Émission Libre à vous ! diffusée mardi 9 février 2021 sur radio Cause Commune


Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Frédéric Couchet : Bonjour à toutes. Bonjour à tous. Le département informatique de Paris 8 à Saint-Denis dans le 93, ce sera le sujet principal de l’émission du jour. Avec également au programme la chronique d’Isabella Vanni sur le groupe « InformÉthique » de l’association Les Amis de la Terre Belgique et également, en fin d’émission, la chronique d’Antanak sur le thème de la libération et mutualisation des pratiques. Nous allons parler de tout cela dans l’émission du jour.

Vous êtes sur la radio Cause Commune, la voix des possibles, 93.1 FM et en DAB+ en Île-de-France et partout dans le monde sur le site causecommune.fm.

Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission qui vous raconte les libertés informatiques, proposée par l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Je suis Frédéric Couchet, le délégué général de l’April.
Le site web de l’April c’est april.org, vous pouvez y trouver une page consacrée à cette émission avec tous les liens et références utiles et également les moyens de nous contacter. N’hésitez pas à nous faire des retours ou à nous poser toute question.

Nous sommes mardi 9 février 2021, nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.

À la réalisation de l’émission aujourd’hui Patrick Creusot, bénévole à l’April. Bonjour Patrick.

Patrick Creusot : Bonjour à tout le monde. Bon après-midi.

Frédéric Couchet : Si vous souhaitez réagir, poser une question à nos invités pendant ce direct, n’hésitez pas à vous connecter sur le salon web de la radio. Pour cela rendez-vous sur le site de la radio, causecommune.fm, cliquez sur le bouton « chat » et rejoignez-nous sur le salon dédié à l’émission.

Nous vous souhaitons une excellente écoute.

Tout de suite place au premier sujet.

[Virgule musicale]

Chronique « Le libre fait sa comm’ » d’Isabella Vanni, coordinatrice vie associative et responsable projets à l’April. Présentation du groupe de travail « InformÉthique » de l’association Les Amis de la Terre Belgique

Frédéric Couchet : Parler d’actions de type sensibilisation menées par l’April ou par d’autres structures, annoncer des évènements libristes à venir avec éventuellement des interviews de personnes qui organisent ces évènements, c’est la chronique « Le libre fait sa comm’ » de ma collègue Isabella Vanni, qui coordinatrice vie associative et responsable projets à l’April.
Bonjour Isabella

Isabella Vanni : Bonjour.

Frédéric Couchet : Je te passe la parole pour ta chronique du jour.

Isabella Vanni : Merci.
Aujourd’hui j’ai voulu échanger avec Rémi Letot du groupe InformÉthique de l’association Les Amis de la Terre Belgique.
Rémi, bonjour.

Rémi Letot : Bonjour Isabella.

Isabella Vanni : Bonjour. Je te proposais de participer parce que votre groupe de travail InformÉthique a pour vocation de sensibiliser au logiciel libre et je souhaitais en savoir plus, ainsi que les personnes qui nous écoutent. Je te laisse présenter brièvement l’association Les Amis de la Terre Belgique et le groupe InformÉthique que vous avez créé.

Rémi Letot : Les Amis de la Terre Belgique c’est une association qui a pour but de traduire les enseignements de l’écologie dans tous les aspects de la vie quotidienne. On parle au niveau privé mais pas seulement, on est aussi au niveau économique, social, politique ou même culturel. Ça fait partie d’un groupement international, d’ailleurs il y a une association sœur en France, Les Amis de la Terre France. Au niveau organisation, en Belgique, il y a un siège central qui est à Namur, la ville où j’habite, et les membres de l’association sont organisés en groupes locaux qui sont un peu disséminés partout sur le territoire et en groupes thématiques qui s’attaquent à des thèmes particuliers, comme le groupe InformÉthique dont je fais partie.

Isabella Vanni : Très bien. Si j’ai bien compris, le groupe InformÉthique c’est quelque chose qui a été créé au niveau de l’administration centrale de l’association qui a son siège à Namur. C’est ça ?

Rémi Letot : Oui, c’est tout à fait ça.

Isabella Vanni : Peux-tu m’en dire un peu plus ? Quand est-il né ? Pourquoi ? Quelles missions il se donne ?

Rémi Letot : Un des moyens d’atteindre le but de l’association c’est de promouvoir et de participer à la construction d’une économie soutenable, non violente, équitable. Dans l’agriculture on a le bio, le local, en France vous avez les AMAP pour le maintien d’une agriculture de proximité, en Belgique on les appelle autrement mais c’est le même principe, on a des producteurs locaux qui se transforment et qui se regroupent pour tenter de lutter contre les multinationales. Le parallèle avec le logiciel libre est presque parfait. Personnellement je dis souvent que le logiciel libre c’est le bio, le local de l’informatique. Donc la promotion du logiciel libre rentre parfaitement dans la mission de l’association. Ici au siège, à Namur, effectivement ils utilisent le logiciel libre depuis longtemps – je pense même depuis le début, je ne suis pas certain – et ils se sont dit « Allons plus loin ! Comme c’est cohérent avec les missions de l’association, pourquoi ne pas promouvoir activement les solutions libres ? » Donc il y a deux ans, je pense que c’était en mars 2019, l’association a lancé un appel à volontaires pour créer un groupe de support et de diffusion des solutions et services libres.

Isabella Vanni : L’idée, si j’ai bien compris, c’est de promouvoir le logiciel libre déjà auprès des adhérents de l’association et aussi auprès du grand public. C’est bien ça ?

Rémi Letot : Oui, tout à fait. Le but ce sont les adhérents, le grand public, les associations, toute personne qui pourrait être intéressée par le logiciel libre, pas seulement les adhérents de l’association.

Isabella Vanni : Est-ce que tu es membre de l’association Amis de la Terre Belgique ?

Rémi Letot : Non. Je ne suis pas adhérent.

Isabella Vanni : Donc ça veut dire que d’autres personnes externes à l’association peuvent participer à ce groupe de travail ?

Rémi Letot : Oui, tout à fait. Il ne faut pas être nécessairement membre. Dans le groupe de travail on a des libristes, on a des pas libristes, on a des débutants, des confirmés, des techniciens, des communicants. Il n’y a pas vraiment de compétences particulières à avoir, juste la volonté d’apprendre, de vouloir faire avancer les choses et évidemment il faut consacrer un peu de temps et d’énergie.

Isabella Vanni : Quand tu dis « il y a des libristes et il y a aussi des pas libristes », ça sonnait un peu bizarre dans mes oreilles parce que si on défend la cause du logiciel libre, pour moi, on est déjà libriste. Peut-être voulais-tu dire qu’il y a des informaticiens et informaticiennes et d’autres qui ne sont pas particulièrement geeks ? C’est peut-être ça que tu voulais dire ?

Rémi Letot : Les gens qui rejoignent le groupe de travail sont nécessairement sensibilisés au logiciel libre, mais ne sont pas nécessairement experts en logiciel libre. Ils ne connaissent pas nécessairement les solutions qu’on va utiliser.

Isabella Vanni : C’est aussi une façon d’en apprendre plus finalement !

Rémi Letot : Tout à fait.

Isabella Vanni : Et comment travaillez-vous ? Est-ce que vous faites des réunions, des ateliers ? Quel est votre moyen de travailler et quelles actions mettez-vous en place justement pour promouvoir le logiciel libre auprès du grand public ?

Rémi Letot : Au départ on se réunissait en présentiel, puis on a été frappés par la pandémie comme tout le monde, rapidement, donc on est passés en virtuel.
Pour les réunions on a d’abord utilisé Jitsi et maintenant BigBlueButton.

Isabella Vanni : Ce sont deux solutions libres de visioconférence.

Rémi Letot : Tout à fait. On utilise les instances hébergées par l’association Domaine Public, en Belgique, que je salue et que je remercie au passage.
Hors réunion on travaille beaucoup sur Framavox, qui est le logiciel Loomio hébergé par Framasoft que je salue et que je remercie d’ailleurs au passage. Le logiciel nous permet de discuter sur différents sujets, de façon structurée et de prendre des décisions.
Il n’y a pas vraiment de fréquence définie pour les réunions, c’est un peu à la demande et selon les besoins. On se réunit à peu près une fois tous les mois et demi, tous les deux mois.

Isabella Vanni : Ce n’est déjà pas mal !

Rémi Letot : Ce n’est déjà pas mal !

Isabella Vanni : Et par rapport aux actions que vous avez déjà mises en place, aux actions que vous prévoyez de mettre en place ?

Rémi Letot : Au départ, on a choisi de regrouper le travail qu’on faisait sur un thème particulier qui est la surveillance, le pistage généralisé de la part de sociétés que je ne citerai pas.

Isabella Vanni : Je t’entends un peu lointain, peut-être peux-tu te rapprocher davantage du téléphone, s’il te plaît. Merci.

Rémi Letot : Je disais qu’on a choisi de se concentrer sur le pistage généralisé dont on est tous un peu victimes. Le logiciel libre et les services libres peuvent apporter des réponses à ce problème-là. Notre première grande action devait être une action de sensibilisation sous forme de la projection du film Nothing to Hide, suivie d’un débat, d’ateliers, de présentations, ce n’était pas encore totalement puisque, pandémie oblige, ça a été un peu mis au frigo.
On a fait un premier atelier en ligne de sensibilisation à la problématique du pistage, qui a eu du succès. On a décidé de poursuivre avec des ateliers pratiques sur des points précis qui permettent de contrer le pistage et d’alterner des ateliers pratiques avec des ateliers de sensibilisation.
On a aussi une association qui nous a demandé le package complet : faire un atelier de sensibilisation pour ses membres et les personnes qui travaillent, suivi d’ateliers pratiques.
On participe aussi à la rédaction d’articles, notamment sur la newsletter des Amis de la Terre. Le prochain article porte sur les messageries instantanées.

Isabella Vanni : Je te perds à nouveau. Si tu peux te rapprocher. Merci.

Rémi Letot : Je ne bouge pas pourtant !

Isabella Vanni : Ça doit être le téléphone alors. Beaucoup d’actions, tu disais. On va dire que le groupe a d’abord un petit peu réfléchi aux actions possibles et là vous êtes mûrs, vous êtes prêts et prêtes pour lancer les actions, forcément pas en présentiel vu le contexte.
Comment communiquez-vous sur vos actions ? Tu me parlais de la newsletter. Est-ce que vous avez pensé à publier aussi sur l’Agenda du Libre ?

Rémi Letot : Oui, tout à fait. On publie les évènements sur le site des Amis de la Terre. On a la newsletter des Amis de la Terre et effectivement on publie sur l’Agenda du Libre. On a plusieurs associations et groupements d’utilisateurs de GNU/Linux qui nous ont contactés suite à la publication qu’on fait sur le site des Amis de la terre, donc on va commencer à avoir des collaborations avec des groupements aux alentours.

Isabella Vanni : C’est justement ce que j’allais te demander. En Belgique il y a pas mal de groupes d’utilisateurs et utilisatrices de logiciels libres, les GULL, l’acronyme, je voulais savoir s’il y avait déjà en place des partenariats ou des projets en commun. Tu viens de me répondre, si j’ai bien compris c’est en cours.

Rémi Letot : Il n’y a encore rien de formel parce que c’est vraiment tout récent, mais on commence à avoir des contacts, d’ailleurs j’ai une réunion dans trois heures avec une association ici en Belgique qui défend le logiciel libre. On va commencer à mettre en place des contacts et des collaborations avec toutes ces associations.

Isabella Vanni : Super. Très bien. Je pense qu’on a fait une belle présentation de votre groupe de travail. Est-ce qu’il y a une question que je ne t’ai pas posée et à laquelle tu aurais aimé répondre ou un message que tu souhaites faire passer pour conclure notre échange ?

