Mick Levy : L’autre jour, je réécoutais l’épisode avec Gilles Babinet [1], il a quand même sacrément balancé sur l’organisme de référence qu’est l’ADEME [2]. Je rappelle quand même qu’il a dit, le gars, que l’ADEME est une source de désinformation massive en ce qui concernait l’impact du numérique sur l’écologie.
Thibaut le Masne : Sortir ça dès la première saison. J’ai failli tomber de ma chaise. Je ne sais pas pour vous !
Cyrille Chaudoit : En plein automne, on va vécu l’hiver, c’était au mois d’octobre je crois. D’ailleurs je ne vous l’ai pas dit, il m’a envoyé un petit texto depuis, il est plutôt d’accord avec nous : ça ne serait pas mal qu’on rende la pareille à l’ADEME et qu’on les invite. Je vous propose qu’on les appelle.
Diverses voix off : Quels sont les risques que ça arrive ?
— Il y a 100 % de risques d’impact.
— S’il vous plaît, ne dites pas 100 %.
— Disons que c’est un évènement hypothétiquement significatif.
— On vient de vous dire que ça n’avait rien d’hypothétique.
— On est sur du 99,78 %, pour être exact.
— Génial ! OK ! Donc ce n’est pas 100 %.
— Disons 70 %.
— Avançons et n’en parlons plus !
Voix off : Trench Tech. Esprits Critiques pour Tech Éthique.
Thibaut le Masne : Bonjour et bienvenue dans Trench Tech. Bienvenue dans ce nouvel épisode. Bonjour Cyrille.
Cyrille Chaudoit : Bonjour Thibaut.
Thibaut le Masne : Bonjour Nick.
Mick Levy : Salut.
Thibaut le Masne : Vous voulez exercer votre esprit pour une tech éthique ? Vous êtes au bon endroit. Trench Tech, c’est le talk-show qui décortique les impacts de la tech sur notre société.
Lorsque j’ai commencé à travailler, la tech était porteuse d’une grande promesse, nous aider à résoudre nos problèmes complexes : détecter les cancers au plus tôt ou mieux soigner les gens ; donner les tâches rébarbatives à des robots ou encore épargner du temps. Un lendemain meilleur, disions-nous, sans complexe. Je ne saurais trop dire quand tout ceci s’est emballé, mais aujourd’hui on le sait, cette belle promesse s’est éloignée. Alors oui, on s’extasie devant ces machines qui nous battent aux échecs ou au jeu de go, on aime voir la tech remporter le premier prix pour avoir fait un dessin tout beau et surtout oui, il nous faut ce dernier gadget à la mode, même si on sait bien qu’il finira au fond d’une commode. Tout ce que l’on mesure progresse dit-on, encore faut-il savoir où regarder, si on ne peut pas se tromper de direction. Il y a urgence, certes, mais à force de véhiculer des chiffres un peu gros on finit par nous dire qu’il faut éviter d’envoyer des e-mails rigolos.
L’extrait de notre film nous montre bien l’absurdité. Oui, 99 ce n’est pas 70, mais si on veut progresser, il est important que nos chiffres soient vérifiés avant d’être publiés. C’est pourquoi, aujourd’hui, nous recevons Éric Vidalenc et Raphaël Guastavi de l’ADEME. On rappelle que l’ADEME est l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie. Elle a été créée en 1991 et elle est placée sous la tutelle des ministères de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation et de la Transition écologique et solidaire. Durant notre grand entretien, nous nous poserons avec eux trois questions : comment mesurer l’impact du numérique ; quels sont les scenarii possibles pour le futur et le numérique peut-il être une solution au défi climatique ? Bien entendu, nous reprendrons notre souffle avec deux chroniques inspirantes : la première de Gérald Holubowicz qui nous dira ce que dit de nous cette fascination pour les grands patrons des Big Tech ; pour la deuxième chronique, nous retrouverons notre éthicien en chef, Emmanuel Goffi, qui nous donnera des éléments, des pistes concrètes pour avoir une tech encore plus éthique. Enfin, restez avec nous jusqu’au bout car, comme toujours, nous consacrerons les cinq dernières minutes de cet épisode au debrief, juste entre vous et nous, pour résumer les idées de notre épisode.
On met dit dans l’oreillette que Éric et Raphaël sont enfin arrivés. Accueillons-les dans le studio.
Bonjour Éric. Bonjour Raphaël.
Éric Vidalenc : Bonjour.
Raphaël Guastavi : Bonjour.
Thibaut le Masne : Faisons les présentations pour nos auditeurs. Éric, tu deviens, en 2021, directeur régional adjoint de l’ADEME Hauts-de-France. Tu es aussi auteur d’articles spécialisés et grand public sur les questions énergiques. Tu collabores notamment avec Alternatives économiques. Tu as également publié, en 2019, Pour une écologie numérique aux éditions Les Petits Matins et en coédition avec l’Institut Veblen. On rappelle également que tu as été aussi chef de projet Neutralité carbone 2050 pendant deux ans.
Raphaël, tu es aujourd’hui directeur adjoint Économie circulaire à l’ADEME. Il faut dire que tu es arrivé il y a quelque temps à l’ADEME en tant qu’ingénieur sur la thématique déchets en Alsace, avant de travailler sur l’accompagnement de l’éco-responsabilité des organisations publiques et sur la diffusion d’un programme d’accompagnement des collectivités locales pour l’élaboration de leur plan climat.
Tout est juste ?
Raphaël Guastavi : Bien sûr.
Thibaut le Masne : Super.
Juste pour s’assurer, Éric et Raphaël on se tutoie ?
Éric Vidalenc : Très bien.
Raphaël Guastavi : Ce sera mieux.
Thibaut le Masne : Super.
Commençons notre grand entretien avec la première question clef : comment mesurer ou, dirons-nous, bien mesurer, l’impact du numérique sur l’environnement ?
Voix off : Trench Tech. Esprits Critiques pour Tech Éthique.
Thibaut le Masne : Réglons un point tout de suite : oui le numérique a une empreinte carbone importante et elle est en plus en croissance ces dernières années, ce qui a de quoi inquiéter. Cependant, en matière de numérique, c’est toujours très difficile d’obtenir des chiffres fiables. Par exemple vous, à l’ADEME, vous avez très longtemps communiqué sur des chiffres de 4 grammes de CO2 pour un e-mail, un e-mail avec pièce jointe autour de 35 grammes de CO2, etc., chiffres qui se sont amplifiés au fur et à mesure des communications dans les médias, repris même, parfois, par certains ministres et on se rend compte, aujourd’hui, qu’ils avaient été très fortement sur-évalués en lisant vos dernières études.
Finalement qu’en est-il ? Pourquoi est-ce si difficile d’avoir des chiffres ? Et pourquoi, pendant longtemps, a-t-on eu des chiffres dont on se rend compte aujourd’hui qu’ils sont surévalués ?
Raphaël Guastavi : Effectivement, ces chiffres ont pu être publiés à une époque, ce sont des chiffres qui datent quand même d’études du début de 2010, c’est 2011 sur des données de 2007, donc c’est un peu ancien. On est dans un domaine qui bouge quand même très rapidement aussi bien en termes d’intensité que d’efficacité, c’est donc normal que les chiffres d’il y a plus de 10 ans soient différents de ceux d’aujourd’hui.
D’autre part, on avait fait une étude sur, finalement, un point très précis : les mails. C’est vrai aussi que c’était à l’époque où on avait un peu le début de l’explosion des mails. Aujourd’hui, la problématique est différente et on a besoin d’avoir d’autres types de chiffres, ce qu’on a fait notamment au travers des études récentes avec l’Arcep [Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse], par exemple, pour donner justement quelle est vraiment l’empreinte carbone du numérique en France et avoir une approche un peu plus macro et, en même temps, se poser des questions en termes de méthode de mesure. C’est ta question : comment, finalement, peut-on avoir aujourd’hui une mesure fiable de ce que peut être l’impact environnemental du numérique ?
Thibaut le Masne : Pourquoi est-ce si difficile ?
Raphaël Guastavi : Pourquoi c’est compliqué ? Parce que, par nature, le numérique ça ne veut pas dire grand-chose. En réalité, c’est un ensemble de briques interconnectées qui sont obligées de travailler ensemble. Ces briques sont énormes. On les a décomposées en trois grands sujets : les datacenters, les infrastructures réseaux et les terminaux et tout cela ce n’est pas qu’à une échelle France. La problématique c’est que, finalement, tout est interconnecté et on a vraiment un système, un écosystème très complexe et interdépendant.
Cyrille Chaudoit : Notamment, on peut peut-être le préciser à ce stade-là, dans la production des terminaux entre autres, mais pas, mais les terminaux ce sont quand même les trucs auxquels on pense directement. D’ailleurs quels sont les ratios en quelque sorte ?
Raphaël Guastavi : Si on prend l’impact changement climatique, mais il n’y a pas que celui-là, je pense qu’on va y venir, 80 % de l’impact changement climatique lié aux services numériques en France, ce sont les terminaux et, à l’intérieur des terminaux, partie fabrication est prépondérante dans l’impact.
La décomposition c’est ça : 80 % d’impact carbone lié aux terminaux, 15 % lié aux centres de données, aux datacenters, et 5 % à la partie réseaux/infrastructures.
Thibaut le Masne : C’est impressionnant ; l’impact des terminaux est gigantesque. C’est un thème qu’on avait déjà vu avec Gilles Babinet qui nous donnait d’ailleurs ces chiffres-là, mais quand même il se cache autre chose que le simple fait de ne pas renouveler trop souvent ses smartphones, ne pas multiplier les objets connectés, ne pas avoir des télés de plus en plus grandes, il y a autre chose qui se cache derrière : à chaque fois qu’on fait appel à de plus en plus de services de streaming, ces services dans les datacenters doivent eux-mêmes s’équiper de plus de terminaux. Comment appelle-t-on cela ?
Raphaël Guastavi : On peut appeler ça la course à l’échalote. On multiplie effectivement de par les usages le nombre d’équipements. On ne voit pas un grand nombre de ces équipements en tant que consommateur, tout ce qui va être lié aux serveurs effectivement dans les datacenters.
