Frugalité numérique RGESN, Référentiel général d’écoconception de services numériques

Pour commencer la journée on va parler un peu de questions environnementales, aussi de questions sociales aussi.
Je suis effectivement chargé de mission interministérielle numérique écoresponsable à la DINUM [1]. Avant de parler de la mission et de ce qu’on fait, remettre un peu de contexte.

Nous vivons aujourd’hui la grande accélération [2], c’est un concept qui est rattaché à l’Anthropocène, c’est-à-dire l’ère de l’homme. Les activités humaines ont des actions sur la géologie de la Terre, notamment le réchauffement climatique, l’effondrement de la biodiversité. La grande accélération c’est ce concept, on va dire depuis maintenant un siècle, voire un peu plus, selon différents indicateurs – désolé, on ne voit pas la légende : grosso modo la richesse humaine, le bien-être, la santé, la production de biens matériels, le nombre d’habitants, etc., qui est en augmentation exponentielle. L’Anthropocène aujourd’hui c’est un peu ça : l’être humain a vraiment colonisé la Terre et aussi le ciel. Ça donne des photos assez impressionnantes comme cette autoroute aux États-Unis ou ce ciel, et encore, c’est une capture que j’ai prise pendant la crise Covid, donc il y a beaucoup moins d’avions qu’en temps normal.

Sauf que, désolé, la fête est finie. Pas celle de l’ADULLACT [3], globalement la fête mondiale est finie. Pour certains elle n’a jamais vraiment commencé. Quand je dis que la fête est finie c’est pour nous, Occidentaux, personnes vivant dans des pays riches, parce que, bien évidemment, 80/90 % des êtres humains sur cette Terre n’ont jamais connu cette fête-là. On parle bien des 20 %, 10 % les plus riches donc nous, désolé ! Donc la fête est finie puisque là on est en train d’atteindre, voire de dépasser les limites planétaires. Comme je l’ai dit tout à l’heure, les limites planétaires c’est la biodiversité, le changement climatique et aussi les crises liées à l’eau, crises hydriques que vous connaissez beaucoup, surtout ici dans le sud de la France.

Les impacts environnementaux des activités numériques

Maintenant, faisons un petit focus sur le numérique, notre sujet. Je vais vous faire un peu jouer pour vous garder en éveil. Ne sortez pas de téléphone, on ne va se brancher sur un quiz, on va juste jouer comme ça.
Selon vous, les impacts environnementaux du numérique c’est d’abord :

  1. La consommation d’énergie des équipements ?
  2. La fabrication des équipements ?
  3. À cause des mails rigolos, comme on l’a entendu dernièrement ?
  4. À cause du collègue accro à Netflix ?

Selon vous ? C’était effectivement facile, c’est surtout la fabrication des équipements.

Je vous propose de mettre vos casques virtuels, non ? Personne. Le petit jeu c’est de trouver une femme dans cette photo [Salle remplie d’hommes assis portant un casque virtuel avec Mark Zuckerberg debout, NdT].

Concernant les impacts environnementaux du numérique, tout démarre dans une mine. Ce n’est pas une particularité du numérique, si vous regardez autour de vous il y a du métal, il y a des matériaux issus du sol partout. La particularité du numérique c’est qu’on a besoin de beaucoup de diversité en termes de matériaux. D’habitude je mets aussi la capture du tableau de Mendeleïev avec tous les composés, par exemple d’un smartphone, c’est assez impressionnant.
Là c’est un artiste qui s’appelle Dillon Marsh [4], qui a voulu représenter l’extraction d’une quantité de cuivre, ça donne cette boule-là, en image de synthèse, versus tout ce qu’on a excavé du sol. Pour vous donner un ordre d’idée : pour un gramme d’or extrait du sol, on a besoin d’excaver, de traiter avec des produits chimiques, une tonne de matériaux du sol. Ça fait un ratio de 1 gramme/1 tonne.

L’extraction minière repose aussi sur des logiques encore très coloniales, notamment en Afrique, en Asie, etc., notamment pour le cobalt. Selon l’UNICEF, ce sont 30 à 40 000 enfants qui sont esclavasigés en République démocratique du Congo via des milices locales, mais, bien sûr, derrière, il y a une demande de la part des multinationales et de notre part, nous consommateurs, ça tourne toujours.

On en va pas pouvoir explorer tous ces sujets. Je vous invite à regarder, si ça vous intéresse, le rapport qui s’appelle Controverses minières de l’association SystExt, Systèmes extractifs et Environnements [5], qui est vraiment très intéressant là-dessus, qui combine un ensemble d’études scientifiques sur le sujet.

Et puis en fin de vie de nos équipements, même si en France nous sommes plus ou moins exemplaires, environ 70 % des D3E — donc les déchets d’équipements électriques et électroniques — sont traités, sont recyclés, valorisés, etc., en France. Globalement, surtout de la part des Occidentaux, les déchets des équipements électroniques partent souvent en Afrique ou en Asie pour être traités sans règles environnementales ni sanitaires. Ça donne des problèmes environnementaux et sanitaires pour les gens sur place assez conséquents. Là, pareil, je renvoie à un clip de Placebo [6] juste pour voir ce que ça donne sur place et c’est assez impressionnant.

C’est surtout la fabrication des équipements qui produit les impacts environnementaux, mais les impacts environnementaux c’est quoi ?
Souvent on ne parle que de l’électricité. Si on regarde plusieurs indicateurs, on a effectivement la consommation d’énergie. On a aussi besoin d’énergie pour fabriquer. On a les émissions de gaz à effet de serre, on a la consommation de ressources, on a de la consommation d’eau. Comme on peut le voir, globalement sur toutes les activités numériques et selon plusieurs indicateurs, c’est effectivement surtout la fabrication qui concentre la majorité des impacts environnementaux.

