Louis Derrac : Comme ça a un petit peu tourné depuis tout à l’heure, même si on n’est pas nombreux, je vais refaire ma petite étude, levez la main ou pas : qui parmi vous est à l’aise, très à l’aise, avec la distinction Libre et open source ? Plus que tout l’heure. En fait seuls les libristes sont restés ! D’accord ! Si vous étiez là tout à l’heure, je ne vous pose pas les autres questions.
Public : Il faut donner la réponse maintenant !
Louis Derrac : J’allais la donner sur cette introduction. Je redonne l’intitulé de cette table ronde « Logiciels et ressources éducatives libres à l’université : où en sommes-nous ? ». C’est vrai que je me suis un peu senti obligé d’introduire la table ronde en revenant, de manière peut-être un peu trop hasardeuse, sur l’histoire de l’informatique et du numérique, parce que, sans entrer dans les détails et puissent les experts me pardonner si c’est un peu trop simplifié, les liens entre l’informatique, la création de l’informatique, l’avènement du numérique et le monde universitaire et de la recherche sont quand même évidents, il faut le rappeler. Ce sont quand même bien, à la base, des universitaires, avec les militaires, qui ont utilisé les premiers supers ordinateurs, c’étaient deux besoins. Peut-être que Colin me corrigera un peu plus tard sur cette partie, mais globalement, si on veut simplifier, c’était dans le monde de la recherche et dans le monde universitaire qu’on avait besoin de puissance de calcul. C’est aussi dans le monde universitaire que se sont créés, collectivement, la plupart des différents réseaux d’Internet basés à chaque fois sur des briques qui étaient, à l’époque, libres et open source, pareil pour le Web créé au CERN [Conseil européen pour la recherche nucléaire] en Europe. Ce qui est intéressant quand on se souvient un peu de cette histoire, c’est vrai qu’à cette époque, jusqu’aux années 80 à peu près, le Libre et l’open source surtout, du coup, l’open source — et ça m’amènera à dire la différence entre les deux — étaient « by design », entre guillemets. À l’époque les gens créaient collectivement Internet, codaient les premiers ordinateurs et, en fait, le système propriétaire n’existait propriétaire. C’est intéressant de rappeler cette histoire parce qu’on s’était dit que dans les valeurs, et c’est un peu pareil avec les tables rondes précédentes, il y a des liens très forts et très évidents entre le monde de l’éducation au sens large et, à fortiori, le monde de l’enseignement supérieur et de la recherche avec le logiciel libre et open source.
Pour vous répondre, pour simplifier, le logiciel libre c’est le logiciel open source plus la vision politique. Le logiciel open source c’est la version très technique où on optimise, en tout cas on pense que c’est une manière optimale de développer en ayant une communauté, moins de bugs, plus de mutualisation. Le Libre c’est une vision plus militante, plus politique qui est de dire qu’on a besoin de comprendre le système qu’on utilise.
Si on va dans le détail des liens qu’il y avait avec le monde universitaire, ce serait effectivement un petit plus compliqué.
Voilà pour cette introduction. C’est vrai que quand on a eu notre temps de préparation on a commencé par se dire que les liens entre le monde universitaire et le Libre sont anciens. On verra qu’ils sont quand même assez forts.
Je vous propose qu’on rentre directement dans le sujet déjà en dressant un peu le tableau de la situation : ce qui a été fait ? Où on en est ? D’abord, peut-être pour notre salle, juste nous mettre d’accord sur quelques définitions parce que, au-delà de la question open source et Libre, il y en a quand même quelques autres. Ça me permettra aussi de vous présenter.
Colin de la Higuera, tu enseignes à l’université de Nantes, cofondateur du projet Class’Code [1] et tu diriges la chaire UNESCO IA et REL [2]. Peux-tu nous dire ce qu’est une REL ?
Colin de la Higuera : Ouf ! J’ai une question qui me va, parce que sinon, sur les autres questions pour lesquelles tu t’adressais à moi comme si je savais, en fait tu t’adressais à moi surtout parce que j’ai plus de cheveux blancs que les autres !
Sur les REL, je reprends en fait la même chose que celle que tu viens de dire.
Louis Derrac : Je précise juste, Ressources éducatives libres.
Colin de la Higuera : Justement. On enlève le « source » et on a la différence entre « open » et « libre ».
Pour les REL, les ressources éducatives, c’est-à-dire ce qu’on fait quand on crée des cours, en fait moi j’aime bien faire la distinction de la manière simple suivante, c’est que c’est une question de point de vue. C’est-à-dire que quand je vais les utiliser, je veux être libre de les utiliser, c’est-à-dire je veux qu’on me donne des libertés. La liberté c’est la liberté de l’usage. « Open », en fait, c’est la manière de conférer ces libertés, c’est-à-dire que j’ouvre la ressource en tant qu’enseignant, en tant que créateur, de façon à dire explicitement à l’autre « tu as la liberté de le faire ». En fait les deux vont de pair. C’est-à-dire que la liberté de celui à qui il n’est pas dit explicitement que c’est ouvert est nécessairement affectée. Il peut probablement récupérer la ressource parce qu’elle est quand même quelque part sur Internet, il va la trouver, mais il ne peut plus en faire grand-chose. Il ne peut pas, par exemple, se mettre en visio devant ses élèves et l’utiliser puisque, finalement, on lui a pas dit qu’il allait pouvoir le faire. C’est essentiel de voir les deux ensemble, pas juste « j’utilise ce que je trouve » parce que ça c’est sympa. C’est vraiment l’autre effort qui est nécessaire, c’est-à-dire je dois donner cette liberté, c’est-à-dire je dois ouvrir et l’ouverture passe par un certain nombre de choses, en particulier par la question des licences. La meilleure manière de dire « oui tu as le droit de faire avec mon cours ce que tu as envie de faire en tant qu’enseignant » c’est de mettre une licence qui le dise explicitement.
Louis Derrac : Merci.
Je continue mon petit tour de table. Perrine de Coëtlogon, tu es chargée de mission blockchain et open education à la Direction de l’innovation pédagogique de l’université de Lille. Je sais que tu es aussi au board de l’Open Education Global. Est-ce que, de ton côté, tu peux nous réexpliquer ce qu’est l’éducation ouverte ou l’open education.