Thibaut le Masne : C’est compté où ? On compte les serveurs de datacenters dans les équipements, dans les 80 % ?
Raphaël Guastavi : Dans la partie datacenters.
Thibaut le Masne : C’est rassurant. Il faut donc vraiment se concentrer sur le renouvellement des smartphones, des télés et compagnie.
Raphaël Guastavi : Pas seulement, on le verra dans la suite du podcast : si on a une augmentation des usages, on a aussi une augmentation des besoins de superficie en datacenters, donc en serveurs dans ces datacenters. À un moment donné, cette proportion 95/5 pourrait changer pour aller vers quelque chose où les datacenters prendraient plus de place.
Cyrille Chaudoit : On vient d’évoquer le streaming. On a dit des anciennes études qu’elles se basaient sur l’état de l’art du numérique à cette époque, je dirais forcément, donc c’était plutôt principalement les mails, j’imagine un petit peu les réseaux sociaux qui étaient émergents, etc. Et puis la vidéo est arrivée en masse. On voit bien à quel point les choses accélèrent très vite. Sur la base du streaming, je voudrais juste vous lire un truc que j’ai lu en préparant cette émission. Tout le monde connaît Usbek & Rica ? C’est un magazine assez connu, plutôt respectable, en tout cas je respecte assez.
Thibaut le Masne : Un média très intéressant dont on est assez fan chez Trench Tech.
Cyrille Chaudoit : Exactement. Je tombe sur cet article-là et je suis surpris, ça commence par une mise à jour, mise à jour de l’article du 9 septembre 2022, je cite : « Faute d’avoir retrouvé une source jugée suffisamment fiable, la philosophe Fanny Verax et la rédaction d’Usbek & Rica ont décidé de supprimer la phrase suivante, initialement publiée dans la première réponse de son interview et qui avait interpellé plusieurs lecteurs : « On estime qu’un aller-retour en avion Paris/New-York c’est une empreinte à peu près équivalente à une heure de streaming vidéo par jour pendant un an. »
Thibaut le Masne : Ce chiffre a beaucoup circulé.
Cyrille Chaudoit : Comme beaucoup d’autres, y compris les mails avec les Lolcat et compagnie.
Ce qui est à souligner, en tout cas que j’ai envie de souligner là : Usbek & Rica font leur job, en bons journalistes ils reviennent sur le truc, tout le monde ne fait le pas, c’est compliqué. On voit surtout la difficulté et la contribution à rendre ce sujet de plus en plus fou, donc, in fine, à prêter le flan au meilleur des cas à la critique, au pire au scepticisme. Comment rectifier ? Comment convaincre, parce que c’est quand même la base pour faire agir le grand public et c’est ce qu’on cherche tous à faire, vous les premiers ?
Raphaël Guastavi : Tout à fait. Là on se butte plutôt sur un problème de méthode et de périmètre dans les méthodes, finalement. Quand on publie un chiffre il faut, quelque part, être très transparent sur la façon dont ce chiffre a été construit. Si on a des chiffres qui sont commandés, il faut être vigilant sur qui commande l’étude. Souvent, on peut lire un peu les résultats avant même que l’étude soit faite ! Donc important d’avoir une transparence dans les méthodes et d’avoir pour tout le monde, tous ceux qui vont publier des études, la même base méthodologique sinon ça ne sera pas comparable, justement.
Cyrille Chaudoit : Est-ce que c’est possible ça ? Là, la source n’est pas citée, en l’occurrence. En creux, et sans en mentionner les noms, j’imagine qu’il y a plein de cabinets d’études marketing qui sont sollicités sur des Mill représentatifs par un média ou par je ne sais quelle entreprise parce que, derrière, on a déjà en tête la réponse qu’on veut faire dire à l’étude. On est d’accord ? Comment, à ce moment-là, harmoniser le périmètre de l’étude et surtout la méthodologie ?
Raphaël Guastavi : Déjà, d’une part, il existe des méthodes qui sont normalisées avec des normes ISO notamment sur les ACV, les analyses de cycle de vie, qui permettent de décortiquer l’ensemble du cycle de vie et l’ensemble des paramètres à prendre en compte.
Mick Levy : Pardon, Raphaël, de te couper, les analyses des ACV ça tient compte aussi de toute la fin de vie, de tout le recyclage du matériel ? On est vraiment sur tout le cycle de Vie ?
Raphaël Guastavi : Tout à fait. On est vraiment sur toutes les étapes, de la conception jusqu’à la fin de vie, avec la part usage, vraiment sur tout le périmètre, tout le système qui est étudié.
C’est ce qu’on a fait dans l’étude avec l’Arcep avec d’abord, dans un premier temps, une première publication pour dire toutes les méthodes qui existaient pour faire l’évaluation environnementale du sujet du numérique. À partir de cette bibliographie, on a fait le choix de prendre une de ces méthodes basée sur l’analyse du cycle de vie, et de pouvoir décortiquer chacune de ces briques technologiques sur un ensemble d’impacts environnementaux, pas seulement le carbone, également d’autres problématiques notamment de consommation de ressources.
C’est pour cela qu’il est vraiment très important de pouvoir être transparent sur les méthodes utilisées. Notre rôle va être de continuer à alimenter cette connaissance autour des méthodes pour pouvoir orienter l’utilisation de ce qui nous semblera être la méthode la plus robuste et la plus objective.
Thibaut le Masne : J’ai quand même une question qui se soulève par rapport à ces différents chiffres que l’on arrive à avoir, c’est la finalité de ce qu’on cherche à faire. En fait, c’est souvent là où j’ai une petite confusion, j’ai le sentiment que les chiffres qu’on est en train de sortir sont de deux axes : premier axe, c’est potentiellement faire du buzz autour d’un chiffre soit pour taper sur le digital, soit pour faire prendre conscience que le digital est un problème, c’est un point ; soit pour dédouaner d’autres sujets qui sont un peu plus touchy. L’exemple de tout à l’heure sur l’aviation est un exemple en disant, entre guillemets, « je m’en lave les mains parce que moi je suis moins pollueur que le numérique, donc regardez d’abord le numérique ». Au final, on ne sert pas l’idée d’expliquer, comme ce que tu expliques, Raphaël, sur le fait qu’on est là juste pour déterminer le coût de fabrication, du moins d’usage, le cycle de vie complet, donc sans tirer de conclusions derrière. Le « sans tirer de conclusions » me perturbe parce que, aujourd’hui, je n’ai pas le sentiment qu’il n’y a pas « sans tirer de conclusions », il y a toujours une finalité recherchée.
Raphaël Guastavi : Pour les pouvoirs publics, la finalité c’est évidemment de voir ce secteur, comme d’autres secteurs, s’améliorer. C’est notre objectif. Je comprends après qu’en fonction des intentions de certains ce sera prendre un bout du chiffre, sans expliquer le contexte et l’intégralité, pour, quelque part, montrer que, finalement, ce n’est pas si grave et qu’il n’y a pas de problème. C’est bien sûr dangereux de faire ce genre d’action, parce que toute activité humaine représente un impact environnemental. Il ne s’agit pas de dire « on arrête de faire du numérique », il s’agit bien de dire « on en fait mieux et on fait en sorte que ce numérique ne devienne pas le problème demain ».
Thibaut le Masne : D’accord. Éric.
Éric Vidalenc : Au-delà des aspects méthodos qu’on a bien développés et des difficultés intrinsèques, donner un exemple concret me semble utile pour dire qu’il y a aussi des spécificités et des difficultés propres à évaluer le numérique, l’impact environnemental du numérique.
Concrètement, on est dans des dynamiques de développement qui sont très fortes, ce que Raphaël évoquait, donc, quand on regarde quelque chose, on a toujours un temps de retard. Une autre spécificité importante c’est qu’on est dans des chaînes de production et de consommation très globalisées, avec des métaux qui sont extraits à un endroit, des terminaux qui ont des dizaines de composants techniques différents, qui sont fabriqués à l’autre bout du monde et qui sont utilisés encore dans une autre partie du monde. En gros, les métaux, une partie des matériaux vient d’Afrique, c’est fabriqué en Asie, c’est utilisé en Europe et c’est conçu en Amérique du Nord, pour le faire de manière un peu caricaturale et triviale.
On voit donc que quand on évalue l’impact environnemental d’un objet ou d’un service numérique, il faut appréhender toute cette complexité et, derrière toutes les zones géographiques que j’évoquais là. À chaque fois vous avez, par exemple, des mix électriques très différents et qui vont avoir un impact d’un ordre de grandeur différent. Par exemple, en France, vous avez un mix électrique qui émet à peu près 60 g de CO2 par kilowatt-heure ; en Asie, on va être plutôt à 600 ou 700. Vous voyez qu’on a déjà un facteur 10. C’est juste pour insister sur le fait que outre l’instrumentalisation qu’il peut y avoir, que tu évoquais, on a aussi des paramètres techniques qui expliquent une pratique importante des écarts qu’on peut avoir dans des évaluations, qui peuvent être de bonne foi, qui sont liés, en fait, à des caractéristiques propres au numérique.
Cyrille Chaudoit : Tout à fait, tu as raison Éric. Peut-être juste en un mot simplement, sans trop développer, on comprend bien cette logique systémique, est-ce que c’est propre au numérique ? Si on prend le cas de la bagnole, il faut bien produire les voitures, à plus forte raison les voitures électriques avec les batteries dont on sait qu’elles aussi utilisent beaucoup de terres rares. Est-ce que, finalement, on sait mieux mesurer ça pour la voiture qu’il faut produire, ensuite il y a des usages très différents, il faut la désosser et compagnie ? C’est la même chose sur l’analyse du cycle de vie ? Est-ce que c’est plus facile de le faire sur la bagnole ?
Thibaut le Masne : Ou sur la mode ?
Éric Vidalenc : Pour la voiture, par exemple, on a l’historicité. Ça fait plusieurs décennies, ça fait un siècle qu’on fabrique des voitures à des échelles industrielles. Quand on fait des analyses du cycle de vie, le rapport est totalement inverse de celui que Raphaël évoquait tout à l’heure, c’est-à-dire que 80 % de l’impact c’est l’usage, ce n’est pas la fabrication.
Cyrille Chaudoit : Parce que l’usage du pétrole ?
