- Titre :
- Émission Libre à vous ! diffusée mardi 4 février 2020 sur radio Cause Commune
- Intervenant·e·s :
- Simon Descarpentries - Sébastien Canet - Louis-Maurice De Sousa - Laurent Joëts - Véronique Bonnet - Frédéric Couchet - Étienne Gonnu à la régie
- Lieu :
- Radio Cause Commune
- Date :
- 4 février 2020
- Durée :
- 1 h 30 min
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Page des références utiles concernant cette émission
- Licence de la transcription :
- Verbatim
- Illustration :
- Bannière radio Libre à vous - Antoine Bardelli ; licence CC BY-SA 2.0 FR ou supérieure ; licence Art Libre 1.3 ou supérieure et General Free Documentation License V1.3 ou supérieure. Logo radio Cause Commune, avec l’accord de Olivier Grieco.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l’April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.
Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Frédéric Couchet : Bonjour à toutes. Bonjour à tous.
L’usage du logiciel libre au collège, ce sera le sujet principal de l’émission du jour, avec également au programme la veille sur la presse en ligne et aussi les raisons d’écrire des logiciels libres. Nous allons parler de tout cela dans l‘émission du jour.
Vous êtes sur la radio Cause Commune, la voix des possibles, 93.1 en Île-de-France et partout dans le monde sur le site causecommune.fm.
Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre. Je suis Frédéric Couchet, le délégué général de l’April.
Sur le site web de l’April, april.org, vous y trouverez une page consacrée à l’émission avec les références utiles que nous compléterons après l’émission en fonction des échanges.
N’hésitez pas à nous faire des retours pour indiquer ce qui vous a plu mais aussi des points d’amélioration.
Nous sommes mardi 4 février 2020, nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.
Si vous souhaitez réagir, participer à la discussion pendant le direct, n’hésitez pas à rejoindre le salon web de la radio, causecommune.fm, vous cliquez sur « chat » et vous nous rejoignez sur le salon #libreavous pour poser des questions ou réagir.
Nous vous souhaitons une excellente écoute.
Nous allons passer maintenant au programme de l’émission.
Nous allons commencer par la présentation dans quelques secondes de Meta-Press.es une extension pour Firefox qui permet de faire de la veille sur la presse en ligne.
D’ici une dizaine de minutes nous aborderons notre sujet principal qui portera sur le logiciel libre au collège avec trois invités que je présenterai tout à l’heure.
En fin d’émission, nous aurons la chronique de Véronique Bonnet qui portera sur les raisons d’écrire des logiciels libres.
À la réalisation de l’émission aujourd’hui mon collègue Étienne Gonnu. Bonjour Étienne.
Étienne Gonnu : Salut Fred.
Frédéric Couchet : Place maintenant au premier sujet.
[Virgule musicale]
Présentation de Meta-Press.es, une extension pour Firefox qui permet de faire de la veille sur la presse en ligne
Frédéric Couchet : Nous allons commencer par la présentation de Meta-Press.es. Meta-Press.es est une extension pour Firefox qui permet de faire de la veille sur la presse en ligne. Normalement, nous avons avec nous au téléphone son auteur, Simon Descarpentries. Bonjour Simon.
Simon Descarpentries : Bonjour.
Frédéric Couchet : On t’entend de loin. Peut-être que la régie va monter un petit peu le son. Première question : Meta-Press.es, tout simplement c’est quoi ?
Simon Descarpentries : Comme tu l’as brillamment expliqué dans la présentation, c’est un outil qui sert à remplacer Google News pour faire de la recherche dans les journaux. C’est un métamoteur de recherche qui vise la presse en ligne et il se présente sous la forme d’une extension pour Firefox qu’on peut installer, du coup, depuis le menu des extensions de Firefox [about:addons, Note de l’intervenant] en cherchant « meta presse », c’est le premier résultat qui arrive dans ce cas-là.
Frédéric Couchet : Parce que tu as parfaitement bien choisi ton nom pour le référencement dans les extensions Firefox. Justement, tu parles de Google News, pourquoi avoir lancé ce projet vu qu’il y a Google News ?
Simon Descarpentries : Puisque Google News existe déjà ? Eh bien oui ! Ça remonte à 2013. En 2013, ça faisait cinq ans que je m’occupais bénévolement de la revue de presse de La Quadrature du Net, une tâche qui était chronophage mais quand même d’une importance stratégique pour l’association. C’était facile de constater qu’on avait besoin de Google News pour réaliser la revue de presse et que le reste du temps, ce qu’on trouvait concernant notre association via ce moteur de recherche, c’était de la critique de GAFAM et en particulier de ce que faisait Google le reste du temps. Je trouvais qu’il y avait une espèce de dissonance cognitive à dépendre de l’outil que l’on critiquait et j’ai commencé à travailler sur une alternative que je voulais libre et décentralisée. J’ai discuté avec Benjamin Bayart, par exemple, qui expliquait déjà il y a dix ans que l’un des principaux défis du logiciel libre c’était de trouver le moyen de remplacer les gros moteurs de recherche centralisés parce qu’il est difficile d’obtenir la même pertinence dans les recherches avec quelque chose de distribué.
Je me suis rendu compte que sur ce domaine précis de la presse en ligne, chaque journal dispose de son propre moteur de recherche, chaque journal répond honnêtement quand on lui demande s’il a un contenu sur un domaine précis avec des mots clés, et la pertinence des articles entre eux, quand on en a plein sur le même sujet, eh bien c’est la date de publication et ça, n’importe quel ordinateur peut trier quelques centaines ou quelques milliers de résultats par date de publication, on n’a pas besoin de Google pour faire ça.
Frédéric Couchet : D’accord. Tu dis que l’idée c’est en 2013 et le lancement de la première version ? Quand est-ce que tu as recommencé à travailler concrètement dessus ? Parce que c’est récent l’ouverture.
Simon Descarpentries : Oui. La version 1.0 en ligne, installable, date de novembre dernier. Qu’est-ce que j’ai fait de 2013 jusque-là ? Je n’ai pas bossé nuit et jour que sur ce projet-là. J’ai rencontré quelques petites difficultés techniques dès le début pour, avec des outils simples comme un site web normal, réussir à obtenir ce fonctionnement. Depuis un site web normal c’était compliqué et il a fallu tout ce temps pour que je m’assure que depuis une extension de Firefox les contraintes techniques que je rencontrais étaient levées.
J’ai aussi fait d’autres rencontres, dont des gens qui m’ont encouragé à travailler à nouveau dessus, ce qui est arrivé en 2017. En 2017, j’ai travaillé six mois sur les deniers de ma société Acoeuro, sur ce prototype qui me tenait à cœur, puisque j’avais à la fois levé les contraintes techniques avec les évolutions de JavaScript et l’adoption des WebExtensions par Mozilla et rencontré quelqu’un qui disait que peut-être il pourrait financer la chose, alors je me suis sérieusement penché dessus. Ça a avancé pas mal. il y a eu des contraintes sur le financement mais quelque chose est arrivé à nouveau en 2019 et c’est comme ça que fin 2019, le travail étant fait, l’extension est arrivée en ligne.
Frédéric Couchet : D’accord. On reviendra sur la question du financement à la fin. Au début tu parlais de La Quadrature du Net donc de la revue de presse, est-ce que tu as déjà prévu une intégration complète, enfin un processus d’intégration complet de Meta-Press.es dans un processus de revue de presse pour une association ou pour n’importe quelle structure ?
Simon Descarpentries : C’est bien le cas d’usage que j’avais en tête, toutes ces années l’ayant bien exploré et le maîtrisant sur le bout des doigts, j’ai rédigé par exemple toute la documentation de La Quadrature sur comment faire la revue de presse, donc c’est quelque chose qui me tenait bien à cœur et je n’ai pas beaucoup d’efforts à faire pour me mettre dans la peau de quelqu’un qui fait la revue de presse d’une association, ça me vient naturellement. J’ai donc réfléchi à tout ce qu’on pouvait faire pour automatiser les tâches de cette revue de presse qui, pour résumer, se séparent en plusieurs étapes : d’abord il faut trouver les articles qui parlent de nous, donc il faut quand même soit faire le tour de tous les journaux en leur demandant un par un s’ils ont parlé de La Quadrature du Net entre temps par exemple, ce qu’on faisait, à l’époque on a fait ça, on était une équipe, on était un peu plus de cinq, on s’était réparti les principaux journaux à vérifier tous les jours, on a vraiment essayé.
Une fois qu’on a repéré les articles, on les met dans une file d’attente pour pouvoir les sélectionner, éliminer ceux qui finalement ne sont pas bons ou redondants et, une fois qu’on sait lesquels on veut publier, il faut encore importer le contenu dans le site web de l’association et ça, ça se traduit par un formulaire qui crée une page sur le site et on fait copier-coller du titre, copier-coller de l’extrait, de l’auteur, de la date, du lien et ça, c’est un travail qui se révèle fastidieux quand on a une dizaine d’articles à faire par jour, ça prend un temps non négligeable.
Or, grâce à Meta-Press.es, on peut simplifier toutes ces étapes, on peut faire une recherche qui va, par l’outil, être propagée à tous les médias connus, il y a actuellement 125 sources, donc plus d’une centaine de sources [possibles pour une recherche donnée, Note de l’orateur] et la plupart sont des grands médias internationaux. On va se retrouver avec les résultats par ordre chronologique, donc on peut voir ce qu’il y a de nouveau depuis la fois précédente qu’on a fait cette recherche.
Une fois qu’on a repéré les articles qui nous plaisent il est possible d’activer un mode de sélection de ces articles. Là des cases à cocher apparaissent et on choisit ceux qu’on a vraiment envie de publier, qui ne sont pas redondants et qui sont pertinents.
À partir du moment où on a cette sélection, on peut demander à exporter la sélection dans plusieurs formats standards, par exemple le format RSS. L’extension fait télécharger par le navigateur un flux RSS qui arrive comme fichier sur le disque dur de l’utilisateur. Ce flux RSS, on peut le réimporter [dans Meta-Press.es, Note de l’orateur], on peut l’envoyer par mail, mais on peut tout simplement aller sur son site web, par exemple un WordPress qui, comme flux d’articles, prend en entrée un flux RSS, et lui dire : importe mes quatre nouveaux articles depuis ce fichier RSS.
