- Titre :
- Marseille et Les Logiciels Libres : La gestion de la TMA sur des Logiciels Libres à l’échelle d’une collectivité
- Intervenants :
- Béatrice Lautard,ville de Marseille - Thierry Benita, atReal - Valentin Sarot, Sopra Steria - Sébastien Dubois
- Lieu :
- Libday - Marseille
- Date :
- novembre 2017
- Durée :
- 38 min 45
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- Licence de la transcription :
- Verbatim
- transcription réalisée par nos soins.
Les positions exprimées sont celles des intervenants et ne rejoignent pas forcément celles de l’April.
Transcription
Sébastien Dubois : Bonjour à tous. Je vais juste introduire nos témoins d’aujourd’hui, Béatrice pour la ville de Marseille, Thierry et Sopra Steria qui sont là pour nous parler un petit peu de comment se passe la tierce maintenance applicative notamment des logiciels libres utilisés à la ville de Marseille et je crois que c’est Béatrice qui prend le micro en premier.
Béatrice Lautard : Bonjour. Je vais commencer par vous présenter le contexte, les exigences que nous avons eues par rapport à l’utilisation des logiciels libres, le marché de TMA [Tierce maintenance applicative] et les petites remarques, je dirais, de contexte par rapport au Libre. Et ensuite ce sera donc Valentin et Thierry.
La ville de Marseille a décidé de partir dans l’utilisation de logiciels libres métiers, on est bien sur des parties métiers donc d’applications métiers, notamment pour gérer nos permis de construire openADS [1], administration droit du sol, openAria [2], gestion des établissements recevant du public et openMarchéForain [3] qui démarre la semaine prochaine pour gérer les placements des forains sur les marchés alimentaires ou autres.
Pourquoi avons-nous décidé de partir dans le Libre, j’en dis juste deux mots, parce qu’on a considéré que c’était une réelle économie au final, enfin c’est le souhait que l’on en avait, une réelle économie de deniers publics, puisque, à priori, nous développons des outils, nous les reversons dans une forge et d’autres collectivités peuvent les utiliser de multiples façons. Donc, même s’il est clair que pour la ville de Marseille elle-même, cet investissement est complet puisque si une grande collectivité ne se lance pas en premier sur un sujet, eh bien les petites collectivités ne pourront pas en bénéficier : on ne peut pas attendre d’une ville moyenne, de moins de 100 000 habitants par exemple, de faire développer un outil de permis de construire ; ce serait beaucoup trop cher. Donc même si la ville de Marseille n’en attend pas directement un retour sur investissement, nous considérons que globalement c’est de l’argent public qui sera économisé, éventuellement ailleurs.
Pour ce faire, notamment sur openADS et openAria, nous avons lancé des marchés spécifiques qui étaient des marchés de développement, que nous avons appelés ici marchés initiaux, et ces marchés spécifiques ont été attribués à des sociétés. Il y en a eu deux qui ont fait les développements ad hoc ; openMarchéForain, on l’a développé pour partie en interne et pour partie avec de la TMA.
Nous avons de façon récurrente, tous les quatre ans, des marchés de tierce maintenance applicative dans lesquels nous faisons gérer toute la maintenance corrective, évolutive, de nos applications spécifiques. Il faut savoir que la ville de Marseille, comme toute collectivité, a une multitude de métiers. Pour couvrir tous ces métiers nous avons à peu près 500 applications, je dirais outils informatiques, de plus ou moins grande taille, et à peu près la moitié ou pas loin sont couverts par des développements spécifiques. Ensuite, nous avons des progiciels plus gros, plus petits. Donc ça, c’est une méthode de travail que nous avons depuis longtemps. Nous lançons donc des marchés de tierce maintenance applicative dans lesquels nous mettons la maintenance de nos applications spécifiques.
Concernant les outils libres dont on a parlé tout à l’heure, openADS, openAria, nous avons souhaité les mettre dans ces marchés de TMA. Je pense que j’y reviendrai un petit peu plus loin sur les raisons, mais nous les avions isolés dans des postes spécifiques puisque nous avons des postes, je dirais par technologie en gros, mais là, le Libre nous l’avions mis à part, et également parce que les dates de démarrage et d’organisation des marchés n’étaient pas exactement les mêmes.
Le 24 janvier 2016 nous avons donc attribué le marché de TMA à Sopra-Steria et ATOS, conjointement, et le poste libre openADS nous l’avons démarré en juin 2017.