Éric Vidalenc : C’est le fait de brûler du pétrole pour se déplacer.
Thibaut le Masne : Si je peux me permettre, Éric, de te couper juste sur ce point-là : si c’est plutôt l’usage que la fabrication, pourtant, depuis un siècle, la voiture s’est de plus en plus digitalisée, avec une masse de composants électroniques aussi importante que le téléphone.
Raphaël Guastavi : Ce que dit Éric est valable sur l’ACV des voitures thermiques.
Thibaut le Masne : Mais même les voitures thermiques sont extrêmement connectées.
Raphaël Guastavi : Elles le sont de plus en plus, c’est clair, mais je pense que les voitures de demain, celles électriques qu’évoque Cyrille, ça va être plus des énormes smartphones sur roues. Peut-être, du coup, qu’il va falloir justement repréciser la partie ACV de ces chaînes de valeur-là et l’usage ne sera peut-être plus la partie la plus impactante sur ces nouveaux véhicules vis-à-vis des véhicules thermiques et la fabrication va reprendre le pas.
Cyrille Chaudoit : C’est donc plus facile sur la voiture pour les raisons qu’on évoque mais principalement sur le thermique et, sur l’électrique, probablement qu’on ne sait pas encore tout à fait. En tout cas, ça va rejoindre la problématique systémique des smartphones.
Raphaël Guastavi : Notamment sur les questions d’usage, enfin de disponibilité de certaines matières et de métaux qu’on retrouve en quantités bien plus faibles dans nos appareils numériques, mais qui sont à peu près les mêmes.
Mick Levy : Éric, tu voulais ajouter quelque chose peut-être ?
Éric Vidalenc : Juste compléter pour la voiture. Outre le fait que l’usage c’est la composante principale de l’impact de la voiture, parce que, en fait, qu’on consomme le pétrole en Amérique du Nord, en Afrique, en Europe ou en Asie, il a le même impact CO2, le contenu carbone du pétrole est le même à plus ou moins 10 %. Pour le contenu carbone de l’électricité, ce que je vous disais tout à l’heure, on change d’ordre de grandeur. Voilà donc un tas de paramètres techniques, très précis, qui permettent, en fait, d’expliquer des différences importantes qu’on peut observer dans les évaluations environnementales du numérique.
Raphaël Guastavi : Juste pour finir là-dessus et pour illustrer ce que dit Éric, si on l’avait faite aux États-Unis l’étude qu’on a faite avec l’Arcep, les pourcentages seraient différents, justement à cause de ce mix électrique sur la partie usage qui serait différent.
Mick Levy : Merci Messieurs pour ces premiers éléments.
On refait la tech avec Gérald Holubowicz.
« On refait la tech » avec Gérald Holubowicz - « Les Grands Hommes de la Tech »
Thibaut le Masne : Elon Musk, Steve Jobs, Jeff Bezos ou Mark Zuckerberg, la tech ne manque pas d’icônes héroïques. Pourquoi prennent-elles tant de place dans nos vies ? Que disent-elles de nous ? C’est ce que nous allons voir aujourd’hui avec toi, Gérald, dans ce nouvel épisode de « On refait la tech ».
Gérald Holubowicz : Que ne serait-on pas sans les contributions de Steve, de Jack, de Jeff, de Bill, d’Elon ou d’Emad, du Mac à Twitter en passant par Amazon, Tesla et maintenant StableAI, leurs entreprises révolutionnent nos façons de consommer, de communiquer, voire de nous déplacer ou d’exister au monde. Les barrières du temps d’avant, celles du monde analogue, semblent avoir disparu presque pour toujours et chaque fois, derrière, c’est la même histoire qu’on raconte, le même mythe fondateur qui se construit suivant les règles suivantes : un éclair de génie traverse un jeune homme alors qu’il s’affère dans un garage ou dans un bureau miteux. En quelques mois, celui-ci change les paradigmes et révolutionne le monde pour le rendre meilleur et nous aider à mieux communiquer, à nous affranchir des barrières de l’ancien temps, décentraliser, disrupter les gardiens du temple.
Move fast and break things, le moto de Facebook à ses débuts résume, à lui seul, les motivations de ces entrepreneurs vénérés par des millions de gens à travers le monde. Les mythes structurent nos sociétés et forgent nos imaginaires collectifs. L’histoire en est pleine de Gilgamesh à Gutenberg ou Alan Turing, le pape de l’intelligence artificielle.
Nos récits contemporains d’entrepreneurs surdoués nous aident à raconter notre temps, à dessiner une image de nous-mêmes et offrent même un point de mire à nos sociétés déboussolées.
Thibaut le Masne : Cette petite musique m’est assez familière. Il me semble l’avoir déjà entendue quelque part. Je me trompe ?
Gérald Holubowicz : Non, pas du tout. Vous rappelez-vous de Citizen Kane ? Les cinéphiles connaissent ce chef-d’œuvre absolu du cinéma américain réalisé par Orson Welles en 1941. Le film raconte l’épopée mythique de Charles Foster Kane, un grand patron de presse du début du 20e siècle, inspiré notamment du magnat de la presse américaine William Randolph Hearst, une figure emblématique de l’époque qu’on retrouvait à la une de Time Magazine, dans les colonnes du New York Times et d’autres grands titres pour ses déboires mondains. Comme dans le film, Hearst était aussi réputé pour utiliser ses journaux afin de manipuler l’information à des fins personnelles.
Aujourd’hui c’est l’image de Tony Stark, alias Iron Man, le héros des Avengers, qui colle à la peau d’Elon Musk, le patron de SpaceX et dernier possesseur de Twitter. Celui-ci passe désormais le plus clair de son temps à twitter à tort et à travers et utilise sa dernière acquisition pour forger l’opinion, même s’il s’en défend.
D’autres figures industrielles de l’époque faisaient les gros titres et ont marqué de leur empreinte le monde moderne.
Un homme comme John Rockefeller, par exemple, était le fondateur de la Standard Oil, une des entreprises les plus puissantes et riches du monde pendant la révolution industrielle. Il est aussi connu pour ses pratiques monopolistiques farouches et pour avoir exploité ses travailleurs.
Henry Ford, qui a fondé l’entreprise automobile du même nom, a lui propagé des idées antisémites et soutenu publiquement des mouvements fascistes.
La liste s’allonge à mesure qu’on prête attention à ces grands hommes.
Thibaut le Masne : Qu’est-ce qui relie tous ces grands hommes ? Ont-ils des caractéristiques communes ?
Gérald Holubowicz : Eh oui. Tous ces héros des temps modernes partagent des caractéristiques communes : ce sont des hommes blancs pour la quasi-totalité, occidentaux pour une majorité, issus de bons milieux au fort patrimoine culturel ; ils partagent une vision libertaire de la société où le pouvoir et l’argent dominent sur le reste. Près de 12 % seraient même, selon Forbes, des psychopathes et la plupart sont convaincus de ne rien devoir à personne, aveugles aux soutiens les plus évidents. La figure du héros libérateur, du roi conquérant, du sage éclairé et maintenant de l’entrepreneur innovant trouve ses racines dans l’héritage d’un modèle patriarcal, ancestral et probablement dépassé. Enfermées dans cette vision étriquée du monde nos sociétés célèbrent, sans se poser aucune question, des hommes dont les travers sont pourtant largement documentés et dont les agissements ont parfois de graves conséquences sur le monde. Si les noms de Susan Wojcicki, la CEO de YouTube, de Jacky Wright, la chief digital officer de Microsoft ou de Gwynne Shotwel, présidente de SpaceX, et de centaines d’autres femmes ne vous dit rien, c‘est probablement que notre idolâtrie se doit d’être remise en question.
Voix off : Trench Tech. Esprits Critiques pour Tech Éthique.
Cyrille Chaudoit : Parler des enjeux climatiques, c’est évidemment se projeter dans le futur. Le futur, pour beaucoup, c’est relativement flou, je dirais même encore plus depuis quelques années, c’est de plus en plus difficile à prévoir, parfois ça peut paraître un peu ésotérique, donc, à la fin, on peut faire le raccourci : le futur, ça fait peur. Pourtant, il reste important d’envisager des scénarios à défaut de tout prévoir, c’est notamment l’approche du GIEC, pour tenir les engagements de l’accord de Paris 2050 entre autres. Au moment où nous enregistrons cet épisode, vous vous apprêtez, l’ADEME, à publier une analyse prospective de 2030 à 2050, c’est une étude ADEME/Arcep [3], on y a fait référence depuis tout à l’heure et ceci, dans le cadre de l’évaluation de l’impact environnemental du numérique en France.
Éric, au rythme auquel le numérique progresse dans nos sociétés, on l’a déjà évoqué un petit peu juste avant, en termes d’adoption de nouveaux outils ou de nouveaux usages, aussi bien, d’ailleurs, par le grand public que par les entreprises, il n’y a qu’à penser au métavers dont personne ne parlait il y a ne serait-ce encore que cinq ans, peut-on vraiment prévoir avec fiabilité la montée en charge du numérique dans l’impact global de nos comportements de consommation à horizon 2050 ? Ça paraît si loin !
Éric Vidalenc : Une fois qu’on a bien en tête ce qu’est la prospective, on a moins de difficultés à se lancer. La prospective ce n’est pas la prévision. En fait, c’est une manière de regarder le futur pour penser et savoir comment agir aujourd’hui ; c’est vraiment ce qu’il faut avoir en tête. Quand on fait des scénarios, on ne fait pas de la prévision, on fait de la projection, projections qui comprennent différentes hypothèses, souvent contrastées justement pour explorer comment des hypothèses très contrastées aboutissent, ou pas, à des résultats différents. À partir de cette matière-là on réfléchit sur ce qu’on doit entreprendre aujourd’hui pour aller dans cette direction ou bien éviter d’aller dans cette direction. Mais on n’est pas dans la prévision. Certains acteurs peuvent être dans la prévision. En tout cas, quand nous faisons de la prospective à l’ADEME, ce n’est pas de la prévision, c’est de la projection, on essaie donc de construire non pas des scénarios qui disent ce qui va se passer – ça ferait aussi référence à un certain déterministe technique, comme si les choses nous échappaient –, on essaie de projeter des futurs cohérents qui nous permettent de penser, de regarder ce futur avec une certain cohérence.