Là on a bien factorisé le nombre de clics parce qu’on a juste sélectionné, exporté, réimporté, et on n’a pas à reprendre les informations une par une pour tout le détail. Ça gagne beaucoup de temps.
Frédéric Couchet : D’accord. L’explication est très claire. Est-ce que tu as déjà des statistiques d’utilisation depuis le lancement de cette version 1.0 ?
Simon Descarpentries : Oui. Je précise que dans le code que j’ai fait c’est entièrement décentralisé et tout se passe seulement sur l’ordinateur de l’utilisateur, entre son navigateur web et les journaux qu’il interroge. Je ne sais rien de ce qui est cherché. Je n’ai pas la main sur le cœur à vous promettre que je ne vous espionne pas : ça n’est pas possible. Toutefois, quand on installe une extension dans son navigateur Firefox, Mozilla collecte des statistiques d’utilisation. Donc Mozilla me dit qu’il y a plus de 2000 personnes en trois mois qui ont téléchargé l’extension pour commencer et Mozilla me dit qu’il y a à peu près 800 personnes qui l’utilisent chaque jour. Ils disent « qui utilisent chaque jour », mais il me semblerait plus logique d’imaginer que Mozilla collecte le nombre d’utilisateurs qui ont cette extension sur leur navigateur et qui utilisent leur navigateur. Je ne pense que ce soit vraiment le nombre de personnes qui cliquent sur l’icône et font des recherches, mais c’est à eux qu’il faudrait le demander.
Frédéric Couchet : D’accord. Depuis que tu as lancé quelles sont les nouveautés, en quelques de mots, et les principales pistes d’amélioration que tu vois ?
Simon Descarpentries : J’étais très content de l’ensemble des fonctionnalités de la version 1.0 et je me disais que j’allais pouvoir me reposer un peu après ça. En fait, il y a eu un travail intense et bien plus important depuis cette mise en ligne que sur les phases précédentes, parce que c’est très stimulant d’avoir des utilisateurs, parce que du coup j’ai des retours constructifs et des idées de nouvelles fonctionnalités. Dans les toutes dernières nouveautés, suite à un retour de mon papa, j’ai changé le fonctionnement du filtrage des journaux, parce qu’on ne cherche pas dans les 120 journaux à chaque coup : on peut chercher seulement dans les journaux qui sont dans sa langue ou qui couvrent son pays ou qui sont en HTTPS si on veut un certain niveau de chiffrement.
Et puis il y a deux grandes familles de journaux qui se distinguent : ceux qui permettent de faire une recherche avec un « et » logique entre les termes, La – Quadrature – du – Net, et qui ne vont pas me renvoyer tout ce qui contient « le Net » ou « la quadrature du cercle » et ceux qui n’arrivent pas à ce niveau-là, malheureusement comme Mediapart, en France qui pourra sûrement améliorer ce point-là. Si on fait une recherche sur « La Quadrature du Net », on a plein de bouillie et on n’a pas ce qu’on veut. Un cas courant et intéressant c’est aussi de chercher « rivière Mayenne » ; il y a plein de rivières et la Mayenne ça peut être une ville, un département ou une rivière et on voit tout de suite si on a les résultats qui ne correspondent que au croisement, à l’intersection des champs, des mots clés donnés.
Parmi les nouveautés, il y a le fait que maintenant, par défaut quand on installe l’extension, on fait des recherches avec un « et » logique entre les mots et c’est le fonctionnement auquel on pourrait s’attendre par défaut.
Il y a eu ça. J’ai ajouté des formats d’import-export et d’autres arriveront.
Frédéric Couchet : Plein de choses vont s’ajouter. J’ai une petite question technique avant de passer à ma dernière question sur le financement, tu dis qu’il y a 120 sources de journaux, est-ce qu’une personne qui a installé l’extension peut rajouter ses propres sources de journaux ?
Simon Descarpentries : Oui. C’était une des contraintes que je m’étais fixée dès le départ, que ce soit le plus ouvert possible, que tout le monde puisse contribuer et que je ne sois pas le maître des usages de l’extension. Si quelqu’un veut se servir de l’extension pour chercher autre chose que ce qui m’intéresse avec La Quadrature du Net eh bien c’est possible et c’est précisément la première chose qui est arrivée. Le premier contributeur qui a dit « je voudrais améliorer ça », ce qu’il voulait c’était chercher des articles de presse scientifique, donc j’ai travaillé avec lui pour ajouter une dizaine de sources qui sont de la presse scientifique.
Aujourd’hui, en installant Meta-Press.es, vous pouvez choisir dans quelles sources vous cherchez par types de sources et vous trouverez de la presse, des radios, de la presse de référence parce qu’il y a une classification qui existe sur Wikipédia et que je suis, et il y a aussi de la presse scientifique, vous pouvez ne chercher que dans des sites de publications ouvertes, en tout cas lisibles sur Internet et sans abonnement, de publications scientifiques.
L’avantage avec toute cette construction, avec tout ce jeu d’étiquetage des sources, c’est que tous les cas d’usage devront pouvoir rentrer dedans, si quelqu’un veut chercher dans des encyclopédies ou autre chose… J’ai été contacté par quelqu’un qui veut utiliser l’outil dans son CDI, parce qu’il y a un outil qui s’appelle e-sidoc, qui permet à tous les centres de documentation des collèges de France d’avoir accès à une espèce d’encyclopédie avec des résultats accessibles en ligne. Donc je vais lui ajouter cette source dans l’outil pour qu’elle puisse proposer et les résultats de cette encyclopédie-là et des résultats de journaux pour être sûr qu’il y ait toujours des résultats qui arrivent, parce que l’inconvénient d’e-sidoc c’est que si on n’écrit pas exactement ce qu’il faut, les résultats ne viennent pas et c’est décourageant pour les enfants.
Donc très souple, possibilité de l’utiliser et possibilité d’ajouter des sources depuis l’extension elle-même. Allez dans les paramètres de l’extension, il y a pour l’instant tout plein d’explications en anglais mais ça viendra dans d’autres langues. Il est possible d’ajouter une source soi-même, en local, pour la tester directement depuis les paramètres de l’extension. Il y a une description, il faut donner le nom, il faut donner l’adresse de la recherche et le moyen de sélectionner les différents champs comme le titre, la date et tout ce dont je parlais, le moyen de sélectionner ça dans la page de résultats du journal.
Il y a de la documentation. Il y a même une documentation complète en français sur le site de l’extension, https://meta-presse.es, qui détaille comment ajouter de nouvelles sources. J’encourage les gens à le faire. J’ai travaillé le plus possible pour que même des « peu informaticiens » puissent s’atteler à la tâche et ça ne fonctionne pas trop mal puisque déjà plus de 10 % des sources sont des contributions, ce n’est pas moi qui ai tout fait.
Frédéric Couchet : Super. En 30 secondes parce que le temps file, Simon, partie financement, tu en as parlé au tout début, quelles sont les pistes pour le financement de ce projet ? Vraiment en 30 secondes.
Simon Descarpentries : Pour la suite du financement, parce que la Wau Holland Foundation a déjà permis à tout ça d’avoir lieu, je suis ouvert à toute proposition. J’ai refais des demandes auprès de certains organismes et il y a encore la NLNet qui est en lice, qui a posé des questions pertinentes sur le projet et demande comment ce serait dépensé, donc ça devrait fonctionner comme ça. Toutefois, moi je suis ingénieur en informatique, je suis gérant d’un SS2L et je serais ravi de faire ça plutôt qu’autre chose si, en effet, il y avait des sources de financement qui se révélaient.
Et il y a le bouton.
Frédéric Couchet : Le bouton bleu.
Simon Descarpentries : Vous le verrez — je suis à la radio ! — quand on installe une extension de Firefox il y a un beau bouton bleu dans la colonne de gauche qui dit « Contribuer ». Si vous voulez vous-même, à votre échelle, contribuer, m’aider à passer une demi-journée à bosser sur le projet, cliquez sur le bouton de contribution sur le magasin d’extensions de Firefox sur le site de Mozilla.
Frédéric Couchet : Simon, parfait. On encourage les gens déjà à l’installer, le tester rajouter des sources et évidemment te soutenir si les personnes le souhaitent. On rappelle : c’est l’extension pour Firefox Meta-Press.es. Vous cherchez dans le magasin d’extensions de Firefox, vous le trouvez et vous l’installez.
Simon, je te souhaite de passer une bonne fin de journée.
Simon Descarpentries : Merci beaucoup à vous et bonne suite d’émission.
Frédéric Couchet : Merci. À bientôt.
On va faire une pause musicale.
[Virgule musicale]
Frédéric Couchet : Nous allons écouter Night de Cloudkicker. On se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause commune, la voix des possibles.
Voix off : Cause Commune 93.1.
Pause musicale : Night de Cloudkicker.
Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Night de Cloudkicker, disponible sous licence libre Creative Commons Attribution. Vous retrouverez les références sur le site de l’April, april.org.
Je précise qu’aujourd’hui les pauses musicales c’est une spéciale Au Bout Du Fil. En effet, pour les pauses musicales de Libre à vous !, j’utilise souvent le site auboutdufil.com, on y trouve des musiques sympas et sous différentes licences Creative Commons pour la plupart.
Vous écoutez toujours l’émission Libre à vous ! sur radio Cause Commune 93.1 FM en Île-de-France et partout dans le monde sur le site causecommune.fm. Nous allons maintenant passer au sujet principal.
[Virgule musicale ]
Le logiciel libre et le monde éducatif avec Sébastien Canet, enseignant de technologie en collège à Nantes, Louis-Maurice De Sousa, professeur de technologie en collège et Laurent Joëts, professeur de technologie en collège, et référent numérique de l’établissement
Frédéric Couchet : Nous allons poursuivre avec notre sujet principal qui va porter sur l’usage du logiciel libre au collège avec le retour d’expérience de trois profs de collège, justement. En studio Louis-Maurice De Sousa, professeur de technologie en collège. Bonjour Louis-Maurice.
Louis-Maurice De Sousa : Bonjour.