Perrine de Coëtlogon : Un petit mot sur Open Education Global [3]. Tu as rappelé que les chercheurs en informatique contribuaient naturellement tous ensemble à créer du code et c’est comme ça qu’il y a eu une telle accélération de l’informatique dans le monde. Au MIT Media Lab ils ont aussi eu l’idée, tout à fait à la fin des années 90, d’ouvrir leurs cours. Ça a créé un mouvement qui a fêté ses 20 ans l’année dernière, l’OpenCourseWare [4], mais qui était limité aux enseignants-chercheurs du MIT. Il fallait aller au-delà. Ils ont créé une association qui s’appelle Open Education Global, qui s’appelait jusqu’à en 2019 Open Education Consortium, qui est constituée de 230 membres dans le monde entier.
Louis Derrac : Des membres qui sont des universités ?
Perrine de Coëtlogon : Pas seulement des universités, des écoles aussi, des community colleges aussi dont on parle beaucoup aux États-Unis qui sont intermédiaires entre l’école et l’université.
C’est une association qui permet d’animer toute la communauté mondiale qui s’intéresse aux ressources éducatives libres, qui sont promues, depuis 2002, par l’UNESCO comme la façon vertueuse de donner accès à tous à l’éducation grâce aux contenus éducatifs mis sous licence libre et grâce à l’informatique qui permet de faire des copier-coller.
J’ai été élue en avril 2020, il y a deux ans, au board de cette association mondiale. Quand les membres du board se réunissent avec le directeur exécutif, Paul Stacey, on couvre 23 fuseaux horaires parce que ça va de Vancouver aux Îles Fidji. Le board a tourné, donc ça sera un peu moi, mais ça reste très international et j’ai été réélue, je l’ai appris par mail hier, à nouveau pour deux ans.
Louis Derrac : Ce sera intéressant, effectivement, de voir un peu ta vision sur ce qui se fait à l’échelle mondiale. On est d’accord que open education est un concept qui inclut, du coup, les ressources éducatives libres et les licences Creative Commons entre autres.
Perrine de Coëtlogon : Absolument. C’est ça C’est le pendant à l’open science, à l’open gov, à l’open data pour l’éducation. Quand on dit « éducation ouverte » en français, il y a toujours cette question : au-delà de libre, ouvert, gratuit, qu’est-ce que ça veut dire ? L’éducation ouverte ça fait penser – je suis en relation avec de nombreux libristes y compris du ministère l’Éducation nationale – à l’éducation dehors ou à l’éducation populaire. En fait, quand on parle d’open education, on est bien sur les contenus éducatifs et leur ouverture, puisqu’il y a une capacité énorme et intéressante à libérer l’éducation et à la rendre beaucoup plus accessible en travaillant sur les droits d’auteur. C’est vrai que je ne suis pas enseignante ni chercheuse, mais j’ai été avocate et je suis très intéressée par les questions de licence et de droit d’auteur.
Louis Derrac : Merci beaucoup.
Pour aller vers le bout de notre tour de table et terminer un peu sur les concepts, Élise et Bertrand ici vous êtes nos deux enseignants-chercheurs.
Élise Lavoué, tu es maître de conférences à l‘université Lyon 3, tu t’occupes, tu t’es occupée, on en parlera, du projet e-FRAN LudiMoodle et tu es également au CNRS, au labo LIRIS, sur les interactions homme-machine.
Bertrand Mocquet, tu es chercheur au laboratoire MICA, expert numérique à l’Amue, tu nous en parleras.
Je pose la question à vous deux : que met-on derrière le mot open science ?
Élise Lavoué : Open science, on va dire que ça va être open data et open software, hardware. C’est un mouvement qui est quand même assez récent en France puisqu’on nous demande quasiment dans tous les appels à projet aujourd’hui et par l’Agence nationale de la recherche, l’ANR, de nous engager, à l’issue du projet, à diffuser l’ensemble du code, des données qui vont être produites. Ce sont surtout les données qui sont partagées aujourd’hui. Quand on parle de données c’est notamment quand on conduit des expérimentations avec des utilisateurs, nous conduisons par exemple des expérimentations dans les écoles, dans les collèges et on nous demande de partager ces données tant que possible et bien évidemment totalement anonymisées, pour que d’autres chercheurs puissent ensuite s’en emparer, les analyser à leur tour. En plus c’est une manière, pour les chercheurs, de montrer de manière transparente les données sur lesquelles ils se sont appuyés pour faire leurs analyses. Ça donne aussi plus de crédibilité à ce qu’on fait. D’ailleurs on a beaucoup parlé de l’open science dans le monde médical, encore récemment.
Bertrand Mocquet : Ce qui, du coup, provoque un changement assez complet. Mes recherches concernent surtout la transformation numérique des universités. Il s’agit de se mettre dans la trajectoire de la transformation des organisations et de voir les dynamiques de mutation. On voit bien que la donne change, ce qui va provoquer des interrogations de pratiques professionnelles. Le collègue qui, avant, gardait ses données simplement pour des publications – et le modèle est encore comme ça dans des revues qui n’étaient pas du tout ouvertes, au contraire fortement propriétaires – et qui aura sa qualification et son évolution de carrière aussi là-dessus, on se retrouve effectivement avec un changement et peut-être que certains de mes collègues sentent ce paradoxe un peu gênant d’avoir une obligation d’aller vers l’ouverture et une obligation d’aller vers un modèle de fermeture qui les ferait monter en carrière. Peut-être parce que c’est très récent, certains collègues sont sûrement dans ces interrogations.
Élise Lavoué : Si je peux juste compléter, il y a vraiment une tendance inverse aujourd’hui. Là on est dans une carrière d’enseignant-chercheur. Aujourd’hui partager les données, mettre en open source le code va être valorisé. Ça participe quand même à ce mouvement d’open science aujourd’hui, on le valorise. Il y a effectivement les données, mais, je ne l’ai pas dit, on a ordre aujourd’hui de diffuser les publications vraiment en libre accès, ce qui est assez récent aussi.
Louis Derrac : D’ailleurs ça nous permet de faire un premier parallèle, on en parlera dans la deuxième partie de la table ronde, sur le fait que dans le cadre de l’enseignement scolaire, on sait que les enseignants ne sont pas toujours valorisés ou encouragés, même au cours de leur formation, au fait de partager leurs ressources. On voit que dans l’université il y a des mécanismes de valorisation et de changement du paradigme qui aident à faire avancer le sujet.
