Bonjour.
Déjà, merci d’être là aussi nombreux parce que ce n’est pas une conférence technique ni même politique que je vais vous faire aujourd’hui.
Depuis que je suis toute jeune, on me dit que le principe de la pédagogie, c’est la répétition, donc vous êtes la bonne personne, vous êtes la bonne personne, vous êtes la bonne personne, vous êtes la bonne personne, je ne vais pas le faire autant de fois que ce que vous êtes parce que vous êtes plus nombreux que ce dont j’ai l’habitude.
Je vais me présenter. Je suis Magali Garnero, mais je pense que vous me connaissez beaucoup mieux sous le pseudo de Bookynette.
Je suis présidente de l’April, l’association qui fait la promotion et la défense du logiciel libre.
Je suis aussi administratrice de Framasoft [1], c’est assez récent.
Je suis aussi à Parinux [2].
Je suis à En Vente Libre [3].
Je fais partie d’une association des commerçants de mon quartier.
En fait, je suis hyperactive, je ne suis pas trop active contrairement à certains, je fais ce que je peux avec le temps que j’ai et, en même temps, je suis libraire, ce que j’ai tendance à oublier de dire quand je suis avec vous.
Loin des sujets traditionnels
Donc, je disais que je suis très loin des sujets traditionnels, je ne vais pas vous parler des dossiers institutionnels de l’April, de politique ou quoi que ce soit, je vais vous parler de choses qui sont beaucoup plus intimes. Ceux qui étaient là vendredi vont entendre que ma voix n’est pas la même, ce n’est pas facile d’être toute seule sur scène, ce n’est pas facile d’aborder des sujets qui touchent autant.
C’est une conférence que j’ai faite parce que, quand on est dans le milieu associatif, on est confronté à pas mal de choses. Depuis que je suis présidente de l’April, je donne des conférences beaucoup plus souvent qu’avant, je déteste ça, mais, en tant que présidente, il faut sortir de sa zone de confort et aller au charbon ; je le fais et j’encourage les gens à le faire également.
Vous êtes la bonne personne, ça vient d’où ? Ça vient de Framasoft et ça vient également de l’Université d’été des Mouvements Sociaux et des Solidarités [4] à laquelle j’ai participé il y a quelque temps. On décide de se réunir plusieurs jours ou juste une journée, il n’y a aucun programme, on vient la fleur au fusil – c’est bien, on est là – et on décide tous ensemble de ce dont on va parler. On utilise souvent des Post-it, les forums ouverts c’est très consommateur de Post-it ; chacun appose son sujet et, ensuite, on négocie, parfois on négocie fermement, pour savoir à quel moment, avec qui et à quoi on va pouvoir participer.
Dans ces forums ouverts, il y a quatre principes et un des principes, je ne vais pas tous vous les lire, je ne vais lire que celui-là parce que je n’ai que 25 minutes pour cette conférence, j’avais pris une heure le week-end dernier aux JdLL [Journées du Logiciel Libre à Lyon], là, il faut que je fasse un peu plus court. Un des principes, c’est : les personnes qui se présentent sont les bonnes personnes. Il ne faut pas être déçu si tout le monde ne vient pas à son atelier ; il ne faut pas être déçu si on aurait bien voulu que telle personne soit là, mais elle n’est pas là. Les personnes qui sont là sont les bonnes personnes parce que ce sont les personnes qui sont motivées par le sujet que vous allez aborder, donc, forcément, vous allez pouvoir faire des choses avec ces personnes-là, donc, ce sont les bonnes personnes.
Vous êtes les bonnes personnes puisque vous êtes là, à cette conférence, que ce sujet-là vous intéresse, donc merci.
Pourtant Différences = Richesses
En tant que présidente de l’April, j’ai toujours tendance à vouloir faire plein de choses avec les gens et souvent, on me dit « je ne suis pas la bonne personne pour faire ça avec toi ». Pourtant, si je viens vous voir, vous, c’est que j’ai estimé que vous êtes la bonne personne.
