ai envie de demander aux personnes qui y étaient leur retour sur Open Source Experience, peut-être les conférences que vous avez vues, que vous avez envie de mettre en avant. On va commencer par Florence.
Florence Chabanois : J’ai beaucoup aimé celle de Louis Derrac, que je ne connaissais pas, que j’ai découvert pendant la conférence, ça s’appelait « Le logiciel libre suffit-il à rendre le numérique acceptable ? », le genre de conférence où on a juste envie d’arrêter l’informatique, dans le sens où, typiquement, dans son introduction, il disait, avec vraiment cet air « rassurez-vous », « cette mine sert à fabriquer des serveurs sur Debian ». C’est le côté « à quoi sert le numérique ». Pour lui, « numérique soutenable » est déjà un oxymore dans le sens où on ne peut pas faire du numérique avec tout ce que ça implique en termes de ressources sociales, humaines, de matériaux, et dire qu’on fait de la soutenabilité et de l’écologie. Du coup, il a introduit le concept, que je ne connaissais pas, qui s’appelle l’alternumérisme radical.
Frédéric Couchet : Je crois que c’est plus ou moins lui qui a créé ce terme, peut-être qu’il s’est inspiré de quelqu’un.
Florence Chabanois : Ça marche, ça commence à marcher si on le répète encore et encore ! Dans le sens où on peut promouvoir le logiciel libre pour fournir des ressources au plus grand nombre et permettre la liberté, l’autonomie des gens, mais à quoi ça sert et, aujourd’hui, n’est-on pas dans un monde où le numérique est perçu comme la solution à tout ?
En tout cas, il introduit ce concept-là avec l’intention d’arrêter de vouloir tout numériser. Les grands projets de numérisation, dans tout ce qui est administrations, entreprises, comme si c’était forcément mieux et supérieur, c’est quelque chose qui challenge beaucoup. J’ai beaucoup aimé. Les slides sont libres, je vous invite à les regarder.
Frédéric Couchet : J’ai aussi assisté à cette présentation qui était dans la thématique Numérique Responsable. Il parle plutôt de numérique acceptable. Je crois aussi qu’il a fait référence à la notion de techno-discernement chère à Agnès Crepet de Fairphone. Sur les pages de l’émission, sur causecommune.fm et sur libreavous.org, on a mis à la fois le diaporama qu’il a fait et je crois aussi un lien vers un article où il détaille un petit peu ses positions. Si je me souviens bien, de mémoire, il a annoncé qu’en début janvier il y aurait une sorte de webinaire où il allait présenter à nouveau ce qu’il a présenté et il pourrait y avoir des réactions.
Manu as-tu assisté à cette présentation ?
Emmanuel Charpentier : Non, du tout. Par contre, j’ai adoré, je suis tombé dessus plus ou moins par hasard, un peu court, « La vérité sur la blockchain » de Pablo Rauzy.
Frédéric Couchet : Attends. Je sais que tu as envie de parler de cela, mais finissons déjà.
Isa tu n’étais pas présente à ce salon, tu ne vas pas trop à ces salons, si je me souviens bien.
Isabelle Carrère : Non, pas trop ! J’en avais parlé la dernière fois, pas trop, pas énormément, je n’ai pas assez de temps.
Frédéric Couchet : D‘accord.
Le diaporama est effectivement en ligne, par contre les conférences n’ont pas été enregistrées. Peut-être que Marie-Odile va me confirmer, elle est sur le salon Web et comme elle fait les transcriptions. Marie-Odile, est-ce que les conférences, l’an dernier, étaient enregistrées parce que, cette année, on n’a pas vu de caméras, ce qui est un peu dommage pour pouvoir les revoir ?
Tu voulais parler de la blockchain, c’est ça ?
Emmanuel Charpentier : Oui. Super conférence sur la vérité de la blockchain avec un gars qui semble s’y connaître, qui essaye de mettre un petit peu à plat, qui se présente comme cryptologue.
Frédéric Couchet : Qui a fait cette présentation ?, parce que « un gars qui semble s’y connaître » !
Emmanuel Charpentier : Pablo Rauzy.
Frédéric Couchet : On va quand même préciser, ce n’est pas juste « un gars qui semble s’y connaître », je ne sais pas s’il s’y connaît à fond. Pablo Rauzy est enseignant-chercheur à l’Université Paris 8, c’est le responsable de la licence vidéo-ludisme, si je me souviens bien, et on l’a reçu dans l’émission pour parler justement de cette licence avec Anna Pappa, dans Libre à vous ! 93, libreavous.org/93.
Il fait souvent cette présentation, je ne l’ai jamais vue pour l’instant, sur son site il y a le diaporama, pareil les références sont sur le site, libreavous.org.
Emmanuel Charpentier : Il a fait la même présentation, elle est sur son site, par contre format d’une heure et demie/deux heures, donc un petit plus conséquent, tout autant intéressante, c’est juste qu’il va un peu plus dans les détails.
Frédéric Couchet : À Open Source Experience, c’était 20 minutes ?
Emmanuel Charpentier : Oui, 20 minutes à Open Source Experience. Sur son site, sur son blog, il a la même présentation en beaucoup plus long, faite dans un autre lieu. Il présente les mêmes données, les mêmes informations, les mêmes idées de base : la blockchain c’est du buzz, la blockchain c’est une invention qui paraîtrait intéressante, qu’on nous a vendue et survendue, mais, comme toutes les inventions qu’on a depuis déjà un bon moment, on se rend compte que c’est un peu du vent, qu’on a réinventé des choses déjà existantes et, qu’au final, c’est surtout quelque chose qui porte une idéologie libertarienne.
Pablo a l’air d’être plutôt un gauchiste. Des gauchistes, il y en a des bien, la preuve. Il attaque un peu l’idéologie qui est derrière.
Frédéric Couchet : De mémoire, Étienne, qui est sur le salon, me corrigera si je dis une erreur, Pablo est de l’Union communiste libertaire, pour être très précis.
Emmanuel Charpentier : Tu veux dire qu’il combine : communiste et libertaire, ce n’est pas mal !
Frédéric Couchet : Je crois que ça s’appelle l’Union communiste libertaire, Étienne va confirmer, si c’est une erreur de ma part.
Marie-Odile me dit que l’an dernier il y avait des vidéos d’Open Source Experience, malheureusement il n’y en a pas cette année [La plénière d’ouverture, les résultats la grande enquête 2023 sur l’utilisation de l’open source en France et les tables rondes DSI Experience devraient être disponibles en replay en fin/début d’année, NdT].
Étienne me confirme que c’est effectivement l’Union communiste libertaire.
Il y a une question de Magali : est-ce que la blockchain c’est comme les NFT ? Explique.
Emmanuel Charpentier : On peut dire rapidement. Les NFT [non-fungible token] sont basés sur les principes techniques de la blockchain, mais, les NFT, c’est encore plus du vent. En quelque sorte, on te vend un pointeur sur quelque chose qui est sur Internet, ce pointeur est enregistré dans une blockchain, donc une chaîne en blocs, on pourrait dire, on pourrait essayer de traduire. Il y a autant de blockchains qu’on veut, on peut en faire des milliers, des milliards, il n’y a pas de souci, c’est juste un élément technique. Un NFT c’est une sorte de jeton où on vous dit : « Vous possédez ce jeton, qu’on va enregistrer dans cette blockchain ; vous l’avez acheté, c’est à vous, personne ne peut vous le prendre ». C’est juste que la blockchain sur laquelle ça a été enregistré, c’est du vent, le jeton que vous avez obtenu, c’est du vent et ce sur qui ça pointe, c’est aussi du vent. Mais ça a fait beaucoup jaser, ça a fait surtout beaucoup d’investissements, c’était presque drôle. Je pense qu’il y a pas mal de victimes du système et on va en entendre parler, c’est-à-dire qu’il y aura beaucoup plus de victimes qui vont se révéler, parce qu’on se rend compte que c’est vraiment du rien du tout, juste des octets qui pointent vers d’autres octets et, à un moment donné, ça ne dépend que d’une sorte de confiance, comme la blockchain ; le Bitcoin, ce n’est que de la confiance. C’est justement cela qu’il met en avant : les systèmes de blockchain sont faits pour se passer de la confiance. Il y a donc une sorte d’oxymore à la base de cette idée.
Plutôt pas mal, c’est à creuser. J’encourage à aller regarder la vidéo, même si elle un peu longue, une heure et demie, le gars n’est pas mal.
Frédéric Couchet : OK, donc Pablo Rauzy. Encore une fois les références sont sur le site de l’émission, libreavous.org. On va citer plein de choses, ne notez pas les liens, simplement libreavous.org, le site de l’émission ou causecommune.fm, la page de l’émission.
Sur les NFT, blockchain, Florence ou Isabelle est-ce que vous vouliez réagir ? Sinon j’ai une autre question sur Open Source Experience.
Isabelle Carrère : Non. vas-y
Florence Chabanois : Non. C’est de la merde !
Emmanuel Charpentier : Vous n’avez pas investi ?