Rémi Letot : Je reviens sur ma comparaison. Pour moi, le logiciel libre c’est le bio, le local de l’informatique. Si on fait partie d’une société ou d’une association qui promeut, d’une manière ou d’une autre, ou qui travaille dans des économies alternatives, ce n’est tout simplement pas cohérent d’utiliser des logiciels ou des plateformes propriétaires. En France il y a des groupes d’utilisateurs de GNU/Linux, des GULL, il y a des associations comme l’April, Framasoft, les chatons qui font la défense et la promotion des logiciels libres. En Belgique ça s’appelle différemment, mais on a aussi des groupes utilisateurs et des associations, donc n’hésitez surtout pas à prendre contact ; ça fonctionne.

Isabella Vanni : Super, je pense que tu ne pouvais pas mieux conclure notre entrevue. J’ai bien compris que pour votre association c’était une évidence d’aller dans ce chemin.
Je te remercie beaucoup d’avoir accepté notre invitation et je vous souhaite, du coup, plein de belles actions de promotion du logiciel libre en Belgique.

Rémi Letot : Merci à vous de nous avoir accueillis et pour moi c’est un honneur, en fait j’écoute régulièrement l’émission.

Isabella Vanni : Merci. Ça nous fait très plaisir. C’est le genre de retour qui nous fait très plaisir.
Merci encore Rémi. Merci bonne journée.

Rémi Letot : Merci à vous. Au revoir. Bonne journée.

Frédéric Couchet : Merci à tous les deux.
C’était la chronique « Le libre fait sa comm’ » de ma collègue Isabella Vanni qui coordinatrice vie associative et responsable projets de l’April et qui est avec nous en studio, donc on est en face avec nos masques.

On va faire une petite pause musicale.

[Virgule musicale]

Frédéric Couchet : Aujourd’hui notre programmateur musical, Éric Fraudain, on pense bien à lui en ce moment, du site auboutdufil.com, nous fait découvrir l’artiste Sapajou, qui est un véritable passionné de voyages : lorsqu’on parcourt sa bibliothèque de titres originaux, on fait le tour du monde ! Du Moyen-Orient – Zurna – à l’Allemagne – Lipsia – en passant par la Norvège – Darbu – et l’Amérique latine – Alpaca, Intención, ce sont les noms des titres, Sapajou explore le monde entier avec sa musique. Son pseudonyme est lui aussi un clin d’œil à l’Amérique du Sud : le terme « sapajou » est originaire de la langue Tupi, qui était parlée par les Amérindiens de l’actuelle côte brésilienne. Il désigne un singe capucin des forêts tropicales d’Amérique du Sud et d’Amérique centrale.
On va écouter Intención de Sapajou. On se retrouve dans trois minutes. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : Intención de Sapajou.

Voix off : Cause Commune, 93.1.

Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Intención par Sapajou, disponible sous licence libre Creative Commons Attribution, CC By, qui permet la réutilisation, la modification, la diffusion, le partage pour toute utilisation y compris commerciale, à condition de créditer l’artiste, d’indiquer la licence et d’indiquer si des modifications ont été effectuées. Vous retrouverez les références sur causecommune.fm et sur april.org. Vous trouverez une présentation de cet artiste sur le site d’Éric Fraudain, auboutdufil.com. Le site de l’artiste est sur SoundCloud, c’est sapajoubeats, vous retrouverez les références sur april.org et causecommune.fm.

Vous écoutez toujours l’émission Libre à vous ! sur radio Cause commune, la voix des possibles, 93.1 FM et en DAB+ en Île-de-France, partout dans le monde sur le site causecommune.fm.

Nous allons passer au sujet suivant.

[Virgule musicale]

Le département informatique de l’université Paris 8 de Saint-Denis avec Anna Pappa, maîtresse de conférences en informatique, chercheuse en traitement automatique des langues naturelles, coresponsable de la licence informatique & vidéoludisme à l’Université Paris 8 et Pablo Rauzy, maître de conférences en informatique, chercheur en sécurité informatique et privacy, coresponsable de la licence informatique & vidéoludisme à l’Université Paris 8

Frédéric Couchet : Nous allons poursuivre par notre sujet principal qui va porter sur le département informatique de l’université Paris 8 de Saint-Denis, donc dans le 9-3 comme on dit, dans le 93, avec Anna Pappa maîtresse de conférences en informatique, chercheuse en traitement automatique des langues naturelles, coresponsable de la licence informatique & vidéoludisme à l’université Paris 8. Bonjour Anna.

Anna Pappa : Bonjour Fred.

Frédéric Couchet : Également avec moi en studio Pablo Rauzy, maître de conférences en informatique, chercheur en sécurité informatique et privacy, donc vie privée, coresponsable de la licence informatique & vidéoludisme à l’université Paris 8. Bonjour Pablo.

Pablo Rauzy : Hello.

Frédéric Couchet : N’hésitez pas à participer à notre conversation sur le salon web dédié à l’émission. Vous allez sur le site causecommune.fm, bouton « chat », et vous nous rejoignez sur le salon si vous avez des questions ou des remarques pour nos deux invités.
Avant de leur passer la parole pour une présentation individuelle, je vais d’abord faire une petite introduction parce que c’est un grand plaisir d’animer aujourd’hui cet échange qui est d’ailleurs la 93e émission de Libre à vous ! ; pour parler d’une université qui se situe dans le 93 c’est bien choisi. Pourquoi c’est un grand plaisir ?, parce que j’ai bien connu le département d’informatique de Paris 8 pour y avoir fait mes études dans les années 90, pour y avoir passé des nuits. À l’époque la fac était ouverture 24 heures sur 24, notamment pour les départements d’informatique et d’art, je ne sais pas si c’est encore le cas, mais on verra tout à l’heure. C’était un univers particulier, sans mot de passe administration sur la plupart des machines, sauf sur certains serveurs. J’ai notamment découvert le logiciel libre.
La philosophie de Paris 8 c’était qu’on était libre de faire ce qu’on voulait sur les machines, on était là pour apprendre par la pratique. On a installé du logiciel libre pour nos besoins. J’ai rencontré des gens qui ont changé le cours de ma vie, notamment des personnes qui m’ont expliqué qu’on pouvait avoir un impact sur la société à partir de l’informatique, grâce à l’informatique, notamment Marc Detienne qui était chargé de cours et passait souvent des nuits avec nous, puis, plus tard, Richard Stallman, l’initiateur du mouvement du logiciel libre, qui est venu faire une conférence à Paris 8.
Assez naturellement, à la fin de mes études en 1996, avec quatre camarades j’ai créé l’April, pour faire comprendre, mais surtout connaître le logiciel libre. Donc les liens entre Paris 8 et l’April existent toujours, l’UFR est membre de l’association et nous y organisons nos assemblées générales depuis quelques années. La prochaine est prévue le 20 mars 2021, malheureusement je pense que ce sera en distanciel vu les conditions.
C’était une introduction. C’est une émission un petit peu particulière, en plus j’ai connu Anna à l’époque de nos études communes à Paris 8.

Anna Pappa : Exact.

Frédéric Couchet : Première question, justement une présentation individuelle. On va commencer par Anna qui est au téléphone avec nous, donc Anna Pappa.

Anna Pappa : Merci de cette invitation Fred. Effectivement ça me fait penser aux années en arrière, quand nous étions étudiants en informatique. Moi j’ai poursuivi, si on peut dire ça, une voie académique. J’ai effectué mes études supérieures avec une thèse. Après j’ai poursuivi avec le parcours commun, thèse puis qualification fonctions de maîtresse de conférences, NdT à Paris 8. Donc j’ai eu un poste de maîtresse de conférences à Paris 8, là où j’ai fait mes études, j’en suis très fière. Depuis j’enseigne, j’ai été responsable de différentes formations et depuis cette année, avec Pablo Rauzy, nous sommes coresponsables, enfin, je l’aide dans la responsabilité de la licence informatique.

Frédéric Couchet : Merci Anna. Justement, Pablo Rauzy, petite présentation.

Pablo Rauzy : C’est déjà ce que tu as dit Fred. Je suis maître de conférences à Paris 8 depuis 2016. Avant ça, comme Anna l’a dit, j’ai fait une thèse puis un post-doctorat, etc. Je suis chercheur en sécurité informatique et privacy. J’aime bien dire que ce que je fais c’est de la sécurité informatique émancipatrice qui est vraiment au service des gens et pas des organisations privées ou des États. À part ça, et surtout d’ailleurs, je suis enseignant et responsable de la licence informatique de Paris 8 qu’on essaye de maintenir, autant que possible, dans un esprit qui est un peu celui que tu as décrit dans l’introduction.

Frédéric Couchet : D’accord. On va y revenir en détail tout à l’heure. On va d’abord commencer par un historique de Paris 8, un court historique de Paris 8, parce que les gens ne connaissent pas forcément l’historique de Paris 8 et je pense que ça joue clairement sur la façon dont les enseignements sont faits à Paris 8. Moi qui ai fait mes études, comme Anna, dans les années 90 c’était sans doute encore plus vrai.
Donc le nom officiel de Paris 8 c’est Vincennes à Saint-Denis. Pablo, pour cette première partie, est-ce que tu veux nous faire un petit rappel historique, l’historique de la création de Paris 8 ?

Pablo Rauzy : Oui, tout à fait. D’autant plus que c’était une des raisons principales de ma volonté d’avoir un poste dans cette université que je ne connaissais pas avant d’avoir regardé un peu son histoire, justement parce qu’il y avait un poste qui était ouvert l’année où je candidatais.
Paris 8 est effectivement une université qui a été ouverte d’abord comme centre universitaire expérimental dans le bois de Vincennes, en fait à la suite des évènements de mai 68. En gros, pour la faire courte, l’université de Paris s’est scindée à ce moment-là suite aux évènements qui se sont passés et tous les gauchistes se sont rassemblés dans le bois de Vincennes pour ouvrir une nouvelle université avec des façons alternatives d’enseigner. Par exemple, il n’y avait plus besoin d’avoir le bac, il y a des cours du soir pour les ouvriers pour faire de la formation continue. Il y avait un rapport beaucoup moins hiérarchique entre enseignants et étudiants et étudiantes, beaucoup de choses comme ça. Notamment, du coup, ils ont ouvert les premiers départements d’art en France qui, auparavant, n’était pas enseigné à l’université puisque que c’était dans les conservatoires qui, comme leur nom l’indique, sont conservateurs et d’autres choses nouvelles comme de l’urbanisme et de l’informatique puisque, à l’époque, il commençait à y en avoir, évidemment, c’était en 1968. Il faut savoir que le premier département d’informatique dans le monde c’est à l’université de Purdue en 1962 et le premier département d’informatique universitaire en France c’est celui de Paris 8.

Frédéric Couchet : Celui de Paris 8 ? Ce n’est pas l’un des premiers, c’est vraiment le premier ?

Pablo Rauzy : C’est le premier. Il y avait déjà de l’informatique mais pas de département universitaire dédié à ça.

Frédéric Couchet : D’accord. Et Paris 8 arrive à Saint-Denis dans les années 80, c’est ça ?

Pablo Rauzy : C’est dix ans après. En fait, ce qui s’est passé, c’est que le bois de Vincennes est propriété de la mairie de Paris, à l’époque c’était Jacques Chirac qui était là-bas et tous ces gauchistes sur son territoire ça ne lui plaisait pas. Une phrase fameuse c’est, en gros : « On va les mettre à Saint-Denis, dans le 93, entre rue de la Liberté et l’avenue Lénine – ou je ne sais pas quoi –, ça leur fera les pieds ! »

Frédéric Couchet : Effectivement. De mémoire, je crois que c’est 1980 ou 1981.