Frédéric Couchet : Également en studio Laurent Joëts, professeur lui aussi de technologie en collège. Bonjour Laurent.
Laurent Joëts : Bonjour.
Frédéric Couchet : Et par téléphone Sébastien Canet, enseignant de technologie en collège. Bonjour Sébastien.
Frédéric Couchet : N’hésitez pas, les personnes qui écoutent l’émission, à nous rejoindre sur le salon web sur le site causecommune.fm, bouton « chat » et salon #libreavous. Vous pourrez réagir, poser des questions ou faire des commentaires, je suis le salon tout en animant l’émission.
L’objectif de l’émission du jour et c’est peut-être une première émission parce que le sujet de l’éducation, même en collège, est très large, c’est de faire un petit peu un retour d’expérience de personnes qui enseignent en collège, notamment sur la partie logiciel libre, mais on parlera peut-être aussi un petit peu de matériel. Ma première question va être liée à l’objectif du programme de technologie en collège. Je lisais sur un site, ce matin, « en technologie le programme de collège vise l’appropriation par chaque élève d’une culture qui fera d’eux des personnes éclairées et responsables de l’usage des technologies et les enjeux associés ». C’est l’objectif du programme de technologie en collège.
Ma première question à chacune des personnes invitées : pourquoi est-ce important d’avoir recours au Libre, que ce soit le logiciel libre, que ce soit des ressources éducatives libres, dans ce cadre d’éducation au collège. On va laisser la parole à Sébastien Canet qui est au téléphone. Sébastien, est-ce que tu veux expliquer pourquoi, selon toi, c’est important de recourir à l’usage des logiciels libres dans le cadre de ce programme ?
Sébastien Canet : Parce que je pense qu’il y a une partie qui consiste à former aussi des élèves à devenir des citoyens éclairés, je parle pour moi. C’est plutôt, dans les citoyens éclairés, de savoir comment fonctionne un système, c’est-à-dire que ce n’est pas tant le modèle économique, je pense, dans la critique du programme, c’est surtout de comprendre ce qu’il est possible de faire, de comprendre qu’il y a un code source, qu’il y a des possibilités d’y contribuer, qu’il y a une forme de culture, qu’il y a la capacité d’appropriation. Et je pense que, dans l’idée, c’est aussi de permettre un peu la continuité vers ce qu’il y a aussi en lycée maintenant avec une nouvelle option informatique où l’idée c’est de faire comprendre aux élèves quelle est, je dirais, la mécanique derrière le système qu’ils utilisent. Sur les logiciels libres, quand on veut ouvrir, c’est montrer qu’il y a des alternatives et que ce n’est pas simplement lié au meilleur slogan publicitaire. Donc pour moi, l’intérêt en tant qu’éducateur, c’est évidemment de leur permettre d’avoir les équivalents logiciels entre ce dont ils disposent chez eux et ce dont nous disposons dans l’établissement.
Frédéric Couchet : C’est un point important ce que tu disais : la disponibilité à la fois chez soi et à l’école des mêmes outils, ce qui est une des forces du logiciel libre.
Sébastien Canet : Oui. Ce pourquoi je travaille sur les logiciels libres depuis le début de ma carrière, c’est pour permettre aux enfants de s’affranchir de toute frontière ou de tout blocage. Un peu comme je laisse la porte de ma salle ouverte, voilà, moi je suis en train de faire autre chose ou de ranger mes stocks, il n’y a pas de problème, quelqu’un vient, allume l’ordinateur et peut continuer son travail en attendant ses copains qui finissent un peu plus retard ou pour je ne sais quelle raison. L’idée c’est qu’il n’y ait pas non plus de blocage d’un point de vue pragmatique d’enseignant, c’est-à-dire que s’il y a un travail qui est à rattraper, un travail qui est à finir, qu’ils ont envie de l’améliorer ou pour quelque raison que ce soit, il n’y a plus de blocage, puisque le logiciel ou même la version de LibreOffice que j’ai installée au collège sera la même que celle que les parents pourront installer sur leur ordinateur chez eux, ou bien que l’élève pourra prendre sur une clé en version portable.
Frédéric Couchet : D’accord. En studio je suis sûr que Louis-Maurice De Sousa veut réagir, en tout cas compléter, peut-être en donnant son avis par rapport à ces raisons d’utiliser les logiciels libres.
Louis-Maurice De Sousa : Compléter, il n’y a pas grand-chose à ajouter, c’est un enjeu essentiel. Par contre, je ne retrouve pas tellement ces attendus dans ce que sont aujourd’hui les programmes de technologie. Ils ont plutôt tendance à promouvoir l’industrialisation, un modèle économique d’entreprise. Après, c’est un enjeu citoyen essentiel et tout ce qu’a dit Sébastien est vrai, c’est-à-dire qu’il y a obligation à utiliser des logiciels libres pour pouvoir poursuivre le travail à la maison, pour être libre d’utiliser telle ou telle application. Ça donne un apprentissage, ça donne une compréhension des outils, ce que ne font pas les logiciels privateurs qui enferment dans des usages particuliers qui sont ceux de l’intérêt de l’entreprise et qui ne donnent pas les moyens à chaque utilisateur de comprendre comment ça fonctionne vraiment.
Frédéric Couchet : Je vais laisser la parole à Laurent mais j’ai une question. Par rapport à ce que tu dis, Louis-Maurice, finalement, avec le logiciel privateur, on apprend des compétences mais dédiées à un logiciel, là où les logiciels libres font apprendre des compétences beaucoup plus larges et une connaissance beaucoup plus large à la fois de l’outil mais aussi du fonctionnement même de l’outil pour, éventuellement, pouvoir se l’approprier ensuite complètement ? Laurent Joëts.
Laurent Joëts : C’est ça qui est compliqué en fait. Quand j’ai commencé à enseigner cette matière, la technologie, puisqu’on est trois profs de techno, on étudiait l’entreprise, etc., et, à l’époque, je me souviens, on essayait de faire attention à choisir des exemples, à nommer des entreprises, mais pas une seule : faire attention, multiplier les exemples et ne pas se focaliser sur une entreprise parce qu’on ne fait pas de publicité dans l’Éducation nationale ; ça me paraît évident !
Toute cette évolution et beaucoup d’évolutions concernant l’utilisation des logiciels qu’on avait moins il y a 20 ans, maintenant, très clairement, il ne faut pas se leurrer, les postes sont tous sous Windows. Dans les établissements, l’essentiel des profs qui ne sont pas franchement branchés logiciel libre utilisent Word, pour eux c’est normal, et, en réalité, il y a tellement d’alternatives. C’est un problème.
Avec Sébastien Canet, que je salue au passage parce que, on le verra peut-être plus tard dans l’émission, j’utilise son travail et je le remercie beaucoup, je pense qu’on a envie maintenant de développer ça. Mince, j’ai perdu le fil ! Louis-Maurice vas-y, ça va me revenir.
Frédéric Couchet : Louis-Maurice va reprendre le temps que tu retrouves le fil.
Louis-Maurice De Sousa : En fait, je voulais donner un petit exemple. À la suite des mouvements de grève et de protestation qui ont eu lieu entre décembre et janvier avec la réforme des retraites, j’ai eu l’occasion de croiser des jeunes collègues. Ils ont tous un smartphone, ils utilisent tous un ordinateur, et quand on leur parle d’utiliser un certain nombre d’outils numériques, la première chose qu’ils disent c’est : « Mais je n’y comprends rien ! » En fait, ils sont tous usagers sans rien comprendre de ce qui se passe. Pourtant ce sont des collègues qui sont nés avec, ils ont 25 ans, 26 ans, du coup ils ont appris à utiliser l’ordinateur depuis longtemps, ils l’ont vu à l’école, ce qui n’est pas mon cas. Donc voilà ! Les entreprises qui sont dans le marché du numérique font en sorte que les gens soient ignorants. Quand on se tourne vers le logiciel libre on arrive à casser ça, parce qu’il n’y a rien qui est fait dans l’utilisation des logiciels qui soit conçu pour que ce ne soit pas compréhensible.
Un dernier petit exemple que j’utilise souvent – moi j’ai commencé à utiliser Windows et j’ai progressivement abandonné le logiciel privateur jusqu’à abandonner complètement Windows il y a plus de 10 ans maintenant, 15 ans – pour changer le format de la pagedans Word, il faut aller dans le menu « Fichier ». C’est absurde ! Tous les gens apprennent donc cette procédure qu’il faut passer par le menu « Fichier » pour passer, par exemple, du format portrait au format paysage, donc ils apprennent ça. Quand on les fait passer à LibreOffice ou Open Office il y a quelques années, ils vont dans le menu « Fichier » pour chercher cette même fonctionnalité et ils ne la trouvent pas, donc ils sont bloqués parce qu’en fait ils ont appris cette procédure. Et on retrouve ça dans tout un tas de fonctionnement des logiciels privateurs, on est contraint d’apprendre des procédures.
Il y a des années et des années, je dépannais mon épouse par téléphone sans voir l’écran. Aujourd’hui que je n’utilise plus de logiciels privateurs je ne suis pas capable de le faire parce que je n’ai pas besoin de retenir des procédures et la plupart des gens sont aujourd’hui enfermés dans des procédures.
Frédéric Couchet : D’accord. Laurent Joëts.
Laurent Joëts : Pour revenir à mon idée de tout à l’heure, quand je parlais d’éviter de faire de la publicité dans l’éducation, en fait c’est un peu la même chose maintenant. Pourquoi on utilise un logiciel d’une entreprise privatrice dans la plupart des établissements scolaires ? C’est, en fait, pas normal. L’Éducation nationale ne devrait pas avoir à faire ça, c’est pour moi une évolution qui est complètement aberrante. En tout cas moi, quand j’ai été formé en tant que prof, eh bien on ne faisait pas comme ça. C’est une évolution que je constate qui est vraiment étonnante !
Il y a un autre point par rapport à ce que Sébastien Canet a dit tout à l’heure, je pense qu’il y a un autre élément important qui est l’utilisation des formats ouverts. Pour moi c’est essentiel. Je fais tous mes cours sous LibreOffice, il n’est pas question pour moi d’utiliser un format qui ne soit pas forcément lisible chez les élèves parce que c’est une question d’égalité, en fait. Pour moi, tout le monde doit être capable d’utiliser les documents que je fournis aux élèves, peu importe l’outil qu’il a à la maison.