Nos exigences. Quelles étaient nos exigences sur ces postes libres en plus des exigences que nous pouvons avoir sur le développement ?
Nous ne souhaitons pas faire de fork. Je ne sais pas si tout le monde est bien familier de tous ces concepts. Le principe c’est que pour en avoir les avantages, ceux dont j’ai parlé au départ, c’est-à-dire que ça puisse servir à d’autres collectivités, le but c’est que nous restions, je dirais, dans la version libre, commune, reversée proprement ; effectivement reverser dans la forge toutes les évolutions que nous faisons et assurer une veille pour que, éventuellement, si d’autres collectivités utilisent ces outils et les font évoluer, eh bien récupérer ces évolutions.
Donc ça, ça faisait partie, c’est vraiment la spécificité d’un logiciel libre parce qu’ensuite, sur le reste, c’est un développement tout à fait classique.
Nous avions également, bien sûr, l’exigence d’avoir la continuité de service c’est-à-dire de ne pas avoir de rupture entre le marché initial et le poste de TMA.
J’en arrive sur le fait pourquoi nous avons souhaité, je dirais, intégrer les postes libres dans la TMA plus globale. Parce que les TMA de la taille de celle de la ville de Marseille, c’est forcément une grosse SSII, là en l’occurrence deux, et c’est forcément une grosse SSII qui a ce type de marché. Et donc l’intérêt c’est, par rapport à des sociétés qui ont beaucoup de qualités, également de moyens de répondre correctement, mais il y a un problème à un moment donné de seuil de ressources quand on est face à des grosses évolutions. Et l’intérêt d’être dans une TMA un peu plus importante c’est justement de pouvoir avoir, à un moment donné, des ressources que l’on peut mobiliser. Et également sur cette forge openMairie, peut-être que Thierry l’expliquera mieux tout à l’heure, je ne sais pas si vous allez l’expliquer, en fait openADS et openAria s’appuient sur un framework, je vais le dire avec mes mots, qui s’appelle openMairie [4], qui est donc un outil qui permet de venir faire ces développements. Ça c’était extrêmement important pour nous. [Je ne m’en rappelais plus.]
Qu’est-ce qu’on en a retiré de cette expérience de Libre ?
Le Libre, on l’a dit, on en attend deux avantages. Le premier c’est d’avoir une économie d’échelle, c’est-à-dire que cette application qui a été développée, payée je dirais, resettée par une collectivité x peut être récupérée de façon très simple, par exemple dans la forge de l’ADULLACT [5] ou dans d’autres forges, par n’importe quelle collectivité qui ensuite demandera de la prestation autour ou n’en demandera pas, mais ça c’est le premier avantage.
Le deuxième avantage, parce qu’après tout on pourrait se dire on achète un progiciel, c’est pareil ; on achète un progiciel, eh bien la collectivité d’à côté l’achète aussi. Mais l’avantage c’est d’avoir la main sur, je dirais, les développements, pouvoir décider de ses développements, mais également qu’on ne soit pas propriétaire, enfin qu’il n’y ait pas quelqu’un qui soit propriétaire de ses évolutions et qu’il n’y ait qu’une personne ou qu’une société qui puisse travailler, enfin qui puisse modifier le logiciel.
Dans les faits, ce n’est pas très évident. Donc nous on a deux expériences. On a l’expérience, je dirais : la ville de Marseille fait développer un logiciel et le fait maintenir par une autre société. Bon ! Ça se fait ! Au final ça se fait, mais ça n’a pas été forcément très simple au départ. Pourquoi ? Parce que d’abord, il y a des standards de développement particuliers, il y a cette openMairie par exemple, et puis il y a des règles très précises sur le développement libre. Très bien ! Mais il y a également tout ce qui est entre guillemets « droits, licences ». On rentre dans un monde sur lequel on n’est pas habitués, qu’on ne connaît pas, c’est très particulier. Voilà, donc le créateur initial du logiciel, je vais prendre un exemple tout bête, openADS, au départ le noyau a été créé par la mairie d’Arles. D’accord ! Bon, je ne critique pas du tout, c’était très bien, merveilleux, mais enfin ça n’a plus aucun rapport l’outil d’aujourd’hui et l’outil initial. Il n’empêche qu’il y a eu quand même un travail notamment, je pense que Thierry pareil vous l’expliquera, pour que le droit de regard avant versement en forge, etc., eh bien ne soit plus détenu par la mairie d’Arles qui finalement, petit à petit, n’avait pas suivi les évolutions du logiciel.