Je termine mon tour de table avec David, puisqu’ils sont venus à deux de l’Amue [5], l’Agence de mutualisation des universités et des établissements. Toi, David, tu t’occupes notamment des sujets open data et open source. Tu as promis de nous faire une histoire ultra rapide des valeurs de l’open source au sein de l’université. Tu as trois à quatre minutes, montre en main, pour nous donner le panorama et l’histoire avant qu’on enchaîne.
David Rongeat : Je vais plutôt faire en deux temps très rapides.
Je vais remonter pas très loin, en 1789, Déclaration universelle des droits de l’homme, j’ai toujours mes antisèches pour être sûr de ne pas me tromper sur les dates ou les déclarations. Dans l’article 15 il est marqué : « La société – la société c’est nous tous – a le droit de demander des comptes à tout agent public de son administration ». C’est un élément qui date d’il y a 200 ans. Et puis 1978 il y a la CADA, dont vous avez peut-être entendu parler. On peut interroger cet organisme, la Commission d’accès aux documents administratifs, pour récupérer des informations propriété de l’État, je fais exprès, qui nous concernent. Donc vous pouvez demander à récupérer des documents, etc.
Et puis ça c’est accéléré. Fin des années 90 l’État a commencé à faire des appels politiques pour ouvrir les données publiques essentielles, c’était le terme. C’était un peu le début de l’open data qui commençait à arriver dans la sphère publique, au-delà de la recherche ou en complètement de la recherche.
Le mouvement a continué. 2011, la création d’Etalab [6]. Le mouvement a continué, continué. La loi de 2016, loi dite numérique [loi pour une République numérique] [7] donne comme « injonction », entre guillemets, aux opérateurs publics d’ouvrir les données, ça semblait assez évident, les documents, ça semblait assez évident, et puis le code logiciel. Le code était considéré comme une donnée produite par des opérateurs d’État, des entreprises d’État ou des acteurs de l’État et tout ceci devenait à ouvrir par défaut. Je voulais juste rappeler ça : nous tous, en tant qu’acteurs publics, nous avons cette sorte d’injonction ou cette réglementation qui nous incite à ouvrir tout ce qu’on produit à destination des citoyennes et des citoyens.
Louis Derrac : C’est la théorie.
David Rongeat : C’est la théorie mais c’est quand même le cadre réglementaire dans lequel nous sommes ; c’est important de le rappeler. Ce ne sont pas que des choix politiques et des individus de dire on y va, c’est aussi l’aspect un peu réglementaire qui n’est pas sanctionné, on ne va pas aller en prison parce qu’on n’ouvre pas son code. En tout cas il y a cet aspect-là et on retrouve ce que tu disais sur l’ANR [Agence nationale de la recherche] [Prononcé en se tournant vers Élise Lavoué, NdT].
Juste deux mots sur la partie enseignement supérieur et recherche. Il y a des valeurs de partage de la recherche qui sont importantes. On partageait ses publications, on partageait sa recherche, on partageait ses résultats. On partage maintenant de plus en plus son code logiciel, c’est de plus en plus vrai, avec un petit bémol : les organismes qui font de la valorisation sont un peu frileux à ce qu’on fasse de l’open source quand on fait de la valorisation en même temps parce qu’il y a un modèle économique qui est un peu compliqué ; il y a eu des débats, il n’y a pas très longtemps, sur ce sujet-là. Là on est dans une sphère, enseignement supérieur et recherche, où les valeurs de partage sont vraiment importantes et on va retrouver plein d’acteurs qui font de l’open source depuis longtemps. Je vais citer nos collègues de ESUP-Portail [8], une association qui fait des ENT [Espace Numérique de Travail] pour l’enseignement supérieur et la recherche en open source, sur la base de solutions libres, depuis une vingtaine d’années ; l’association Cocktail [9] avec qui l’Amue travaille pour fabriquer des solutions logicielles, pareil, ils font de l’open source depuis très longtemps.
Je signale juste qu’un établissement comme l’Agence de mutualisation des universités et établissements qui, pendant de nombreuses années, a utilisé des solutions propriétaires, a fermé son code, a fait cette transformation, est en train de faire cette transformation pour les nouvelles versions de ses nouvelles solutions – ce n’est pas pour faire de la pub à nos solutions ; les futures solutions de gestion de scolarité de tous les étudiants des universités, des grandes écoles en France, ne vont s’appuyer que sur des technologies libres et le code va être ouvert. C’est un peu nouveau parce qu’avant c’était du Forms Reports Oracle avec des codes propriétaires. Ces transformations sont en train d’arriver. Dans notre univers enseignement supérieur et recherche, on a beaucoup de libristes et beaucoup de gens qui sont dans cette logique de développement, de partage des connaissances et de partage du code.
Louis Derrac : Merci.
Maintenant qu’on a un peu posé les bases et fait un petit retour historique, je vous propose de refaire un petit tour de table sur vos sujets. Chacun, on en reparlera, a abordé l’éducation ouverte avec un angle différent.
Colin, comme on le disait, tu es particulièrement défenseur des ressources éducatives libres. Où en est-on sur ce sujet ? On en a discuté ensemble, est-ce qu’il y a des progrès, est-ce qu’il y a encore des marges de progrès, est-ce qu’il y a des mécanismes à mettre en place facilement qui permettraient de passer un petit peu à l’échelle supérieure ? Quels ont les points de blocage ? Je te laisse commencer ce petit tour d’échanges avec plusieurs questions.
Colin de la Higuera : C’est dangereux, parce que je peux partir pour longtemps. Je vais essayer de dire deux/trois trucs.
Vraie différence entre supérieur et secondaire. Je sais que là on est quand même plus dans un environnement secondaire.
Si je reste sur le supérieur, l’enseignant du supérieur est propriétaire de ses cours, donc il fait ce qu’il veut. S’il a envie d’aller voir un éditeur et de vendre un bouquin, il vend un bouquin, il a le droit. S’il a envie de publier son cours en tant que ressource éducative libre, il a le droit de le faire, il peut le faire. Là il y a quand même là chose d’important.
Par contre il y a une incompréhension de la différence entre Libre et ouvert dont je parlais tout à l’heure. Il a l’impression qu’à partir du moment où il a mis son cours à disposition, qu’il a mis son cours sur le Web, c’est bon. Or ce n’est pas vrai. Quelqu’un d’autre qui prend ça, je l’ai dit tout à l’heure, va être mal à l’aise à faire cours devant ses élèves, sur une plateforme vidéo par exemple ; toute une série de droits ne sont pas accordés, il sera mal à l’aise pour y changer des choses. Donc il y a un décalage.