Cyrille Chaudoit : Ça me fait penser à Georges Amar, un prospectiviste assez réputé et connu, qui dit : « À mon sens, l’enjeu de la prospective n’est pas de prédire de mieux en mieux, il est de rendre imprévisible le futur », en gros, d’accepter l’imprévisibilité du futur pour être prêts à tous les scenarii possibles, quand bien même il ne nous interdit pas, au contraire, d’essayer de segmenter ces scénarios. Ce que tu nous dis c’est que tout ne doit pas et tout ne peut pas être 100 % chiffré. On n’est pas dans la prédiction.
Mick Levy : Éric, maintenant qu’on a compris ce qu’est cet exercice de projection, qu’est-ce que ça donne ? Quels sont un peu les grands axes, les grandes projections possibles sur l’étude que vous avez réalisée ?
Éric Vidalenc : En 2019, en fait, on a entrepris un travail qui a impliqué plus de 100 personnes à l’ADEME, qui a duré principalement deux ans et qui produit encore des résultats aujourd’hui, ce que Raphaël va développer, détailler ensuite en est l’illustration.
On s’est donné deux grosses années pour construire des scénarios de neutralité carbone à l’échelle française. Les scénarios de neutralité carbone sont des scénarios qui permettent de rester sous le seuil de réchauffement de plus de 2 degrés, de respecter l’accord de Paris en gros, et qui permettent à la France de prendre sa part dans cet effort collectif. Évidemment, si la France est toute seule à faire cet effort-là, ça ne servira à rien.
Cyrille Chaudoit : Ce sera bien mais pas suffisant.
Éric Vidalenc : En fait, ça marche pour tous les pays, il faut à tout prix sortir vraiment de ce statu quo. On a construit ces scénarios en 2019 en s’appuyant sur les archétypes du rapport spécial du GIEC qui avait construit quatre macros scénarios mondiaux pour respecter cet accord de Paris et cette ambition de rester sous les plus 2 degrés à l’horizon 2050. Je vous rappelle qu’aujourd’hui on est déjà à plus 1,1 degré. Dans ce rapport spécial, le GIEC nous dit que si on suit les tendances actuelles on va être au 1,5 avant 2050. Ensuite, le GIEC nous dit ce qu’il faudrait faire si on veut vraiment faire ce que politiquement on s’est tous engagés à faire à Paris en 2015.
La première étape c’est 2030 : il faut diviser par deux nos émissions de gaz à effet de serre. C’est cette bascule très forte, très rapide pour, en 2050, arriver à ce qu’on appelle le zéro émission net ou la neutralité carbone.
On s’est appuyé sur ces quatre grands scénarios que le GIEC proposait pour les transcrire à l’échelle française et voir comment, pour cet objectif de la neutralité carbone, on pouvait encore adopter des chemins très différents, très contrastés, même en France.
Cyrille Chaudoit : Concrètement, quels sont ces quatre scénarios [4] ? Est-ce que tu peux nous les décrire ?
Éric Vidalenc : Des chemins très différents, ça veut dire que dans tous les scénarios on va mobiliser de la sobriété, de l’efficacité de ressources, de l’efficacité énergétique, de la substitution de matières fossiles par des matières renouvelables, du développement du nucléaire, du développement de la capture et du stockage de carbone ; on va mobiliser, avec plus ou moins d’intensité, tous ces leviers. Ce qui est intéressant dans les scénarios du GIEC et nous avons aussi adopté ce parti pris-là aussi à l’ADEME, c’est de dépasser la prospective purement technico-économique et d’assumer qu’il y a des dimensions qui sont liées aux modes de régulation, aux choix politiques, aux modes de régulation économique, aux modes de vie et de consommation. C’est donc tout cela qu’on a embarqué dans chacun des quatre scénarios.
Cyrille Chaudoit : Pardon Éric, ça veut dire, Raphaël, que dans les différents scénarios, que vous avez analysés, que vous avez modélisés d’une certaine manière, c’est toute partie prenante assumant ses responsabilités, aussi bien les usagers, les pouvoirs publics et les entreprises qui sont soit productrices soit commanditaires de ce type d’outil technologique. C’est bien ça ?
Raphaël Guastavi : C’est cela. Le travail qu’on a fait sur un secteur en particulier, donc sur le numérique, et qui vient s’inscrire dans ce travail sur la prospective, s’appuie sur les quatre grands scénarios qui ont été définis.
Cyrille Chaudoit : Peut-on redonner leurs noms ?
Mick Levy : Oui, parce qu’ils ont des noms assez évocateurs, on comprend bien les orientations avec.
Raphaël Guastavi : Le premier scénario, Génération frugale, c’est vraiment celui qui s’appuie au maximum sur le levier de la sobriété et de l’efficacité dans une certaine mesure. Pour vous donner les ordres de grandeur issus de la modélisation, on a articulé à chaque fois un récit et une modélisation, on divise par deux, en gros, la consommation d’énergie d’ici 2050, on fait plus que diviser par deux.
Cyrille Chaudoit : C’est le scénario hyper-optimiste. On devient tous hyper-frugaux. On arrête d’acheter des smartphones à tout-va.
Raphaël Guastavi : Hyper-optimiste, en tout cas très volontaire, c’est-à-dire qu’il y a des choses qui sont aussi contraintes. On est pas dans le monde Oui-Oui. Non ! Il y a des régulations très fortes. Je ne sais pas si on peut le qualifier d’optimiste, en tout cas c’est un scénario qui régule très fortement la demande.
Cyrille Chaudoit : Voilà. C’est important de le préciser : c’est par la régulation. La sobriété n’arrive pas parce qu’il y a une espèce d’épiphanie de la part de tout le monde et on décide de jeter nos téléphones portables. Non, il y a de la régulation. OK. Deuxième scénario ?
Raphaël Guastavi : Le deuxième scénario, Coopérations territoriales, est celui qui mobilise le plus l’ensemble des leviers que j’évoquais tout à l’heure. C’est le scénario le plus équilibré qui s’appuie quand même très fortement sur les ressources territoriales, les ressources énergétiques, matières, etc., donc avec une décentralisation importante. On est dans un scenario qui va aussi très loin sur la réduction de consommation mais en s’appuyant plus sur le levier technologique, donc efficacité, que sur le levier sobriété. Les deux sont associés et c’est l’efficacité qui permet d’aller quasiment aussi loin que sur le premier.
Troisième scénario, Technologies vertes. Là on est quelque part dans une sorte de productivisme vert. On fait des efforts de réduction de consommation, mais on va surtout chercher à verdir les systèmes productifs, que ce soit le système industriel, le système agricole. Les modes de consommation évoluent un peu mais beaucoup moins que dans les deux premiers scénarios. Là c’est vraiment beaucoup de NR [Ressources naturelles], du nucléaire, qui permettent de verdir la production et l’appareil productif.
Enfin, le quatrième scénario, le dernier scénario, Pari réparateur. c’est le scénario le plus tendanciel : on fait des choses un peu contradictoires, sûrement pas assez vite et, en fait, on va faire reposer la neutralité carbone principalement sur les puits technologiques, qui est une technologie assez incertaine, coûteuse, énergivore. C’est le fait de faire peser les risques encore plus sur l’avenir : plutôt que de mobiliser ce qu’on peut faire aujourd’hui, en fait on décale un peu les efforts et, notamment, on espère développer massivement une technologie encore assez peu disponible et coûteuse aujourd’hui.
Voilà en gros les grandes philosophies des scénarios.
Cyrille Chaudoit : Merci d’avoir planté le décor de ces scénarios. Ce sont des sujets qui méritent d’être très développés, mais, malheureusement brièvement, que donnent ces scénarios quand on se projette à 2030/2050 ? Est-ce qu’il y en a un qui se détache ? Que faut-il en retenir ?
Raphaël Guastavi : Je vais me baser sur 2050 puisqu’on n’a pas le temps de faire 2030. On a fait l’exercice pour la question du numérique pour les quatre scénarios. On voit que sur le premier scénario on est dans la sobriété, on est sur une forte diminution des équipements, on ne fait pas plus d’objets connectés, on augmente la durée de vie des équipements existants, on fait de l’écoconception à foison, de façon vraiment généralisée, sur les logiciels et sur le matériel, et on a des consommations unitaires des appareils qui diminuent par trois.
Cyrille Chaudoit : Et on rappelle : parce que c’est contraint, il y a de la coercition.
Raphaël Guastavi : Parce que, derrière, il y a effectivement une très forte réglementation sur l’ensemble, finalement, des acteurs, des consommateurs et des producteurs. On a donc une croissance de données qui est relativement faible, on serait à hauteur de plus 10 % de données par an, ce qui est faible.
Thibaut le Masne : On est très loin de ces idées-là. La réalité actuelle du marché est très loin de ça.
Raphaël Guastavi : On n‘y est pas. C’est le scénario 1, ça nous permettrait de diminuer l’impact de l’empreinte carbone de quasi 30 % par rapport à 2020.
Cyrille Chaudoit : On la diminue, ce n’est pas juste qu’on ralentit la progression.
Raphaël Guastavi : Elle serait plus faible qu’en 2020. Idem pour la consommation de ressources, on arriverait à la diviser par trois, et on diminuerait aussi la consommation d’électricité de 75 % par rapport à 2020.
Thibaut le Masne : D’accord. Ce n’est pas qu’on la diminue de 30 %, on la divise par trois.
Raphaël Guastavi : C’est le scénario effectivement le plus efficace d’un point de vue environnemental, c’est le plus difficile à mettre en œuvre.
Avec le scénario 2, on arrive à des réductions importantes par rapport au tendanciel. Là, on serait quand même avec un impact plus important que 2020, mais on ralentit avec des équipements qui seraient à peu près identiques en nombre par rapport à 2020. On multiplie seulement par trois les objets connectés. On diminue la consommation unitaire par deux. On est sur une durée de vie à peu près équivalente et on a des données qui augmentent seulement de 15 % par an.
Cyrille Chaudoit : C’est le scénario 2, Coopérations territoriales, où il y a quand même une incitation des pouvoirs publics mais plutôt à l’échelle locale, territoriale.