Donc en effet pour reverser il y a quand même des contraintes ; il y a des contraintes par rapport au droit, par rapport au code, parce qu’effectivement, si on veut que ce soit récupéré, eh bien il ne faut pas que ce soit non plus écrit n’importe comment.
Il s’avère que nous avons été également, au niveau du Libre, sur une autre posture. C’est-à-dire la ville de Paris a développé, il y a de ça une dizaine d’années, un logiciel de gestion des marchés. Donc là nous, ville de Marseille, nous avons été entre guillemets « clients ». La ville de Paris a fait développer son logiciel et puis elle a entre guillemets « invité » les grandes collectivités à venir voir ce logiciel — très bien, c’est ce que nous allons faire d’ailleurs sur les permis de construire — et puis, à un moment donné, quand la ville de Marseille a décidé de changer son logiciel de gestion des marchés, eh bien on a dit, plutôt que de prendre un progiciel, après tout on va prendre l’outil de la ville de Paris.
Concrètement, quand on a lancé l’appel d’offres d’intégration — parce que certes on a le code, mais il y a quand même des paramétrages, il y a de l’accompagnement —, la société — d’ailleurs je crois que c’était la seule réponse, de tête je pense bien que c’était la seule réponse — c’était la société qui l’avait développé pour la ville de Paris. Bon ! Quelque part, intellectuellement, ça nous gêne un petit peu, parce que si ce sont toujours les mêmes sociétés qui répondent aux appels d’offres et qu’il n’y a pas de concurrence, on a loupé, je dirais, un des enjeux. Entre temps je crois qu’il y a une autre société qui s’est positionnée sur l’outil de gestion des marchés. Bon, voilà !
Avant de dire ça, je voulais dire également que, par contre, concernant un des objectifs qui était donné, dans le cadre d’openADS il s’avère que d’autres collectivités l’ont récupéré, notamment Mégalis Bretagne avec un certain nombre de villes qui, du coup, utilisent openADS. Et on a eu, je dirais, un bénéfice puisqu’ils ont développé un module qu’ils ont reversé et qu’on a récupéré. Donc là, ils ont bénéficié de nos investissements et on a bénéficié des leurs.
Nous, une collectivité de la taille de la ville de Marseille, on est convaincus qu’il faut absolument que les SSII d’abord investissent quelque part ce monde parce que les grosses collectivités, qu’on le veuille ou non, même si on travaille aussi avec des structures plus petites, sont quand même obligées de travailler avec des structures un petit peu plus importantes et, force est de constater que pour l’instant les SSII ne sont pas trop positionnées là-dessus. Donc là on les a un peu, entre guillemets, « obligées » et bon ! Elles l’ont fait. En fait, elles vont vous expliquer comment elles ont travaillé. Il y a une confiance réciproque parce que la phrase à laquelle on tient beaucoup c’est que nos intérêts, puisque nous, quand même, on dépense l’argent public, les intérêts de la ville de Marseille doivent être préservés, mais l’accord doit être gagnant-gagnant-gagnant ; il faut que tout le monde y trouve un intérêt. Je pense que c’est ce à quoi nous allons arriver et donc, pour l’instant, on ne regrette pas d’être partis dans cette démarche même si nous continuons, par ailleurs, à acheter des progiciels sur d’autres domaines, ce n’est pas forcément quelque chose qu’on généralise, mais on essaye. Et openMarchéForain notamment, qui est donc un développement qu’on a effectué, dès l’instant où on aura démarré, que tout cela sera rodé, on le reversera, et puis des collectivités peuvent être intéressées. Voilà, je vous remercie.
[Applaudissements]
Valentin Sarot : Je vais vous parler maintenant de la vision de Sopra Steria [6] par rapport à ce démarrage. Pour restituer un petit peu le contexte, Sopra Steria travaille avec la ville de Marseille depuis un peu plus de 15 ans maintenant, en tant qu’intégrateur. Donc on a une bonne connaissance des différents acteurs de la ville de Marseille, des différents projets. On travaille en partenariat, ça c’est important de le souligner, et Sopra Steria a toujours mis un point d’honneur à avoir une relation de proximité avec ses clients ; ça fait partie de nos valeurs.