Pablo Rauzy : C’est 1980. En fait, pour ne pas bouger l’université, il y a eu une grosse lutte par les étudiants, les étudiantes, les usagers et les enseignants-enseignantes de l’université, qu’ils ont perdue parce qu’ils se sont fait évacuer. Il y a plusieurs entreprises de démolition qui ont été convoquées par la mairie de Paris et, en une nuit, le campus a été entièrement détruit pour être sûr qu’ils ne reviendraient pas occuper. Aujourd’hui c’est difficile, en étant sur place dans le bois de Vincennes, d’imaginer qu’il y avait une université là-bas.

Frédéric Couchet : Je n’ai pas du tout le nom en tête, mais on mettra les références sur le site de l’April et de Cause Commune, il y a un documentaire justement sur cette partie de Vincennes qui est passé récemment.

Pablo Rauzy : Vincennes l’université perdue ; très bien ce documentaire.

Frédéric Couchet : Vincennes l’université perdue, je crois que c’est Arte, en tout cas vous cherchez. On mettra le lien. Je l’ai vu récemment et c’est vraiment passionnant.
Ça c’était la partie effectivement Vincennes à Saint-Denis, comme tu le dis, ça a été envoyé dans le 9-3, donc le premier département d’informatique et aussi l’un des premiers départements d’art. D’ailleurs ce qui était marrant, au moment de nos études on voyait souvent les gens d’arts plastiques parce que, eux aussi, passaient des nuits là-bas.
Donc département informatique et Pablo explique que c’était le premier.

Anna Pappa : Ça a commencé aussi en même temps avec la création et, le nom qu’ils voulaient à l’époque c’était carrément intelligence artificielle ; les gens parlaient vraiment de faire de l’intelligence artificielle. Tout au début de la création, il n’y avait pas vraiment cette notion de département. Une des personnes que je connais comme fondateur, qui y était encore quand nous avons commencé nos études, au début en tout cas, c’est Yves Lecerf. Il fait partie des fondateurs de l’informatique à Paris 8, enfin à Vincennes, qui est devenue après Paris 8, évidemment, Vincennes Saint-Denis. C’est à ce moment-là que ça a attiré l’intérêt de différents informaticiens qui étaient peut-être attirés par cet esprit de savoir libre, d’interdisciplinarité, le fait que la linguistique tenait une position très importante à l’époque dans les savoirs à l’université Paris 8. Ils faisaient en sorte de mélanger les disciplines et les savoirs ; cette notion était très en vogue et ils voulaient la garder. L’informatique, en fait, était ouverte à tous. Tout le monde pouvait venir, quiconque ayant envie de jouer avec une machine pouvait se mettre à coder, pouvait se mettre derrière une machine. En tout cas, c’est cet esprit-là qui a animé les débuts de l’informatique à Paris 8.

Frédéric Couchet : C’est important ce que tu précises, notamment cette multidisciplinarité. Quand j’ai fait mes études, comme toi, à l’époque ça s’appelait un DEUG, un diplôme universitaire d’études générales, DEUG MASS, donc mathématiques appliquées aux sciences sociales, mais en fait, à Paris 8 on avait, en gros, une majeure informatique, une dominante informatique et, à côté, on devait choisir entre maths, ce qui peut paraître logique et j’aurai tout à l’heure une question sur le lien avec les maths, mais, ce qui peut paraître moins logique pour nous, étudiants qui débarquions, c’était qu’on pouvait aussi choisir soit linguistique soit littérature. En fait, il y avait des étudiants qui faisaient effectivement informatique et linguistique, d’autres informatique et littérature, d’autres informatique et maths. Ça c’est vraiment très intéressant et c’est un peu l’historique, forcément, de Vincennes. À l’époque il y avait encore des enseignants qui venaient de Vincennes. C’estt une fac un peu particulière et c’est vrai. D’ailleurs Marc Detienne disait : « Les gens qui survivent à Paris 8 sont forcément des bons parce que c’est une fac tellement particulière ! ». Je pense qu’on y reviendra tout à l’heure.

Anna Pappa : Les conditions n’étaient pas toujours faciles j’imagine. On peut dire aussi qu’à ce moment-là c’était quand même le début de ces centres universitaires expérimentaux. On voulait des gens assoiffés de savoir sans se préoccuper s’ils avaient, par exemple, un baccalauréat ou pas. Tout le monde était sur un même pied d’égalité, que ça soit un enseignant, que ça soit quelqu’un qui travaille dans l’administration, que ça soit un étudiant, tout le monde était pareil, tout le monde était dans l’égalité. Cette notion d’égalité, le fait qu’on pouvait très bien aller suivre des cours de littérature, d’informatique, de psychanalyse parce qu’il y a quand même des disciplines qui ont été créées à Paris 8, qui n’existaient pas ailleurs, c’est ce qui faisait cette particularité. Les gens qui n’avaient pas le bac mais qui avaient envie d’apprendre pouvaient aller suivre des cours.
Le fait qu’il y avait toujours cette notion de « on ne fait pas de cours magistraux », les gens voulaient faire des petits groupes, la question de cette proximité. Il y a des philosophes très connus qui enseignaient là-bas, qui enseignaient à Paris 8, comme Deleuze, toujours dans des petites salles. Tout le monde se précipitait, il y a des photos qui le montrent avec tous les micros devant lui. C’est parce que, effectivement, il y avait cette notion de petits groupes, on faisait des travaux dirigés sur un pied d’égalité, on ne faisait pas de cours magistraux et on était tous autour des tables, on est tous égaux. Voilà.

Frédéric Couchet : On va justement détailler ces spécificités, mais ce que j’avais noté c’était pas de cours en amphi, une approche allant de la pratique à la théorie plutôt que l’inverse, proximité des enseignantes et enseignants avec les étudiants et étudiantes. Et aussi, bien sûr, le logiciel libre, on y reviendra. Sur le salon web il y a une question, je ne sais pas si vous saurez répondre, Sarah demande s’il y a des liens avec les lycées expérimentaux, les lycées xp. Est-ce que l’un de vous deux serait capable de rejoindre ? Pablo.

Pablo Rauzy : Déjà je ne suis pas sûr de ce que sont les lycées expérimentaux et ça répond à la question : non, il n’y a pas de liens spécifiques avec ces lycées-là, même si c’est vrai que ça pourrait être intéressant pour recruter des profils un peu atypiques et tout ça, qui pourraient nous intéresser. Je pense par exemple au lycée autogéré de Paris, je pense effectivement que ça pourrait nous amuser d’avoir des liens, même peut-être d’accueillir, si on a les moyens – en ce moment non de toute façon – des classes de lycée pour une demi-journée, par exemple pour qu’ils voient un peu comment c’est la fac, tout ça.

Frédéric Couchet : Tout à fait. Juste préciser aussi, tout à l’heure quand Anna disait qu’on n’avait pas forcément besoin du bac pour accéder à Paris 8, on n’avait pas non plus forcément besoin de papiers.

Anna Pappa : À l’époque.

Frédéric Couchet : À l’époque, je parle bien de l’époque, on reviendra sur les évolutions. À l’époque, effectivement, tout le monde était le bienvenu, papiers, sans papiers, baccalauréat, pas de baccalauréat.

Anna Pappa : Exactement, les étrangers, tout le monde.

Frédéric Couchet : C’est ce qui faisait la richesse incroyable de cette université comme ce qui fait d’ailleurs la richesse de la ville de Saint-Denis, ce cosmopolitisme. Je précise que j’habite toujours à Saint-Denis.

Pablo Rauzy : Tout à fait. Moi aussi, et je viens de Marseille à la base.

Frédéric Couchet : Toi aussi. Ah oui, moi je viens du 9-2. Tu vois !
Ceci dit, là on a fait une petite introduction un peu plus longue que prévu, mais ce n’est pas grave parce que c’est très important, sur les liens entre Vincennes et Saint-Denis et le démarrage du département informatique.
Le problème, je m’excuse pour les gens qui sont en régie, j’ai de la buée sur mes lunettes donc je ne vois pas forcément tout. Je viens de voir une question.

Pablo Rauzy : Les masques !

Frédéric Couchet : Il y a une question d’Étienne qui demande quel est le lien entre l’apprentissage de l’informatique et l’émancipation et il poursuit « dans quelle mesure ça a changé depuis 1968 ? ». Pablo.

Pablo Rauzy : Hou là ! Le lien entre l’apprentissage de l’informatique et l’émancipation ? C’est quelque chose que tu as dit à un moment donné dans ton introduction, il y a un fort lien entre maîtriser cette technologie qui est partout aujourd’hui, même si c’est un peu bateau de dire ça, et faire les codes de ce qui nous entoure et faire les codes, justement avec un jeu de mots du coup, programmer, et qu’est-ce que sont les règles, qu’est-ce que c’est la loi ? Ce que j’explique souvent aux étudiants c’est : imaginez que la loi vous autorise, par exemple, à suivre mettons dix cours, mais que le logiciel qu’utilise l’université ne permet d’en rentrer que huit. À votre avis qu’est-ce qui s’applique ? Je crois que c’est Cory Doctorow qui disait Code is Law ou c’est Lawrence Lessig ?

Frédéric Couchet : Non, c’est Lawrence Lessig.

Pablo Rauzy : Je confonds les deux. C’est Lawrence Lessig qui disait Code is Law, c’est quelque chose qui est très vrai. En fait, il y a un double aspect émancipateur d’apprendre comment ces choses-là qui, finalement, nous contrôlent, fonctionnent et le revers de ça c’est, du coup, la responsabilité qu’on a quand c’est nous qui devenons les gens qui développons ces choses-là.

Frédéric Couchet : D’accord.

Pablo Rauzy : Le lien avec la société c’est quelque chose qui nous tient à cœur, c’est quelque chose qu’on veut vraiment transmettre à nos étudiants et étudiantes dans la formation. On est par exemple, je pense, une des seules, voire la seule formation en informatique où il y a un cours d’histoire de l’informatique qui est obligatoire et qui est l’occasion de parler énormément de politique, de social, d’écologie et, justement, de contextualiser politiquement, socialement, ce rôle d’informaticien, d’informaticienne et de la technologie qui, malheureusement, est beaucoup plus asservissante qu’émancipatrice aujourd’hui.

Frédéric Couchet : Tout à fait. À mon époque, on avait des cours de maths vraiment maths-maths et il y avait des cours d’histoire des mathématiques.

Pablo Rauzy : Il y a toujours.

Frédéric Couchet : Il y a toujours ? C’est très bien !

Pablo Rauzy : Le département de mathématiques de Paris 8 est toujours beaucoup focalisé sur l’histoire des mathématiques.

Frédéric Couchet : D’accord.
On va parler un petit peu des spécificités de cette formation. On va commencer par la première, en tout cas celle que j’ai choisie en premier parce que c’est celle qui m’a le plus impressionné à l’époque, c’est que dès, la première année, on fait de l’informatique, on travaille sur des machines, on voit un peu de théorie mais, en fait, c’est d’abord la pratique. Comme je le disais tout à l’heure en introduction, lors de la séance d’accueil que j’avais eue, les enseignants qui étaient là expliquaient : « Il n’y a pas de mot de passe administration sur la plupart des machines parce que vous êtes là pour apprendre, donc vous faites ce que vous voulez, éventuellement avec des risques, mais vous êtes là pour apprendre ». Cet aspect pratique fondamental est important. Qui veut commencer sur ce sujet-là ? Anna.