J’ai tendance à penser que, dans un collectif, plus on est différents, plus le collectif est riche et nos différences sont multiples : ça peut être des différences de genre, ça peut être des différences de religion, de politique, de moyens financiers, de catégories socio-professionnelles ; on peut avoir des handicaps, on peut ne pas avoir de handicap ; on est tous extrêmement différents et c’est parce qu’on va discuter ensemble qu’on va progresser ; c’est parce qu’on a des expériences différentes qu’on va progresser. Si vous vous sentez minoritaire dans une association, j’aurais tendance à venir vers vous, parce que, justement, vous aurez un avis opposé à celui de tous les autres. Donc, plus il y a de personnes différentes au sein d’une association, plus il y a d’avis qui vont s’opposer, plus il va y avoir d’arguments qui vont être échangés et plus on va aller loin.
Souvent, en tant que présidente de l’April, je vais voir des gens et les gens me disent « je n’ai pas le temps, je ne peux pas faire ce que tu veux me demander de faire parce que je fais d’autres choses » et ils culpabilisent. J’ai tendance à leur dire « je préfère que vous me disiez non, je ne ferai pas ça, plutôt que vous me disiez oui, et que je passe un temps infini à vous attendre. » Pour moi, une bonne participation, ce n’est pas une question de temps que vous allez consacrer, parce que tous les temps sont les bons temps, que ce soit une minute à répondre à un commentaire, que ce soit cinq minutes pour faire une petite relecture, que ce soit une heure parce que vous avez décidé, comme un fou, que vous alliez transcrire cinq minutes d’une émission de radio de l’April, que ce soit toute une journée, parce que vous avez la gentillesse de tenir un stand, en bas, sur le village du Libre et que vous avez crevé de froid hier avec moi, que ce soit beaucoup plus parce qu’un sujet vous a ultra-motivé, vous vous êtes dit « ça, c’est mon sujet, je vais le traiter jusqu’au bout » ; pour ceux qui étaient à la conférence précédente, « je vais décider de lire toutes les conditions générales de vente d’un site internet, ça va me prendre tout mon dimanche » [5]. Donc, si vous avez envie de vous emparer d’un sujet, faites-le, mais quel que soit le temps que vous consacrerez à l’association, ça sera le bon temps, ça sera la bonne durée, ça sera le bon moment, puisque c’est vous qui l’aurait choisi. On ne pourra pas vous reprocher votre manque de temps, parce que ça sera le temps que vous choisirez. Je ne sais pas qui fait ça dring, mais, comme ça peut être moi, je ne ferai aucun reproche.
Bien sûr, on ne va pas jouer au jeu du Charlie, mais il y a écrit « vous êtes la bonne personne sur chacune de mes slides ». Toujours le principe de répétition afin que tout le monde ait bien compris qu’on est tous la bonne personne, quel que soit le moment où on arrive à cette réunion.
Quel que soit votre niveau
Ça, c’est une slide que j’aime bien : personne ne naît expert sur un sujet. On est tous des petits bébés, on progresse, on s’empare petit à petit d’un sujet et on ne peut qu’augmenter, donc, on est tous débutants.
Si vous n’osez pas y aller, quel que soit le sujet, je parle surtout de conférences parce que c’est ce qui me stresse, mais si c’est du code, du développement, de la maintenance, quel que soit le sujet, on est débutant. On est toujours la bonne personne, mais on est débutant. Et plus on va aller sur ce sujet-là, plus on va progresser, puis on va passer en mode intermédiaire, ça c’est cool, en mode expert, là c’est qu’on a décidé de consacrer énormément de temps et tant mieux !, ou en mode référence. Dans la salle, il y a des personnes qui sont des références pour nous, on sait que si elles nous posent une question ça sera la bonne question, ça va nous mettre dans un état de stress, mais on va répondre et on sera reconnu.
La bonne nouvelle, c’est qu’on ne peut pas rétrograder, on ne peut pas revenir ; c’est forcément dans un sens, on ne peut que s’améliorer. C’est bon signe.
Donc, dans une association, on ne demande pas d’avoir que des référents, c’est bien, mais ce n’est pas suffisant. C’est bien d’avoir des débutants parce que les débutants vont pouvoir dire aux référents « là, je ne comprends pas du tout de quoi tu parles, tes acronymes, je suis perdu, essaye d’être un peu plus explicite » et c’est ce qui va permettre que les référents continuent d’être accessibles. Ce sont souvent les intermédiaires qui vont permettre de faire de la vulgarisation, avec les autres membres de l’association. On a donc vraiment besoin de ce panel en entier. Imaginez-vous entre référents, il n’y a plus aucun intérêt à échanger puisque tout le monde connaît toutes les informations. Donc non ! C’est bien qu’il y a un panel entier de bénévoles à plusieurs niveaux.
