Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Isabella Vanni : Bonjour à toutes, bonjour à tous dans Libre à vous !. C’est le moment que vous avez choisi pour vous offrir une heure trente d’informations et d’échanges sur les libertés informatiques et également de la musique libre.
Nous vous convions ce mardi Au café libre pour débattre autour de l’actualité du logiciel libre et des libertés informatiques, c’est le sujet principal de l’émission du jour. Avec également au programme la chronique de Luk sur « L’oligarchie techno-industrielle » et aussi la quatrième et dernière chronique de Vincent Calame consacrée à La convivialité d’Ivan Illich.
Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission qui vous raconte les libertés informatiques, proposée par l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Je suis Isabella Vanni, coordinatrice vie associative et responsable projets à l’April.
Le site web de l’émission est libreavous.org. Vous pouvez y trouver une page consacrée à l’émission du jour avec tous les liens et références utiles et également les moyens de nous contacter. N’hésitez pas à nous faire des retours ou à nous poser toute question.
Nous sommes mardi 28 janvier. Nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.
À la réalisation de l’émission, aujourd’hui Julie Chaumard. Bonjour Julie.
Julie Chaumard : Bonjour Isabella. Bonjour à tous.
Isabella Vanni : Nous vous souhaitons une excellente écoute.
[Jingle]
Chronique « La pituite de Luk » - L’oligarchie techno-industrielle
Isabella Vanni : Nous allons commencer avec la chronique « La pituite de Luk », qui porte aujourd’hui sur l’oligarchie techno-industrielle. Le sujet a été enregistré il y a quelques jours, je vous propose donc d’écouter ce sujet et on se retrouve juste après.
[Virgule sonore]
Luk : Avec les fêtes, ça fait deux bons mois que je n’ai pas pondu de Pituite et il s’en est passé des trucs en si peu de temps. J’en étais resté aux conflits autour de WordPress et j’avais encore des trucs à dire. Mais entre-temps le père Noël est passé, il a déposé la gastro au pied de mon sapin. Elle a pris son temps pour coloniser mon système digestif. Le 1er janvier, à 5 heures du matin, j’ai compris que pour la bonne santé, c’était foutu.
En ce qui concerne la bonne année, j’avais fait une croix dessus en apprenant la réélection de Trump. Manifestement le père Fouettard en a eu marre de son rôle d’épouvantail. Il a pris son autonomie le 20 janvier dernier et lancé une startup nauséabonde qui annonce les heures sombres de notre histoire à venir.
Non, l’année ne sera pas bonne, la décennie non plus, et la suivante ne fera probablement pas mieux…
Le père Fouettard, n’aurait sans doute pas réussi sans le soutien des grands pontes de la Silicon Valley qui, certes, n’ont pas basculé comme un seul homme mais qui comptent des acteurs majeurs et aucune opposition manifeste. Ils ont soutenu Trump, à coups de millions, alors qu’il y a encore quelques années ils avaient plutôt tendance à soutenir le camp adverse.
C’est notamment le cas de Marc Andreessen et Ben Horowitz, les fondateurs d’un des plus gros fonds d’investissement du coin.
On a quand même moins parlé d’eux que de Bezos, propriétaire du Washington Post qui a refusé que le journal prenne position comme il est coutume de le faire aux États-Unis, sachant que le journal aurait opté pour une candidate qui n’aurait pas été Trump. Et dire qu’en 2020 la presse publiait des articles sur la haine et la rivalité qui existaient entre lui et Trump !
Et on a également moins parlé de Bezos que de Zuckerberg qui se distingue, comme souvent, par son style spectaculairement con et brutal avec la liquidation des services de fact-checking, le retour des sujets politiques, la suppression des règles de discrimination et d’insultes à l’encontre des LGBT, l’abonnement automatique d’utilisateurs au compte de Trump, le blocage du hashtag « Democrat », tout en vantant les mérites de l’énergie masculine et de l’agressivité dans un célèbre podcast pro-Trump.
Mais celui dont on parle le plus, c’est, bien entendu, Elon Musk qui, lui aussi, a changé de bord. Il s’est payé un poste de responsable de l’efficacité gouvernementale qui consistera probablement à détruire les administrations fédérales qui pourraient empêcher Trump de faire tout ce qui lui passe par la tête.
C’est quand même ironique qu’une administration qui a dépensé 1 000 milliards de dollars dans la guerre contre la drogue depuis 1971 en arrive se faire liquider en 2025 par un toxico. Je ne parierais toutefois pas trop sur l’avenir de Musk. Déjà, il a éclipsé Trump lors de sa cérémonie d’ouverture en faisant des saluts, pas nazis du tout, mais tellement ressemblants que les nazis ont cliqué sur le bouton « J’aime » avec enthousiasme. Il a ensuite taclé le super projet d’IA de Trump nommé Stargate, juste après que ce dernier l’ait lancé en fanfare. C’est risqué de retirer sa dose de narcissium à un vieux singe sénile, il pourrait mordre !
Et tant qu’on parle sénilité, lors de son pot de départ, Biden a dénoncé l’émergence d’une oligarchie techno-industrielle qui mettait en danger la démocratie américaine. Il a tout pompé sur Eisenhower qui dénonçait, en 1961, le poids malsain du complexe militaro-industriel. Ou alors, c’est une référence, ça voudrait dire qu’il n’est pas complètement gâteux ? Il faut dire que cette oligarchie techno-industrielle a été fâchée ces quatre dernières années par la politique plutôt ferme de la FTC ainsi que par l’Europe et son RGPD.
Zuck, tout en faisant la danse du ventre pour apaiser Trump, n’a quand même pas oublié de se plaindre de ce que les institutions européennes lui faisaient subir.
Avec des milliards, on achète tout, y compris des consciences. Alors quand en a des centaines dans les poches, ce n’est pas pour se faire dicter sa conduite par des gueux. Ils ont acheté le pouvoir et ont une voie dégagée pour faire leurs trucs sans plus aucune entrave. Leurs homologues allemands ont eu la même assurance dans les années 30. On verra s’ils feront mieux qu’eux.
C’est maintenant du tréfonds de mon slip que je sors un lien avec Mullenweg. Pour mémoire, c’est le patron de l’éditeur de WordPress, dont je parlais dans ma dernière chronique, qui accuse son concurrent de parasitisme. Même si ce qu’il fait est très contestable du point de vue de l’éthique libriste, je ne parviens pas à le condamner complètement, parce que le basculement que nous venons de vivre prouve que le pouvoir économique peut tout acheter.
J’en viens à penser que l’aspect économique est un angle mort du Libre. Les GAFAM et d’autres acteurs analogues se sont développés grâce au Libre et sont maintenant parvenus à appliquer une logique privatrice au code, aux données, aux esprits et maintenant au système politique tout entier. Le projet social de l’informatique libre, à défaut d’avoir échoué, n’a manifestement pas réussi et je crois que l’absence de pouvoir économique pèse lourd dans cette défaite.
Dans ce nouveau monde où l’humanisme n’est plus qu’une blague, la force est la seule valeur qui compte, donc je me pose la question : l’informatique libre, combien de divisions ?
[Virgule sonore]
Isabella Vanni : Vous êtes de retour en direct sur radio Cause Commune. Nous venons d’écouter un sujet enregistré il y a quelques jours, consacré au thème de l’oligarchie techno-industrielle.
Nous allons maintenant faire une petite pause musicale.
[Virgule musicale]
Isabella Vanni : Après la pause musicale, nous aborderons notre sujet principal, Au café libre, un débat autour de l’actualité du logiciel libre avec Bookynette, Gee et Isabelle Carrère, d’Antanak.
Pour le moment, nous allons écouter Diaspora dialectique par Tintamare. On se retrouve dans environ quatre minutes. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
Pause musicale : Diaspora dialectique par Tintamare.
Voix off : Cause Commune, 93.1.
Isabella Vanni : Nous venons d’écouter Diaspora dialectique par Tintamare, disponible sous licence libre Creative Commons CC By SA 3.0. C’est une licence qui permet la réutilisation, la modification, la diffusion, le partage de cette musique pour toute utilisation, y compris commerciale, à condition de créditer l’artiste, d’indiquer la licence et d’indiquer si des modifications ont été effectuées. Et dans le cas où vous effectuez un remix, que vous transformez ou créez du matériel à partir de cette musique, vous devez diffuser votre œuvre modifiée dans les mêmes conditions, c’est-à-dire avec la même licence ; c’est la signification de Share-alike.
[Jingle]
Isabella Vanni : Passons maintenant au sujet suivant.
[Virgule musicale]
Au café libre, débat autour de l’actualité du logiciel libre et des libertés informatiques
Isabella Vanni : Nous allons poursuive par sujet notre principal. C’est un sujet taillé pour le direct, donc, si vous écoutez, n’hésitez pas à participer à notre conversation sur le salon web dédié à l’émission, soit sur le site causecommune.fm, bouton « chat », salon #libreavous, soit sur le site de l’émission, libreavous.org.
Nous vous souhaitons la bienvenue Au café libre, où on vient papoter sur l’actualité du logiciel libre dans un moment convivial, un temps de débats avec notre équipe de libristes de choc issus d’une rigoureuse sélection, pour discuter avec elles et eux et débattre des sujets d’actualité autour du Libre et des libertés informatiques.
Aujourd’hui, avec moi autour de la table, Magali Garnero alias Bookynette, présidente de l’April.
Magali Garnero : Salut Isa.
Isabella Vanni : Gee, docteur en informatique et dessinateur, aussi administrateur de l’April.
Gee : Bonjour tout le monde.
Isabella Vanni : Et Isabelle Carrère, d’Antanak, association proche car amie, mais aussi, car son siège est à côté du studio de la radio.
Isabelle Carrère : Bonjour.
Isabella Vanni : Bonjour à vous trois et merci d’être avec moi aujourd’hui pour ce temps d’échanges. Merci en particulier à Isabelle qui nous a apporté des gâteaux et a préparé café et thé pour faire de ce Café libre un vrai moment de goûter et convivial.
Magali Garnero : Éternelle reconnaissance !
Isabella Vanni : Exactement.
Je précise que toutes les références de l’émission du jour seront rendues disponibles sur la page consacrée à l’émission, libreavous.org/233.
Bilan de la campagne de consultation de la Cour des Comptes
Isabella Vanni : On va commencer par le premier sujet qu’on a sélectionné pour vous.
La Cour des comptes a publié en ligne le bilan de la campagne de consultation qu’elle avait lancée en septembre 2024, en ligne, afin de permettre à celles et ceux qui le souhaitaient de proposer des thèmes nouveaux sur lesquels l’institution pourrait exercer sa mission de contrôle de l’action publique. Nous rappelons que la Cour des comptes est l’institution supérieure de contrôle, chargée de vérifier l’emploi des fonds publics, de sanctionner les manquements à leur bon usage.