Quand je discute de ces choses-là je pense que neuf fois sur dix les gens sont convaincus, ils disent « c’est très bien » et puis quand je leur montre qu’en fait eux-mêmes ne pratiquent pas, parce que simplement ils n’ont pas compris, ça coince. Donc il y a des choses qui coincent. Il faut effectivement donner une culture de ces choses-là pour que les enseignants comprennent qu’ils ont le droit de poser une licence, typiquement Creative Commons [10], dessus. Il faut former, il faut former les jeunes maîtres de conférences, il faut être dans les écoles de préparation. Il y a toute une série d’endroits où il faut former pour arriver là.
Le constat n’est pas très bon. Il y a un constat top down qui est très bon. En France on a des universités numériques thématiques, je laisserai Perrine en dire du bien et avec raison, c’est-à-dire que ce sont des initiatives top down qui viennent de l’État, qui ont mis en place des structures, qui ont été capables de développer des cours. Par contre, sur le terrain, ce n’est pas ça qui est en train de se passer. Dans l’éducation ouverte il y a quand même un double phénomène, certes c’est de trouver des cours, mais c‘est aussi d’encourager chaque enseignant à être en posture de partager lui-même. C’est-à-dire que si ce sont simplement quelques-uns qui ont été sélectionnés pour pouvoir partager leurs connaissances, on passe à côté. Dans l’open source c’est le fait que tout le monde a le droit de participer à la création qui est intéressant, ce n’est pas juste le fait que tout le monde peut prendre. D’ailleurs, à la limite, en payant on peut prendre. C’est cette capacité de création de tout un chacun qui, aujourd’hui, n’est pas exercée, n’est pas exercée pour toutes sortes de raisons. Il faut aller dans cette direction-là. Quand on gratte un peu et qu’on regarde ce qui se passe vraiment dans les universités, en fait il y a très peu de ressources bien partagées, bien partagées = j’ai mis la licence qui va bien, qui permet de le faire. Par contre, il y a une vraie volonté de le faire. Il faut qu’on avance. Je pense quand même, et si je suis enregistré tant mieux, qu’il manque un discours politique. On ne l’a pas entendu. Il a été entendu dans d’autres pays, par exemple un ministre qui dise « je vous encourage à, c’est important de », c’est vraiment quelque chose qui manque à ce stade des choses. Ensuite il va manquer de l’infrastructure, de l’information, des choses comme ça, mais il manque peut-être, plus que d’autres choses, un discours politique.
Louis Derrac : Une vision stratégique qui se traduise par un discours politique et par de la formation, de l’accompagnement.
Colin de la Higuera : Bien sûr, c’est ça. C’est en ça que le discours du directeur [11] de la DNE [Direction du numérique pour l’éducation] de ce matin était important parce que c’est un début de discours. On aimerait que ça monte encore d’un cran au-dessus ensuite, mais c’est important d’avoir ce genre de discours.
Louis Derrac : Sachant que ce matin on a parlé de logiciel libre, mais on n’a pas trop parlé, il me semble, de ressources éducatives libres, je ne crois pas.
Colin de la Higuera : Des choses comme Wikipédia vont par exemple dans ce sens-là.
Louis Derrac : Mais dans les mots justement de la parole politique, après c’est du détail.
Perrine de Coëtlogon : Ça a été prononcé à plusieurs reprises, j’ai fait très attention, parce que c’est bien le point 38, la résolution 38 issue des états généraux du numérique éducatif [12]
Louis Derrac : Favoriser le logiciel libre.
Perrine de Coëtlogon : Non. Les ressources et le logiciel libre ou le logiciel et les ressources libres [38. Encourager l’utilisation de logiciels et de ressources éducatives libres].
Louis Derrac : OK. Merci pour cette précision. C’est vrai que c’est important.
Perrine de Coëtlogon : C‘est dedans et c’est très important. Ça a été fait aussi parce qu’en 2020, avec 47 autres personnes de toute la France, francophones, on a créé une initiative à peu près au même moment et ça a été un moment important, on me l’a dit à la DNE, pour bien repenser à reboucler sur ces ressources éducatives libres. Donc c’est très important que ça soit dans le point 38 et ça a été souligné par le directeur.
Bertrand Mocquet : En fait, ce sont des éléments de définition même du numérique universitaire. La loi de 2013 dit « ressources et usages, accès aux ressources et usages » et elle définit dès le début. C’est en fait la même chose, c’est vraiment compris comme cela. Après effectivement les mécanismes, c’est peut-être la prochaine question, on résout à notre façon. C’est vrai que l’enseignement supérieur et la recherche a une modalité de fonctionnement, notamment pour l’informatisation, qui date de son histoire d’il y a 30 ans où il n’y a pas de DSI [Directeur des systèmes informatiques] national, donc on n’a pas un point central qui va diffuser la bonne pratique, les bonnes solutions, etc., mais l’organiser par ces opérateurs. Et quand ces opérateurs ne savaient pas le faire tout seuls ils se sont regroupés en GIP [Groupement d’intérêt public] – Renater, Amue –, donc on est vraiment toujours sur ce mécanisme et même encore. Je pense que le mécanisme des ENT, c’est à peu près la même façon, c’est provoquer une action ; il y a des financements, des instruments de gestion qui nous provoquent à nous organiser et on sait le résoudre en communautés ou en micros communautés. Et ça se répète assez souvent.
Louis Derrac : Et l’Amue rentre aussi dans cette logique d’être une agence qui permet de mutualiser.
Bertrand Mocquet : Tout à fait. Nous avons trois misions : être éditeur logiciel de solutions dans tous les domaines des universités ; l’accompagnement, quand on arrive dans une université que l’on va installer nos solutions et la formation. Quand on installe une solution, si on on a fait une nouvelle solution c’est généralement que le métier a évolué donc on assure aussi la formation des personnels. Une action qui est toujours, on va dire, techno-sociale.
Louis Derrac : C’est ça. Du point de vue de ce type d’agence est-ce que, comme le disait Colin, on est sur quelque chose qui progresse mais où on voit aussi des rebonds, des revers ? Est-ce qu’on avance aussi sur la mise en place d’une solution qui serait technique ou socio-technique du style des forges ? On en a parlé quand on a préparé, parce que quand on dit « il faut partager les ressources, il faut créer les conditions de les créer en commun », il faut aussi avoir l’outil qui peut permettre d’y contribuer. Est-ce que c’est quelque chose qui a existé, existe, est en projet ?
