Mick Levy : Les gars, je ne sais pas vous, mais moi, j’ai le plus grand mal à détacher ma fille de son l’iPhone. Elle y passe des plombes !
Thibaut le Masne : Oui, mais j’ai eu ta mère au téléphone, elle m’a dit que c’était pareil avec toi devant le Club Dorothée à l’époque.
Mick Levy : Devant le téléphone et puis elle disait que j’utilisais la ligne.
Thibaut le Masne : Tu étais en mode « je prends le téléphone fixe, je tire le câble, je vais me mettre dans ma chambre et je passe des soirées entières... »
Cyrille Chaudoit : Dans les toilettes !
Mick Levy : Ho là, là, c’était mieux avant !
Cyrille Chaudoit : Je ne sais pas ! C’est un réflexe de vieux daron, je reste poli.
Mick Levy : De vieux daron pourri même.
Thibaut le Masne : « Le vieux papa ronchon », disait Michel Serres.
Voix off, Les Mitchell contre les machines : « Après une longue journée de travail, ça fait du bien de voir vos têtes baignées d’une lumière bleue sinistre, merveille. Bon ! Écoutez-moi, idée de génie, c’est notre dernière soirée ensemble avant que Cathy parte, alors, on va la savourer : si on posait nos téléphones et qu’on s’offrait dix secondes ininterrompues de fusion familiale, les yeux dans les yeux. On va commencer. — Attends ! — Pose ton téléphone, maintenant ! »
Voix off : Trench Tech. Esprits Critiques pour Tech Éthique.
Ados vs. numérique : une crainte de daron·ne ?
Cyrille Chaudoit : Bienvenue à toutes et à tous. Vous êtes bien dans Trench Tech, le podcast qui titille votre esprit critique pour une tech plus éthique. Cyrille Chaudoit pour vous accueillir, toujours avec Thibaut le Masne et Mick Levy.
Thibaut le Masne : Hello.
Mick Levy : Salut à tous.
Cyrille Chaudoit : Si vous êtes parent, vous avez peut-être déjà vécu cette scène du long-métrage animé, Les Mitchell contre les machines, sorti en 2021 sur Netflix, que l’on vient d’entendre.
Mick Levy : Oui. D’ailleurs, ça m’a rappelé quelques souvenirs de la maison.
Cyrille Chaudoit : Pour ma part, si je faisais témoigner mes deux filles de 14 et 9 ans, elles vous diraient probablement à quel point j’use et abuse de tous les ressorts pour les sensibiliser, comme je peux, aux vertus et aux risques du numérique.
Thibaut le Masne : « Comme je peux ! », tu as encore fait ton daron des temps modernes !
Cyrille Chaudoit : J’avoue, de base, c’est compliqué. Déjà, va dire aux kids qu’il ne faut pas être addict à son smartphone ou son laptop quand tu es, toi-même, continuellement connecté.
Thibaut le Masne : Je ne sais pas de qui tu parles !
Cyrille Chaudoit : Pour le boulot en plus. L’angoisse !
Mick Levy : Là, je vois !
Cyrille Chaudoit : Et puis, comment leur donner envie de te croire même si tu tiens un podcast sur le sujet, alors qu’elles voient dans l’outil un super moyen de s’amuser, de papoter avec leurs copines et de créer des super chorés [chorégraphies], en plus. Être parent est déjà un drôle de métier pour lequel aucune formation digne de ce nom n’existe, mais, depuis la propagation des écrans et des réseaux sociaux, il y a de quoi s’inquiéter de ne pas être à la fois diplômé du MIT [Massachusetts Institute of Technology], de Sciences Po et de Montessori.
Sophie Comte est la cofondatrice de Chut ! [1], en 2019, un média qui se décrit lui-même comme féministe et inclusif et qui invite ses lecteurs et lectrices à observer un temps de pause pour mieux s’acculturer à la vague digitale. Alors ça, chez Trench Tech, ça nous parle forcément, surtout que depuis 2023, Chut ! se déclinent aussi en Chut ! Explore à destination de nos ados.
Avec Sophie, nous allons nous demander comment éduquer nos enfants au numérique ou, plutôt, comment intégrer le numérique dans l’éducation de nos enfants. En commençant par nous demander simplement s’il est si nécessaire que cela de s’en soucier ou si c’est juste un réflexe de daron et de daronne, puis en interrogeant les initiatives déjà en cours, avant de nous demander si intéresser les jeunes aux enjeux du numérique, ce n’est pas, avant tout, comme pour l’écologie, une question de récit à réinventer. Pour aérer notre réflexion du jour, deux chroniques dont vous êtes fans, je le sais, le « Patch Tech » de Fabienne Billard, « Comment parler d’éthique de l’IA en entreprise ? », c’est la question de Fabienne, et la « Philo Tech » d’Emmanuel Goffi où il sera question des biais des IA, sûrement en écho à notre épisode avec Olivier Sibony [2] sur nos biais cognitifs. Enfin, dans moins d’une heure à présent, nous débrieferons, juste entre vous et nous, cher public, des idées clés partagées dans cet épisode. Restez donc jusqu’au bout !
À présent, accueillons Sophie. Bonjour Sophie.
Sophie Comte : Bonjour. Bonjour à tous les trois.
Thibaut le Masne : Salut Sophie.
Mick Levy : Salut Sophie.
Cyrille Chaudoit : Sophie, on se tutoie ?
Sophie Comte : Très bien, ça me va.
Cyrille Chaudoit : Super. Est-ce que le programme, tel qu’il est posé dans l’intro, te plaît ?
Sophie Comte : Super, j’ai hâte.
Cyrille Chaudoit : Nickel. Eh bien écoute, on va y aller. On lance le grand entretien. Vous êtes bien dans Trench Tech et ça commence maintenant.
Voix off : Trench Tech. Esprits Critiques pour Tech Éthique.
Mick Levy : Je ne suis pas sûr que, quand j’étais ado, c’était finalement vraiment beaucoup mieux que nos ados d’aujourd’hui. Je passais des mercredis entiers devant la télé entre sitcoms et autres émissions au niveau très douteux, d’une part, et au téléphone.
Thibaut le Masne : Tu fais des révélations !
Mick Levy : Non, rien de très particulier, comme vous les gars d’ailleurs ! Donc des heures au téléphone, d’autre part, « Mick, tu mobilises la ligne, quand est-ce que tu vas raccrocher ? ». Vous voyez le truc ! C’était avant les smartphones tout ça.
Cyrille Chaudoit : Même critique. Je vois d’où ça vient.
Mick Levy : C’§était le cri de mes parents, du fond du couloir. Bref ! Aujourd’hui nos enfants passent du temps sur TikTok, YouTube, WhatsApp, et font, finalement aussi, beaucoup d’activités sociales comme nous quand nous étions au téléphone. À chaque génération, on critique les comportements de la génération suivante et je crois pouvoir dire que c’est à peu près le cas depuis la nuit des temps pour avoir lu des auteurs du 19e siècle qui, déjà, pouvaient critiquer les comportements des ados de la génération suivante.
Sophie, pourquoi faudrait-il particulièrement s’inquiéter vis-à-vis des usages du numérique ? Est-ce qu’on n’est pas dans un vieux réflexe de daron rétrograde qui, finalement, ne supporte pas les comportements disruptifs de la génération qui vient ? J’y vais fort !
Sophie Comte : Oui et non forcément. Je trouve ça très drôle parce que je me reconnais aussi beaucoup dans ce que tu dis là. Quand j’étais plus jeune, je fais partie de la génération Club Dorothée, j’ai passé des mercredis à regarder la télé et j’ai aussi passé de longues heures au téléphone à discuter avec les copines, clairement, à l’adolescence.
Mick Levy : Et tu te faisais engueuler par tes parents qui gueulaient du fond de couloir « tu vas raccrocher ! ». Je ne vais pas vous la refaire.