Frédéric Couchet : J’ai une question qui va peut-être concerner aussi Magali, qui va pouvoir intervenir, parce que Magali était quand même très présente sur le salon ; aujourd’hui Magali est en régie – OK, je vais l’appeler Bookynette vu que, visiblement, tout le monde souhaite l’appeler Bookynette – c’est sur l’espace associatif. J’ai deux questions, on va commencer sur l’espace associatif : les associations avaient été reléguées un peu dans une sorte de couloir, beaucoup moins grand que l’an dernier. Non ? Est-ce que c’était quand même sympa cet espace associatif ? Magali.
Magali Garnero : J’ai trouvé ça super sympa. Quand on arrivait par l’escalator, le petit couloir était tout de suite à droite, il y avait marqué Village associatif, on le trouvait tout de suite, limite les gens venaient prendre une bouffée d’air et ensuite ils allaient travailler sur le salon.
Ce n’était pas beaucoup plus petit que les années précédentes, on n’a toujours que 18 stands au lieu de 15, ça sert quand même de faire un peu de pressing. Nous étions 23 associations dessus, peut-être un peu nombreuses, mais l’espace était extraordinaire.
Frédéric Couchet : D’accord.
Ma deuxième question est collective pour les personnes qui étaient au salon. J’étais pas mal dans la thématique Numérique Responsable, j’ai discuté notamment avec une personne qui fait du design éthique, une femme, qui me disait : « Ce salon est effrayant par le public présent », Florence sourit déjà. Effectivement, c’est un salon qui est quand même très masculin, je vais vous demander de réagir là-dessus. Je faisais référence au premier salon en 1999, les gens vieillissent, très clairement, moi y compris, aujourd’hui j’ai 53 ans, c’est quand même un salon très masculin et je me demande où est « la relève », entre guillemets, où est le renouvellement à la fois en termes d’âge, en termes de genre. Les personnes qui étaient présentes, avez-vous une réaction là-dessus ? Florence.
Florence Chabanois : Je connaissais de nom le salon Open Source Experience.
Frédéric Couchet : C’était ta première visite ?
Florence Chabanois : C’était ma deuxième. Je vois souvent passer des appels à conférence dessus, pour qu’on propose des sujets. Et moi, jamais au grand jamais, ça ne m’a traversé l’esprit de peut-être faire un brouillon, alors que je le fais facilement pour d’autres conférences et je n’ai toujours pas répondu à cet appel, en vrai.
Je pense qu’il y a déjà l’image open source. Par contre, j’ai passé une première porte, y aller, et je trouve qu’il y a des salons bien pires, ce qui n’est pas un bon argument, mais je m’attendais vraiment à pire, j’imagine que ça dépend de ce à quoi on s’attend et aussi, avec les conférences qui ont été proposées, il y a quand même un signal qui est envoyé pour dire qu’il y aura un peu, peut-être, de la diversité. Je mettrais quand même 11 sur 20.
Frédéric Couchet : Précisons que les personnes en charge du thème Numérique Responsable ont fait le travail nécessaire pour qu’il y ait quasiment, je crois, égalité en termes de genre, alors qu’initialement, dans les réponses que ces personnes avaient reçues, c’étaient principalement des soumissions d’hommes.
Magali, sur la partie Village associatif ou même village exposants pros, est-ce que tu as noté quelque chose par rapport à ça ?
Magali Garnero : Sur le Village associatif, il y avait quand même un peu plus de filles qu’il y a quelques années, je ne suis plus toute seule. Après, j’ai eu la chance de faire partie du pôle, du track, Stratégie et gouvernance, et je sais que nous étions quand même beaucoup de filles dans ce pôle-là. Je trouve qu’un effort a été mis dans cette édition-là qu’il n’y avait pas avant.
C’est effectivement dur d’avoir des propositions de femmes, elles sont toutes étudiées. Je ne dirais pas qu’on donne la parole exprès aux femmes parce que ce sont des femmes, ce n’est pas le cas, si c’est nul, eh bien c’est nul, point, on leur demande de refaire une proposition l’année d’après en mieux, mais c’est vrai qu’il n’y a pas grand monde qui se bouscule au portillon.
N’hésitez pas, les filles, à proposer des conférences, ce sera forcément mieux que la plupart de celles qu’on entend !
Frédéric Couchet : Est-ce que vous voulez rajouter quelque chose sur cette partie salon ? Est-ce que le vieux geek, barbu comme moi, qui est en face, donc Echarp, veut rajouter quelque chose ?
Emmanuel Charpentier : Pas grand-chose de spécial, c’est le salon habituel, beaucoup d’hommes, oui, mais comme dans les environnements techniques. Quand je vais dans des soirées Java ou des soirées Ruby, c’est pire, il y a encore plus d’hommes. Les femmes sont là pour l’organisation, ce sont des personnes qui sont venues pour regarder s’il y avait de la lumière et c’est très macho comme environnement ! On sent la testostérone !
[Sonnette]
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Frédéric Couchet : On va changer de sujet. Deuxième sujet, justement pour la diversité, ça va être important. Je crois que c’est Florence qui a proposé qu’on parle de cela, je ne sais plus.
Florence Chabanois : Je croyais que c’était toi.
Frédéric Couchet : Peut-être moi, on a tous proposé un sujet. C’est toi qui as proposé le deuxième dont on va parler après.
Là, on va parler d’un livre illustré qui vient de paraître, qui s’appelle Ada & Zangemann, un conte sur les logiciels, le skateboard et la glace à la framboise. Il a été écrit par Matthias Kirschner qui est le président de la Free Software Foundation Europe, la Fondation pour le logiciel libre en Europe, et qui est mis en dessin par Sandra Brandstätter ; il fait 56 pages, au tarif de 15 euros, sachant que ce livre illustré est sous licence libre, donc la version PDF est en ligne. On a une version papier pour 15 euros, qu’on peut commander chez l’éditeur, pareil les références sont sur libreavous.org.
Qui l’a lu ? Je vous l’ai envoyé à l’avance. Florence l’a lu.
Isabelle Carrère : Moi aussi.
Emmanuel Charpentier : Moi aussi.
Frédéric Couchet : Qui veut commencer ? Isabelle, peut-être, parce que sur le salon Open Source Experience, tu n’as pas beaucoup parlé. Que peux-tu dire de ce livre illustré ?
Isabelle Carrère : J’ai trouvé ça très sympathique. J’en parlais avant l’émission, j’ai regretté qu’il n’y ait pas un endroit dans le PDF et peut-être dans le livre pour que les parents qui liraient ça à leurs enfants puissent dire : pourquoi Ada, qu’est-ce que c’est que ce nom ? Qu’est-ce que ça représente ? C’est dommage que ça ne soit pas dit. Pareil pour Zangemann.
Je crois que ce que j’ai préféré c’est la glace à la framboise. Je trouve génial la façon très intelligente de présenter le fait que c’est nul à chier qu’il y ait quelqu’un qui décide pour nous qu’il n’y aura qu’une seule chose, et là c’est le parfum du jour. On ne va pas tout dévoiler de l’histoire, mais quand même, il y a une affaire dans laquelle il est dit qu’il y a quelqu’un, un grand chef, un grand maître, qui décide qu’aujourd’hui le goût de la glace c’est la framboise, point. Il n’y aura rien d’autre, il n’y aura pas vanille, il n’y aura pas praline, rien du tout. Je trouve que c’est futé comme façon de présenter le fait qu’il est super important d’arrêter la concentration des pouvoirs et d’arrêter le fait qu’il n’y ait pas un choix.
Emmanuel Charpentier : Il va falloir que tu nous expliques Ada, quand même, je pense que plein d’auditeurs ne savent pas à quoi tu fais référence. Vas-y.
Isabelle Carrère : Moi j’ai parlé de la glace à la framboise ! C’est à toi !
Frédéric Couchet : C’est toi qui as commencé pour Ada !
Emmanuel Charpentier : Ada, c’est le nom d’un langage de programmation, n’est-ce pas !
Isabelle Carrère : Bien sûr ! C’est surtout le prénom de quelqu’un.
Emmanuel Charpentier : Exactement, Ada Lovelace, née Ada Byron, la première programmeuse, en tout cas qu’on considère comme telle, une femme exceptionnelle, sur laquelle on attend des films et des œuvres un peu plus fortes que les quelques biographies qui sont déjà sorties. On rappelle que les premiers programmeurs sont des programmeuses et c’est vrai aussi de l’époque moderne, c’est-à-dire Seconde Guerre mondiale, débuts de la programmation dans les années 60, c’était avant tout des femmes qui étaient là. Ça s’est transformé avec le temps, mais il y a quand même une origine intéressante.
Isabelle Carrère : Je ne suis pas sûre que ça soit avec le temps que ça s’est transformé.
Emmanuel Charpentier : Avec l’argent peut-être !
Isabelle Carrère : Je pense que c’est plutôt parce qu’on s’est rendu compte, soudainement, qu’il y a un pouvoir, là, qu’on ne pouvait pas laisser ce pouvoir-là aux femmes. Par contre, la vraie question serait : si on avait laissé l’informatique plus aux mains des femmes où en serait-on, là, maintenant ? Eh bien je ne sais pas dire ! Je ne pense pas qu’on en serait juste à trouver une petite place pour les hommes, je ne crois pas. Qu’est-ce que ce serait devenu ? Est-ce qu’on aurait une société à ce point encline à tout numériser, tout informatiser ? Je ne suis pas sûre.
