Émission Libre à vous ! diffusée mardi 10 mai 2022 sur radio Cause Commune


Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Étienne Gonnu : Bonjour à toutes. Bonjour à tous.
Connaissez-vous l’Amue, l’Agence de mutualisation des universités et établissements d’enseignement supérieur et de recherche, un groupement d’intérêt public qui facilite la coopération entre ses membres pour leurs besoins informatiques ? Je reçois aujourd’hui son responsable numérique et nous parlerons de leurs pratiques vis-à-vis du logiciel libre. Avec également au programme « Que libérer d’autre que du logiciel », la chronique d’utilité publique proposée par Antanak, aujourd’hui sur les langues et le langage. Et, en fin d’émission, une interview de Stéfane Fermigier à l’initiative d’une proposition pour l’évaluation des dépenses de logiciels de l’État. Nous allons parler de tout cela dans l’émission du jour.

Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission qui vous raconte les libertés informatiques, proposée par l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Je suis Étienne Gonnu, chargé de mission affaires publiques pour l’April.

Le site web de l’émission est libreavous.org. Vous pouvez y trouver une page consacrée à l’émission du jour avec tous les liens et références utiles et également les moyens de nous contacter. N’hésitez pas à nous faire des retours ou nous poser toute question.

Nous sommes mardi 10 mai, nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.

À la réalisation de l’émission, la dernière recrue de l’équipe régie, mon collègue Frédéric Couchet. Salut Fred.

Frédéric Couchet : Salut Étienne. Merci pour la pression et bonne émission à toutes et à tous.

Étienne Gonnu : Nous vous souhaitons une excellente écoute.

[Jingle]

Chronique « Que libérer d’autre que du logiciel » proposée Antanak intitulée « Langues et langages »

Étienne Gonnu : Nous allons commencer par la chronique « Que libérer d’autre que du logiciel » proposée Antanak et j’ai le plaisir de recevoir en studio Isabelle. Salut Isabelle.

Isabelle Carrère : Salut Étienne.

Étienne Gonnu : Si j’ai bien compris, tu vas nous parler aujourd’hui de langues et de langages.

Isabelle Carrère : De langues et de langages.
D’abord je voulais ici remercier les auditeurs et auditrices qui nous font régulièrement des retours, nous donnent des idées et/ou des pensées en suite de cette chronique, via le chat ou via la page de contact de l’April. Je pense tout spécialement au très joli message de Fabienne [Dourson] que je remercie. On reviendra sûrement ici sur la question qu’elle évoque dans son message : qu’est-ce qui doit être considéré comme un bien commun ? J’en parlais en effet en avril, à la suite d’une proposition de certains, que le numérique en fasse partie, et Fabienne émet l’hypothèse que comparer le numérique à une forêt commune pourrait peut-être être pertinent et relèverait d’une attention à un usage judicieux et limité. Je veux bien prendre le temps de penser à cela et on en reparle !

Avant cela, aujourd’hui, je voulais m’attarder un peu sur la question du langage, sur le vocabulaire, et le langage des corps aussi. Je voulais aussi apporter un peu de légèreté parce que souvent, dans tous les propos, je me suis rendu compte que dans ces chroniques c’est parfois un peu sérieux, un peu lourd, un peu chargé. J’ai dit : « Allez ! Amusons-nous un petit peu ! »

On parle bien, n’est-ce pas, de langages informatiques, qui sourcent du code, des façons de développer, des façons de faire des requêtes, donc de poser des questions, et ce n’est pas à vous, l’April, que je vais apprendre quelque chose là-dessus, évidemment ! Et on sait bien que le langage ce n’est pas pareil que la langue !
À ces propos, j’ai lu avec intérêt le livre de Yann Diener qui est sorti en février dernier aux éditions Les Belles Lettres, qu’il a nommé LQI, le QI étant ici non pas le quotient intellectuel, même si le jeu de lettres ne peut pas nous échapper, mais là c’est LQI comme « Langue Quotidienne Informatisée ».
Yann Diener est un psychanalyste et il s’intéresse évidemment aux mots et aux langages. Il établit à la fois une vision historique du langage qui s’est imprégné des termes informatiques poussés par les techniciens, les ingénieurs, et également de toutes les expressions actuelles que nous utilisons, peu ou prou, sans parfois nous en apercevoir, le tout formant une codification, c’est le cas de le dire, qui nous dépasse, mais nous entraîne à accepter, à faire nôtres les mots, donc les concepts, donc les manières de vivre le numérique. Au titre de l’histoire, il rappelle, par exemple, que le terme pour identifier un ordinateur a été longtemps recherché et, in fine, proposé par un philologue, Jacques Perret, s’il ne se trompe pas, qui soulignait que la proximité du terme avec celui « d’ordination » était certes problématique, puisque référent à la religion, mais que cet inconvénient serait mineur. Ce philologue avait même proposé le mot « ordinatrice ». Je ne sais pas pourquoi le féminin n’a pas été retenu !
En tout cas, en sus de ce que Yann Diener apporte dans son livre, par ailleurs joyeux, joueur et plein d’humour, j’y vois aussi pour ma part un rapport au corps très singulier. Parmi ces expressions utilisées quotidiennement je retiens par exemple :

  • la phrase d’un jeune qui, pour expliquer qu’il s’est interposé entre ses parents qui rentraient en conflit, dit qu’il a fait « l’interface » ; l’entre-deux pour calmer le jeu est devenu une interface ;
  • un autre qui dit « je n’ai pas les codes » pour comprendre cette relation, je ne sais pas interpréter, je ne sais pas ce qui se passe, je n’ai pas les codes ;
  • ou bien cet homme qui rentre chez lui et indique aux personnes présentes qu’il veut un peu de calme car, dit-il, « j’ai programmé une connexion en visio », pour dire qu’en fait il a organisé une rencontre avec d’autres, via un outil informatique, et c’est bien vrai n’est-ce pas, on doit tous et toutes programmer des rendez-vous ; on ne les prévoit plus, on ne les organise pas, on les programme !
  • ou bien encore ces odieux termes — moi je les trouve odieux —, en présentiel et en distanciel, alors qu’on avait très joliment « à distance » ;
  • et puis « tu dois changer de logiciel », là c’est le bouquet ! Notre inconscient construit bien entendu comme une application logicielle, avec de Fabienne [Dourson] que je remercie. On reviendra sûrement ici sur la question qu’elle évoque dans son message : qu’est-ce qui doit être considéré comme un bien commun ? J’en parlais en effet en avril, à la suite d’une proposition de certains, que le numérique en fasse partie, et Fabienne émet l’hypothèse que comparer le numérique à une forêt commune pourrait peut-être être pertinent et relèverait d’une attention à un usage judicieux et limité. Je veux bien prendre le temps de penser à cela et on en reparle !

    Avant cela, aujourd’hui, je voulais m’attarder un peu sur la question du langage, sur le vocabulaire, et le langage des corps aussi. Je voulais aussi apporter un peu de légèreté parce que souvent, dans tous les propos, je me suis rendu compte que dans ces chroniques c’est parfois un peu sérieux, un peu lourd, un peu chargé. J’ai dit : « Allez ! Amusons-nous un petit peu ! »

    On parle bien, n’est-ce pas, de langages informatiques, qui sourcent du code, des façons de développer, des façons de faire des requêtes, donc de poser des questions, et ce n’est pas à vous, l’April, que je vais apprendre quelque chose là-dessus, évidemment ! Et on sait bien que le langage ce n’est pas pareil que la langue !
    À ces propos, j’ai lu avec intérêt le livre de Yann Diener qui est sorti en février dernier aux éditions Les Belles Lettres, qu’il a nommé LQI, le QI étant ici non pas le quotient intellectuel, même si le jeu de lettres ne peut pas nous échapper, mais là c’est LQI comme « Langue Quotidienne Informatisée ».
    Yann Diener est un psychanalyste et il s’intéresse évidemment aux mots et aux langages. Il établit à la fois une vision historique du langage qui s’est imprégné des termes informatiques poussés par les techniciens, les ingénieurs, et également de toutes les expressions actuelles que nous utilisons, peu ou prou, sans parfois nous en apercevoir, le tout formant une codification, c’est le cas de le dire, qui nous dépasse, mais nous entraîne à accepter, à faire nôtres les mots, donc les concepts, donc les manières de vivre le numérique. Au titre de l’histoire, il rappelle, par exemple, que le terme pour identifier un ordinateur a été longtemps recherché et, in fine, proposé par un philologue, Jacques Perret, s’il ne se trompe pas, qui soulignait que la proximité du terme avec celui « d’ordination » était certes problématique, puisque référent à la religion, mais que cet inconvénient serait mineur. Ce philologue avait même proposé le mot « ordinatrice ». Je ne sais pas pourquoi le féminin n’a pas été retenu !
    En tout cas, en sus de ce que Yann Diener apporte dans son livre, par ailleurs joyeux, joueur et plein d’humour, j’y vois aussi pour ma part un rapport au corps très singulier. Parmi ces expressions utilisées quotidiennement je retiens par exemple :

    • la phrase d’un jeune qui, pour expliquer qu’il s’est interposé entre ses parents qui rentraient en conflit, dit qu’il a fait « l’interface » ; l’entre-deux pour calmer le jeu est devenu une interface ;
    • un autre qui dit « je n’ai pas les codes » pour comprendre cette relation, je ne sais pas interpréter, je ne sais pas ce qui se passe, je n’ai pas les codes ;
    • ou bien cet homme qui rentre chez lui et indique aux personnes présentes qu’il veut un peu de calme car, dit-il, « j’ai programmé une connexion en visio », pour dire qu’en fait il a organisé une rencontre avec d’autres, via un outil informatique, et c’est bien vrai n’est-ce pas, on doit tous et toutes programmer des rendez-vous ; on ne les prévoit plus, on ne les organise pas, on les programme !
    • ou bien encore ces odieux termes — moi je les trouve odieux —, en présentiel et en distanciel, alors qu’on avait très joliment « à distance » ;
    • et puis « tu dois changer de logiciel », là c’est le bouquet ! Notre inconscient construit bien entendu comme une application logicielle, avec des fonctionnements de type informatique, en tout cas reconnaissable à des codifications, des langages.

    Alors libérer quoi ? Libérer le langage peut-être, libérer la langue. Ces expressions, est-ce que c’est dramatique ? Oui, quand même, parce que ça donne une soi-disant simplification du langage, de la langue, et des échanges, mais aussi et surtout ça codifie, ça normalise, ça donne des codes. « Oui ! J’en suis moi aussi, je fais partie de ton groupe, je parle cette langue techno ». Et on oublie qu’on le fait, on ne s’en aperçoit plus.