Sophie Comte : Je connais encore des numéros de téléphone par cœur, si tu veux. À l’époque, on n’avait que des fixes, n’est-ce pas ! La grande époque.
Thibaut le Masne : Du coup, faut-il s’inquiéter ou pas ? Ou est-ce qu’on est juste dans cette reproduction de « la génération d’après, elle est naze ! »
Sophie Comte : C’est forcément oui et non. Oui, il y a ce truc de parent et ce truc d’adulte, effectivement, qui juge la génération qui arrive et la trouve moins brillante, moins intelligente. Des études sortent de temps en temps sur la baisse du QI et d’autres qui sont contradictoires.
Cyrille Chaudoit : On sort le rapport PISA [3] à l’instant, on est pile poil dedans.
Sophie Comte : Oui, ce n’est pas le QI, mais c’est vrai que ces études-là ne s’accordent pas entre elles pour dire qu’il y aurait vraiment une baisse du niveau intellectuel, dans le monde, en France. Mais c’est certain que depuis, peut-être qu’on peut le dater justement depuis la génération Club Dorothée, depuis que l’écran a pris de la place dans les foyers, les choses ont changé.
Ça pose des questions pour les plus jeunes, évidemment, il y a justement des choses qui ont été faites pour les plus petits, pour alerter sur le fait que c’est effectivement mauvais de laisser un enfant en dessous de trois ans avec un téléphone portable ou une tablette à longueur de journée, c’est mauvais pour son développement cognitif, tout simplement, maintenant on le sait, c’est avéré.
On sait aussi que c’est mauvais pour la sédentarité de trop rester devant son écran toute la journée, quatre heures, cinq heures, six heures, ce n’est pas possible ! On le sait aussi en tant qu’adultes parce qu’on travaille tout le temps avec ces outils-là et qu’on est beaucoup, aujourd’hui, nomades, on travaille en télétravail.
En fait, il y a d’énormes changements avec ces écrans qui cristallisent beaucoup de tensions. Il y a un débat très clivé, partout maintenant, dans tous les domaines.
Thibaut le Masne : Comme souvent : les débats qui touchent à l’éducation sont très clivants, forcément !
Sophie Comte : C’est clair, mais il y a des risques avérés, on le sait aujourd’hui. Je parlais des jeunes enfants, il y a effectivement le problème de la sédentarité et du manque de sport par exemple. On alerte beaucoup là-dessus maintenant, sur le fait que les jeunes doivent faire du sport.
Cyrille Chaudoit : Pas mal d’études universitaires qui sont sorties aux États-Unis montrent effectivement davantage de sédentarité liée à l’usage du smartphone. Nous, nous étions calés devant le Club Dorothée le mercredi après-midi ; les jeunes d’aujourd’hui restent calés dans leur canapé ou sur leur lit dès qu’ils sortent de l’école et ça peut aller jusqu’à très tard la nuit. Il y a donc ces problèmes d’obésité. Il y a aussi des problèmes de sommeil, je crois, et, au-delà de ça, l’usage des applications en elles-mêmes comme Snapchat ou Instagram, etc., avec la question des filtres pose même, je crois, des problèmes psychologiques avec un phénomène qui a été appelé « Snapchat dysmorphia ». As-tu des éléments là-dessus ?
Sophie Comte : Bien sûr. C’est vraiment un phénomène plus lié aux applications en elles-mêmes et c’est tout un champ de risques important à soulever sures réseaux sociaux, la façon dont ils sont conçus, les designs et, effectivement, le fameux filtre Bold Glamour de TikTok, par exemple, qui crée ce problème de dysmorphie.
Thibaut le Masne : Bold Glamour, c’est le filtre qui rend super beau d’un seul coup et qui paraît, en plus, hyperréaliste ; ça transforme vraiment l’image de la personne.
Mick Levy : Tu fais bien de le préciser.
Sophie Comte : Super beau selon les normes actuelles de beauté avec des pommettes très dessinées, de grands yeux, une grosse bouche et qui concerne principalement les filles, évidemment, c’est aussi un sujet !
Cyrille Chaudoit : Clairement, en plus ! Peut-on juste, déjà, expliquer au public, grosso modo ce qu’est la dysmorphie ? À partir d’un filtre qui renvoie de nous une image qui a été liftée, en quelque sorte, de façon synthétique par l’effet du filtre, cette image devient une espèce de norme et, quand on se voit après dans la vraie vie et dans le miroir, ça nous pose un problème psychologique et ça mène à quoi, ça exactement ?
Sophie Comte : À une perte de confiance en soi ! On ne se reconnaît plus en fait. J’ai la chance d’avoir des ados autour de moi, donc j’arrive à voir beaucoup de choses maintenant et je me sens très concernée, je vois des jeunes filles qui ne savent plus se prendre en photo. Elles font des selfies entre elles. Qu’elles s’envoient des « snaps » avec des filtres, c’est une chose, mais maintenant, même quand elles sortent, qu’elles vont à la fête foraine toutes ensemble, elles se prennent en photo avec des filtres, systématiquement, de base, et elles ne sont pas choquées. J’étais vraiment surprise, je me dis que ce n’est pas possible !
Cyrille Chaudoit : D’une certaine manière, elles se travestissent en permanence grâce à ces filtres. Je voudrais juste pointer du doigt un élément clé de ce phénomène : il y a une explosion partout dans le monde, aux États-Unis en particulier mais partout dans le monde, du recours à la chirurgie esthétique. Est-ce que tu peux nous en dire deux mots ? C’est quand même un truc qui, autrefois, était plutôt réservé aux seniors qui allaient se faire lifter. Aujourd’hui, ce sont les jeunes qui y vont et je crois que c’est une explosion.
Sophie Comte : Principalement, je crois, quand même aux États-Unis parce que c’est plus accessible qu’en France. Mais oui, il y a ce problème, à tel point que des jeunes filles en viennent à la chirurgie esthétique, clairement. Après, c’est aussi tout le phénomène de l’influence, des influenceuses, qui a aussi lancé des phénomènes comme ça de chirurgie esthétique, qui a un peu banalisé la chirurgie esthétique chez les femmes. Il y a aussi la lanceuse d’alerte dont je voulais parler tout à l’heure, Frances Haugen [4], qui travaillait chez Facebook. Facebook a fait des études en interne qui, justement, montraient que l’utilisation d’Instagram créait chez les jeunes filles une baisse de confiance en soi et c’est pour cela qu’elle en a parlé.
Thibaut le Masne : Je vais tourner la question un peu différemment. J’ai l’impression qu’on essaye de confirmer un prisme dans lequel l’ensemble des technologies qu’on utilise est dangereuse en faisant un peu un écho avec ce qu’on avait dit avec Olivier [Sibony] : on a des biais de confirmation, c’est-à-dire qu’on va tirer des éléments qui vont nous confirmer dans l’idée que la technologie est dangereuse pour les jeunes – je tire le trait volontairement –, mais déjà à l’époque tu parlais du Club Dorothée que tu as suivi, on disait que le Club Dorothée était un déchaînement de violence, était abêtissant et qu’on allait créer une génération d’abrutis. J’ai l’impression que la génération d’abrutis, soit nous y sommes.
Cyrille Chaudoit : Michel Desmurget a écrit La fabrique du crétin digital.
Sophie Comte : Peut-être sommes-nous tous, déjà, des crétins digitaux !
Thibaut le Masne : En fait, même si on remonte à l’époque, à l’apparition du rock’n’roll, la musique absolument ahurissante des uns et des autres qui était. Bref ! Finalement, est-ce qu’on ne crie pas un peu au loup ? Est-ce qu’on ne fait pas peur, justement, à cette génération qui, au final, avec peut-être un peu plus d’éducation, avec un peu plus de… ce n’est pas si dangereux que ça ? Je tire le trait volontairement un peu fort.