Maintenant, en termes de distribution entre pôles, c’est-à-dire entre équipements utilisateur, réseaux et datacenters, ce sont surtout les équipements utilisateur qui concentrent la majorité des impacts environnementaux, pour deux raisons assez simples : les équipements utilisateurs sont beaucoup plus nombreux que les équipements réseau ou datacenters, leur renouvellement est vraiment très accéléré et, surtout, la durée de vie est très basse.

Quelle voie prendre ? Est-ce qu’on prend la voie technosolutionniste. Le technosolutionnisme c’est « on n’arrête pas le progrès, la technologie va guérir tous les maux, la technologie va même pouvoir régler le changement climatique. »
De l’autre côté, est-ce qu’on prend la voie technophobe ? Aujourd’hui, on a aussi une technophobie subie qui est liée à l’exclusion numérique. Par exemple, mes parents ne peuvent pas faire une démarche en ligne, c’est moi qui fais les démarches de la CAF, etc. Aujourd’hui, on considère en France, je n’ai plus exactement les chiffres en tête mais ça doit être autour de 15 % d’illectronisme, donc le nombre de Français illettrés du numérique, donc illectronisme. Et puis il y a de la technophobie qui, je trouve, prend de l’ampleur, qui est assez extrême, limite : ce sont des attentats terroristes avec des attaques d’infrastructures, on l’a vu dernièrement dans l’actualité, avec la coupure de câbles ou on brûle des antennes 5G, avec parfois du complotisme, etc.

Il y a, en fait, une voie du milieu entre ces deux voies, c’est la voie wise tech entre low-tech et high-tech, ce serait :

  • Une technologie appropriée, raisonnée, choisie et non subie. J’imagine que ça vous parle.
  • Un numérique simple, sobre, démocratique, maîtrisé et réparable.
  • Un numérique accessible aux personnes en situation de handicap, sans biais de genre, de race ou de religion – on pense notamment à l’intelligence artificielle – et, bien sûr, au service de l’intérêt général.

Mais avons-nous seulement le choix entre une technologie low-tech ou high-tech ? Est-ce que la sobriété numérique sera choisie ou simplement subie ? Comme je l‘ai dit en introduction, nous sommes confrontés aujourd’hui à un monde aux ressources finies, confrontés aux crises, et c’est drôle parce que c’est grâce à un modèle informatique qui s’appelle World3 [7], qui a été créé par le couple Meadows en 1972, ça date de très longtemps. En tenant compte de différents indicateurs de ressources, de population, etc., ils prédisaient justement qu’on allait subir la fin de la croissance telle qu’on la connaissait et se confronter à un mur, que ça soit environnemental mais aussi en termes d’accès aux ressources.

Pourquoi je vous parle de ça ? Parce que le numérique n’y échappe pas. Pour l’instant, il y a pas mal de conjonctures, etc., mais le numérique n’y échappe pas en termes d’approvisionnement — on connaît la pénurie des microprocesseurs, etc. —, en termes de cybersécurité, en termes d’interdépendance et de souveraineté. En France nous ne sommes pas du tout souverains, vous le savez, d’ailleurs très peu de pays le sont, c’est pour cela que j’ai préféré parler d’interdépendance en premier. Finalement, aujourd’hui, nous vivons dans un monde globalisé où chacun dépend de l’autre. Même la Chine, typiquement, est très forte sur les aspects matériels, la production des équipements, mais dépend beaucoup de logiciels venus par exemple des États-Unis. Elle essaye de sortir de ça, mais il y a beaucoup d’interdépendance.

Et nous sommes confrontés aussi à la transition énergétique, transition écologique/transition énergétique, parce que le numérique, comme je vous l’ai dit, consomme aussi de l’énergie ; alors que nous sommes à l’heure où nous devons baisser nos consommations d’énergie et aller vers une forme de sobriété, en fait, la part du numérique augmente.

Juste pour parler aussi d’approvisionnement, je n’en ai pas parlé, il y a un problème d’approvisionnement. Vous avez notamment cet exemple des microprocesseurs qui se heurte aussi au changement climatique puisque, pour être produits, les microprocesseurs ont besoin de beaucoup d’eau. À Taïwan, il y a une grosse usine de fabrication des microprocesseurs, d’ailleurs une des plus grosses, je n’ai pas exactement les chiffres en tête, mais la majorité des composants vient de cette usine, c’est vous dire la dépendance que le monde a de cette usine. Crise hydrique à Taïwan, grave crise hydrique qui a perduré à cause des sécheresses, etc., je pense qu’elle perdure et le gouvernement taïwanais devait choisir entre laisser l’usine récupérer l’eau ou laisser l’eau pour les habitants. Devinez quel choix a été fait ? L’usine, effectivement : donc les gens ont manqué d’eau, pour combien de temps encore, jusqu’à ce que la population se soulève ? La question se pose, plus les questions géopolitiques entre Taïwan et la Chine, en ce moment c’est très tendu.
Donc autant vous dire, conservez bien vos ordinateurs, on ne sait pas pour combien de temps on en a.

Comment lutter contre le gaspillage numérique ?

Je vous fais à nouveau jouer : est-ce qu’il faut interdire :

  1. Les forfaits internet illimités ? On a entendu des propositions en ce sens.
  2. Héberger des services numériques chez un hébergeur neutre en carbone ?
  3. Réduire le nombre d’équipements, leur taille d’écran, allonger leur durée de vie, chasser les sources d’obsolescence et refuser les usages inutiles ?
  4. Arrêter de faire du numérique et partir élever des chèvres dans le Larzac ?

Il y a beaucoup de 4, mais je parle de numérique !

Bertrand Lemaire : Il faut savoir que les chèvres c’est un désastre en termes d’environnement, il ne faut pas l’oublier.

Richard Hanna : J’allais le dire, effectivement. C’est votre choix de partir dans le Larzac, mais pas sûr qu’en termes d’empreinte environnementale ce soit très bon. J’imagine que tout le monde avait la bonne réponse c’est bien la 3 : réduire le nombre d’équipements, taille d’écran, chasser les sources d’obsolescence.