Frédéric Couchet : Petite précision sur Ada Lovelace : sur libreavous.org, vous pouvez rechercher [libreavous.org/45], on a consacré une émission à sa biographie écrite par Catherine Dufour, il y a trois/quatre ans, Ada ou la beauté des nombres. En tout cas, écoutez-la et lisez Catherine Dufour parce que c’est une autrice formidable.
Concernant le sujet que vous venez d’aborder, je vous conseille notamment la lecture de Les oubliées du numérique, d’Isabelle Collet, qui a aussi écrit pas mal d’articles. Je crois qu’elle est intervenue l’an dernier à l’Open Source Experience, il est possible que ça ait été filmé [1]. Isabelle Collet est une informaticienne, sociologue et spécialiste des questions de genre à l’Université de Genève ; Les oubliées du numérique et les vidéos d’isabelle Collet.
Florence, qu’as-tu pensé du livre illustré ?
Florence Chabanois : J’ai beaucoup aimé. Il a des imperfections, mais l’informatique, aujourd’hui, gérer la partie matérielle, mais aussi software, c’est quand même avoir du pouvoir que parce que c’est ça qui va influencer la vie de chacun et chacune. Je trouve que c’est un message qui est assez bien transmis, le côté « on n’est pas obligé de subir les décisions des personnes qui sont sur des modèles propriétaires et de ne pas avoir d’influence dessus ».
J’ai bien aimé que l’héroïne soit une fille.
Après, effectivement, ça traite un sujet, et quand même pas trop tout ce qui est inclusion, n’est-ce pas Isabelle. Effectivement, on ne parle pas de handicap ou d’orientation sexuelle, mais, en même temps, c’est une première étape, l’idée c’est qu’on puisse l’enrichir. Je trouve qu’il a le mérite d’exister. Pour expliquer le logiciel libre aux enfants, je trouve que c’est plutôt réussi, pour le coup.
Enfin, le message « quand c’est gratuit, en fait c’est vous qui êtes le produit » est quand même aussi un peu transmis. C’est aussi quelque chose que j’apprécie.
Frédéric Couchet : Pas mal de personnes ont commenté ce livre. D’ailleurs, je vais citer une partie de l’avis d’Isabelle Collet dont je viens juste de parler : « La force de ce livre c’est de proposer une vraie histoire qu’on a envie de découvrir et pas juste une histoire prétexte à un message d’orientation scolaire ou professionnelle. Cette histoire se démarque de beaucoup de récits de ce type. Pour une fois, on n’a pas une fille seule contre tous qui se bat pour réussir son rêve, mais une fille bien entourée par un groupe de copains et copines qui construisent avec elle un monde nouveau. Non seulement ce livre met en valeur une fille ingénieuse et passionnée de technique, mais également un groupe de jeunes qui, à sa suite, se réapproprient la technique pour la partager avec la cité. » C’était l’avis d’Isabelle Collet. Et on a l’avis d’un informaticien, Stéphane Bortzmeyer, qu’on a également reçu dans l’émission – on va finir par avoir reçu tout le monde dans Libre à vous !. Il a bien aimé, mais il met un petit bémol, je vais vous lire le bémol, je vais vous demander ce que vous en pensez : « Je n’ai, par contre, pas aimé le fait que, à part pour les glaces à la framboise, les logiciels ne soient utilisés que pour occuper l’espace public sans tenir compte des autres. Zangemann programme les planches à roulettes connectées pour ne pas rouler sur le trottoir donc respecter les piétons. Ada écrit du logiciel qui permet aux planchistes d’occuper le trottoir et de renverser les personnes âgées et les personnes handicapées. L’espace public est normalement un commun qui devrait être géré de manière collective et pas approprié par les valides qui maîtrisent la programmation. Un problème analogue se pose avec les enceintes connectées où la modification du logiciel va permette de saturer l’espace sonore, un comportement très macho, alors que le livre est censé être féministe, et de casser les oreilles des autres. Remarquez, cela illustre bien le point principal du livre : qui contrôle le logiciel contrôle le monde. » Est-ce que vous avez eu ce sentiment-là ? Ou pas du tout ? Isabelle.
Isabelle Carrère : Je partagerais ça en effet. Comme le disait fort justement Florence tout à l’heure : c’est déjà ça, c’est un début. Oui, ce n’est pas parfait et cela fait partie des choses qu’on peut lui reprocher, effectivement, mais comme on pourrait reprocher d’autres choses sur la façon dont ce groupe d’enfants d’abord, petit à petit des adultes qui viennent. Il y a des choses qui ne sont effectivement pas suffisantes, mais il est déjà là ! Mais je suis d’accord, cela est une problématique.
Frédéric Couchet : Manu, Florence ? Pas obligés.
Florence Chabanois : En tout cas, j’aime beaucoup son commentaire, en effet, il pointe des problématiques sont réelles. La plupart des personnes, au moins une moitié de la population, n’a pas forcément conscience du côté espace partagé, que ce soit sonore ou public. Je trouve très cool que Stéphane le dise et le souligne.
Je pense aussi qu’il y a le côté virilisme qui est plutôt encouragé chez les enfants : c’est marrant d’aller bousculer les gens. Quand on est enfant, c’est mieux, c’est plus prestigieux d’embêter les autres que d’être juste sages. Ce livre surfe un peu sur cette vague, mais je pense que c’est aussi ce qui peut faire son succès dans le sens où les enfants vont, malheureusement peut-être, apprécier ce côté coquin.
Frédéric Couchet : On précise qu’une possibilité de faire connaître ce livre, au-delà de la famille et des amis, c’est dans des écoles.
Je précise aussi qu’il y a beaucoup de textes, contrairement à ce qu’on pourrait croire, c’est effectivement un illustré, mais il y a quand même beaucoup de textes et, comme ce sont 56 pages, par rapport à l’âge des enfants, ce n’est pas forcément dès le premier âge, il faut peut-être un accompagnant ou une lecture commune avec un parent. Manu.
Emmanuel Charpentier : Je pense que ce n’est pas un conte pour enfants, je pense que c’est un conte tout court qui s’adresse très bien aux adultes. Il permet d’aborder des problématiques : la mairie, les choix de vie en société, il y a des choix bien plus élevés. Même le fait d’être bloqué avec un fournisseur de technique : Zangermann est le fournisseur officiel des logiciels de la mairie et la mairie est bien embêtée pour s’en débarrasser. Je pense que ça passe bien au-dessus de la tête des enfants, de celle des adultes aussi, d’où l’intérêt d’un conte qui va essayer d’aborder ce sujet. Je trouve que c’est plutôt bien amené.
La bande dessinée Les décodeuses du numérique
Frédéric Couchet : On ne va pas totalement changer de sujet. C’est pour cela qu’il n’y a pas la sonnette. Quand j’ai envoyé cette suggestion de lecture, Florence Chabanois a voulu parler aussi d’une autre bande dessinée et là il y a beaucoup plus de dessins que de textes, Les décodeuses du numérique, qui a été faite par le CNRS, je crois que c’était l’an dernier. Par contre, je ne sais pas, je n’ai pas vérifié, je n’ai pas l’impression qu’il soit encore disponible à la commande en version imprimée.
Pourquoi voulais-tu parler des Décodeuses du numérique, Florence ?
Florence Chabanois : Un peu comme pour Ada, la question de la représentation joue beaucoup sur la projection des enfants et des personnes, sur ce qu’ils et elles peuvent devenir. De la même façon que mon enfant, en voyant Ada, peut se dire « je peux bricoler, je peux enrichir, faire les produits dont j’ai envie qui satisfassent mes propres besoins », le fait de lire un livre comme Les décodeuses, permet de voir qu’il y a des femmes, qu’on ne voit pas forcément, dans les carrières de recherche scientifique.
J’ai beaucoup aimé ce livre. Déjà, il est drôle, ce sont des vraies personnes qui travaillent actuellement au CNRS. Il y a une diversité, pas complète, mais quand même assez incroyable en termes d’âge. Même moi, j’ai été surprise : dans ma carrière, je ne connais que des gens de mon âge ou plus jeunes et là, je vois qu’il y a des gens qui sont proches de la retraite.
Tous les métiers m’intéressaient, j’aurais eu envie de tout faire.
Aujourd’hui, en France, les mathématiques et les sciences sont enseignées de façon plutôt théorique. Je crois qu’en Belgique ou en Suisse, un pays voisin, les maths ont beaucoup plus d’attraits pour les jeunes filles parce qu’elles sont présentées comme des maths appliquées.
La façon dont ces métiers sont présentés là-dedans, c’est juste passionnant : on voit l’intérêt, en quoi ça change la vie des personnes. Des clichés sont cassés, que j’avais moi-même intériorisés, comme le fait que la recherche est un travail plutôt solitaire, qu’il ne faut pas aimer les gens. Au contraire, justement, c’est expliqué dedans et raconté par plusieurs personnes : c’est un travail collectif et qui permet vraiment de changer la condition des personnes.