Quelle que soit votre implication
Quelle que soit votre implication. C’est une slide que j’ai rajoutée suite au visionnage d’un podcast, moi qui suis plutôt bouquins que podcasts, de Jean-Michel Cornu [6]. Est-ce qu’il y en a, dans la salle, qui le connaissent ?
OK, c’est normal, il fait de l’intelligence collective, gestion des conflits, donc le genre de choses qui, logiquement, ne devrait pas trop nous intéresser, mais qui, en tant que présidente de l’April, m’est passé sous les yeux et il distingue plusieurs niveaux de bénévoles :
- les bénévoles inactifs : à l’April, ce sont surtout les adhérents qui cotisent, mais qui ne font rien ;
- les bénévoles observateurs ; ils vont tout lire, ils vont voir tout ce qui se passe, de temps en temps, ils interviendront, mais leur but, c’est plutôt de se maintenir au courant ;
- les actifs, par exemple ceux qui tiennent des stands, ceux qui font la gestion du Chapril [7] au niveau admin-sys et compagnie ;
- et puis il y a les proactifs, genre moi puisque je suis présidente de l’April et, tous les mois, je vais voir des gens pour mon tour des Gull [Groupe d’utilisateurs et d’utilisatrices de logiciels libres] ; genre mon vice-président [Laurent Costy] qui se tape toutes les conditions générales de vente, ça m’a traumatisée que tu dises, tout à l’heure, que tu passes tes dimanches à lire des conditions générales de vente.
Il y a plusieurs niveaux d’implication dans une association et, comme je le disais, tous ces niveaux-là sont importants, même si on aimerait toujours que les observateurs deviennent un peu plus actifs. D’après Jean-Michel Cornu, il y aura toujours à peu près un pourcentage de 80 % d’observateurs, donc à peu près 15 % de gens actifs et proactifs, quel que soit le nombre de personnes dans l’association, que vous soyez 10, 100, 1000, 10 000, 1 000 000, d’après lui les pourcentages sont à peu près équivalents. Donc se dire « allez, on vire les observateurs qui ne font rien, ils sont inutiles », ça veut dire qu’on a des actifs qui risquent de devenir observateurs.
Mais, tous ces bénévoles sont les bonnes personnes, donc, on a besoin d’eux.
C’est pourquoi
Est-ce que j’ai réussi à vous convaincre que vous étiez des bonnes personnes ? Oui !
Alors pourquoi les personnes qui sont là ne proposent-elles pas, toutes, des conférences à PSES ? Pourquoi n’êtes-vous pas encore allés au-delà de ce qui vous coince ? Au-delà de ce que vous avez envie de faire, mais vous ne l’avez pas encore fait, vous êtes un peu comme moi, vous procrastinez, vous attendez la deadline ? Qu’est-ce qui, d’après vous, coince ?
Public : Inaudible.
Magali Garnero : Je vais vous donner ma conclusion. Ce n’est pas forcément la bonne conclusion, ce sera ma conclusion et, avant qu’on me pose la question, j’ai eu cette discussion avec des libristes, des libraires, des gens qui venaient du monde associatif, des gens qui venaient des Restos du Cœur, d’une association contre la violence faite aux animaux, donc ce n’est pas quelque chose qui est centré sur notre communauté, c’est vraiment quelque chose de beaucoup plus général.
Une question.
Public : Je pense que tu te doutes de ma question : du coup, qu’est-ce qu’on fait lorsque l’asso nous dit qu’on est la mauvaise personne ?
Magali Garnero : Je m’y attendais, je n’ai pas préparé de réponse, du coup, j’y vais from scratch : on en discute après ?
En fait, il faut communiquer – je sors de ma conférence, je suis désolée –, le mieux c’est de communiquer tout de suite et éviter que des malentendus s’installent. Si un malentendu s’installe, on est foutus, si un malentendu s’installe, ça peut durer des années et, quand ça ressort, parce que ça finit toujours par sortir et par péter, c’est plus difficile à régler que si on s’en était occupé tout de suite. Donc, effectivement, on peut à un moment décréter qu’une personne n’est pas la bonne personne, mais il faut discuter pour éviter que ça arrive.