Sophie Comte : La question de l’éducation de nos enfants nous tient effectivement à cœur, elle est viscérale, on a donc une réaction forte par rapport à ça. Je pense que ce qui se passe c’est que nous-mêmes, maintenant, nous utilisons tout le temps tous ces outils sans prendre forcément de recul, sans prendre le temps de comprendre ce qui se passe et des changements que cela induit, et je pense qu’il y a un effet miroir qui se crée avec nos enfants. Nous sommes nous-mêmes en train de scroller et on dit à son enfant « mais tu vas arrêter de regarder cette tablette ! ». C’est intéressant parce que, au lieu de pointer, peut-être, les difficultés qu’ont les ados, ça veut dire qu’il faut aller chercher, là, nos propres difficultés que nous avons nous-mêmes avec le numérique. Mais, évidemment, on sait aussi qu’il y a des choses très intéressantes qu’on peut faire avec.
Comme ça cristallise beaucoup de tensions, tout est lié à l’écran en lui-même. On parle du téléphone et on se focalise sur l’objet au lieu d’aller au-delà et de voir qu’il y a certaines applications, certains sites qui sont conçus de telle sorte que tu y passes trop de temps, tu y fais des choses qui, effectivement, ne sont pas très intéressantes, qui sont de l’ordre du divertissement et qu’il ne faut pas que se divertir. Une télé, c’est un objet incroyable ; quand on regarde les émissions d’Arte, c’est passionnant !
Thibaut le Masne : Sophie, je sais que quand vous avez lancé Chut ! Explore, vous avez forcément beaucoup réfléchi à la ligne édito et aux problèmes sur lesquels il fallait alerter ou sensibiliser les ados. Quels sont les principaux axes à explorer vis-à-vis des adolescents et du numérique ?
Sophie Comte : On aime parler d’éducation au numérique. Aujourd’hui, le numérique est absolument partout et ce qui rend le sujet difficile à appréhender, c’est que, justement, il est diffus, il touche tous les secteurs. Aujourd’hui, des initiatives existent, des cours de code ou des cours de techno, etc., mais l’idée d’adresser ces sujets aux ados, c’est de montrer que ça concerne, justement, comme nous adultes, aussi bien leurs interactions au quotidien, la façon dont ils sociabilisent, d’ailleurs tu en parlais tout à l’heure, justement, la façon dont ils s’informent. Aujourd’hui, ce n’est pas juste s’informer. Ce qu’on demande aux ados aujourd’hui c’est d’apprendre, c’est de l’apprentissage en fait. J’ai un exemple qui date d’hier avec ma fille : elle devait faire un exposé sur la Voie lactée en physique chimie, elle est en sixième et on lui a demandé de faire des recherches sur Internet ! Elle n’avait jamais eu l’occasion d’aller taper « Voie lactée » sur Google et d’aller faire une sélection des résultats !
Mick levy : Et là, tu lui as dit d’aller voir ChatGPT ? Tu lui as dit « gagne du temps, ma fille ! »
Sophie Comte : Pas encore !
Thibaut le Masne : Là, c’est vraiment sur la partie que vous avez appelée « Décode » autour de l’information et du numérique, savoir décoder quelles sont les bonnes informations, exercer un esprit critique, etc.
Sophie Comte : Comment se former en ligne, c’est ça, exactement.
Thibaut le Masne : On a parlé d’une deuxième approche qui était finalement autour de l’estime de soi, vous l’avez appelée « En mode selfie », si je ne me trompe pas.
Sophie Comte : « En mode selfie », justement ce dont on a parlé tout à l’heure, ces filtres qui changent son apparence.
Thibaut le Masne : Tu nous disais qu’il y a un troisième axe – on a un peu préparé avant, ensemble, disons-le à notre public, quand même – qui est aussi vraiment important dans cette éducation au numérique qui est ?
Sophie Comte : Les métiers de demain
Thibaut le Masne : Comment je serai demain. C’est-à-dire à la fois comment le numérique transforme l’ensemble des métiers et, à la fois, s’intéresser aux métiers du numérique, c’est ça l’idée ?
Sophie Comte : C’est montrer tous ces métiers-là. Le numérique est tel, aujourd’hui, les applications sont telles qu’elles sont aujourd’hui parce qu’elles sont conçues par des personnes qui travaillent dans ce domaine et c’est à nous à prendre ce pouvoir d’agir, à venir travailler dans ce domaine pour le transformer de l’intérieur. Donc oui, il y a aussi un enjeu d’orientation hyper-important pour les jeunes puisque les métiers du numérique sont les métiers de demain, je ne vous apprends rien.
Mick levy : Ce sont aussi les métiers d’aujourd’hui, d’ailleurs. On peut en témoigner tous les trois.
Thibaut le Masne : Et d’aujourd’hui ! C’est ça. Pour nous, c’est un peu un socle de base de la culture numérique, de l’éducation même au numérique que ces trois domaines : l’information, l’estime de soi et les métiers de demain.
Thibaut le Masne : C’est maintenant l’heure du « Patch Tech » de Fabienne Billard.
« Patch Tech » de Fabienne Billard
Mick Levy : Hou, Fabienne, dis donc, on ne t’as pas entendue depuis un moment dans Trench Tech. Ça nous fait bien plaisir de te retrouver !
Pour cette reprise, tu vas nous parler du délicat sujet de l’éthique qui connaît des rebondissements singuliers avec l’irruption des IA.
Fabienne Billat : Effectivement, l’éthique de la technologie bat son plein et a insufflé la création de ce podcast. Au fil des échanges, des intervenants aux multiples regards, il est évident que cela peut s’étudier sous différents angles, avec de nombreuses possibilités d’appréhender sa complexité multidimensionnelle.
L’engouement porté à l’IA générative, par le biais de ChatGPT, rebat à nouveau toutes les cartes. Cependant l’éviction de Sam Altman d’OpenAI [5] est révélatrice d’une tension croissante entre l’idéalisme vertueux et le pragmatisme commercial. Or, le terme « intelligence » est ici trompeur et devient anthropomorphique. Rappelons qu’il s’agit d’un dispositif de mathématiques, de probabilités, de statistiques, et non pas de conscience. Pour autant, de la production de cette intelligence artificielle et de son usage découlent des problématiques éthiques. D’ailleurs, 94 % des dirigeants français sont activement engagés dans l’élaboration de nouveaux cadres plus adéquats.
En premier lieu, on peut regretter que l’on ne puisse pas compter sur nous-mêmes, contemporains connectés, pour délivrer des données intelligentes, sourcées, pour des échanges instructifs, pondérés sur les plateformes. Notre éthique serait alors directement infusée dans les algorithmes.
On ne peut accréditer non plus les déclarations angéliques des big boss de la tech portée par leurs propres idéaux messianiques et pas si universels.
Mick Levy : Oui, mais avec tout ça, quand on est dans une grande entreprise qui s’apprête à utiliser ces méga-IA, quelles questions faut-il se poser ? Comment instaurer une approche corporate et éthique ?
Fabienne Billat : Tu as raison, cela implique des réflexions philosophiques, des choix technologiques, des actions de formation éducative et des cadres législatifs. Mais je ne reviendrai pas sur ce dernier point abondamment traité, notamment avec les règlements européens.
On se tourne naturellement vers les philosophes, les éthiciens, qui questionnent les finalités et les limites de l’IA et proposent des cadres en résonance avec nos valeurs et notre déontologie.
La technologie est également une ressource. Les concepteurs d’algorithmes peuvent intégrer des principes éthiques dès la phase de conception, mais aussi de la transparence, de la robustesse. Pour cela, il faut recourir à des méthodes et des outils appropriés tels que l’audit, la certification. On peut envisager aussi l’attribution d’un label.