L’April ayant participé à cette campagne de consultation, Bookynette est peut-être partante pour présenter ce projet.
Magali Garnero : Oui, pourquoi pas. Effectivement, la Cour des comptes avait lancé une plateforme de consultation en septembre et on avait jusqu’au 4 octobre 2024 pour faire des propositions. L’April est allée faire sa proposition, on a repris quelque chose qui avait déjà été fait avant, mais qui n’était plus soutenu. En 2024, on a remis le truc parce qu’on aime bien insister. On avait demandé une évaluation des dépenses logicielles de l’État et des administrations centrales.
Autant vous dire qu’on a eu beaucoup de chance, parce que cette proposition est arrivée en septième place, ce n’est pas tous les jours qu’on est en top ten. On en avait marre que l’État soit juste un observateur et un consommateur passif des solutions en logiciel libre, on voulait vraiment qu’il y ait une évaluation précise, qu’on sache exactement qui dépense quoi. Quitte à faire des économies, autant les faire là où c’est intéressant de les faire et pas ailleurs. Notre proposition est arrivée en septième position et, en janvier 2025, la date qu’on attendait vraiment avec impatience, la Cour des comptes a fait son premier bilan de la consultation et elle indiqué la proposition suivante : le coût des prestations et de licence des outils bureautiques et collaboratifs. Ce ne sont pas tous les logiciels numériques, ce ne sont que les prestations bureautiques et collaboratives, mais on voit très bien que c’est Microsoft qui est dans le viseur.
Je suis contente, en tant que présidente de l’April, qu’on ait quand même un petit bout qui soit retenu, même si je suis toujours un peu déçue qu’ils n’aillent pas jusqu’au fond des choses.
Je ne sais pas ce que vous en dites, les autres.
Isabelle Carrère : Je suis assez contente. On avait effectivement parlé de ce sujet, on l’avait présenté dans une émission avec Fred. Antanak a pas mal relayé parce que, en fait, ce sont des choses que tout le monde peut comprendre et je trouve intéressant que ça puisse être soutenu, même par des gens qui ne sont pas obligatoirement hyper-férus, des libristes absolument très engagés, mais parce que ça parle à tout le monde « en fait, c’est aussi un petit peu mon argent, où est-ce qu’il part ? Qu’est-ce qu’on en fait ? ». Donc, ça, c’est plutôt cool, c’est super. Je suis vraiment ravie que ça arrive là, même si, tu as raison, la réponse n’est pas suffisante, mais bon, un petit pas chaque jour.
Magali Garnero : C’est un début.
Gee : Effectivement, comme tu le disais, ça doit plutôt être Microsoft qui est dans le viseur. C’est vrai que c’est un truc dont on parle peu, mais il y a quand même eu une explosion des coûts, je ne sais pas si c’est une explosion, mais je serais curieux, justement, d’avoir le rapport de la Cour des comptes. Il y a quelques années, quand on voulait une suite bureautique, on achetait une licence et puis on avait une suite bureautique. Maintenant, avec Microsoft 365, ça veut dire que tu payes 365 jours par an. En gros, ce sont des abonnements parce que ce sont des outils en ligne, évidemment, c’est comme Google Docs, tout ça, on a des outils qui ne sont pas sur notre ordinateur, qui sont sur des serveurs. Donc, au lieu de payer une fois une licence, on paye évidemment un peu tout le temps pour avoir cet accès. Je serais curieux de voir comment c’est matérialisé en coûts de licences bureautiques, parce que je pense que ça ne doit pas être totalement pareil.
Isabelle Carrère : Outil collaboratif, c’est aussi Microsoft, c’est ce que vous dites ? Ce n’est pas sûr. Ça peut être tous les machins Google trucs, les Drive bidules, tous les engins sur lesquels on va pouvoir déposer les choses qu’on va partager avec les autres.
Du coup, c’est chouette et ça peut nous aider aussi à soutenir tout le discours de « tu as bien vu, toi aussi, il faut que tu arrêtes, il n’y a pas que l’État qui doit arrêter, toi aussi tu dois arrêter d’utiliser Microsoft. »
Magali Garnero : Ce qui peut être sympa aussi, c’est que quand ils vont nous le chiffrer, ça va forcément se compter en milliards, il ne faut pas se leurrer, on pourra dire que plutôt que de baisser les budgets des services de l’État, la santé, l’école, et ainsi de suite, allez faire des économies sur le numérique.
Isabelle Carrère : Allez chercher l’argent là.
Gee : Il n’y a pas d’équivalent, Etherpad c’est nul, ce n’est pas bien, du coup on est obligé de payer Microsoft [Prononcé avec une voix mielleuse, NdT]. Je les connais les excuses, les arguments qu’on nous sort tout le temps.
Isabella Vanni : Est-ce qu’on peut encore dire que le pad, l’outil d’écriture collaborative en ligne est nul, quand on sait que le ministère de l’Éducation nationale le met à disposition sur apps.education.gov pour tous les professeurs. Donc, je ne pense pas !
Gee : Ce n’est pas moi qui le dis.
Isabella Vanni : Gee, je suis complètement choquée par ce que tu viens de dire.
Magali Garnero : Quand on voit tout le travail que fait le ministère de l’Éducation, justement avec apps.edu, où il propose pas mal de logiciels libres, je vais juste citer BigBlueButton, moi qui en ai ras le bol de voir des conférences sur Teams et compagnie ! Des alternatives existent, sont viables, montent en compétence, il n’y a aucun problème. C’est vraiment se cacher derrière une excuse qui ne tient plus la route à notre époque !
Isabella Vanni : Donc, la Cour de comptes, s’est transformée en alliée de nos luttes ?
Isabelle Carrère : Un début d’alliée.
Gee : Il ne faut pas non plus crier victoire trop vite, on va avoir.
Isabelle Carrère : On va voir ce que ça va donner, effectivement. La date, c’est quoi ? Quand est-ce qu’ils doivent donner ces chiffres-là ? Avant l’été ?
Magali Garnero : Je n’ai pas vu de date, mais je pense que comme ils font des bilans à peu près tous les ans, on aura peut-être un chiffre l’année prochaine.
Isabelle Carrère : Que l’année prochaine !
Magali Garnero : Je ne peux pas dire. Je regarde autour de moi, si vous savez.
Gee : Je ne sais pas. Je sais qu’il y a une limitation dont on avait parlé dans notre gazette de l’April, qu’on a faite l’automne dernier, qui est que les avis de la Cour des comptes sont consultatifs.
Isabelle Carrère : Comme la CNIL, ce n’est pas obligé.
Gee : Si la Cour des comptes dit « c’est très mal géré, il y a de l’argent qui part trop », les gens qui sont concernés peuvent dire « d’accord » et c’est tout.
Isabelle Carrère : Quand même de moins en moins, je trouve, c’est-à-dire que les médias, pour le coup, là, beaucoup de médias, font leur taf sur le fait de parler de ces discours, des rapports de la Cour des comptes ; toutes les associationss engagées le font aussi beaucoup. Je trouve que, de moins en moins, on peut se cacher derrière son petit doigt en disant « ce n’est pas grave, ce n’est que la Cour des comptes », alors que la CNIL, toujours pas ! Je pense que dorénavant on peut s’attendre à ce que, quand même, la Cour des comptes soit un petit peu plus écoutée, .
Isabella Vanni : D’autant plus que cette consultation en ligne donne encore plus de visibilité à la Cour des comptes. Je lis sur son site qu’ils ont enregistré 942 propositions et près de 18 000 soutiens et commentaires. Peut-être que l’utilisation de cet outil permet aussi de mettre plus en lumière ce que fait la Cour des comptes.
Isabelle Carrère : Ce que je ne sais pas, je vais être casse-pieds, c’est où est-ce qu’elle avait mis la possibilité de voter autrement que sur un ordinateur pour qu’il n’y ait pas de discriminations là-dessus.
Isabella Vanni : Fracture numérique !
Magali Garnero : Voyons le côté positif. À l’April, avoir des chiffres, ça va vraiment nous aider à taper gentiment, je ne vais pas sortir ma batte de baseball, sur certains ministères, certaines administrations. On attend les chiffres avec impatience.
Isabelle Carrère : C’était bien de commencer par une bonne nouvelle. C’est ce que tu voulais ? Eh bien voilà, c’est une bonne nouvelle !
Magali Garnero : Je vais essayer d’en trouver une pour chacun des sujets.
Isabelle Carrère : OK Cool.
Isabella Vanni : Est-ce qu’on est prêts pour le prochain sujet ?
[Ding]
La politique de modération de Meta
Isabella Vanni : Le prochain sujet est peut-être moins une bonne nouvelle, ça concerne la politique de modération de Meta. Rappelons que Meta, anciennement connu sous le nom de Facebook, est une multinationale américaine fondée en 2004 par Mark Zuckerberg, qui en est aussi le dirigeant. Ça fait donc partie des géants du numérique, GAFAM ou MAGMA comme quelques-uns commencent à les appeler maintenant à cause du changement de nom. Qu’est-ce qui s’est passé ? Qui veut prendre la parole pour expliquer un petit peu ce qui s’est passé avec la politique de modération de Meta. Qui prend la parole ?
Gee : J’y vais. En gros, Meta jusqu’à maintenant, comme pas mal d’entreprises de la tech – pour les gens qui ont écouté la Pituite de Luk, on reste un peu dans cette thématique – était plutôt derrière les progressistes, on va dire, étasuniens, c’est-à-dire en gros plutôt le côté démocrate. Ce ne sont pas non plus des dangereux gauchistes, plutôt des gens qui étaient contre le racisme, contre le sexisme, contre l’homophobie, des trucs qui nous sembleraient un peu logiques, mais finalement pas tant que ça. Et là, ils ont senti le vent tourner, un peu comme toutes les entreprises de la tech de la Silicon Valley, et se sont gentiment rangé derrière Trump, donc ont un peu foutu à la poubelle tous ces trucs-là. C’est-à-dire qu’ils avaient des gens qui étaient littéralement là pour s’assurer que les plateformes soient inclusives, etc., il n’y a plus personne, tout le monde s’est fait virer ! Aujourd’hui, il y a donc des choses super dans la nouvelle politique de modération de Meta : on a l’autorisation de qualifier de maladie mentale ou d’anormalité l’homosexualité ou la transidentité, c’est sympa ! C’est soi-disant pour la liberté d’expression, mais sachez que des gens ont fait des tests. Par exemple, si on écrit le mot « cisgenre » sur X – j’allais dire Twitter –, pour les gens qui ne savent pas, en gros, ça désigne les personnes qui ne sont pas transgenres, c’est plutôt un mot qui est utilisé notamment par les militants LGBT, eh bien ce mot-là, sur X, est repéré comme un contenu d’appel à la haine. C’est ça, la liberté d’expression.