Alors, qu’est-ce qui coince ?
Qu’est-ce qui coince ? Dans mes conclusions, ça a été l’auto-censure. On se censure soi-même en se disant « je n’ai pas le temps » alors qu’en fait, on le verra, le temps, c’est totalement subjectif ; on se censure soi-même en disant « je ne suis pas la bonne personne » ou « il y a quelques personnes qui sont mieux que moi ».
Les freins à la participation
Dans mes analyses, j’ai pris cinq exemples de freins à la participation.
Le premier, c’est le manque de confiance en soi : on ne se voit pas monter sur une estrade, on ne se voit pas publier son code, on ne se voit même pas discuter avec des gens, c’est possible, on n’a pas confiance en soi, on sait qu’on va tout viander. OK ?
Je ne sais pas si j’aurai le temps de prendre des exemples comme aux JdLL, donc je vais faire court et si vous avez envie d’en parler, on en parlera après.
Autre frein à la participation : le sentiment d’illégitimité ou le sentiment d’imposture ; oui j’écris « imposture » alors qu’avant on écrivait « imposteur », je ne vois pas pourquoi l’imposture serait réservée aux hommes ; peut-être que l’imposture est réservée aux hommes, Nico, mais je pense que ce sentiment est exprimé et par des hommes et par des femmes, donc sentiment d’imposture ou sentiment d’illégitimité. Typiquement, j’ai des gens qui ne veulent pas tenir de stand de l’April parce qu’ils ont peur de ne pas savoir parler des dossiers. Sauf que les seules personnes qui peuvent parler des dossiers, c’est, à la rigueur, le CA et le salarié. Or, on ne peut pas demander au CA et au salarié d’être sur tous les stands, on a donc besoin de bénévoles qui viendront tenir le stand et, pour ça, on va les informer, on va leur donner plein d’informations pour qu’ils se sentent légitimes à tenir ce stand, puisqu’ils auront les informations nécessaires pour le tenir. Et, quand on tient un stand de l’April, on se rend compte que souvent on parle de plein de choses, sauf des dossiers de l’April, donc no panic. Je regarde s’il y a des gens dans la salle qui peuvent confirmer. OK.
La peur de l’échec ou du jugement, c’est quelque chose qui m’a empêchée de monter sur scène extrêmement longtemps, parce que j’ai peur d’être jugée. Là, vous êtes en train de me regarder, je suis sûrement en train de dire des bêtises, vous allez sûrement penser que je dis des bêtises ; ça me clouait, à une époque, j’étais incapable de monter sur scène parce que j’avais peur de votre regard. Plus on monte sur scène, plus on se rend compte que le public est toujours extrêmement bienveillant, parce que le public ce sont aussi les bonnes personnes.
En fait, cette peur-là, la peur de ce jugement-là, c’est vraiment quelque chose qu’on s’inflige à soi-même et plus on va tester, plus on va parler, plus on va monter sur scène, plus on va se rendre compte que les gens ne nous jugeront pas, parce que nos sujets les intéressent. Il faut donc arriver à sortir de ce que j’appelle sa zone de confort, celle où on n’est pas jugé, pour se mettre en scène et se rendre compte que c’est bien, ce n’est pas si terrible que ça. J’en discutais dernièrement avec la reine des elfes [8] parce que monter sur scène ce n’est pas notre truc, ni à l’une ni à l’autre, et, pourtant, on l’a fait, on l’a fait pour Pas Sage en Seine toutes les deux. Il ne faut donc pas avoir peur de dire des bêtises, il ne faut pas avoir peur d’être jugé, la plupart du temps les gens sont adorables.
Autre frein à la participation : l’indécision ou ne pas savoir par où commencer. Je ne sais pas vous quand vous faites de slides, moi j’ai tendance à les faire au dernier moment, à regarder mon écran et à me demander « de quoi je vais parler ? ». Je suis sur un écran blanc, pas une page blanche parce que je ne fais pas ça à la main, et par où je commence ? Et. souvent,je me dis « ce n’est pas grave, je ferai ça plus tard », parce que plus tard, je n’aurai pas le choix. En fait, ne rien faire, c’est aussi prendre la décision de ne pas avancer sur son projet, donc l’indécision fait qu’on n’avance pas.