Je n’en ai pas parlé, je ne sais pas si c’est bien visible, c’est le très bon exemple de greenwashing avec des écrans allumés dans le métro parisien qui vous demandent de bien éteindre la lumière quand vous sortez de chez vous, alors que cet écran a demandé quantités d’énergie pour être produit, quantités de ressources pour être produit avec des enfants qui ont creusé le sol pour récupérer du cobalt pour produire ces écrans qui sont allumés 24 heures sur 24, et c’est à vous de faire pipi sous la douche et d’éteindre la lumière en sortant de la pièce !

La mission interministérielle numérique écoresponsable

Juste rapidement pour ne pas vous assommer, pour parler un peu de ce qu’on fait à la mission interministérielle [8] .
D’abord, on accompagne les ministères sur un plan d’action pour réduire leur empreinte environnementale du numérique sur tous les sujets : l’achat, le réemploi, le don entre administrations et aussi vers des associations, vers des collectivités et aussi sur des sujets comme l’écoconception des services numériques, mais on y reviendra.
La deuxième partie du travail c’est de documenter toute cette démarche-là parce que, aujourd’hui, il y a pas mal de documentation mais assez pléthorique, parfois exotique. On a voulu rassembler tous les acteurs et produire les documents un peu de référence.

Comme on l’a dit, c’est la production des équipements qui a la plus grande conséquence. On a travaillé d’abord sur les achats à la fois d’équipement mais aussi sur les prestations intellectuelles, sur les logiciels.
Ça a donné ce Guide pratique pour des achats numériques responsables [9] qu’on a produit, notamment avec l’Institut du numérique responsable [14], mais surtout avec la DAE, la Direction des Achats de l’État [10], et avec beaucoup de contributeurs et contributrices.

Le Référentiel général d’écoconception de services numériques [11], j’y reviendrai plus largement, accompagné d’une Boîte à outils de logiciels libres et open source [12]. On n’a rien développé, en fait on a juste référencé des outils qui, pour nous, étaient conformes par rapport à ce qu’on a compris du sujet, par rapport aux indicateurs, etc.
Il y a parfois des outils comme Lighthouse, plutôt liés à la performance, des outils sur le cloud, des outils permettant de mesurer l’empreinte d’un parc informatique, etc.
On a référencé tout ça, on a tagué un peu tous ces outils-là et surtout, on ne voulait que des logiciels libres et open source et je pense qu’on est d’accord là-dessus.

Autre document : le Guide de bonnes pratiques numérique responsable pour les organisations [13]. On a bien précisé pour les organisations, parce qu’on n’arrête pas de nous demander quels sont les écogestes, trier ses mails, etc., ça ne nous intéresse pas vraiment. Après, on peut faire de la sensibilisation, etc., mais ce qu’on cherche c’est avoir beaucoup d’impact. Pour avoir de l’impact il faut aller taper chez les dirigeants, les dirigeantes, et travailler sur les périmètres de l’organisation, donc avoir de l’impact sur des dizaines, des centaines, des milliers, à l’échelle des ministères ce sont des dizaines de milliers d’agents, donc l’impact est beaucoup plus important.
Dans ce document, on retrouve un peu tous les sujets liés au numérique : réduction des achats, conception de service numérique, salle serveurs, fin d’usage, etc.

Si vous avez bien suivi, petite interro surprise : quelle ressource n’a-t-on pas publiée :

  1. Le Guide pratique pour des achats responsables ?
  2. Le Référentiel général d’écoconception de services numériques ?
  3. La Boîte à outils libres et open source ?
  4. Le Guide d’achat des cadeaux numériques pour un Noël écoresponsable ?

C’était facile. Effectivement, on n’a pas travaillé sur les cadeaux de Noël mais peut-être que ça viendra.

L’écoconception de services numériques

D’abord une petite définition de l’écoconception. Il y a une définition officielle. En dehors de l’aspect service numérique, c’est une démarche pour réduire les impacts environnementaux d’un produit ou d’un service. C’est une démarche qui doit être sur tout le cycle de vie du service, c’est-à-dire fabrication, usage, fin de vie.
Pour nous, pour les services numériques, il y a deux cycles de vie, souvent on parle de deux choses : fabrication, usage, fin de vie, mais ça peut être aussi, pour les services numériques, la production/le développement — la prod —, l’usage et la fin de vie — le décommissionnement. C’est normé. Vous avez les références, norme ISO 62430, etc. C’est une démarche qui rejoint toutes les bonnes pratiques en démarche et en amélioration continue.

Une question : selon vous, intégrer les enjeux environnementaux dans une démarche qualité d’un service numérique c’est avant tout :

  1. Réduire le risque de saturations des réseaux ?
  2. Réduire la consommation d’énergie des terminaux ?
  3. Prévenir le risque d’obsolescence des terminaux ?
  4. Donner une image green et sauver la planète ?

Sauver la planète ? Larzac. OK. Tout le monde l’a, normalement. Effectivement c’est 3, prévenir le risque d’obsolescence des terminaux, c’est le principal enjeu de l’écoconception, typiquement, surtout pour les terminaux utilisateur. Si vous entendez l’écoconception c’est d’abord réduire la consommation d’énergie des terminaux utilisateur, en vrai, ce n’est pas là où est l’impact : quand vous achetez un téléphone, 90 % de l’impact aura été généré, donc 10 % c’est tout le reste. Imaginez, dans les 10 % restants, l’usage d’un service numérique pendant une heure, c’est, en fait, un pouième. L’idée c’est prévenir l’obsolescence des terminaux, c’est qu’un service numérique, un logiciel, s’il ne fonctionne plus sur le terminal de l’utilisateur, que va se dire l’utilisateur ? Je vais changer de terminal !

Pourquoi écoconcevoir des services numériques ?