    Par exemple des termes tels que « les mots de passe ». Tout le monde parle de passe, on l’a vu dernièrement avec ou sans « e », selon que l’on veut faire ou non anglo-saxon. On a parlé de passe sanitaire, de passe vaccinal, une passe pour être libre disait l’autre ! La passe, jusqu’à présent, dans les mots de passe, avait plutôt d’autres significations, non ? Une passe comme un passage, en psychanalyse lacanienne, voire freudienne, les Hébreux se nommaient des passeurs, mais aussi une capacité de certaines personnes qu’on nommait des passeuses d’âmes, quand ces âmes des morts et des mortes ne veulent pas nous quitter, et puis les passes des travailleurs et travailleuses du sexe ! Ou bien faire une passe de ballon. Bref ! Ça en fait beaucoup des mots de passe, des mots des passes, des maux qui nous dépassent !
    Et comme il est déconseillé de toujours se servir du même mot de passe, cela fait en plus une source hyper-variée d’oublis. Les mots de passe, en fait, sont peut-être faits pour être oubliés, au cas où on oublierait d’oublier… C’est une bonne idée d’oublier dans la langue, dans les langages.

    On dit aussi « le code ». Le code c’est ce que l’on tape sur un ordi, un téléphone, on voit que nous n’arrêtons pas de coder, de décoder de l’information via tous ces outils qui sont, en fait, des transporteurs de code. Sans le savoir, mais pour de bon, nous transmettons tous et toutes du code, nous faisons fonctionner toutes ces lignes de code avec notre corps contracté aux épaules au-dessus de l’ordi, ou tendu, la tête courbée sur un téléphone connecté, bonjour aux cervicales !, les doigts crochus sur les touches, etc.
    Il en est de même avec les termes « d’identité », « d’identifiants », « la digitalisation », etc. C’est important le digital parce qu’on peut faire glisser, on voit, on en a parlé en avril, ce geste qu’ont déjà les tout-petits sur un écran de téléphone qu’on leur a tendu : du bas vers le haut ils font glisser très vite des images, des images, déjà si petits pris dans les filets de la captation dont on parlait.

    Les personnes qui viennent dans les ateliers que nous organisons à Antanak, nous en apprennent aussi pas mal là-dessus. Elles sont archi-contractées, à la fois parce qu’apprendre n’est pas une chose aisée mais aussi parce que les positions du corps en face d’un ordinateur sont très singulières, spécifiques, à la fois en retrait et en vis-à-vis, il faut se mettre en face mais un peu de côté au cas où, les jambes croisées, pas croisées, bref ! Un corps poussé au quotidien à être comme sur des machines, comme à l’usine ou en caisse, ou que sais-je, avec des potentiels problèmes musculo-squelettiques.

    Pour finir parce que sinon je vais être trop longue, je le sens, à propos des codes, le chef des codes c’est sans doute le QR Code. Je ne sais pas si vous vous souvenez, vous avez dû voir les uns et les autres les excellents articles là-dessus, ça s’appelait « Parle à mon cul, Herr Kode ». Nos vies, décidément, sont ailleurs, Herr était écrit h, e, 2 r, bien sûr, comme monsieur en allemand et code avec un grand « K ». Vous avez dû voir ça ! Bref ! Ça résonne avec le rappel que fait Yann Diener dans son livre sur l’origine de la construction de la machine informatique, le besoin de décrypter, décoder, comprendre le code que les nazis utilisaient et que Alan Turing aurait donc cassé. Il et d’autres ont cassé le code nazi. Ce faisant, l’ayant compris, intégré, ce dernier ne reste-t-il pas, comme signifiant, au centre de ces machines ? Autrement dit que reste-t-il, dans le projet et la fascination du codage, de la simplification des choses dans un champ binaire, codé ?
    Oh non ! Pardon ! J’avais dit un peu de légèreté. Excusez-moi.

    Étienne Gonnu : Merci beaucoup Isabelle. J’attends vivement la transcription que Marie-Odile réalisera de ta chronique pour pouvoir la relire à tête reposée. En tout cas, tu nous as parlé de bonne humeur, de légèreté. Ça ne se voit peut-être pas beaucoup avec mon masque, mais j’ai souri une bonne partie de ta chronique. Peut-être rappeler que les luttes émancipatrices, par exemple pour les libertés informatiques, doivent aussi être joyeuses, c’est essentiel pour qu’elles puissent aussi porter leurs fruits.

    Isabelle Carrère : Merci Étienne.

    Étienne Gonnu : Tu parlais aussi de communs numériques. Ça tombe bien ! Justement le 17 mai, mardi prochain, Laurent Costy qui est un des chroniqueurs réguliers de l’émission et membre du conseil d’administration de l’April va animer un sujet long sur ce sujet des communs numériques, un vaste sujet, avec notamment Sébastien Broca et Claire Brossaud.
    Merci beaucoup Isabelle et au mois prochain.

    Isabelle Carrère : À bientôt. Merci.

    Étienne Gonnu : Nous allons faire une pause musicale.

    [Virgule musicale]

    Étienne Gonnu : Après la pause musicale nous parlerons de mutualisation entre les universités et les établissements de l’enseignement supérieur et de la recherche. Avant cela nous allons écouter Lockdown par Baribald et Pold. On se retrouve dans trois minutes. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

    Pause musicale : Lockdown par Baribald et Pold.

    Voix off : Cause Commune, 93.1.

    Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter Lockdown par Baribald et Pold, disponible sous licence libre Creative Commons Partage dans les mêmes conditions, CC By SA. Il s’agit d’une découverte du site auboutdufil.com qui évoque ainsi le morceau et je cite : « Dans Lockdown, Pold et Baribal ont choisi d’aborder le sujet en évoquant le confinement. Au cours de ces deux dernières années, cette situation a concerné une grande partie de la population mondiale et chaque personne l’a vécue différemment. Tandis que certains pouvaient se sentir seuls ou trop à l’étroit, d’autres étaient ravis de pouvoir prendre une pause ou étaient soulagés de se sentir en sécurité. Le titre de Pold et Baribal est instrumental : l’absence de paroles en fait un morceau universel auquel on peut s’identifier plus facilement, quelle qu’ait été notre propre expérience du confinement. », fin de citation. D’ailleurs le titre, le nom Lockdown évoque effectivement le mot anglais pour confinement. Vous trouverez une présentation de l’artiste et du morceau sur le site auboutdufil.com.

    [Jingle]

    Étienne Gonnu : Nous allons passer à notre sujet suivant.

    [Virgule musicale]

L’Agence de mutualisation des universités et établissements d’enseignement supérieur ou de recherche, l’Amue, et le logiciel libre

Étienne Gonnu : Nous allons poursuivre par notre sujet principal qui porte sur l’Agence de mutualisation des universités et établissements d’enseignement supérieur ou de recherche, l’Amue, et leurs rapports au logiciel libre.
Je vous rappelle que vous pouvez participer à notre conversation sur le salon web dédié à l’émission, sur le site causecommune.fm, bouton « chat ».
J’ai le plaisir de recevoir, via le logiciel libre d’audioconférence Mumble, David Rongeat, responsable numérique à l’Amue. Bonjour David, est-ce que vous êtes avec nous ?

David Rongeat : Oui. Bonjour, je suis avec vous.

Étienne Gonnu : Parfait. Je vous propose de commencer de manière très classique, est-ce que vous pourriez vous présenter s’il vous plaît ?

David Rongeat : Oui, je vais essayer. Je m’appelle David Rongeat. Je suis responsable du numérique à l’Amue. Je suis quelqu’un qui est issu de la technologie. J’étais développeur dans les années 90, ça remonte à quelques années. J’ai fait de l’administration de bases de données, de l’architecture technique, de la gestion de projets et, depuis quelque temps, je fais plutôt de la veille prospective, ça fait actuellement partie de mes missions à l’Amue, veille prospective qui permet d’alimenter la réflexion stratégique de l’Amue et c’est un sujet qu’on partage auprès des établissements d’enseignement supérieur parce que j’ai le plaisir d’être aussi corédacteur en chef d’un bimestriel qui s’appelle La collection numérique où nous publions tous les deux mois un sujet du numérique universitaire dans lequel on va partager les points de vue de nos adhérents, d’universités, d’établissements d’enseignement supérieur et de recherche. Pour finir ma présentation, j’ai en charge à l’Amue les sujets de l‘open data et de l’open source.

Étienne Gonnu : Super. Vous avez évoqué différentes choses sur lesquelles on pourra revenir au cours de notre échange. J’aimerais aussi vous poser une question : quel est votre rapport au logiciel libre ? Est-ce que c’est quelque chose de récent ? Quelque chose que vous avez construit dans le temps ?

David Rongeat : C’est relativement récent puisque, historiquement, l’Amue utilisait beaucoup de solutions on va dire propriétaires, pour faire simple. C’est une mutation qui a commencé il y a quelques années, à la fois en interne et avec l’impulsion des établissements d’enseignement supérieur. Personnellement, c’est quelque chose qui a mûri chez moi depuis, on va dire, une décennie pour maintenant être un libriste convaincu.

Étienne Gonnu : Entendu.
Avant d’aller observer ces différentes choses que vous avez évoquées, que ce soit l’open data, le logiciel libre, ce que vous avez pu faire dans ces cadres, l’excellente et très intéressante La collection numérique, notamment le numéro 13 qui s’appelle « Vive le Numérique libre », dont on imagine bien le sujet, avec des contributions très intéressantes, peut-être serait-il utile d’essayer de comprendre ce qu’est l’Amue. Je pense que tout le monde, toutes les personnes qui nous écoutent ne connaissent pas forcément l’Amue qui est donc une agence de mutualisation spécifique au secteur, on va dire, de l’enseignement supérieur et de la recherche. Passons déjà un moment pour essayer de comprendre ce qu’est l’Amue. C’est un groupement d’intérêt public, il me semble comprendre. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?