Magali Garnero : Là, tu es en train de parler d’hypocrisie. En gros, c’est la liberté d’expression, sauf pour ses règles à soi.
Gee : Je ne vais pas sortir tout de suite… Il est 15 heures 53, je sors tout de suite ma carte : le problème, c’est le capitalisme ! Visiblement, Elon Musk est quand même plutôt un nazi, pour le dire de manière concise. Des gens comme Zuckerberg, je ne sais pas trop, je sais que ce sont des gens qui n’ont aucune conviction et qui bouffent vraiment à tous les râteliers. En fait, il y a quelques années, c’était un peu à la mode d’être pro-LGBT, d’être vachement inclusif, tout ça, donc ils s’étaient dirigés vers ça. Et puis, là, le vent tourne. Ils vont là où il y a le pognon et, en fait, c’est vieux comme Renault qui construisait des trucs pour les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale, Lafarge qui continue à faire du commerce avec Daech en Syrie. Peu importe ! De toute façon, même si c’est une saloperie de dictature, il y a toujours moyen de faire du pognon.
Juste un dernier truc, je suis désolé, j’ai parlé longtemps, je suis assez curieux, par contre, de voir comment ça va se passer du côté de Hollywood. Jusqu’à présent, il y avait quand même une rupture entre la Californie et le reste des États-Unis, c’est-à-dire que la Californie était très orientée démocrate, progressisme, tout ça. La Silicon Valley, visiblement, eux, c’est mort, ils sont passés à Trump. Hollywood, je ne sais pas, parce que, par exemple, Disney se fait notamment beaucoup tacler par les réacs, parce que, vous vous rendez compte, ils mettent des femmes et des Noirs dans leurs films, ça ne va pas du tout ! Je ne sais pas si eux aussi vont franchir le truc et se dire « plus rien à foutre, on va avec les réacs », ou pas. C’est la grande inconnue pour moi.
Isabella Vanni : Des réactions.
Isabelle Carrère : Je ne peux que te rejoindre sur ce que tu dis là, ta description, mais j’ajouterais quand même, à mon avis, que ça n’est pas que la question économique. C’est-à-dire que le capitalisme est partout, mais nous aussi. Pour moi, ça veut dire que la dictature est liée à la question de la domination et la domination, ça veut dire continuer à avoir le pouvoir. On voit bien que la société ou, plus exactement, les sociétés sont en train de bouger, notamment sur tous les champs que tu cites, LGBTQIA+2S et j’en oublie. Je veux dire par là que, pour de vrai, dorénavant tout le monde se pose des questions, il y a donc un risque pour les personnes qui se sentaient investies d’une certaine prestance, d’un certain pouvoir, d’une certaine puissance. Bien sûr, il y a l’économie, je ne veux pas dire qu’il n’y a pas l’économie, mais il y a aussi la peur qui fait devenir des tas de gens masculinistes, alors que, jusqu’à présent, OK, ils étaient peut-être soldats, cow-boys, mais pas tant que ça. Du coup, il y a une espèce de retour en flamme qui est assez conséquente, assez importante. Pour moi, ce qui est en train de se passer est gravissime, mais nous avons des armes, c’est-à-dire qu’on sait d’où ça vient. Au moins, c’est assez clair. Ça éclaire le paysage, ça nomme l’extrême droite, ça nomme ceux qu’on doit combattre. Je ne dis pas que c’est une bonne nouvelle, je ne vais pas jusque-là, mais ça éclaire le paysage. Chacun peut faire des choix, là, dorénavant, vraiment.
Magali Garnero : Moi, je suis un peu entre vous deux, en fait. Plus ils vont faire de la merde, plus ça me rappelle quand Microsoft en faisait et que les gens venaient vers GNU/Linux parce que les gens en avaient marre de la merde de Microsoft. Je me dis que plus ils vont faire de la merde sur Meta et autres réseaux sociaux, plus les gens vont venir vers d’autres alternatives. Je ne vais pas rentrer dans le détail des alternatives parce que je sais que c’est un des sujets juste après. Je me dis que c’est peut-être en les laissant faire leur tambouille, prendre des décisions débiles, liberticides, que les gens vont enfin ouvrir les yeux et venir vers des alternatives plus propres, plus éthiques, plus libres. Un peu comme l’écran bleu de Windows que tout le monde détestait.
Gee : Ça clarifie effectivement les choses. Les gens de la tech ne sont définitivement pas vos amis. Au moins, s’il y avait encore quelques doutes ! Ce sont les amis de certaines personnes, tu me diras. Il y a des gens qui sont contents de ce genre de revirement, mais bon !
Magali Garnero : On parlait des GAFA, GAFAM, MAGMA. J’ai vu qu’« GMAFIA » pour parler d’eux. J’ai trouvé ça très drôle ! Pourquoi pas !
Gee : J’ai d’autres mots pour parler d’eux, mais je ne vais pas les dire à la radio.
Magali Garnero : Un petit truc que je veux rajouter, parce que là ils font ce qu’ils veulent aux États-Unis, mais, dans tous les pays où ils sont installés, ils vont devoir respecter les lois et en France il y a a quand même le RGPD.
Isabelle Carrère : Respecter quoi ?
Magali Garnero : Les lois. Si, quand même, ils essayent.
Gee : Et ça les agace ! Tu ne peux pas savoir !
Isabelle Carrère : Qui les force à respecter les lois ?
Magali Garnero : Je crois qu’eux-mêmes se forcent à respecter certaines lois de protection des données. En tout cas, ils font semblant. En tout cas, ils demandent des rendez-vous. Ils vont être obligés de faire semblant. Je trouve que c’est bien qu’ils perdent du temps comme ça. Pendant ce temps-là, ils ne font pas autre chose. Mais bon !
Gee : Comme quoi, ça sert quand même un peu à quelque chose qu’on ait ce genre de législation en Europe, ça fait plaisir de voir qu’on a un peu plus de garde-fous qu’aux États-Unis.
Isabelle Carrère : Un peu plus, mais pas tant que ça, je suis désolée.
Gee : On prend ce qu’on a !
Isabelle Carrère : J’entends. Mais quelles sont les lois qui, en Europe, pour ne pas parler simplement de la France, vont vraiment remettre en place, par exemple, des contrôles sur les mots utilisés ? Non, je suis désolée. Quelle est cette ministre, peut-être qu’on en parle dans un autre sujet après, qui disait « quand même, il y a je ne sais plus combien de millions de gens qui s’informent, soi-disant, sur X, du coup on ne peut pas se séparer. » Nous en sommes encore là, nous autres ! Quelles sont les lois, sérieusement, avez-vous vu des lois qui nous permettent, à date, de dire « on ne va pas laisser rentrer ces mots-là, on va les empêcher. » ?
Magali Garnero : Je peux en citer une que j’ai apprise ce matin en préparant le dossier. Tu vois, par exemple, le salut romain de Musk.
Isabella Vanni : Soi-disant.
Magali Garnero : Eh bien en Allemagne, il est diffusé, mais totalement flouté, parce qu’une loi dit qu’il est interdit de faire le salut romain à la télé et ainsi de suite, donc on floute. Dans tous les sujets qui parlent de ça, monsieur Musk est flouté à partir de l’épaule. Il y a quand même des choses qui sont mises en place. Est-ce que c’est vraiment utile ? Je ne sais pas, parce que flouté ou pas flouté, tout le monde se fait quand même une idée. Je pense qu’il y a quand même certaines lois qui, en Europe, vont nous semi-protéger, alors qu’aux États-Unis pas du tout. Je pense qu’en France, les propos transphobes et compagnie, ça ne passera pas. Il y aura des modérateurs, il y aura des gens qui vont remonter, puisqu’il dit que c’est la communauté qui va faire la modération et non plus eux, eux laissent la liberté. Je pense que des gens, en Europe, ne laisseront pas passer. Je suis peut-être naïve, mais j’espère. En tout cas, si je vois un truc pareil, je ne le laisserai pas passer quoi.
Isabella Vanni : Je le souhaite autant que toi, d’ailleurs on le verra très prochainement.
Magali Garnero : Après, il y a une astuce : il faut éviter Facebook, Twitter, Instagram.
[Ding]
Initiative HelloQuittex
Isabella Vanni : À ce sujet, le prochain sujet concerne justement une initiative qui a invité les personnes à quitter leur compte sur X, ancien Twitter. Il s’agit de l’initiative HelloQuittex, dont la presse et la télé n’ont pas mal parlé. Personnellement, j’en suis ravie parce que c’est la première fois que j’ai entendu parler de Mastodon à la télé, j’étais super contente. On va expliquer un peu mieux à nos auditrices/auditeurs ce dont il s’agit, si jamais elles et eux ne sont pas au courant. Qui veut prendre la parole pour expliquer un peu en quoi consiste l’initiative HelloQuittex ?
Magali Garnero : Je veux bien, parce que je suis contente que cette initiative existe.
Toujours à cause du même abruti, salut romain, tout ça, des gens, un petit collectif français, cocorico !, mené par un chercheur du CNRS, j’ai noté son nom, David Chavalarias, merci monsieur, a développé une sorte de petite application qui permet aux gens qui sont sur X, alias Twitter, d’aller vers d’autres réseaux sociaux alternatifs. Ça s’appelle HelloQuittex. Moi qui suis libraire, quand j’entends « Kitty, Hello Kitty », bref, c’est un chat, donc on comprend mieux le logo, c’est assez amusant. Mais en gros, c’est un projet qui a séduit pas mal de gens, puisqu’on a déjà 17 000 personnes qui ont dit « ciao aux fascistes, allons vers des alternatives libres. »
Isabella Vanni : Dix-sept mille comptes ?
Magali Garnero : Dix-sept mille personnes.
Magali Garnero : Personnes, comptes ou organisations. Je suis positive, un compte égale une personne, mais peut-être que c’est négatif, un compte égale peut-être plusieurs personnes. J’ai vu des entreprises assez connues arriver sur Mastodon, j’ai même vu des auteurs que je connaissais arriver sur Mastodon. Comme je me sentais un peu seule, je suis tous les auteurs que je connais qui arrivent et je leur fais de la pub.
L’objectif, c’était vraiment d’aider les internautes à se barrer et à venir soit sur Mastodon, youpi, soit sur Bluesky, c’est mieux que X, c’est quand même Bluesky.