Je le conseille vraiment à tout le monde. Il me semble qu’il est encore en vente à six euros.
Frédéric Couchet : Je précise que Magali, qui est en régie, est aussi, est surtout libraire. Elle confirme qu’il est effectivement à nouveau disponible à six euros. En as-tu des exemplaires à ta librairie, Magali ?
Magali Garnero : Je les ai commandés, je devrais les recevoir dans les jours qui viennent.
Frédéric Couchet : La librairie À Livr’Ouvert dans Paris 11è, on mettra les références. Il est donc disponible.
Je l’avais acheté à l’époque, la lecture est passionnante, l’illustratrice, Léa Castor, est vraiment géniale dans ce qu’elle a fait. Quand on a voulu faire un format spécial dans l’émission Libre à vous !, qui s’appelle « Parcours libriste », où on prend une seule invitée, ça nous a permis de découvrir Françoise Conil qui est ingénieure en développement logiciel au CNRS, il y a son portrait dans Les décodeuses du numérique et nous l’avons invitée dans le premier « Parcours libriste », c’est l’émission 165 de <em
Echarp, Isabelle, est-ce que vous connaissiez ?
Isabelle Carrère : Je connaissais tout à fait. Je suis assez d’accord, Florence, avec ce que tu viens de dire. Ce que j’aime bien, le lien entre les deux, c’est la question sur le collectif que tu évoques. L’un comme l’autre de ces écrits et de ces dessins, de ces ouvrages, poussent sur la question « non ce n’est pas un travail de solitaire et on n’a pas besoin d’être en compétition les uns avec les autres, mais, au contraire ! C’est un travail collectif dans lequel on peut faire ensemble les choses ». C’est assez joyeux.
Frédéric Couchet : C’est notre intervenant suivant qui sonne. On ne va pas faire de pause musicale, on va continuer, comme on est dans la discussion, à moins que vous vouliez faire une pause musicale. Que fait-on ?
Isabelle Carrère : Non, tout va bien. On est en direct, vrai direct.
Frédéric Couchet : Tout va bien. On va attendre que Echarp aille ouvrir à Vincent Calame.
On confirme que Les décodeuses du numérique est toujours disponible en commande auprès du CNRS au prix de six euros. On a aussi reçu dans Libre à vous ! une deuxième personne, Sarah Cohen-Boulakia, qui est détective publique des données biologiques, c’était dans l’émission consacrée à la reproductivité en recherche et l’importance des logiciels libres [libreavous.org#151] ; on a aussi reçu cette deuxième personne, je viens juste d’y penser. Il y a une douzaine de portraits à six euros et Ada & Zangemann à 15 euros, 56 pages, c’est effectivement un bon cadeau, utile, pour les fêtes de fin d’années, comme l’a dit Echarp, pour les petites et pour les grandes personnes, en fait, parce que ça peut concerner tout le monde. Ça peut peut-être expliquer aux gens, finalement, ce que l’on fait dans le logiciel libre ! Ce qui n’est pas gagné !
Bonjour Vincent nous sommes en direct, nous ne sommes pas en pause musicale, tu peux t’installer pour ton sujet, il n’y a pas de souci.
Vincent Calame : C’est ambiance détendue. C’est ça ?
Frédéric Couchet : C’est détendu. Voilà.
[Sonnette]
Notation des allocataires de la CAF
Frédéric Couchet : Là on va être un peu moins détendus. Le sujet suivant est beaucoup moins drôle.
En fait, tu en as un peu parlé tout à l’heure dans ta chronique, même si ce n’est pas le thème qu’on va prendre là, la thématique était là, tu n’as parlé de l’exemple précis. C’est la CAF, la Caisse d’allocations familiales.
La Quadrature du Net a récemment publié un article autour de la notation des allocataires et des problèmes que ça pose. Je crois que c’est Florence qui l’avait proposé. Je ne me trompe pas.
Florence Chabanois : Oui, c’est moi.
Frédéric Couchet : Pourquoi nous as-tu proposé cette thématique ?
Florence Chabanois : Déjà, je trouve que la Quadrature du Net fait un super travail et que c’est important de le mentionner, que nous sommes beaucoup de personnes concernées par la CAF. C’est une institution qui est assez installée et je pense qu’on devrait tous et toutes s’intéresser à la façon dont elle traite nos données et elle prend ses décisions.
C’est raconté comme une enquête, ce que je trouve intéressant, c’est un peu comme un polar.
Je réponds juste à ta question du pourquoi : parce que c’est intéressant.
Frédéric Couchet : D‘accord ! OK. C’est vrai que quand on lit l’article, il y a une enquête. Il y a des demandes de documents administratifs, des refus de la Caisse d’allocations familiales, etc. Après le pourquoi, maintenant le quoi ? Quel est le sujet ?
Florence Chabanois : Un algorithme a été mis en place pour détecter les fraudeurs et les fraudeuses de la CAF. Ça fait plusieurs fois que La Quadrature essaye d’avoir accès au code source pour voir comment cet algorithme est conçu. Ils ont fini par réussir et, apparemment, c’est obligatoire maintenant, je sais pas exactement comment ils se sont débrouillés. Ce qu’on voit, du coup, c’est qu’il y a un indice de suspicion qui permet de classifier les personnes et on voit les différents facteurs qui rentrent en jeu dans ce modèle. Un des arguments de la CAF c’était « oui, il y a des informations sur les revenus des personnes, mais c’est un critère parmi bien d’autres. » Dans l’article, on voit que techniquement ce n’est pas faux, mais, qu’en réalité, il y a des faisceaux de facteurs qui vont finalement dire un peu la même chose, du coup augmenter le poids des revenus dans l’algorithme.
Pour la faire courte, en gros, les pauvres, les personnes qui ont le moins de revenus, sont des tricheurs et des tricheuses et vont être plus contrôlées. C’est déjà un point qui est assez intéressant.
L’autre point c’est la notion même de fraude qui est complètement incroyable, parce que la fraude ce sont uniquement les trop-perçus et ça peut être complètement non-intentionnel. Honnêtement, c’est un peu compliqué de comprendre toutes les règles de la CAF. Il me semble que quelqu’un du personnel avait été puni justement parce qu’il aidait les gens à mieux s’en sortir avec l’administration. Même ce caractère de fraude, dans le modèle, est litigieux. Ça fait que les personnes qui ont le moins de revenus sont plus contrôlées, alors qu’elles ne s’en sortent déjà pas et, du coup, il y a des espèces de double, triple, quadruple peines, typiquement pour les mères célibataires, il n’y a pas écrit le facteur « mère célibataire », mais déjà en regardant le cumul de revenus, le fait qu’on soit à temps partiel ou des choses comme ça, ça fait que, finalement, ça veut dire un peu la même chose : les populations les plus fragiles sont les plus opprimées par le système !
Frédéric Couchet : Avant de laisser la parole à Echarp et Isabelle sur cette notion de trop-perçu, je vais d’abord préciser que le code qui a été obtenu, l’algorithme, n’est pas la version actuelle, c’est la version précédente. Dans son article, La Quadrature dit : « la Caisse d’allocations familiales ayant refusé de nous communiquer la version la plus récente de son algorithme, nous nous attendons à ce que ses dirigeantes réagissent en avançant qu’elles disposent d’un nouveau modèle « plus équitable » – entre guillemets. En anticipation, nous tenons à clarifier un point fondamental : il ne peut exister de modèle de l’algorithme qui ne cible pas les plus défavorisé·es, et plus largement celles et ceux qui s’écartent de la norme définie par ses concepteurs. Comme nous l’expliquions de manière détaillée, si l’algorithme de la CAF a été promu au nom de la « lutte contre la fraude », il a en réalité été conçu pour détecter les « indus », les trop-perçus– comme tu le dis. Or, ces indus ont pour cause principale des erreurs déclaratives involontaires, dont toutes les études montrent qu’elles se concentrent principalement sur les personnes aux minima sociaux et de manière plus générale sur les allocataires en difficulté », donc, de facto, ça va effectivement cibler ces personnes-là.
Echarp, Isabelle peut-être. Echarp.
Emmanuel Charpentier : Je prends la parole. Il y a un côté que je trouve assez tragi-comique c’est que, par ailleurs, on le sait, il y a plein de gens qui ne réclament pas de l’argent qui leur serait dû au nom des différentes règles qui existent. C’est donc terrible parce qu’on va se plaindre du trop donné, mais, par ailleurs, il y a des gens qui sont dans la rue, qui n’ont pas d’adresse fixe par exemple, qui ont des grosses difficultés à aller obtenir ce que le système prévoit normalement.