David Rongeat : Tout à fait. Un groupement d’intérêt public est une forme juridique qui permet de créer un établissement public. Parmi ses membres l’Amue a des établissements d’enseignement supérieur et de recherche. Pour faire simple il y a déjà toutes les universités françaises, beaucoup de grandes écoles, il y a des organismes de recherche, je vais citer au hasard l’IRD [Institut de recherche pour le développement], l’Inria [Institut national de recherche en informatique et en automatique] qui sont adhérents de l’Amue, des regroupements d’écoles, aussi, ou des regroupements d’établissements d’enseignement supérieur et de recherche. C’est donc une structure qu’on pourrait comparer à une sorte d’association d’établissements publics ou privés qui font de l’enseignement supérieur ou de la recherche. Ça c‘est pour son statut juridique.
L’objectif, et ce que propose l’Amue à ses adhérents, tourne autour notamment des sujets de gestion des établissements d’enseignement supérieur et de recherche, donc des questions autour de la gestion financière, de la gestion des ressources humaines, la scolarité - vie d’étudiant qui est un sujet important tout comme la gestion de la recherche qui sont, pour ces établissements publics, des choses très particulières et ce qu’on appelle cœur de métier, c’est-à-dire que c’est vraiment la raison d’être des établissements d’enseignement supérieur et de recherche. Donc nous accompagnons les établissements dans ces différents sujets à la fois en leur proposant des services autour des métiers, donc des questions autour des métiers, des réseaux autour des métiers pour que les professionnels de ces différents domaines puissent discuter, échanger, faire de la veille, faire de la veille réglementaire, partager des bonnes pratiques, moderniser leurs pratiques, c’est une de nos missions. On fait également de la formation, de la formation autour des métiers et de la formation autour des logiciels que nous proposons parce que nous avons, à l’Amue, une offre d’une quinzaine de solutions logicielles, pour faire simple, dans ces différents domaines, que ça soit la formation - vie de l’étudiant, gestion de la recherche, gestion financière, gestion des ressources humaines, patrimoine, etc. Pour tout ce qui permet à un établissement d’enseignement supérieur et de recherche de fonctionner, on a des offres logicielles dans la plupart des cas. Aujourd’hui, 170 établissements d’enseignement supérieur et de recherche sont adhérents à l’Amue.

Étienne Gonnu : Est-ce une adhésion payante ou gratuite ? Quel est votre lien, peut-être, avec le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche ? Est-ce qu’il vous finance ou est-ce que vous êtes indépendant par rapport à cette structure ? Comment ça s’organise ?

David Rongeat : Je vais commencer par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Le ministère de l’Enseignement, de la Recherche et de l’Innovation finance l’Amue à hauteur de 30 % de son budget annuel, c’est le premier point.
Pour adhérer les établissements payent une adhésion annuelle qui peur permet d’accéder à un certain nombre de services, notamment accéder à un catalogue de formation, accéder aux réseaux métiers, accéder à différentes publications de l’Amue. Cette adhésion est proportionnelle, on va dire, pour faire très simple, à la taille de l’établissement, que ce soit son volume financier, son nombre d’étudiants, son domaine de recherche, etc.
Après, les établissements participent au financement des solutions logicielles que nous fabriquons puisque quand l’Amue décide, avec les établissements, de construire une solution logicielle, l’Amue fait un investissement financier et ensuite on répartit le coût de la fabrication, de la maintenance, du déploiement, des formations autour de ces logiciels, auprès des établissements qui le choisissent. Ils n’ont aucune obligation de prendre nos solutions, donc aujourd’hui, dans une même université, dans une même école, on peut avoir des solutions de l’Amue ou des solutions d’autres partenaires des établissements.

Étienne Gonnu : D’accord. J’imagine qu’il y a aussi un enjeu d’interopérabilité entre ces différentes solutions qui peut parfois se poser.

David Rongeat : Clairement oui. On a notamment une offre d’intégration de données, avec des mécanismes d’interopérabilité des données, un référentiel de données partagées pour que toutes ces solutions puissent communiquer entre elles, partager des informations et augmenter la qualité des données qu’il y a dans les systèmes d’information des universités.

Étienne Gonnu : On ira regarder un peu plus en détail les logiciels que vous développez, s’ils sont libres ou pas, parce que c’est forcément une question qui va nous intéresser. Pour rester encore un petit peu sur le contexte global de l’Amue, si je ne me trompe pas l’Amue fête cette année ou a fêté récemment ses 30 ans d’existence.

David Rongeat : Ses 30 ans cette année.

Étienne Gonnu : C’est quand même une longue histoire surtout à l’échelle du temps informatique. Pourriez-vous nous dire, en deux mots, pourquoi l’Amue a-t-elle été créée ? Visiblement, vu le nom de la structure, pour mutualiser, mais pourquoi cet enjeu de mutualisation était-il important ? Est-ce que c’était évident il y a 30 ans ou est-ce que, justement, c’était novateur ? Que pouvez-vous nous en dire ?

David Rongeat : Pour faire très simple, il y a une trentaine d’années des établissements ont décidé de se regrouper autour, pour simplifier, de cahiers des charges par exemple pour la gestion financière ou pour la gestion de la scolarité. Dans les établissements quelques solutions informatiques existaient. Ils en ont discuté avec leurs collègues du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et ils ont décidé, en commun, de lancer des projets informatiques. Donc une structure de type groupement d’intérêt public a été créée en 1992 pour pouvoir partager, auprès de ces établissements, des besoins et après la mise en œuvre, la fabrication, de ces solutions logicielles
.
À la différence d’autres secteurs publics, il n’y a pas de direction informatique importante au ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche ce qui fait que, dans les années 90, ce ministère s’est doté d’un ensemble d’opérateurs. Pour l’informatique de gestion c’est l’Amue ; on a des collègues qui s’occupent des bibliothèques, c’est l’Abes ; on a des collègues qui s’occupent des réseaux, c’est Renater. Donc il y a un ensemble de groupements d’intérêt publics qui se sont créés auprès du MESRI pour offrir des services aux établissements d’enseignement supérieur et de recherche, à leurs bibliothèques, aux labos, aux universités, aux centres de formation. Ça s’est créé de cette manière-là sur la volonté de quelques établissements de se regrouper. Dans un premier temps on appelait ça modernisation, l’agence s’appelait, de tête, fin des années 90, Agence de modernisation des universités parce que l’idée c’était d’informatiser un certain nombre de processus métiers et d’essayer de mettre dans ces logiciels de gestion les meilleures pratiques métiers, les outiller pour les diffuser après dans les établissements. Cette logique, qui avait été appelée de modernisation, ne fonctionnait que parce qu’il y avait de la mutualisation. C’est-à-dire que les établissements se regroupaient, exprimaient des besoins ensemble, négociaient des besoins ensemble, discutaient de la conception de chacune des solutions logicielles ensemble, quel que soit le mode de fabrication de la solution logicielle, que ça soit un développement spécifique ou l’achat d’un outil informatique du marché, tout était fait et tout a continué à être fait avec les établissements. Il n’y a pas une seule activité dans notre quotidien qui ne soit faite avec des établissements qui représentent l’ensemble des établissements pour une solution logicielle.
On coconstruit toutes les phases de projet – besoin, fabrication, maintenance, déploiement, formation – avec des établissements adhérents.

Étienne Gonnu : Très bien. Vous parlez de mutualisation, c’est vrai que pour des personnes qui défendent le logiciel libre le lien est évident, le fait que le logiciel libre soit vecteur de mutualisation nous paraît évident. Est-ce que ça l’était dans cette histoire de l’Amue ? Est-ce que tout de suite vous vous êtes tournés vers du logiciel libre ? Est-ce que c’est quelque chose qui a mis du temps à venir ?

David Rongeat : Avec mon collègue, mon binôme Bertand Mocquet qui est enseignant chercheur, qui travaille avec moi sur la veille prospective à l’Amue et qui est en train d’écrire un ouvrage justement sur les 30 ans de l’Amue, nous avons retrouvé, il n’y a pas très longtemps, des pistes des choix de technologie des années 90. Ça s’est fait dans la même logique, en sondant les établissements : quelles sont les technologies utilisées ?, quelles sont les compétences que vous avez dans vos établissements ? À cette époque, je vais citer par exemple un logiciel de gestion de base de données qui avait été choisi, Oracle, une solution qui n’est pas du tout libre et c’est le socle technologique qui a été utilisé pendant un bon moment pour nos solutions et nos applications de gestion.
N’oublions pas, dans notre contexte, que nous ne sommes pas les seuls à offrir des solutions logicielles. D’autres opérateurs associatifs proposent des solutions auprès des établissements. Je vais citer nos amis d’un consortium, une association qui s’appelle ESUP, qui propose des services et un portail, un environnement numérique de travail pour les établissements ; eux se sont appuyés sur des solutions du Libre et diffusent leurs solutions en Libre.
L’Amue a fait cette mutation autour du Libre de manière un peu plus récente, je dirais après les années 2010 ; on a commencé à changer nos orientations de choix technologiques et à réfléchir à l’ouverture de nos solutions logicielles

Étienne Gonnu : Entendu. L’Amue évolue donc, du coup, dans le contexte de l’ESR, l’enseignement supérieur et la recherche. On sait que c’est plutôt un secteur qui est sensible à ce qu’on pourrait appeler plus globalement la connaissance libre, les communs numériques, où le logiciel libre semble, du moins peut trouver facilement écho. Est-ce que c’est aussi quelque chose que vous ressentez ?

David Rongeat : Clairement oui. On est en relation avec toutes les directions informatiques de nos adhérents et même au-delà et ce sont vraiment, à très grande majorité, des directions numériques qui ont une culture du Libre, au moins en partie dans leurs équipes. Donc les choix de solutions technologiques s’opèrent aujourd’hui principalement dans cette voix-là du logiciel libre en complément des solutions de l’Amue ou même dans les développements qui sont faits dans ces équipes. De plus en plus les codes sont ouverts, les informaticiens qui œuvrent tous les jours pour ce service public développent du code qu’ils ouvrent et qu’ils partagent ensuite auprès de leurs collègues.
On est effectivement vraiment dans un contexte de partage puisque dans les établissements d’enseignement supérieur et de recherche il y a toute cette notion de partage de la recherche qui est très importante et qui est un petit peu, je dirais, dans les gènes de chacun des agents de l’enseignement supérieur et de la recherche, partager les connaissances, donc le partage du logiciel en fait partie.

Étienne Gonnu : Je vous propose de regarder un peu plus en détail le catalogue d’offres que vous avez mentionné et déjà peut-être ces questions de logiciels. Si j’ai bien compris vous proposez une quinzaine de logiciels que l’Amue a développés ad hoc, pour répondre à des besoins spécifiques exprimés par les universités, coconstruits même avec elles et eux, si j’ai bien suivi. Est-ce que votre offre est restreinte à ces 15 logiciels ou est-ce qu’elle inclut aussi des logiciels développés ailleurs ? Et quelle est la part de logiciels libres dans ces logiciels que vous avez évoqués ?