Anna Pappa : Si vous voulez. Je peux rappeler un peu le moment, si tu veux Fred, où effectivement à notre époque en tout cas, je ne sais pas si tu te souviens, c’était quand même des étudiants qui géraient le Bocal, le fameux Bocal, la salle sans fenêtre où on se retrouvait tous avec des machines, bref !, on passait des nuits à coder et effectivement cette histoire de ne pas avoir de mot de passe administrateur, ça a permis à beaucoup parmi nous de participer à la gestion du Bocal, n’est-ce pas ? Tu te souviens de comment c’était à l’époque. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. On a des machines avec des mots de passe, mais ça reste quand même l’esprit Bocal, le fait, pour les étudiants, de pouvoir se retrouver dans une salle, de travailler ensemble ou même donner des cours qui dépassent le périmètre des étudiants de ce cours, où il y en a d’autres qui travaillent à côté sur des machines et qui peuvent suivre un peu, etc., ça reste toujours d’actualité.

Frédéric Couchet : D’accord. En pratique, comment ça se passe aujourd’hui Pablo ?

Pablo Rauzy : Effectivement, c’est quelque chose qu’on ne peut plus faire parce que l’environnement est beaucoup plus hostile. J’ai une comparaison très foireuse qui me vient, mais, effectivement, on pouvait imaginer, dans les années 60, ne pas avoir besoin de préservatifs ; aujourd’hui ce n’est plus possible. J’ai envie de dire que c’est un peu pareil pour l’informatique et le réseau : ne plus avoir de mots de passe sur les machines, de mot de passe administrateur, aujourd’hui ce serait le Far West et les machines ne dureraient que deux jours, pas à cause des étudiants mais à cause du réseau, évidemment.
Pour revenir à ce que tu disais, effectivement aujourd’hui c’est une formation très pratique, c’est assez unique dans le paysage. Il faut savoir que dans la plupart des licences il y a une espèce de portail scientifique commun en première année et ce n’est qu’à partir de la deuxième année qu’on se spécialise vraiment en informatique. À Paris 8, on a fait le choix de garder cet aspect spécifique, de dire que dès la première année on peut faire à 100 % de l’informatique si on a envie. On a toujours un système de majeure-mineure, comme tu le décrivais, avec une majeure informatique et une mineure qui peut être prise en mathématiques, comme tu le disais, et on a des accords avec les départements d’art. On a une étudiante qui fait une mineure en philosophie, et aussi cinéma, musicologie.

Frédéric Couchet : Ce principe existe toujours.

Pablo Rauzy : Ce principe existe toujours et la mineure qu’on propose en interne, par défaut, c’est une mineure qui s’appelle « conception et programmation de jeux vidéo » parce que le jeu vidéo est un objet d’étude qui permet justement de mettre les mains dans le cambouis et de toucher un peu à tout, c’est-à-dire du graphisme, de la programmation réseau, de l’intelligence artificielle ; ça touche à beaucoup de sujets de l’informatique.

Frédéric Couchet : L’objectif ce n’est pas que les gens deviennent développeurs ou développeuses de jeux vidéo, sauf s’ils ont envie, mais qu’ils découvrent l’ensemble des choses possibles à faire en informatique.

Pablo Rauzy : C’est ça, avec une formation toujours les mains dans le cambouis, c’est-à-dire les mains sur le clavier, beaucoup de programmation et tout ça. Il y a toujours cet aspect-là : les étudiantes et étudiants sont beaucoup sur les ordinateurs et font beaucoup de projets, apprennent par la pratique et on arrive à la théorie comme ça. Ce n’est pas trop la méthode française classique où, d’habitude, on présente la théorie puis on fait des exercices d’application. Nous, on va plutôt essayer de présenter la pratique et amener par la pratique à se poser les questions qui nous amènent à justifier de parler de la théorie. Évidement c’est compliqué à faire tout le temps, exactement comme ça, mais, en tout cas, c’est la philosophie de la formation.

Frédéric Couchet : D’accord. Est-ce que le Bocal est toujours ouvert 24 heures sur 24 ou ce n’est plus le cas non plus ?

Pablo Rauzy : De toute façon ce n’est plus le cas, mais même avant en fait il y a les histoires de Vigipirate et des trucs comme ça qui font que c’est compliqué, mais c’est arrivé à certaines périodes. Je ne suis pas à Paris 8 depuis longtemps, seulement depuis 2016, je ne connaissais pas la fac avant, mais c’est arrivé que le Bocal soit ouvert la nuit et que des étudiants restent bosser la nuit dedans encore, mais ce n’est plus la même chose.

Frédéric Couchet : Oui, et le contexte n’est plus le même. À l’époque on avait peu d’ordinateurs à la maison, dans les années 90 en ce qui me concerte. Aujourd’hui les gens ont un ordinateur chez eux, donc le contexte…

Pablo Rauzy : Alors « les gens ont un ordinateur chez eux », encore une fois ça dépend qui !

Frédéric Couchet : Oui, ça dépend qui. On va justement y revenir tout à l’heure sur la partie étudiants et étudiantes.

Pablo Rauzy : On reste dans le 93.

Frédéric Couchet : On reste quand même dans le 93.
Donc une formation vraiment très pratique. Sur quels types de langages ou sur quels types de projets travaillent les étudiants, notamment en première année quand ils arrivent ? Anna.

Anna Pappa : En première année on fait beaucoup par l’exemple. On commence, en fait, à mettre la main sur différents langages de programmation, on fait un petit tour. On commence déjà à leur montrer un peu l’environnement. Souvent ils ne connaissent pas. Ils viennent avec des machines et, on va dire, ils ne sont pas très à l’aise avec Linux, tout ça. On leur montre un tout petit peu l’environnement, comment on fait du script, à la rigueur on commence avec le shell. On donne un peu des explications sur les différents types de langages, on insiste pas mal. Actuellement je pense qu’on fait plus de Python, on suit aussi un peu les évolutions, on fait du C, on fait toujours du Racket, on évolue, la liste a évolué. En tout cas on reste toujours un peu dans l’esprit de montrer les différents aspects d’approche pour résoudre un problème.
Moi je continue à donner des cours en Prolog. C’est toujours dans cet esprit-là. On montre souvent des petits jeux parce que c’est quand même plus attrayant pour les étudiants de première année, chacun avec son domaine : je fais peut-être plus d’exemples sur la logique, Pablo va faire plus de jeux avec la sécurité, les autres vont faire des jeux qui impliquent les images. Voilà. Chacun essaye de mettre ce qui l’intéresse un peu dans les petits projets. Et puis c’est toujours avec le plus de temps possible derrière la machine, on est derrière eux, en tout cas quand les temps le permettent parce que, actuellement, c’est vrai qu’on travaille tous à distance. En tout cas on est derrière les étudiants, on débloque tout de suite dès qu’ils ont le moindre problème. On fait nous-mêmes les cours, que ça soit des TP, des TD, parce qu’on n’a pas cette notion de cours magistraux, on travaille toujours avec des petits groupes, mais on est toujours derrière les étudiants pour les aider à se développer puis à s’épanouir en codant parce que c’est pour ça qu’ils viennent à Paris 8, parce qu’ils adorent ça, ils aiment justement créer des choses et on est là pour les aider à aller vers ce dont rêvent, là où ils aimeraient aller.

Frédéric Couchet : On va faire une pause musicale. Juste après la pause musicale on parlera justement des motivations et aussi des compétences nécessaires avant chez les étudiants. Je parlerai donc des questions que pose Marie-Odile sur le salon web, mais après la pause musicale.
On va poursuivre notre découverte de cet artiste qui s’appelle Sapajou. On va écouter Lion par Sapajou. On se retrouve dans trois minutes. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : Lion par Sapajou.

Voix off : Cause Commune, 93.1.

Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Lion par Sapajou, disponible sous licence libre Creative Commons Attribution, CC By. Vous retrouverez les références sur april.org et sur causecommune.fm. Le site de l’artiste est sur SounCloud, c’est sapoujoubeats.

Vous écoutez toujours l’émission Libre à vous ! sur radio cause Commune, la voix des possibles, 93.1 FM et en DAB+ en Île-de-France, partout dans le monde sur le site causecommune.fm.

Nous discutons actuellement du département informatique de l’université Paris 8 avec nos invités, Anna Pappa, maîtresse de conférences en informatique et Pablo Rauzy, maître de conférences en informatique, coresponsables tous les deux de la licence informatique & vidéoludisme à l’université Paris 8.

Juste avant la pause musicale, on parlait de la motivation, Anna parlait un petit peu des étudiants qui arrivent et une des questions qu’on peut se poser, on peut se poser plusieurs questions par rapport aux étudiants. Sur le salon web – je rappelle que vous pouvez participer, vous allez sur cause commune,fm, bouton « chat », salon #libreavous – Marie-Odile demande quel bac doivent avoir les étudiants et est-ce que les étudiants doivent avoir fait beaucoup de maths avant de candidater à l’université pour le département informatique ? Anna et après Pablo.

Anna Pappat : Je dirais non, ce n’est pas nécessaire. Pour nous c’est plus la motivation qui compte, c’est-à-dire que même quelqu’un qui a fait un bac littéraire, qui aime coder, qui aime la programmation, qui aimerait bien apprendre à faire de l’informatique pour créer des choses qui lui plaisent, eh bien oui, on l’accepte, il n’y a pas de souci. Ce n’est pas une prérogative. Pablo peut rajouter effectivement.

Frédéric Couchet : D’accord. Même si on est mauvais ou mauvaise en maths, ce n’est pas un problème pour candidater à la licence informatique.

Pablo Rauzy : Maintenant on est obligé de passer par Parcoursup pour les candidatures en licence. Sur Parcoursup il y a un truc qui s’appelle le projet de formation motivé. Nous lisons ces projets de formation, ce n’est pas partout comme ça, et c’est le premier critère.

Frédéric Couchet : C’est une sorte de lettre de motivation.

Pablo Rauzy : C’est ça, un genre de lettre de motivation. On a à la fois dans les « attendus locaux » sur Parcousup et sur le site de la formation qui est linké depuis april.org sur la page de l’émission, il y a une note aux candidats et ce qu’on dit dedans, qui est vrai, c’est que ce à quoi on fait attention c’est s’ils montrent de la motivation concrète pour la programmation. En vérité, si on n’aime pas programmer, notre formation ne va pas être très épanouissante, comme on vous l’a dit c’est une formation où on fait beaucoup ça. La formule que j’avais trouvée c’est de dire que notre formation nous fait découvrir en largeur l’informatique par la pratique, en profondeur par la programmation. Effectivement, si on n’aime pas la programmation c’est difficile. Ce qu’on attend ce sont des gens motivés, quel que soit le bac, qui sachent qu’ils vont aimer la programmation. Donc comment on montre de la motivation concrète ? Ce n’est pas en disant « j’adore ça, depuis tout petit et ça me fait rêver, etc. ». Non ! C’est dire j’ai pris le temps, j’ai pris au moins un après-midi pour aller sur Internet – on donne des liens sur le site – pour tester la programmation. J’ai installé Python, par exemple, et j’ai fait un petit programme, j’ai trouvé ça super excitant, c’était marrant, je sais que j’adore ça. Nous expliquer ça et c’est ça qu’on regarde en premier. Ensuite, on doit faire un classement, malheureusement on est obligé, et puis on a un nombre de places limité, forcément.

Frédéric Couchet : D’ailleurs il y a combien de places ?

Pablo Rauzy : On est maintenant à 70 places sur Parcoursup.

Frédéric Couchet : Est-ce que vous avez, dans ces sortes de lettres de motivation, des personnes qui vous envoient carrément des références vers leur forge, par exemple l’endroit où ils ont mis leur code ?

Pablo Rauzy : Oui, c’est arrivé qu’on ait des liens vers des Gitlab, des GitHub, etc.

Frédéric Couchet : Donc des forges de développement, là où on met du code source.