Raphaël Guastavi : Il y a un équilibre et on joue aussi bien sur l’écoconception que sur la sobriété, la consommation.
Thibaut le Masne : Et à chaque fois sur des hypothèses, sur les deux scénarios que tu as dits, qui sont assez ambitieuses par rapport à la réalité de ce qui se passe et la tendance dans laquelle on est depuis quelques années.
Raphaël Guastavi : Sur la data en l’occurrence.
Thibaut le Masne : Sur la data, sur le nombre d’équipements, sur tout ça.
Raphaël Guastavi : Si on prend le scénario Pari réparateur qui, finalement sur ce sujet du numérique n’a pas grand-chose de réparateur, sur cette partie numérique.
Cyrille Chaudoit : Pour ceux qui nous écoutent, c’est le numéro 4.
Raphaël Guastavi : Le numéro 4. On est plutôt sur une augmentation très forte des impacts, avec un IoT [Internet of Things ] multiplié par 40, des datacenters dont la superficie est multipliée par 4 par rapport à 2020 et des données qui seraient en progression de 25 % par an en termes de volume. Là on arriverait à des chiffres autour de plus de 80 millions de tonnes de CO2 émises par le secteur du numérique, une consommation de ressources multipliée par 2, une consommation électrique qui serait proche de 140 térawatts-heure, donc très élevée.
Cyrille Chaudoit : Il faut quand même rappeler à ceux qui nous écoutent que ce scénario-là ce n’est pas juste pour se faire plaisir d’un point de vue dystopique, c’est de tout miser sur la technologie pour, par ailleurs, réduire l’impact notamment des autres secteurs.
Si on prend l’IoT, l’idée des smart grids pour les villes où à on va mettre de l’Internet connecté un peu partout, c’est justement aussi pour avoir une réduction d’impact par ailleurs. C’est important de le dire, ce n’est pas juste pour faire péter le compteur, c‘est parce que derrière on va en récupérer.
Raphaël Guastavi : Exactement, avec le côté comment on mesure l’impact réel, donc le gain net : quelles sont les économies sur l’ensemble de ces indicateurs qui sont permises par l’utilisation du numérique ?
Cyrille Chaudoit : Du coup, avec ce Pari réparateur, à l’échelle globale, de façon systémique, gagne-t-on quand même la partie, ou pas ?
Raphaël Guastavi : C’est effectivement tout l’enjeu de pouvoir faire des efforts supplémentaires, et c’est ce qu’a dit Éric, notamment en termes de captage de carbone. C’est donc un pari sur des technologies qui sont aujourd’hui sont émergentes, chères et pas complètement certaines.
Thibaut le Masne : D’un point de vue global, sur les quatre scénarios que tu nous donnes, actuellement il n’y en a qu’un qui marche d’un point de vue tech, en impact global. Quand tu nous as expliqué que le premier scénario divise par trois nos émissions technologiques, le deuxième on ralentit nos émissions technologiques et le quatrième on augmente très fortement nos émissions mais au niveau de la tech. Est-ce que l’équilibre se trouve dans la globalité ? Est-ce qu’on arrive à diviser par 2, demandé, souhaité pour 2050 ?
Raphaël Guastavi : C’est effectivement tout l’enjeu, après, de l’approche qui est plus globale et pas seulement sectorielle, c’est de voir comment les autres secteurs diminuent fortement pour atteindre l’objectif global.
Cyrille Chaudoit : C’est tout l’enjeu de savoir ça, mais c’est aussi tout l’enjeu de savoir quelles seront les politiques suffisamment volontaristes pour aller vers tel ou tel autre scénario. On va y revenir dans la séquence qui suit parce que là c’est fascinant, c’est le nœud gordien de l’émission, c‘est pour cela qu’on prend un petit peu de temps ; on va probablement revenir sur le scénario 4, le Pari réparateur, dans la prochaine séquence.
Les premiers scénarios impliquent, redisons-le, une régulation quand même très forte aussi bien à notre propre initiative parce qu’on est convaincu de devoir y aller, on sait aussi comment y aller, parce que c’est aussi une des questions : comment suscite-t-on cette sobriété ; au-delà du bâton, est-ce qu’il y a aussi la carotte ? Est-ce qu’on peut juste toucher deux mots de ça avant de passer à l’étape suivante ? Comment fait-on pour donner envie de cette sobriété, de plus de sobriété, sur des objets de consommation qui sont, plus que tout autre, designés pour nous rendre accros ? Éric.
Éric Vidalenc : On essaie toujours d’insister sur le fait qu’il y a plein de co-bénéfices à mettre en œuvre la sobriété, notamment en France, dans un pays où on importe l’intégralité de notre pétrole, de notre gaz, de notre charbon : ça va être bon pour l’économie, ça va être bon pour la santé parce qu’on va réduire la pollution locale et ça va être bon pour le climat parce qu’on réduit les émissions de gaz à effet de serre.
Un exemple sur l’alimentation : on sait qu’on mange trop de viande aujourd’hui. Si vous réduisez votre consommation de viande, c’est meilleur pour votre santé, c’est meilleur pour le climat et si vous produisez de la viande de meilleure qualité, vous avez aussi des co-bénéfices pour les éleveurs qui vivent mieux en produisant quantitativement moins.
C’est vraiment un point important philosophiquement sur la sobriété. Peut-être deux mots pour dire que les scénarios 1 et 2, Génération frugale et Coopérations territoriales, ce ne sont quand même pas des Amish.
Cyrille Chaudoit : Ah non ! Pas ça !
Thibaut le Masne : Ça faisait longtemps qu’on n’avait pas entendu le terme !
Éric Vidalenc : Où on a des millions de véhicules électriques, où on partage ces véhicules notamment avec du numérique. Il faut donc dépasser, on va dire, le dualisme ou le truc un peu binaire, genre là c’est bougie et la grotte et là c’est du high-tech avec de l’IoT partout. Non ! On pense des mondes qui ont une cohérence technique, des systèmes productifs, des modes de consommation. Ce sont des choses qui sont faites dans une certaine complexité et nuance et on essaie de dépasser des approches très binaires telles que celle que je décrivais.
Cyrille Chaudoit : Bien sûr. Dans mon propos ce n’était pas juste les amish mais c’était juste pour insister pour que tout le monde comprenne bien que sur les scénarios 1 et 2, mais surtout sur le 1, il y a une forte prise de responsabilité de la part des politiques avec une régulation. Ça veut probablement aussi dire des sanctions pour les acteurs qui ne jouent pas le jeu ou des incitations peut-être fiscales ou autres. On verra si on a le temps de développer ça plus retard ou alors il faudra revenir.
Juste un dernier mot Raphaël parce qu’il faut qu’on passe à la Philo Tech d’Emmanuel.
Raphaël Guastavi : Un tout petit point. Là on parle de ces scénarios sous l’angle de neutralité carbone, mais, ça a été un petit peu dit, il faut faire attention, le quatrième scénario implique aussi une grande consommation de ressources et, derrière la consommation de ressources, on est sur quelque chose de limité, sur lequel on peut avoir aussi des conflits d’usage. Si on doit développer notamment la transition énergétique avec des énergies renouvelables, la question sera peut-être une compétition de ressources sur le même type de métaux, par exemple.
Cyrille Chaudoit : Tout à l’heure, on parlait entre autres de la voiture, les véhicules vont aussi avoir besoin d’un certain nombre de ressources et de matières premières qui rentrent en concurrence avec les autres artefacts numériques.
C’est l’heure de la Philo Tech d’Emmanuel Goffi.
Philo Tech d’Emmanuel Goffi « L’éthique à la sauce occidentale »
Voix off : De la philo, de la tech, c’est Philo Tech.
Cyrille Chaudoit : Emmanuel, lors de ta dernière chronique, tu nous expliquais que la grande majorité des réflexions sur l’éthique appliquée à l’IA sont le fait d’acteurs occidentaux. Il serait donc logique d’envisager l’éthique à l’aune des différentes cultures. Dit autrement, comme en matière de liberté, l’éthique des uns devrait s’arrêter là où commence celle des autres.
Emmanuel Goffi : En fait, la première des choses à comprendre, c’est que tout système éthique dépend d’une vision du monde, d’une cosmologie. Schopenhauer nous dirait, par exemple, que le monde est volonté et qu’il nous est donné comme représentation. Dans cette représentation du monde, l’éthique joue le rôle de médiateur, comme nous le dit le philosophe belge Michel Meyer, un médiateur entre l’éthos, le soi, et le pathos, l’autre. Ce rôle de médiation vise à permettre aux êtres de vivre harmonieusement ensemble : une vie bonne, avec et pour autrui, dans ces institutions justes pour reprendre la formule de Paul Ricœur.
La nature de cette médiation, elle, va essentiellement dépendre de notre conception du monde qui découle d’une cosmogonie, c’est-à-dire un mythe sur la création de l’univers.
Dans la culture judéo-chrétienne, par exemple, c’est en goûtant au fruit de la connaissance que l’humain va se détacher du reste de la nature pour se placer dans une relation verticale et s’attribuer une position dominante qui, elle-même, va déboucher sur une quête de puissance, pour reprendre Nietzsche, et sur un besoin de contrôler la nature pour la plier à ses besoins. C’est à cette fin, nous dit Aristote, qu’il va créer des objets techniques.
Dans un tel monde l’éthique consiste essentiellement à maintenir des relations harmonieuses entre les être humains, puisque le reste de la nature est dominé et sous contrôle.
Maintenant, si on envisage le monde d’une manière différente, et que l’humain n’est plus en surplomb de la nature, dans une position dominante, si on le place sur un plan horizontal, à égalité avec la nature, si on envisage sa relation à la nature non pas comme une relation de supériorité mais d’égalité, alors notre conception de l’éthique change pour devenir un médiateur entre tous les êtres animés et inanimés dans une quête d’équilibre général. C’est cette perspective qu’on trouve, par exemple, dans les sagesses asiatiques telles que le shintoïsme, le bouddhisme et l’hindouisme.
Cyrille Chaudoit : Très bien. En quoi cette perspective impacte-t-elle l’éthique appliquée à la technologie ?