Isabella Vanni : Est-ce qu’on peut en dire quelque chose ? Moi, par exemple, je ne le connaissais pas. Est-ce qu’on peut parler du projet Bluesky et du projet Mastodon, et dire quelles sont les différences ? Ou après, comme vous voulez. En gros, il s’agit déjà de plateformes alternatives, voilà ce qu’il faut retenir.
Gee : En gros, rapidement, Bluesky c’est ce qui ressemble le plus à Twitter aujourd’hui. Ça a été fait par un ancien, je ne sais pas, développeur de Twitter [Parag Agrawal, chief technology officer, NdT], j’ai peur de dire une connerie, en tout cas quelqu’un qui, avant, bossait chez Twitter. C’est ce qui ressemble le plus à Twitter ; Mastodon, effectivement, c’est un peu différent.
Isabelle Carrère : Je voulais rajouter des choses par rapport à ce que tu dis. Effectivement, David Chavalarias, du CNRS, est à l’origine du collectif, mais, dans ce collectif, je voudrais quand même qu’on dise qu’il y avait, en plus du CNRS, la Ligue des droits de l’Homme, La Quadrature du Net, le SNJ-CGT, Nothing2Hide, On est prêt et Au poste. C’est un collectif et c’est important parce que ce sont des gens qu’on a l’habitude de citer ici, dont on parle, c’est comme des alliés, ce que tu disais à tout à l’heure. Je trouve que c’est plutôt pas mal et c’est important de le savoir parce que, évidemment, dès que quelqu’un a une initiative comme ça, il est attaqué. Ils sont notamment attaqués par l’extrême droite française – ça faisait longtemps qu’on ne l’avait pas entendue – disant que, quand même, c’était tout à fait honteux de pousser à ça, que ça donnait une mauvaise image des choses, que c’est vraiment un scandale d’État. Comment est-il possible que le CNRS ait pu financer une telle organisation ? Évidemment, c’est n’importe quoi, ce n’est pas de l’argent public !
Magali Garnero : Je propose que l’extrême droite reste sur Twitter/X et qu’on nous laisse les autres réseaux sociaux.
Gee : Ils ne sont pas contents que leur punching-ball s’en aille, en fait. Les gens de gauche et compagnie étaient là et s’en prenaient plein la tronche sur X, ils s’en vont ! Les autres ne sont pas contents !
Isabelle Carrère : Sur quoi vont-ils taper ? Exactement !
Magali Garnero : Ils vont peut-être se taper entre eux, ça va nous faire des vacances.
Isabelle Carrère : Ils disent par exemple : « HelloQuittex est une énième tentative d’imposer une chape de plomb politique, alors que les réseaux sociaux ont contribué à libérer l’information ! ». L’information !
Magali Garnero : Libérer l’information ! Est-ce qu’on peut encore parler de liberté d’information à notre époque sur Twitter ? Réfléchissons deux secondes !
Isabelle Carrère : C’est comme la liberté d’expression dont on parlait tout à l’heure concernant Meta, c’est la même chose. Du coup, ça oblige les gens de ce collectif à répondre : « Non, ce n’est pas le CNRS qui a fondé et coopté, etc. C’est vraiment sur une branche à par. » Ils sont obligés de se justifier sur des choses. Mais oui, on ne peut que se réjouir de voir une centaine, 120 grands groupes qui ont décidé de quitter, de manière officielle, le 20 janvier, en même temps que l’investiture de Trump ! C’est joli aussi d’avoir une date, comme ça, ça fait un anniversaire ! Ça fait un an ! C’est vraiment très bien et j’espère que ça va être suivi encore plus que ça, y compris par les individus, comme tu le disais, et pas simplement les organisations.
Gee : Pour revenir sur ce que disait Bookynette. Je pense que c’est évident entre nous le fait qu’on ne s’informe pas sur X et compagnie, je ne sais pas si évident pour tout le monde. Nous – quand je dis nous, je pense à des gens comme Framasoft qui y est restée assez longtemps, moi-même, avec mon compte perso, je suis resté assez longtemps sur Twitter/X – sommes restés pendant longtemps avec l’idée d’aller parler aux gens là où ils sont et c’est vrai qu’il y avait quand même pas mal de gens sur Twitter, même si, en fait, ça reste un microcosme comparé à quelque chose comme Facebook ou Instagram, qui ont beaucoup plus de gens dessus. L’idée qu’il faut pouvoir aller porter une autre voix, justement pour ne pas laisser la place aux fachos. Le gros problème, aujourd’hui, c’est que les algorithmes favorisent les discours d’extrême droite et cachent les autres discours. Ça n’a donc plus aucun intérêt d’y aller, même si nous sommes beaucoup à porter un autre discours, nous serons noyés, squeezés, étouffés. Même en imaginant qu’on soit majoritaire, ce qui ne sera pas le cas, parce que, en plus, ils viendront en masse et nous, nous n’avons pas envie, de toute façon, nos discours sont silenciés et les discours d’extrême droite sont promus. On n’a donc vraiment plus rien à faire sur cette plateforme.
C’est donc très bien que des tas de gens s’en aillent. Ça fait un an que je n’ai pas posté dessus. J’ai toujours mon compte pour éviter que quelqu’un squatte le nom. Je ne sais pas à quel point ça a de l’intérêt. Beaucoup de gens font ça, mais bon !
Je trouve chouette qu’on ait Mastodon. Souvent, quand on fait des services alternatifs comme ça, que ce soit le Chapril de l’April, les Chatons qui sont d’autres hébergeurs alternatifs, on dit souvent qu’on ne veut pas concurrencer les GAFAM parce qu’on n’en a pas les moyens, on n’a clairement pas la force de frappe d’un Google, mais on offre une porte de sortie pour les gens qui, justement, veulent changer, qui en ont marre. Je trouve génial qu’il y ait plein de gens qui en ont marre d’un coup et, du coup, une porte de sortie existe. Il y en a une autre, malheureusement j’ai envie de dire, qui est Bluesky, et c’est dommage, parce que si on veut revenir un peu sur Bluesky, en gros, c’est l’équivalent de Twitter il y a dix ans.
Isabelle Carrère : Qui a la main sur Bluesky, c’est peut-être ça qu’il faut rappeler.
Magali Garnero : C’est une entreprise de la Silicon Valley.
Isabelle Carrère : Pas encore un grand personnage connu, qui salue ? Non, pas encore ?
Magali Garnero : Dans dix ans !
Gee : Je pense qu’il est connu dans les milieux de la tech. Ce que je veux dire c’est que Bluesky c’est Twitter il y a dix ans, du coup, dans dix ans, que sera Bluesky ? En fait, en migrant à chaque fois sur des plateformes qui sont les mêmes, qui fonctionnent finalement de la même manière, les gens se remettent dans les mêmes pièges. Je trouve dommage, effectivement, que tant de gens choisissent Blueskyet pas Mastodon, qui est quand même vachement plus immunisé contre ça, alors pas complètement.
Magali Garnero : Bluesky est une entreprise américaine qui est cotée en bourse, donc forcément elle est là pour quoi ? Pour faire de la thune ! Donc, qu’est-ce qu’ils vont faire ? Ils vont faire comme ils ont fait avec Twitter : de la pub, de la récupération et de la revente de données. Je ne vois pas pourquoi ils feraient différemment, c’est la même personne. Donc, allez-y, allez sur Bluesky, et puis, dans cinq ans, vous reviendrez sur Mastodon ou sur un autre fédivers. C’est juste une perte de temps.
Gee : Peut-être un dernier poin, pour expliquer quand même en quoi Mastodon est préférable à Bluesky : il y a le côté décentralisé, c’est-à-dire que chacun va pouvoir héberger son propre petit bout de Mastodon. Quand je dis « chacun », évidemment, la plupart des gens ne savent pas faire, mais il y a plein de petits endroits où on peut aller. Il y a le Mastodon de l’April, je ne sais pas s’il est ouvert aux inscriptions.
Magali Garnero : Il a été rouvert dernièrement, avant de savoir que Trump était élu. On est prêts.
Gee : En francophone, il y a aussi Piaille qui est une grande instance. Il y a plein de choses, ce qui fait que, même si jamais une de ces instances devient nazie, on pourra s’en détacher facilement et ce n’est pas très grave. Bluesky se targue d’être décentralisé, mais c’est un peu de la poudre aux yeux : tu peux effectivement héberger des morceaux de Bluesky, mais tout transite quand même par le nœud central qui est possédé par Bluesky. Je n’ai pas les détails techniques, j’espère que je ne dis pas de bêtises. En gros, ça se dit décentralisé, mais si demain Bluesky devient nazi, je pense que la décentralisation ne servira pas à grand-chose.
Isabelle Carrère : Est-ce qu’on peut expliquer un petit peu ce qu’est une instance pour les gens ?
Magali Garnero : Je t’en prie.
Isabelle Carrère : Non, ce n’est pas moi la technicienne.
Isabella Vanni : Instance, c’est un peu le terme technique, en fait, il s’agit simplement de services installés sur des serveurs différents. Et c’est un autre cadeau merveilleux du logiciel libre : tant que j’ai les compétences techniques pour le faire, je peux installer mon logiciel sur mon serveur, donc faire profiter de ce service des personnes. Le fait qu’il y ait plein d’instances ou plein de services sur différents serveurs, sur différents ordinateurs qui sont des serveurs, ça permet aussi à chaque instance d’avoir ses règles, sa politique de modération, etc. Donc, je peux aussi décider, si je ne suis plus contente de mon instance, de migrer sur une autre.
Gee : Tout en leur permettant de communiquer.
Magali Garnero : Toutes les instances discutent entre elles et, ce qui est génial, c’est que vous pouvez choisir votre instance suivant aussi vos appétences. Typiquement, il y a des instances qui vont être réservées aux scientifiques et, quand on suivra son flux local et non pas le flux général de tout le monde, on n’aura que des messages de scientifiques. Ça permet donc de rester avec ses groupes affinitaires ou alors, totalement le contraire, aller sur une grosse instance et suivre tout et n’importe quoi pour être un peu au fait de tout. Je sais que certains préfèrent vraiment choisir leur instance pour, je dirais, pas forcément être dans l’entre-soi parce qu’ils ne se connaissent pas forcément les uns les autres, mais ils aiment les articles scientifiques, donc, sur leur instance, il trouveront plein d’articles scientifiques. Choisissez votre instance. Celle de l’April, est pas mal non plus.