Pablo Rauzy : Ça on prend direct, c’est sûr. Clairement c’est le genre d’étudiants dont on sait que chez nous ils vont s’épanouir, qu’ils vont super bien réussir, que ce sont des gens qui vont être heureux dans leurs études et c’est ça qu’on veut.
Il faut quand même savoir que le profil des étudiants en informatique est quelque chose qui a beaucoup évolué. Quand moi j’ai fait mes études, par exemple, il n’y avait pas du tout d’informatique au lycée et les gens qui arrivaient en informatique, en gros, c’étaient un peu déjà des geeks, donc c’était un certain profil.
Ces dernières années, les profils qui arrivaient en première année en informatique, c’étaient beaucoup des gens, et c’est tout à fait légitime, qui allaient par là, pas toujours mais souvent, un peu par défaut parce que c’est un domaine qui embauche. Donc quand on ne sait pas trop ce qu’on veut faire, qu’on sait qu’on est un petit peu à l’aise plutôt dans les matières scientifiques, des choses comme ça, faire de l’informatique c’est un peu l’assurance d’avoir un emploi à la fin. C’est tout à fait légitime de faire ça. Là, on va avoir de nouveaux profils qui arrivent avec l’ouverture de l’option NSI au lycée.

Frédéric Couchet : NSI, rappelle ce que ça veut dire.

Pablo Rauzy : Numérique et sciences informatiques, avec un programme assez ambitieux d’ailleurs. Les candidats et candidates, qui ne sont pas encore étudiants et étudiantes, qui sortent de ce cursus, auront une vraie expérience, un vrai aperçu de ce qu’est l’informatique et de ce qu’est une formation en informatique. Parfois on avait aussi des candidats qui confondaient utilisation d’un ordinateur, apprendre à utiliser des logiciels, et ce qu’on fait en licence d’informatique, c’est-à-dire apprendre à programmer et développer des logiciels, concevoir des logiciels.

Frédéric Couchet : D’accord. Je vois la question de Sarah sur le salon web, je vais la poser après. Juste avant je voudrais poursuivre sur ce sujet-là, notamment des métiers après. J’ai une question peut-être un peu troll par rapport à l’école 42. Sur le salon web je vois qu’on parle de l’école 42 qui est aussi ouverte 24 heures sur 24. Finalement, quelles sont les différences pour un étudiant ou une étudiante qui se dirait justement « tiens, je veux vraiment faire de la programmation, je veux en faire mon métier, j’ai entendu parler de l’école 42, aujourd’hui j’entends parler du département informatique de Paris 8. Quelles sont les différences et pourquoi aller à Paris 8 ? »

Pablo Rauzy : Ce n’est pas vraiment une question troll, en fait c’est une vraie question. Les différences concrètes c’est qu’on donne un diplôme et que chez nous il y a des profs.

Anna Pappa : La formation à 42 n’est pas reconnue.

Pablo Rauzy : Maintenant, l’école 42 est une école qui peut marcher pour certains profils. En gros, les étudiants qui n’ont pas besoin de l’école 42 pour réussir vont réussir à l’école 42 parce qu’ils auraient réussi n’importe où. Il y a des gens pour qui la forme de liberté ou de pédagogie vraiment par projets, comme ce qu’il y a dans cette école, va peut-être plus leur correspondre, mais ce n’est clairement pas fait pour tout le monde et je pense qu’il doit y avoir un taux d’abandon haut et tout ça ! Je n’ai pas de chiffres c’est pour ça que je dis je pense. En vérité, on a déjà accueilli des gens qui venaient de là-bas ou de formations très similaires mais payantes – l’école 42 a quand même l’avantage d’être gratuite même si elle reprend le modèle de certaines autres écoles –, des gens qui candidatent directement en deuxième année, qui ont besoin d’un petit peu d’encadrement, qui ont besoin juste d’avoir des profs, qui ont besoin d’avoir un contact et surtout un encadrement pas forcément que pédagogique, mais aussi pour éviter le boy’s club ou les choses comme ça qui peuvent se passer dans certain établissements.

Frédéric Couchet : On va en parler juste après. Avant de parler de ça, Anna est-ce que tu veux compléter sur la question par rapport à l’école 42 ?

Anna Pappa : Je pense que quelqu’un qui est prêt à faire ce type de formation, ce projet-là reprend un peu l’idée. Ils disent « on se fiche des diplômes, on prend celui qui est motivé par la programmation, donc on l’accepte ». C’est à peu près le même esprit qu’on avait à l’époque, à la fondation de l’université, c’est libre, il n’y a pas cette reconnaissance des diplômes. Effectivement, quelqu’un qui pourrait faire des choses pour apprendre et réussir là-bas a tout à fait sa place à l’université, avec un diplôme à la main.

Frédéric Couchet : D’accord. Je complète ma deuxième question avant qu’on aborde la question des boy’s club et la question de Sarah sur le salon web. Tu as parlé des débouchés. Quels sont les débouchés en termes professionnels pour un étudiant, une étudiante, qui fait ce département informatique à Paris 8 ? Anna.

Anna Pappa : Partout ! Les entreprises qui connaissent nos étudiants, franchement elles reviennent, que ce soit parce qu’on a d’excellents programmeurs et c’est quelque chose qui manque encore, il y a des demandes. Donc les étudiants qui sont bons en programmation, et on fait d’excellents programmeurs, d’excellents développeurs, peuvent trouver un travail dans n’importe quel domaine de l’informatique, que ça soit en image, les jeux, le data science, tout de qu’ils veulent, même continuer avec les masters, en IA, etc.

Frédéric Couchet : Pablo.

Pablo Rauzy : Je confirme totalement ce que dit Anna. Effectivement on a de super bons retours des stages des étudiants en général. Nos étudiants sont acceptés dans les masters dans lesquels ils candidatent. Il faut bien comprendre, quand on démarre une licence, que le but premier d’une licence c’est de continuer en master. On a toujours des super retours de la plupart des collègues chez qui on envoie des étudiants en master, que ce soit à Paris 8 évidemment, mais même dans d’autres formations. Je connais un peu, par exemple, les trucs en sécurité, il y a un super bon master à Limoges, il y a de très bonnes formations à Rennes qui est maintenant la ville de la cybersécurité en France, on envoie des étudiants là-bas. C’est un peu mécanique, c’est juste qu’ils déjà savent programmer pour de vrai et ils ont fait un an d’informatique de plus que les autres puisqu’on a commencé à faire que ça dès la première année.

Frédéric Couchet : Ils ont commencé en première année.

Pablo Rauzy : Évidemment, il y a cet aspect-là qui joue énormément.

Frédéric Couchet : On va venir justement sur la question de Sarah, la notion des boy’s club. Sur le salon web, je vous rappelle causecommune.fm, bouton « chat » et vous allez sur le salon #libreavous, Sarah demande s’il y a une attention particulière à la parité dans la sélection à l’entrée.

Pablo Rauzy : Oui. Par contre on n’a pas le droit, mais oui.

Frédéric Couchet : Justement. Comment ça se passe ?

Pablo Rauzy : Je ne vais pas en parler du coup, mais oui on fait attention à ça.

Frédéric Couchet : D’ailleurs il y a combien d’étudiantes par rapport aux étudiants dans vos groupes ?

Pablo Rauzy : On essaye de faire en sorte qu’il y ait au moins un tiers d’étudiantes prises en L1.

Anna Pappa : Voilà, il y a un tiers, deux tiers à peu près.

Frédéric Couchet : Un tiers, deux tiers, ce qui, pour un département informatique, est plutôt pas mal. À mon époque, c’était peut-être un dixième !

Pablo Rauzy : Même moi, quand j’ai fait mes études, c’était ça et je pense que c’est encore ça dans pas mal d’établissements. C’est explicitement écrit sur Parcoursup qu’on n’a pas le droit de faire de distinction sur ce genre de critère, donc officiellement on n’en fait pas.

Anna Pappa : On ne fait pas, non on ne fait pas ! Mais la demande par les filles de venir vers ce type de cursus, ce type de formation, commence à augmenter. À un moment donné ça faisait peur, maintenant ce n’est plus le cas ! Niveau démocratisation, les filles adorent l’informatique. On va dire aussi qu’au niveau goût c’est aussi très partagé par les filles et les garçons. On a quand même plus de demandes, donc ce n’est pas la peine de faire cet effort, on va dire. On a suffisamment de demandes pour être dans le tiers, deux tiers. En tout cas ça correspond pratiquement à ça, au niveau des demandes et par rapport à l’acceptation.

Frédéric Couchet : D’accord. Je vais juste rappeler qu’on a consacré plusieurs émissions à cette question de la place des femmes dans l’informatique. Je ne vais pas toutes les citer parce que je crois qu’il y en trois ou quatre sur différents sujets, la dernière étant assez récente avec Ada Tech School, Django Girls Paris et je vais avoir un trou de mémoire sur la troisième structure, mais je fais confiance à la régie pour me la signaler of Code Paris.
Je crois d’ailleurs que c’est toi qui as parlé de boy’s club. Justement ma question : comment ça se passe entre les étudiantes et étudiants, on connaît le monde informatique et le monde masculin. Comment ça se passe à Paris 8 ?

Pablo Rauzy : On essaye de faire très attention à ça. Par exemple dans la réunion de rentrée, dans la présentation de la formation je pends toujours du temps pour bien mettre les choses au clair sur le fait qu’on ne tolère pas les discriminations, les choses comme ça, qu’on ne tolère pas le harcèlement, qu’on ne tolère pas ces choses-là. On a une certaine proximité avec nos étudiants et nos étudiantes, comme Anna le disait, on a la chance de ne pas faire de cours en amphi, on a tous les étudiants par groupes, les étudiants de première année sont répartis en trois groupes chez nous et un même cours est donné par trois enseignants et enseignantes qui vont faire entièrement les cours, donc les cours magistraux, les TD, les travaux dirigés, les travaux pratiques, les projets, l’évaluation, qui vont les faire à leur sauce, avec leur groupe et aussi en fonction du groupe, etc. Du coup cette proximité nous permet, quand il y a un souci, que les étudiants osent nous en parler, on a aussi des étudiants tuteurs et tutrices, ce qu’on appelle les tuteurices, qui font aussi le relais quand, par exemple, il y a besoin.

Frédéric Couchet : C’était quelque chose de très important. Je ne sais pas si ça existe dans d’autres facs.

Anna Pappa : Oui, on l’avait aussi.

Frédéric Couchet : Effectivement quand j’ai fait mes études, cette notion de tuteur et tutrice, les nouveaux encadrés par les anciens, c’était vraiment fondamental.

Pablo Rauzy : Je peux raconter une anecdote, quelque chose qui m’a beaucoup touché cette année. Dans un groupe de L1 cette année on a une personne non-binaire. Je faisais attention à ce que ça se passe bien et je n’ai rien eu à faire pour que ses camarades, en en parlant, utilisent le pronom « ielle » par exemple. J’ai trouvé ça super.

Frédéric Couchet : Le pronom neutre.

Pablo Rauzy : Oui. Visiblement ça n’a posé de problème à personne, en tout cas je n’en ai pas eu écho. Il y a sûrement eu une discussion entre eux et entre elles visiblement parce que ça m’étonnerait qu’ils arrivent tous en L1 avec déjà la connaissance de ces trucs-là et la déconstruction nécessaire à l’utiliser de manière totalement normale, mais c’était le cas dans nos échanges assez rapidement après le début de l’année. Donc j’ai l’impression que ça se passe plutôt bien et que les choses bougent dans le bon sens de ce côté-là, même s’il est sûr qu’il faut rester vigilants et vigilantes tout le temps.