Frédéric Couchet : Je vais repasser la parole à Sébastien Canet. Excusez-moi, sur cette question des formats ouverts, ce que tu racontes me fait penser à une expérience personnelle : une fois, ma fille était au téléphone avec une de ses copines de classe et s’excusait presque de lui envoyer un document sous LibreOffice. Je lui ai dit « mais non, tu n’as pas à t’excuser, pas du tout ! »
Sébastien Canet, j’ai deux questions : la première ça va être de définir un petit peu ce qu’est un format ouvert parce que Laurent Joëts l’a introduit. Et la deuxième question qui sera plus collective : vous décrivez une situation qui n’est quand même pas très joyeuse, quelle méthode vous utilisez pour sensibiliser vos collègues mais aussi les jeunes qui arrivent aux enjeux du logiciel libre ? Après on passera aux logiciels utilisés. Sébastien Canet, préciser un petit peu ce que sont les formats ouverts et toi, dans ton quotidien, quelle méthode ou quelle stratégie utilises-tu pour sensibiliser aux enjeux du Libre ?
Sébastien Canet : Avant je rebondis juste sur l’exemple des logiciels privatifs. Une des façons de sensibiliser c’est un petit peu, je pense, ce qui s’est passé depuis le début des années 2000 avec l’essor des fab labs et du Do it yourself dans la mesure où on va finalement plutôt solliciter les gens à apprendre à réparer par eux-mêmes l’outillage plutôt qu’à les rendre dépendants d’un système de réparation qu’ils ne contrôlent pas. Tout ça, je pense que c’est actuellement un environnement très global qui est en train de se développer, un petit peu comme les notions d’obsolescence programmée qui sont maintenant connues de tout le monde. Donc dans programmer il y a aussi la capacité à modifier le code dans le micro-contrôleur de l’imprimante pour pouvoir la relancer, plutôt que de subir le fait que le fabricant ait dit « votre imprimante tombera en panne au bout de 5000 copies ». Il y a aussi, quand même, des éléments matériels derrière cette idée-là. C’est vrai, par exemple, qu’un garagiste actuellement est coincé parce que le fabricant, Peugeot ou Renault, va lui empêcher d’accéder à la réinitialisation. Il faudra qu’il achète le bon reprogrammateur pour qu’une fois qu’il aura fait la réparation de votre voiture, il aura son regrogrammateur Peugeot pour qu’il puisse reprogrammer la Peugeot et la faire redémarrer.
En fait, ces notions de privatifs ou commerciaux, au final – juste pour finir cette partie-là et je vais répondre à la question – c’est de se dire que dans l’aspect privatif c’est une capacité à rendre commercial quelque chose qui ne l’est pas. Je reprends mon exemple du garagiste qui va finir sa réparation, en l’empêchant de le faire de façon autonome, le fournisseur de matériel arrive à monnayer quelque chose qui n’est pas de l’ordre d’un service ni d’un bien. Le service c’est le garagiste qui le rend, la plus-value c’est lui. Et là, d’un seul coup, on se met à monnayer ce que je définirais presque comme du racket au final parce qu’on l’empêche de faire autrement. Et quelque part, quand vous recevez un document qui est en docx et qui n’est pas lisible par autre chose que… Le pire c’était l’exemple de Publisher que seul Publisher arrivait à lire, on rentre quasiment dans un système, une forme, pas de malhonnêteté, mais un petit peu de séquestration en obligeant l’utilisateur à n’utiliser que le logiciel.
Je pense que dans ce genre d’information, de vulgarisation de l’information, c’est un des points qu’on peut faire comprendre à des collègues dans l’enjeu, je ne dirais pas d’une bataille commerciale, mais dans le fait d’être prisonnier de quelque chose, ou bien d’être dans quelque chose qui est plus pérenne, parce que le code source, et là je vais répondre plutôt au fait qu’un format ouvert fait que la façon dont est encodée l’information est consultable. Je peux savoir exactement comment l’information de mon fichier traitement de texte dans LibreOffice a été encodée par LibreOffice. J’ai accès à toute la mécanique, ce qui fait que si jamais un jour LibreOffice disparaît, je peux utiliser cette partie du code source pour, dans mon traitement de texte à moi, recréer un traitement de texte qui peut rouvrir des fichiers traitement de texte de LibreOffice dans 10 ans, 20 ans, 30 ans. Alors que la façon, on va prendre Word, dont Word encode les fichiers docx on ne sait pas comment ça fonctionne. Donc pour l’ouvrir soit il faut payer une licence et accéder à cette technologie-là soit, de façon empirique, essayer de faire du reverse engineering. et essayer de l’ouvrir, auquel cas on est un peu en conflit d’intérêt avec celui qui possède la licence sur cette technologie-là.
Donc je pense, avec les collègues, qu’un des enjeux c’est le côté pérenne, de se dire, par exemple, qu’un document enregistré avec un Word de 2013 a du mal à s’ouvrir correctement avec un Word de 2019. Donc ça fait partie des petits points qui vont permettre… Moi, ce que je fais maintenant avec les collègues c’est un aspect très pragmatique, c’est-à-dire dans ta vie de tous les jours LibreOffice se met à jour hyper-bien, tu as accès aux nouvelles fonctionnalités sans payer de licence, tu n’as pas besoin, du coup, de te poser la question « est-ce que tu pirates, est-ce que tu achètes une nouvelle licence ? » Les élèves sont très contents d’utiliser ça et ça va soulager les parents plutôt que de se poser des questions. Pour moi c’est une forme d’ouverture.
En fait, c’est aussi la question de l’interopérabilité qui va être derrière. Dans ton exemple, la petite qui s’excuse de l’avoir fait avec ce logiciel, non, au contraire ! Avec le logiciel LibreOffice, je peux être fier et assumer le fait que je peux passer mon fichier LibreOffice à n’importe qui, n’importe qui peut l’ouvrir.
Frédéric Couchet : Tout à fait.
Sébastien Canet : S’il n’est pas implémenté dans le traitement de texte, c’est que la personne n’a pas voulu ou n’a pas encore eu le temps de l’implémenter dans le traitement de texte.
C’est vrai qu’il y a quelque chose qui avait été lancé, juste pour rebondir, il y a eu le Conseil national du numérique qui avait fait un grand tour de France à un moment et qui avait donné de recommandations à l’Éducation nationale – les recommandations, peu ou prou, n’ont pas été suivies – pour donner l’impulsion vers le logiciel libre. Il y avait une recommandation que je trouvais très intéressante qui était de favoriser en fait, comment dire, de faire en sorte que des logiciels pour l’Éducation soient développés par une boîte informatique qui serait payée par l’Éducation, que sous des formats ouverts comme ça, si on change de prestataire eh bien on change [sans que cela n’ait d’impact sur l’existant, charge à eux de reprendre le travail du prestataire précédent, Note de l’orateur]], et qui aurait permis comme l’a fait la Gendarmerie en améliorant LibreOffice : on aurait pu avoir, du coup, une équipe d’informaticiens qui aurait pu, grâce à l’investissement de l’Éducation nationale, implémenter plein de fonctions nouvelles dans LibreOffice et faire booster, c’est aussi un autre point, grâce au code source que l’Éducation nationale aurait pu payer, le remettre dans le pot commun de LibreOffice qui, d’un seul coup, aurait pu exploser en version 7 ou en version 8 grâce à ça.
Frédéric Couchet : D’accord. Louis-Maurice veut réagir et après je vais vous relancer sur ces recommandations. Louis-Maurice De Sousa.
Louis-Maurice De Sousa : Sur les formats ouverts, il y a un autre problème que pourtant beaucoup d’utilisateurs ont connu, c’est qu’on n’a aucune garantie sur la pérennité du logiciel lui-même. Les professeurs de technologie ont vu disparaître Works, par exemple, donc tous les documents qu’ils avaient pu créer avec ça. Moi j’utilise principalement LaTeX. LaTeX a été développé au début des années 80. Aujourd’hui on peut reprendre un document fait en 1984 et le compiler à nouveau. Ce n’est pas le cas des fichiers faits avec PageMaker, avec Works, avec Publisher, avec les différentes versions de Photoshop. Voilà ! C’est un paramètre assez important.
Concernant aussi les problèmes de format, la plupart des utilisateurs disent ou parlent de format LibreOffice ou format Open Office, mais il n’y a pas format LibreOffice, le format c’est le format OpenDocument et c’est le seul format standard. Docx n’est pas un format standard. Donc parler du format ! Il y a d’autres logiciels que LibreOffice qui sont en capacité de lire le format OpenDocument. Malheureusement, la société Microsoft ne fait pas ça de façon naturelle et spontanée alors qu’elle pourrait techniquement très bien le faire, donc il y a des enjeux économiques. On met en avant les intérêts économiques d’un certain nombre d’entreprises au détriment de toute la population.
Avant le petit tour de France du Conseil national du numérique, il y avait eu la circulaire Ayrault.
Frédéric Couchet : De 2012.
Louis-Maurice De Sousa : Oui, qui était extrêmement explicite et qui n’a donné lieu à absolument rien dans l’Éducation nationale ou dans le reste de la fonction publique.
Frédéric Couchet : On va revenir sur cette question-là parce que c’était justement ma question suivante. Je vais laisser Laurent Joëts, s’il veut compléter, sur la partie stratégie pour sensibiliser les collègues et aussi les jeunes, tout simplement, sur ces questions-là.