J’ai une petite astuce. Quand j’ai voulu faire mes slides — ce n’était pas au dernier moment puisque j’ai déjà donné la conférence il y a une semaine —, la tâche me paraissait tellement importante que j’ai commencé à la découper en micro-tâches, déjà faire mon plan, ce que je voulais aborder à travers le plan, et puis, finalement, faire mon texte, ce dont je voulais parler, et puis finalement trouver mes images, et puis finalement faire ma slide et ainsi de suite. À chaque fois que je finissais une micro-tâche, je faisais un petit check ; c’est jouissif de faire des checks parce que, du coup, on voit son avancement ; découper une tâche, ça la rend plus motivante. Et là, je parle de slides, mais ça marche aussi avec plein d’autres choses, le code, les réunions, tout ce que vous voulez. Le fait que les tâches soient en plusieurs étapes et qu’on passe de l’une à l’autre, ça renforce le fait que « je suis efficace, j’ai déjà fait trois tâches sur cinq ! ». En tout cas, chez moi ça marche ! Chacun sa méthode !
Ça fait longtemps que je ne vous l’ai pas dit « vous êtes les bonnes personnes ».
Des idées pour éviter l’auto-censure, retrouver un peu de confiance, plus d’estime, de temps, d’envie
J’ai demandé aux gens qui étaient avec moi ce qui leur permettrait ou ce qui leur avait permis de sortir de leur zone de confort, de se dépasser, de faire des choses qu’ils n’avaient pas envie de faire et j’ai eu plein de réponses. Je n’ai pas le temps de toutes les détailler, parce que, la semaine dernière, ça m’a pris 25 minutes et il n’en reste plus que 15, je vais donc parler de quelques-unes, je vais parler de celles dont je peux parler parce que je les ai vécues.
Je vous ai dit que j’étais libraire ? OK.
Lire. Plein de livres parlent de nos freins, il y a plein de livres sur l’illégitimité, sur le syndrome d’imposture, sur le manque de confiance en soi, sur se simplifier la vie, sur arrêter de cogiter, il y a vraiment plein de livres. Si vous passez à ma librairie, je pourrai vous faire une petite sélection ; je pense qu’il y a au moins dix titres qui méritent d’être partagés.
Se former, c’est un des trucs hyper-important. Je ne sais pas vous, mais, moi, j’ai abordé le logiciel libre en autodidacte, c’est-à-dire que j’ai appris au fur et à mesure tout ce que tout ce que je sais, et je ne sais pas grand-chose, sur le logiciel libre. Je n’ai aucun diplôme certifiant qui dise que je suis formée au logiciel libre. Du coup, par rapport à tous les informaticiens qui ont des BTS, des DUT, vos diplômes et tout, j’aurai toujours ce sentiment d’infériorité qui est que je n’ai pas de diplôme qui confirme mes connaissances, et c’est valable pour plein de choses. Il n’y a pas beaucoup de diplômes du monde du logiciel libre qui disent « vous maîtrisez, vous êtes un ingénieur du logiciel libre » ; il y a quelques formations, mais il n’y en a pas beaucoup. Donc, pour tout ce qu’on a appris sur le logiciel libre, parce qu’on a bidouillé soi-même, on n’a aucun diplôme qui dira « vous savez faire ». Et je pense que quand on est autodidacte, c’est quelque chose qui pénalise.
Donc, aller se former avec des gens compétents, participer à des ateliers avec des gens qui maîtrisent, c’est un moyen de se rassurer, de se dire qu’on a les connaissances, elles ont été transmises, et, souvent, c’est un moyen de se rendre compte qu’on en sait plus que le formateur ! Ce qui nous est arrivé, il n’y a pas très longtemps.
Autre manière de reprendre un peu de confiance en soi, qu’est-ce que je vais choisir ?