Pour rappel, c’est que le logiciel, les services numériques, les sites web contribuent à l’obsolescence des matériels. Typiquement, la majorité des équipements qui quittent une organisation sont fonctionnels, vous l’avez sans doute vécu. On ne change pas les terminaux parce qu’ils ne fonctionnent plus mais parce qu’ils rament, ils ralentissent. Ils ralentissent parce que les logiciels sont de plus en plus gourmands, on parle d’obésiciel, l’obésité du logiciel.

Question pour vous, si vous avez bien suivi. Non, ce n’est pas si vous avez bien suivi, il y a une petite question piège. L’écoconception c’est d’abord :

  1. L’optimisation du code ?
  2. L’optimisation de la performance de l’application ?
  3. Une interrogation des besoins ?
  4. Une problématique réservée aux développeurs et développeuses ?
  5. Bien évidemment, le retour au Minitel ?
    Dans le Larzac, très bonne réponse !

Quelqu’un veut se mouiller ? 3. Effectivement, c’est une interrogation d’abord des besoins.

Est-ce que l’écoconception est une démarche qui peut être intégrée avec quelles autres bonnes pratiques :

  1. L’accessibilité numérique ? L’accessibilité numérique parle à tout le monde ?
  2. Sécurité ?
  3. Respect des données personnelles ?
  4. Interopérabilité ?
  5. Logiciel libre et open source ?

La 5 ? Les 5 ? Effectivement ce sont les 5. D’ailleurs, on retrouve des bonnes pratiques qui sont plutôt liées à l’accessibilité ; il y a des synergies entre ces bonnes pratiques et la démarche d’écoconception.

Le Référentiel général d’écoconception de service numérique (RGESN)

Le Référentiel général d’écoconception de service numérique [11] qu’on a produit, c’est, en fait, le fruit d’un travail de plusieurs années déjà, mené par l’INR, l’Institut du numérique responsable [14]. On s’est greffé dessus pour porter le message un peu plus haut, avoir un document de référence. On a notamment invité l’ADEME [Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie], l’Arcep [Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse], pas mal d’acteurs publics, mais aussi du privé, de l’associatif, à nous aider pour avoir un référentiel commun : son petit nom c’est RGSEN.
Il y a huit thématiques traitées dans ce référentiel de 79 critères : Stratégie, Spécification, Architecture, UX/UI [User eXperience/User Interface], Contenus, Frontend, Backend et Hébergement. Ce sont 79 critères vraiment spécifiques à la réduction des impacts environnementaux. Il y avait des critères plutôt de l’ordre de l’accessibilité, de la sécurité, on n’a pas voulu empiéter sur l’accessibilité ou la sécurité. Pour l’instant, c’est en silo, mais c’est vrai que ce serait intéressant d’aboutir à un référentiel commun. Bref !
Pour le Référentiel d’écoconception [11], ce sont 79 critères qui permettent de faire un audit ou un auto-audit par l’équipe elle-même. Chaque critère est, en fait, une question, une bonne pratique à laquelle on répond par oui, par non ou non applicable. Aujourd’hui le référentiel est disponible en ligne en csv, en JSON, pour être approprié par un grand nombre. D’ailleurs c’est drôle, on a voulu le mettre en JSON pour justement faire émerger des outils et des gens nous contactent en disant « j’ai développé un outil en me basant sur JSON et c’est super », c’est la force de l’open data et de l’open source.

Pour chaque critère, c’est la formulation d’une question assez générique et le plus possible agnostique d’une technologie, même si ce n’est pas évident. On n’a pas voulu faire un référentiel que pour les sites web même si les sites web c’est 80/90 %, c’est la majorité des services numériques qu’on conçoit aujourd’hui, même si ce sont des applications métier très lourdes, ça fonctionne souvent dans le navigateur, normalement on ne fait plus de client lourd sauf sur des choses très spécifiques. Pour chaque critère un objectif : pourquoi ça réduit l’empreinte environnementale, des exemples de mise en œuvre où là on peut citer telle ou telle technologie et les moyens de test pour celui qui va rester auditer, tester ce critère.

Question pour vous, même si je ne vous ai pas montré le Référentiel, peut-être l’avez-vous vu ? Quel critère ne figure pas dans le Référentiel ? Il y a trois critères qui figurent dans le référentiel, mais un qui n’y figure pas. Lequel est-ce ? Cherchez l’intrus :

  1. Service numérique utilisable sur des terminaux datant de cinq ans minimum, donc cinq ans ou plus.
  2. L’utilisateur décide de l’activation d’un service tiers, vidéo par exemple.
  3. Privilégier les technologies standards plutôt que des technologies propriétaires.
  4. Proposer un thème « sombre » par défaut.

Le thème sombre ? Des gens vont vous mettre en avant le thème « sombre » comme de l’écoconception ; nous avons écarté cette bonne pratique-là, pour nous c’est plus du confort de lecture. Des études, pas des études scientifiques, mais des mesures de la part de telle ou boîte qui ont montré que l’impact est mineur en termes d’empreinte environnementale, ce n’est pas ça qui change la donne. Donc effectivement les trois autres sont bien dans le Référentiel.

Sur l’hébergement, trois critères sont proposés ici qui sont dans le Référentiel, il y a un intrus :

  1. L’hébergement signataire du Code de Conduite européen sur les datacenters. Pour vous donner un indice, le Code de Conduite européen sur les datacenters existe vraiment. C’est un référentiel dédié aux bonnes pratiques, dédié à l’hébergement, au cloud.
  2. Hébergement neutre en carbone.
  3. Hébergement qui a une politique de gestion durable de ses équipements.
  4. Hébergement qui fournit des indicateurs d’impacts environnementaux.