Notre métier d’intégrateur nous permet d’avoir une certaine autonomie sur les projets, puisqu’on a une certaine expertise dessus, et d’être réactifs par rapport aux différents besoins, en fait, de la ville de Marseille.
Quand on a répondu à l’appel d’offres il y a à peu près deux ans, on s’est dit finalement le Libre qu’est-ce que ça change par rapport à notre métier d’intégrateur ? On reste autonomes, en fait on a toujours cette autonomie, bien que ce soit l’utilisateur, finalement, qui contrôle le programme. Ça c’est le principe du Libre, c’est vraiment de redonner aux utilisateurs ce contrôle.
Les postes libres ont démarré cet été. Pour nous ça a impliqué, bien sûr, une montée en compétences, technique et fonctionnelle, mais bon ça, à la limite, c’est ce qu’on fait au quotidien ; on a un périmètre applicatif qui est en évolution, donc sur ce point-là il n’y a pas de problèmes particuliers. Et puis on a découvert le Libre au sens openMairie et ça rejoint un petit peu le paradoxe qu’on a évoqué tout à l’heure, puisque, en fait, il y a l’éditeur historique qui se positionne comme garant des contributions qui sont faites sur la forge et qui assure donc une cohérence sur l’outil. Ça nécessite, plutôt ça implique, une phase de contrôle supplémentaire et donc, pour nous, moins de réactivité quelque part. Or on se situe dans un cadre contractuel contraint, avec des délais de traitement des incidents qui sont imposés.
On s’est rapprochés de la société atReal sous l’impulsion de la ville de Marseille et, effectivement, on a aujourd’hui ce fonctionnement gagnant-gagnant-gagnant qu’évoquait Béatrice.
De notre côté, on bénéficie, bien sûr, d’une expertise de la part d’atReal, qui est une expertise technique, fonctionnelle et juridique du sujet. Et puis, de notre côté on apporte, finalement on agrandit, en fait, le nombre de sachants et de contributeurs qui vont pouvoir intervenir sur l’outil, donc on contribue, à notre niveau, au développement de l’outil.
Donc finalement, c’est une organisation en consensus qui s’est mise en place. On a décidé de partager équitablement les activités.
Sopra Steria, finalement, s’est positionnée sur la gestion de la relation clients. Donc on gère le lien directement avec la ville de Marseille, tandis que atReal continue à gérer le lien avec la communauté. Ça a été, effectivement, des méthodes de travail à appréhender puisque les deux sociétés n’ont pas les mêmes méthodes de travail, pas forcément le même vocabulaire aussi, donc c’est tout ça qu’il a fallu un petit peu harmoniser au début.
Les problématiques qui se sont posées à nous, bien sûr, c’est le montage initial de notre projet à repenser, puisque forcément moins d’activité, puisqu’on en rétrocède une partie, ça implique, d’une part, une part de pilotage accrue : on est aujourd’hui deux chefs de projet, plus la synchronisation entre nous deux. Un planning à reconstruire également, puisque moins d’activité pour les équipes ça implique, d’un autre côté, nécessité de les mutualiser de préférence sur les projets de la TMA, mais également en dehors de la TMA, et donc toujours ce besoin de répondre avec réactivité, pour autant, aux sollicitations de la ville de Marseille. La montée en compétences des équipes se fait aussi un peu plus lentement puisque sur moins de volume. Pour autant, ça on peut le tempérer en disant qu’on intervient quand même avec des intervenants experts et, du coup, ça compense un petit peu cette montée en compétences. Mais l’équilibre économique du projet s’est vu un petit peu chamboulé.
Pour autant la solution est apportée, finalement, par la ville de Marseille qui, d’une part, a une certaine forme de bienveillance par rapport à cette mise en œuvre et fait preuve de patience aussi. Et puis le volume d’activité est finalement assuré par la commande de nouvelles évolutions sur l’outil. Donc nous, ça nous permet de maintenir une équipe socle en place sur le projet.
Donc en synthèse, je dirais que c’est un démarrage qui a été un petit peu chamboulé par rapport à ce qu’on imaginait, un petit peu difficile ; il a fallu s’adapter. Mais bon, ça suit la bonne voie et je pense que sur les prochains mois on va réussir à mettre en place un mode de fonctionnement positif. Voilà.