Le jeu de rôle. Y en a-t-il qui font du jeu de rôle dans la salle ? Le jeu de rôle, c’est extraordinaire parce que vous interprétez un personnage qui n’est pas vous, donc ça ne vous touche pas totalement, sauf quand on le tue, dans un monde qui n’est pas le vôtre, donc, à priori, vous ne foutrez pas le feu, il n’y aura pas de réchauffement climatique ; vous vous confrontez à des situations que vous ne rencontrerez jamais dans la vie, en tout cas je vous le souhaite, vous devez donc interpréter un rôle et faire progresser votre personnage. Du coup, ce n’est pas vous, ce n’est pas totalement vous, c’est quelqu’un d’autre que vous allez faire évoluer. Eh bien, c’est libérateur : on peut très bien dire à la personne en face qui, dans la vie réelle, est son pote, « je vais te trucider, je vais t’enfoncer une épée dans le ventre » ou alors « je vais te trahir, je vais tuer ta sœur ». Dans le jeu de drôle, on peut se permettre des choses qu’on ne fera pas dans la vie, mais qui, petit à petit, vont nous redonner confiance. Je n’encourage personne à tuer la sœur de qui que ce soit et surtout pas avec une épée, mais, parfois, décharger la colère d’un personnage dans ce jeu drôle, ça permet d’apprendre à gérer ses propres émotions et à mieux les contrôler.
Un autre truc qui m’a été utile, et je n’ai pas fait ça assez longtemps, c’est
le théâtre d’impro. Vous vous retrouvez sur une scène, souvent, c’est à deux, on vous donne un sujet, exemple « vous êtes là avec votre père et il vous apprend qu’il a trompé votre mère ; réagissez ! ». Donc, vous vous retrouvez dans une situation : ce n’est pas votre personnage, ce n’est pas votre monde et, à priori, vous ne serez pas touché, mais vous devez réagir pour avoir des mots qui viennent. La première fois, c’est tragique, on dit « tu as trompé ma mère... c’est mal ! », et puis, au fur et à mesure, les mots vont arriver et plus l’occasion va se présenter et plus l’acteur improvisateur va pouvoir sortir des phrases genre « d’accord ! Avec qui ? C’était comment ? Est-ce que tu veux te marier avec ? », et ça va être beaucoup plus fluide.
Ça revient à un point dont je n’ai pas encore parlé qui s’appelle
s’entraîner et pratiquer. Plus vous ferez la chose et quand je dis « la chose », ça peut être donner une conférence, tenir un stand, faire du code, je ne parle pas d’autre chose, plus vous ferez la chose et plus ce sera facile. Rappelez-vous les enfants qui apprennent à marcher : au départ, ils ont l’air ridicule, ils n’ont pas d’équilibre, mais quand ils ont la capacité de le faire. Tout le monde finit par arriver à marcher ! C’est comme parler : au départ, ce qu’on dit est totalement incompréhensible et puis, finalement, tout le monde arrive à parler. Il y a des gens qui resteront incohérents toute leur vie, mais je pense que c’est parce qu’ils aiment bien utiliser des mots compliqués, mais bon !, ils sont quand même les bonnes personnes.
De quoi je peux vous parler encore ?
Demander de l’aide. Quand on a envie de faire quelque chose, mais qu’on ne s’en sent pas capable, c’est important d’aller parler aux gens, ils vous aideront. J’ai pratiqué cette conférence plusieurs fois, avec plein de gens totalement différents, des gens adorables, des gens moins adorables, des gens très critiques, c’était très dur avec des gens très critiques ; je l’ai aussi pratiquée pour voir si je tenais dans les 25 minutes qui m’étaient accordées. Bref !, il faut s’entraîner à faire ce qu’on veut faire, mais qu’on ne se sent pas capable de faire.
Quant aux autres
Je passe à la slide d’après parce qu’elle est aussi importante pour moi. Vous êtes toujours les bonnes personnes.
Il y a des gens qui ont la confiance, qui n’ont qui ont pas besoin de venir assister à cette conférence, ni même à la regarder en vidéo – je me rends compte que la caméra est quand même vachement plus près de moi qu’aux JdLL où elle était au fond de la salle. À ces gens-là, je ne dirais pas de laisser LA place parce qu’on veut que vous continuiez à parler, ce que vous dites est très intéressant, je dirais juste de laisser DE LA place, un tout petit peu plus de place, et d’aider les gens qui, comme moi, ne sont pas à l’aise, à progresser et à venir parler aux conférences ou à progresser à faire du code ou à progresser à maintenir des choses. Vous qui avez l’air hyper à l’aise quand vous êtes à l’oral ou qui pondez un code magnifique, c’est important que vous parliez aux autres en leur disant que ça n’a pas été aussi facile qu’on peut le croire. C’est aussi important que vous nous encouragiez à agir, à faire des choses, à oser sortir de notre zone de confort. Ça ne doit pas reposer que sur nos épaules, on est une communauté, on fait des choses ensemble, on partage, on partage les victoires, on partage les échecs, donc, si on veut qu’il y ait plus de gens qui participent, il faut aussi que ce soit un travail commun.