David Rongeat : Quand on est face à un besoin exprimé par les établissements, on va d’abord aller regarder ce qui existe sur le marché comme solutions, c’est une première étape avant de décider de lancer un développement à façon, complètement from scratch, je dirais, à partir d’une feuille blanche. Et si on s’oriente vers le choix d’une solution du marché, on construit un appel d’offres avec les établissements, on choisit la liste des fonctionnalités, la liste des exigences pour choisir la meilleure des solutions et après l’Amue va faire son travail juridique pour aller chercher la meilleure solution et la choisir avec les établissements.
Dans ce cas-là on a des solutions du marché, pour la finance on utilise du SAP [Systems Applications and Products for data processing], on utilise du HR Access pour la gestion des ressources humaines et on fait un pré-paramétrage qu’on diffuse auprès des établissements. Donc là on a des solutions qui sont très propriétaires et on est adossé, marié à des solutions logicielles du marché avec les établissements qui les utilisent.
Dans d’autres cas, et c’est plutôt notre stratégie dans ce qu’on appelle les cœurs de métier, c’est-à-dire principalement la formation, l’insertion professionnelle, la vie de l’étudiant, la gestion de la recherche, où là, sur le marché, les solutions ne sont pas nécessairement adaptées, elles sont très onéreuses à adapter au contexte français, donc le choix qui a été fait, il y a très longtemps, c’est, dans ces domaines-là, de faire des logiciels spécifiques. Donc on choisit les architectures techniques, les technologies de développement, les technologies d’exploitation et ces choix-là sont faits avec les établissements.
Ce qui est en train d’évoluer fortement à l’Amue c’est que dans tous les développements spécifiques qui vont apparaître on va dire à partir de 2015/2020, on s’appuiera sur des solutions libres pour développer et exploiter les solutions logicielles que l’on va fabriquer.
La troisième gamme, je dirais, de solutions que l’Amue déploie auprès de ses adhérents ce sont des solutions qui ont été développées par des établissements en spécifique. Un établissement a un besoin, entre guillemets, « en avance de phase », il le développe pour ses propres besoins. À un moment ce développement est connu par les autres établissements, donc l’Amue fait son rôle de mutualisation c’est-à-dire qu’elle se saisit de la solution logicielle qui a été faite par un établissement, potentiellement elle l’adapte pour qu’il soit complètement paramétrable et adapté à l’ensemble des besoins. On diffuse ensuite cette solution logicielle, qui a été faite par un établissement, auprès de 10/20/30/50 ou 100 établissements différents. Dans ces cas-là, les 3/4 des solutions qu’on a récupérées auprès d’un établissement sont déjà des solutions sous licence libre, donc on était déjà avec un certain nombre de solutions en logiciel libre.

Étienne Gonnu : Du coup, y a-t-il une communauté des universités membres de l’Amue. Ces échanges d’informations, ces échanges de codes se font-ils spontanément ? C’est vraiment l’Amue qui, dans une démarche on va dire pro-active, va au contact des universités, notamment celle que vous avez évoquée, qui a développé sa propre solution, pour faciliter la mutualisation ? Comment cela se passe-t-il ?

David Rongeat : Deux leviers existent. À la fois l’Amue, entre guillemets, « centralise » ces informations parce qu’elle est en relation avec tous ses adhérents, c’est un premier axe. Un deuxième axe, vu qu’on est dans un environnement très communautaire, l’enseignement supérieur et la recherche ce sont beaucoup de gens qui travaillent ensemble, donc on a beaucoup d’associations professionnelles, par exemple dans le monde de l’informatique il y en a plusieurs, il y a l’association des vice-présidents numériques, des DSI, l’association des services informatiques qui s’appelle le CSIESR [Comité des services informatiques de l’enseignement supérieur et de la recherche]. Ces communautés discutent et échangent entre elles avec plein de moyens, des séminaires, des colloques, des listes de diffusion, des relations humaines et c’est presque le plus important. C’est à ces occasions, quand on est soit dans un comité de pilotage de l’Amue soit dans un colloque d’informaticiens, qu’on va discuter et, en discutant, on va se rendre compte qu’un collègue va développer une solution qui nous intéresse, on va le voir et puis un deuxième vient se greffer dans la conversation, on crée un petit groupe de travail. Une fois que ce groupe de travail prend un peu d’étoffe, eh bien on va aller partager celle-ci auprès de nos adhérents et faire une proposition. Par exemple, est-ce que la solution de formation continue qui a été développée à Nantes, par quelques établissements, intéresse la communauté des gens du métier ? Si c’est le cas, nous faisons notre travail de mutualisation, d’industrialisation de cette solution.

Étienne Gonnu : Entendu. Pour bien comprendre l’Amue propose, met à disposition des outils informatiques. J’imagine que ça ne se limite à cette mise à disposition, vous l’avez un peu évoqué au début, j’imagine qu’il y a de la maintenance, de l’aide à l’installation, de l’aide à la migration quand ça peut être nécessaire.

David Rongeat : Oui. En fait nous gérons toutes les phases de projet, de l’expression du besoin jusqu’à la fin de vie d’un projet informatique. On va faire de la conception avec des établissements, on va fabriquer la solution ou paramétrer une solution du marché avec des établissements, on va faire de la documentation en fonction des techniques, on va aider au déploiement. Aider au déploiement c’est à la fois préparer les équipes informatiques à installer la solution dans leur système d’information, mais c’est aussi former les personnels qui vont utiliser la solution logicielle et régulièrement récolter des besoins ou des bugs, ça arrive aussi chez nous, pour pouvoir faire des évolutions de ces solutions et de la maintenance évolutive ou corrective. Comme pour toute solution logicielle qui dure on fait ce qu’on appelle de la maintenance adaptative, c’est-à-dire qu’on fait des migrations technologiques. Par exemple, sur certaines solutions Oracle qu’on a choisies il y a 30 ans maintenant, on a fait énormément de migrations technologiques, on est passé du client-serveur au multi-tiers, on est passé de la base de données en version 5 à la version 12 ou 13 maintenant, je ne sais plus où on en est. Donc il y a toutes ces phases qu’on surveille, qu’on gère et qu’on traite avec les établissements jusqu’à la fin de vie des solutions. En ce moment on est en train de redévelopper l’intégralité de l’offre sur la gestion de la scolarité - vie de l’étudiant, donc où s’inscrivent tous les étudiants de France et de Navarre dans les universités et dans la plupart des grandes écoles ; c’est une solution qui a une trentaine d’années maintenant, on est en train de la redévelopper sur la base de solutions libres et le code sera ouvert sous licence GNU Affero GPL dans quelque temps.
On gère toutes les phases de projet, formation des équipes, conduite du changement aussi parce que, souvent, l’arrivée d’un logiciel de gestion va modifier les pratiques et on a besoin d’accompagner les établissements en organisation, en préparation de leur fonctionnement pour accepter, prendre en compte le logiciel qui leur est proposé. C’est l’Amue qui supervise toutes ces phases-là avec des établissements.

Étienne Gonnu : En termes de pratiques internes, est-ce que l’Amue s’appuie sur du logiciel libre ? Où en sont les pratiques internes à l’Amue ?

David Rongeat : Historiquement, pour nos outils internes, donc ce qui est gestion de nos agendas, nos outils de communication internes, nos sites web, etc., on est très majoritairement sur des solutions Microsoft. C‘est un choix qui a été fait il y a très longtemps et depuis on n’en a pas beaucoup décroché. Donc, en interne, on est principalement sur des solutions Microsoft pour nos outils. Certains établissements ont fait des choix équivalents, d’autres utilisent des solutions du Libre, des solutions faites à façon pour leur gestion dans leurs équipes, dans leurs DSI, etc.

Étienne Gonnu : Avant qu’on fasse une pause musicale, la pause musicale précédente parlait justement du confinement dû au covid, j’imagine que pour vous ça a été aussi une période particulière, qui a dû nécessiter certaines ressources et mises à disposition de ressources aux universités. Comment avez-vous vécu cette période et quelle a été le rôle de l’Amue dans cette période vis-à-vis des universités qui avaient de forts besoins j’imagine ?

David Rongeat : En tant que fournisseur de solutions et de services auprès des établissements l’impact a été relativement léger pour nous puisque ça a été facile de passer en 100 % télétravail pour les personnes de l’Amue. On avait déjà un mécanisme de télétravail à l’Amue, donc passer d’un jour à cinq jours par semaine ça a fonctionné sans aucune perturbation. On a juste dû arrêter nos formations en présentiel, certaines ont été basculées en distanciel. Je reprends ces termes qui ont été cités par la collègue tout à l’heure, désolé, ce ne sont pas les mots les plus agréables à entendre.
Par contre nos adhérents, les établissements, les équipes pédagogiques, les équipes dans les laboratoires, les équipes de gestion, les équipes dans les DSI ont beaucoup souffert de cette période-là puisque c’était très difficile d’adapter un établissement pour garantir ce qu’on a appelé la continuité pédagogique, c’est-à-dire réussir à continuer à former les étudiants dans ces conditions et puis la continuité de gestion c’est-à-dire que les établissements devaient continuer à fonctionner, devaient continuer à payer leurs factures, devaient continuer à payer leurs personnels, devaient continuer à entretenir le campus, etc.
Dans notre relation avec les établissements, nous nous sommes assurés que nos offres logicielles continuaient à fonctionner, ça a été le cas, et puis nous avons aidé les établissements sur certains sujets. Par exemple on a fait des petites enquêtes pour savoir quels étaient les technologies de visio qu’ils utilisaient quand la conférence des présidents d’université demandait « qu’est-ce qu’utilisent nos établissements aujourd’hui face à cette crise ? », là on a libéré un petit d’énergie pour donner un petit coup de main dans ce contexte. On n’a pas été très impactés côté Amue, on a été surtout très vigilants à ce que nos collègues ne soient pas trop sollicités par nous parce qu’ils avaient d’autres chats à fouetter que de répondre à nos sollicitations parce qu’ils devaient faire tourner les établissements dans des conditions parfois très difficiles.

Étienne Gonnu : C’est sûr. Je rejoins mon collègue Frédéric qui fait référence à la difficulté que ça a été également pour les professeurs, pour les étudiants, les élèves, etc. C’est vrai que ça a été une période difficile pour beaucoup de monde et particulièrement pour cette classe d’âge. Merci beaucoup.
Je vous propose de faire une pause musicale et après nous rentrerons un peu plus dans le vif du sujet du logiciel libre.

David Rongeat : Avec plaisir.

Étienne Gonnu : Nous allons écouter à présent Jack​-​O​-​Lanterns par Just Buns. On se retrouve juste après. Je vous souhaite une belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : Jack​-​O​-​Lanterns par Just Buns.

Voix off : Cause Commune, 93.1.

Étienne Gonnu : Oh oui ! Soucions-nous les uns et les unes des autres ! Nous venons d’écouter Jack​-​O​-​Lanterns par Just Buns, disponible sous licence libre Creative Commons Partage dans les mêmes conditions, CC By SA. Si vous êtes un auditeur ou une auditrice habituée de l’émission vous aurez peut-être reconnu la magnifique voix de la chanteuse Linda Lacy dont nous avons déjà diffusé plusieurs morceaux. Là elle chantait dans le cadre du projet musical Just Burns.