Bertrand Mocquet : Avant de laisser la parole à David, le domaine d’intervention de l’Agence de mutualisation c’est l’informatique de gestion, donc la gestion de la scolarité, la finance, les RH. On est déjà là-dessus, on n‘est pas dans la classe, on est dans le fonctionnement des universités qui, si jamais, vous ne l’avez pas entendu assez de fois, sont sur un principe d’autonomie. On travaille comme ça à délivrer l’opérationnalisation d’un service public qui est la formation et la recherche pour la France.
David Rongeat : Juste pour compléter sur la question des acteurs de l’enseignement supérieur et, admettons, l’Agence de mutualisation, mais ce n’est qu’un exemple. Quand on travaille, quand on veut faire de la transformation pour passer sur de l’open source par exemple, on le fait en communauté, c’est-à-dire qu’on ne fonctionne qu’en communauté. Nativement, dans l’enseignement supérieur et la recherche, on ne travaille qu’en réseau, en groupe, via d’autres associations, etc., qu’on met autour de la table. Par exemple pour faire les choix technologiques des logiciels libres à utiliser pour les futures solutions, on le fait en communauté, on travaille avec des associations de professionnels, on travaille avec la DINUM [13], on prend le Socle interministériel de logiciels libres [14], on ne fonctionne que dans cette nature-là. Et quand on se pose des questions de forge, c‘est la même chose.
Louis Derrac : Dans cet exemple qui est pilote, par exemple ?
David Rongeat : Dernièrement pour le choix des socles logiciels j’animais un groupe de travail, mais j’étais juste l’animateur, je faisais le passage de parole. La décision était collective.
Quand on avait un argumentaire et qu’après on allait voir les instances de décision pour savoir si vraiment on allait utiliser du Libre et faire de l’open source, là il y avait les patrons de toutes les grandes instances, que ça soit la conférence des présidents d’université, l’Amue, les associations professionnelles, etc. C’est dans ce mécanisme-là qu’on a pu faire cette transformation-là.
Après, pour nous, les questions de forges ne sont que des questions très techniques. On va prendre le Gitlab de qui ? Le tien ? Le mien ? Ce n’est pas très important parce qu’on a l’habitude de le faire. On va en choisir, un, on va mettre notre code sur code.gouv.fr pour que ça soit encore plus ouvert que dans notre communauté et puis ça finira dans Software Heritage [15] quand ce sera plus ancien et puis voilà ! Là on est dans un domaine qu’on maîtrise et on ne se pose pas tellement de questions, en fait, sur ces sujets-là.
Louis Derrac : Je vois que le temps avance, comme à chaque fois. Je vais me tourner vers toi, Élise. Comme je le disais tu as travaillé sur un projet très concret, pour le coup là on va aller dans la pratique, le projet LudiMoodle. D’où est venu ce projet ? Peut-être revenir un peu sur sa genèse. Et toi, concrètement, comment as-tu vécu la mise en place d’un projet basé sur Moodle, un LMS [Learning Management System ] open source et sa promotion, comme on en discutait, le fait de prêcher la bonne parole au sein de l’enseignement supérieur et de la recherche pour proposer et promouvoir ce travail que vous avez fait.
Élise Lavoué : LudiMoodle [16] est un projet qui a été financé par le ministère en 2016. Ils avaient comme volonté de transférer les travaux issus de la recherche dans le monde scolaire, que ce soit finalement du primaire jusque dans les lycées. Travaillant sur la ludification, on s’est dit on va faire un projet, on va chercher à ludifier des ressources dans les collèges. C’est une aventure qui a duré cinq ans, qui a été extrêmement riche puisqu’on a travaillé à la fois avec l’université de Lyon, une université où il y avait un pôle à la pédagogie numérique qui a pu accompagner des enseignants de collège avec lesquels on a travaillé pendant ces cinq années et également les laboratoires de recherche en informatique, en science de l’éducation, et puis une entreprise qui développait la solution elle-même.
Je pense que c’est un assez rare d’avoir des projets comme ça où on a autant de monde autour de la table. On s’était engagés, dès le début du projet, à fournir à la fin des ressources libres, accessibles à tous, en open source, en l’occurrence sous Moodle [17]. On a vraiment travaillé ensemble avec ces enseignants de collège pour créer les contenus. C’était sur l’enseignement de l’algèbre, plus précisément du calcul littéral. Ils ont fait l’ensemble des quiz, les parties de cours, la scénarisation pédagogique, pendant que nous dessinions ; on a designé tous les éléments de ludification qui allaient avec. On a même choisi comment paramétrer l’application qui était développée. C’était vraiment une collaboration.
Là on veut peut-être, en tout cas j’espère, répondre à un appel à projet pour repartir pour deux ans, parce que le seul point vraiment négatif, à la fin, c’est qu’aujourd’hui on a deux outils : un outil Ludialgèbre dédié à l’enseignement de l’algèbre en classe de quatrième et puis plugin sous Moodle, un plugin de ludification. Aujourd’hui ce plugin est accessible par tout le monde. On peut l’utiliser, c’est génial. Sauf que pour qu’un plugin vive il faut qu’il y ait une communauté autour qui s’en empare et qui le mette à jour régulièrement suivant les versions de Moodle en l’occurrence. Une des problématiques aujourd’hui, c’est d’arriver à le faire connaître et à faire en sorte qu’il perdure. C’est quelque chose qu’on veut, il faut qu’on accentue la dissémination, le fait de faire connaître.
L‘autre aspect, c’est l’autre outil, Ludialgèbre qui est vraiment dédié aux mathématiques. Les enseignants avec lesquels on a travaillé nous disent que c’était une super expérience, on a fait des expérimentations dans les classes pour montrer que ça augmente la motivation des élèves, surtout ceux qui sont les moins motivés initialement. Et maintenant est-ce qu’on peut l’utiliser ? Là on est très gênés parce que le développement c’est un prototype qui n’est pas encore vraiment totalement utilisable. Dans ce nouvel appel à projets on va justement essayer de pouvoir finaliser le développement, réellement pouvoir faire un transfert dans le monde scolaire et vraiment délivrer l’outil aux enseignants. C’est toujours ce passage aux usages vraiment réels pour les enseignants et à la finalisation de ces prototypes qui est toujours compliqué.