Laurent Joëts : Cette question tombe sur moi et s’il y a des collègues qui écoutent ça va les faire rigoler. En fait il n’y a pas de secrets. Je suis professeur de technologie dans l’établissement, je suis aussi référent numérique et, en fait, c’est par mon exemple auprès des collègues que j’arrive, petit à petit, à faire passer des messages. Déjà en étant intransigeant sur les documents que j’accepte, ceux que j’envoie. C’est vrai, très souvent, on passe pour un libriste forcené, ça c’est très clair. Bon ! On en rigole et les collègues le savent, ça fait longtemps qu’on se connaît avec beaucoup d’entre eux. Ils le savent et, du coup, petit à petit on fait ça en rigolant et ils commencent à réfléchir et « mon ordinateur sous Windows ne marche plus bien. Ça coûte cher, qu’est-ce que je pourrais faire ? » Moi j’ai toujours dit aux collègues « écoute, les ordinateurs sous Windows, ce n’est pas dur, je n’y touche pas. Point. Par contre, si tu veux migrer sous Linux, eh bien là je passe le temps nécessaire à t’aider, il n’y a aucun problème ». Et j’ai réussi à, je n’aime pas le mot convertir parce que ça ne me convient pas, mais j’ai fait évoluer des gens autant dans les usages que dans les pratiques et aussi par rapport au matériel qu’ils utilisent et aux logiciels qu’ils utilisent, par mon exemple je pense.
Frédéric Couchet : D’accord. L’exemple c’est souvent la meilleure chose.
Je vais revenir sur ce que disait Sébastien Canet, notamment sur le tour de France du Conseil national du numérique, Louis-Maurice De Sousa a cité la circulaire Ayrault de 2012 qui encourageait, en tout cas qui expliquait comment utiliser le logiciel libre dans les administrations. Plus globalement ma question, et je rebondis sur la question de Marie-Odile sur le salon web qui pose plein de questions, qui fait plein de remarques, mais qui demande notamment ce qu’en pensent les chefs d’établissement. Je vais élargir : qu’en pense la hiérarchie ? Quelle politique ministérielle il y a depuis toutes ces années par rapport aux logiciels libres et aux logiciels privateurs ? J’ai l’impression, à vous entendre, que c’est quand même morne plaine, c’est-à-dire que c’est d’une tristesse incroyable malgré tous ces encouragements. Je regarde Louis-Maurice qui me regarde ! Il y a eu récemment, à la fin de l’année de 2018, le débat sur le projet de loi pour l’école de la confiance où des amendements visant à mettre en place une priorité au logiciel libre ont été déposés, ont été combattus par le gouvernement. Quelle est la situation aujourd’hui de la hiérarchie et de la politique ministérielle ? On va d’abord commencer par Sébastien Canet parce qu’il est au téléphone et ensuite Laurent Joëts et Louis-Maurice De Sousa. Sébastien Canet.
Sébastien Canet : Moi j’aurais tendance à dire, de ce que je vois quand même depuis un paquet d’années, malgré toutes les tentatives, justement en allant relativement loin en termes de recommandations, puisque ça ne reste que ça, aussi bien pour la circulaire Ayrault que pour une information, une petite ligne dans un bout de programme de SNT pour le lycée ou de technologie-collège, qui va arriver à se glisser quelque part dans les programmes, que globalement rien n’est fait dans cette logique-là. Par exemple tous les sujets de concours où l’administration est vent debout pour continuer à utiliser les produits de chez Microsoft. Il y a une incapacité à changer les habitudes parce qu’ils connaissent le raccourci de clavier de machin ou de bidule qui fait, en fait, qu’on se retrouve avec un blocage. Comme, de toute façon, il n’y a aucune réelle volonté politique derrière de l’assurer, on reste dans un quiproquo, on aimerait bien que, mais, au final, « faites comme vous voulez » et puis ils se réfugient derrière la sacro-sainte autonomie de l’établissement. C’est le truc fourre-tout qui permet de faire passer tout et n’importe qui en disant « débrouillez-vous dans votre coin ! » Au final, en fait, on est au point mort. Voire, quand on essaye de se lancer dans des systèmes libres… Là où je suis allé le plus loin sur mon académie, c’est une station Windows parce que les serveurs du Conseil général sont sous Windows, donc, pour avoir accès un petit peu à la maintenance, malheureusement il a fallu qui je maintienne ça comme système d’exploitation avec dessus tout un pack de logiciels, libres ou gratuits, qui permettaient de fonctionner. En tout cas imaginer un serveur Linux, ce qu’on m’a très clairement expliqué par exemple au département c’est que c’était hors de question parce qu’il fallait former les techniciens et que les prestataires de service pour faire l’entretien du parc informatique ne sont pas formés. Comme ils ne sont pas formés, point de non-recevoir, on reste sur quelque chose qu’ils connaissent c’est-à-dire du Windows.
Ministériellement il n’y a pas puisqu’on est quand même, depuis un paquet de temps, dans quelque chose qui est complètement dans la libre entreprise libérale et qui utilise toute la fonction publique comme la vache à lait nationale. Je ne veux pas tortiller, je pense que les collègues sur le plateau seront d’accord, à partir du moment où on peut avoir un modèle payant, que l’administration va arroser, pour eux ça fait tourner une roue économique. Et c’était ce que je n’avais pas compris, en fait. Dans l’exemple des collectivités on heurte, en fait, la volonté de certains élus et le fait que le devoir ou l’engagement des collectivités c’est d’avoir un périmètre géographique dont l’économie tourne bien. Donc même si le Conseil général voulait embaucher des informaticiens, il ne le fera pas parce que, dans l’idée, il faut payer des entreprises et avoir des entreprises dynamiques qui vont fonctionner. Alors que ça coûterait moins cher d’avoir une entreprise d’informaticiens qui bosse pour le Conseil général, ça coûterait moins cher, ce serait plus efficace, eh bien il vont fournir des prestataires de service pour faire tourner une roue artificiellement économique.
Donc pour moi les points c’est rien du tout au final, voire on se fait retoquer ou traiter de rigolo parce qu’on va mettre en avant des logiciels libres. Le pire truc c’est quand même que j’ai eu un jour, de la part de la Direction académique du numérique, un mail où on me rétorque en me disant « de toute façon les logiciels libres ce n’est pas sérieux ! » Je lui ai répondu « tu crois que derrière l’ENT académique c’est quoi ? Derrière ce sont des serveurs Apache. D’ailleurs ce sont des serveurs avec des langages qui sont libres, des serveurs avec des systèmes d’exploitation qui sont libres. Quand tu envoies tes mails, le serveur qui contient les mails, eh bien c’est un système qui est libre. » Oser dire ça, alors qu’on envoie un mail par Internet qui ne repose que sur des serveurs en Linux, on dit que les logiciels libres ce n’est pas sérieux. On se retrouve dans un contresens absolu. Je pense qu’on n’a pas du tout les volontés politiques pour mettre quoi que ce soit en place.
Frédéric Couchet : D’accord. Je vais repasser la parole à Laurent Joëts. Avant, je vais juste rappeler aux gens qui pensent que le logiciel libre ce n’est pas sérieux que sans logiciel libre il n’y aurait pas d’Internet tel qu’on le connaît. Laurent Joëts.
Laurent Joëts : Pour rebondir justement là-dessus, il y a quand même des trucs positifs dans ce domaine-là. Je travaille dans une cité scolaire, donc j’enseigne la technologie en collège, mais j’enseigne aussi SNT en lycée en seconde, cette nouvelle matière que tu évoquais.
Frédéric Couchet : SNT c’est ?
Laurent Joëts : Sciences numériques et technologie, nouvelle matière en seconde, où justement, dans le programme, on étudie les protocoles réseau, ce genre de choses, donc forcément c’est important pour moi d’ouvrir l’esprit des élèves. En seconde ils commencent à comprendre un peu comment ça marche. Ils se disent « ah ouais ! » Pour nous c’est le moment de placer du Libre. Et là ils comprennent l’importance que ça a. Ça c’est le premier point.
Ensuite, je suis dans un établissement un peu particulier. On cherchait des exemples d’usage. Moi je pense que les chefs d’établissement sont complètement surchargés de boulot en ce moment, c’est très clair, ils ont la tête sous l’eau et ça ne va pas aller en s’arrangeant, ils ont de plus en plus de responsabilités à gérer localement. Leur demander de changer leurs habitudes, il n’y a pas de secret, ils ont eu l’habitude d’utiliser Word et Excel, etc. On leur demande de faire les tableaux pour les répartitions horaires et tout ça, ils ont des formules dans leurs fichiers Excel, ils ne vont pas s’amuser à tout rechanger dans LibreOffice parce qu’ils n’ont pas le temps, tout simplement, à mon avis. Ça c’est le premier point. Et puis un exemple, j’essaye de synthétiser un peu, d’aller assez rapidement, un exemple de ce que l’institution peut faire de complètement fou par rapport à ces histoires de formats. Nous on accueille des élèves porteurs de handicap moteur qui composent notamment au lycée pour les E3C [Épreuves communes de contrôle continu], puisque c’est de l’actualité, sur ordinateur.
Frédéric Couchet : E3C ?
Laurent Joëts : Ce sont les épreuves anticipées du bac, ces jours-ci on en entend parler. Notre lycée n’est pas bloqué. On doit gérer le fait que ces élèves doivent composer sur ordinateur. On a des nouveaux systèmes de copies de bac qu’on doit scanner afin qu’elles soient, après, corrigées numériquement par les enseignants et quand les élèves composent sur ordinateur, eh bien il faut qu’ils composent sur une copie qui est formatée, en fait, pour qu’on puisse, c’est complètement débile, la scanner : on doit l’imprimer et la scanner. Bon, OK ! Le SIEC [Service interacadémique des examens et concours], la maison des examens qui organise ça, fournit un fichier .docx. Voilà ! Je crois qu’on a tout résumé.
Frédéric Couchet : Avant la pause musicale, Louis-Maurice De Sousa tu voulais réagir ou tu préférais une question ?
Louis-Maurice De Sousa : Non. Il faut comprendre que l’État est absent de cette histoire, puisque, avec la décentralisation, les établissements scolaires dépendent maintenant des collectivités : les collèges dépendent des départements et les lycées dépendent des régions. Progressivement les collectivités prennent le contrôle de tout le matériel dans les établissements scolaires. Donc on est effectivement, comme disait Sébastien, dans un dogme libéral où c’est l’entreprise qui va tout résoudre, même s’ils sont très majoritairement incompétents. Ils ne savent pas ce qu’est le métier d’enseignant, ils ne connaissent pas les besoins des enseignants, ils savent déployer du Windows et ça s’arrête là. Donc, dans le meilleur des cas, ils interviennent de façon très incomplète et insuffisante dans les établissements scolaires.