C’est une usine à gaz qui va vraiment enfoncer les gens plus bas que terre, qui ne peut pas s’améliorer. Pour moi il n’y a pas à chercher, il n’y a pas d’objectivité ou quoi que ce soit. De toute façon, le système est bien trop complexe, je ne sais pas si c’est fait de manière consciente. Il n’y a même pas besoin que ce soit de manière consciente, ils ont rajouté tellement de règles que personne ne peut les connaître. Je sais que même ceux qui travaillent dans les institutions ne peuvent pas trop les décortiquer, parce que c’est à risque pour eux : si jamais les URSSAF, par exemple, vous expliquent telle ou telle règle, ensuite, il faut qu’ils s’y conforment. Déjà qu’ils ne les comprennent pas forcément quand ils doivent les implanter — j’ai un peu bossé dans les administrations ! Alors là, c’est encore une grosse complexité si jamais ils doivent déclarer comment eux les interprètent, c’est mission impossible ! Il faut attendre les juges, il faudrait attendre plutôt la branche judiciaire. C’est affreux, ça ne peut que pas bien fonctionner !
Isabelle Carrère : Je ne peux que partager ce que tu dis là sur les personnes qui vont utiliser cet algorithme et qui vont surtout utiliser les résultats de ça. On ne peut pas « leur en vouloir », entre guillemets, OK, ils ont un job où on leur demande de le faire. Mais l’intention initiale de cette affaire-là, de cette recherche-là, est quand même éminemment politique et on ne peut pas dire que les gens ne savent pas que ce qu’ils sont en train de faire c’est effectivement d’aller attaquer, une fois de plus, les autres. De quelle fraude parle-t-on ? On n’attaque pas les fraudes fiscales !, d’accord, par ce type de calcul et d’algorithme. On va chercher là où, déjà, les gens sont en effet en difficulté, comme le dit La Quadrature. On le voit vraiment à Antanak : ce sont majoritairement des gens qui viennent et qui se sont plantés, qui ont mis une somme qui n’était pas la bonne dans la case, du coup ils ont des trop-perçus et ce n’est pas de la fraude ! Ce n’est évidemment pas de la fraude ! Je ne dis pas qu’il n’y en a pas du tout, mais enfin !
Quand je posais la question tout à l’heure, et ce n’était pas anodin et c’était effectivement en lien : comment peut-on arriver à travailler avec ça si on ne sait pas ce qu’il y a derrière, si on ne sait pas comment c’est calculé, et si on ne peut pas être dans une espèce de transparence ? Je ne sais pas comment on peut faire ça, je ne vois pas !
Emmanuel Charpentier : Petit détail. Il me semble aussi qu’ils ciblaient d’autant plus les gens qui sont handicapés.
Frédéric Couchet : Justement, j’allais lire. Avec Echarp, nous sommes connectés sur l’article de La Quadrature, que je vous invite vraiment à lire, il est donc précisé : « Comble du cynisme, l’algorithme vise délibérément les personnes en situation de handicap : le fait de bénéficier de l’Allocation Adulte Handicapé tout en travaillant est un des paramètres impactant le plus fortement, et à la hausse, le score d’un·e allocataire. »
Tout à l’heure, tu disais notamment les femmes seules, La Quadrature dit toujours : « On observe également le ciblage des familles monoparentales, dont 80% sont des femmes. Nos simulations indiquent que ce ciblage se fait indirectement — la CAF ayant peut-être jugé que l’inclusion d’une variable « mère célibataire » était trop risquée politiquement — en intégrant des variables comme le revenu total du foyer et le nombre de mois en activité cumulés sur un an des responsables du foyer, dont la nature vient mécaniquement défavoriser les foyers ne comprenant pas deux parents. » Il y a toute une recherche qui est faite pour cibler ces familles monoparentales, notamment les femmes !
Isabelle Carrère : Comment écraser un peu plus les gens qui sont déjà en difficulté, en précarité !
Frédéric Couchet : Exactement !
Emmanuel Charpentier : C’est une vraie dystopie, on se croirait dans Brazil, le film de Terry Gilliam. Ça ne fait vraiment qu’empirer, on est dans une machine administrative horrible. Je voudrais que les hommes politiques qui font les règlements et les lois qui transforment tous nos systèmes dans des dystopies numériques, remplissent, eux, les dossiers de CAF, remplissent les dossiers de demandes et on verrait ceux qui arrivent aller jusqu’au bout et arrivent à obtenir ce à quoi ils ont droit.
Frédéric Couchet : J’ai une petite question : tu dis les hommes politiques. Si des femmes politiques étaient en responsabilité, est-ce qu’on aurait la même chose ou pas ? C’est une question ouverte.
Emmanuel Charpentier : Mais non, bien sûr que non, il n’y a pas de raison que ça change. On est capable d’être incompétent quoi que soit son genre, quoi que soit sa capacité physique.
Frédéric Couchet : Je ne sais pas si je vais relayer la remarque de Marie-Odile sur IRC.
Vas-y Isabelle.
Isabelle Carrère : Il y a la question CAF. J’aimerais bien savoir de quoi est fait — La Quadrature du Net l’évoque, mais rapidement, parce que ce n’est pas que lié à la CAF — l’algorithme qui a été monté comme ça aussi pour la question du logement. Je dis cela parce que dans l’émission que je fais par ailleurs, Un coin quelque part, on essaye de réfléchir sur ces questions-là. Une chose est faite identiquement pour savoir quel type de logement on va pouvoir donner aux personnes et, sur la question de la fraude : à combien tu es, est-ce que tu es un couple ou pas, combien as-tu d’enfants, est-ce que tu ne vas pas vouloir loger des gens, enfin, etc. ? C’est du même ordre et j’aimerais bien que ce soit leur enquête suivante, en fait !
Frédéric Couchet : Une remarque de Marie-Odile, pas la deuxième ! Elle précise que ces gens, donc les personnes les plus ciblées, n’ont pas d’avocat. Les riches, quand on parlait de fraude fiscale, en ont plusieurs à leur service pour résoudre leurs problèmes.
Florence, ta remarque.
Florence Chabanois : J’avais travaillé sur le système antifraude dans une de mes anciennes entreprises
Frédéric Couchet : À La Centrale.
Florence Chabanois : Oui ! Tu as entendu le podcast il n’y a pas longtemps ! Du coup, déjà quand j’ai lu cet article, je me suis demandé « est-ce que nous avons fait de la merde ou pas ? », pourtant on est relativement éclairés, on essaye, en tout cas, c’est mieux que ne pas essayer, on va dire. Du coup, je ne sais pas si on avait des facteurs discriminants. Mon ancien moi me disait : en même temps, si on rend ça public, il y a un souci. Je comprends l’argument de sécurité : si on dévoile la mécanique, même si on a mis en place des systèmes qui permettraient de montrer quels étaient les facteurs qui pesaient sur les résultats d’un algorithme, d’un modèle, est-ce qu’on ne se met pas à risque ? Je n’avais pas trop la réponse par rapport à ça.
Emmanuel Charpentier : En sécurité, on ne veut pas révéler tout, tout de suite, à tout le monde. Avoir un peu d’obscurité ça reste effectivement indispensable, c’est comme les secrets, les codes d’entrée, on va pas les révéler à tout le monde ! Et oui, nous sommes tous biaisés, ça me paraît inévitable, nous sommes tous un peu racistes, nous avons tous des idées débiles dans la tête qui circulent et il faut qu’on les combatte en permanence. Ça me paraît inévitable que ce qu’on implémente ensuite va suivre un petit peu ces biais. Il faut se battre contre ça.
Florence Chabanois : C’est là où je pense que, dans une équipe de data scientists, de scientifiques de la donnée, ça devrait faire partie du cursus minimum : faire attention à la discrimination, aux biais qu’on ne peut avoir pour s’en protéger. Si on se dit juste que les gens n’ont pas fait exprès d’être discriminants ! Isabelle n’est pas d’accord.
Frédéric Couchet : On finit là-dessus.
Isabelle Carrère : Je ne peux pas être d’accord sur le fait que ce n’est pas fait exprès. Je ne peux pas y croire deux minutes.
Florence Chabanois : C’est vrai ?
Isabelle Carrère : Oui
Emmanuel Charpentier : Il y a de tout, ce n’est pas incompatible. Parfois, ça peut être fait exprès et, parfois, des accidents. Non ? Tu penses que c’est toujours fait exprès ?
Isabelle Carrère : On peut effectivement laisser ce doute-là planer deux minutes, mais je pense qu’il y a une vraie recherche. C’est complètement politique ! Il y a des recherches pour aller effectivement coincer, contrôler. Pourquoi ce sont plus certaines populations qui sont contrôlées que d’autres ? C’est toujours vrai.
Emmanuel Charpentier : Il y a de la mauvaise foi. Des gens se plaignaient du racisme anti-blanc. Vous connaissez ? Je pense que cette mauvaise foi peut être au service de ces biais-là. Rechercher des fraudeurs chez les pauvres, je pense aussi que ça vient d’une mauvaise foi et je pense que la mauvaise foi peut être au service d’un élan politique, d’un côté électoraliste : on veut se faire élire sur cette mauvaise foi parce que ça va correspondre à des mauvaises pensées. Il y a des courants de pensée humains et on va aller vers ces idées un peu obscures, un peu sales.
Isabelle Carrère : Oui ! On va chercher les gens là où ils sont pires.
Emmanuel Charpentier : Parfois.
Frédéric Couchet : C’est bon pour vous ? Le temps avance, même si on n’a pas fait la pause musicale.