L’explicabilité de l’IA contribue à la confiance et, plus intelligible encore, l’auto-explicabilité de l’intérieur vise à rendre plus compréhensibles les décisions d’un système. Puis, la traçabilité, la protection des données, la correction des biais ou, ce que je considère comme essentiel, la conception centrée sur l’utilisateur. Toutes les parties prenantes peuvent être sensibilisées avec des formations. Et plus tôt, dès le collège, les programmes scolaires et universitaires devraient inclure l’éthique qui s’insérerait dans des disciplines fondamentales.
Mick Levy : Il faut peut-être aussi se tourner vers l’extérieur pour prendre le pouls sociétal, finalement.
Fabienne Billat : Effectivement, il y a un autre outil efficient pour y avoir contribué : la création d’un comité d’éthique indépendant qui invite à appliquer les principes de base. Régulièrement convoqué, il intervient sur les cas d’usage et pose des repères. Cet exercice est un challenge, car des situations concrètes et singulières se font jour avec leur lot de questionnements.
Fort à propos, comme l’observait le philosophe Dominique Lecourt, l’éthique de l’IA est une éthique de la discussion. On n’a pas fini d’en parler !
Voix off : Trench Tech. Esprits Critiques pour Tech Éthique.
Cyrille Chaudoit : Merci Fabienne. Ça fait effectivement du bien de te retrouver.
Quelles sont les initiatives déjà à l’œuvre ?
Cyrille Chaudoit : Avec Mike et Thibaut, nous avons décidé de créer Trench Tech, en 2022, partant du constat qu’on trouvait que les enjeux de société, charriés par le progrès technologique, n’étaient pas suffisamment mis au cœur du débat public, ce qui empêchait le citoyen, selon nous, le décideur aussi, le parent, bref !, d’exercer son esprit critique sur ces sujets pourtant ô combien structurants pour notre société.
En matière de sensibilisation des enfants et des ados aux enjeux de leurs usages de l’outil technologique pour eux-mêmes, pour leurs rapports aux autres, pour l’environnement, etc., il doit aussi exister des initiatives, des médias comme le tien, par exemple, Sophie, mais aussi des associations de parents d’élèves, peut-être, ou même tout simplement l’Éducation nationale. Où en est-on, concrètement, dans ce panorama des initiatives qui existent à date ?
Sophie Comte : Il y a des choses qui existent, je trouve qu’elles sont peut-être encore timides, qu’elles ne sont pas suffisantes au regard de cette grande transformation numérique qui concerne les ados. Mais oui, des choses existent déjà, heureusement. Il y a un public qui est particulièrement actif, ce sont les professeurs documentalistes dans les collèges et lycées qui font un gros travail parce que c’est leur métier, justement, d’aller chercher des ressources pédagogiques, de faire de la veille et d’aller trouver les bonnes ressources. Ils sont très intéressés par ces sujets-là du numérique et ce sont presque eux, en fait, qui sont venus à nous pour nous dire « on manque de ressources pédagogiques sur le numérique pour les ados ».
Cyrille Chaudoit : Ça veut dire que l’idée de Chut ! Explore vient en partie de cet insight-là ?
Sophie Comte : Tout à fait. On y avait pensé aussi, mais on a eu ce retour des profs docs. Pas mal de lycées, maintenant, sont abonnés à Chut ! Magazine. Des lycées qui font aussi collège nous ont demandé le même support pour le collège parce qu’ils l’ont trouvé vraiment trop pointu pour des collégiens, et c’est clair qu’il l’est. Ils nous ont dit « si vous faites quelque chose pour les collégiens, ça nous intéresse. »
C’est vrai qu’il y a quelques ressources, il n’y a pas de médias. Bon, on ne va pas se mentir, il n’y a pas beaucoup de médias pour les ados, tout simplement, on a tendance à dire que les ados ne lisent pas beaucoup et, en même temps, on ne leur propose pas grand-chose non plus.
Thibaut le Masne : Il n’y a pas vraiment d’offre. C’est le serpent qui se mord la queue !
Sophie Comte : Voilà ! D’où ça vient ?, je ne sais pas, en tout cas, il faut tenter des propositions éditoriales. Des choses sont faites, différentes ressources existent. Tu parlais de l’Éducation nationale, il y a le CLEMI qui forme, justement, ces professeurs documentalistes et qui s’est beaucoup intéressé, maintenant, à la question de l’éducation aux médias.
Cyrille Chaudoit : On peut juste redire ce qu’est le CLEMI ?
Sophie Comte : C’est le centre de formation. Je n’ai plus en tête l’acronyme.
Cyrille Chaudoit : Centre pour l’éducation aux médias et à l’information
Mick Levy : Le mec a tout préparé ! Même les acronymes de ouf !
Cyrille Chaudoit : Il est là pour porter effectivement cette volonté gouvernementale et ministérielle de pousser l’éducation aux médias et à l’information au sein de l’école. Par contre, je crois que ça touche plutôt les cycles 2 et 3, c’est ça ? Plutôt l’école élémentaire ? J’ai bien compris, ou pas ? Est-ce que tu peux nous éclairer ?
Sophie Comte : En collège aussi, il me semble, je ne pense pas dire de bêtise. Tout à fait.
Cyrille Chaudoit : Ça prend quelle forme cette éducation aux médias et à l’information ? Quels sont les sujets qu’on aborde ?
Sophie Comte : L’éducation aux médias, c’est justement un des volets qui amène la question du numérique aujourd’hui dans les écoles, les collèges et les lycées. C’est très intéressant, c’est comment s’informer en ligne, donc c’est apprendre des techniques journalistiques assez simples au final : savoir sourcer un article, identifier des titres qu’on va dire click page, qui donnent envie de cliquer et qui n’apportent aucun intérêt derrière ; c’est apprendre ces techniques-là, aiguiser son esprit critique, à chaque fois se poser des questions, être en recherche de vérité en fait, essayer de faire croiser ses sources pour les vérifier. Ce n’est pas si compliqué, en réalité, ce sont des réflexes à avoir, à développer.
Cyrille Chaudoit : Quel est le volume horaire, juste pour se rendre compte du poids que ça a dans l’emploi du temps d’un gamin aujourd’hui ? Est-ce que c’est une heure tous les mois ou c’est beaucoup plus que ça ?
Sophie Comte : Malheureusement, ce n’est pas encore fixé. L’année dernière, Pap Ndiaye [Ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse du 20 mai 2022 au 20 juillet 2023] avait lancé une grande journée d’éducation aux médias, avait instauré une journée par an d’éducation aux médias, une journée ! Après, finalement, c’est au bon vouloir des établissements qui ont une personne dédiée à ce sujet-là et soit ils l’ont, soit ils ne l’ont pas. Par exemple, dans le collège de ma fille, qui est un collège public, il devait y avoir une heure de cours toutes les deux semaines d’éducation aux médias, j’étais ravie et je viens d’apprendre que c’est annulé parce que la prof ne peut pas.
Cyrille Chaudoit : L’intention est bonne, mais, pour le moment, on voit qu’en termes de déploiement c’est fait un peu à l’envie et à l’opportunité. Avant que ça soit structurant, c’est compliqué. Par contre, ce qui est structurant c’est que l’heure de techno à l’entrée en sixième, a été supprimée en 2023 [6] pour tout le monde. Est-ce que c’est un bon signal envoyé sur l’acculturation à la techno ?
Sophie Comte : C’est plutôt un problème de l’Éducation nationale elle-même, d’un manque de profs. En fait, il n’y a plus de profs de techno, parce qu’il n’y a pas assez de profs de maths.
Thibaut le Masne : C’est justement là que la question peut se poser : est-ce que tout doit passer nécessairement par l’Éducation nationale ? Est-ce qu’on ne peut pas faire autrement ?