Tout le monde pense que c’est 2 ? Oui. Effectivement, l’hébergement neutre en carbone est beaucoup mis en avant, notamment par les GAFAM, même par pas mal de petits hébergeurs, même ceux qui sont neutres en carbone depuis 2007, je ne veux pas citer de noms. Il y a eu un avis concernant la neutralité carbone : selon l’ADEME, il n’y a pas de sens physique, il n’y a pas de sens scientifique, on ne peut pas être neutre en carbone sur l’échelle d’une organisation, on ne peut l’être qu’à l’échelle mondiale, voire, éventuellement, on peut tolérer à l’échelle d’une organisation. Il y a trop de transfert de pollution et c’est trop facile. La neutralité carbone, c’est en fait de l’écriture comptable : on produit de la pollution et on va planter des arbres par ailleurs pour équilibrer ! Selon l’ADEME ce n’est pas possible.

Comme j’en parlais tout à l’heure pour l’écoconception, on peut aussi évaluer quelques métriques, souvent basées sur des métriques techniques. Je vais prendre deux exemples : il y a l’outil Scaphandre [15] qui permet de mesurer la consommation CPU, RAM, etc., côté backend, côté serveur, qui permet d’avoir des corrélations, des correspondances avec une empreinte environnementale.
Autre exemple : pour une page web, on peut utilise EcoIndex [16], GreenIT-Analysis, une extension du navigateur qui permet de mesurer, ça donne un affichage environnemental entre A et F, plus on est proche de A mieux c’est, et ça donne des indicateurs en termes de consommation, le poids de la page, etc. ; ça mesure le poids de la page, le nombre de requêtes réseau, etc. Ça ne permet pas d’évaluer l’écoconception, puisque, comme on l’a vu, l’écoconception c’est d’abord une évaluation des besoins et comment on y répond de la façon la plus sobre possible, mais ça permet, avec quelques métriques, d’évaluer quand même si le service numérique est léger, etc.

En termes de conclusion, je voudrais revenir un peu sur l’aspect réglementaire.
Depuis 2020, on a la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire [17]. On a eu pas mal d’avancées sur le numérique, notamment l’indice de réparabilité qui est affiché aujourd’hui dans les boutiques, chez les revendeurs d’informatique, mais aussi en ligne.
Depuis novembre dernier, on a aussi la loi REEN, la loi Réduction de l’empreinte environnementale du numérique [18]. Certains considèrent que c’est peu ambitieux. C’est un premier pas et c’est un premier pas au niveau européen et mondial. Au niveau de l’Europe on regarde beaucoup ce qui se fait en France sur ces aspects liés au numérique, notamment l’indice de réparabilité, il y a un projet de le porter au niveau européen, sur l’écoconception aussi. Il y a pas mal d’articles de loi pour sensibiliser, former les ingénieurs, bien évidemment aussi limiter le renouvellement des appareils numériques, typiquement pour l’administration et pour les collectivités.
C’est aussi promouvoir le réemploi, obliger à réemployer les équipements, à donner les équipements s’ils sont toujours fonctionnels et ont moins de dix ans, bien sûr il y a une limite.
Il y a l’élaboration d’un référentiel général d’écoconception. On ne sait pas si c’est le référentiel qu’on a poussé puisque nous l’avons produit avant que l’article de loi ait été produit. On verra si ça raccroche les wagons.
Promouvoir des datacenters, des réseaux moins énergivores et, pour les collectivités de plus de 50 000 habitants, avoir une stratégie numérique responsable. Une stratégie numérique responsable, ce sont vraiment tous les sujets : l’achat, le réemploi, j’imagine aussi les usages du cloud. Il y a pas mal de sujets, mais aussi l’écoconception de ses services numériques.

Petite dernière question pour vous : dans une démarche d’écoconception, selon vous, comment pourrait-on éviter le greenwashing :

  1. Répondre d’abord à la quête de sens des clients et usagers ?
  2. Investir dans une campagne de communication ?
  3. Compenser les émissions de CO2 du service numérique ?
  4. Il faut que ça soit une démarche en cohérence avec les activités, donc la démarche d’écoconception, en cohérence avec les activités de l’organisation et qui s’inscrit dans une démarche globale de réduction de l’empreinte de l’organisation.

C’est facile : oui, 4. Effectivement, sauf que dans les faits, les trois premières — même si ça vous paraît un peu abuser — c’est ce qu’on voit dans la réalité. Vous allez sur Linkedin, vous ne voyez que des trucs comme ça.

Pour finir, un petit rappel à emporter. Je ne vais pas lire tout ça, si vous voulez le prendre en photo, mais juste rappeler les 5 R issus du zéro déchet que j’aime bien, même si moi-même, personnellement, je ne suis pas dans une démarche zéro déchet, mais je me suis demandé comment on pourrait appliquer ces 5 R au service numérique ou à l’écoconception de service public :

—  Refuser les fonctionnalités non essentielles et les solutions propriétaires.

—  Réduire, c’est réduire les dépendances, cultiver l’indépendance.

—  Réemployer, typiquement réemployer des briques open source, mais aussi réemployer les équipements qui ont servi à la production de votre service numérique.

—  Recycler pour créer un tout autre produit avec des briques open source.

—  Rendre à la terre, ici dans le sens de produire des communs numériques, ouvrir les codes et les données, documenter la démarche, la démarche d’écoconception ou juste la démarche de conception du service numérique.

Tous les guides et référentiels, les ressources, on a aussi des vidéos de sensibilisation sur tel ou tel sujet, tout est sur notre site : ecoresponsable.numerique.gouv.fr.

Je vous remercie.

[Applaudissements]

Questions du public et réponses

Bertrand Lemaire : Merci. Richard Hanna, il nous reste un gros quart d’heure, même plus de 20 minutes pour répondre aux questions.
Histoire d’amorcer la discussion, je suppose que vous avez vu que le Cigref [19] a beaucoup travaillé, en tout cas beaucoup communiqué, ce n’est peut-être pas pareil, ces deux dernières années, sur le sujet de la frugalité numérique avec notamment des interventions du président du Cigref, justement sur la limitation du renouvellement du matériel qui est un gros sujet, non seulement, je dirais, de greeenwashing, quelque part, mais surtout un sujet financier et là, brutalement, la question devient intéressante pour beaucoup de gens. En plus, aujourd’hui, on est dans une pénurie de matériel électronique avec des coûts financiers qui explosent. Donc là, tout de suite, quand on parle de coûts financiers les gens écoutent. Est-ce que la DINUM [1] a travaillé avec le Cigref autour de ces sujets-là ? Est-ce que c’est prévu d’avoir des démarches communes ?