Un bon exemple c’est l’ENT [Espace numérique de travail]. Tout à l’heure on parlait de ne pas faire de publicité dans les établissements scolaires. Dans le Département des Yvelines, quand on utilise la messagerie de l’ENT, on a une publicité pour Microsoft Outlook, on a une jolie interface qui fleure bon les années 90 et on a un outil qui est complètement inutilisable.
Frédéric Couchet : Laurent, juste avant la pause musicale, vas-y.
Laurent Joëts : Tout n’est pas complètement noir !
Frédéric Couchet : Justement, après la pause musicale on va parler de choses plus belles. Vas-y.
Laurent Joëts : L’ENT de la région Île-de-France pour les lycées, donc toute l’Île-de-France, est basé sur Open-ENT qui est une solution libre, quand même !
Frédéric Couchet : Exactement. On va parler de la partie positive justement après la pause musicale.
[Virgule musicale]
Frédéric Couchet : Pour se remettre un peu de toutes ces mauvaises nouvelles on va écouter Crazy par Anozira. On se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause Commune.
Voix off : Cause Commune 93.1.
Pause musicale : Crazy par Anozira.
Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Crazy par Anozira, disponible sous licence Creative Commons Partage dans les mêmes conditions.
Vous écoutez toujours l’émission Libre à vous ! sur radio Cause Commune 93.1 en Île-de-France et partout dans le monde sur causecommune.fm.
Nous sommes en train de discuter de la place du logiciel libre dans le collège ou plutôt des difficultés aux niveaux hiérarchique et ministériel avec nos invités Laurent Joëts, Louis-Maurice De Sousa et Sébastien Canet, tous trois professeurs de technologie.
Dans cette seconde partie de l’émission qui sera plus courte que la première parce qu’ils sont passionnants mais le temps avance, nous allons parler du côté un peu plus positif, quand même, parce qu’on a beaucoup parlé des problématiques que vous pouvez rencontrer. Ma question de retour et je vais commencer par Laurent Joëts et après Sébastien Canet, quels outils utilisez-vous dans le cadre de vos programmes de collège ? Outils au sens large, ça peut être des logiciels, ça peut être aussi du matériel ou des ressources libres ; au sens large on va dire. Laurent Joëts.
Laurent Joëts : Je crois qu’on est déjà tous d’accord pour dire qu’on utilise LibreOffice, c’est un bon début. Ensuite, pas uniquement dans ma matière mais dans notre établissement, on a une salle d’Arts plastiques qui est équipée de clients Debian.
Frédéric Couchet : Debian c’est un système d’exploitation libre.
Laurent Joëts : Voilà. Sur lesquels on utilise des logiciels comme Inkscape, « Guimp » ou Gimp, je ne sais jamais comment on dit.
Frédéric Couchet : Ça peut être The Gimp. The Gimp c’est pour de la retouche d’images ; Inksape c’est du dessin vectoriel.
Laurent Joëts : On a aussi Krita qui est déployé et un équivalent du célèbre nullissime Paint de Microsoft qui s’appelle Pinta, qui est vraiment génial, qui est en plus multi-plateforme, donc on peut même l’installer sur un client Windows.
Ça c’est pour les Arts plastiques. Sinon, en Technologie, évidemment, j’utilise en modélisation FreeCAD plutôt que des alternatives qui coûtent très cher et qui sont privatrices. Pourquoi ? On l’a dit tout à l’heure, parce que les élèves peuvent l’installer chez eux et s’entraîner, c’est juste ça, c’est aussi simple que ça, c’est l’égalité dont je parlais tout à l’heure.
J’ai pas mal d’élèves dyslexiques, donc j’utilise des polices de caractères libres qui facilitent la lecture. On pourra mettre des liens sur la page pour citer ça.
Frédéric Couchet : Sur la page de l’April et de Cause Commune on mettra une page avec toutes les références que nous allons citer.
Laurent Joëts : Ensuite, en robotique, j’organise des combats de robots sumos dans mon établissement. C’est à base d’Arduino et j’utilise un super outil qui s’appelle Blockly@rduino, comme ça Sébastien Canet va pourvoir enchaîner là-dessus. Merci.
Frédéric Couchet : Je passe la parole à Sébastien Canet qui, je suppose, connaît bien ce dont tu viens de parler. Sébastien Canet.
Sébastien Canet : Oui. Merci. Je suis toujours content de savoir que quelqu’un utilise mon logiciel. Ça me fait plaisir. Tant mieux s’il y a des enfants à qui ça permet de démarrer. C’est un logiciel que je développe depuis un paquet d’années maintenant, ça va bien faire cinq ans, puisqu’il nous manquait des briques sur les programmations de cartes électroniques de type Arduino. C’était, à l’époque, beaucoup de lignes de code un peu dans le côté bidouille. Comme les logiciels libres ça ne démarrait pas, c’était plutôt des bidouilleurs dans leur coin et qu’il n’y avait pas de logiciels satisfaisants, au bout d’un moment je me suis remonté les manches et c’est parti ; j’ai attaqué.
Frédéric Couchet : Sébastien, est-ce que tu peux juste redonner le nom du logiciel ?
Sébastien Canet : Il s’appelle Blockly@rduino et, en fait, j’avais fait une boulette quand je l’ai nommé. J’ai mis l’« arobase » à la place du « a » et, comme il est devenu multilingue, qu’il a été publié – j’ai encore reçu une traduction en catalan ce week-end et que ça se diffuse partout ; c’est aussi l’intérêt du Libre : quand ça marche on a plein de contributeurs qui ont permis à ce logiciel-là de complètement exploser – du coup, à l’international, « arobase » est un peu pénible à lire. Nous on glisse dessus donc ça fait Blockly Arduino, mais pour des anglo-saxons le « @ » devient « at » ! Dans la prochaine version je ferai mieux !
Frédéric Couchet : D’accord. Est-ce que tu peux expliquer en quelques mots à quoi peut servir une carte électronique comme Arduino dans le cadre du programme de techno ?
Sébastien Canet : La façon dont je le prends par rapport au programme c’est dans la programmation des cartes électroniques avec un microcontrôleur qui va permettre de rendre la carte autonome, donc avec une petite puce qui va contenir le programme et l’exécuter. L’intérêt c’est aussi de montrer aux élèves que l’on peut construire des systèmes autonomes. Après, c’est libre à l’enseignant de trouver un support qui puisse être motivant pour les enfants. Il y a les combats de robots sumos, il y a des collègues qui faisaient des choses avec des textiles. Moi j’avais fait quelque chose qui était lié au spectacle avec une troupe de musiciens déambulant. En fait, ça peut servir à tout et n’importe quoi d’une certaine façon. Les petites cartes Arduino qui sont dans le grand public servent aussi, par exemple, à piloter une imprimante 3D ; ça peut piloter un système de surveillance de, je ne sais pas, sa serre ou de n’importe quel autre système. En fait, il n’y avait pas de logiciel accessible pour les enfants. À l’époque il y avait Scratch, le petit logiciel de programmation avec le chat orange très connu qui est utilisé depuis l’école primaire, donc je suis reparti des recettes qui marchaient pour que les enfants utilisent des blocs : c’est graphique, c’est visuel, c’est facile de prise en main et ça permet ensuite, derrière chaque instruction qui est graphique, que le code soit généré automatiquement. Voilà ! Le but de ce logiciel-là, c’est de permettre à des débutants, de 8 à 80 ans puisque c’est le cas : j’ai eu des utilisateurs, des retraités qui venaient au fab lab qui s’en sont servi pour démarrer et des ateliers avec des enfants de 8 ans dessus.
Frédéric Couchet : D’accord. Aujourd’hui, si on veut commander un kit Arduino, c’est combien ? C’est de l’ordre de 80, 100 euros, si je me souviens bien.
Sébastien Canet : Non, ça dépend entièrement de ce que l’on veut. La carte seule de départ, officielle Arduino, donc qui a subi les contrôles de qualité qui permettent d’assurer qu’elle soit robuste, c’est 20 euros la carte, ça doit être ça, 17 peut-être maintenant. En gros, si je fais le parallèle, ça va faire marrer mes collègues de techno, j’imagine qu’ils font peut-être un peu ça, la carte n’est que le cerveau, s’il n’y a pas de bras, il n’y a pas de jambes, il ne se passe rien. Du coup, si vous voulez un capteur ou si les gens veulent un petit moteur, eh bien il faut acheter le moteur en plus. On n’est pas obligé d’acheter un kit qui est très complet avec plein de trucs. Il y a des sociétés qui font des kits de découverte avec juste quelques éléments et qui permettent après de racheter d’autres compléments, ce qui permet à chacun de s’initier morceau par morceau.
Frédéric Couchet : D’accord. Louis-Maurice De Sousa, de ton côté, quels logiciels tu utilises, quels outils dans le cadre du programme de techno ?
Louis-Maurice De Sousa : Avec les élèves j’utilise Debian, le système Debian. Tu parlais tout à l’heure de stratégie, ma stratégie c’est de n’être pas du tout œcuménique et de ne faire aucun effort dès qu’on me propose des documents qui ne sont pas lisibles, que je ne peux pas lire.
Dans ma salle j’utilise Debian ; j’utilise FreeCAD pour le dessin, Cura pour l’impression 3D, Arduino et Ardublock, j’utilise LaTeX avec les élèves. En lieu et place de Scratch j’utilise Snap ! qui est une application équivalente mais qui a l’avantage de fonctionner en ligne et qui ne nécessite qu’un navigateur, pour les élèves, chez eux, c’est plus simple. J’utilise aussi un projet que je trouve absolument fabuleux et d’une intelligence rare qui s’appelle YunoHost, donc je propose des services en ligne aux élèves. Moi, pour l’instant, j’utilise principalement Nextcloud et DokuWiki.
Frédéric Couchet : Est-ce que tu peux expliquer en quelques mots ce qu’est YunoHost ?
Louis-Maurice De Sousa : YunoHost est un projet qui a été lancé en partenariat avec La Quadrature du Net, je crois.
Frédéric Couchet : Non, je ne crois pas.