[Applaudissements]
Thierry Benita : Bonjour à tous. Thierry Benita de la société atReal [7]. Je vais faire un petit préambule juste pour resituer un peu le logiciel libre. J’imagine que tout le monde est à peu près au courant, mais je vais juste rappeler les deux points qui me paraissent les plus fondamentaux de ce qu’est le logiciel libre, donc les quatre libertés fondamentales apportées par le logiciel libre. C’est-à-dire qu’est-ce qu’un logiciel libre ? C’est un logiciel, quand on l’utilise on a le droit d’avoir le code source, on a le droit d’étudier le contenu de ce code source, on a le droit de le modifier et on a le droit de le redistribuer. Et en fait, ces quatre points font que la licence est libre ; il y a des tas de licences libres ; elles respectent toutes ces quatre libertés fondamentales et il n’y a pas de licences propriétaires, c’est-à-dire non libres qui respectent les quatre propriétés fondamentales. C’est vraiment la caractéristique d’un logiciel libre, sa signature.
Deuxième point, le cercle vertueux. En fait, il découle un peu de ces libertés. C’est que vu qu’on peut étudier le code source, le modifier, le redistribuer, à ce moment-là, au moment où on redistribue le code source du logiciel, il est enrichi de nouvelles fonctionnalités, d’autres personnes vont l’adopter ; elles vont à leur tour l’étudier, l’améliorer, le redistribuer, et finalement d’autres personnes vont à nouveau le trouver beaucoup plus intéressant parce que plus riche fonctionnellement et le logiciel va conquérir de plus en plus d’utilisateurs et, à partir de là, il va être encore plus utilisé, encore plus vite amélioré, et on se retrouve dans une spirale de croissance qui est le cercle vertueux du logiciel libre.
Donc ce sont les deux petits points fondamentaux qui sont, en fait, l’essence du logiciel libre et dont découle tout ce dont on parle aujourd’hui.
Je vais faire un petit rappel historique aussi du point de vue d’atReal sur ce dont on parle aujourd’hui. atReal on a été créée en 2003, on est intervenu très tôt, en fait, dans le monde du logiciel libre pour les collectivités au travers de l’initiative openMairie qui a été lancée par la ville d’Arles, par François Raynaud.
Il y a eu le logiciel openADS, la première souche a été développée par la ville d’Arles en 2007. La ville de Marseille s’y est intéressé en 2010 et nous a confié un marché de développement qui a duré quatre ans, qui a abouti à une version beaucoup plus riche fonctionnellement puisque, en gros, ça nous a utilisé la majorité de notre effectif de développement, donc en partie sur openADS, en partie sur openARIA, le deuxième projet qui nous a été confié en parallèle par la ville de Marseille pour la gestion des établissements recevant du public.
Aujourd’hui on a démarré dans le cadre de la TMA sur openADS, pas encore sur openAria, et donc la complexité pour nous c’était de basculer, finalement, d’un marché dans lequel on était seul et porteur du projet, c’est-à-dire qu’on a pris le relais à un moment donné de la ville d’Arles qui avait été l’initiateur. Et nous, à partir du moment où on a commencé à vraiment développer énormément, on a vite semé, en fait, notre acteur historique dans ce déroulé, mais tout en le gardant quand même dans la boucle du pilotage. C’est-à-dire qu’on a eu quand même beaucoup d’interactions sur comment évolue le logiciel, est-ce que ça va dans le bon sens, est-ce que ça va être toujours utilisable pour une commune comme Arles, parce qu’une commune comme Marseille a des besoins beaucoup plus riches. Et on a commencé, de fil en aiguille, à prendre une casquette de plus en plus orientée pilotage au sein de cette petite communauté dans laquelle il y a avait, finalement, deux acteurs : un acteur historique, ville d’Arles, et puis un nouvel acteur, mais avec quand même de gros moyens et puis beaucoup de vision sur le champ fonctionnel, les améliorations à apporter, qui a été la ville de Marseille.
Ça a duré à peu près quatre ans et, au cours de ces quatre ans, il y a eu le passage en production d’openADS à la ville de Marseille, puis son adoption par d’autres collectivités, des grandes, des petites, un petit peu de toutes tailles. Il n’y en a pas eu énormément qui utilisaient openADS en toute autonomie et, sur les autres, à chaque fois, elles ont fait appel à nous pour les assister dans cette mise en route.