[Jingle]

Étienne Gonnu : Je suis Étienne Gonnu de l’April. Nous discutons avec David Rongeat, responsable numérique à l’Amue, l’Agence de mutualisation des universités et établissements d’enseignement supérieur et de recherche.
N’hésitez pas à participer à notre conversation sur le salon web dédié à l’émission, sur le site causecommune.fm, bouton « chat ».
Nous avons discuté, essayé de comprendre un peu comment fonctionne l’Amue, quelles sont les offres et les services qu’elle propose aux universités et établissements de recherche membres. Nous parlions justement de ce contexte de l’ESR, de l’enseignement supérieur et de recherche. Il y a une loi que je n’ai pas encore évoquée, une loi de l’ESR de 2013 qui dit que « le service public de l’enseignement supérieur met à disposition de ses usagers des services et ressources pédagogiques numériques, les logiciels libres sont utilisés en priorité ». Nous pouvons aussi citer une loi de 2016, pour une République numérique qui, bien qu’elle ne propose pas une priorité au logiciel libre, tend à dire qu’il faut encourager l’usage du logiciel libre. Je cite cette date notamment parce que lorsque nous avons préparé vous m’avez dit que c’est à partir de 2016/2017 qu’un plus grand usage du logiciel libre avait été mis en place, donc nous avons cherché à comprendre, dans cette période récente, depuis cinq/six ans, quelles ont été les évolutions de l’Amue vers le logiciel libre. Est-ce que vous pouvez confirmer que, depuis cinq/six ans, il y a une évolution vers le logiciel libre ?

David Rongeat : Tout à fait. Ce qui s’est passé c’est que quand nous avons réaffirmé notre stratégie de développement spécifique pour ce qu’on appelle le cœur de métier, donc gestion de la vie étudiante, gestion de la formation, gestion de la recherche, et, pour faire ces développements spécifiques, on avait besoin, pour les nouvelles solutions, de faire des choix de technologies. On a constitué auprès d’un comité stratégique de l’Amue un groupe de travail dans lequel il y avait l’Amue, des associations professionnelles d’informatique, l’ESUP que j’ai cité tout à l’heure, une association qui propose un environnement numérique de travail et des services numériques ouverts aux établissements d’enseignement supérieur. Avec ce groupe nous avons réfléchi à ce que devaient être à la fois les architectures, les méthodes de travail et les technologies que nous devions utiliser. Heureusement, en termes de méthodologie nous avons rapidement convergé sur l’agilité, quelque chose qui est dans notre genèse depuis le début de l’Amue, même si ce n’était pas formalisé de cette manière-là, mais on faisait déjà de l’agilité depuis un moment. On a donc choisi la méthodologie agile, on a choisi des architectures qu’on a appelées modulaires, interopérables, API-First pour tout ce qui est jargonnage technologique pour les collègues informaticiens. Et puis, quand on a dû faire les choix des technologies pour développer et pour exploiter, on s’est appuyés naturellement sur ce qui était indiqué dans les différentes lois que vous avez citées, de 2013 et de 2016, notamment sur le Socle interministériel des logiciels libres qui était à l’époque le catalogue qu’on demandait aux opérateurs publics de consulter en priorité quand ils devaient faire des choix de solutions technologiques.
On s’est appuyés sur ce catalogue-là, on a travaillé et on a surtout beaucoup fait de pédagogie auprès des instances et des différentes gouvernances des membres de ce comité stratégique pour expliquer pourquoi on faisait les choix des logiciels libres, pourquoi ces choix étaient pérennes, pourquoi ils allaient dans le bon sens, pourquoi c’était évident dans le contexte enseignement supérieur et recherche. On n’a même pas eu besoin de dire que c’était dans le sens de la loi et que c’était quasiment une obligation, on a réussi à convaincre ces gouvernances que les futures solutions logicielles développées par l’Amue utiliseraient des solutions du Libre.
C’était déjà une première orientation. Je vais citer, par exemple, des bases de données type PostGR, du MongoDB avec mongosql, en Java ou Angular, etc. Donc nous avons fait un certain nombre de choix de technologies libres pour nos solutions.
Nous sommes allés plus loin et nous avons dit « tel que c’est écrit dans la loi, tel que c’est bénéfique pour la fonction publique au sens large, l’enseignement supérieur et la recherche en particulier, ouvrons le code logiciel de nos solutions quand nos solutions auront commencé à être développées ». On a fait un choix qui était important, qui a été validé par ces comités, de dire « les futures solutions auront un code logiciel ouvert ».
On a laissé les projets démarrer en s’assurant que les choix qui ont été faits avec des collègues étaient bons en termes de technologie, en termes d’architecture, en termes de méthodologie, et quand le code a commencé à naître on s’est dit qu’il allait falloir choisir les licences pour ces solutions logicielles. À l’Amue on n’avait pas les compétences pour faire les bons choix de licences, donc on a constitué un groupe de travail avec des personnes formidables dont je vais citer les noms. Je vais citer Bastien Guerry de la DINUM [Direction interministérielle du numérique], je vais citer Pascal Kuczynski de l’ADULLACT [Association des Développeurs et Utilisateurs de Logiciels Libres pour les Administrations et les Collectivités Territoriales], François Élie et Jean-Yves Jeannas de l’AFUL [Association Francophone des Utilisateurs de Logiciels Libres] et Nicolas Khan de ESUP, qui nous ont accompagnés, qui ont accompagné l’Amue à la fois dans ce changement de paradigme de dire on va ouvrir le code de nos solutions et après, plus pragmatiquement, de manière plus précise, sur le choix des licences par projet.
On a travaillé avec ce groupe qui a fait de la sensibilisation en interne à l’Amue, auprès du comité de direction de l’Amue, auprès des équipes projets. On a fait des explications du pourquoi on allait dans cette voie-là, pourquoi c’était pertinent, quelles étaient les incidences que ça allait avoir peut-être sur notre modèle économique, sur la responsabilité des uns et des autres, sur le travail quotidien des équipes projets. Une fois qu’on a fait ce travail de sensibilisation, on a pu, avec ce groupe d’experts, choisir les licences, en tout cas la première licence qui a été choisie pour le nouveau projet de gestion de scolarité et de vie d’étudiant qui s’appelle Pégase, on a fait le choix d’une GNU Affero GPL pour les composants fonctionnels de cette solution.
À partir de là, sur cette période 2015/2020, on a commencé à vraiment rentrer dans le vif de « l’Amue utilise des solutions logicielles libres pour fabriquer, ouvre le code de ses solutions ». Maintenant on est en train de programmer des études d’ouverture du code des 15 autres solutions logicielles de l’Amue. En deux mots, pour faire cela, on a mis au point un outil méthodologique qu’on appelle VersLeLibre, qui est évidemment lui-même ouvert comme solution, documenté, qui fait une sorte d’auto-diagnostic auprès d’une équipe projet pour qu’elle s’interroge sur l’incidence des gains et des inquiétudes qu’elle peut avoir d’ouvrir le code logiciel de ses solutions. À partir de ces auto-diagnostics ça va nous donner une feuille de route, un grand planning pour dire en telle année et telle année on ouvrira le code logiciel de telle et telle solution.

Étienne Gonnu : Merci pour cette passionnante introduction sur le sujet. Je me rends compte qu’on entend dans votre voix, peut-être que je me trompe, cette passion, on a l’impression que vous êtes vraiment très enthousiaste dans cette démarche qui a maintenant à peu près cinq/six ans. Est-ce que pour vous, en termes de travail à l’Amue, cette décision a changé quelque chose de se tourner vers plus de libre ?

David Rongeat : Oui. Je vais saluer un collègue, Olivier Ziller, qui est à l’université de Lorraine et qui était le copilote du groupe de travail sur les choix d’architecture technologique. À la première réunion qu’on a faite tous les deux, on a pris un paper board, une grande feuille blanche et on a dit qu’est-ce de qu’on met ? Quels sont les outils de méthodologie, les architectures, les solutions logicielles, etc. ? Puis on a discuté, justement, sur l’histoire numérique de l’Amue, les choix technologiques qui ont été faits, Oracle, SAP, des solutions propriétaires dans lesquelles j’étais personnellement impliqué depuis longtemps, j’étais administrateur de bases de données, développeur sur des solutions Oracle dans les années 90/2000. On a discuté de cela et Olivier a apporté cette logique que je connaissais déjà bien, mais qui n’était pas naturelle, de dire « il faudrait qu’on aille vers des solutions du Libre ». On a dit : « OK, partons dans cette voie-là ». On s’est, entre guillemets, « challengés » l’un et l’autre pour aller dans cette direction, choisir des architectures et des solutions et après monter un groupe de travail où on a partagé avec des collègues pour pouvoir faire ces choix-là. Je dirais que c’est né dans cette réflexion partagée avec d’autres, ce n’est pas uniquement moi ou uniquement Olivier qui avons porté cette voie-là. Stéphane Athanase, le directeur de l’Amue, a beaucoup porté cette direction aussi, d’autres collègues ont soutenu. Il y a eu des moments un petit peu difficiles quand on devait expliquer pourquoi on allait ouvrir les solutions, pourquoi ça n’allait pas casser le modèle économique de l’Amue, etc., mais grâce aux arguments qu’on avait, grâce au groupe de travail qui nous a accompagnés, tout ceci s’est très bien passé.
En tant que personnel d’un établissement public, en tant que citoyen, je trouve que c’est la meilleure des directions d’optimisation de la dépense publique, le meilleur choix de souveraineté numérique, on en parle beaucoup, que d’aller dans cette direction d’utiliser des solutions libres et d’ouvrir le code de nos solutions, au-delà du fait que c’est obligatoire d’ouvrir le code. On n’est pas du tout dans la démarche de le faire parce que c’est obligatoire, c’est vraiment un choix stratégique de l’Amue.

Étienne Gonnu : On rappelle que c’est effectivement obligatoire, puisque le code informatique est un document administratif et que les administrations doivent ouvrir leurs documents administratifs, les communiquer lorsqu’ils lui sont demandés et, par la suite, les rendre publiquement accessibles.
Vous avez mentionné beaucoup de choses et je trouve que c’est intéressant. Vous avez parlé de l’outil VersleLibre puisque vous devez ouvrir, en tout cas vous avez fait le choix d’ouvrir les logiciels existants. Est-ce que vous souhaitez nous en parler un peu plus ? Quelle a été la genèse de ce document, pourquoi a-t-il été créé et est-ce qu’il diffuse notamment auprès des universités ?