Sophie Comte : En tout cas à mon sens et à notre sens chez Chut !, oui. Je ne dis pas que tout doit passer par l’Éducation nationale, mais l’Éducation nationale doit porter ce que nous appelons de l’e-civisme, en fait. De la même façon qu’on a de l’éducation morale et civique, on devrait avoir une éducation e-civique ; aujourd’hui c’est indispensable. En fait, nous sommes des citoyens et citoyennes et nous sommes des citoyens et citoyennes numériques, donc cette dimension-là, la question de la citoyenneté, c’est beaucoup l’école qui l’amène.
Thibaut le Masne : Pour la dimension apprentissage, aller rechercher quelque chose. Mais si on essaye de les atteindre par différents canaux, par quels canaux pourrait-on un peu mieux les atteindre au-delà de l’école ? L’école va apprendre à chercher « magazine » par exemple.
Sophie Comte : Par exemple ! Merci !
Thibaut le Masne : Comment peut-on essayer de les toucher ?
Mick Levy : Je connais aussi quelques podcasts dont l’écoute ne ferait pas de mal aux ados !
Sophie Comte : On parlera de toutes ces initiatives, c’est ta question ?
Thibaut le Masne : C’était un peu ça. Si on leur dit d’aller chercher, est-ce qu’on leur donne aussi des pistes, par exemple aller chercher un certain magazine ou un certain podcast ? Est-ce qu’on leur donne aussi des pistes de réflexion et, dans ce cas-là, est-ce qu’on multiplie aussi les propositions auprès des étudiants, des enfants.
Sophie Comte : En tout cas, il faudrait, effectivement, multiplier les ressources pédagogiques pour les jeunes. D’autres choses existent, évidemment. Aujourd’hui Pix [7] propose une certification, mais plus pour le côté informatique, je dirais. Il y a un manga, super, sur la cybersécurité. Il est créé par une association sur la cybersécurité qui s’appelle ISSA, je crois, le manga en question s’appelle Snake News [8]. Il y a donc quelques initiatives, mais il en faudrait davantage, évidemment, pour ne pas tout faire reposer sur l’Éducation nationale.
Mick Levy : Chez Chut !, pour le coup, vous avez fait un choix assez singulier qui est de sortir votre magazine uniquement en format papier. Pour toucher au maximum les ados, ne faudrait-il pas aller sur les médias sur lesquels ils sont, donc, plutôt avoir un Chut ! sur TikTok ?
Sophie Comte : C’est notre proposition éditoriale de dire qu’on a besoin du papier dans un monde numérique. C’est pour cela qu’on a créé Chut ! Magazine. On parle de numérique en format papier parce que le papier existe toujours, existera certainement encore longtemps et qu’il permet une temporalité que n’offre pas le numérique. Il donne, il offre presque une intemporalité en fait, là où, sur les réseaux sociaux, on est vraiment sur des contenus de plus en plus courts, tout doit aller très vite. On propose donc de prendre un temps de réflexion.
Mick Levy : Ça collait aux valeurs et au message que vous vouliez véhiculer.
Sophie Comte : C’est un sacré risque, évidemment, on s’est dit « on va y aller », sauf que notre support est un petit peu original puisqu’il se déplie complètement, un peu comme Le 1, une expérience de lecture en accordéon, qui s’ouvre, et qui permet, du coup, d’avoir un grand support qui s’ouvre en classe, qui permet de l’afficher en classe – il y a un grand poster à l’intérieur – , qui permet aussi d’échanger avec ses parents. L’idée c’est aussi de trouver des temps de pause et des temps de dialogue. C’est vraiment un support qu’on imagine pour la famille, pour prendre le temps de se dire « en fait les ados connaissent des trucs que je ne connais pas » et inversement, les parents peuvent aussi en profiter pour raconter deux/trois trucs sur ce qu’ils apprennent dans leurs usages numériques au boulot.
L’écran peut créer une barrière, on le sait ! On sait très bien que l’écran peut renforcer l’isolement, la solitude, etc. L’idée c’est justement ne pas passer par ce support.
C’est un risque qu’on prend. On s’adresse beaucoup aux collèges et aux lycées, ils adorent. En vrai, notre objectif, c’est de faire en sorte que ce magazine soit dans tous les collèges et les lycées de France.
Cyrille Chaudoit : Sophie, je ne peux pas te laisser comme ça, revenir à la nostalgie, à l’époque il y avait Il était une fois... la Vie qui nous apprenait un peu les cours de bio.
Sophie Comte : C’était trop bien.
Cyrille Chaudoid : Il y avait également C’est pas sorcier, pour tous les amateurs.
Thibaut le Masne : Il y avait Temps X, encore plus loin.
Cyrille Chaudoit : Aujourd’hui il n’y a plus rien de tout cela qui existe, justement, derrière les écrans. Pourquoi cette absence des médias ? Est-ce que je suis mal renseigné, parce que, forcément, je ne suis plus de cette génération-là, mais est-ce que les médias peuvent jouer un rôle dans ce domaine-là et où sont-ils dans cette éducation-là ?
Sophie Comte : Les médias ont un rôle énorme à jouer là-dedans, je suis encore surprise de voir que peu de choses existent, mais je sais que plein de choses se préparent poussées, justement, par la CNIL, par le ministère de l’Éducation nationale qui souhaite vraiment mettre un vrai pied là-dedans en utilisant différentes ressources extérieures et pas que des ressources produites par le ministère. Le ministère de l’Éducation nationale a créé une charte qui a un nom un petit peu difficile à retenir, c’est la Charte pour l’éducation à la culture et à la citoyenneté numériques [9], qui va être diffusée dans tous les collèges et lycées.
Mick Levy : Avec un nom comme celui-là, la classe à la française !
Sophie Comte : Il y a un acronyme, il faut vraiment essayer de le retenir en entier.
Mick Levy : C’est bien comme ça.
Cyrille Chaudoit : Ça fait partie des récits à réinventer, dont on parlait tout à l’heure.
Sophie Comte : Exactement ! Dans le cadre de cette charte différents médias — je n’en dirai pas plus parce que ça va sortir l’année prochaine — se sont associés à cette initiative et vont venir apporter leur expertise de médias qui est la capacité à vulgariser des sujets difficiles, amener quelque chose de ludique, amener une autre expérience pour faire en sorte que ça intéresse les jeunes.
Cyrille Chaudoit : Super. Néanmoins on voit quand même que l’essentiel des initiatives est aujourd’hui porté par le ministère de l’Éducation nationale, globalement des initiatives gouvernementales. Je voudrais juste conclure cette séquence en rappelant que le fameux CLEMI, qu’on a évoqué tout à l’heure, met à disposition, sur son site web, qu’on peut retrouver sur education.gouv.fr, un certain nombre d’outils et de fiches pratiques, etc., notamment à destination des parents [10]. Pour répondre à la question de Thibaut « est-ce que ça doit être porté uniquement par l’école », non, ça doit être porté en partie par l’école, mais pas que par l’école, donc, y compris par les parents et, éventuellement, par les associations de parents d’élèves, etc. Un certain nombre d’outils sont déjà mis à disposition, donc « validés » par le ministère. Et puis il y a des initiatives plus personnelles et je tenais simplement à saluer celle de Louis Derrac, que je suis depuis un moment sur les réseaux sociaux et sur Linkedin en particulier. Je cite la façon dont il se présente, il fait de l’éducation au numérique, il dit « j’explore les contours d’une éducation politique, populaire, technocritique et émancipatrice au numérique » et il met tous ces outils en open source, à disposition sous licence Creative Commons. Louis Derrac [11], allez regarder, et merci Louis pour ce que tu fais.
Sophie Comte : Je pensais aussi à TRALALERE [12] qui est l’opérateur français d’Internet Sans Crainte [13], je ne sais pas si vous connaissez. Un jour, qui s’appelle le Safer Internet Day [14] a lieu en février, avec tout un mois sur la sensibilisation autour du numérique pour les ados et les familles. Il y a un effectivement vrai travail à faire au sein des familles, c’est un dispositif européen avec un certain nombre d’actions qui sont faites à ce moment-là, je voulais aussi préciser.