Louis-Maurice De Sousa : Ou ils sont partie prenante avec La Brique Internet.
Frédéric Couchet : Peut-être.
Louis-Maurice De Sousa : Qui est un projet d’auto-hébergement. L’intelligence incroyable de ce projet c’est qu’il fédère tout un tas d’applications en ligne, libres. Une fois qu’on a sa plateforme YunoHost, on dispose d’un serveur de messagerie, d’un serveur de chat et après on peut rajouter des applications en ligne, donc des applications de cloud, des applications de wiki, de pads, un peu tout ce qu’a développé Framasoft autour de son opération « Dégooglisons Internet ». Tout n’est pas à gérer, c’est-à-dire que quand Nextcloud évolue on bénéficie des évolutions de Nextcloud.
Frédéric Couchet : Les services sont déjà installés, sont déjà packadgés, il n’y a pas besoin de le faire manuellement comme on pourrait le faire.
Louis-Maurice De Sousa : Voilà. C’est comme un magasin d’applications pour les téléphones portables : on choisit ce qu’on veut dans la liste.
Frédéric Couchet : Tu viens de parler de Nextcloud, je précise qu’on va parler de Nextcloud le 18 février, on a une émission consacrée à ça, et YunoHost [prononcé de deux façons difféRentes, NdT] on a une émission prévue, je ne sais pas quand, en mars ou en avril. Je précise aussi qu’on a déjà consacré une émission à LibreOffice. Vous retrouverez les podcasts sur april.org, sur causecommune.fm. On a aussi déjà parlé de Scratch.
Le temps passe très vite, je surveille l’heure, j’aimerais savoir quel est le retour ou l’accueil que vous avez des élèves quand vous leur expliquez que ce sont des logiciels libres ou que vous leur présentez des outils en général sans forcément leur expliquer, d’ailleurs, que c’est du logiciel libre. Quel est l’accueil des élèves ? Laurent Joëts.
Laurent Joëts : Globalement ils sont en général assez contents de se dire « super, le logiciel qu’on a utilisé en classe je vais pouvoir l’installer chez moi, je vais pouvoir m’entraîner à l’utiliser ». C’est le cas notamment pour la modélisation 3D avec FreeCAD parce que ce n’est pas simple à prendre en main, il faut s’entraîner, ce n’est pas avec l’heure et demie hebdomadaire qu’on va arriver à faire quelque chose de rapidement efficace. Ça c’est vraiment un énorme atout et ils en sont bien conscients.
Ensuite, moi j’ai l’exemple de quelques élèves qui sont, évidemment, un peu plus geeks que les autres, qui viennent me voir et me disent : « Je sais que votre ordinateur n’est pas sous Windows, j’aimerais bien apprendre, vous pouvez m’expliquer, me montrer ? » Ça commence comme ça et ce sont les meilleurs retours.
Frédéric Couchet : Sébastien Canet, quel est le retour de tes élèves ?
Sébastien Canet : Ils sont très bons et ça m’a fait sourire parce que c’est vrai qu’on se retrouve. Pour certains qui sont un petit peu dans le côté geek au sens de vouloir comprendre, aller plus loin que la surface des choses, ça fait hyper-plaisir quand ils posent des questions et qu’ils voient, en fait, qu’on maîtrise derrière, qu’il leur manque des interlocuteurs, ils sont hyper-contents d’avoir quelqu’un qui leur dit « il y a ça et après il y a ça ». C’est le problème de la connaissance qui sollicite tout le temps des questions vers une nouvelle connaissance et ainsi de suite, donc c’est génial, ça les flatte vachement.
La solution, ce que j’avais essayé de favoriser au maximum, c’était des logiciels portables, c’est-à-dire que l’on peut les copier sur une clé USB, les lancer depuis la clef USB ou bien les copier sur n’importe quel autre ordi, il n’y a pas besoin d’installation, il n’y a pas besoin de droits d’administrateur ni rien. Cette portabilité m’a vraiment aidé. Les élèves ont senti une forme de plus-value, notamment ils se sont sentis, comment dire, capables de maîtriser et de faire un peu les grands chez eux, parce qu’ils ont emmené chez eux les logiciels. Donc il y a aussi des retours des parents qui ont vu que les enfants ne sont plus simplement des utilisateurs ou consommateurs d’un logiciel ou simplement utilisateurs avec des procédures toutes faites, mais que, d’un seul coup, les enfants étaient allés plus loin dans l’appropriation, finalement, que les parents au départ. Et un autre écho : pour les parents, ce qui était très rigolo quand je me suis mis à utiliser le logiciel de modélisation de maison qui s’appelle Sweet Home 3D, qui est un logiciel libre multi-plateforme, là, avec plusieurs collègues, quand on a lancé ça avec les programmes, on a eu tous eu des retours de parents aux réunions parents-profs qui nous expliquaient : « C’est hyper bien le logiciel que vous avez donné, j’ai refait les plans de ci, ça nous a permis ça » et après, par effet de bord, ça permet de contaminer par effet positif en fait.
Frédéric Couchet : D’accord. Je vais faire un dernier tour de table. Ça me faisait sourire Sweet Home 3D parce que c’est un des logiciels que ma fille m’a montré il y a quelques années quand elle avait fait je ne sais plus quel projet. Effectivement c’est un logiciel génial. J’avais peut-être une question, réponse rapide Sébastien. Il y a quelques années j’ai assisté à des Coding Goûters où des enfants apprenaient avec les parents à coder et il y avait un truc qui était magique c’était quand les enfants montraient ce qu’ils avaient fait à leurs parents. Est-ce que vous avez des retours comme ça d’élèves qui vous ont dit : « J’ai montré ça à mes parents, ils étaient fiers de moi, en tout cas ils étaient impressionnés » ?
Sébastien Canet : Ce n’est pas directement par les élèves. Ce sont souvent les parents qu’on voit qui vont nous dire qu’ils se sont lancés à faire quelque chose ou que les enfants leur ont montré ce qu’ils ont pu faire et que ça leur a donné envie de participer ensemble. J’ai longtemps essayé de mener des ateliers, j’en ai très peu mené où j’ai réussi à imposer en inscription un parent et un enfant, donc à deux sur l’ordinateur. Quand je l’ai fait ça marche vraiment très bien parce que, comment dire, les processus de raisonnement ne sont pas du tout les mêmes : quand vous lancez une question ouverte, le résultat est absolument génial.
Frédéric Couchet : D’accord. On va faire un dernier tour de table, on va commencer par Laurent Joëts. Le dernier tour de table ce n’est pas une question, c’est si vous avez envie de dire quelque chose ou un appel à lancer ou des annonces à faire. Rapidement, on va commencer par Laurent Joëts.
Laurent Joëts : Je voulais juste rebondir sur ce que vient de dire Sébastien Canet, sur les retours des élèves. On a des ateliers en 6e, on appelle ça « usages du numérique », on utilise Scratch et on s’est amusés à animer avec Scratch une fable de La Fontaine qu’ils ont étudiée en français. Les élèves ont montré ça au prof de français qui ne connaît pas Scratch parce que le prof de français ne se dit pas « moi je vais faire du Scratch en classe avec mes gamins ». Ils adorent montrer ce qu’ils savent faire. Justement c’est un vrai super retour des élèves vers leur enseignant, en plus c’est étonnant dans ce sens-là.
Et pour conclure, en ce qui me concerne, dans mon établissement j’aime bien dire que je suis le poil à gratter numérique, un peu libriste, certes, mais qui essaye de faire réfléchir sur les usages autant les collègues que les élèves.
Frédéric Couchet : D’accord. Louis-Maurice De Sousa, un dernier mot à ajouter.
Louis-Maurice De Sousa : Que c’est un enjeu majeur de société, qu’il ne faut pas attendre quoi ce soit de l’État ni des collectivités ni des politiques, qu’il faut se battre pied à pied sur le terrain au jour le jour.
Frédéric Couchet : Sébastien Canet, est-ce que tu as quelque chose à ajouter ?
Sébastien Canet : Je suis entièrement d’accord sur le côté politique. Du coup, ce qui serait juste génial, c’est si on pouvait arriver aussi, nous libristes, à essayer de fédérer nos forces pour vraiment prendre en considération le fait qu’il y a une bataille à mener, une bataille sociétale, culturelle, pour que ça existe. Au lieu que chacun réinvente l’eau tiède dans son coin, si on arrivait à mettre un peu d’énergie derrière. Je reprends l’exemple de LibreOffice parce que c’est celui que tout le monde connaît. C’est vrai que les logiciels libres tournent avec très peu de personnes, c’est ça qu’il faut bien comprendre, c’est que si les personnes qui contribuent sur leur temps libre ou autre, étaient payées un petit peu… Il n’y a pas beaucoup d’argent derrière chacun des gros projets que nous utilisons tous. Ce que j’arrive à faire c’est que les associations dans lesquelles je suis fassent aussi des dons pour permettre aux fondations de maintenir les logiciels libres, peut-être pour payer d’autres programmeurs ou développeurs. C’est vrai que si au moins les gens qui contribuent au Libre prenaient un petit plus conscience qu’il y a une bataille à mener ça aiderait aussi à faire grossir des logiciels qui retomberaient dans le pot commun et ça permettrait à tout un chacun d’en profiter.
Frédéric Couchet : C’est une belle conclusion. Je précise qu’on va consacrer quelques émissions à venir sur la question du financement des projets libres, les projets grand public et les projets peut-être plus orientés professionnel parce que le financement n’est pas forcément le même.
En tout cas je tiens vraiment à remercier nos trois intervenants qui ont été passionnants : Laurent Joëts, Louis-Maurice De Sousa et Sébastien Canet. Évidemment on reparlera de ce sujet-là que ce soit dans le domaine du collège, peut-être primaire ou peut-être dans le secteur du supérieur. En tout cas merci à vous, je vous souhaite de passer une belle fin de journée à tous les trois et à bientôt.
Louis-Maurice De Sousa : A bientôt.
Laurent Joëts : Au revoir.
Sébastien Canet : Merci.
Frédéric Couchet : On va faire une pause musicale.
[Virgule musicale]
Frédéric Couchet : Nous allons écouter Destabilized par Punch Deck. On se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause Commune.