Emmanuel Goffi : Si on voit le monde sur un plan horizontal plutôt que vertical, l’humain devient un élément parmi d’autres de l’univers. Il doit entretenir des relations harmonieuses non pas seulement avec ses semblables mais avec l’ensemble des objets animés et inanimés qui l’entourent, que ces derniers soient naturels ou non d’ailleurs. La technologie n’est dès lors plus un outil de contrôle de la nature, mais un moyen de maintenir l’harmonie collective. Sa finalité est donc différente.
Si on regarde dans la culture populaire, on note qu’en Occident on craint les effets potentiellement désastreux de la robotique et de l’IA. C’est le célèbre syndrome Terminator.
Au Japon, au contraire, on envisage la robotique comme bénéfique pour la communauté. On remplace Terminator et ses dangers par Astro Boy et ses bienfaits.
De fait, on n’a pas du tout les mêmes inquiétudes et les mêmes réticences vis-à-vis de la technologie en Asie et en Europe.
Par ailleurs, dans certaines cultures dites animistes, les objets inanimés, naturels ou non, sont considérés comme ayant ce que l’on appellerait une âme. Ils partagent, avec les êtres animés, un principe qui leur confère une identité et des droits. C’est vrai pour le shintoïsme mais aussi pour les sagesses aborigènes en Australie, la culture maorie en Nouvelle-Zélande, ou les peuples des premières nations d’Amérique du Nord. C’est vrai également pour les cultures syncrétiques d’Afrique, pour l’ubuntu par exemple.
Pour certaines de ces cultures, les objets animés comme inanimés sont traversés d’une énergie commune qui transmigre lors de leur destruction ; l’humain n’est pas le seul à être pourvu d’une âme. De fait, la technologie n’est plus un outil, mais un maillon de l’écosystème. C’est ce que le philosophe japonais Watsuji Tetsurô appelle un climat. Elle n’est plus développée pour plier la nature au bon vouloir de l’humain, mais a vocation à assurer l’équilibre général du monde, elle est téléologique. C’est d’ailleurs cette absence de télos, c’est-à-dire de finalité, que dénonce la philosophe pakistanaise Amana Raquib. Selon elle, le monde occidental produit de la technologie pour elle-même. Elle propose une perspective islamique de l’éthique appliquée aux technologies, indexée à ce qu’on appelle les Maqasid, les cinq finalités promues par les textes de l’islam.
Cyrille Chaudoit : Et d’un point de vue pratique, comment ça se traduit ?
Emmanuel Goffi : On a par exemple une approche bouddhique de la notion de respect de la vie privée qui a été développée par le philosophe thaïlandais Soraj Hongladarom. Il nous explique que cette notion est liée à l’existence du soi, le self, qui est absente dans le bouddhisme. Sans le soi, l’individualité n’a pas le même sens que celui que nous donnons en Occident. De fait, l’idée de vie privée est différente, l’exigence de propriété des données de vie privée est à repenser.
Cette question de la vie privée est également questionnée par la pensée ubuntu en Afrique qui valorise la transparence vis-à-vis de la communauté plutôt que la vie privée. C’est ce que l’éthicien et juriste zimbabwéen Arthur Gwagwa souligne lorsqu’il affirme que l’approche africaine de la protection de la vie privée est une question de droit collectif bien plus que de données personnelles. On retrouve ce même questionnement dans la pensée védique avec des travaux de l’éthicien indien Raja Kanuri.
On peut se demander, par exemple, comment toutes ces approches et bien d’autres vont être articulées dans les métavers, comment elles vont être opérationnalisées, comment elles vont être transformées en normes légales. Pour l’heure, on est en face d’un désert intellectuel en la matière. Or, comme le dit le futurologue et sociologue marocain Mahdi Elmandjra : « La sécheresse des cerveaux est plus grave que celle de la nature ».
L’éthique appliquée à la technologie, envisagée au travers du prisme culturel, est, à mon sens, un fabuleux champ à explorer pour développer l’esprit critique.
Voix off : Trench Tech. Esprits Critiques pour Tech Éthique.
Thibaut le Masne : Et voilà un tour du monde éthique, bas carbone et tout aussi passionnant. Merci beaucoup Emmanuel.
Maintenant, je voudrais qu’on s’attarde aussi sur ce fait : est-ce que le numérique peut être une solution au défi climatique ? Dans la course au renouvelable, il y a au moins deux choses qui ne le sont pas : le climat et les équipements numériques en grande, très grande majorité. Souvent quand je parle data, j’aime bien citer le philanthrope Robert Ralph Parsons qui dit globalement que tout ce qu’on mesure s’améliore ; pour moi, l’usage nécessaire de la data c’est vraiment dans l’optique de s’améliorer. Si je grossis un petit peu le trait, aujourd’hui la tech a plutôt produit des IA qui permettent d’être championnes de go ou championnes d’échecs, qui gagnent un premier concours de dessin avec un joli dessin. En revanche, il n’y a pas grand-chose aujourd’hui qui fait vraiment référence d’un point de vue climatique.
On a vu les quatre scénarios. J’aurais voulu savoir comment, par quel axe, par quel angle, par quoi commencer, globalement, pour que la tech puisse enfin nous aider à nous sortir, même si ce n’est pas forcément la solution unique ?
Éric Vidalenc : Le point auquel on pense intuitivement c’est déjà comment le numérique doit se verdir. Par rapport à tout ce que Raphaël disait en début d’émission, on voit qu’agir sur le matériel, sur les équipements, ça va être crucial pour que e numérique se transforme, pour qu’il soit plus soutenable, pas uniquement en termes de CO2 mais aussi en termes de ressources. On a globalement un vrai sujet sur la récupération, le recyclage. En Europe, on fait plutôt partie des bons élèves et pourtant c’est loin d’être extraordinaire. On a du mal à collecter pour recycler.
Cyrille Chaudoit : Juste un point. Rappelons que dans un smartphone standard c’est 1 % qui est recyclable.
Raphaël Guastavi : On ne compte pas trop en pourcentage, ça va être plutôt de regarder le nombre de matériaux. On a, par exemple, une cinquantaine de métaux dans un smartphone, on va savoir en recycler bien une dizaine, une douzaine, notamment les métaux précieux. La problématique, c’est la quantité de ces matériaux qui est très faible et très imbriquée, ce qui rend le recyclage compliqué.
Cyrille Chaudoit : Donc énergivore.
Thibaut le Masne : On peut recycler, mais ça peut être plus polluant de recycler.
Raphaël Guastavi : Non. Le recyclage, en l’occurrence surtout sur des métaux, sera toujours moins impactant que d’aller chercher des ressources naturelles qui nécessitent énormément de matière à déplacer et des procédés physico-chimiques très impactants, sans compter la partie sociétale. Donc non, c’est toujours mieux de recycler.
Thibaut le Masne : D’accord.
Éric Vidalenc : Pour reprendre sur ce verdissement, cette transformation du numérique, c’est un peu la base et ça va être via notamment l’allongement de la durée de vie, le fait de mieux conserver, réparer, réutiliser l’ensemble des terminaux et des équipements. Et c’est crucial notamment par rapport à cette difficulté à recycler. Cette difficulté vient du fait qu’on a des matériaux avec une diversité de composants extraordinaire, Raphaël évoquait une cinquantaine/soixantaine, en fait il y a peu d’autres objets de notre quotidien qui sont aussi complexes en termes de matériaux et de composants. Ça explique donc, quelque part, la difficulté à bien les recycler. Ces équipements, ces smartphones par exemple, tous ces PC ou équipements connectés, en fait on les renouvelle à une cadence qui est absolument dingue, en tout cas qu’on ne connaît quasiment sur aucun autre bien de consommation.
Quand on fait de l’électroménager c’est pour plus de dix ans, quand on fait des voitures c’est pour une quinzaine d’années. En fait, dans le numérique, qu’est-ce qu’on garde une dizaine d’années ? Garder un PC une dizaine d’années, il y a des entreprises qui commencent à aller sur cette durée de vie-là, ce n’est pas mal, mais c’est plutôt l’exception que la norme.
C’est vraiment un des premiers points importants : pour que le numérique s’améliore, augmenter la durée de vie des équipements. Raphaël, peut-être veux-tu compléter sur ce point, je dirai après sur comment le numérique peut aider à transformer le reste.
Raphaël Guastavi : On a cet enjeu d’allongement de la durée d’usage des produits parce que, c’est ce qu’on a dit aussi tout à l’heure, c’est la phase de fabrication qui est la plus impactante. On se dit naturellement que moins on a des changements fréquents, moins on a de nouvelles demandes de fabrication. C’est vraiment essentiel. Ça joue par la maintenance, l’entretien, la réparation. C’est aussi dès le moment d’achat finalement, quand on a le besoin d’acheter quelque chose, plutôt que de le changer alors que son équipement fonctionne, c’est déjà se poser la question « est-ce que j’ai vraiment besoin d’acheter du nouveau » et, si c’est le cas, acheter du reconditionné, qui a donc déjà eu une phase de vie et de la prolonger par ce biais. Il y a des actions, on peut le faire.
Cyrille Chaudoit : La comm‘ s’est pas mal développée. On en entend de plus en plus parler. Quand tu dis : s’il y a moins de demandes, en gros les industriels seront moins tentés d’en mettre sur le marché, mais ce n’est pas tout à fait comme cela que ça marche. Depuis quelques années c’est plutôt l’inverse : c‘est parce qu’ils mettent abondamment sur le marché que ça suscite la demande, c’est un peu l’effet rebond, dont on ne disait pas le nom tout à l’heure.
Raphaël Guastavi : Forcément, on pourra toujours avoir de l’effet rebond. Mais si on arrive à éviter le suréquipement et le changement fréquent, on va quand même arriver à lisser un peu tout cela.
Cyrille Chaudoit : Ça ne passe que par l’éducation du consommateur ou faut-il brider les producteurs et leur interdire de sortir tous les six mois une nouvelle version ?
Thibaut le Masne : Il y a effectivement les deux axes : il y a cet axe-là et il y a aussi un axe sur l’obsolescence programmée qui a été souvent critiquée. Une loi est passée aujourd’hui : on ne peut plus avoir ce genre de chose. Quelque part, on peut se dire ça.