Gee : Et si vous trouvez ça compliqué, la meilleure analogie qu’on puisse trouver, c’est celle du mail. Sur Twitter, vous avez un nom d’utilisateur ou d’utilisatrice, c’est tout. Sur Mastodon, vous allez avoir un nom arobase un domaine, par exemple framapiaf.org, Chapril c’est pouet.chapril.org. C’est la même chose que le mail, au sens où quand vous avez une adresse mail, vous n’avez pas juste votre nom et votre prénom, vous avez arobase un domaine. C’est vrai que maintenant le mail est aussi très centralisé, donc énormément Gmail, un petit peu de Hotmail et tout ça. Mais vous pouvez remarquer qu’il y a des entités qui veulent être indépendantes, qui ne veulent pas dépendre de Gmail, qui ont leur propre domaine de mail. Je bosse à l’Université Paris-Saclay, j’ai une adresse @université-paris-saclay.fr, c’est un peu trop long d’ailleurs, mais c’est faisable. En fait, idéalement, il faudrait qu’on ait la même chose pour Mastodon. Est-ce que ça a du sens pour une université d’avoir un Mastodon ?, je ne sais pas. Mais, par exemple, des groupes de presse pourraient se dire « on fait un Mastodon presse française », par exemple ; ils pourraient se mettre ensemble et franchement, ça ne coûterait rien ! Ils auraient un truc où ils seraient chez eux, où ils ne dépendraient pas d’un algorithme géré par des compagnies américaines. C’est un choix politique.
Isabella Vanni : On a parlé de pouet.chapril.org, l’instance, le service de Mastodon proposé par l’April. On peut citer aussi une autre instance qui est assez plébiscitée, qui est qui pialle.fr, qui est proposée par une entreprise du Libre, Octopuce, dont les serveurs sont ici en France. On peut rappeler aussi une émission Libre à vous ! consacrée au sujet Mastodon, libreavous.org/159, en rappelant, comme on a dit, qu’il y a plein d’instances possibles, donc, n’hésitez pas à naviguer, à choisir la vôtre, celle que vous préférez.
Isabelle Carrère : De votre point de vue, juste pour conclure, il n’y a aucun risque que tout le monde, que tant de gens débarquent sur et avec ce système ? Au contraire, vous trouvez que ça n’est que positif, que tout le monde arrive, que tous les gens qui vont quitter X débarquent ici.
Magali Garnero : Il y a toujours un risque. J’ai tendance à dire que s’ils quittent X, s’ils ont fait cette réflexion-là, déjà, c’est mieux que s’ils n’avaient pas fait la réflexion. S’ils ont déjà commencé à se poser toutes ces questions sur X, sur Musk, sur machin, sur l’autonomie, la manipulation, les bros et ainsi de suite, quand ils vont arriver sur Mastodon ou sur Bluesky, ils auront déjà un esprit critique et ils sauront déjà pourquoi ils l’ont fait. J’ai toujours peur des mouvements de foule, mais là je me dis que c’est une foule qui aura pris une décision.
Je suis modératrice au Chapril. On est sur une modération, je ne dirais pas sur dénonciation, parce que je n’aime pas du tout ce mot-là : si quelqu’un constate qu’un compte est négatif, insultant et ainsi de suite, il va le faire remonter à l’équipe de modération et l’équipe de modération va prendre la décision soit de limiter, c’est-à-dire invisibiliser, soit de supprimer. En fait, tous les gens qui vont arriver avec des idées polluantes vont se faire dégager.
Isabelle Carrère : Vous pensez que toutes les instances fonctionnant comme ça, on n’a pas de risques que des gens de l’extrême droite, par exemple, pour ne citer qu’elle, qui seraient contents de venir polluer ces nouvelles instances, etc., débarquent et qu’il soit compliqué de les boucler ou de les empêcher de sévir.
Magali Garnero : Il y a déjà des instances d’extrême droite, mais on ne les verra pas sur certaines instances. Typiquement, nous avons supprimé un lien avec une instance qui était vraiment extrêmement négative, insultante, tout ce qu’on veut. Chaque instance fera son tri, ses règles. C’est chaque instance, ce n’est pas juste une, en Californie, c’est chaque instance.
Isabelle Carrère : C’est ce que je voulais entendre. C’est cool, parce que ça veut dire aussi que chaque individu, chaque structure, chaque collectif est en capacité d’aller interroger aussi les modérateurs, les modératrices, les gens qui s’occupent de ça dans chaque instance, et on peut tout à fait, de manière très libre, pour le coup, choisir celle qui est conforme à ce qu’on a envie d’entendre, de voir et surtout de ne pas voir, et on peut même, éventuellement, participer, peut-être sur certaines instances, à la modération ou que sais-je.
Isabella Vanni : Par définition, le logiciel libre, c’est participer.
Isabelle Carrère : Oui, mais je trouve que c’est bien de le rappeler à des moments comme ça qui sont, pour moi, un peu cruciaux, politiquement, du coup aussi avec des choix. C’est comme quand la personne va laisser tomber Microsoft, comme tu disais, là elle va laisser tomber X, mais quelle est l’idée ? Qu’est-ce que ça va changer dans sa vie et qu’est-ce que ça va libérer aussi d’autre ?
Magali Garnero : En fait, en venant sur Mastodon, sur le fédivers, on devient acteur de son réseau social. Si on voit des choses qui ne nous plaisent pas, on peut les signaler, donc y mettre fin, et je trouve que c’est un pouvoir qui est incroyable. C’est une puissance donnée par le logiciel libre, en général, donc, il faut l’utiliser et je remercie toutes les personnes qui nous font des signalements sur chapril.org. Vous êtes merveilleuses.
Isabella Vanni : J’en profite pour passer au sujet suivant.
[Ding]
Une fondation à but non lucratif pour assurer le développement de Mastodon
Isabella Vanni : Le sujet suivant concerne l’annonce de la création d’une fondation à but non lucratif pour assurer le développement de Mastodon, on reste toujours sur ce sujet.
Isabelle Carrère : Montée en puissance. C’est parfaitement organisé cette émission ! C’est fluide, c’est incroyable !
Isabella Vanni : Pas tant que ça, parce que ça nous oblige à décaler la pause musicale. Pour la respiration, il faudra attendre encore quelques minutes.
Isabelle Carrère : Vous respirerez plus tard !
Magali Garnero : Respirer, c’est surfait !
Isabella Vanni : On parlait de Mastodon, de ce merveilleux service basé sur un logiciel libre, décentralisé, fédéré et qui, en plus, voit naître une fondation à but non lucratif pour assurer son développement. Est-ce que quelqu’un veut résumer, donner quelques détails en plus par rapport à cette information ?
Gee : Apparemment, jusque-là, c’était une société à but non lucratif, en Allemagne, et ça a été retiré au printemps dernier parce que la plupart de ses financements venaient de Patreon, une plateforme de financement participatif, si je ne dis pas de bêtises. Visiblement, ce n’est pas considéré comme des dons, ça doit être une spécificité de la loi allemande, je n’en ai aucune idée, donc, ça n’est plus une société à but non lucratif, ça devient une fondation, enfin une entité à but non lucratif, je n’ai pas bien compris.
En quoi ça consiste, comment ça se matérialise ? Honnêtement, je ne suis pas sûr d’avoir vraiment compris la différence. En tout cas ça reste, les Américains diraient nonprofit, donc quelque chose qui n’est pas fait pour le profit, ce qui est déjà quand même une bonne nouvelle.
Magali Garnero : De ce que j’ai compris, mais pareil, je pense que c’est encore flou parce que ce n’est pas décidé totalement, ils étaient en discussion avec des avocats pour savoir exactement quoi mettre en place. Ça serait une fondation, c’est ce qui semble ressortir, ça serait en Europe, sûrement en Belgique, et le but ce serait de récupérer des dons.
Isabelle Carrère : Oui, c’est ça, j’allais dire que sont des questions financières. Actuellement, l’équipe a publié un rapport d’activité sur 2023, ça a été publié fin 2024. Il a été dit, à ce moment-là, qu’il y avait vraiment besoin de contribution créative et financière, c’est comme ça qu’ils l’ont citée, de la part de leurs communautés. L’idée c’est aussi de pouvoir être soutenu par des gens divers et variés, dont des entreprises, et qu’il faut être sur un fil très droit. Je pense qu’ils sont capables de le faire, que l’équipe va pouvoir faire être sur un fil droit : je reçois des dons, je reçois de l’argent, mais je veux valider d’où vient l’argent, qu’est-ce que j’accepte comme argent et, ensuite, je suis transparent/transparente sur la façon dont je l’utilise, comment je l’utilise. Les communautés en question peuvent aussi avoir un droit de regard là-dessus et c’est vraiment très bien.
Isabella Vanni : Est-ce que nous sommes prêts ? Est-ce qu’on fait respirer nos auditrices et auditeurs ?
Isabelle Carrère : Allez respirer. Allez boire un café.
Isabella Vanni : Nous allons donc faire une pause musicale. Nous allons écouter Hummingbird par Candy Says. On se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
Pause musicale : Hummingbird par Candy Says.
Voix off : Cause Commune, 93.1.
Isabella Vanni : Nous venons d’écouter Hummingbird par Candy Says, disponible sous licence libre Creative Commons CC By SA 3.0.
[Jingle]
Isabella Vanni : Nous allons poursuivre notre discussion. Je suis Isabella Vanni de l’April. Nous discutons des actualités du Libre avec Bookynette, Gee et Isabelle Carrère, d’Antanak.
N’hésitez pas à participer à notre conversation sur le salon web dédié à l’émission, sur le site causecommune.fm, bouton « chat ».
[Ding]
L’histoire de Lucie
Isabella Vanni : Notre prochain sujet concerne l’histoire de Lucie. Je propose peut-être à Isabelle de démarrer ce sujet. Je crois que c’est toi qui l’avais proposé.
Isabelle Carrère : Non, ce n’est pas moi, mais je peux dire un truc quand même. Je ne sais pas tout techniquement, etc. Mais je trouve ça assez rigolo. D’abord le nom est assez amusant parce que Lucie, « ie », c’est pour faire référence à Lucy, « y », la première humaine qui avait été retrouvée. Très bien, c’est rigolo.
L’autre chose que je trouve marrante, c’est qu’on arrive un peu après la bataille, mais comme souvent en France ou en Europe, c’est-à-dire que, OK, il y a eu un ChatGPT, du coup on va faire, nous aussi, un machin.
Isabella Vanni : On n’a pas dit ce que c’est.
Isabelle Carrère : J’y ’arrive.
Isabella Vanni : Suspense !