Louis Derrac : Oui. Ça montre que ce n’est pas qu’une histoire de ressources éducatives libres, c’est aussi la capacité qu’on a, le financement qu’on a aussi, les moyens toujours, les moyens économiques qu’on a pour valoriser sur un temps suffisamment long, pour essaimer, pour créer une communauté qui contribue aussi. On voit que ce n’est pas simple.
Élise Lavoué : En tout cas, je voudrais vraiment dire qu’au niveau de l’académie, dans la mise en relation entre universitaires, chercheurs et les collèges, les chefs d’établissements, les enseignants ont été vraiment moteurs et j’ai appris à travailler avec différents représentants de l’académie et ça a été une très bonne expérience.
Louis Derrac : Merci. Encore une fois le temps avance trop vite. Avant de laisser la parole à la salle et à vos questions, j’aimerais peut-être repasser sur un mode un peu comparaison internationale et peut-être aussi pistes d’amélioration, pas des solutions clés en main, en tout cas ce qui, pour vous, peut à la fois vraiment transformer la question dans le monde universitaire mais aussi être appliqué, pourquoi pas, dans le monde scolaire, puisqu’on voit que sur la question du partage de ressources entre enseignants, il y a quand même des sujets qui sont semblables. Peut-être commencer par toi, Perrine. Au sein de ton association, Open Education, tu as une vue globale, mondiale sur ce qui se passe. Je sais que Colin pourra renchérir, puisqu’on en a parlé, sur les pays ont mis en place des politiques un peu plus volontaristes. On revient sur la question des moyens. Au sein du groupe que vous êtes, comme tu disais, avec un grand parterre de pays, avez-vous des points de comparaison ?
Perrine de Coëtlogon : D’abord je salue Colin parce qu’il a la chaire Unesco sur les ressources éducatives libres et l’intelligence artificielle. Il organise au mois de mai, du 23 au 25 mai Open Education Global qui est la grande conférence, le grand évènement mondial de l’association et, pour la première fois, dans un pays francophone, en l’occurrence la France à Nantes. Venez tous, je vous invite à venir voir les personnes qui auront réussi à se déplacer parce que, malgré tout, on est encore dans des situations assez complexes avec la pandémie sans parler, évidemment, de la guerre.
Si je devais donner mon point de vue mondial, je suis toujours assez modeste, mais je vois aussi la différence entre des initiatives visibles et la réalité du terrain. Je considère que la plupart des universités françaises produisent déjà énormément de ressources éducatives libres parce que, en fait, elles ont compris cette question-là il y a 20 ans, ce sont les ingénieurs pédagogiques qui le font, c’est dans Moddle, une plateforme en open source, on explique aux enseignants-auteurs les licences libres [et ils choisissent celle qu’ils vont utiliser, Note de l’intervenante].
Ceci dit, dans le primaire ou dans le secondaire c’est pareil, il y a beaucoup d’enseignants qui font des ressources éducatives libres, comme monsieur Jourdain faisait de la prose, c’est-à-dire sans le savoir. Ils mixent, ils remixent, ils prennent des choses, ils les réinterprètent, ils en refont un document et souvent ils se posent des questions sur les droits d’auteur. Il y en a un certain nombre qui arrivent à surmonter ces questions-là et à publier sur Internet et on trouve beaucoup de ressources.
D’une part, au niveau mondial, les 230 membres sont très loin de représenter des pays entiers des stratégies open education car ils se confrontent rapidement à la question du livre scolaire.
Louis Derrac : Tu veux dire, par exemple, que si on a une université ou une grande école d’un pays qui est membre de l’association, ce n’est pas représentatif du pays ?
Perrine de Coëtlogon : Le MIT et l’OpenCourseWare n’est représentatif ni des universités américaines ni de tous les collèges du MIT. En revanche beaucoup de gens qui en font. J’ai été secrétaire générale du groupement d’intérêt public dédié à la santé et au sport, je vois bien qu’il fallait gérer 37 universités adhérentes, [les porteurs de projets et le lien avec le ministère. Note de l’intervenante]. Aujourd’hui les modèles sont différents. Ça a favorisé, parfois, juste l’émergence des nouvelles technologies, par exemple, et pas tellement des ressources éducatives libres. Il se passe quand même des choses intéressantes aussi au sein des UNT [Universités numériques thématiques] et souvent avec des groupes, des communautés actives qui fédèrent beaucoup d’acteurs et qui donnent lieu à des ressources éducatives qui peuvent être reprises soit dans Moodle, comme c’est le cas parfois, soit sur YouTube comme on a le cas à Lyon, très beau, de l’anatomie 3DAtlas d’anatomie open source]] pour les sciences du sport et les professions paramédicales. Si vous voulez allez voir l’anatomie 3D de Lyon 1, c’est vraiment très bien.
Pour revenir à des choses très simples. Ce qu’on a fait aujourd’hui à plusieurs quand j’ai été élue, on était en pleine pandémie, j’ai commencé à faire des webinaires sur la blockchain au mois de juin 2020. Il y a eu une opportunité énorme : au lieu d’avoir la conférence mondiale d’Open Education Global à Taipei, elle allait se dérouler en ligne, eh bien moi j’ai proposé de lancer une conférence francophone. Comme il y avait énormément de réseaux – Colin, l’Amue, bien d’autres – tout le monde a fait savoir qu’il y avait cet événement, chaque personne a rappelé une ou deux personnes. J’ai appelé un prestataire en webmarketing et on a fait du démarchage parce qu’on partait quand même de zéro ; tout en connaissant les réseaux ce n’est pas suffisant, il y a peut-être d’autres personnes qui sont intéressées. Sur les réseaux sociaux on a défini des cibles, quels étaient mes objectifs, c’était un nouveau métier. Finalement les 12 et 13 novembre 2020 on a été 641 participants uniques pour 21 webinaires de 38 pays différents avec, par exemple, une table ronde européenne ou francophone qui réunissait des participants, des personnes de Bulgarie, d’Égypte, de Tunisie, de Dakar avec Mona Laroussi qui animait ce premier évènement. Depuis il y a un webinaire tous les mois, chaque dernier jeudi du mois. Hier c’était sur la création d’une sorte de réplique d’Open Education Global en Europe, en France en l’occurrence, par ce réseau d’abord francophone, mais qui sera basé en France, dans l’Union européenne.