[Sonnette]
Nouvelle fonctionnalité sur Mastodon
Frédéric Couchet : On va vous revenir sur quelque chose d’un peu moins lourd que ce sujet-là et on vous invite évidemment à lire l’enquête de La Quadrature du Net. On a mis la référence sur le site libreavous.org et sur causecommune.fm.
Mastodon, le réseau social de microblogging auto-hébergé, libre, décentralisé dont on a parlé plusieurs fois dans l’émission, a annoncé, dans sa dernière version, vouloir limiter le harcèlement sur son réseau avec une nouvelle fonctionnalité. Le principe serait d’afficher des messages d’avertissement pour dissuader certains comportements désagréables. Je ne sais pas si ça a déjà été mis en place ou si vous avez déjà eu l’occasion de voir ces messages. Sauf à Isabelle parce que tu n’es pas sur Mastodon mais peut-être auras-tu un avis sur le sujet, j’avais envie de vous demander votre avis, principalement à Florence.
Florence, tu es à la fois sur Twitter, je ne sais si tu es encore sur Twitter.
Florence Chabanois : Si, j’y suis encore.
Frédéric Couchet : Voilà. Tu es donc sur Mastodon. Depuis combien de temps es-tu sur Mastodon, je ne me souviens plus ?
Florence Chabanois : Depuis un an.
Frédéric Couchet : Tu es arrivée dans la période récente. Par rapport à ces questions de harcèlement et par rapport à la fonctionnalité que propose de rajouter Mastodon, quel est ton avis, ton retour d’expérience ?
Florence Chabanois : Ça se tente ! Sur Mastodon, il y a tellement peu de personnes que, honnêtement, je ne me suis jamais fait embêter sur Mastodon, j’avais plus de soucis sur Twitter, après c’est lié aux effets de masse.
Je pense que c’est bien d’essayer d’éduquer, de renvoyer le feed-back, d’inciter les gens à réfléchir avant de faire quelque chose. Après, je pense que c’est comme la pub, à un moment, on va juste cliquer partout et ne plus voir. Il faudrait tout le temps mettre du rose, changer plein de couleurs et, à un moment, ça va faire une surcharge, je pense qu’il peut y avoir quand même une fatigue et qu’on ne va plus trop avoir l’effet de ce type de fonctionnalité. Mais à tester !
Frédéric Couchet : D’accord. Ça fait donc un an que tu es sur Mastodon. Par rapport à tes attentes ou par rapport à ton vécu sur Twitter, comment ça se passe, en fait ?
Florence Chabanois : J’ai du mal à faire décoller le compte. J’ai l’impression qu’on reste vraiment entre nous. C’est très agréable, parce que tout le monde est d’accord avec les gens avec qui il ou elle parle ! Du coup ça ne vole pas très haut, on va pas faire un reach, on ne va pas atteindre des populations qu’on n’a pas l’habitude de fréquenter pour quitter l’entre-soi ; ça paraît incroyable !
J’aime bien Bluesky, pour le coup, je ne sais pas pourquoi Bluesky marche mieux.
Frédéric Couchet : Précise ce qu’est Bluesky.
Florence Chabanois : C’est encore un autre réseau social qui a été fait par le créateur de Twitter, Jack Dorsey.
Frédéric Couchet : Probablement que ça marche, je ne suis pas sur Bluesky. Pour l’instant Bluesky c’est sur invitation, donc le public qui est présent sur Blusky n’est pas le public qui est présent sur Twitter. Je pense que le jour où le modèle économique les poussera, les forcera à ouvrir à de la pub, etc., à mon avis ça finira comme Twitter, ce n’est qu’une présupposition. En tout cas, actuellement, le fait que ce ne soit que sur invitation et que, notamment les journalistes aient une invitation automatique, fait que l’on se retrouve finalement avec des gens qui, entre guillemets, sont « raisonnables », peut-être.
Isabelle Carrère : Tous les journalistes le sont ?
Frédéric Couchet : Disons que c’est mon intuition.
Florence Chabanois : Je sais que des gens ont dû attendre pendant six mois. Il y a donc vraiment ce côté choix. Mais maintenant il y a beaucoup d’invitations, je dois en avoir eu une dizaine, ça se libère semaine après semaine, ils ont donc vraiment ouvert les vannes.
Frédéric Couchet : On verra comment ça se passe quand il y aura de plus en plus de monde.
Florence Chabanois : Sur Twitter, j’aimais bien le système de signalement que je trouvais, en réalité, assez efficace. Maintenant, je ne pense pas que ça marche, il faudrait réessayer.
Frédéric Couchet : Avant de te laisser réagir Echarp, si tu veux, sur le salon Étienne nous rappelle que le racisme antiblanc n’a aucune existence en sociologie.
Je te laisse réagir sur Mastodon, pas sur ce sujet-là.
Emmanuel Charpentier : Avoir des petites affichettes au début, oui, pourquoi pas, ça ne fera jamais de mal. C’est comme dire « il faut tourner sept fois la langue dans sa bouche avant de dire une bêtise ! », oui, je vais éviter de dire la bêtise dès le départ. Je pense qu’il y a d’autres solutions d’architecture. Il faut organiser pour que, dans les endroits où on discute, on puisse limiter par exemple les réponses. Je pense qu’il n’y a rien de pire que d’être harcelé sur sa propre page par des trolleurs, par des gens qui vous connaissent, mais vous ne les connaissez pas. Ils viennent sur votre lieu d’expression et, là, ils en rajoutent une couche et c’est ce que Twitter permet encore aujourd’hui, il me semble, et qu’il faut pouvoir limiter. Il faut pouvoir dire : je fais un commentaire, mais je ne veux pas de réponse ou je ne permets des réponses que de mon premier cercle, ça me paraît être un minimum de bienséance. Il y a des connards, il y a des trolls, c’est encore pire que tout ! Il y a même des gens qui sont payés !
Frédéric Couchet : Rappelle ce qu’est un troll.
Isabelle Carrère : Rappelle ce qu’est un connard, s’il te plaît !
Emmanuel Charpentier : C’est une définition impossible parce qu’elle est infinie !
Les trolls, ce sont des animaux qui vous attendent sous les ponts et, quand vous passez, ils vous attaquent. En gros, ce sont tous les connards qui aiment bien déclencher des émotions un peu fortes en vous insultant ou en vous mettant dans des situations impossibles. Ce sont des gens qui n’ont pas vraiment de limites et qui vont faire preuve d’une extrême mauvaise foi. C’est ça au final. Il y a parfois des trolls qui sont rigolos parce que ça peut donner de l’énergie. Perso, je ne mets pas tout à part. Par contre, ça va très loin, il y a de l’industrialisation, il y a des fermes à trolls, on en a découvert notamment en Russie : des gens sont payés pour essayer de mettre en avant des points de vue, pour essayer de changer le discours et la façon dont les gens sont civilisés, pour casser vraiment nos relations et pousser, ce qu’il se passe aux États-Unis par exemple : il y a des camps de droite, des camps de gauche qui se détestent, on envisage même une guerre civile, ça va donc très loin, c’est un peu hors de contrôle.
Frédéric Couchet : Isabelle, tu voulais réagir sur ce sujet-là ou on change de sujet ?
Isabelle Carrère : On peut changer de sujet. Je peux effectivement parler des fausses bonnes nouvelles ou des bonnes fausses nouvelles, je pourrais parler des risques sur la propagande, mais je ne suis pas sur les réseaux sociaux, donc je ne suis pas légitime.
Emmanuel Charpentier : Oh ! La légitimité ! Tu es la bonne personne !
Isabelle Carrère : Je ne suis pas légitime à en parler parce que je ne sais pas dire pourquoi ça serait bien que Mastodon fasse ceci ou pas.
Emmanuel Charpentier : Tu es la bonne personne ! Tu es là, tu as le droit, tu devrais !
Frédéric Couchet : Il nous reste quelques minutes. Vincent écoute patiemment.
Emmanuel Charpentier : C’est en public !
Frédéric Couchet : C’est presque notre première émission en public ! On va changer de sujet.
[Sonnette]
Advent of Code 2023
Frédéric Couchet : Ce sont des sujets un peu rapides, ça tombe bien, rapides en temps. On va commencer par le premier. Echarp tu voulais nous parler d’Advent of Code 2023. Je vais te demander de nous dire ce qu’est Advent of Code.
Emmanuel Charpentier : C’est le calendrier de l’Avent du code. C’est effectivement un truc un petit peu amusant entre informaticiens, entre programmeurs et programmeuses sur LinuxFr, Linuxfr.org.
C’est un fonctionnement où les informaticiens aiment bien essayer de s’entraîner à coder, je ne le fais pas sur celui-là, je le fais sur d’autres sites. Un petit peu tous les jours, on code dans différents langages, on s’entraîne, on essaye de suivre des algorithmes. Et là c’est en public : tous les jours on vous pose une colle et on vous propose de trouver des solutions dans le langage de votre choix, à la manière dont vous voulez. Ce n’est pas hyper-formalisé, c’est plutôt fun, c’est plutôt rigolo et j’encourage. Linuxfr.org, c’est une communauté sympa.