Cyrille Chaudoit : C’est l’heure de la « Philo Tech » d’Emmanuel Goffi.
« Philo Tech » - Emmanuel Goffi
Voix off : De la philo, de la tech, c’est « Philo Tech ».
Cyrille Chaudoit : Emmanuel, on parle beaucoup des biais dans le domaine de l’IA, notamment en soulignant le fait qu’ils doivent être minimisés, voire totalement supprimés si c’est possible, mais de quoi parle-t-on exactement quand on parle des biais ?
Emmanuel Goffi : C’est une excellente question que personne ne semble vraiment se poser, malheureusement.
Tu te souviens que j’avais évoqué la question du niveau d’abstraction qui devait être adapté aux besoins pour traiter efficacement des problèmes éthiques liés à l’IA. Eh bien, avec les biais, on est exactement dans cette situation où on utilise un terme de manière extrêmement abstraite.
Quand on parle de biais, on se réfère essentiellement à une déviation dans le traitement de l’information, mais, en fait, le mot « biais » recouvre un large spectre de significations. Ça peut renvoyer aux biais scientifiques, statistiques, médiatiques, culturels, algorithmiques ou encore cognitifs. Donc le champ est très large. Du coup, limiter ou supprimer les biais, ça impose d’abord de déterminer quels biais doivent être considérés.
La majorité du temps, l’attention se porte sur les biais dits cognitifs, c’est-à-dire des déviations de raisonnement, des schémas de pensée trompeurs, qui induisent certes des problèmes, mais sont, somme toute, nécessaires pour gérer la complexité du monde qui nous entoure, pour donner du sens au monde et réagir vite aux sollicitations. Sans les biais, nous serions très souvent démunis face à la complexité à laquelle nous devons faire face au quotidien et nous serions certainement incapables de prendre des décisions. On parle d’ailleurs de biais pour évoquer un détour, un subterfuge, un moyen de résoudre un problème.
Cyrille Chaudoit : Si je comprends bien, on limite le traitement des biais aux biais cognitifs et, en plus, on ne considère que leur dimension négative.
Emmanuel Goffi : La grande majorité, oui. En fait, le problème, c’est que nous ne le faisons pas consciemment, ce qui est un biais en soi.
On voit les biais pour le tout petit bout de la lorgnette. Si on se réfère au Codex des biais de Benson [15], on voit qu’il en existe 188, d’où la question : est-ce qu’on doit tous les prendre en compte pour les limiter ou les supprimer ? Or, tous ne sont pas négatifs ou problématiques. Là encore, face à la complexité, nous avons tendance, surtout en raison de biais culturels, à approcher les biais cognitifs au travers du seul biais dit de stéréotype. Et plus encore, on a tendance à se concentrer sur une seule dimension de ce biais qui est la discrimination, en particulier entre les genres ou entre les couleurs de peau. Du coup, quand on dit « il faut limiter ou éliminer les biais », ce qu’on dit vraiment, c’est principalement « il faut limiter ou éliminer les biais de discrimination entre genres et entre couleurs de peau ». Et là, on voit à quel point on a réduit le spectre extrêmement large de la question des biais essentiellement à deux aspects spécifiques. Or, cette réduction est bien le produit de plusieurs biais. Donc le problème des biais est lui-même approché d’une manière biaisée.
Cyrille Chaudoit : Je te vois venir, tu vas me dire que ça pose un problème éthique !
Emmanuel Goffi : Bien vu ! Eh bien oui, ça pose un problème éthique énorme qui est celui de notre objectivité face à ces questions. Ça questionne notre rapport à nos connaissances et à l’admission de leurs limites. Ça pose mème une question hautement métaphysique : est-ce qu’un monde dépourvu de biais est souhaitable ? Est-ce que nos biais, en dépit des problèmes qu’ils peuvent générer, ne font pas, finalement, de l’humain ce qu’il est, c’est-à-dire un animal parfait dans son imperfection. Et, au final, la question qui se pose, c’est : sommes-nous capables de faire preuve d’esprit critique sur nous-mêmes ?
Voix off : Trench Tech. Esprits Critiques pour Tech Éthique.
Et si l’on devait changer nos narratifs ?
Thibaut le Masne : Merci Emmanuel de nous avoir replongés dans ce que sont les biais et l’éthique.
Je ne sais pas quel âge vous avez, oui, vous, derrière vos écouteurs, mais imaginez avoir 14 ans aujourd’hui. Qu’est-ce qui accrocherait votre attention et vous donnerait envie, un tant soit peu, de vous poser quelques questions existentielles sur ce que vos usages quotidiens du numérique ont sur votre destinée et celles de vos semblables ? En vous parlant de tout cela, comme on nous a parlé du réchauffement climatique depuis des années : « On va droit dans le mur ! Attention aux petits gestes du quotidien ! C’est votre génération qui devra se prendre en main. » Ah bon ! Vraiment ! » Alors une fois n’est pas coutume, Sophie. Ma première question te sera posée par monsieur notre ambassadeur français pour le numérique, Henri Verdier, invité de notre dernier épisode.
Henri Verdier, voix off : Bonjour Sophie.
Je voulais d’abord vous féliciter pour le travail que vous faites avec Chut ! et Chut ! Explore. Je voulais vous demander comment vous pensez qu’on va pouvoir faire que nos ados ne soient pas seulement des consommateurs avertis et très malins du numérique, mais des citoyens libres qui réfléchissent par eux-mêmes, qui ont conscience de leurs responsabilités politiques ?
Sophie Comte : Waouh !
Mick Levy : Question d’ambassadeur !
Sophie Comte : Je suis très flattée de cette question de Henri Verdier. Merci beaucoup. Très belle question. J’aime beaucoup la notion de citoyenneté numérique, j’en ai parlé, je l’ai évoquée rapidement tout à l’heure. La citoyenneté numérique, c’est aussi quelque chose qu’aborde beaucoup Louis Derrac, dont on a parlé aussi tout à l’heure, qui est un petit peu la résultante de l’éducation, de la culture numérique. Il faut amener cette culture numérique de différentes façons. On a parlé des cours de code tout à l’heure, on a parlé de techno. On pourrait aussi imaginer en parler dans les cours de français, donner des rédactions sur des sujets en lien avec le numérique pour faire que les ados se questionnent, qu’ils écrivent et qu’ils réinventent les imaginaires en écrivant, par le biais de la fiction, de la rédaction.
Cyrille Chaudoit : De la philo, aussi.
Sophie Comte : De la philo, tout à fait. D’ailleurs, il y a de plus en plus, maintenant, de philosophes des technologies, c’est une question qu’il faut amener en cours de philo. En fait, quelque part, il faut amener partout cette idée-là, cette notion-là. On a aussi parlé d’e-civisme.
La citoyenneté numérique se construit au fil du temps et ça commence à l’école et elle donne, à terme, la capacité d’agir. Encore une fois, c’est aussi ce que je disais tout à l’heure, s’encapaciter. On parle d’empowerment, s’encapaciter avec le numérique, devenir capable avec le numérique. Et, pour devenir capable avec le numérique, il faut le comprendre, il faut prendre le temps de comprendre ce vaste sujet, donc l’aborder de différentes manières. Il faudrait qu’il y ait des cours d’éducation au numérique dans tous les collèges, tout simplement. On va rendre tout cela obligatoire et voilà, on va résoudre le problème.
Thibaut le Masne : Le programme Pix est un petit peu light de ce point de vue-là. Il apprend à utiliser les outils numériques, comment on clique, comment on lance un logiciel, c’est un peu plus large que ça, mais il n’apprend pas comment être un bon citoyen à l’ère du numérique.