Voix off : Cause Commune 93.1.
Pause musicale : Destabilized par Punch Deck.
Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Destabilized par Punch Deck, disponible sous licence libre Creative Commons Attribution.
Vous écouter toujours l’émission Libre à vous ! sur radio Cause Commune 93.1 en Île-de-France et sur le site causecommune.fm. Nous allons passer au sujet suivant.
[Virgule musicale]
Chronique « Partager est bon » de Véronique Bonnet, professeur de philosophie et administratrice de l’April sur le thème des « raisons d’écrire des logiciels libres »
Frédéric Couchet : Une lecture d’informations et de mise en perspective de la philosophie GNU c’est la chronique « Partager est bon » de Véronique Bonnet, professeur de philosophie et vice-présidente de l’April. Bonjour Véronique.
Véronique Bonnet : Bonjour Fred.
Frédéric Couchet : Le sujet du jour : « Les raisons d’écrire du logiciel libre ».
Véronique Bonnet : En effet, c’est un texte de Richard Matthew Stallman de 2009 et je dirais, pour commencer, que ce texte n’a pas une structure classique, comme on pourrait l’attendre, comme d’autres textes de Richard Stallman qui sont plus démonstratifs, qui sont plus déductifs. Celui a une structure d’énumérations. C’est un catalogue et comme le titre l’indique « raisons – au pluriel – d’écrire des logiciels libres » va aller de motivations très humanistes, très larges, vers des motivations qui sont plus élémentaires, plus primaires et plus liées à soi.
Je vais faire deux remarques préalables : lorsqu’on cherche des raisons d’écrire du logiciel libre, lorsqu’on veut les examiner, il me semble qu’on s’inscrit dans le cadre d’une prise d’autonomie non seulement de l’utilisateur mais du concepteur de logiciels. C’est-à-dire qu’on essaie, puisqu’on s’approche de certains motifs, de ne pas s’en remettre simplement à des impératifs qui seraient extérieurs, qui décideraient de tout, mais de construire pour soi-même des motivations intérieures qui dès lors sont fortes puisqu’on se les ait appropriées.
Deuxième remarque. Je dirais qu’il y a un caractère non exhaustif de cette liste puisque, à la fin du texte, Richard Stallman indique que tous les humains sont différents, donc il admet qu’il a très bien pu oublier un motif et là c’est très simple : si quelqu’un a idée d’un autre motif, il suffit qu’il envoie un courriel au site des campagnes de gnu.org et là Richard Stallman indique que si ce qui est proposé est pertinent et utile alors il sera souhaitable que ce motif soit ajouté.
Je commence par le premier point. Il porte sur le plaisir que cette construction peut procurer. Il y a un ressenti qui est positif et qui est lié à deux éléments.
Souvent de très bons programmeurs éprouvent une jubilation. Ils sont dans une joie d’avoir réalisé un outil qui est porteur d’autonomie, ceci est déjà une récompense en soi.
Comme mon métier est d’enseigner la philosophie, je vais me référer à un philosophe du 17e siècle qui s’appelle Spinoza. Dans l’Éthique de Spinoza il est indiqué que ce ressenti n’est pas anodin, la joie d’avoir construit quelque chose, pourquoi ? Parce que plus je suis joyeux, plus j’ai envie de m’investir avec succès dans d’autres entreprises ; comme ceci témoigne d’un enthousiasme plus j’y parviens, plus j’y réussis, donc plus je suis joyeux, plus je m’investis, etc. C’est-à-dire qu’il y a un caractère exponentiel de la joie. Celui qui a plaisir à réaliser pour sa propre autonomie ce qui va développer l’autonomie des autres est dans cette dynamique positive d’existence. Donc ce ressenti, ça c’est le deuxième point sur lequel insiste Richard Stallman, est encore plus vivace quand il n’y a pas, je cite « de chef pour vous dire quoi faire ». C’est le plaisir d’être son propre maître.
Le second point reprend une notion qui est très fondamentale dans la philosophie GNU, c’est l’idéalisme politique. Cette expression est proche d’une expression qui est celle d’idéalisme pragmatique qui est intervenu très tôt dans la philosophie GNU. Que veut dire idéalisme politique ? Déjà que veut dire idéalisme ? Idéalisme désigne une attitude qui veut faire prévaloir ce qui devrait être sur ce qui est. C’est-à-dire que lorsque le réel est décevant, lorsque le réel n’est pas enthousiasmant, il est important de vouloir le modifier, le transfigurer en écrivant des logiciels libres.
La troisième raison est, je cite à nouveau le texte, « le désir de bâtir un monde de liberté et d’aider les utilisateurs de logiciels à échapper au pouvoir des développeurs de logiciels rend joyeux ». Quel point à partir de celui-là ? Comme il y a cette joie, on pourrait se demander si le véritable motif n’est pas celui d’être admiré. Après tout, est-ce qu’il n’est pas légitime, pour quelqu’un qui écrit du logiciel libre, d’avoir ce bénéfice secondaire qu’est l’admiration de ceux qui vont utiliser ce qu’il a fait ? Richard Stallman ne méconnaît pas l’importance de la reconnaissance, de ce que peut apporter la satisfaction de ceux à qui on a rendu service, ce qui donne une autre dimension du plaisir dont il a parlé avant, donc ce plaisir d’être libriste. Je cite le texte : « Si vous écrivez un logiciel libre et populaire, les utilisateurs vous admireront, c’est une sensation très agréable », et comme la vie est courte autant, en effet, si on est libriste ne jamais se priver de ce plaisir-là.
On s’aperçoit qu’on va du plus humaniste vers des motivations qui sont progressivement plus étroites. Par exemple le point quatre c’est celui de la réputation professionnelle : « Si vous écrivez un logiciel utile et populaire, cela suffira à montrer que vous êtes un bon programmeur ». Donc il y a ici un critère d’évaluation qui est l’utilité sociale qui manifeste une habileté. On peut en effet, par la réputation professionnelle, être persuadé d’avoir un certain savoir-faire ce qui, là encore, donne dans la vie une certaine assise, un certain contentement de soi.
Le cinquième point est dans la droite ligne du précédent, parce que s’il y a une réputation professionnelle ça manifeste une appartenance à la communauté. C’est le point cinq. Comme il y a un rayonnement, comme il y a une réputation, alors ceci permet de se dire qu’on fait partie d’une communauté, que l’on va collaborer, que l’on va partager ce qu’on a réalisé avec son intellect, avec ses mains, avec tout son être.
Le sixième point c’est l’éducation et je dirais l’éducation de soi. C’est l’occasion d’augmenter considérablement vos capacités techniques et vos habiletés sociales. Donc il s’agit de grandir, il s’agit soi-même de devenir meilleur programmeur, meilleur pas simplement au sens technique, mais meilleur au sens où on fait du bien à soi et aussi aux autres.
Le septième point : la gratitude. Si on écrit des logiciels libres, ceci permet de rendre ce qu’on a reçu. Vous vous sentez reconnaissant et redevable envers les développeurs des outils que vous avez utilisés, c’est pour vous le moyen de rendre la pareille. Donc on s’inscrit bien dans des échanges sociaux : ce qui nous a permis de devenir plus forts dans notre humanité va pouvoir être amélioré par nous ce qui est une manière de manifester un contre-don, de répondre au don qu’on a reçu.
Il y a un huitième point qui est bien intéressant et que Richard Stallman écrit avec un point d’interrogation. Il se demande si la haine de Microsoft est un motif pour écrire du logiciel libre. Il précise que cette motivation négative est à considérer avec précaution.
Je me permets de me référer à nouveau à l’Éthique de Spinoza. Si on parle de haine que peut-il se passer ? La haine amène souvent à se replier sur soi et comme se replier sur soi rend malheureux, comme se replier sur soi amène à la haine, finalement plus on déteste, plus on se replie sur soi, plus on est dans la détestation, etc. C’est-à-dire que là on entre dans une dynamique négative d’existence ce qui amène, et je pense que cette démarche est très rationnelle, Richard Stallman, donc l’auteur de ce texte, à dire que plutôt que la haine de Microsoft il est préférable de se demander quels sont les méfaits des GAFA en général. Au lieu de se contenter de pester contre eux, est-ce qu’il n’est pas préférable d’étudier ce de quoi il s’agit ?
Je vais plus vite sur la neuvième motivation, l’argent, parce qu’il faut effectivement rappeler que libre ne veut pas dire gratuit. Ce motif est à l’avant-dernière place. C’est-à-dire qu’on peut bien être payé pour développer du logiciel libre, ceci n’est pas contradictoire.
Le dernier motif va consister à dire que ceci revient à améliorer un programme que l’on utilise soi-même. C’est peut-être le motif le plus égoïste. En tout cas, peut-être que vouloir améliorer ce qu’on utilise soi-même donne l’idée de comment améliorer pour les autres ce qu’on utilise aussi soi-même.
Je dirais, pour conclure, si tu veux bien Fred, merci au logiciel libre d’élargir notre vision. Parce que si on regarde bien les dix raisons invoquées pour écrire du logiciel libre vont d’une vision large vers des raisons plus étroites mais qui ne demandent qu’à grandir. Donc je dirais merci au logiciel libre d’avoir fait grandir nos raisons d’écrire du code. On pourrait par exemple décliner une formule de Lessig qui est Code is Law en Code is Education puisque écrire du logiciel libre fait grandir par définition puisque contribuer au logiciel libre amène à dépasser son propre horizon, aller vers les autres, s’ouvrir.
Frédéric Couchet : Merci Véronique. C’était la chronique de Véronique Bonnet « Partager est bon ». Vous retrouverez l’article dont il est question sur le site de GNU, donc g, n, u point org.
Annonces
Frédéric Couchet : L’émission se termine.
Nous nous retrouverons en direct mardi 11 février. Notre sujet principal portera sur Agorasso, une plateforme participative mise à disposition des associations pour ouvrir leur gouvernance et co-construire leur action, basée sur le logiciel libre Decidim.
Nous vous souhaitons de passer une belle fin de journée. On se retrouve en direct mardi prochain et d’ici là, portez-vous bien.
Générique de fin d’émission : Wesh Tone par Realaze.