Richard Hanna : Non, on n’a pas travaillé avec le Cigref. On a vu leurs publications, leurs communications. À titre perso, j’ai bien aimé lorsqu’ils ont taclé un peu Microsoft sur le sujet Windows 11 qui va créer de l’obsolescence de manière très artificielle, qui va envoyer au rebut pas mal d’ordinateurs. Si on a des bonnes pratiques, on peut mettre de l’OS libre et ça peut encore tourner. Ils ont taclé Microsoft à la fois sur des enjeux financiers parce que le renouvellement, les mises à jour coûtent très cher, mais aussi sur les questions environnementales. Ils ont rajouté la question environnementale, donc ils ont lié à la fois le facteur coût et le facteur environnemental.

Bertrand Lemaire : Associer les deux, ça a toujours été ce qui est le plus efficace pour faire du Green IT.

Richard Hanna : Effectivement. Nous sommes justement en train de réfléchir à ça : comment on pourrait indiquer à la fois quels sont les gains environnementaux mais aussi quels sont les gains financiers de ces démarches, parce qu’il y en a. Je n’ai pas d’ordre de grandeur, je n’ai pas voulu l’exposer, mais il y a effectivement énormément de gains à avoir en allongeant la durée de vie des équipements, en passant au Libre, évidemment, on se passe de licence, etc. Il faut aussi avoir un peu un portage politique sur le sujet, c’est toujours la difficulté sur ces questions d’obsolescence : on sait quelles sont les solutions, les bonnes pratiques, encore faut-il y aller.

Bertrand Lemaire : Il faut une volonté, quoi !

Richard Hanna : Il faut une volonté, oui.

Bertrand Lemaire : On va prendre vos questions. On va commencer au premier rang.

Public, François Élie : Merci. Une remarque et une question. C’est vrai que côté serveur la messe est dite : moi j’ai remplacé un serveur par une Raspberry Pi, 50 euros, 50 grammes et 5 watts, et ça fait la même chose qu’un serveur.
Par contre, du côté de la machine cliente, de mon PC, je suis très déçu parce que j’espérais faire un geste en utilisant un OS libre et puis, finalement, c’est plutôt la fabrication de la machine qui compte. Est-ce que vous pouvez me redonner un peu d’espoir en me disant que j’économise la planète en n’utilisant pas des outils sobres et extrêmement gourmands, qui m’imposeraient un antivirus qui consommerait de la mémoire inutilement ?

Richard Hanna : Je ne sais pas quel âge a votre ordinateur. J’ai un vieil ordinateur chez moi d’il y a 15 ans, avec un Ubuntu ça fonctionne toujours alors que j’avais un dual-boot avec du XP, là c’est fini : je ne l’allumerai pas sur Windows XP qui n’est plus à jour donc il y a des problèmes de sécurité.
Pour vous donner de l’espoir, justement, que ça soit dans le Référentiel ou dans les bonnes pratiques, on dit d’aller vers du Libre sur les OS.
Je ne l’ai peut-être pas précisé : dans l’écoconception de service numérique, on n’est pas sur le périmètre des systèmes d’exploitation, on est vraiment sur la conception des services numériques. On va dire que là où est le véritable enjeu ce sont, en vrai, les systèmes d’exploitation qui créent artificiellement l’obsolescence.
Après le mode sombre, etc., comme on l’a dit, c’est plus du confort de lecture, c’est comme vous voulez, les gains ne sont pas énormes si vous mettez le mode sombre par rapport au mode clair.
Encore une fois, tout l’enjeu c’est de garder l’équipement le plus longtemps possible ou, si vous ne souhaitez pas le garder au moins le réemployer, le proposer à d’autres personnes.

Bertrand Lemaire : Une question au fond et après une autre là-bas.

Public, Daniel Coissard : Une question : dans la plupart des collectivités nous sommes soumis à la loi AGEC [Loi anti-gaspillage pour une économie circulaire], la loi qui nous oblige à acheter chaque année au moins 20 % de notre parc, soit du matériel de réemploi soit du matériel recyclé. Aujourd’hui, la partie soft n’est pas prise en charge ni la partie location : c’est-à-dire que si on loue du matériel ce n’est pas pris en compte et, en plus, on n’a pas de filière pour se fournir. J’ai voulu chercher des écrans pour des ordinateurs et des téléphones, c’est quelque chose qui devient impossible. Est-ce qu’il y a des choses prévues, au niveau de la DINUM [1] ou de l’État, pour mettre en place des filières pour qu’on soit un peu plus écoresponsables ?