Raphaël Guastavi : Aujourd’hui, l’obsolescence programmée est très difficile à prouver. Je ne suis pas sûr que ça existe vraiment : il y a des appareils de bonne qualité, de moins bonne qualité, on le voit assez rapidement au niveau du prix. Derrière on a quand même, de façon très paradoxale, des grandes marques qui mettent du matériel de qualité sur le marché, qui est capable de durer longtemps, avec un suivi logiciel très long et, en même temps, elles jouent beaucoup sur la partie marketing et obsolescence qui va être plutôt culturelle pour renouveler le produit. C’est vraiment le grand paradoxe sur lequel on essaye de lutter au maximum.
Cyrille Chaudoit : Comment lutte-t-on là-dessus ?
Raphaël Guastavi : On lutte déjà en informant le consommateur : est-ce que tout le monde a bien conscience de l’impact environnemental de son équipement ; en informant des possibilités de changer de comportement, d’achat et de consommation. Après, on travaille aussi avec les fabricants pour les accompagner dans l’écoconception, dans le recyclage. On leur parle de cette question du modèle économique qui, aujourd’hui, est basé sur le volume de ventes et pas sur le service, par exemple.
Cyrille Chaudoit : Ils peuvent changer de business modèle, c’est ce que tu dis en creux. Ils pourraient aller vers d’autres types de business modèle où ils gagneraient tout autant d’argent sans forcément produire tous les six mois un nouveau device ?
Raphaël Guastavi : Exactement. Faire du changement de modèle c’est notre objectif et là on est sur du temps long, évidemment. Ce sont des actions qui imposent de changer de modèle économique de façon un peu globale.
Mick Levy : Je suis tombé sur une statistique qui, je crois, a été émise par l’ADEME, qui m’a totalement défrisé – ceux qui me connaissent ou me voient actuellement savent qu’il faut quand même se lever tôt le matin. Vous disiez qu’un smartphone, en termes de CO2 équivaut à deux pulls. Perso, j’achète très peu de fringues, mais ça m’a donné envie de changer de smartphone, je me suis dit « si ce n’est deux pulls ! », quand je vois la consommation qu’en font certaines ou certains parfois, pour ne pas les nommer, ça déculpabilise un peu.
Raphaël Guastavi : Le problème c’est que finalement très réducteur et c’est certainement sur un aspect, un impact.
Mick Levy : ais c’est ou vrai ou pas ? Dans ce cas-là, l’impact de la mode est complètement fou !
Raphaël Guastavi : L’impact de la mode est très important, mais là aussi pas seulement sur le carbone, sur l’ensemble de la chaîne de valeur qui est très longue. C’est la même chose que pour les métaux dans les smartphones : on va aller chercher des éléments un peu partout sur la planète pour arriver dans les tiroirs de nos commodes.
Le problème, c’est que cette comparaison ne veut pas dire grand-chose. Si on regarde sur plein d’impacts, ce n’est quand même la même chose d’aller extraire des métaux que de tondre un mouton.
Mick Levy : Ou d’aller recueillir du coton.
Cyrille Chaudoit : On voit que tu ne t’es jamais fait tondre !
Mick Levy : On revient au problème capillaire !
Raphaël Guastavi : Je ne rentrerai pas sur cette problématique qui ne me concerne qu’à moitié !
La problématique c’est surtout le modèle de consommation qu’on veut avoir. Il faut éviter la surconsommation aussi bien sur le textile que sur le numérique. Il faut éviter le suréquipement.
Cyrille Chaudoit : Je peux juste partager un ressenti. On entend beaucoup, depuis tout à l’heure, ce discours et je suis sûr que de l’autre côté des ondes beaucoup vont dire, et une fois de plus, qui pointe-t-on du doigt, c’est le consommateur, c’est au consommateur de faire. Il y a quand même un truc qui m’a gonflé ces dernières années : ça fait plus de 20 piges à peu près qu’on est tous OK pour faire les petits gestes du quotidien, etc., sauf qu’à un moment donné les agents économiques qui ont un vrai pouvoir de décision pour changer les choses, qui sont, nommons-les, les acteurs, les entreprises en général et les grandes entreprises en particulier, avec tout l’attirail de marketing, de comm’ et je viens de ce milieu-là, c’est quand même à eux aussi, à un moment donnée, de se bouger le cul. Quand tu as dit que les entreprises doivent prendre leurs responsabilités, tu peux dire « il faut d’abord que ce soit le consommateur qui change comme ça, ça leur tord le bras », mais ils sont entre le marteau et l’enclume. Tu as aussi les institutionnels et les politiques qui peuvent imposer des sanctions ou être incitatifs.
Je suis plutôt dans l’idée que tu peux tordre le bras aux gens, mais ça ne marche pas toujours et qu’un certain temps. Il faut rendre les choses incitatives. Comment rendre le durable sexy, la sobriété bonne pour le business au-delà de la rendre sexy pour le consommateur ?, parce que c’est bon ! On a compris qu’il fallait changer. Les petits ruisseaux font les grandes rivières. Les colibris ça va un temps, sauf qu’à la fin le colibri s’épuise.
Raphaël Guastavi : Je pense que nous avons tous notre rôle à jouer, tous nos responsabilités, effectivement il ne faut pas dire plus le consommateur, plus le producteur, mais il ne faut pas non plus que l’un attende l’autre. Il faut vraiment avoir une action tous ensemble en même temps.
Thibaut le Masne : On est en écosystème, encore une fois !
Cyrille Chaudoit : Et qui crée l’input alors ?, Éric, d’où vient l’input ? Oui, y a qu’à-faut qu’on, mais qui donne la carotte, qui donne le bâton ?
Éric Vidalenc : Je vais prendre un exemple pour montrer qu’on peut avoir des transformations, en fait, mais qu’à un moment il y a effectivement besoin d’une volonté politique.
Cyrille Chaudoit : Merci.
Éric Vidalenc : En 2008, le paquet énergie climat européen est voté. Il oblige les fabricants automobiles à mettre sur le marché, en 2020, des véhicules qui émettent moins de 95 grammes de CO2 par kilomètre. On voit les temporalités. On s’est donné 12 ans pour obliger un secteur à se transformer et à respecter une cible de performance environnementale. Aujourd’hui, quelle publicité avez-vous des fabricants automobiles ? Ils vous expliquent tous que la voiture électrique c’est génial, c’est la nouvelle voiture sexy, qui respecte l’environnement, qui va faire de vous un homme reconnu, etc. Ils jouent donc sur tous les tableaux : sur la dimension culturelle, mais parce qu’ils ont été obligés de changer parce qu’il y a eu une directive européenne qui les a contraints à respecter certaines normes pour mettre sur le marché européen.
On peut imaginer, de la même manière, des objectifs sur l’intégration de matières recyclées, sur les émissions de CO2 sur le secteur du numérique demain.
Cyrille Chaudoit : Cela dit, il y a quand même un point qui diverge par rapport au secteur automobile que tu cites. Aujourd’hui le secteur automobile si on est franco-français, ne serait-ce qu’européen, c‘est quand même très implanté sur le secteur européen, on ne va pas parler des Allemands ou des Français, mais le problème de la tech c’est que ce n’est pas du tout européen. La tech c’est principalement asiatique, voire américain. On a fait le RGPD [5] et, sans vouloir être bien méchant, ça ne fait pas grand-chose. On se dit qu’on a peur, mais les sanctions ! Il y a évidemment les GAFAM qui prennent un petit peu leur part, mais globalement ! Il y a des petites amendes.
Thibaut le Masne : Pour le green, vis-à-vis des aspects écologiques, ça ne se passe pas chez nous, ça se passe aux États-Unis et en Asie, donc comment s’y prendre ?
Cyrille Chaudoit : Comment impose-t-on ça ?
Thibaut le Masne : C’est pour cela qu’on met la pression aux consommateurs ?
Raphaël Guastavi : Je pense qu’il y a quand même des choses qui ont bougé, qui bougent en Europe sur le secteur du numérique aussi, qui bougent en France. La loi sur la réduction de l’empreinte environnementale du numérique [6] touche l’ensemble des acteurs, pas seulement les fabricants, aussi des fournisseurs de services, la distribution via des datacenters, c’est vraiment l’ensemble du secteur qui est touché, qui est de plus en plus obligé, quand même, déjà de montrer ce qu’il fait, de mesurer, de donner des éléments de transparence. Sur la partie matérielle ce sont des indices qui se développent, qui sont obligatoires malgré le fait que ce soient souvent des marques internationales qui sont concernées : indice de réparabilité, bientôt indice de durabilité. Certains diront que ce n’est pas suffisant et que ce n’est pas assez contraignant, mais c’est déjà un début.
Cyrille Chaudoit : Ce sont des petits pas.
Raphaël Guastavi : Vu le retard qu’on a peut-être pris, en termes de réglementation sur ce secteur, ce n’est déjà pas mal. On a quand même des GAFAM qui regardent la France comme étant un laboratoire de ce qui va se passer au niveau mondial. Ils nous le disent tous, et je les crois, qu’on a quand même en France la chance d’avoir une forme d’avance sur cette réglementation sur les sujets du numérique avec, du coup, cette possibilité d’être vraiment le laboratoire de ce qu’ils vont devoir mettre en œuvre.
Cyrille Chaudoit : Éric, j’ai lu récemment dans une interview que tu as donnée à un site qui s’appelle syndicalismehebdo.fr, en tout cas il t’attribue ces propos, « on ne peut pas demander au citoyen d’être sobre si l’on n’adapte pas les infrastructures ». C’était plutôt dans un contexte de mobilité, si ma mémoire est bonne, néanmoins cette phrase est tout autant valable sur les infrastructures du numérique. Par rapport à ce qu’on vient d’évoquer avec Raphaël et cette mainmise des Big Tech, des GAFAM pour ne pas les nommer, ça ressemblerait à quoi, finalement, d’être plus proactifs sur l’adaptation des infrastructures au niveau d’une politique publique ?
Éric Vidalenc : Ça veut dire poser des objectifs, des normes ou des contraintes.
Je pense qu’un des arguments autour de ce qui a été évoqué pour dire qu’on peut agir et faire plusieurs choses en Europe même si, comme certains le disaient, je crois que c’était Benoît Thieulin qui disait cela, on est une sorte de colonie numérique, parce que, effectivement, on ne fabrique pas grand-chose chez nous, en fait l’Europe est quand même un des plus gros marchés solvable au monde. Pour accéder à ce marché, on peut poser des conditions, comme on l’a fait pour les véhicules, comme on le fait pour les jouets qui apparaissent sur le marché.