Isabelle Carrère : Du coup, on va faire un ChatGPT français, qui est financé par le gouvernement, notamment par le ministère de l’Éducation nationale, qui est développé par une société qui s’appelle Linagora, une société qui travaille sur les logiciels libres, qui développe beaucoup de logiciels libres. Ils étaient très contents, très satisfaits des premières étapes, de ce qu’ils ont fait. Ils ont voulu le mettre à disposition et puis, également, faire apprendre à cet engin — c’est la catastrophe de me faire parler d’une chose pareille ! On parle donc de quelque chose qui est en train d’apprendre par soi-même, l’intelligence dite artificielle, qui apprend de ce qu’on lui apporte à manger et, du coup, elle redonne des choses, etc. La version test a donc été mise en ligne. Évidemment, des tas de gens y sont allés pour regarder de quoi il retournait et zut !, ce n’était pas prêt. Dans les articles, on voit qu’elle a répondu disant que les vaches pondaient des œufs, elle a répondu je ne sais plus quoi à je ne sais plus qui. Bref ! Des inepties. Du coup, ça donne une image !, comme si on voulait se faire taper sur les doigts tout le temps, c’est-à-dire qu’on donne une image, une fois de plus, de quelque chose ! Je ne sais pas, je n’en sais rien, ce n’est pas mon taf, je ne sais pas si c’est une bonne idée de faire ça, à priori je n’en sais rien. En tout cas, ce qui est sûr, c’est que le faire de cette manière-là et arriver à ce résultat, c’est quand même assez hallucinant. C’est un peu l’histoire du Minitel par rapport à Internet. Du coup, on range le Minitel parce que, finalement, il y a Internet qui est meilleur.
Gee : Pour le coup, on a sorti le Minitel avant Internet !
Isabelle Carrère : Oui, on l’a sorti avant, mais on l’a lâché parce qu’il y a un moment où Bull n’a pas fait ce qu’il fallait. Bref ! On ne va pas refaire l’histoire, mais il y a eu un moment, quand même, où on n’a pas su faire. Là, c’est un peu pareil. Déjà, on arrive après, tu as raison, c’est un peu différent, on arrive après ChatGPT, mais surtout, on veut copier ou on veut faire les mêmes choses. Je ne comprends pas.
Gee : Tu disais « je ne sais pas si c’est ça qu’il faut faire ou pas », moi, je pense que non. Encore un chatbot, donc un logiciel pour faire de la discussion ! Les gens se foutent de ce chatbot parce qu’ il fait effectivement plein d’erreurs. Mais est-ce qu’on a besoin de faire une requête qui va cramer plein d’arbres, qui va avoir un impact écologique désastreux, pour savoir que les vaches ne pondent pas des œufs. Ils se foutent de lui, parce qu’il ne sait pas que 5 X 2 ça fait 10 ! Ça fait 60 ans qu’on a inventé des calculatrices, on n’a pas besoin qu’un chatbot le sache ! Ça me gonfle cette espèce de délire autour des chatbots. C’est un truc de discussion et les gens s’imaginent que ça va résoudre les problèmes du monde entier. Sam Altman, le mec qui est à l’origine d’OpenAI, la boîte de ChatGPT, pense qu’on est sur le chemin de créer une intelligence artificielle supérieure, machin et tout. Mais pourquoi ? Ils essayent juste de faire un truc qui fait des discussions de plus en plus vraisemblables. Alors oui, c’est vachement impressionnant pour ce que c’est, mais il n’y a aucune raison que ça devienne un truc génial !
Isabelle Carrère : Ce qui devient dramatique, surtout, c’est que c’est pour l’Éducation nationale. C’est surtout ça le problème ! Je suis d’accord avec toi, c’est n’importe quoi, ça ne sert à rien. Mais l’objectif qu’on aurait, ce serait de donner ça comme quoi, comme professeur ?
Gee : Ça, oui, pour les pauvres ! Les pauvres auront Lucie comme professeur et les riches auront des professeurs.
Isabelle Carrère : Mais il n’y aura bientôt plus de pauvres ! Ce n’est pas ça ? On ne les a pas tous tués !
Magali Garnero : J’ai la réponse au pourquoi : pour faire de la thune ! Il ne faut pas se leurrer ! Les puissances mondiales maintenant en bourse, ce sont justement toutes les entreprises de la tech et depuis quand ? Depuis qu’elles parlent d’intelligence artificielle. L’intelligence artificielle a été le mot buzz pour se renflouer, pour faire des investissements sur l’avenir et effectivement, on en a partout ! Vous pouvez voir, partout, même dans les moteurs de recherche, même dans certains logiciels libres, il y en a partout et c’est le truc à la mode. Ça fait mal parce que, franchement, quand on y réfléchit, on n’en a pas besoin.
Dernièrement, j’ai testé Gemini, j’ai demandé « qu’est-ce que c’est que la librairie À Livr’Ouvert » et j’ai appris que c’est une librairie qui vend des livres d’occasion !
En gros, chaque fois qu’on pose des questions à ces machines-là, qu’on connaît la réponse, on se rend compte qu’elles disent des conneries.
Gee : Parce qu’elles ne sont pas faites pour dire des choses correctes, elles sont faites pour dire des choses qui sonnent bien. C’est tout !
Magali Garnero : Exactement ! Qui sonnent bien, ou qui sont basées sur des statistiques, donc ce n’est pas forcément la vérité vraie, ce sont des statistiques, des mathématiques. Bref !
Gee : L’exemple que tu donnes est très bon. Statistiquement, pas mal de librairies vendent effectivement des livres d’occasion, donc, la tienne, statistiquement, doit en vendre.
Magali Garnero : Pour moi, c’est vraiment une sorte de bullshit à la mode. Ce qui est dramatique, c’est qu’on perde du temps là-dessus, que ça utilise des quantités d’énergie, des ressources et ainsi de suite. Je sais plus où j’ai lu, mais il me semble qu’un serveur utilise autant d’énergie qu’un État, je crois que c’est la Pennsylvanie, en électricité. On est en train de gâcher notre électricité pour ces machines-là.
Je veux pas dire que je suis contre les IA, parce que c’est un peu comme être contre le progrès.
Gee : Ah ! Quel progrès ?
Magali Garnero : Qu’on en veuille ou pas, on va en bouffer de l’intelligence artificielle jusqu’à ce qu’ils décident que ce n’est pas rentable.
Gee : Il y a plein de types d’IA. Je ne suis pas forcément contre l’IA en général, on en a déjà parlé, il y a des trucs qui sont bien, des choses comme la traduction automatique avec DeepL, mais, encore une fois, les logiciels de discussion comme ça, pour moi, c’est vraiment un buzz autour d’un truc ! Pour moi, c’est un peu la même chose que la différence entre la prestidigitation et la magie. C’est-à-dire que là, on a un très bon prestidigitateur qui est ChatGPT, du coup, on fout plein de ronds dedans pour qu’il soit de plus en plus impressionnant, en s’imaginant qu’à un moment il va vraiment faire de la magie. Il n’y a aucune raison ! Ce n’est pas parce que tu arrives à être de plus en plus impressionnant avec tes « petits tours de magie », entre guillemets, que, soudainement, tu vas développer les pouvoirs de Harry Potter. Non, ce sont deux choses différentes.
Isabella Vanni : Sur le webchat, on nous demande de définir les types d’intelligence artificielle.
Gee : Quand on parlait de types d’intelligence artificielle, c’était plus sur les usages. Il y a notamment un usage qu’on critique énormément, en tout cas dans le milieu du Libre, ce sont les IA dites génératives, c’est-à-dire les IA auxquelles on donne quelque chose et qui vont créer des choses, que ce soit du texte, des images, on peut penser à Midjourney, même des vidéos maintenant, et, en général, ce sont des choses qui, encore une fois, consomment monstrueusement pour des résultats dont l’utilité est, a minima, discutable. Après, comme je le disais, on a des IA de traduction, de transcription, de correction de texte. Tout ça, ce sont des IA qui peuvent reposer sur des technologies qui peuvent être plus ou moins les mêmes, parfois ce sont des réseaux de neurones, des choses comme ça, pour lesquelles, par contre, il y a un peu moins cet effet de résultat à l’utilité discutable. Quand tu les utilises, honnêtement, ça te sert beaucoup, autant qu’un correcteur d’orthographe quand ça a été mis en place, ce genre de chose.
Après, selon les types d’IA, il y a d’autres choses, comment c’est fichu de manière technique, mais je pense que c’est trop technique pour qu’on en parle.
Isabella Vanni : Et la sobriété, parce que, apparemment, cette Lucie devait être plus sobre écologiquement parlant, du moins c’est ce que j’avais lu.
Isabelle Carrère : Et en mini-jupe ! Ce que je voulais dire c’est que je suis vraiment contre l’IA, c’est très clair. Le lien avec le progrès, que tu as fait tout à l’heure, Bookynette, pour moi ça suffit. On sait que le progrès est une vaste comédie, que c’est n’importe quoi, c’est un peu comme la démocratie ! Du coup, le capitalisme est partout, nous aussi, disais-je !
Sérieusement, je crois qu’au-delà des différents types d’IA, etc., il y a des fantasmes qui continuent à fonctionner derrière tout ça qui, pour moi, sont hyper-dangereux. Il y a des IA nazies, je suis désolée, il y a des choses qui font des actions militaires, c’est la question de la défense. Il y a des choses qui poussent à la désinformation et à la dictature de la pensée. OK, bien sûr, il y a sûrement des IA « gentilles », entre guillemets, des IA qui vont aider, par exemple, des médecins, des chirurgiens, dans des opérations hyper-complexes. Mais là encore, je pose la question : c’est pour qui ? Pour quelle élite ? Qui a droit à ce fonctionnement-là ? On est à chaque fois sur des modalités qui sont des choix de société capitaliste, économique, comme tu le disais, mais capitaliste, de domination.
Magali Garnero : Je réponds à ta question. Je remonte un peu en arrière : quels sont les genres d’intelligence artificielle ? Framasoft a fait un site qui s’appelle framamia.org. Ils expliquent ça de manière extrêmement simple et, dans mes souvenirs, à un moment donné il y a toutes sortes d’IA, je crois qu’il y a huit boutons différents, pour vraiment s’informer sur ce qu’est l’intelligence artificielle et depuis combien de temps c’est là. On en parle maintenant, on va dire depuis cinq ou six ans. Ça fait 70 ans que l’intelligence artificielle existe, ça n’a vraiment rien de nouveau, c’est vraiment le buzz, comme on a eu les NFT avant, comme on a eu les bitcoins. C’est le buzz de la décennie actuelle. Le site Framamia.org est vraiment extrêmement bien expliqué. Je trouve que c’est la meilleure source sur l’intelligence artificielle que j’ai vue depuis pas mal de temps, parce que c’est extrêmement complet.
Isabelle Carrère : Je me dois d’en citer une autre parce que, quand même, nous sommes sur la radio Cause Commune, 93.1. Jean-Philippe Clément fait régulièrement une émission, d’une petite demi-heure, avec des tas d’invités, il raconte des choses, il explique et il fait parler sur l’IA, ses utilisations. Je vous recommande d’aller aussi regarder d’autres émissions de la radio.