David Rongeat : D’abord on s’est dit que pour que les équipes projets rentrent dans une logique d’ouverture de leur code il faut qu’on puisse poser un certain nombre de questions et avoir une sorte de diagnostic. On s’est dit on va leur poser un certain nombre de questions. Au début on voulait faire des interviews et puis on s’est dit que si on faisait des interviews ça allait être très long, ça allait être très compliqué. Donc on a mis au point un petit questionnaire sous forme de tableur, pas plus compliqué que cela, à la fois des environnements technologiques utilisés, qui sont des éléments qui facilitent ou qui rendent un peu plus difficile l’ouverture du code ; le cycle de vie du projet, c’est plus facile de décider de mettre une licence libre sur un projet où on a 10 lignes de code que sur un projet qui a 20 ans ; les communautés autour des technologies choisies, c’est plus facile d’ouvrir du code et de trouver une communauté sur des technologies actuelles pour lesquelles il y a beaucoup de développeurs que sur quelque chose d’un peu, entre guillemets, « ésotérique » ou sur un choix qui a été fait il y a 20 ans et il n’y a plus beaucoup de développeurs qui travaillent dessus ; les conséquences que ça pouvait avoir dans l’équipe projet, etc. On a identifié 10 à 15 questions de cette nature-là. On a demandé à chacune des équipes projets de répondre à ces différentes questions et ça a donné des graphes, des sortes de toiles d’araignée qui montrent, avec une surface, si la solution et l’équipe projet étaient plus ou moins prêtes et s’il y avait plus ou moins de conséquences importantes d’ouvrir le code. Une fois qu’on a mis toutes ces analyses bout à bout, ça nous a permis de faire une analyse et de dire « voilà l’ordonnancement qui nous semble le plus pertinent ». On ne l’a pas fait de manière mécanique, c’est un outil d’aide à la décision sur lequel on s’est appuyés pour décider. À des moments on allait au-delà des notations faites par les uns et les autres parce qu’il y avait des éléments évidents de report d’ouverture d’un code logiciel : quand on est en train de faire une grosse migration d’une solution, de changer des technologies à l’intérieur, ce n’est pas la peine de choisir la licence aujourd’hui. Faisons la migration et, une fois la migration faite, on fera le choix de la licence à associer parce que les évolutions technologiques vont peut-être contraindre le choix de la licence.

Étienne Gonnu : Préciser qu’il n’y a pas besoin d’être un grand technicien pour comprendre ce document, il est assez facile et intéressant à lire, d’ailleurs on mettra le lien s’il est disponible. Y a-t-il eu un souci pour le rendre accessible à des personnes pas forcément initiées ? Quand on ne connaît pas l’envers du décor, il permet de mieux comprendre les questions qui se posent et comment on opère ses choix.

David Rongeat : Je dirais que c’est aussi grâce à Bertrand Mocquet, mon collègue enseignant-chercheur, qu’on a pu réaliser la sorte de tour de magie : il a réussi à vulgariser des éléments qu’un informaticien aurait pu rendre un peu plus complexes. On a mélangé nos deux connaissances, nos deux compétences, pour essayer de faire quelque chose de buvable et pas quelque chose de trop compliqué en termes de rédaction et en termes d’analyse. À partir du moment où l’a fait pour l’Amue, on s’est dit que d’autres établissements publics ou d’autres entreprises peuvent se poser la question, donc ouvrons-le puisque c’est complètement dans la logique. C’est un outil méthodologique autour de l’ouverture du code, il était évident pour nous de le partager. Donc on a écrit ce document pour que ça soit le plus pédagogique possible, le plus facile à lire, et que ça ne soit pas à destination des techniciens forcément ; une direction numérique d’un établissement peut le prendre, le donner à une équipe, le faire adapter et puis faire des auto-diagnostics sur ce sujet.

Étienne Gonnu : Puisque qu’on parle des publications de l’Amue, je vous propose d’évoquer un peu La collection numérique que vous avez présentée sommairement en introduction. Notamment le numéro 13 qui s’appelle « Vive le Numérique libre », qui sont aussi des documents très accessibles et faciles à lire, notamment, je trouve, dans la manière dont ils sont découpés : même si certains sont des gros documents, on peut aller choisir les thématiques spécifiques qui nous intéressent. Quelles sont les cibles de ces publications ? À quoi servent-elles ? « Vive le Numérique libre » date de février 2021, ce qui témoigne aussi de l’engagement vers le logiciel libre. Quel a été la motivation de faire ces documents ?

David Rongeat : Notre équipe fait de la veille prospective, de la veille prospective pour la direction de l’Amue. C’est obligatoire dans toute entreprise de voir un petit peu quelles sont les directions, les stratégies à prendre, les évolutions technologiques, les évolutions d’usage. On s’est dit qu’on est dans la communauté enseignement supérieur et recherche, donc il faut qu’on publie ce qu’on fait. À partir du moment où on a décidé que nos travaux de veille devaient être publiés, on a mis au point cette Collection numérique. Certains parlent d’un magazine du numérique puisque c’est thématisé, tous les deux mois il y a un sujet du numérique universitaire qui est traité. On s’est dit aussi, toujours dans la même genèse du fonctionnement de l’Amue, que ce n’est pas l’Amue qui va écrire à ses adhérents pour dire « voilà ce qu’il faut penser sur tel ou tel sujet », ça n‘aurait aucun sens. On a commencé à faire rédiger des points de vue différents par des établissements, des expériences, des témoignages sur les thèmes qu’on traite. Ce sont donc les établissements qui rédigent une bonne partie des articles qui sont dans chacun des numéros de La collection numérique. Du côté de l’Amue je suis corédacteur en chef avec Bertrand Mocquet, sous la direction de Stéphane Athanase notre directeur, on fait un sommaire de l’ensemble de ce qui nous semble intéressant comme questions à poser sur un sujet donné et on met en face de chacun des sujets ce qu’on a vu dans notre veille qui peuvent être les personnes les plus pertinentes pour porter un témoignage, un retour d’expérience, un point de vue sur chacun des sujets.
Donc on va traiter à la fois de technologies, on a fait des numéros sur les chatbots, de société, on fait un numéro sur la place des femmes dans le numérique, d’open source, d’open data, des stratégies de données, le cloud, quelle est la situation du cloud dans l’enseignement supérieur et la recherche.
Notre lectorat, nos cibles sont le monde universitaire au sens large, tout informaticien ou personne qui s’intéresse au numérique pour avoir un point de vue sur le numérique universitaire. On essaye surtout de faire de la sensibilisation auprès des gouvernances d’établissements. C’est pour ça qu’on essaye d’avoir des articles les plus accessibles possible pour que nos collègues des gouvernances d’établissements puissent, en quelques lectures d’articles, savoir ce qu’est un chatbot, quelles sont les problématiques de cloud, qu’est-ce que le numérique des bibliothèques universitaires qui est le dernier numéro qui est sorti, ou le prochain, qu’est-ce qu’un schéma directeur du numérique et une stratégie numérique dans un établissement d’enseignement supérieur, qu’on est en train de co-écrire avec des établissements.
Notre objectif c’est de faire de la sensibilisation pour les sujets qui nous semblent importants pour le futur, pour que les gouvernances d’établissements soient déjà sensibilisées à ces thèmes, aient lu des articles de vulgarisation, des points de vue différents, des témoignages d’experts, et voient aussi quels sont les réseaux qui sont autour du sujet. Souvent on va au-delà de notre cercle enseignement supérieur et recherche et on va soit auprès d’État soit auprès d’entreprises privées qui viennent témoigner de solutions, de points de vue, de technologies ou de méthodologies autour du numérique.

Étienne Gonnu : D’accord. Vous avez aussi parlé un peu plus tôt d’un lien, j’ai l’impression, avec les communautés du logiciel libre. Est-ce que c’est quelque chose que vous recherchez, que vous entretenez ? C’est ponctuel ? Comme ça se passe ? On sait que le logiciel libre fonctionne beaucoup autour de communautés qui se construisent autour de différents projets libres qui existent.

David Rongeat : Notre petite « communauté », entre guillemets, c’est l’équipe du nouveau projet de gestion de scolarité, formation - vie de l’étudiant, qui s’appelle le projet PC-Scol Pégase. On a un réseau de quatre établissements qui sont des établissements qui développent la solution ; on le fait en coconstruction jusqu’au code. Ce sont des ingénieurs dans les équipes de ces universités-là qui développent et eux ont leur propre communauté de développement.
Deuxième chose, on est en lien avec des associations de professionnels qui, elles aussi, sont des communautés de pratique, des communautés d’experts ou des communautés de développeurs, on dialogue avec elles.
Plus récemment on a confirmé un partenariat avec l’ADULLACT, une association qui porte le logiciel libre particulièrement dans le domaine de territoriale, donc auprès des opérateurs de la territoriale, les régions, les départements, les communes, les communautés de communes. L’ADULLACT, qui était dans notre groupe d’experts pour faire les choix de licences, opère aujourd’hui une solution de l’État qui s’appelle Démarches Simplifiées pour les établissements d’enseignement supérieur et de recherche. Donc ce sont les équipes de l’ADULLACT qui gèrent cette solution open source, avec leurs compétences, pour les établissements d’enseignement supérieur et de recherche qui sont adhérents de l’Amue. Nous sommes aussi rentrés dans un mécanisme où nous sommes allés chercher des partenaires associatifs, du monde du Libre, pour porter des solutions et exploiter des solutions au titre de l’Amue pour nos adhérents.

Étienne Gonnu : Est-ce que, dans la continuité de ces réflexions, il y a aussi la réflexion de la contribution ? On sait que c’est important d’utiliser du logiciel libre, mais aussi d’y contribuer. Est-ce que l’Amue s’inscrit dans cette démarche ?

David Rongeat : Oui. En ouvrant notre code logiciel nous allons inciter les établissements à contribuer aux solutions en maintenance, en construction ou en coconstruction comme on le fait aujourd’hui sur les nouvelles solutions.
Ce n‘est pas toujours aisé quand une équipe projets a l’habitude d’avoir, entre guillemets, « une seule ligne de dev », mais nous sommes justement en train de réfléchir au sein de chacun de projets pour ouvrir, le terme technique c’est ouvrir des forges, pour que certains puissent venir apporter des contributions soit en correction soit en évolution, des modules complémentaires à nos solutions logicielles.
Quand je reprends nos réflexions des années 2015/2016 sur notre stratégie de coconstruction, de développement collaboratif sur base de solutions de logiciels libres, aujourd’hui il est prévu qu’on puisse ajouter au nouveau projet de gestion de formation - vie d’étudiant, qui est en cours, un module qui a été développé par un autre établissement, s’il s’appuie sur la même technologie ce sera plus facile, qu’on puisse l’ajouter pour compléter la solution qui sera la solution commune à toutes les universités de France et de Navarre.

Étienne Gonnu : Vous avez parlé de forges, ce sont des plateformes de développement logiciel, des plateformes contributives, collaboratives, si on résume.
Vous avez parlé de l’ADULLACT que nous avions reçue dans Libre à vous ! émission 107. Vous avez également parlé d’autres membres du groupe d’experts, la DINUM, la Direction interministérielle du numérique, qui porte effectivement l’excellent Socle interministériel du logiciel libre. Nous avons également eu le plaisir de recevoir Bastien Guerry, que vous avez cité, à qui on passe le bonjour, dans Libre à vous ! 126. Deux émissions, deux sujets que vous pouvez retrouver en podcast ou en transcription.
Le temps avance. Il y a un sujet que je voulais voir avec vous. Fin 2021, le gouvernement a initié un plan d’action vers le logiciel libre et les communs numériques, je crois que c’est le terme. Le MESRI, le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation a publié une feuille de route dans ce cadre qui pousse résolument vers le logiciel libre, je crois même qu’il parle d’encourager la production et l’usage des logiciels libres, même d’y recourir de manière prioritaire presque, je crois, je n’ai plus la formulation exacte, elle m’échappe.