Cyrille Chaudoit : Ce sont des normes, c’est la politique des normes ?
Éric Vidalenc : Oui, voilà. Il ne faut pas penser qu’on est totalement désemparés parce qu’on n’a pas de géants du numérique chez nous et que les GAFAM sont principalement ailleurs.
Penser ensuite des modes de régulation des infrastructures qui favorisent la sobriété, l’exemple que j’aime bien prendre c’est effectivement celui de la mobilité : on ne peut pas demander aux citoyens d‘utiliser des vélos si on leur met juste des deux fois deux voies en bas de chez eux.
Pour le numérique c’est un peu la même chose. Si on déploie tout un tas d’écrans dans l’espace public qui visent à vous inciter à consommer en permanence et qu’on appelle les citoyens à éteindre la lumière, baisser un peu le chauffage, eh bien on voit qu’on crée cette sorte de schizophrénie ou de dissonance cognitive.
Cyrille Chaudoit : C’est une forme d’hypocrisie. Si tu mets des panneaux publicitaires lumineux partout, tu peux effectivement difficilement demander aux gens d’arrêter d’acheter des dalles pour chez eux, des écrans télé. Dans votre rapport, j’ai lu que vous conseillez de passer au vidéo-projecteur dans un de vos scenarii. On aurait pu creuser le sujet, c’est assez rigolo.
Éric Vidalenc : C’est cette mise en cohérence qui me semble majeure. Aujourd’hui la sobriété est sous les feux de l’actualité parce qu’on est dans une crise énergétique majeure, donc tout le monde parle de sobriété. L’enjeu, aujourd’hui, c’est d’en faire un vrai fil rouge de toutes les politiques publiques et de faire ça sur la durée pour qu’on ait une cohérence et que les citoyens, les consommateurs, comprennent pourquoi on leur demande des choses, qu’il y ait une offre industrielle en face de ça, qu’on crée des infrastructures numériques, de mobilité, de chauffage qui leur permettent de moins consommer, de mieux consommer. C’est cet alignement des planètes qui va être indispensable si on veut vraiment que les consommateurs et les citoyens changent de pratiques.
Raphaël Guastavi : Là typiquement, de façon précise sur le sujet du numérique, ce qu’on peut demander, imposer, c’est de systématiser l’écoconception dans les services numériques, dans toutes la distribution. On voit qu’une grande partie données est liée aux vidéos, c’est d’avoir des systèmes éco-conçus sur tout ce qui est plateformes, services médias audio-visuels.
Cyrille Chaudoit : Excusez-moi, j’ai un appel de Mark Zuckerberg qui demande que tu le conseilles pour son métavers, parce qu’à mon avis on n’est pas prêts.
Thibaut le Masne : En tout cas, un immense merci à tous les deux d’être venus répondre à nos questions. Je garderai comme phrase de conclusion que la sobriété, comme fil rouge, doit être mise à tous les niveaux de la société et je pense que c’est bien ça : pas moins le consommateur, mais que tout le monde, dans la société, puisse prendre sa part. L’élément assez positif que tu as rappelé, Raphaël, c’est qu’on n’est pas si mal en France et, des fois, ça fait du bien aussi de le dire, même si ça ne répond pas à toutes les questions.
Merci encore à tous les deux et à très bientôt.
Cyrille Chaudoit : Merci Raphaël. Merci Éric.
Raphaël Guastavi : Merci.
Éric Vidalenc : Merci. À bientôt.
Voix off : Trench Tech. Esprits Critiques pour Tech Éthique.
Le debrief
Mick Levy : Je ne sais pas vous, mais on aurait peut-être pu faire un épisode de deux heures, voire deux heures trente, voire trois heures. C’était passionnant. Plein d’idées sont ressorties.
On se prend quelques minutes pour faire le debrief et retenir les idées clefs. Thibaut.
Thibaut le Masne : Il faut rassembler un peu ses idées. Je voudrais revenir sur un élément qui est clef et qui fait du bien d’entendre aujourd’hui, c’est le fait qu’élaborer des perspectives ne veut as dire prédire les choses. Oui, on est d’accord, on a trois grands éléments dans le numérique qui sont les datacenters qui représenteraient 15 %, on a tout ce qui est infra/réseaux qui représenterait 5 % et bien évidemment les terminaux qui sont le gros sujet qui fait 80 % de nos gros problèmes.
Quelque part, je trouve que ça fait du bien de se dire que ce qu’ils essayent de faire ce n’est pas de prédire mais c’est d’essayer de voir comment ces choses-là vont continuer de grandir et, potentiellement, nous décrire des scénarios futurs sans nous dire que c’est la vérité vraie.
Mick Levy : Ce qui m’a intéressé, ce sont justement les quatre scénarios, c’est passionnant. Il y en a un sur lequel on est passé un peu vite, qui est assez intéressant, c’est le quatrième scénario qu’ils ont appelé le Pari réparateur. C’est chouette ce mot de « pari » parce que, effectivement, on entend beaucoup cette voix dans le numérique qui est de dire : laissons le numérique débridé, d’abord parce que l’impact n’est pas si fort au global et parce que le numérique est une partie de la solution et va apporter des solutions pour, globalement, l’enjeu climat. Du coup, là ils nous montrent bien, ils nous donnent un argument en poussant le trait de ce scénario jusqu’au bout, que ce n’est pas soutenable du tout parce que un, sur l’impact CO2, on va exploser les choses si on ne fait pas aussi des efforts sur le numérique et deux, en plus, ce n’est absolument soutenable d’un point de vue de toutes les ressources, notamment des métaux, qui sont nécessaires.
Thibaut le Masne : À un moment on n’en aura plus assez.
Mick Levy : C’est vraiment chouette d’avoir aussi poussé scénario et d’avoir poussé la réflexion jusqu’au bout pour prouver qu’il faut des efforts partout, y compris dans le numérique.
Thibaut le Masne : Attention, encore une fois ça ne prouve pas, mais ça décrit des scénarios sur lesquels il y a de la crédibilité à apporter, je ne sais pas ce que tu en penses.
Mick Levy : Tu as raison : faire des projections n’est pas de la prédiction.
Cyrille Chaudoit : C’est pour mettre en perspective des situations. Rappelons aussi que ce Pari réparateur, le scénario 4 dans le rapport, consiste à dire que tout ce que l’on va miser sur la technologie dans une logique un peu de techno-solutionnisme, en quelque sorte, va polluer beaucoup plus sur le segment du numérique mais au bénéfice de gains plus ou moins importants sur les autres secteurs.
Ce qui m’a un peu gêné quand j’ai lu le rapport c’est que le côté techno-solutionnisme, techno-optimiste, d’ailleurs Gérald Holubowicz en avait parlé dans une de ses chroniques, c’est, je trouve, au mieux se bercer d’illusions au pire une façon de se défausser de ses responsabilités au niveau institutionnel et particulièrement au niveau gouvernemental. D’ailleurs, on est allé chercher Éric et Raphaël plus d’une fois sur quelles sont les solutions à mettre en place ? Notamment, dans vos scenarii 1 et 2, ça implique une régulation forte et ça n‘est pas qu’au consommateur de tout assumer, on ne les a pas trop entendus. Manifestement ce n’est pas dans leur attribution de dire « oui, le gouvernement doit prendre ses responsabilités, imposer des règles, etc. », donc, à un moment donné, j’ai bien compris.
Mick Levy : On va dire qu’on a senti une sorte de réserve dans le studio.
Thibaut le Masne : Ce qui est assez logique aussi.
Cyrille Chaudoit : Un droit de réserve. Dont acte, mais, à un moment donné, il faut dire les choses, sinon comment veux-tu convaincre le citoyen que nous sommes que c’est uniquement sa responsabilité de consommateur ? Plus personne n’y croit, ça fait plein de piges qu’on nous raconte les mêmes salades.
Thibaut le Masne : C’est sûr.
Cyrille Chaudoit : C’est le seul petit truc que je mets entre parenthèses parce que ça peut en chauffer plus d’un.
Mick Levy : Pour ça, il va peut-être falloir qu’on reçoive quelqu’un du gouvernement à qui on pourra poser directement la question.
Cyrille Chaudoit : C’est une bonne idée.
Mick Levy : C’est une invitation, si quelqu’un du gouvernement nous entend, à l’écologie, au numérique ou autre, on vous invite, c’est quand même vous.
Thibaut le Masne : On lance un appel.
Cyrille Chaudoit : C’est parti.
Mick Levy : Il est temps de conclure cet épisode.
En tout cas merci messieurs, merci à tous les deux.
Cyrille Chaudoit : Merci Mick. Merci Thibaut et merci à nos amis de l’ADEME.
Thibaut le Masne : uper. On passe tout de suite à la conclusion.
Voix off : Trench Tech. Esprits Critiques pour Tech Éthique.
Thibaut le Masne : Et voilà ! Plus ou moins 60 minutes viennent de s’écouler et normalement votre regard sur la mesure de l’impact écologique du numérique n’est pas tout à fait le même qu’au début de l’épisode.
Merci à vous d’avoir pris le temps de nourrir votre esprit critique sur les enjeux éthiques que soulève l’environnement technologique dans lequel nous vivons. Que nous en soyons concepteurs, les commanditaires ou de simples usagers, vous avons le droit et la responsabilité d’exercer notre esprit critique sur ces sujets pour être des acteurs plutôt que des consommateurs.
Trench Tech c’est terminé pour aujourd’hui, mais vous pouvez nous écouter ou réécouter sur votre plateforme de podcast préférée. Merci d’être de plus en plus nombreuses et nombreux à nous écouter, vous donnez du sens à tout ce travail.
Si vous voulez contribuer à nos efforts, parlez de Trench Tech autour de vous, partagez nos épisodes et notez-nous sur les plateformes de podcast. Car, comme le disait Yann Arthus-Bertrand : « Chacun est responsable de la planète et doit la protéger à son échelle. »
Voix off : Trench Tech. Esprits Critiques pour Tech Éthique.