C’est là où on en est. Il y a beaucoup de choses qui se passent, mais il n’y a pas de visibilité globale. On ne sait pas encore bien où trouver les ressources éducatives libres. Oui, il faut documenter, oui il faut comprendre les licences, oui il faut acculturer. Ce n’est pas qu’une question de logiciel libre, c’est une question un peu juridique d’avoir cette culture numérique. L’absence de culture numérique coûte chaque année des milliards d’euros, donc c’est vraiment intéressant d’aller dans cette direction.
Louis Derrac : Je vais prendre la balle au bond et finir avec Colin. Après on prendra une ou deux questions dans la salle avant qu’on se fasse virer.
Je sais, Colin, que tu es un petit peu moins enthousiaste. Je me pose une question très simple. Il m’arrive, effectivement, de voir des supports de cours parfois avec un petit Creative Commons à la fin, mais je ne sais pas où les trouver concrètement. Parfois c’est quand même aussi bête que ça, c’est où trouver ces ressources dans un format modifiable, on en avait parlé, juste un PDF c’est déjà pas mal, mais si je ne peux pas le modifier, c’est quand même très limité.
Colin de la Higuera : Là on est d’accord, il y a un enjeu et cet enjeu est plus technologique que légal. Il faut être capable de récupérer tout ça. Il y a une différence internationale. Des pays ont choisi de faire, c’est structuré comme ça, des grands répertoires, donc c’est beaucoup plus facile d’organiser les choses. La France aime bien, finalement, laisser les ressources là où elles ont été produites. On a juste un catalogue et chacun, chez soi, s’occupe de ses ressources, ce qui fait que nos amis des UNT ont quand mes problèmes, il y a beaucoup de liens qui débouchent sur des ressources périmées, des liens qui ne débouchent nulle part. Il est très gentil de donner des libertés aux créateurs, mais dans les faits ensuite, tout le monde se décourage parce que quand je suis des liens et que je n’arrive pas à trouver ce que je veux, je suis un peu déçu.
Je voudrais surtout répondre sur les milliards. Je crois quand même, comme disait Bill Clinton It’s the economy stupid, c’est souvent là-dessus que se passent les différences. Aux États-Unis, au Canada, dans des pays anglophones, étudier coûte cher et ça coûte cher parce qu’on doit en particulier acheter les bouquins. En France, les bouquins scolaires sont gratuits. Je vais dire comment c’est gratuit. En fait ils sont faussement gratuits, ils sont payés par d’autres, mais pour les parents, pour les familles, ils sont gratuits. À l’école ils sont payés par la municipalité, au collège par le département, au lycée ils sont payés par la région et quand on arrive à l’université en fait on a des BU plutôt bien équipées et qui ont rarement à répondre « je n’ai plus ce bouquin-là parce qu’il est sorti ». Les gens ont cette impression que c’est gratuit. Je le sais aussi parce que j’avais un enfant, quand je lui donnais de l’argent de poche pour acheter les livres pour faire ses études il me regardait en ayant l’air de dire « je vais avoir l’air crétin devant mes copains si j’ai un livre pour faire mes études, ça ne se fait pas ! ». Bien sûr il y a des exceptions, le droit, la médecine, il y a quelques domaines où on achète encore des livres.
Ça signifie qu’il n’y a pas la pression du consommateur en France. Au Canada, aux États-Unis, les étudiants sont les premiers à exiger des REL, ils les exigent parce que ça fait une différence entre pouvoir étudier ou ne pas pouvoir étudier. Donc on n’a pas cette oppression parce qu’on a la chance d’avoir effectivement cette fausse gratuité, parce bien entendu on paye, et à l’arrivée on peut calculer que c’est entre 300 et 500 millions d’euros par an en France qui sont dépensés par les différentes collectivités en manuels.
Donc c’est un vrai enjeu et cet argent-là, dans d’autres pays, est dépensé. La Californie a mis cette année 100 millions de dollars sur la table en REL, 100 millions de dollars pour la Californie, pour justement développer les REL. Ça veut dire que le fameux piège habituel que vous connaissez dans le cas du logiciel, dire que open et libre c’est gratuit c’est juste une erreur. Si on veut créer des REL de qualité il y a des coûts, donc c’est cet argent-là. On trouve des initiatives similaires en Allemagne, au niveau fédéral, l’Allemagne est fédérale donc ce sont des Länder qui vont mettre en place des plateformes et qui, là aussi, sont prêts à dépenser des dizaines de millions d’euros pour effectivement apporter des REL à tout le monde, aux enseignants, aux étudiants, à tout le monde. Donc il y a nécessairement, dans les cas dont je suis en train de parler, une question de volonté politique liée à des modèles de financement et, finalement, à des transferts de financements. C’est-à-dire qu’au lieu de payer l’éditeur on va être en train de payer une communauté qui s’organise autour de ça.
Louis Derrac : Merci beaucoup. Merci Colin. On a le temps d’une ou deux questions. Je vois qu’on en a déjà une.
Public : Justement, ma question va rejoindre cette préoccupation autour des financements. Un des risques, un des écueils de l’ouverture, que ce soit open data, open science, open education, c’est quand même l’appropriation par le privé de données qui ont été produites par le public. Privé qui va donc commercialiser ces mêmes données et nous les revendre, c’est-à-dire qu’on va payer deux fois : on va payer une fois les données par les impôts qui vont permettre de financer leur production et puis on va payer une deuxième fois ces données en les rachetant via des organismes privés qui les auront commercialisées. J’ai cette préoccupation politique, la nationalisation des dépenses et la privatisation des recettes. Je voulais savoir si vous aviez ce type de réflexion tous autant que vous êtes. Il y a des systèmes de licence qui permettent plus ou moins de se protéger de ce type d’appropriation. Je voulais savoir quelles étaient vos réflexions autour de cette problématique.