J’entendais Jean-Noël Barrot – on va passer de l’ambassadeur au ministre –, qui est le ministre délégué au Numérique, déclarer qu’on avait finalement fait une génération perdue, c’est-à-dire que toute la génération des ados d’aujourd’hui avait été exposée à tout un tas de risques, de cyberharcèlement, de pornographie, etc., et que rien n’avait été mis en place, légalement, pour les protéger. Est-ce que tu as la même analyse que lui ?
Cyrille Chaudoit : C’est violent comme terme !
Thibaut le Masne : Effectivement, c’est assez violent, mais c’est vraiment le terme qu’il utilise : on a fait une génération sacrifiée, c’était son terme exact. Que penses-tu de cette formule-là ?
Sophie Comte : Ça fait écho à ce que disait Henri Verdier tout à l’heure : une génération de consommateurs plus que de citoyens.
Thibaut le Masne : Mais lui le dit vraiment vis-à-vis des risques : risques de cyberharcèlement qui n’était pas encadré, risques d’exposition à la pornographie.
Sophie Comte : Il le dit parce qu’il y a un vrai besoin et heureusement qu’il y a cette loi, en cours actuellement, la loi sécuriser et réguler l’espace numérique [16] ; il y a un vrai besoin de légiférer sur ce sujet. On a beaucoup parlé des risques au tout début, on n’a pas parlé de cyberharcèlement. Un collectif qui s’appelle Stop Fisha [17] fait beaucoup là-dessus aujourd’hui et, par exemple, nous dit qu’il ne faut plus parler de revenge porn, mais plutôt de « diffusion de contenus intimes sans le consentement », la notion de consentement c’est différent.
Thibaut le Masne : Revenge porn, ça sonne presque comme un truc cool si on le dit en anglais !
Sophie Comte : Revenge, vengeance, ça amène le côté romantisme, un peu comme pour les féminicides : on parlait de « crime passionnel » plutôt que de donner le nom « féminicide ».
Mick Levy : Tu penses qu’on a fait une génération sacrifiée, véritablement, sur le numérique ?
Sophie Comte : Je ne dirais pas forcément ça, parce que je ne peux pas m’empêcher d’être quand même optimiste. Je ne pense pas. Notre génération, et peut-être celle des auditeurs et auditrices qui nous écoutent, a vu arriver le numérique et on l’appréhende mieux maintenant qu’au début. C’est donc un apprentissage. Pour le futur, il faut vraiment mettre en place cette idée d’apprentissage du numérique qui est centrale aujourd’hui.
Cyrille Chaudoit : Je pense que cette idée de « génération sacrifiée », si je peux me permettre, c’est juste que, comme on n’avait pas le recul nécessaire, on n’a pas su mettre les garde-fous avant, donc elle est « sacrifiée », entre guillemets, en ce sens, c’est-à-dire qu’elle a essuyé les plâtres. Par empirisme, elle a appris à décoder un peu les trucs et, justement, nous sommes peut-être un pivot pour la génération qui suit.
Mick Levy : Je trouve la formule très choc aussi parce qu’il y a une loi à passer derrière, c’est du marketing législatif. La formule est trop forte à mon goût !
Cyrille Chaudoit : Ce sont justement des éléments de langage et cette séquence porte sur la nécessité de changer de récit justement. Monsieur s’est abrité derrière notre ambassadeur, monsieur s’abrite derrière notre ministre, moi je vais vous citer notre président de la République, évidemment, c’est normal !
Mick Levy : Où va nous mener cet épisode !
Cyrille Chaudoit : Notre président de la République qui, depuis très longtemps, parle de Startup Nation, donc lui-même, par les éléments de langage, essaye de changer le récit que l’on porte sur cette industrie qu’est le numérique et sur notre manque de compétitivité, d’une certaine manière, en tout cas de rayonnement international. Et, dans un sens, on voit aussi chez les jeunes, peut-être un peu moins ados que jeunes étudiants sur le point d’arriver sur le marché du travail, tout ce storytelling qui fait que, quasiment, on a l’impression que les jeunes d’aujourd’hui sont beaucoup plus fans et admiratifs des startupeurs et des gros patrons des Big Tech que ne l’étaient les jeunes d’avant autour des footballeurs, des comédiens, des mannequins, bref ! Il y a eu à chaque fois la star de son époque.
N’est-ce pas vers cela, justement, qu’il faut aller quand on veut parler des enjeux du numérique aux jeunes : trouver comment hacker ce discours pour le rendre plus sexy, pour leur donner envie de s’y intéresser de la même manière qu’on parle de Startup Nation et qu’aujourd’hui c’est ultra-cool d’être avec un sweat à capuche et de lever des millions de dollars.
Thibaut le Masne : C’est pour ça que tu as un sweat à capuche.
Cyrille Chaudoit : Non, c’est parce que j’ai des millions de dollars !
Mick Levy : On sait qui va payer le resto ce midi !
Cyrille Chaudoit : Les nouveaux récits, Sophie ?
Sophie Comte : En intro, vous avez aussi évoqué la question de l’écologie et ce besoin de réinventer les imaginaires, de changer de récit dans l’écologie. On le sait, je crois que c’est le dernier rapport du GIEC, c’est un des rapports du GIEC qui dit que l’éco-anxiété immobilise, inquiète trop et ne donne pas envie d’agir. Il y a le besoin – alors c’est un terme presque galvaudé maintenant tellement on l’entend – de créer de l’inspiration. En plus, la tech bénéficie d’une image toujours très geek, elle est traitée de façon un peu froide, désincarnée, déshumanisée, toujours très robotisée, alors qu’en fait ce sont des changements humains. Donc oui, il y a tout un imaginaire à recréer pour montrer que ça nous concerne tous et toutes, que ça ne concerne pas qu’une bande de geeks à capuche, qu’on peut rentrer dans ce monde-là, qu’on peut le transformer de l’intérieur.
Je trouve que, maintenant, on commence à comprendre qu’il faut porter un autre discours sur l’écologie. Dans le numérique, on en est encore loin. On en parlait aussi, on a toujours ce même débat, sempiternel débat : pour ou contre.
Cyrille Chaudoit : Précisons, puisque tu es un média et que c’est ce que vous essayez de faire avec Chut ! Explore, quelle est la recette sinon les ficelles ? Comment va-t-on vers ces récits-là ? Qu’est-ce qu’il faut changer dans les récits actuels et comment on le fait ? En fait, un conseil à donner aux parents ou aux institutions qui essayent de tenir ce discours aux enfants et qu’ils ne veulent pas entendre parce que c’est chiant, tout simplement !
Sophie Comte : C’est peut-être difficile à entendre par les temps qui courent : il faut amener de la nuance, il faut chercher un équilibre. Il est évidemment important de parler des risques et on va continuer d’en parler dans chaque numéro de Chut ! et Chut ! Explore. On ne peut pas ne pas parler des risques de cyberharcèlement ; il faut évidemment parler de tous ces sujets-là hyper-inquiétants. Mais il faut aussi montrer que le numérique, ce sont des opportunités de métiers, qu’on peut construire son avenir dans plein de secteurs. C’est montrer que ce sont des sujets passionnants et je pense, en plus, que les ados sont déjà intéressés par ces sujets. Ils sont consommateurs, comme on l’a dit, ils utilisent les réseaux sociaux assez jeunes. Il faut leur montrer tout l’éventail de possibilités qui existent, d’outils absolument géniaux qui existent qui sont du numérique éducatif, on parle beaucoup maintenant des solutions de numérique éducatif, on apprend énormément grâce au numérique. C’est aussi tout ce champ-là à explorer.
Thibaut le Masne : Justement, tu éveilles un point assez intéressant du sujet qui est probablement le côté le plus compliqué, cette notion d’équilibre : comment fait-on pour trouver le bon équilibre entre la notion de sensibilisation et le côté un peu « attention aux risques et aux écueils » ; entre le côté pédagogique et le côté « ne pas bifurquer dans le côté moralisateur du sujet » ; dans la vulgarisation versus sensibilisation. Comment arrive-t-on à trouver cet équilibre hyper-compliqué entre toutes ces notions ?