Dans le cadre de ce déroulé, je fais une parenthèse qui n’est pas dans le slide, mais qui me paraît quand même très importante, je vais casser des mythes. Le mythe, notamment, de la diffusion spontanée d’un gros logiciel métier. C’est-à-dire qu’openADS c’est un logiciel sur lequel il y a à peu près, aujourd’hui, une quinzaine d’années-homme de développement ; on est sur un vrai gros logiciel, sur lequel on a un rythme de sortie d’à peu près une version par mois en moyenne d’évolutions, des petites évolutions à chaque fois, mais beaucoup d’évolutions. Donc c’est un gros logiciel qui, en plus, évolue très vite.
Le premier mythe c’est qu’il y a effectivement des personnes qui vont le télécharger, l’utiliser toutes seules, mais, à partir d’un certain niveau de complexité, elles vont, la plupart du temps, faire appel à un prestataire qualifié pour les aider à démarrer, en fait, avec ce nouvel outil et pour leur apporter de la sécurité. La sécurité, notamment, par rapport à la réglementation qui évolue et elles ont besoin d’être certaines que ces évolutions réglementaires seront prises en charge par un acteur qui connaît le métier, qui connaît l’outil, et qui arrivera à réagir en temps et en heure par rapport aux besoins qui vont se poser.
Le deuxième point, c’est qu’au niveau des logiciels libres, donc deuxième mythe, on parle toujours du logiciel libre ; en fait il y a des logiciels libres. Il y a des logiciels libres, pourquoi ? Parce qu’en fait, dans les logiciels libres, il y a plusieurs façons de gérer l’évolution du logiciel libre. La plus connue, la plus historique, on parle toujours des développeurs dans leur garage qui mangent des pizzas, qui boivent des bières et qui codent à temps perdu ; qui vont produire un logiciel, l’envoyer sur Internet et puis quelqu’un d’autre se le réapproprie, va le compléter, le diffuser à son tour, etc. C’est un petit peu ce qui s’est passé pour le noyau Linux, donc ça marche vraiment, mais c’est quelque chose qui s’est fait de manière un peu empirique. Le développement du logiciel libre comme ça existe toujours. Il y a quand même beaucoup plus de projets dans lesquels les personnes qui travaillent sont rémunérées par des gens qui vont payer une commande, en fait, et qui vont vouloir des garanties et qui vont, notamment exiger une gouvernance.
On arrive dans une deuxième grosse catégorie de logiciels libres, ce sont des logiciels libres dans lesquels il y a une gouvernance et, là encore, il y a plusieurs sub catégories.
La première qu’en fait tout le monde connaît a minimum c’est celle dans laquelle il y a un éditeur du logiciel libre et cet éditeur du logiciel libre lui, il a la particularité de contrôler complètement l’écosystème dans lequel il intervient ; il apporte beaucoup de garanties aussi, il apporte beaucoup de lisibilité, mais disons que son modèle est moins ouvert à la contribution, souvent ; ce n’est pas toujours le cas. Mais ça reste quand même du logiciel libre, c’est-à-dire que dans tous les cas vous, en tant qu’utilisateur de ces logiciels, vous avez le droit d’accéder au code source, d’analyser ce code source, de le comprendre, c’est-à-dire qu’il faut que ce code source soit fourni intégralement et pas de manière cryptée, vous avez le droit de l’analyser, de le modifier et de le redistribuer. Ce n’est pas parce que vous êtes sur un logiciel libre éditeur que vous n’avez pas le droit de le redistribuer. Si l’éditeur demain ne vous plaît pas et que vous êtes assez nombreux pour pouvoir reconstituer, en fait, un pilotage du projet, vous avez tout à fait les moyens de vous constituer en nouveau porteur de projet, alors peut-être en changeant le nom, et puis, à partir de là, de dire « sur ce logiciel, je vais créer une gouvernance » ; on relance le projet avec une vision différente. C’est ce qui s’appelle le fork. Le fork c’est-à-dire en gros on a un tronc commun et puis on va dévier du tronc commun pour faire une version un petit peu parallèle, qui va répondre à des besoins qui ne sont plus apportés par l’éditeur historique. Ce fork existe dans le modèle éditeur mono-acteur ; il existe aussi dans le modèle multi-acteurs.