Merci.
[Applaudissements]
Questions du public et réponses
Magali Garnero : Il y a un peu de temps pour les questions.
Animateur : Je vais juste lire le commentaire de quelqu’un dans la salle. C’est Hocine. En gros, à priori, son commentaire, c’est que tu parles d’assertivité [9], c’est ça ?
Magali Garnero : Oui, mais c’est surtout une assertivité qu’on s’impose à soi-même. Souvent, c’est ce que je disais tout à l’heure, c’est de l’autocensure et il faut que ce soit nous qui acceptions de sortir de cette assertivité.
Dans une de mes conférences précédentes, on m’a dit « c’est le comité qui fait les appels à conférences, qui choisit qui donnera sa conférence » et j’ai tendance à dire « oui, mais si vous ne proposez pas la vôtre, on ne viendra pas vous chercher ! C’est donc à vous de proposer quelque chose, parce que, si vous ne proposez rien, on ne vous donnera jamais la parole. »
Public : Merci. C’est la conférence dont j’avais besoin.
Magali Garnero : Tu es la bonne personne !
Public : Dans ma petite communauté, ce qui devrait me servir de communauté du développement de mon projet logiciel, je vais peut-être pouvoir le formuler avec les termes que tu as employés : le message que je voudrais faire passer aux autres, parce que je fais une proportion un peu trop élevée au boulot, c’est qu’ils ont tendance à ne pas croire à quel point ils sont les bonnes personnes dont j’ai besoin. Je leur dis, mais en fait, non, ils ne me croient pas. La pédagogie de la répétition sera peut-être utile, on va essayer, mais c’est vrai que c’est la grande difficulté, au-delà même de, carrément, se retrouver dans la situation où on dit « tu n’es pas la bonne personne, on ne veut pas de toi », je n’ai pas le problème, ce sont vraiment les gens qui ne participent pas parce qu’ils disent « non, tu sais mieux faire, moi, ce n’est pas la peine ».
Magali Garnero : L’illégitimité. C’est un sujet qu’on a pas mal travaillé à Framasoft, parce que, quand on accueille des nouveaux bénévoles, ils ne se sentent pas légitimes, il y a toujours des gens qui sont plus compétents qu’eux et ils n’osent pas faire. J’ai tendance à leur répéter qu’ils sont les bonnes personnes et j’ai tendance à insister surtout sur le fait que si ce sont eux qu’on vient voir, si c’est à eux qu’on propose de rentrer dans l’association, c’est qu’on estime qu’ils sont les bonnes personnes. Je leur rappelle que s’ils continuent à ne pas se sentir légitimes, c’est qu’ils n’ont peut-être pas confiance en ce que nous pensons d’eux. Si on estime qu’ils sont les bonnes personnes, c’est qu’ils sont les bonnes personnes.
Après il y a aussi une question d’encadrement et de bienveillance. Je n’ai toujours pas de recette miracle, mais, quand j’estime qu’un bénévole est capable de faire ce que j’aimerais faire avec lui, je vais l’encadrer, l’entourer, faire avec lui au début, faire de moins en moins avec lui, ne plus faire avec lui. Je vais essayer de le faire gagner en ce que j’appelle l’autonomie bénévole afin qu’il se sente à l’aise et, qu’ensuite, il sache que c’est lui et ce n’est que lui.
Sur les stands de l’April, et c’est pareil sur les stands de Framasoft, avant que les gens tiennent un stand, on va leur envoyer un maximum d’informations pour qu’ils aient ces informations et qu’ils se sentent indépendants – je vois des oui dans la salle, c’est gentil. Parfois, c’est juste leur permettre de se rendre compte qu’ils peuvent le faire et qu’ils le feront.