Frédéric Couchet : D’accord. Est-ce que vous voulez rajouter sur cette partie spécificité. Oui. J’allais dire est-ce que vous voulez rajouter quelque chose ? On a oublié une spécificité importante de la licence avant qu’on parle des conditions actuelles de la pandémie et des étudiants, une spécificité historique même !, c’est la place du logiciel libre. Quelle est la place du logiciel libre dans la formation du département informatique. On va commencer par Anna.

Anna Pappa : C’est central. Je crois qu’on n’a rien de propriétaire. Franchement ! J’ai appris comme ça, on continue comme ça et je pense qu’on va continuer comme ça. D’ailleurs on passe l’esprit du partage, on travaille avec, on le fabrique et on le partage. La question ne se pose même pas. Parfois les étudiants me disent « Madame, ça ne se passe pas comme ça ailleurs », je dis « je ne sais pas parce je n’en ai pas vu depuis les années 90, mais oui, je vous crois, voilà, vous pouvez faire ceci avec ». Je pense que maintenant la majorité des jeunes va plus facilement vers le Libre ; ils le connaissent un peu plus qu’avant. Il y a quand même plein de choses propriétaires, ça nous est un peu imposé on va dire, mais il y a quand même, chez nous en tout cas, une vraie envie de continuer avec le Libre et on le fait autant que possible. Même pour les logiciels qui sont à la mode, on essaye toujours de trouver des alternatives dans le Libre et on essaye aussi d’inculquer ces principes aux étudiants et ça se passe bien. Pour l’instant je pense qu’on se débrouille pas mal, si je peux me permettre.

Frédéric Couchet : Ça fait partie, comme tu disais Pablo, de l’utilisation émancipatrice des technologies. C’est ça ?

Anna Pappa : Absolument !

Pablo Rauzy : Tout à fait. On leur en parle dès le début de l’année. Là, au premier semestre de la formation, il y a un cours qui s’appelle « gestion d’identité en ligne ». C’est un premier cours qui, après, va être poursuivi par l’histoire de l’informatique, en deuxième année, et en troisième année il y a cours qui s’appelle « droit, éthique et informatique » et il y a même un cours de contribution au logiciel libre qui s’appelle « développement de logiciels libres » où, en gros, ils ont un semestre pour faire une contribution au logiciel qu’ils veulent et on les accompagne.

Frédéric Couchet : C’est en troisième année, en L3 ?

Pablo Rauzy : Oui, tout à fait et on les accompagne avec quelques success stories amusantes comme une petite contribution dans Emacs ou une contribution dans ls des GNU Coreutils qui était complètement folle, il y a quelques années. C’est un cours qui se passe toujours très bien, c’est très amusant.

Frédéric Couchet : En plus, ça doit être passionnant pour la personne de contribuer directement à un logiciel qui est utilisé par des millions de personnes. Ce sont deux logiciels dont les gens n’ont peut-être pas entendu parler, mais qui sont quand même utilisés par des millions de personnes. Emacs est un environnement de travail complet et ls est une petite commande qui permet de lister des fichiers sur un système.

Pablo Rauzy : C’est ça. Du coup on les incite. Évidemment elles et eux, entre eux, ils utilisent beaucoup de choses comme Discord, des choses comme ça, mais on essaye et on est aidés par la DSI de Paris 8. Il faut savoir qu’il y a des facs qui sont passées chez Google ou Microsoft par exemple pour gérer les mails. À Paris 8 c’est complètement hors de question, c’est une fac qui garde un peu quand même cette identité-là aussi au niveau de l’établissement, pas que dans notre formation. Par exemple on utilise le plus possible un logiciel qui s’appelle BigBlueButton pour ne pas utiliser Zoom.

Frédéric Couchet : Un logiciel de vidéoconférence.

Anna Pappa : On l’appelle BBB.

Pablo Rauzy : C’est ça, oui, pour les cours. Avec les collègues, avec Anna et d’autres collègues du département, on a même monté une association pour avoir des ressources que Paris 8 ne peut pas forcément nous mettre à disposition. On héberge une forge logicielle GitLab qui est un logiciel libre, que l’on met à disposition de nos étudiants et étudiantes, qui permet de collaborer de travailler au développement de logiciels et un logiciel qui s’appelle Mattermost qui est un équivalent de Slack qui est, en gros, une espèce de forum/chat/discussion qui nous permet, par exemple, de faire le lien avec eux, avec les cours. Moi j’ai l’application sur mon téléphone. En ce moment il faut être très disponible pour les étudiants et étudiantes ; cette période est très difficile pour elles et eux, pour nous aussi, du coup on essaye d’être très joignables puisqu’on ne peut pas les voir.

Frédéric Couchet : Justement parce que le temps file et on va aborder ce sujet. Tu as parlé de la DSI, la direction informatique de Paris 8, je voulais juste un petit coucou à Ivaylo Ganchef qui travaille là-bas et qui nous organise régulièrement nos assemblées générales. D’ailleurs notre assemblée générale, qui n’aura sans doute pas lieu à Paris 8, sera organisée avec BigBlueButton, un outil de visioconférence.
Tu viens de parler des étudiants et des étudiantes et, évidemment, du contexte que tout le monde connaît. Justement comment ça se passe actuellement depuis la rentrée avec les étudiants et les étudiantes qui sont à distance ? Comment ça se passe en termes de formation et comment vont les étudiants et étudiantes ?

Pablo Rauzy : Ils ne vont pas bien. Elles ne vont pas bien. On peut le dire. C’est très clair. Le gouvernement n’aide pas. Les annonces qui vont dans un sens, dans l’autre, les mensonges continus de Frédérique Vidal, la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, n’aident pas du tout, ça c’est clair !
Il faut savoir qu’on est dans une situation un peu particulière. On a quand même des gros effectifs étudiants et étudiantes par rapport au nombre d’enseignants qu’on est et à la taille de nos salles informatiques. C’est en train de s’améliorer parce qu’on a eu une grosse lutte dont on était déjà venus parler dans cette émission et qui a abouti. On a trois postes ouverts au concours : un poste de professeur agrégé, un poste de maître de conférence, un poste de professeur des universités pour la rentrée prochaine et on a eu cette diminution de la capacité d’accueil sur Parcoursup de 90 à 70, mais malgré tout on a des gros effectifs.
Par exemple cette année, avant que le gouvernement annonce le confinement qui a eu lieu, on a commencé en demi-groupes pour que les étudiants puissent quand même venir à la fac. Ensuite, quand ils ont mis la jauge à 50 % de capacité d’accueil, la réalité, contrairement à ce que raconte la ministre qui ment dans les médias, c’est qu’un demi-groupe ne rentre pas dans une demi-salle, en fait ça déborde. Quand on a une salle avec 32 places et que les groupes font 45 étudiants et étudiantes, eh bien un demi-groupe, quand on a mis les jauges des salles à 50 %, ça ne rentre plus. Donc on est passé trois semaines avant tout le monde en distance complet.
Pour revenir à ce que tu disais tout à l’heure, je fais des guillemets avec mes mains autour de ma tête, « aujourd’hui tout le monde a un ordinateur chez lui, chez elle », eh bien non ! Du coup nos salles informatiques sont, depuis ça, utilisées par les étudiantes et les étudiants qui n’ont pas forcément, chez elles et chez eux, d’ordinateur, de connexion internet ou juste le calme nécessaire pour pouvoir suivre dans de bonnes conditions leurs cours à distance et qui, du coup, viennent se mettre dans les salles de TP. On a attribué des postes à chacun, chacune pour qu’ils respectent qu’il n’y ait qu’un poste sur deux qu soit utilisé, les jauges sont respectées, tout ça.
Par exemple quand la ministre dit : « On va faire venir les étudiants et les étudiantes un jour par semaine ou à 50 % pour les L1 », ce n’est pas vrai, elle ment, on ne peut pas parce que les salles sont utilisées par des étudiants de toutes les années, toute la formation, qui ont besoin, pour suivre leurs cours à distance, d’être dans les conditions de la salle de la fac parce qu’il y a l’ordinateur, il y a la connexion, etc.
L’UFR STN, qui est l’ancien l’UFR MITIC dans lequel il y a notre département informatique, a, par exemple, aussi payé des casques pour les étudiants qui en ont besoin.

Frédéric Couchet : OK. On va rappeler encore une fois que c’est à Saint-Denis, qu’il y a sans doute aussi la problématique que beaucoup d’étudiants et étudiantes devaient sans soute travailler pour payer une partie de leurs études.

Pablo Rauzy : C’est la majorité. C’est le facteur numéro 1 d’abandon ou d’échec. Il faut savoir que, en gros, on diplôme en L3 à peu près un tiers de l’effectif qu’on a en L1. Effectivement, les gens qui sortent de chez nous après trois ou quatre ans, ce sont des monstres, ils sont pris partout où ils veulent, ils sont super bons. Comme tu disais, quand on sort de cette licence…

Frédéric Couchet : On a la niaque et on réussit partout.

Pablo Rauzy : Même pas que la niaque, juste on est bons et bonnes, tout simplement, ils sont vraiment forts et fortes. Tous les jours je suis impressionné par nos étudiants et nos étudiantes.
Par contre, un des gros facteurs d’échec à l’université, chez nous comme partout, sauf que chez nous il y a beaucoup de gens qui sont dans cette situation-là, c’est d’avoir un emploi à côté avec des horaires. On fait plein d’efforts pour que ça se passe bien. Par exemple, vous pouvez regarder sur le site de la formation les emplois du temps. Je fais énormément d’efforts quand je fais les emplois du temps pour que chaque groupe ait au moins un jour entier libre par semaine plus une autre demi-journée, pour essayer qu’ils sachent dès que possible quand est-ce qu’ils vont avoir, dans la semaine, un jour complet de dispo pour pouvoir bosser à côté. On fait ce genre de choses, ce sont des attentions qui ne sont pas présentes dans toutes les formations, qui n’en ont pas toutes autant besoin, il faut bien le dire.
À partir de la L3 on est aussi ouverts en alternance. Ce n’est pas forcément quelque chose que j’approuve à 100 % dans l’absolu, mais ça permet au moins, à certains étudiants, d’avoir une rémunération et un emploi avec des horaires prévus qui collent avec la formation et un contenu et des missions à faire dans leur travail qui collent aussi avec la formation. Dans ce sens-là c’est intéressant. On essaye de faire en sorte que ces choses-là se passent bien. Oui, il y a beaucoup de nos étudiants, énormément, qui ont un boulot à côté.

Frédéric Couchet : J’étais en train de regarder une actu qu’on avait publiée quand le collectif des enseignants et enseignantes de la licence informatique de Paris 8 avait exprimé les problématiques, tu avais cité, tu avais indiqué avoir passé l’équivalent de cinq mois de travail supplémentaire pour pallier aux manques et que tu n’étais pas le seul parmi tes collègues à te surinvestir dans l’enseignement. Anna, sur cet aspect étudiant, surinvestissement comment tu le vis et comment le vivent tes étudiants et étudiantes ?