Sophie Comte : Je pense que c’est comme au yoga : on cherche toujours l’équilibre. L’équilibre n’est jamais atteint, l’équilibre est toujours en mouvement. On ne peut pas tomber pile-poil dessus, il faut donc sans cesse se questionner, se remettre en question, se dire qu’on va amener de la sensibilisation sur certains sujets et, sur d’autres, qu’on va amener de l’inspiration, qu’on va essayer de trouver, à chaque fois, quelque chose d’un juste équilibre. Nous avons pris le parti, dans toutes les couvertures qu’on fait, de ne pas être trop anxiogènes, de ne pas faire trop peur. Les sujets difficiles sont abordés, mais ce qu’on montre, qu’on met en façade, c’est d’abord de donner envie de s’intéresser à ces sujets.
Je parle de mon point de vue en tant que média, de notre travail de média : cette recherche de l’équilibre est en construction permanente.
Thibaut le Masne : Merci beaucoup Sophie. Rappelons que Chut ! Explore [18] est le premier magazine de culture numérique pour les ados, qu’il est donc d’utilité publique, que ça ne coûte que huit euros et que c’est disponible à l’abonnement, directement sur votre site chut.media.
Vous qui nous écoutez, restez avec nous pour les cinq dernières minutes de cet épisode, c’est l’heure du debrief. Merci Sophie.
Mick Levy : Merci Sophie. À bientôt.
Sophie Comte : Merci à tous les trois.
Cyrille Chaudoit : Merci Sophie.
Voix off : Trench Tech. Esprits Critiques pour Tech Éthique.
Le debrief
Cyrille Chaudoit : Messieurs, à l’issue de cet épisode, comment vous sentez-vous ? Un peu plus jeunes ou un peu plus vieux dans votre tête finalement ?
Thibaut le Masne : Je ne sais pas, mais quand même, quand je nous écoute, j’entends encore des petits réflexes de darons un peu nostalgiques de leur propre adolescence et qui, parfois, pointent un peu les travers des nouveaux adolescents que sont nos enfants et ça me met mal à l’aise. J’ai pleine confiance en la génération qui arrive, elle a de nouveaux challenges, comme nous avons de nouveaux challenges. Elle a aussi de nouveaux outils. Il va y avoir des choses fantastiques. En tant que parents, il faut qu’on se prémunisse du risque qui peut être amené, mais tout en prenant garde à ne pas juste amener des peurs de la nouveauté, de ce qu’on ne comprend pas forcément parce qu’on n’a pas les nouveaux codes tout le temps.
Cyrille Chaudoit : C’est ça. En réalité, c’est récurrent dans l’histoire de l’humanité que de vouloir protéger sa progéniture. Je ne crois pas qu’il s’agisse de juger les jeunes comme étant plus ou moins capables que nous ou que les jeunes d’avant. En revanche, notre job de parents et notre job d’adultes tout simplement, même ceux qui ne sont pas parents, c’est de faire en sorte de les protéger de dangers qui, pour le coup, ne ressemblent en rien aux dangers du passé. Quand tu montais dans l’arbre et que tu menaçais de tomber, là le parent pouvait réagir, OK ; si tu passais trop de temps devant le Club Dorothée aussi. Là, au fond, les parents découvrent tout juste ce qu’est la captologie, ce qu’est aussi le fait d’exposer davantage sa vie privée sur les réseaux sociaux, etc. Les dangers sont suffisamment « neufs », entre guillemets, pour qu’on manque de recul.
Thibaut le Masne : Si les dangers sont relativement neufs, les solutions ont aussi beaucoup plus de mal à émerger sur ces options-là. Dans les exemples clairs qu’elle nous a donnés, au-delà de son magazine magnifique qu’il faut absolument avoir dans toutes les maisons, j’ai découvert le manga Snake News, édité par ISSA, je ne sais pas si je le prononce bien, mais je trouve que c’est bien que ça se diversifie. Notamment, elle nous dit qu’un nouveau Fred et Jamy va sortir pour l’éveil numérique l’année prochaine ; je dis « nouveau Fred et Jamy », je n’en sais rien, mais les médias vont commencer à se mettre à parler un petit peu de ces enjeux-là.
Mick Levy : J’aime bien ces initiatives. On n’en a pas trop parlé, mais sur les médias qui touchent directement les ados et qui amènent les risques, sur Instagram, sur TikTok en particulier, il y a aussi des tiktokeurs qui proposent de l’éducation au numérique, qui proposent d’éduquer aux risques du numérique, qui proposent aussi des choses, on va dire, intelligentes. Je trouve que ces initiatives sont vraiment à regarder, d’autant plus quand elles sont un peu spontanées, par des personnes qui veulent avancer sur ces sujets.
Cyrille Chaudoit : C’est effectivement très intéressant de le souligner, parce que ça permet de mettre en perspective le fait qu’il n’y a pas que les initiatives portées par le gouvernement, et il y en a quand même beaucoup, renseignez-vous sur Internet, il y a beaucoup de choses qui sont faites, malheureusement peut-être qu’elles ne crantent pas suffisamment, en tout cas, il y a plein d’initiatives, le Cybermoi/s [19], etc. ; il y a plein de choses. C’est donc intéressant de dire que sur les médias, sur les écrans qui sont utilisés par les ados, il y a aussi certaines d’initiatives. Je retiens quand même un point intéressant, que nous racontait Sophie, qui est notamment la mission de Chut ! et Chut ! Explore, c’est de prendre le temps, une pause digitale, justement sans écran qui, pour elle, est une forme de barrière, donc prendre le temps pour comprendre.
Thibaut le Masne : J’adore. Ils ont créé un format qui incarne cette valeur. Chut ! Explore a choisi de ne pas aller sur les médias numériques, mais d’être avant tout du papier, en mode on se pose, on prend le temps de le lire, on prend le temps de s’informer. C’est le format qui incarne la valeur, je trouve ça magnifique !
Cyrille Chaudoit : Ce format-là, c’est à la fois le choix des mots pour ces nouveaux récits pour intéresser un public qui, autrement, ferme les écoutilles, mais c’est aussi le choix du beau, la couverture est toujours très belle. Il faut savoir donner envie par la projection dans son futur métier, aussi par changer l’imagerie habituelle quand on parle de numérique et de techno, avec le sempiternel robot qui va plaire aux geeks, mais qui fait très froid dans le dos aux autres.
Thibaut le Masne : Ce n’est pas nécessaire de faire peur à chaque fois sur ce sujet-là.
Cyrille Chaudoit : Exactement, et savoir aussi attirer notamment sur des sujets qui sont invisibilisés comme la présence des filles dans les filières scientifiques, mathématiques, et demain technologiques.
Voix off : Trench Tech.
Cyrille Chaudoit : Et voilà ! Vous venez de passer plus ou moins 60 minutes en notre compagnie, merci, pour exercer votre esprit critique sur l’enjeu de revoir notre façon d’intégrer le numérique au cœur de l’éducation de nos enfants.
Merci aussi à Sophie Comte d’avoir éclairé le chemin de nos réflexions pour nous sentir toutes et tous autorisés à penser ce sujet par nous-mêmes. Parents, étudiants, décideurs en entreprise ou politiques, les enjeux éthiques que soulève notre façon de concevoir ou d’utiliser les technologies numériques méritent l’attention de toutes et tous. C’est notre droit et notre responsabilité, pour aujourd’hui et pour demain, de nous assurer de la place qu’elles prennent dans nos vies et dans l’organisation de nos sociétés.
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Voix off : Trench Tech. Esprits Critiques pour Tech Éthique.