Donc, quand les bénévoles tiennent un stand, ils ont notre confiance, ils ont l’information, je ne suis jamais très loin au cas où et ils le savent, donc, s’il y a un problème, ils viennent m’appeler. Eh bien, depuis deux jours, je me sens parfaitement inutile, aucun de mes bénévoles n’est venu me voir, ça veut dire qu’ils ont réussi à gérer les problèmes s’il y a eu des problèmes et ainsi de suite. Ils ont ma confiance et ils sont rassurés sur le fait que s’il y a un problème, je ne suis pas loin. Est-ce que ça répond à ta question ? OK.
Animateur : Peut-être une dernière question.
Public : Bonjour. Merci beaucoup. Avant de poser la question, je vais un peu contextualiser. Je suis dans une coopérative qu’on essaye d’auto-gérer le plus possible et toutes ces choses-là, rendre les gens capables de faire des choses, qu’ils en aient le sentiment, j’ai constamment le même problème. Je voulais voir s’il n’y avait pas aussi d’autres contraintes, parce que tu as beaucoup insisté sur les facteurs psychologiques, l’imposture, etc.
Ne penses-tu pas qu’il y aurait aussi, peut-être, des facteurs en dehors de ça. Ce que je veux dire, c’est que, dans le cadre des bénévoles, les bénévoles ont un temps disponible très limité et je me demande s’il ne faudrait pas, peut-être, organiser le travail différemment pour que les gens aient du temps disponible aussi pour ça. Je voudrais avoir ton avis là-dessus.
Magali Garnero : Il n’y a pas de solution miracle. Chaque association va réagir d’une certaine manière. Dans ce que disait Jean-Michel Cornu, chaque groupe a un niveau de maturité différent, c’est-à-dire que les nouvelles associations où on n’est pas très nombreux, il va y avoir des bénévoles en format enfant, il va falloir les encadrer, les faire mûrir, les faire grandir en autonomie et ainsi de suite. Et puis dans les associations dans lesquelles les bénévoles sont parvenus au niveau adolescent, là, au contraire, ils vont vouloir prendre du pouvoir et puis à bas les parents. Et puis il y a des associations dans lesquelles les bénévoles vont être parents et totalement autonomes. Donc, ça dépend où est ton d’association dans ces tranches-là... à savoir qu’à chaque niveau, il y a des problèmes. Ce n’est pas parce que tout le monde est adulte, que le groupe est adulte ; ce n’est pas parce que le groupe est adulte que ça sera le bonheur absolu, il y a toujours des difficultés à appréhender dans un groupe de bénévoles.
Tu parlais de problèmes psychiques ou de temps ou ainsi de suite. Je ne dis pas qu’il ne faut pas avoir d’attentes trop précises, sinon on est déçu, mais j’ai tendance à mettre la discussion, les échanges le plus en avant. Un des exemples auxquels je pense, dont tu parlais tout à l’heure, le bénévole a l’impression de tout faire tout seul. Oui, mais s’il ne le dit pas, les autres ne le sauront pas. S’il ne le dit qu’à une seule personne, le reste du groupe ne le saura pas. Il faut donc vraiment trouver des moments où on peut échanger pour, justement, partager ces ressentis différents et faire avancer le groupe. Si on ne communique pas, on va droit dans le mur. Si on n’encourage pas les gens, si on ne les félicite pas, si on ne leur montre pas qu’on est conscient du travail qu’ils ont effectué, ils se démotivent. Quand il y a un problème, si on n’aborde pas ce problème, on laisse un malentendu s’installer, donc, ça va exploser.
Pour moi, une entente de groupe est basée sur une communication la plus large possible.
Je ne sais pas si ça peut t’aider, mais, si tu veux qu’on en discute plus, je serai toute la journée au Village du Libre, en dessous, au stand de l’April, même s’il fait très froid aujourd’hui, j’ai le t-shirt, le pull le manteau et, au pire, j’aurai peut-être des bénévoles en t-shirt, je ne sais pas comment ils font, qui me prêteront des manteaux.
Laurent Costy, très proche de la caméra : Je me permets de conclure, pour toi, pour t’aider : vous êtes la bonne personne ! J’avais promis de faire court !
Magali Garnero : Vous êtes effectivement tous les bonnes personnes, ne l’oubliez jamais !
[Applaudissements]