Frédéric Couchet : Une réaction ? Non ?
Florence Chabanois : C’est très bien !
Note de réparabilité attibuée au Fairphone 5
Frédéric Couchet : Pareil, on a mis les références sur libreavous.org et sur causecomme.fm.
Deuxième sujet court, c’est aussi toi, Echarp, qui l’avais proposé. iFixit attribue la note de réparabilité de 10 sur 10 au Fairphone 5 et je crois que c’est une première. C’est quoi le Fairphone ? C’est quoi iFixit ?
Emmanuel Charpentier : J’aurais dit « aifixit », mais ça revient au même.
Frédéric Couchet : Tu connais mon anglais ! C’est effectivement « aifixit ».
Emmanuel Charpentier : C’est « je le répare ». C’est vraiment dans l’esprit de combattre les téléphones qui sont d’un seul montant, qui sont parfois collés, donc on ne peut rien ouvrir, on ne peut pas mettre les mains dedans. Apple, par exemple, ce sont les parangons, les gens qui défendent le fait qu’on ne puisse pas aller réparer, c’est donc énervant et c’est un mouvement qui va très loin, même les tracteurs sont touchés aux États-Unis : au nom du droit d’auteur, on ne peut pas aller corriger un matériel qu’on a acheté. Là, enfin, des gens se sont pris en main, ont dit « on va essayer de travailler sur l’écologie, on va essayer de s’assurer, autant que possible, que les matériaux de base soient sourcés depuis des mines où il y a pas des enfants qui travaillent, par exemple, donc quelque chose d’assez difficile à faire mais qu’il faut faire. Derrière, on permet aussi de réparer le téléphone.
Booky en a un, elle est assez contente, son père aussi. Moi je pense acheter le prochain, la prochaine génération. Elle a déjà cassé l’écran, oui, je la regarde, je ne dirai pas combien de fois, mais trop de fois, et elle l’a réparé elle-même. C’est plutôt sympa, elle était très contente, elle était enchantée de recevoir par la poste l’écran, le petit tournevis qui va avec ; la chose est bien conçue, bien prévue et on peut changer, il y a des modules, il y a des éléments ; on peut enlever la batterie, un truc extraordinaire, incroyable avec les technologies actuelles ! Je pense que ça va dans le sens de l’histoire, c’est la directions dans laquelle il faut aller : avoir des matériels qu’on puisse s’approprier. Ça va aussi dans le sens du logiciel libre, on n’est pas juste dépendant de choses qu’on nous donne.
Frédéric Couchet : On rappellera, évidemment, qu’on a parlé de Fairphone dans Libre à vous ! avec Agnès Crepet et aussi Gaël Duval, parce qu’il est possible de commander des téléphones pré-installés, c’est sur libreavous.org#125.
Je vais juste indiquer la réaction d’une personne responsable de Fairphone, suite à cette note de réparabilité : « Nous croyons qu’il faut donner aux individus les moyens de réparer et de conserver leurs appareils le plus longtemps possible en réduisant les déchets électroniques, l’utilisation des ressources naturelles, et en contribuant à une économie plus circulaire, car comme nous l’avons appris à l’Open Source Expérience dans la track Numérique Responsable sur les émissions de gaz à effet de serre, c’est 80 % à la fabrication de l’appareil et non pas à l’usage ». Je confirme effectivement que sur la réparabilité, le site iFixit propose des vidéos qui sont très bien faites pour expliquer comment repérer toutes les vis, démonter, enlever, par exemple, les modules qu’on veut remplacer : on commande le module de remplacement et il arrive. Je l’ai fait récemment avec le module bas du Fairphone 3, je n’ai pas le 5, je garde mon téléphone.
Isabelle Carrère : Très bien ! Super !
Emmanuel Charpentier : Il y a aussi une chronique de Gee sur le sujet, il me semble.
Frédéric Couchet : De Gee aussi.
Je voulais poser une question, mais il reste très peu de temps : à Antanak, je sais vous faites du reconditionnement d’ordinateurs, mais je ne me souviens plus si vous faites du reconditionnement de téléphones.
Isabelle Carrère : La problématique c’est que, pour beaucoup, on n’arrive pas à réparer. Justement, tous les gens qui viennent avec des Apple et des « imachins », non. Mais on aimerait faire plus ! La seule chose qu’on arrive à faire, pour le moment, c’est mettre des outils libres, des applications libres.
Frédéric Couchet : Un conseil qu’on peut donner aux gens, en tout cas côté Android, c’est installer le magasin d’applications F-Droid. Évidemment, Android va vous dire « alerte de sécurité, je ne sais pas ce qu’est ce truc-là ». Installez, ça marche très bien, et après vous avez, via ce magasin d’applications, accès à plein d’applications libres pour faire à peu près tout ce que vous avez envie de faire, donc c’est une première étape.
Florence, tu voulais réagir là-dessus ?
Florence Chabanois : Non, je pense que tout a été dit.
Frédéric Couchet : Tout a été dit. OK. Magali voulait réagir, vas-y Bookynette.
Magali Garnero : Si vous voulez installer F-Droid, installez-le depuis le site internet F-Droid et non pas depuis le Play Store, parce que, sinon, il y a des trackers dedans, ce serait dommage !
Frédéric Couchet : C’est effectivement une bonne remarque à laquelle je n’avais pas du tout pensé, donc sur f-droid.org.
On ne va pas aborder un dernier sujet, parce qu’on ne va pas forcément avoir le temps, mais je vais vous demander si vous avez une actu partagée ou autre. Florence, est-ce que tu avais une actu à partager, une annonce ?
Mise en place de KYUTAI,laboratoire dédié à la recherche ouverte en intelligence artificielle
Florence Chabanois : Une annonce : KYUTAI a été mis en place côté Iliad. C’est un grand laboratoire pour tout ce qui est un modèle de machine learning, donc à suivre, c’est vraiment le début.
Frédéric Couchet : KYUTAI.
Emmanuel Charpentier : Une intelligence artificielle mignonne.
Frédéric Couchet : Laisse-moi finir, s’il te plaît. Iliad est la maison-mère de Scaleway où tu travailles et c’est aussi la maison-mère de Free pour les personnes qui connaissent plus Free que Scaleway.
Côté Antanak, côté Manu, est-ce qu’il y a des annonces ?
Isabelle Carrère : Non, rien de particulier !
Frédéric Couchet : Rien de particulier. OK. Just in time, super. Je vous remercie de votre participation Au café libre, c’est le troisième qu’on fait, on va essayer de faire ça une fois par mois. On a une équipe de six personnes, qui tournent, je ne sais pas qui seront les trois prochaines personnes qui interviendront en janvier.
Je vous souhaite une belle fin de journée. Vous restez là pour la chronique de Vincent.
Nous allons faire une pause musicale.
[Virgule musicale]
Frédéric Couchet : Je vous rappelle que Cause Commune fait appel à un financement participatif qui se termine dans quelques jours.
Pour nous aider, rendez-vous sur le site causecommune.fm et cliquez sur le bandeau d’appel aux dons. Vous pouvez faire ça tout en écoutant la pause musicale à venir.
C’est la période, tous les ans je vous mets cette chanson, je la trouve vraiment très bien, il faut bien écouter les paroles parce que le côté joyeux n’est pas forcément dans les paroles. C’est Joyeux Noël par Les Bernardo. On se retrouve dans quatre minutes. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
Pause musicale : Joyeux Noël par Les Bernardo.
Voix off : Cause Commune, 93.1.
Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Joyeux Noël par Les Bernardo, disponible sous licence Art Libre.
Nous allons passer à notre sujet suivant.
[Jingle]
Chronique « Lectures buissonnières » de Vincent Calame, bénévole à l’April - « Semences, une histoire politique : partie 4 »
Frédéric Couchet : Vincent Calame, informaticien libriste et bénévole à l’April, nous propose des chroniques « Lectures buissonnières » ou comment parler du Libre par des chemins détournés en partageant la lecture d’ouvrages divers et variés. Le chapitre d’aujourd’hui est intitulé « Semences, une histoire politique : partie 4 ».
Bonjour Vincent.
Vincent Calame : Bonjour Fred.
Comme je l’avais annoncé à la fin de ma chronique précédente de novembre, je vous propose de terminer la recension de l’ouvrage Semences : une histoire politique sur une note plus positive. L’ouvrage nous y invite d’ailleurs puisque son dernier chapitre s’intitule « les chemins buissonniers de l’innovation variétale ».
On a vu, dans les épisodes précédents, que la liberté fondamentale des paysans de semer d’une année sur l’autre leurs propres semences s’est vue réduite au cours des décennies, d’une part, par les orientations productivistes prises par le Catalogue des variétés cultivées mis en place dans l’immédiat après-guerre et, d’autre part, par la pression des industriels pour l’application du régime de la propriété intellectuelle sur les semences, pression démultipliée avec l’apparition des organismes génétiquement modifiés dans les années 1980. Cependant, cette double pression n’a heureusement pas été sans réaction.