David Rongeat : C’est ça.

Étienne Gonnu : Est-ce que c’est intégré dans les fonctionnements de l’Amue ? Comment avez-vous reçu cette feuille de route qui est arrivée très récemment, je crois qu’elle date de 2022 ?

David Rongeat : Oui. C’est récent. Ce qui s’est passé, pour mémoire, il y a eu le rapport Bothorel. Monsieur Bothorel est un député qui a poussé les solutions, tout ce qui est autour de l’open data et de l’open source, qui a produit un rapport où il demande à l’État d’accélérer la transformation vers de l’open data et de l’open source. Tous les ministères se sont mis en ordre de marche, assez rapidement il faut le saluer, pour produire chacun sa feuille de route. Le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche a produit sa feuille de route – je salue Isabelle Blanc qui était en charge de cette politique des données, des algorithmes et des codes sources – dans laquelle on va retrouver des éléments importants pour ce qui nous concerne, on appelle ça l’open science, c’est tout ce qui concerne l’ouverture et des publications et des données de recherche ; c’est vraiment quelque chose qui est très important dans notre domaine, sur lequel les établissements sont en avance et c’est un sujet qui est vraiment bien porté au niveau des gouvernances des établissements.
Il y a deux autres sujets, l’open data et l’open source, qui sont peut-être moins maîtrisés par les présidents d’université, les gouvernances d’université, qui sont portés dans le cadre de cette politique. C’est bien une politique qui réaffirme, de manière très volontariste, l’ouverture du code et l’ouverture des données, qui parle beaucoup d’un sujet de sensibilisation et c’est un sujet qui me tient à cœur, c’est-à-dire qu’il ne faut pas que le sujet du logiciel libre demeure un sujet de spécialistes. Il faut que ça soit quelque chose qu’on arrive à expliquer aux gouvernances des établissements, qu’on arrive à expliquer aux citoyens pour que ça diffuse au maximum dans notre société.
Dans cette politique des données, des algorithmes et des codes sources du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation il y a justement ce portage à la sensibilisation, à l’ouverture, au soutien, même à des impératifs autour de ces sujets-là. C’est une feuille de route qu’on va suivre avec attention du côté de l’Amue et à laquelle on va essayer de participer dans la mesure de nos moyens.

Étienne Gonnu : En peu de mots parce que le temps file, je crois que vous vouliez également évoquer cette question de l’open data puisque l’Amue s’engage sur la question de l’open data. Si vous voulez nous en dire quelques mots.

David Rongeat : Oui. En 2019, on a publié sur le sujet un numéro de La collection numérique pour expliquer ce qu’est l’open data en faisant témoigner des associations spécialisées dans le domaine, Etalab du côté de la DINUM, en faisant témoigner des établissements qui ouvraient déjà des données de gestion. Dans notre environnement l’open science est quelque chose de connu et de maîtrisé, par contre, quand on parle d’ouverture des données, plus des données de gestion, c’est quelque chose qui est un petit peu moins prioritaire. On a fait un numéro sur l’open data dans La collection numérique et après on a poursuivi le sujet en essayant d’inciter les établissements à avancer dans ce domaine-là, en faisant, fin 2019 de mémoire, une journée de sensibilisation où on a porté auprès de nos adhérents le sujet de l’open data, porté l’intérêt de l’ouverture des données, de la réutilisation des données, des modèles économiques associés à l’ouverture des données, etc., pour pousser les établissements à avancer dans ce domaine-là. On a posé une graine, on commence à voir les premières pousses, parce que la période de confinement n’a pas été du tout propice à ce genre de sujet, les priorités étaient largement ailleurs, même si le fait que les données de santé aient été ouvertes ça nous a permis d’avoir aussi des outils pendant le confinement, pendant la crise du covid, des outils qui permettaient de faire facilement des réservations, d’avoir des informations, que les citoyens soient informés de la situation qui se passait ; l’open data y a beaucoup contribué.
Maintenant qu’on est dans une période de retour un peu plus nominale dans le fonctionnement des établissements, j’ai bon espoir que le sujet de l’open data, notamment aussi grâce à la feuille de route du ministère, va reprendre et qu’on va pouvoir voir apparaître des belles expériences en établissements.
Du côté de l’Amue nous avons été très humbles, nous avons ouvert trois jeux de données que nous avons posés sur le site data.gouv.fr, qui est le point de référencement où on peut poser ses données quand on est un opérateur public.

Étienne Gonnu : Notre sujet arrive à sa fin, il nous reste environ deux minutes. Quels seraient, pour vous, les points forts, les points importants à retenir de notre échange ?

David Rongeat : Je voulais dire que l’Amue, dans ce contexte, évolue dans un écosystème très favorable à l’ouverture, puisque la communauté de l’enseignement supérieur et de la recherche est, génétiquement j’allais dire, très dans cette logique de libre et de partage. C’est quelque chose qui nous aide beaucoup.
Pour l’Amue c’est une transformation qui est en cours, donc un vrai choix d’orientation qui est important et qui est pérennisé dans notre contrat avec l’État, qui est pérennisé dans notre stratégie, dans nos choix de solutions logicielles.
Un mot me tient à cœur, le commun, c’est tout ce que l’on doit faire en tant qu’agent public, en tant qu’opérateur public, tout doit être fait pour le bien commun et le logiciel libre fait partir de cette philosophie.
Peut-être, pour conclure, je vais reprendre le titre de La collection numérique, « Vive le Numérique libre ».

Étienne Gonnu : Très belle conclusion.
Merci beaucoup, David Rongeat, qui êtes responsable du numérique à l’Amue, l’Agence de mutualisation des universités et des établissements de l’enseignement supérieur et de la recherche. Merci d’avoir passé ce temps avec nous. Je vous souhaite une très bonne fin de journée.

David Rongeat : C’était un plaisir. Merci.

Étienne Gonnu : Nous allons faire une pause musicale.

[Virgule musicale]

Étienne Gonnu : Je vous propose un petit quiz pour notre prochaine pause musicale : à votre avis d’où est originaire le groupe ? Petit indice dans son nom. Nous allons écouter Peau Rouge par Les Gueules Noires. On se retrouve dans trois minutes. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : Peau Rouge par Les Gueules Noires.

Voix off : Cause Commune, 93.1.

Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter Peau Rouge par Les Gueules Noires, disponible sous licence libre Creative Commons Attribution. Un groupe, ainsi que le laisse deviner son nom, qui vient du Nord de la France, plus précisément de Lille si on en croit sa page sur le site Bandcamp.

[Jingle]

Étienne Gonnu : Je suis Étienne Gonnu de l’April. Nous allons passer au sujet suivant.

[Virgule musicale]

Interview de Stéfane Fermigier, auteur d’une proposition d’évaluation des dépenses de logiciels de l’État que l’April appelle à soutenir

Étienne Gonnu : Nous allons poursuivre avec notre dernier sujet et pour cela je reçois Stéfane Fermigier, coprésident du CNLL et fondateur d’Abilian une entreprise qui édite du logiciel libre. Nous le recevons pour échanger avec lui sur sa proposition d’évaluation des logiciels de l’État.
Bonjour Stéfane.

Stéfane Fermigier : Bonjour Étienne.

Étienne Gonnu : Avant de parler de tout cela, est-ce que tu pourrais te présenter s’il te plaît ?

Stéfane Fermigier : Je suis Stéfane Fermigier, utilisateur de logiciel libre depuis à peu près la fin des années 80, on va dire 1990, activiste du logiciel libre depuis 1998 et la fondation de l’AFUL, une première association, et puis entrepreneur dans le domaine du logiciel libre depuis l’année 2000. J’ai fondé deux entreprises Nuxeo et Abilian et aussi plusieurs associations dont l’AFUL [Association Francophone des Utilisateurs de Logiciels Libres], le CNLL [Union des entreprises du logiciel libre et du numérique ouvert], l’APELL [Association Professionnelle Européenne du Logiciel Libre], Euclidia, et même cofondé l’ADULLACT [Association des Développeurs et Utilisateurs de Logiciels Libres pour les Administrations et les Collectivités Territoriales] dont il était question tout à l’heure.

Étienne Gonnu : Beaucoup d’acronymes. Les personnes que ça intéresse pourront facilement les retrouver, on les référencera sur la page de l’émission. Le CNLL est une association importante dans l’écosystème du logiciel libre, pour la promotion du logiciel libre. Est-ce que tu souhaites nous en dire deux mots ?

Stéfane Fermigier : Le CNLL, qui a été fondé en 2010, visait à fédérer les associations locales d’entreprises du logiciel libre, ce qu’on appelle les clusters, et à représenter les entreprises de la filière du logiciel libre en France. On représente à peu près 300 entreprises à l’heure actuelle, réparties sur à peu près la moitié des régions françaises. On publie régulièrement des études - on en fait à peu près une par an qui donne, on pense, une image assez précise du marché soit français soit européen du logiciel libre. Et puis on intervient dans le débat public. J’ai notamment été auditionné en 2020 par le député Éric Bothorel, dont on a parlé tout à l’heure, et aussi l’an dernier par Philippe Latombe, un député qui a fait une mission d’étude parlementaire sur la souveraineté numérique et c’est à cette occasion que j’ai pu mettre sur la table la proposition dont on va discuter aujourd’hui.

Étienne Gonnu : Le député Latombe qui a produit un rapport extrêmement intéressant, de très grande qualité, qui appelle notamment à systématiser le recours au logiciel libre.
Nous t’avons proposé de participer à Libre à vous ! pour parler d’une proposition que tu as faite dans le cadre d’une consultation publique ouverte par la Cour des comptes, ouverte jusqu’au 20 mai. Une proposition d’évaluation des dépenses de logiciels et services en ligne des administrations centrales, une proposition que l’April appelle à soutenir.
Je vous propose de très rapidement rappeler ce cadre, préciser ce cadre avant de discuter du fond du sujet et pourquoi tu as fait cette proposition, tu nous en diras deux mots.
On peut déjà rappeler que la Cour des comptes est une juridiction financière dont la principale mission est de contrôler la régularité des comptes publics. Elle remet aussi des rapports non contraignants pour partager ses observations et recommandations et éclairer ainsi la conduite des politiques publiques. D’ailleurs, dans son rapport public annuel de 2018, elle avait appelé à amplifier la stratégie conduite à l’époque par la Direction interministérielle du numérique pour une meilleure contribution au logiciel libre notamment.
Donc la Cour des comptes, pour la première fois, a décidé d’ouvrir une consultation publique pour que l’on puisse lui proposer des thématiques sur lesquelles elle pourrait se pencher. Elle a indiqué qu’elle sélectionnerait six thèmes à la fin de son exercice en précisant les critères sur lesquels elle s’appuiera.
Donc une consultation ouverte jusqu’au 20 mai, je le rappelle pour inviter les personnes qui nous écoutent à soutenir notamment la proposition de Stéfane Fermigier, une plateforme basée sur le logiciel libre Decidim, c’est quand même important aussi de le souligner.
Stéfane, en quoi consiste ta proposition et pourquoi est-elle importante ?