Magali Garnero : C’est quoi son émission ? Le nom de son émission ?
Isabella Vanni : Parlez-moi d’IA.
Je commence à m’inquiéter. J’ai l’impression que notre cerveau est un peu con, je peux le dire, on a presque besoin d’avoir des trucs à la mode, comme tu le dis, on se fait happer par ces narrations incroyables. Quel sera le prochain sujet à la mode après l’IA ? Je commence à avoir peur, parce que là, déjà, la barre est très haute en termes de pollution.
Gee : C’est dur à dire parce que même les gens qui mettent en place ce genre de buzz ne maîtrisent pas. Ils ont essayé de faire ça avec le métavers, les NFT, ça a marché pendant un mois et ça a fait un gros pschitt. Je n’en sais rien, c’est une grande question. Peut-être une vraie IA, un truc vraiment capable de penser, ça pourrait être ça, mais, pour le moment, on n’y est pas.
Magali Garnero : Je ne sais pas si vous avez vu, ça m’a fait sourire, un peu tristement, les entreprises américaines qui font de l’IA ont perdu 67 milliards en bourse dernièrement, parce que la Chine a annoncé une nouvelle IA qui s’appelle DeepSeek, qui serait beaucoup moins cher, beaucoup plus écologique et ainsi de suite.
Gee : Et surtout, contrairement à Lucie, je ne sais pas comment ils quantifient ça, c’est une IA qui fait mieux que ChatGPT, qui a été développée pour un dixième du prix, donc les Américains font un peu la gueule.
Magali Garnero : Ça ne coûte pas si cher que ça en fait ?
Isabelle Carrère : DeepSeek, ça veut dire ? Deep, profond, et Seek c’est quoi ?
Gee : Ça veut dire chercher.
Isabelle Carrère : Je cherche profond ! Où est-il passé ? Je ne trouve pas !
Gee : Tu creuses encore !
Isabella Vanni : La blague coquine manquait ! On ne l’avait pas encore faite, là c’est fait ! Sinon Marie-Odile, justement, nous rappelle qu’il y a beaucoup de transcriptions disponibles sur librealire.org autour de l’IA, et on a parlé d’éducation justement. Si vous cliquez sur le thème « Éducation », vous trouverez les derniers articles récents qui sont presque tous en lien avec ce sujet. Si vous voulez approfondir, voilà où aller.
[Ding]
Ada et Zangermann en dessin animé
Isabella Vanni : Ada et Zangermann était un album dessiné, une jolie histoire dessinée d’une fille geekette, donc passionnée de bidouillage, de logiciels libres, eh bien il paraît que ses personnages se sont animés tout récemment. Qu’est-ce qui s’est passé Bookynette ?
Magali Garnero : Je raconte rapidement l’histoire de Ada et Zangermann. Zangermann est un petit génie de l’informatique qui a fait pas mal d’appareils qu’il a vendus dans sa ville et dans le monde entier, il est devenu super riche. Dans les appareils, il y a des petits skates qui font de la musique, il y a des machines à faire des glaces, bref !, il y a vraiment plein de choses. Le problème, c’est qu’il est descendu dans la rue, il s’est pris un skate dans la cheville, il a vu des gens manger des glaces avec des parfums qu’il n’aimait pas du tout, il a donc commencé à tout fermer, tout bloquer, un peu ce que font certaines entreprises dont je ne citerais pas le nom. Ada a essayé de réparer le truc qui envoie de la musique, elle en a bricolé un pour son frère et, en faisant ça, elle a touché au matériel, après elle s’est dit « j’aimerais bien qu’il fasse d’autres choses ! ». Elle a appris, dans une bibliothèque – il faut aller dans les bibliothèques, si on n’a pas de moyens, il faut aller dans les bibliothèques pour prendre des livres –, ce qu’étaient les logiciels libres, du coup, elle a réussi à transformer son enceinte en quelque chose de Libre et elle a commencé à réparer tous les outils de tous les copains, tous les skates, toutes les machines pour vendre des glaces et ainsi de suite, ce qui n’a pas du tout plu à monsieur Zangermann.
Ils disent que ce livre-là, cet album, c’est pour sept ans, mais la libraire que je suis tend à dire que, vu le texte, c’est plutôt à partir de neuf ans. C’est vraiment pour apprendre ce qu’est le logiciel libre aux enfants et franchement, plus on leur apprend tôt, mieux c’est. Je ne veux pas faire de propagande, mais plus on apprend que des alternatives existent, mieux c’est. Après, je n’oblige personne à faire du Libre, mais !
Isabella Vanni : Sous quelle licence est publié ce livre ?
Magali Garnero : C’est une licence libre, puisqu’à la base, l’auteur, Matthias Kirschner, on en a déjà parlé quand le livre est sorti, travaille, est président de la FSF Europe ; l’illustratrice c’est Sandra Brandstätter. Il y a eu un gros mouvement au niveau de l’Éducation nationale et d’une association qui s’appelle ADEAF [Association pour le développement de l’enseignement de l’allemand en France], qui met en avant la culture allemande en France, qui en a fait la traduction. On a eu un super album publié aux Éditions C & F, et cet album vient d’être transformé en dessin animé. Alors, attention, dessin animé, je vous le dis tout de suite pour que ne vous ne soyez pas déçus, ce n’est pas un truc à la Disney, ce sont vraiment des dessins qui sont animés, où on bouge les sourcils, la bouche, les cheveux et ainsi de suite, c’est vraiment du dessin animé au sens premier du terme. Ça dure 31 minutes. Je n’ai pas vu le temps passer.
[Ding]
OFFDEM 2025
Isabella Vanni : On voulait absolument parler d’au moins un autre sujet. Désolée, si je vous ai pas fait rebondir sur ce sujet, mais je trouve que c’est intéressant de dire que les 1er et 2 février aura lieu, à Bruxelles, le FOSDEM [Free and Open source Software Developers’European Meeting], un événement autour du logiciel libre, annuel, qui existe depuis des années et on a découvert, grâce à Isabelle qu’il y a aussi un événement off en parallèle, qui s’appelle OFFDEM [Open For Freedom, Desire, Emancipation, Meaning], pas à Bruxelles, mais dans une autre ville de Belgique. Peux-tu nous en dire quelques mots Isabelle, brièvement ?
Isabelle Carrère : Brièvement. J’ai trouvé intéressant, effectivement, qu’il y ait un OFFDEM dans le sens offline du FOSDEM . J’aime bien que des gens qui sont dans un mouvement, dans un ensemble, dans un groupe, une communauté, appelez ça comme vous voulez, se posent des questions sur ce qu’ils sont en train de devenir. Quand même, FOSDEM c’est depuis 2001/2002, ça fait plus de 20 ans. En tout cas, OFFDEM c’est depuis 2020. Ce sont vraiment des petits collectifs, des gens qui se sont demandé « est-ce qu’on n’est pas en train de perdre quelque chose dans ce qu’on voulait faire par rapport aux logiciels libres ? Est-ce qu’on ne doit pas revenir en arrière sur un certain nombre de choses, notamment sur la question des partages, la question de la violence provoquée par la technique ? ». Des grands sujets, comme ça et je trouve ça intéressant.
Isabella Vanni : Très bien. Un petit mot de la présidente.
Magali Garnero : Je suis allée voir, j’ai tout lu, alors une traduction parce que je ne lis pas forcément l’anglais, mais j’ai vu un petit passage qui m’a fait plaisir qui disait « comment des gens qui veulent militer puissent encore utiliser les services des entreprises contre lesquelles ils militent ? ». Je trouve que c’est pertinent de se poser cette question-là et j’adorerais pouvoir y participer. Par contre, j’ai vu que c’était à Bruxelles.
Isabella Vanni : À Bruxelles, c’est le FOSDEM.
Isabelle Carrère : J’ai vu aussi, je crois que le off est à côté.
Isabella Vanni : Je vous le dis tout de suite, je l’ai noté, c’est à Woluwe-Saint-Lambert. Je ne sais pas où c’est. Ce n’est pas loin normalement. L’idée, c’est de faire des évènements en parallèle.
Magali Garnero : Je suis sûre que ce n’est pas loin. C’est un peu comme tu dis que c’est à Nice et pas à Paris, ça se touche !
Isabella Vanni : Il y avait un dernier sujet, mais c’est vraiment trop juste, je n’ai pas envie de l’entamer. La prochaine fois. Je veux que Vincent, qui nous a rejoint pour sa chronique après la pause musicale, ait tout le temps d’étaler sa chronique.
Je remercie beaucoup Bookynette, Isabelle Carrère et Gee d’avoir participé à ce Café libre.
Isabelle Carrère : Avec plaisir, merci à toi.
Magali Garnero : Merci de l’avoir animé.
Isabella Vanni : Merci à vous. Une très bonne ambiance et je vous donne rendez-vous à la prochaine fois.
Magali Garnero : Salut.
Isabelle Carrère : À une prochaine fois. Salut.
Gee : À la prochaine
Isabella Vanni : Nous allons faire une pause musicale.
[Virgule musicale]
Isabella Vanni : Après la pause musicale, nous entendrons une nouvelle chronique de Vincent Calame consacrée à La convivialité d’Ivan Illich.
Nous allons maintenant écouter This Little Light of Mine par HoliznaCC0. On se retrouve dans environ trois minutes. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
Pause musicale : This Little Light of Mine par HoliznaCC0.
Voix off : Cause Commune, 93.1.
Isabella Vanni : Nous venons d’écouter This Little Light of Mine par HoliznaCC0, disponible sous licence libre Creative Commons CC0, qui permet de placer son œuvre au plus près du domaine public, dans la limite des lois applicables.
[Jingle]
Isabella Vanni : Je suis Isabella Vanni de l’April. Nous allons passer au sujet suivant.
[Virgule musicale]
Chronique « Lectures buissonnières » de Vincent Calame - La convivialité d’Ivan Illich (4e et dernière partie)
Isabella Vanni : Vincent Calame, informaticien, libriste et bénévole à l’April nous propose une chronique « Lectures buissonnières » ou comment parler du Libre par des chemins détournés en partageant la lecture d’ouvrages divers et variés.
Aujourd’hui Vincent continue et conclut, si je ne m’abuse, sa présentation de La convivialité d’Ivan Illich, 4e partie.
Bonjour Vincent.
Vincent Calame : Bonjour Isa. Comme tu le dis, il y a une bonne ambiance dans le studio, ça ne va pas être facile de prendre la suite, ça va être un peu plus laborieux.
Effectivement, comme promis, je vais clore aujourd’hui ma série sur La convivialité d’Ivan Illich.