Le modèle multi-acteurs, deuxième catégorie des modèles avec gouvernance, c’est-à-dire que la gouvernance ce n’est plus un éditeur tout seul qui l’assure, mais c’est un groupe de personnes qui se mettent en espèce de comité. Souvent c’est une fondation qui va représenter ça, une association ou un groupement informel ; tout est possible. Le principe c’est que ces personnes-là se reconnaissent entre elles comme ayant des compétences équivalentes et puis à peu près la même légitimité et vont, du coup, faire progresser leur logiciel, comment dire, avec un pilotage conjoint. À ce moment ce sont elles qui deviennent les porteurs de la vision du projet à long terme, de sa vision à court terme, des évolutions nécessaires à très court terme et de la diffusion du logiciel, de sa garantie, en fait, et de sa pérennité.
Le troisième point c’est que parfois il y a des groupements encore plus informels mais qui existent quand même, qui vont permettre d’avoir un pilotage mutualisé dans lequel eh bien finalement il va y avoir des réunions de comité qui vont, à un moment donné, procéder à des arbitrages et dire « eh bien voilà, on accepte, on n’accepte pas telle modification », mais ça reste très ouvert.
Donc voilà un petit peu pour vous brosser le tableau.
Dans le cadre d’openADS, on était sur un modèle dans lequel il y avait initialement un seul acteur qui pilotait qui était la ville d’Arles, mais qui n’avait pas de volonté de piloter le logiciel pour d’autres collectivités. Nous, on est intervenus et, je dirais que dans les faits, on est devenus l’acteur qui a pris le relais de la ville d’Arles pour assurer la cohérence. Et dans notre travail, cette cohérence était notamment pour faire en sorte que tous les développements qu’on réalisait répondent à la fois aux besoins de la ville de Marseille et aux besoins de la ville d’Arles. Donc ça a eu un impact, c’est qu’à un moment donné on a été en rupture de charge et la ville de Marseille à ce moment-là a décidé, pour ne pas avoir cette barrière, de rentrer ce poste de maintenance et d’évolution dans le cadre de la TMA qui apporte, effectivement, cette tenue en charge supérieure puisqu’ils ont énormément de développeurs, beaucoup plus que nous.
Le passage de mono-acteur à multi-acteurs, puisque, aujourd’hui on a un deuxième acteur qui est Sopra Steria dans la communauté openADS, ce sont initialement des difficultés à se faire comprendre puisqu’on n’avait pas le même vocabulaire, pas du tout le même mode d’organisation, pas les mêmes enjeux. Beaucoup plus de gestion de projet aussi à notre niveau, c’est-à-dire que, jusqu’à présent, quand on avait une commande de développement, on faisait tout, tout seuls, on faisait les contrôles, toute la partie non-régression, puis on créait une version et on continuait.
Là, aujourd’hui, on a des contributions qui arrivent et, du coup, elles sont réalisées par des personnes qui n’ont pas exactement les mêmes habitudes que les nôtres. On a un besoin d’harmonisation. Donc ce besoin d’harmonisation engendre un petit peu de temps d’adaptation, et je dirais que c’est ce qui est train de se faire en ce moment, qui est en train de porter ses fruits.
Les nouveaux arrivants, il faut les former. Un développeur qui arrive sur un logiciel comme openADS ne peut pas, du jour au lendemain, maîtriser toute la masse de code et tout le champ fonctionnel. Donc il y avait une partie transfert de compétences. Et puis, une fois que ce lancement est fait, que l’organisation est en place, que la compétence est partagée, il reste à assurer sur le long terme la qualité du logiciel pour faire en sorte que l’ensemble, en fait, reste toujours cohérent et maintenable sur le long terme, ait la cohérence fonctionnelle par rapport aux besoins communs et ça je dirais que c’est un des points qui nous différencie peut-être le plus dans les méthodes de travail. C’est-à-dire que là où Sopra Steria, en tant qu’intégrateur, a pour besoin fondamental de répondre à la demande de la ville de Marseille, nous on a aussi comme besoin, tout aussi fondamental, de répondre à ces demandes-là de la ville de Marseille, mais tout en restant aussi compatibles avec le besoin général. Ce qui fait que, parfois, on a des temps d’analyse supérieurs, puisqu’on est sur des besoins qui sont discutés par d’autres utilisateurs et sur lesquels on va souvent infléchir très légèrement la manière de le réaliser pour que ce développement qui est réalisé ne soit pas juste pour la ville de Marseille, mais qu’il soit, au contraire, pour le bénéfice de l’ensemble de tous les utilisateurs.