Richard Hanna : C’est un sujet dont on parle maintenant depuis des mois et des mois, c’est un sujet compliqué. C’est la Direction des Achats de l’État [10] qui travaille sur la stratégie justement d’approvisionnement, etc.
Devait sortir, justement, le sourcing de l’approvisionnement, donc identifier quels sont les acteurs ou les consortiums d’acteurs, parce que ce sont souvent des acteurs de l’économie sociale et solidaire qui sont assez petits, donc organiser la filière, etc. Cette stratégie de sourcing devait sortir en juillet. J’ai entendu que c’est repoussé à 2023 parce qu’il y a effectivement des difficultés, il y a des difficultés d’approvisionnement, il y a des difficultés par rapport à l’hétérogénéité des équipements : manager un parc informatique hétérogène, ce n’est pas la même chose. Il y a effectivement des difficultés, vous n’êtes pas les seuls à avoir ces difficultés, mais, concrètement, je n’ai pas de réponse à ce sujet.
À titre perso, warning, je pense quand même que c’est peut-être une erreur d’avoir juste focalisé sur l’achat reconditionné par l’administration, les services publics, parce qu’on ne parle que de ça. J’accompagne les ministères sur réduire leur empreinte et ils ont ce blocage-là, parce que c’est obligatoire dans la loi. En fait, il y a plein d’autres actions à mener pour réduire l’empreinte, du coup on est focalisé sur une action qui est complexe et je trouve un peu dommage qu’on soit un peu bloqué dans ce schéma-là. Il y aura peut-être une évolution à avoir, on ne sait pas, il faudra pousser. Plutôt que l’administration, les services publics s’alimentent en achats reconditionnés et, finalement, phagocytent ce marché-là qui devrait peut-être être réservé à des milieux défavorisés, plutôt être pourvoyeurs d’équipements reconditionnés en sortie des organisations. J’ai échangé avec des collectivités qui me disent « vous nous dites d’allonger la durée de vie des équipements, mais on va jusqu’à dix ans, après dix ans personne ne veut de nos ordinateurs ! ». Notre sujet est compliqué, mais il faut garder la foi.

Bertrand Lemaire : Nous avions une question là-bas au fond.

Public : Je me permets, excusez-moi au fond. C’est un peu la lecture que nous avions eue de la loi et des décrets d’application. On nous oblige à 20 % de matériel reconditionné, mais cette loi exclut totalement le fait que les collectivités soient en mesure de le faire elles-mêmes. L’achat de pièces détachées, pour faire le reconditionnement en interne, n’est même pas pris en compte. Ça veut dire que cette loi, de mon point de vue, relève presque de l’aberration, puisqu’on doit déléguer le reconditionnement à des filières, éventuellement racheter le matériel qu’on aura fourni à ces propres filières. Même en termes d’écologie, transport du matériel et tout ça ! Du coup, vous avez répondu à mon interrogation avec la fin de votre intervention.

Richard Hanna : La réparation de tout ça, ce sont effectivement des choses qu’on promeut dans le Guide de bonnes pratiques, peut-être revenir au monde d’avant où on avait la réparation en interne ; aujourd’hui ça a quasiment disparu des organisations. Cette astuce-là je l’ai déjà entendue, c’est aberrant, c’est donner des équipements pour les racheter, juste pour respecter la loi. Et effectivement, ça passe !

Public : Deux suggestions, une question.
Première suggestion : ne serait-il pas pertinent de lister des exemples de réutilisation de vieilles machines avec des nouveaux services ?, La valeur d’exemple est toujours forte en termes d’impact, je m’imagine que ça pourrait être utile de dire « voilà ce qui a déjà été fait par d’autres », donc inspirer des suivants.
Deuxième suggestion : peut-être sensibiliser les développeurs à arrêter de courir derrière la dernière techno à la mode, qui est certainement très hype, très cool, mais dont on observe qu’elle est beaucoup plus consommatrice d’énergie que la précédente. Peut-être faudrait-il revenir à certaines technos.
Enfin une question : tu mentionnais le fait d’interroger le besoin. Est-ce qu’en interrogeant le besoin uniquement comme ça, ne prend-on pas le risque d’avoir une réponse du style « mais bien évidemment que j’ai besoin de ça » et fin de la discussion ? Si je reformule ma question : comment fait-on pour interroger le besoin pour éviter cette réponse ?

Richard Hanna : Par rapport à tes suggestions. Sur les exemples, c’est en fait ce qu’on fait : on documente la démarche, on est tout le temps en quête d’exemples à montrer. Je ne l’ai pas dit, mais sur l’écoconception on a publié deux retours d’expérience. C’est très tôt, on a publié le référentiel en octobre dernier et on a voulu tout de suite montrer des exemples. On a un exemple de conception d’un service numérique du ministère de la Transition écologique et un de l’ADEME. Que ce soit sur ça ou sur les autres démarches de réemploi, à chaque fois qu’on identifie quelqu’un qui a mis en place des choses chez lui, dans son organisation, on demande de documenter la démarche. Typiquement, la semaine prochaine j’ai un rendez-vous avec le ministère de la Santé qui a aussi mené une démarche dans son coin sur un Éco-score des applications natives, des applications mobiles. Ce sont deux femmes, on va échanger avec elles pour documenter et savoir comment elles ont fait.
Pour la question « sensibiliser les développeurs », ce n’est pas un sujet seulement de développeurs : je pense qu’il faut sensibiliser l’ensemble des équipes, l’ensemble des parties prenantes liées à la conception d’un service numérique.
Interroger les besoins, c’est une très bonne question. Je n’ai peut-être pas forcément la réponse à tout, mais il y a notamment « ne pas forcément répondre juste aux besoins de l’organisation, mais aussi questionner les utilisateurs ». Il y a tout un domaine de la recherche UX [User">eXperience], faire aussi appel à eux. Même si ça progresse de plus en plus, je trouve qu’on conçoit des services numériques, des logiciels, parfois sans intégrer les métiers du designer, celui qui va réfléchir, qui va aller questionner les gens, donc vraiment intégrer cette démarche-là.
Interroger les besoins, c’est aussi évaluer quelles sont les fonctionnalités les plus essentielles en fait : qu’a-t’on vraiment besoin de numériser ? Faut-il numériser aussi ? Parfois, peut-être, une solution qui n’est pas numérique sera plus efficace ou plus inclusive, on parlait tout à l’heure d’illectronisme.
Après, il y a toute la partie stratégie dans le Référentiel d’écoconception [11] qui répond peut-être aussi à cette question d’interrogation des besoins. On a peut-être une dizaine de questions liées à la stratégie qui questionnent, qui interrogent justement les besoins.

Bertrand Lemaire : Très bien. Allez-y, priorité aux dames.