Stéfane Fermigier : En quoi elle consiste c’est tout simple ! C’est demander à la Cour des comptes de faire une sorte d’audit des dépenses de l’État, et peut-être même de toutes les administrations sur lesquelles elle a une juridiction, en matière de logiciels. On peut imaginer que ces dépenses vont se répartir suivant plusieurs axes : on va avoir du logiciel libre et du logiciel moins libre pour ne pas dire propriétaire, on va avoir du cloud éventuellement, on va avoir du service et puis des licences, des droits qui sont payés à des éditeurs.
Il va y avoir une multiplicité, sans doute aussi, de business modèles.
On va aussi avoir, peut-être, une variation en fonction de la taille des fournisseurs, des TPE – peut-être, on l’espère – des PME, des grands groupes et puis des fournisseurs français, des fournisseurs européens et certainement aussi, et malheureusement, beaucoup de fournisseurs nord-américains.
C’est vrai qu’il y a un enjeu politique derrière ce simple exercice de comptabilité qui est de mettre en lumière quelque chose dont on parle de plus en plus sur le plan politique, sur lequel on continue à avoir des inquiétudes, qui est la mainmise de ce qu’on appelle les GAFAM ou les hyperscalers sur, un peu, l’ensemble de l’économie et de l’administration française avec des annonces régulières de tel ou tel ministère ou de tel ou tel grand groupe français qui va utiliser les solutions d’un de ces GAFAM.
Le premier enjeu est simplement un enjeu de chiffrage et peut-être de faire prendre conscience, encore plus que maintenant, des périls qu’il peut y avoir à continuer sur une trajectoire de « gafamisation » de notre administration.

Étienne Gonnu : Du coup, c’est une proposition qui se veut une approche par une évaluation globale et pas seulement centrée sur le Libre.

Stéfane Fermigier : Il y a un enjeu qui est lié, qui n’est pas 100 % aligné avec le Libre, qui est l’enjeu de souveraineté, c’est le mot qu’on utilise, certains parlent aussi d’autonomie stratégique dans le domaine du numérique. Cette souveraineté numérique, qui est à la fois un élément d’inquiétude et de débat politique, a donné lieu notamment à ce fameux rapport Latombe dont, je précise, nous approuvons complètement les conclusions. Nous sommes vraiment très alignés avec les conclusions et les déclarations du député Philippe Latombe.
Si cet audit, cette enquête de la Cour des comptes est déclenchée in fine – et on peut penser qu’elle a des chances de l’être puisque notre proposition est à l’heure actuelle la troisième la plus populaire dans la consultation publique qui a été lancée – il y aura ces données chiffrées et on souhaite, on peut espérer que la Cour des comptes fera des observations et des recommandations et que ces recommandations pourront aussi aller dans le sens d’une plus grande utilisation du logiciel libre dans l’administration.

Étienne Gonnu : Tout à fait, D’autant plus qu’elle a déjà montré sa sensibilité sur le sujet.
Puisque nous avons le plaisir d’échanger avec toi, de ta perspective d’entrepreneur du logiciel libre, quels seraient, pour toi, des exemples de pistes pour amplifier, justement, le recours au Libre dans le secteur public ?

Stéfane Fermigier : Il y en a plusieurs, évidemment, de nombreuses pistes. Depuis de nombreuses années le CNLL, et bien sûr l’April, l’AFUL, l’ADULLACT et d’autres associations, sont actives depuis plus de 20 ans et ont fait de nombreuses recommandations.
On peut rappeler, et tu l’as fait tout à l’heure, qu’il existe la loi Lemaire qui demande à ce que les administrations encouragent à l’utilisation des logiciels libres et on a remarqué qu’entre 2016, l’année où cette loi a été promulguée, et je dirais peut-être l’an dernier, il ne s’est pas passé grand-chose au niveau de l’administration. Il y a eu une sorte de surplace, peut-être même de recul sur certains sujets. L’an dernier, heureusement, suite au rapport Bothorel et à une circulaire Castex, il y a eu la création de la mission logiciels libres avec Bastien Guerry à sa tête, que tu as nommé aussi tout à l’heure, et là on peut penser que les choses vont repartir avec des ministères qui sont clairement en avance, on a cité le MESRI, le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation. L’intérêt de faire faire cet audit par la Cour des comptes, c’est qu’on verrait un peu quels sont les ministères qui sont plutôt en avance et qui pourraient servir, entre guillemets, de « premiers de cordée » pour les ministères qui, eux, seraient plutôt à la traîne en matière de transition vers le numérique libre et ouvert.

Étienne Gonnu : Qui pourraient notamment aider un nouveau gouvernement, bientôt, à se former.

Stéfane Fermigier : Oui. Peut-être, quand même, la Déclaration de Strasbourg qui est importante, une déclaration qui a été signée par la ministre Amélie de Montchalin et ses 27 homologues européens, qui reconnaît le rôle des logiciels libres dans la transformation numérique des administrations publiques, qui dit qu’il faut tirer parti dulogiciel libre et qui parle aussi d’une redistribution équitable de la valeur crée par les solutions libres. Pour nous, entrepreneurs du logiciel libre, c’est évidemment un élément nouveau dans le discours qu’on entend du côté de l’administration et du gouvernement qui est que sans un écosystème très riche d’entreprises qui vont faire de l’édition de logiciel libre ou, par exemple, du service autour du logiciel libre, cette transition numérique des administrations ne pourra pas se faire dans de bonnes conditions.

Étienne Gonnu : Effectivement. Un document important de mars 2022, une déclaration commune aux 27 États membres, ce qui n’est pas rien, et qui pose des bases intéressantes dans la perspective que tu évoques.
Merci beaucoup Stéfane Fermigier. Le temps a passé effectivement très vite. En tout cas merci pour cette proposition que nous vous appelons à soutenir, on vous donnera bien sûr le lien, une proposition pour évaluer les dépenses de logiciels au sein de l’État. Notons qu’il faut s’inscrire mais que l’inscription est très peu gourmande en données personnelles, elle ne demande qu’une adresse courriel, c’est plutôt logique par rapport aux besoins. Merci beaucoup Stéfane. Je te souhaite une très bonne fin de journée.

Stéfane Fermigier : Merci beaucoup Étienne.

Étienne Gonnu : Je vous propose de passer aux annonces de fin d’émission.

[Virgule musicale]

Quoi de Libre ? Actualités et annonces concernant l’April et le monde du Libre

Étienne Gonnu : La quatorzième édition des Journées RÉSeaux de l’enseignement et de la recherche, qui devait initialement se tenir en 2021, a été reportée pour cause de covid et aura finalement lieu la semaine prochaine, du 17 au 20 mai 2022 à Marseille. L’April y tiendra un stand dans le village associatif et Eda Nano, administratrice de l’April, interviendra avec Olivier Langella et Filippo Rusconi dans la conférence « Logiciels libres : à la recherche du bien commun », mercredi 18 mai.
L’April fêtait ses 25 ans fin 2021. La situation sanitaire ne nous a pas permis, malheureusement, d’organiser une fête comme il se devait pour marquer le coup, ni d’inviter les membres à organiser des soirées en région. Néanmoins il nous semble important de quand même marquer ce coup. Nous avons pensé à un format plus adapté au contexte, qui permet notamment à tout membre de participer de manière paisible, sécurisée et qui reste agréable par beau temps, le pique-nique. L’April va organiser un pique-nique en région parisienne, un sondage est d’ailleurs ouvert pour en fixer la date. Nous appelons toutes les bonnes volontés à faire de même partout ailleurs en France. Plus d’informations sur la page de l’émission.
Et comme d’habitude, retrouvez les associations libristes près de chez vous et les événements organisés près de chez vous sur le site agendadulibre.org.

Notre émission se termine.

Je remercie les personnes qui ont participé à l’émission : Isabelle Carrère, David Rongeat et Stéfane Fermigier.
Aux manettes de la régie aujourd’hui, il manie le potard [Potentiomètre, NdT] avec autant de talent qu’il anime Libre à vous !, mon collègue Frédéric Couchet.
Merci également aux personnes qui s’occupent de la post-production des podcasts : Samuel Aubert, Élodie Déniel-Girodon, Lang1, bénévoles à l’April, ainsi qu’Olivier Grieco, le directeur d’antenne de la radio.
Merci aussi à Quentin Gibeaux, bénévole à l’April, qui découpera le podcast complet en podcasts individuels par sujet.

Vous trouverez sur notre site web, libreavous.org, toutes les références utiles, et nous en avons cité beaucoup aujourd’hui, ainsi que sur le site de la radio, causecommune.fm.
N’hésitez pas à nous faire des retours pour indiquer ce qui vous a plu mais aussi des points d’amélioration. Vous pouvez également nous poser toute question et nous y répondons directement ou lors d’une prochaine émission. Toutes vos remarques et questions sont les bienvenues à l’adresse contact chez libreavous.org. Comme vous avez pu l’entendre d’Isabelle, dans sa chronique, nous transmettons effectivement vos mots d’encouragement et cela fait vraiment plaisir parce que ce qui est difficile à la radio c’est qu’on ne voit pas à qui on parle, on ne sait pas comment c’est reçu. Tous ces mots nous font vraiment chaud au cœur, envoyez-nous en plein, on les lit toujours avec attention.

Nous vous remercions d’avoir écouté l’émission. Si vous avez aimé cette émission, n’hésitez pas à en parler le plus possible autour de vous et à faire connaître également la radio Cause Commune, la voix des possibles.

La prochaine émission aura lieu en direct mardi 17 mai 2022 à 15 heures 30. Notre sujet principal portera sur les communs numériques, un passionnant et très vaste sujet qu’Isabelle mentionnait justement tout à l’heure et qui s’inscrit visiblement dans les intentions du gouvernement affichées dans son plan d’action. Nous verrons ce que cela donnera, en tout cas un sujet sur les communs numériques qui sera animé par Laurent Costy, chroniqueur de Libre à vous !,aux côtés de Sébastien Broca et Claire Brossaud.

Je vous souhaite une très belle fin de journée. On se retrouve en direct le 17 mai et d’ici là, portez-vous bien.

Générique de fin d’émission : Wesh Tone par Realaze.