David Rongeat : Juste en deux mots, ce sont les licences qui vont permettre de régler ce problème-là. Je ne vais pas rentrer dans la complexité des licences parce qu’il y a quelques points un peu pointus. Maintenant nous faisons des solutions logicielles pour lesquelles les établissements de nos adhérents payent le coût que nous avons investi. Donc on va dépenser on va dire des millions d’euros de fabrication de ces solutions et après les établissements vont payer, on fait une règle de trois, pour faire très simple, on va dire ça a coûté tant et vous êtes 100 donc ça fait à peu près un centième chacun. C’est l’ordre de grandeur, l’esprit est là. On protège, avec des licences, le code qu’on est en train de mettre en logiciel libre. Quand j’ai demandé à notre comité de direction d’ouvrir le code, les contrôleurs de gestion ont failli faire des syncopes en disant « ce n’est pas possible, la concurrence va se barrer avec le code, va faire du business à côté et tous les millions que nous aurons investis, tant pis c’est perdu, ça part à la poubelle, on va fermer la maison ! », c’était quasiment le drame. La réalité c’est qu’on a mis des licences à réciprocité, c’est-à-dire que si quelqu’un veut contribuer, veut prendre notre code, veut faire des choses, il va être obligé de redistribuer selon la même licence, avec les mêmes droits, les mêmes devoirs, les mêmes libertés auprès de tout le monde, donc on va en récupérer du bénéfice. Il vont peut-être vendre des prestations autour, en tout cas le code restera dans cette logique de communauté. Et sur les données c’est la même chose, vous pouvez mettre des licences qui protègent et pas obligatoirement des licences permissives où on ouvre à tout-va et effectivement on va se retrouver à payer deux fois ou n fois.
Bertrand Mocquet : On a vécu ce mécanisme en interne. Nous changeons effectivement nos habitudes, le business modèle [le modèle d’affaires, Note de l’intervenant]. Nous avons été accompagnés par l’AFUL [18], l’ADULLACT [19] et aussi la DINUM qui nous ont accompagnés pour arriver à changer notre façon de penser. Tout d’un coup on réinvente, j’allais dire le mot français, ça fait moins moche, un nouveau modèle d’affaires qui est basé sur du communautaire, qui est basé sur un financement mutualiste [et subventionné pour partie, Note de l’intervenant]. Il faut effectivement envisager comment il peut évoluer. Il y a de nouveaux risques qui peuvent apparaître. Qu’est-ce qui se passe si demain une solution est en désuétude mais que, finalement, il y a encore des universités, des établissements – l’Amue ce sont 180 universités et établissements en France – dont certains peuvent ne pas vouloir avoir la dernière solution pour s’équiper, pour gérer leurs ressources humaines et garder la solution ancienne. Qu’est-ce qui se passe si on l’ouvre ? Est-ce qu’elle va être récupérée ? Un nouveau marché ? Ce sont toutes ces choses-là qui sont travaillées au sein de notre agence.
Louis Derrac : Dernière question et on rendra la salle.
Public : Je vais essayer de faire très vite. Merci c’était très intéressant. On se rend compte que les ressources éducatives libres sont extrêmement disséminées dans les établissements et qu’il y a surtout, finalement, un rôle de créer, d’animer des communautés et d’avoir une vision globale, c’est-à-dire quand on arrive d’accéder à plein de choses. Là il y a des solutions techniques qui commencent à émerger type le Fédivers [20], etc. Est-ce que vous avez envisagé ce type de solutions pour justement dynamiser les communautés autour de ces projets ?
Colin de la Higuera : Je vais prononcer un mot qui va faire peur, « intelligence artificielle ». Aujourd’hui, à partir du moment où on commence à avoir des ressources de tous les côtés, on peut compter, il faut compter sur du crowsourcing, donc il faut que des gens aident à remonter les choses. Ensuite il y a une telle variété dans la façon de présenter un cours, là je parle des cours et pas des logiciels, il y a juste tellement de formats, tellement de façons dans lesquelles un enseignant va s’exprimer que la curation humaine ne passe pas. D’accord. Et c’est bien pour ça que vu qu’elles sont justement disséminées, il n’y a aucun cours qui est structuré de la même manière ni techniquement, ni pédagogiquement. Donc ce sont aujourd’hui des outils de génération IA, donc des projets européens, en particulier, qui sont en train de travailler pour se dire « très bien, si on réussit à rassembler tout ça de quelle façon indexe-t-on automatiquement, de quelle façon fait-on un traitement sémantique de ces trucs-là, pour pouvoir naviguer dans ce réseau des ressources ». Ces ressources peuvent être francophones comme elles peuvent être non francophones. Il faut aussi se rappeler aujourd’hui que les capacités de la traduction automatique sont devenues quand même bien plus impressionnantes qu’il y a quelques années ce qui fait que ces ressources éducatives en langues autres que française vont aussi être accessibles à des Français. Ça me permet de donner ma réponse à la question qui est là. Moi je veux des licences permissives parce que sinon tout ce qui va se passer c’est que, effectivement, les grands géants vont nous abreuver des ressources – c’est déjà le cas avec YouTube –, simplement elles vont arriver essentiellement construites dans d’autres pays avec juste une traduction, pour l’instant c’est du sous-titrage, demain ça va être une voix qui va être retravaillée automatiquement par-dessus, donc là, du coup, on perdra complètement le contrôle. Il faut absolument qu’on encourage à créer massivement de la ressource éducative francophone, que cette ressource soit partagée sans trop se cyber-protéger parce que tout ce qu’on fera c’est se protéger contre des gens comme nous. En France nous sommes en développement mais nous avons beaucoup moins de moyens pour développer et pour trouver des façons de gérer les choses, alors que d’autres vont mettre le muscle financier qu’il faut pour, de toutes façons, trouver des solutions.
Aujourd’hui on paye déjà deux fois les ressources pédagogiques, vous payez l’enseignant et puis vous payez le manuel derrière. Donc la menace virale « demain on va payer deux fois », je vous rassure, on le fait déjà aujourd’hui.
Perrine de Coëtlogon : C’est pour ça que ça serait bien de créer Open Education Global Europe en France et d’aller chercher des fonds. C’est vrai qu’on est à un moment de maturité, on est après le covid et les périodes de confinement, on a quand même une sacrée vision pas seulement pour le sup, mais on est là, aussi à la DNE. [C’est le moment d’aller rencontrer les personnels des ministères, les communautés universitaires ou Éducation nationale, Note de l’intervenante]. C’est pour ça que je pense que cette initiative va être suivie et financée, puisque c’est l’objectif, c’est de montrer que nous sommes nombreux, qu’on a compris le sujet, qu’on est capable de réaliser quelque chose de massif et visible par le grand public assez rapidement. Avec ma casquette blockchain, je dirais qu’il faut aussi penser aussi aux détenteurs de cryptomonnaies [qui sont des personnes convaincues de l’intérêt de l’open, Note de l’intervenante].
Louis Derrac : On finira sur les blockchains.