Public : C’est vrai qu’en étant devant on nous voit moins en fait, en étant juste en face, peut-être aussi en étant une femme ! C’est un aparté.
Je suis d’une commune de 5000 habitants, je suis élue. On a inscrit la sobriété numérique dans nos orientations politiques. Quand il a fallu renouveler la flotte de mobiles, donc de smartphones, nous nous sommes tournés vers les marchés reconditionnés. Il n’y avait que des iPhones, donc des téléphones qui ne nous convenaient pas, du coup on a acheté des Fairphones. On a acheté une cinquantaine de Fairphones qui sont livrés avec Android. On regardait pour essayer de mettre en place /e/OS [20], mais on se rend compte que c’est un véritable parcours du combattant.
La question : est-ce que la DINUM [1] travaille là-dessus ? Comment fait-on pour aider les collectivités à aller dans ce sens et à ne pas réinventer la roue chacune à son niveau ?

Richard Hanna : Même réponse que tout à l’heure. Côté DINUM [1], on ne travaille pas là-dessus, en tout cas on échange notamment avec la Direction des Achats de l’État [10], qui est en charge de ce sourcing de l’approvisionnement des matériels. Ils travaillent sur la stratégie de sourcing pour l’État. Je ne sais pas si vous passez par l’UGAP [Union des groupements d’achats publics] ?

Public : Non, là nous ne sommes pas passés par l’UGAP.

Richard Hanna : Pour l’instant, les difficultés d’approvisionnement sont les mêmes aussi au niveau de l’État. Tout à l’heure, j’ai fait une réponse un peu plus longue : c’est effectivement en cours avec la Direction des Achats de l’État [10] et ça a été repoussé à 2023 alors qu’on a une obligation qui est entrée en vigueur en 2022, il me semble. On a un peu de retard.

Bertrand Lemaire : Pascal.

Public, Pascal Kuczynski : Merci et bravo pour cette présentation. Je vais peut-être paraître un petit peu exigeant. Je dis exigeant parce que j’essaye de me mettre en condition d’explication en faveur du logiciel libre. On a parlé de Linux, OK, du côté des serveurs, mais, en fait, je n’ai pas vraiment d’argumentaire : pourquoi le logiciel libre serait-il plus écologique que le logiciel propriétaire ?

Richard Hanna : Je te passerai un article [21] que j’ai écrit sur mon blog privé.
Pour plein de raisons en fait.
Déjà pouvoir augmenter la durée de vie de l’équipement : on considère qu’installer un OS libre permet de faire fonctionner un équipement qui ne fonctionnait plus avec un Windows, etc.
Plus largement aussi, au-delà de l’OS, parfois on a des logiciels qui ne sont plus maintenus, je n’ai pas d’exemple en tête, des logiciels propriétaires qui sont liés à un équipement, du coup ça crée l’obsolescence de l’équipement, pas forcément un ordinateur, mais ça peut être un objet connecté dont le logiciel, le système d’exploitation de l’équipement n’est plus maintenu. Il y a un critère dans le Référentiel qui dit que le logiciel ou le service numérique qui est lié à un équipement numérique doit être maintenu pendant toute la durée de vie potentielle de cet équipement. Donc le logiciel libre et open source permettrait d’allonger la durée de vie de ces équipements, simplement en ayant accès au code source. Ça reste très théorique : bien évidemment il faut aussi les compétences de pouvoir forker, de pouvoir créer un nouvel outil pour continuer à maintenir le logiciel qui fait fonctionner ces équipements.
Richard Stallman n’est plus parmi nous [Richard Stallman était présent au Congrès de l’ADULLACT mais n’a pas assisté à cette conférence, NdT], mais c’est vrai qu’à la base, je ne sais pas si vous connaissez cette histoire : Richard Stallman a eu un problème avec son imprimante. Il a voulu accéder au code source de l’imprimante pour pouvoir l’utiliser, mais le code source n’était plus maintenu, n’était pas disponible, c’était dans les années 70. Il est allé chercher le code source chez l’universitaire qui faisait ce code source-là et l’universitaire a refusé de lui fournir le code source, du coup il s’est retrouvé avec un équipement qui a été rendu obsolescent par le logiciel. Il me semble qu’il a pu faire du reverse engineering sur le code source, du coup, tant bien que mal, il a réparé le petit bug et il a pu continuer à faire fonctionner son imprimante.
En termes de généralisation, on a beaucoup parlé de réemploi, d’allonger la durée de vie des équipements, on a très peu parlé de réduction des équipements. Sur la généralisation j’ai plein d’exemples comme ça, notamment dans les ministères où, en fait, le smartphone professionnel était fourni de base, sans questionnement, sans interrogation justement des besoins. On a identifié cette mauvaise pratique-là, on a poussé pour dire « dans votre plan, d’action ayez cette bonne pratique-là de ne pas systématiser l’équipement supplémentaire : le smartphone professionnel, l’écran supplémentaire. » Aujourd’hui, dans les bureaux, je vois qu’il y a toujours deux écrans, parfois j’ai vu aussi trois écrans, le troisième est allumé, mais il n’y a rien d’affiché, c’est aberrant ! Même deux écrans, tout le monde n’a pas forcément besoin de deux écrans alors qu’on a déjà un écran sur le téléphone portable, vous avez deux autres écrans, donc ça fait trois écrans, c’est aberrant ! Et là c’est systématisé. Questionnez vos agents, vos collaborateurs : ont-ils vraiment besoin de ces écrans-là, ont-ils vraiment besoin du smartphone professionnel ? Ça commence à changer un peu, notamment pour le smartphone professionnel, ce n’est pas forcément proposé systématiquement maintenant.

Public : Pour terminer, j’ai oublié de dire qu’il y a rééquilibrage, c’est-à-dire que l’ordinateur, quand il ne convient plus vraiment parce qu’il a atteint sa limite, ça ne veut pas dire qu’il ne convient plus ailleurs. Et là, chaise musicale et on continue !

Richard Hanna : Exactement.

Bertrand Lemaire : Merci beaucoup Monsieur Hanna.

[Applaudissements]