Anna Pappa : Écoute Fred, il faut être honnête, si on fait ça à Saint-Denis, je pense que, quelque part, on est des gens passionnés, on aime ce qu’on fait. Tu sais, pour faire le boulot d’enseignant-chercheur avec des conditions un peu, je ne vais pas dire difficiles, mais pas ce qu’on devrait avoir, c’est très compliqué. C’est vraiment notre passion pour l’enseignement, le fait qu’on aime cette interaction avec les étudiants et la recherche aussi, bien évidemment, même si les conditions pour la faire deviennent de plus en plus difficiles.
On double tous notre service au niveau horaire, c’est ça qui nous a épuisés. Effectivement, à force d’épuiser, épuiser, au bout d’un moment c’est intenable !
On a pu, avec cette lutte, gagner ces trois postes, tu imagines !, ce sont des postes qu’on devrait avoir, mais là, on dit qu’on les a gagnés, tu vois les difficultés que nous avons. On espère qu’à partir de la rentrée prochaine ça va être un peu plus cool pour nous, qu’on va retrouver un travail plus serein, qu’on ne sera plus obligés de travailler au-delà de ce qu’il faut, parce que là on est obligés pour faire tourner la formation, même avec des contraintes, je ne vous dis pas maintenant avec ces distances-là, mais même sur place parfois.
C’est notre passion c’est le fait qu’on reste toujours proches de nos étudiants. Je pense, je crois que les étudiants se sentent à l’aise pour venir nous parler clairement, même maintenant avec la distance qui est entre nous. On chatte beaucoup. Ce n’est pas comme si on était, je vais mettre entre guillemets, dans une espèce de « copinage », mais dans le chat il y a cette proximité, en fait, dans nos échanges. Quand c’est le cas ils nous disent qu’ils ne vont pas bien et ils savent qu’on est près d’eux.
Comme Pablo a dit on fait cet inventaire au tout début de l’année, on a vu les besoins de chacun ; qu’est-ce qui manque : micros, écouteurs, ordis, écrans, caméras, on a tout mis en place pour que tous les étudiants en licence puissent venir et avoir au moins un ordi dédié à eux, comme ça ils peuvent suivre les cours sans avoir d’autres préoccupations.
Après, il y a toujours les difficultés financières. On essaye de les orienter vers les associations. Beaucoup est fait en général à Paris 8 ; il y a une dynamique assez forte pour aider les étudiants.

Frédéric Couchet : Merci Anna. Je vais vous juste vous laisser 30 secondes chacun parce que les personnes du sujet suivant sont arrivées et je voulais juste vous dire quand même que Sarah, sur le salon web, vous dit : « C’est vrai que ça donne envie de reprendre des cours » ; elle dit : « Bravo à vous, on sent votre investissement et ça fait trop envie ». Vous donnez envie.

Anna Pappa : Merci.

Frédéric Couchet : 30 secondes chacun de conclusion ou de message à faire passer. On va commencer par Anna. Vas-y.

Anna Pappa : Franchement je trouve qu’on a la meilleure, je ne sais pas, c’est prétentieux, mais en tout cas pour ceux qui voient, qui consomment l’informatique comme nous, franchement c’est là où il faut être : venez faire de l’informatique à Paris 8, c’est vraiment the place to be avec les enseignants qui sont aussi fous que les étudiants. C’est super !

Frédéric Couchet : Pablo.

Pablo Rauzy : Du coup, comme Anna a déjà dit ça, je vais compléter en disant que les trois postes qu’on a récupérés pour la rentrée prochaine c’est effectivement suite à une grosse bataille dont on était déjà venus parler ici dans Libre à vous ! et dans laquelle on a été accompagnés notamment par la CGT, qui nous a permis de faire ça. Il faut savoir que ces trois postes ce ne sont pas des nouveaux postes, ce sont des postes qu’on récupère, qu’on a perdus depuis que je suis arrivé en 2016 parce que des départs à la retraite non remplacés, etc. Toutes ces choses-là vont de pire en pire — Anna a parlé un peu de recherche — notamment à cause de la loi de programmation de la recherche de Frédérique Vidal et de ce gouvernement. C’est quelque chose dont on n’a pas trop eu le temps de discuter, mais c’est vraiment quelque chose contre lequel on était en lutte, pas que nous, toute la communauté universitaire. Le confinement à arrêté ça et Frédérique Vidal, ministre, en a profité pour faire passer la loi et ça ne va pas du tout. Beaucoup de choses empirent à l’université et c’est notamment à cause de ce genre de loi qui rentre dans un processus comme Parcoursup, comme la loi ORE et Réussite des Étudiants avant, etc. Donc on lutte contre ça aussi.

Anna Pappa : On est toujours des battants. On ne se laisse pas faire !

Frédéric Couchet : En tout cas c’était un grand plaisir de vous avoir.

Anna Pappa : Merci Fred.

Frédéric Couchet : Avant d’oublier, je vais juste dire que l’émission est dédiée à d’autres enseignants magnifiques que Anna et moi avons pu connaître à Paris 8, notamment Patrick Sinz, Jean Méhat et Marc Detienne à qui l’April doit beaucoup, les nuits passées avec Marc Détienne dans les années 90. Souvenirs aussi à Christian Colère et Marcel Provost qui étaient les deux administrateurs système de l’époque, qui avaient ouvert aux étudiants, qui avaient envie de travailler avec eux.
C’était le département informatique de l’université Paris 8 de Saint-Denis dans le 93 avec Anna Pappa et Pablo Rauzy, tous les deux maîtres de conférences.
Je vous remercie. Passez une belle journée fin de journée.

Pablo Rauzy : Merci de l’invitation.

Anna Pappa : Merci.

Frédéric Couchet : À bientôt Anna en tout cas.
On va passer au sujet suivant.

[Virgule musicale]

Frédéric Couchet : On va passer directement au sujet suivant pour être sûr de ne pas couper en cours de route. On ne va pas faire la pause musicale. L’artiste Sapajou, c’était Above, on mettra sans doute sur la version podcast.

Pause musicale : Above par Sapajou.

Voix off : Cause Commune, 93.1.

On passe au sujet suivant.

Chronique « Que libérer d’autre que du logiciel » avec Antanak sur le thème de libération et mutualisation de pratiques

Frédéric Couchet : Nous allons poursuivre avec la chronique d’Antanak, « Que libérer d’autre que du logiciel ».
Isabelle Carrère et d’autres personnes actives de l’association Antanak se proposent de partager des situations très concrètes et/ou des pensées de mise en acte et en pratique au sein du collectif — reconditionnement, baisse des déchets, entraide sur les logiciels libres, l’appropriation du numérique par tous et toutes. Je rappelle que Antanak sont nos voisins et voisines, rue Bernard Dimey dans le 18e arrondissement de Paris.
Bonjour Isabelle.

Isabelle Carrère : Bonjour Fred. Bonjour à tout le monde.

Frédéric Couchet : Bonjour Cédric. C’est ça ?

Cédric Roquette : C’est ça. Bonjour.

Frédéric Couchet : Je vous laisse la parole.

Isabelle Carrère : Merci. Aujourd’hui je suis venue avec Cédric.
En fait on a parlé ici, dans cette chronique, du reconditionnement, on a parlé des téléphones sur lesquels on installe des systèmes libres et aussi, la dernière fois, des difficultés d’Antanak à « attirer », entre guillemets, des femmes dans ces activités tellement c’est encore compliqué pour elles d’entrer dans le monde informatique, et du numérique.
Aujourd’hui, avec Cédric, on veut parler d’autre chose qu’on essaye de libérer aussi, comme tu l’as dit, c’est de libérer des pratiques. Pour nous tout ça est très lié. Aujourd’hui on va parler de mutualisation.
De même que, pour nous, le matériel ne peut être dissocié des logiciels, ce que je veux dire par là c’est qu’on ne peut pas imaginer développer ou utiliser du libre sans se poser la question du matériel sur lequel on va le faire, notamment la question du neuf et du reconditionné, de la même manière on ne peut faire autrement que se demander quelle est la provenance du matériel qu’on reconditionne, l’espèce de chaîne dans laquelle on se situe.
On reviendra une autre fois sur la question du neuf, du sens de l’achat, de la propriété du matériel et aussi du gâchis immense qui est fait à plusieurs titres, mais là on est vraiment sur la question du reconditionnement.

Cédric Roquette : Tu parlais, Isabelle, de la question de la provenance du matériel informatique. En amont de cette chaîne de reconditionnement, on a des entreprises qui nous donnent du matériel pour des tas de raisons.
Il y a tout d’abord un context, social et politique, qui pousse au réemploi du matériel. Aujourd’hui ce n’est pas encore complètement mis en œuvre mais ça avance. Concrètement il y a une conscience écologique qui se met en marche de manière plus ou moins effective.
Ensuite il y a ce qu’on appelle le greenwashing, c’est-à-dire une bonne conscience que se donnent les directeurs informatiques avec un renouvellement de leur parc qui s’effectue en moyenne au bout de trois-quatre ans et qui donnent, du coup, le matériel qui est devenu inutilisé. Il y a donc tout un marché autour du matériel obsolète qui se met en place pour ces entreprises, il y a la possibilité de vendre ce matériel pour qu’il soit, ensuite, reconditionné ou qu’il soit trié pour valoriser les matériaux.
Et enfin des règles aux niveaux européen et international qui concernent les D3E, c’est-à-dire les déchets d’équipements électriques et électroniques. Le consommateur qui achète aujourd’hui du matériel paie une toute petite partie de son prix qui part dans le financement du retraitement des déchets. Par ailleurs, les entreprises qui ne valorisent pas leurs déchets et les jettent directement sont soumises à une taxe.
Aujourd’hui à Antanak, comme d’autres structures, on travaille pour faire baisser la quantité de ces déchets via la réutilisation et le réemploi.

Isabelle Carrère : Réutilisation-réemploi, pour ça, il faut qu’on arrive à trouver du matériel à reconditionner, au vu des demandes incessantes et grandissantes de personnes en quête de matériel utilisable. Je dis bien utilisable car au début, en 2015, quand on a monté l’asso, on acceptait un peu tout et n’importe quoi. D’ailleurs on a encore dans les sous-sols à Antanak, dans nos locaux, de vieux ordinateurs qu’on n’a toujours pas pu reconditionner, peut-être qu’on y arrivera un jour, peut-être pas, mais à l’époque on acceptait tout. Maintenant on n’accepte pas tout à fait tout. On est capables de dire à des entreprises « non, là, en fait, on n’est pas une déchetterie », du coup on voudrait quelque chose qui soit un petit peu de qualité et qu’on puisse certes réparer, optimiser, performer, mais qu’il y ait quand même une base qui fonctionne ; avant on n’osait pas le faire, maintenant on le fait vraiment.
Notamment en ce moment avec le télétravail, l’augmentation de l’utilisation « forcée » de l’informatique dans la société pour les études, pour la formation l’accès aux droits…, etc., ça intensifie vraiment le besoin en ordinateurs dans toute la population. Du coup, on a fait le tour des autres structures autour de nous, autour d’Antanak, notamment dans le nord de Paris mais même au-delà, pour voir comment les autres faisaient, si elles avaient des idées que nous n’avions pas encore eues pour faire mieux, même si on trouve qu’on s’est plutôt bien débrouillée depuis six ans, mais quand même !
En plus, au moment du 1er confinement en mars 2020 – ça fait définitivement très drôle de dire des choses comme ça, le premier, le deuxième, le troisième – plusieurs institutions sont venues vers nous pour qu’on augmente le nombre de dons parce que soudainement elles se sont rendu compte, les mairies, pôle emploi, les écoles, les universités dont on parlait tout à l’heure, bref !, tout le monde a dit « est-ce que vous pourriez faire plus, est-ce que vous pourriez donner plus ? » Oui, en faire plus, ils sont bien gentils mais comment, quoi ? Là, du coup, est venue l’idée d’un réseau : on s’est dit que si on se mettait à plusieurs, d’autres petites associations comme la nôtre et même d’autres structures plus grosses, on pourrait peut-être accepter des volumes plus importants qu’on se répartirait entre nous, au lieu de dire simplement « eh bien non, nous on ne peut pas prendre ». On nous avait dit « on a 500 ordinateurs » et on a dit « on ne peut pas, on est trop petits ». On s’est dit que si on est un réseau de plusieurs structures qui peuvent reconditionner alors on pourra accepter des dons de grosses entreprises qui déstockent des volumes beaucoup plus importants.