Comme presque trois se sont écoulés depuis la dernière chronique, je vais faire un rapide résumé des épisodes précédents que vous pouvez retrouver en podcast sur le site de Libre à vous !.
Dans le premier épisode, j’ai donné quelques éléments biographiques sur Ivan Illich ; dans le deuxième, j’ai évoqué ce qu’Ivan Illich définissait par « outil convivial » et en quoi le logiciel libre pouvait répondre à cette définition ; dans le troisième et précédent épisode, je me suis arrêté sur d’autres concepts introduits par Ivan Illich dans La convivialité, notamment celui de « monopole radical », concept qui s’applique très bien, hélas, aux GAFAM.
Pour terminer, j’avais l’intention de revenir sur ce que peuvent apporter les travaux d’Ivan Illich au logiciel libre, mais cela mérite un petit avertissement. Ma chronique d’aujourd’hui va avoir une approche très personnelle et, bien sûr, n’engage que moi, je ne prétends pas parler au nom du mouvement du logiciel libre. Il serait plus juste de dire que je vais vous parler de ce que la lecture d’Ivan Illich m’a apporté, à moi, en tant que militant, dans ma démarche et mes réflexions personnelles. Si vous qui m’écoutez êtes libristes, vous êtes probablement venus au Libre pour des raisons différentes des miennes et, tant mieux, c’est ce qui fait la richesse du mouvement. Peut-être vous reconnaîtrez-vous dans mes propos, ou pas, dans tous les cas, je serais ravi d’en discuter avec vous.
Une des questions qui me taraude, c’est celle de la finalité de mon engagement. Autrement dit, « des logiciels libres, c’est bien mais pour quoi faire ? ». Certes, on peut dire que la liberté n’a pas besoin de justification en soi, mais il n’a échappé à personne qu’aujourd’hui, au lendemain de l’intronisation de Donald Trump, le terme « liberté » est utilisé ad nauseam. En particulier la liberté d’expression, qui nous est si chère, est utilisée pour disqualifier toute connaissance scientifique, tout socle commun de savoirs partagés, tout débat contradictoire. À la sauce d’ Elon Musk, la liberté, c’est vraiment « le renard libre dans le poulailler libre » !
Bref, c’est triste à dire mais parfois, le terme « liberté » utilisé à tout-va, ça donne froid dans le dos.
C’est là qu’intervient, en ce qui me concerne, une lecture roborative comme celle de La convivialité d’Ivan Illich. De nombreuses fois, au cours de ma lecture, j’ai noté des passages en m’écriant « mais c’est nous, ça ! », « nous » je veux dire « le logiciel libre », alors même qu’Ivan Illich, écrivant au début des années 70, ne parle pas ou très peu de l’informatique.
J’ai retrouvé en effet beaucoup de ce qui me motive dans l’aventure du logiciel libre dans la définition que fait Ivan Illich d’une société conviviale, c’est-à-dire une société où l’humain contrôle l’outil et non l’inverse.
J’ai d’ailleurs beaucoup apprécié cet usage du mot « outil » par Ivan Illich, que je trouve bien correspondre à ce qu’est un logiciel. En effet, écrire des lignes de code, ce n’est pas réaliser une œuvre d’art ou faire de la recherche fondamentale, mais bien façonner un outil dans le but de répondre à une demande ou résoudre un problème. Ce n’est pas par hasard que nous utilisons le terme de « forge » pour désigner un dépôt de codes sources de logiciels ; l’analogie entre l’écriture, parfois laborieuse, de lignes de code, et le martelage d’une pièce de métal pour lui donner une forme finale me semble à la fois poétique et judicieuse. C’est aux concepteurs de l’outil que revient la responsabilité d’en faire un outil convivial ou non.
Rappelons au passage que, pour Ivan Illich, ce n’est pas la complexité ou non d’un outil qui détermine son caractère convivial. Un outil peut être très sophistiqué, comme un logiciel ou une imprimante 3D, et être convivial s’il assure l’autonomie de ceux qui l’utilisent, en offrant en particulier le choix de ne pas être utilisé.
Et pour qu’un logiciel soit un outil convivial, c’est-à-dire contribue à l’édification d’une société conviviale, ma conviction personnelle est, je ne vous étonnerai pas, que les quatre libertés du logiciel libre sont des conditions absolument nécessaires.
Ce sont des conditions nécessaires mais évidemment pas suffisantes.
Heureusement, le mouvement du logiciel libre n’a pas attendu pour défendre d’autres valeurs que la seule liberté. Je n’ai pas fait d’études statistiques, mais je pense que le nombre d’occurrences du terme « partage » ne doit pas être loin de celui de « liberté » dans les discours du logiciel libre.
Richard Stallman, le créateur du concept de logiciel libre, avait l’habitude, dans ses conférences en français, de résumer le logiciel libre par la devise Liberté, Égalité, Fraternité, manière, certes, de flatter son auditoire français, mais aussi de rappeler que la liberté n’avance pas seule.
Je vais m’arrêter là. Peut-être dira-t-on que j’ai une lecture fausse de La convivialité, ou, en tout cas, orientée dans le sens qui m’arrange. Mais après tout c’est le sort de tout ouvrage et comme le disait Thierry Paquot au tout début de son livre Introduction à Ivan Illich : « Les pensées d’un auteur ne lui appartiennent plus dès lors qu’elles circulent et il n’est pas rare alors qu’il ne se reconnaisse plus dans ce qu’on dit de lui ou ce qu’on lui fait dire. »
En tout cas, maintenant, je ne me présenterai plus seulement comme « militant du logiciel libre », mais avec la mention complète « militant du logiciel libre pour une société conviviale ». C’est déjà un joli programme !
Isabella Vanni : Superbe conclusion pour ta série sur La convivialité de Ivan Illich. C’est ta dernière chronique sur ce sujet, je suis donc un peu inquiète. Sais-tu déjà quelle lecture buissonnière tu vas nous proposer le mois prochain ?
Vincent Calame : Le mois prochain ! C’est même la semaine prochaine !
Isabella Vanni : Ce sont les aléas du remplissage de la grille d’une émission de radio.
Vincent Calame : J’ai eu trois mois de blanc.
Isabella Vanni : Et là tu dois rattraper !
Vincent Calame : je dois rattraper. Je pense que j’innoverai, parce que je n’écrirai pas ma chronique à l’avance. Je présenterai les lectures en question à l’antenne. Je ne veux pas déflorer le sujet maintenant !
Isabella Vanni : Eh bien oui ! C’était une question piège. Je voulais voir si j’arrivais à te faire cracher quelque chose, mais tu es plus malin que moi ! Je suis ravie de savoir que je pourrai écouter une nouvelle chronique de Vincent la semaine prochaine. Merci.
Nous approchons de la fin de l’émission. Nous allons terminer par quelques annonces.
[Virgule musicale]
Quoi de Libre ? Actualités et annonces concernant l’April et le monde du Libre
Isabella Vanni : Premier Samedi du Libre, samedi 1er février, de 14 heures à 18 heures au Carrefour numérique de la Cité des sciences et de l’industrie à Paris, dans le 19e. Venez aider ou vous faire aider à installer et à paramétrer des logiciels libres et toute distribution GNU/Linux ou Android avec les nombreuses associations présentes.
Cause Commune vous propose un rendez-vous convivial chaque premier vendredi du mois, à partir de 19 heures 30, dans ses locaux, à Paris, au 22 rue Bernard Dimey, dans le 18e arrondissement, une réunion d’équipe ouverte au public, avec apéro participatif à la clé. Occasion de découvrir le studio et de rencontrer les personnes qui animent les émissions. La prochaine soirée radio ouverte aura lieu vendredi 7 février 2025 et Frédéric Couchet, de l’April, sera présent à cet apéro.
Nous en avons parlé tout à l’heure, lors du Café libre, les 1er et 2 février 2025 auront lieu en parallèle deux évènements autour du logiciel libre en Belgique : le FOSDEM à Bruxelles et sa version off, le OFFDEM à Woluwe-Saint-Lambert, désolée pour la prononciation.
La deuxième édition de AlpOSS, l’évènement isérois autour du logiciel libre, se déroulera jeudi 20 février 2025 à Échirolles et Jean-Christophe Becquet, vice-président de l’April, y fera notamment une intervention au sujet des pépites libres, les ressources sous licence libre qu’il déniche et qu’il partage avec nous dans Libre à vous ! dans sa chronique mensuelle.
Je vous invite, comme d’habitude, à consulter l’Agenda du Libre, agendadulibre.org, pour trouver des événements en lien avec les logiciels libres et la culture libre près de chez vous.
Notre émission se termine.
Je remercie les personnes qui ont participé à l’émission : Luk, Bookynette, Gee, Isabelle Carrère, d’Antanak, Vincent Calame.
Aux manettes de la régie aujourd’hui, d’ailleurs régie impeccable, Julie Chaumard.
Merci également aux personnes qui s’occupent de la post-production des podcasts : Samuel Aubert, Élodie Déniel-Girodon, Lang 1, Julien Osman, bénévoles à l’April, et Olivier Grieco, le directeur d’antenne de la radio.
Merci aux personnes qui découpent les podcasts complets des émissions en podcasts individuels par sujet : Quentin Gibeaux et Théocrite, bénévoles à l’April, et mon collègue Frédéric Couchet.
Vous retrouvez sur notre site libreavous.org/233 toutes les références utiles de l’émission de ce jour, ainsi que sur le site de la radio, causecommune.fm.
N’hésitez pas à nous faire des retours pour nous indiquer ce qui vous a plu, mais aussi des points d’amélioration.
Vous pouvez également nous poser toute question et nous y répondrons directement ou lors d’une prochaine émission.
Toutes vos remarques et questions sont les bienvenues à l’adresse bonjour chez libreavous.org.
Si vous préférez nous parler, vous pouvez nous laisser un message sur le répondeur de la radio, pour réagir à l’un des sujets de l’émission, pour partager un témoignage, vos idées, vos suggestions, vos encouragements, ou pour nous poser une question. Le numéro du répondeur est le 09 72 51 55 46.
Nous vous remercions d’avoir écouté l’émission.
Si vous avez aimé cette émission, n’hésitez pas à en parler le plus possible autour de vous et à faire connaître également la radio Cause Commune, la voix des possibles.
La prochaine émission aura lieu en direct mardi 4 février 2025 à 15 heures 30. Notre sujet principal portera sur Paheko, logiciel libre de gestion d’association en ligne.
Nous vous souhaitons de passer une belle fin de journée. On se retrouve en direct mardi 4 février 2025 et d’ici là, portez-vous bien.
Générique de fin d’émission : Wesh Tone par Realaze.