Ça marche dans ce sens-là, ça marche aussi dans l’autre sens. C’est-à-dire que quand on a réalisé d’autres développements pour le compte de Mégalis Bretagne qui a été cité tout à l’heure, du Puy-en-Velay, du Pays de Guingamp ou d’autres collectivités qui ont financé du développement, on l’a fait aussi en prenant en compte les besoins de la ville de Marseille et en faisant en sorte que l’ensemble de ces développements profite aussi à la ville de Marseille.
Ce qui fait qu’aujourd’hui openADS est un logiciel sur lequel je considère que le financement global de l’outil a été assuré, je dirais à peu près à 60 % par la ville de Marseille, ce qui est vraiment considérable, et à peu près à 40 %, ou 65/35, enfin on est à peu près dans cet ordre de grandeur, par les autres collectivités utilisatrices qui ont rajouté des fonctionnalités nouvelles. Ce qui permet, là aussi, d’avancer sur ce cercle vertueux et d’avoir, dans les faits, des améliorations qui aient profité aussi à la ville de Marseille.
C’est vrai que tout ça, ça enrichit le bien commun, c’est-à-dire le logiciel openADS qui est aussi utilisé par d’autres collectivités de manière complètement autonome grâce à l’ensemble de tous ses contributeurs et surtout grâce à la ville de Marseille parce que ça a été quand même celle qui a fait faire à openADS le plus gros bond au niveau du champ fonctionnel et qui l’a rendu accessible au niveau fonctionnel à d’autres collectivités.
Donc les bénéfices de cette collaboration tripartite c’est, d’une part, pour le logiciel, beaucoup plus de possibilités de développement, puisque là on a à la fois le bénéfice du savoir-faire que nous avons, historique, mais aussi celui que Sopra Steria est en train d’acquérir et de leur capacité de mettre en route des développeurs quand les besoins se font sentir. On a un enrichissement de la réflexion autour des évolutions d’openADS ; plus le nombre de participants est important, plus on a les moyens d’avoir une réflexion pertinente sur les évolutions du logiciel. Il y a un bénéfice pour la communauté aussi qui est notamment de permettre qu’il y ait plus de personnes qui puissent se positionner économiquement sur l’outil et un élargissement des possibilités de diffusion à la fois d’openADS mais aussi d’openMairie, puisque, indirectement, cela profite à l’ensemble de l’environnement de l’écosystème openMairie sur lequel il y a aujourd’hui une quarantaine de logiciels libres ; donc c’est quelque chose d’assez important.
Au sein de la communauté openMairie ça a entraîné aussi des réflexions sur les modalités de gouvernance. Donc c’est un petit peu ce que je vous disais tout à l’heure, notamment à quel moment on peut dire qu’on a un éditeur libre ; à quel moment on peut dire on est juste un chef de projet, etc. Donc ça
c’est quelque chose qui gagne en maturité grâce, notamment, à ce partenariat qui a développé, qui a provoqué des réflexions nouvelles et à une différenciation plus claire du rôle de l’intégrateur et de l’éditeur. Nous on se sent plus éditeur et Sopra Steria plus intégrateur et je disais que c’est un peu cette différence d’impératifs que je vous ai expliquée tout à l’heure, mais qui est en réalité une véritable complémentarité et qui, je pense, permet aussi d’enrichir la qualité du service qui est proposé à la ville de Marseille. Voilà. J’en ai fini pour ma présentation. Merci.
[Applaudissements]
Sébastien Dubois : Si vous avez éventuellement une question. Il n’y a pas beaucoup de pause, mais n’hésitez pas à la poser s’il y a une question.
Public : Inaudible.
Béatrice Lautard : Je ne sais pas chez Mégalis, avec nous non.
Thierry Benita : Avec plusieurs communes oui, mais via un seul donneur d’ordre. C’est-à-dire que dans le cadre de la Bretagne, il y a eu un regroupement de collectivités autour d’un syndicat et c’est le syndicat qui a financé des évolutions, qui étaient cofinancées par l’ensemble des adhérents au syndicat. Après, des fonctionnalités cofinancées par plusieurs acteurs indépendants, on en a eues nous, de notre histoire, ça fait quand même, maintenant, depuis 2003, c’est arrivé je pense deux fois. C’est extrêmement compliqué à mettre en œuvre et ça augmente, je pense que ça multiplie par trois la gestion de projet donc ce n’est économiquement pas très rentable. Il vaut mieux diviser les fonctionnalités ; que chacun finance une fonctionnalité. Merci à tous.
Sébastien Dubois : Merci. Merci à tous.
[Applaudissements]