Cédric Roquette : Du coup, en partenariat la mairie de Paris, on a décidé de se réunir avec d’autres collectifs, pour mettre sur pied ce fameux réseau afin de partager, échanger à propos du reconditionnement en général, mais aussi au niveau du traitement des déchets.
L’objectif pour nous, pour Antanak, à moyen et long terme, ce serait d’avoir une organisation mutualisée, par exemple un entrepôt où des entreprises et des particuliers déposeraient leur matériel en état de fonctionnement ou réparable, pour qu’on puisse le traiter. Il pourrait y avoir une ou plusieurs personnes qui seraient en charge de la réception de ce matériel, également de la logistique et pour faire le lien avec les différentes structures. On pourrait mettre en place une espèce de « droit de tirage », c’est-à-dire que sur chaque don chaque structure prend le matériel qu’elle souhaite en fonction de ses besoins et en fonction de ses capacités de stockage.
Les structures du réseau ont des modes de fonctionnement très variés.
Il y a d’un côté trois structures qui sont, entre guillemets, assez « grosses » : il y a un CAT c’est-à-dire un Centre d’aide par le travail, une entreprise de réinsertion et une association membre d’un mouvement humanitaire. Pour ces structures, la solidarité est en interne, c’est-à-dire qu’il y a des personnes en difficulté pour trouver un emploi ou des personnes qui ont besoin de passer par une de ces structures dans leur parcours professionnel.
D’un autre côté, on a trois, entre guillemets, « petites » structures », c’est-à-dire nous et deux autres associations de proximité. Nous on récupère le matériel via des dons uniquement, on le répare, on le trie et on donne en contrepartie d’une adhésion ou d’un prix libre selon les cas.
Donc on voit qu’on a des modèles économiques qui sont complètement différents. Par exemple toutes des personnes qui travaillent à Antanak sur l’activité de reconditionnement sont des bénévoles donc le « coût », entre guillemets, du matériel reconditionné n’est pas du tout le même.
L’idée c’est vraiment de mutualiser entre ces six structures, de récupérer tout le matériel via des dons et que chacun garde son mode de gestion interne, propre.

Isabelle Carrère : C’est ça, les pratiques c’est vraiment ça, c’est chacun reste au milieu exactement comme il le veut. L’idée c’est de mutualiser l’amont et peut-être après l’aval, mais, en tout cas, de laisser chacune des structures continuer à fonctionner comme elle fonctionne.
Du coup, comme ce projet de réseau théorique, en conception, avançait bien, juste à ce moment-là, en fin d’année dernière, on a été contactés à Antanak par une entreprise qui avait plus de 200 ordinateurs à donner. Du coup on s’est dit que c’était l’occasion de faire l’exercice pour de vrai, pour de bon, et de démontrer aux autres que ça pouvait marcher.
Donc on a fait ça, on les a prévenues, on a dit « voilà on a 200 ordinateurs qui arrivent, qui veut quoi ? ». C’était intéressant parce qu’on a tout de suite constaté que les structures jouaient le jeu pour de bon, que ce n’était pas une question de concurrence, « j’en veux plus, j’en veux tant », etc., tout le monde a été vraiment adorable, ça c’est super bien passé, on s’est réparti les choses. En plus on a eu vraiment de la chance, l’entreprise en question avait fait les choses vraiment bien, elle avait effacé elle-même ses données, il n’y avait plus rien du tout donc on n’a pas eu ce boulot-là à faire. Elle avait tout bien emballé, c’était clair, « ce poste-là n’a pas de disque dur », des choses vraiment hyper-transparentes, ça a vraiment facilité, et elle a même payé la livraison ! C’est le truc qui ne nous arrive pas tous les jours, souvent c’est plutôt on va chercher les ordis dans la camionnette et on se débrouille, là c’était vraiment très chouette. Les ordinateurs ont été livrés par eux chez Antanak et les autres structures sont venues chercher les ordinateurs dont elles avaient dit qu’elles avaient besoin.
Comme ça on a bien vu qu’il y avait de la considération entre nous et que c’était peut-être possible.

Cédric Roquette : Oui, c’était vraiment chouette. On a vu que c’est possible, que ça peut marcher et que chacun peut y trouver son compte.
Comme on disait au début on libère les pratiques, on libère et on se libère des carcans de fonctionnements différents, on partage un besoin et surtout on y apporte une solution.

Isabelle Carrère : Au début des échanges, certaines des structures qui achètent actuellement le matériel se disaient un peu perplexes, avaient du mal à comprendre qu’elles allaient pouvoir accepter gratuitement du matériel, alors qu’il y a un marché du reconditionnement qui continue à se développer, et que les sources de dons allaient se tarir. D’autres n’imaginaient pas comment on allait pouvoir se répartir les ordinateurs, mais là on a vu que c’était jouable, c’était faisable.
Maintenant ça y est, le réseau a un nom depuis jours, il s’appelle le réseau REFIS.

Frédéric Couchet : C’est une exclusivité !

Isabelle Carrère : Absolument, c’est une exclusivité pour Libre à vous !, REFIS c’est rigolo, ça fait référence aussi au REFER. Le réseau REFIS donc on a mis tous les mots dedans c’est donc le réseau de « Réemploi Francilien et Informatique Solidaire », il y a tous les mots pour dire ce que ça veut dire.
Certaines des structures qui sont membres se considèrent elles-mêmes comme des reconditionneuses, d’autres se considèrent comme des accompagnatrices numériques. Nous, à Antanak, on est un peu particulier, on est à côté, on est plus sur un autre enjeu global d’appropriation libre, mais, en fait, c’est ça qui fait qu’un réseau peut se faire, on est toutes différentes et on peut faire ensemble, en libérant les pratiques sur cet axe précis à la fois en amont pour la collecte pour reconditionner et ensuite plus tard, peut-être, sur la question des déchets.
Voilà l’histoire.

Frédéric Couchet : Merci Isabelle et Cédric d’Antanak qui, je rappelle, est au 18 rue Bernard Dimey dans le 18e, ce sont des voisins, nous sommes au 22. Non seulement Isabelle est voisine, mais elle aussi animatrice à la radio de l’émission Un coin quelque part sur l’habitat.

On va passer aux annonces de fin. On a un petit peu de temps.

[Virgule musicale]

Quoi de Libre ? Actualités et annonces concernant l’April et le monde du Libre

Frédéric Couchet : Quelques annonces de fin.
On l’a signalé la semaine dernière, mon collègue l’a déjà fait, mais je vais le refaire parce que c’est un site important. Nous avons le plaisir d’annoncer l’ouverture du site Libre à lire ! qui est consacré aux transcriptions traitant du logiciel libre et des libertés informatiques en général. En effet, depuis de nombreuses années l’April produit des transcriptions, il y a en plus de 800. Pour valoriser ces transcriptions on a mis en place un site dédié, c’est librealire.org. Les transcriptions ont pour objectif de faciliter l’indexation, l’accessibilité et la réutilisation de contenus audio et vidéo. Comme je l’ai dit il y 800 transcriptions qui sont disponibles. N’importe qui peut participer à une transcription, par exemple simplement la relire car cela ne demande aucune compétence particulière. C’est une façon de contribuer au Libre à la portée de toutes et tous et, en plus, ça permet d’enrichir ses connaissances, parce que évidemment, en faisant une transcription on écoute un audio ou une vidéo et on apprend des choses. J’en profite pour saluer Marie-Odile qui est notre fabuleuse animatrice du groupe Transcriptions et qui, surtout, fait la quasi-totalité des transcriptions, même si elle a de l’aide pour les relectures, Marie-Odile que je salue. Donc librealire.org.
Tout à l’heure, dans le premier sujet, ma collègue Isabella Vanni, coordinatrice vie associative et responsable projets à l’April, s’occupe aussi du groupe Sensibilisation de l’April et, comme chaque jeudi, donc jeudi soir 11 février 2021, il y aura une nouvelle réunion ouverte à toute personne qui souhaite contribuer. Le groupe travaillera sur le jeu de plateau coopératif et pédagogique appelé le Jeu du Gnou. Dans le cadre de ce jeu, en ce moment le groupe se penche notamment sur les moyens d’expliquer différentes problématiques ou différentes questions autour du grand public. N’hésitez pas à venir même si vous ne connaissez pas forcément le logiciel libre ou pas très bien. Toutes les infos sont sur les sites de l’April et de l’Agenda du Libre. La réunion est à 17 heures 30 et elle utilise un outil de visioconférence.
Je sais aussi que nos amis de Parinux organisent le jeudi soir à 20 heures une soirée de Conversations au Libre, par contre je ne sais pas si le sujet est déjà en ligne. Pareil vous allez sur le site de l’Agenda du Libre.
Sur le site de l’Agenda du Libre, vous allez trouver plein d’autres informations et plein d’autres évènements parce que, même en cette période de pandémie, il y a quand même des évènements qui sont organisés. D’ailleurs nous relançons l’initiative Libre en Fête en espérant qu’il y aura quelques évènements qui auront lieu, ne serait-ce qu’à distance. Pour en savoir plus, vous allez sur libre-en-fete.net. N’hésitez pas à ajouter vos évènements. Si vous prévoyez des évènements en présentiel, comme c’est le cas dans des différentes villes, essayez de prévoir un backup pour le cas où l’évènement serait annulé, car assez probablement, en fonction de la date, les évènements n’auront pas lieu en physique, donc essayez de prévoir quelque chose. Par exemple le FOSDEM qui était à Bruxelles, qui est un rendez-vous plutôt geek, a eu lieu entièrement à distance ce week-end.
Sur le site agendadulibre.org vous trouvez toutes les informations.
Je rappelle aussi que vous pouvez laisser un message sur le répondeur de la radio si vous avez envie de réagir à un des sujets de l’émission ou à une autre émission, si vous souhaitez poser une question ou simplement nous faire un petit coucou. Pour cela vous appelez le numéro 09 72 51 55 46, je répète 09 72 51 55 46.

Notre émission se termine.
Je remercie les personnes qui ont participé à l’émission du jour : Isabella Vanni, Rémi Letot, Anna Pappa, Pablo Rauzy, Isabelle Carrère, Cédric Roquette.
Aux manettes de la régie aujourd’hui Patrick Creusot.
Merci également à l’équipe qui s’occupe de la post-production des podcasts : Samuel Aubert, Élodie Déniel-Girodon, Olivier Humbert, Lang1, Sylvain Kuntzmann, Olivier Grieco, Quentin Gibeaux. Toute une équipe pour travailler sur ces podcasts , évidemment ils se répartissent le travail.

Vous retrouverez sur le site de l’April, april.org et sur le site de la radio, causecommune.mf, une page consacrée à l’émission avec toutes les références utiles que nous allons compléter suite aux échanges riches que nous avons eus aujourd’hui.
N’hésitez pas à nous contacter si vous voulez nous faire des retours, nous poser des questions ou poser des questions aux intervenants qui ont participé aujourd’hui à l’émission. Évidemment, nous leur transmettrons vos questions.

Nous vous remercions d’avoir écouté l’émission.
Si vous avez aimé cette émission n’hésitez pas à en parler le plus possible autour de vous. Faites également connaître la radio Cause Commune, la voix des possibles. Je crois qu’à partir de la semaine prochaine il y a une Antenne libre tous les soirs à partir de 22 heures, animée par Karim pendant la période de vacances scolaires. N’hésitez pas à écouter, il y a plein d’émissions super.

La prochaine émission Libre en vous ! aura lieu en direct mardi 16 février 2021. Notre sujet principal portera sur les démarches pro-libre dans l’éducation.

Nous vous souhaitons de passer une belle fin de journée. On se retrouve en direct la semaine prochaine et d’ici là, portez-vous bien.

Générique de fin d’émission : Wesh Tone par Realaze.