D’une part, une petite minorité de chercheurs a continué d’explorer d’autres voies que l’adaptation des semences au modèle productiviste, au prix, il faut le dire, d’une marginalisation certaine dans le monde de la recherche. D’autre part, une petite minorité de paysans et de paysannes a participé à un mouvement qui était balbutiant après-guerre et que nous connaissons bien maintenant : l’agriculture biologique.
Frédéric Couchet : Au fond, l’agriculture biologique, c’est un peu l’agriculture d’avant la modernisation.
Vincent Calame : Oui et non. Il y a, bien sûr, tout un aspect « conservatoire » dans l’agriculture biologique, mais elle est aussi friande d’innovation, en particulier d’innovation variétale. Simplement, elle ne cherche pas la même innovation que celle imposée par l’agriculture industrielle.
Dans le deuxième épisode de ma chronique, j’avais cité l’exemple, donné par l’ouvrage, de la large diffusion des fongicides dans les années 70, qui avait fait disparaître, comme critère d’inscription au Catalogue, la résistance aux pathogènes. Or, cette résistance reste évidemment un critère important pour l’agriculture biologique qui n’utilise pas ce type d’intrant. Une poignée de chercheurs a continué de travailler sur des blés résistants, appelés « blés rustiques », mais il leur a fallu un combat de 20 ans pour qu’ils soient inscrits au Catalogue des variétés cultivées.
En fait, l’agriculture biologique a un point commun avec le logiciel libre : elle adore la diversité. Dans le monde du Libre, nous multiplions les distributions GNU/Linux, les bibliothèques de code, les logiciels qui remplissent des fonctions analogues, mais qui sont différents quand même, tout simplement parce qu’on aime ça, parce qu’on pense qu’il n’y a jamais de solution unique et que c’est notre droit de réinventer la roue si ça nous chante.
Dans l’agriculture biologique, la sélection variétale ne doit pas aboutir à un produit standardisé, elle doit être adaptée au terroir, au type d’exploitation agricole, répondre à d’autres critères que le rendement, comme la valeur gustative, etc. Il est à noter que cette approche n’est pas propre à l’agriculture biologique. S’il y a un produit dans lequel ce discours sur le terroir est devenu incontournable, c’est bien le vin, en particulier en France avec les AOC, les appellations d’origine contrôlée. Rares sont les étiquettes de vin où on ne parlerait que du cépage sans évoquer le sol ou le climat. Et ce phénomène de valorisation du terroir déborde largement le monde du vin. Les AOC se multiplient, comme le piment d’Espelette ou comme l’exemple du haricot tarbais, décrit par les auteurs de l’ouvrage, qui est une sélection récente et qui rencontre un franc succès.
Or, il se trouve que les AOC ne sont pas soumises aux critères du Catalogue. C’est donc un autre axe de résistance à l’uniformisation qui est tout à fait dans l’air du temps.
Ceci nous permet d’introduire le concept de « biodiversité cultivée » qui repose sur l’idée que la diversité n’est pas statique, comme c’est le cas avec les banques de semences, elle est dynamique et se vit dans les champs, récolte après récolte. D’ailleurs, en conclusion, les auteurs estiment que l’avenir de la recherche publique passe par la recherche participative qui implique les différents acteurs de la filière. Avec l’actualité brûlante, si l’on ose dire, du changement climatique, la sélection des semences les plus adaptées aux territoires et limitant au mieux les intrants est un chantier de la plus haute importance.
Frédéric Couchet : Vincent, peux-tu préciser quels sont les acteurs et actrices de cette filière ?
Vincent Calame : En fait, je ne vais en évoquer qu’un seul, c’est le Réseau Semences Paysannes. Comme son nom l’indique, c’est un réseau et vous verrez sur son site, semencespaysannes.org, la diversité des membres : cela va des organisations nationales, comme la Confédération Paysanne, à des artisans semenciers locaux.
Le Réseau Semences paysannes, c’est un peu l’équivalent de l’April dans les semences. Et, tout comme à l’April, l’aspect suivi institutionnel et veille juridique est très important, car le cadre juridique bouge tout le temps, en particulier au niveau européen. Pas plus tard que ce matin, j’ai vu, dans le journal, je cite le titre : « Les Vingt-Sept ne s’entendent pas sur les conditions d’une dérégulation des « nouveaux OGM » ». La propriété intellectuelle est en effet de retour avec les NGT, les nouvelles techniques génomiques ».
Eh oui, les combats ne sont jamais gagnés définitivement, quand cela sort par la porte, cela revient par la fenêtre… Pour en savoir plus, je ne peux que vous inviter à explorer le site du Réseau Semences paysannes.
Je rappelle que l’ouvrage Semences : une histoire politique est éditée par les Éditions Charles Léopold Mayer, ECLM, et est en téléchargement libre sur le site de l’éditeur.
Pour finir, comme nous sommes à l’approche des fêtes et que vous êtes en recherche de cadeaux, je vous signale deux ouvrages éclairants sur le processus d’industrialisation de l’agriculture :
Reprendre la terre aux machines. Manifeste pour une autonomie paysanne et alimentaire par l’Atelier Paysan, édité au Seuil, et maintenant disponible en poche. Il propose une belle rétrospective sur la marche forcée de l’industrialisation et son effet sur le monde paysan. Il termine sur un bon programme : l’installation d’un million de paysannes et de paysans en France ;
et deuxième ouvrage, Silence dans les champs aux Éditions Arthaud, une enquête du journaliste Nicolas Legendre tout à fait glaçante sur le système agro-industriel breton, où l’on voit qu’il ne s’agit pas seulement de l’affrontement entre deux modèles, mais bien de la mise en place de pratiques claniques, voire carrément mafieuses.
Sur ce, je vous souhaite de bonnes lectures et de bonnes fêtes à toutes et tous.
Frédéric Couchet : Merci Vincent. Je vais juste préciser que le club des vingt-sept, ce sont les 27 pays de l’Union européenne, ce n’est pas le Club des 27, les rockers et rockeuses qui sont morts à 27 ans.
Vincent Calame : Non, tout à fait.
Frédéric Couchet : Nous sommes bien d’accord. OK.
Merci Vincent. Je pense qu’on te retrouvera en janvier, avec, sans doute, une nouvelle lecture d’un nouvel ouvrage.
Vincent Calame : Exactement.
Frédéric Couchet : C’est cool ! Bonne fin de journée et belles fêtes de fin d’année également.
L’émission va bientôt se terminer, nous allons terminer par quelques annonces.
[Virgule musicale]
Quoi de Libre ? Actualités et annonces concernant l’April et le monde du Libre
Je vais en faire une seule en fait.
Vincent a parlé des systèmes d’exploitation GNU/Linux, il y a donc une install-partie, une fête d’installation GNU/Linux à Marseille, samedi 16 décembre 2023 de 14 heures à 19 heures.
Et Cause Commune, quand même : début janvier, vous êtes invités pour une rencontre, le 5 janvier 2024, la rencontre mensuelle au studio de Cause Commune, à partir de 19 heures 30, au 22 rue Bernard Dimey dans le 18e arrondissement de Paris. C’est une soirée radio ouverte chaque premier vendredi du mois ; la prochaine, ce sera le vendredi 5 janvier 2024.
Je vous rappelle que vous pouvez retrouver sur le site de l’Agenda du Libre codé par Echarp, agendadulibre.org, tous les événements en lien avec le logiciel libre ou la culture libre près de chez vous.
Notre émission se termine.
Je remercie les personnes qui ont participé à l’émission du jour : Isabelle Carrère, Florence Chabanois, Emmanuel Charpentier dit Echarp, Vincent Calame.
Aux manettes de la régie aujourd’hui, Magali Garnero dite Bookynette.
Merci également aux personnes qui s’occupent de la post-production des podcasts : Samuel Aubert, Élodie Déniel-Girodon, Lang1, bénévoles à l’April, et Olivier Grieco.
Vous retrouverez sur le site web, libreavous.org, toutes les références utiles ainsi que sur le site web de la radio, causecommune.fm.
N’hésitez à nous faire des retours pour indiquer ce qui vous a plu, mais aussi des points d’amélioration. Vous pouvez nous poser toute question et nous y répondrons directement ou lors d’une prochaine émission.
Si vous préférez nous parler, vous pouvez nous laisser un message sur le répondeur de la radio, pour réagir à l’un des sujets de l’émission, pour partager un témoignage, vos idées, vos suggestions, vos encouragements ou pour nous poser une question. Le numéro du répondeur : 09 72 51 55 46.
Nous vous remercions d’avoir écouté l’émission. Si vous avez aimé cette émission, n’hésitez pas à en parler le plus possible autour de vous et à faire également connaître la radio Cause Commune, la voix de possibles, je vous rappelle le site web, causecommune.fm.
La prochaine émission aura lieu en direct mardi 19 décembre 2023 à 15 heures 30, ce sera la dernière de l’année. Notre sujet principal portera sur nos amis de Framasoft.
Nous vous souhaitons de passer une belle fin de journée. On se retrouve en direct mardi 19 décembre et d’ici là, portez-vous bien.
Générique de fin d’émission :Wesh Tone par Realaze.