Matthieu Faure : Je vous propose une petite remise en contexte pour commencer. Nous, à l’ADULLACT [Association des Développeurs et Utilisateurs de Logiciels Libres pour les Administrations et les Collectivités Territoriales] [1], nous avons la chance d’avoir des relations avec l’Europe depuis plusieurs années et nous avons ces relations de différentes manières : nous sommes amenés à participer à des séminaires, on nous invite à parler dans le micro, on a l’occasion de se rencontrer sur différents salons. Bref ! Nous nous connaissons et nous interagissons. Là je souhaiterais partager avec vous deux évènements qui ont été des point forts pour nous sur la période 2021/2022, sur notre sujet qui est celui des catalogues de logiciels libres, donc allons-y.
Printemps 2021 – Interview Comptoir du Libre
Au printemps 2021, nous avons eu le plaisir d’être contactés par l’Union européenne, la Commission européenne pour être précis, qui souhaitait nous interviewer sur le Comptoir du Libre [2] dans le but de comprendre ce qu’il en est du Comptoir du Libre : pourquoi le Comptoir du Libre ? Quels étaient les enjeux qu’on avait ? Quels étaient les problèmes qu’on avait pu identifier et aussi quelles étaient les solutions qu’on avait apportées ? Le but c’était d’arriver à bien comprendre quelles avaient été toutes nos motivations pour créer ce comptoir-là.
Évidemment, nous avons été très heureux et très fiers de partager tous ces éléments d’information, sur lesquels on va avoir l’occasion de revenir. Pour le coup, je ne résiste pas au fait de vous proposer un petit quiz sur le Comptoir du Libre. Allons-y !
D’après vous, le Comptoir du Libre est un catalogue :
réponse 1, de logiciels libres pour le secteur public ;
réponse 2, un catalogue honteusement pompé chez Framasoft ;
réponse 3, un catalogue de logiciels libres métiers pour la sphère publique ;
réponse 4, des freewares compatibles avec Linux.09 et FreeDOS.3.
Qui vote pour la réponse 1 ?, un catalogue de logiciels pour le secteur public. Personne ! OK. Un, deux, trois, quatre. Très bien.
Qui vote pour la réponse 2, un catalogue honteusement pompé chez Framasoft. OK. Il y en deux ! Merci ! Je prends les noms, merci beaucoup pour votre participation ! On les donnera à nos amis de Framasoft !
Réponse 3, un catalogue de logiciels libres métiers pour la sphère publique. Oh là ! Je crois qu’il y a un nombre franc et massivement élevé de mains qui se lèvent. Merci. Il y en a qui votent deux fois ! C’est vrai que je n’ai pas spécifié les règles. Je précise qu’on ne vote pas deux fois parce qu’il y a une deuxième slide derrière.
Et enfin, réponse 4, un catalogue de freewares compatibles avec Linux et FreeDOS numéro 3. Personne ! Personne ne connaît FreeDOS.3, c’est très bien. Parfait.
Merci d’avoir participé. Vous vous en doutez bien, le Comptoir du Libre est un catalogue de logiciels libres métiers, le côté métier est important, et à destination de la sphère publique. On retrouve ces deux caractéristiques, l’orientation métier et l’orientation sphère publique, c’est vraiment ce qui fait la base du Comptoir du Libre.
À l’heure de la sieste, je vous sens très très partants sur les jeux, donc allons-y.
Quand on est dans le Comptoir du Libre, que liste la fiche d’un logiciel ? Je vous propose :
réponse 1, un par un les octets du logiciel en question ;
réponse 2, les prestataires autour du logiciel libre ;
réponse 3, le nom des développeuses et des développeurs qui ont œuvré sur le logiciel ;
réponse 4, le temps passé à corriger les bugs.
Qui vote pour la réponse 1, les octets du logiciel ? Un. Merci !
Réponse 2, les prestataires autour du logiciel. Beaucoup de joueurs, beaucoup de mains qui se lèvent. Très bien.
Réponse 3, le nom des développeuses et des développeurs. Ah ! Il y a pas mal de personnes qui lèvent la main. Très bien.
Réponse 4, le temps passé à corriger les bugs. Merci. Il y a deux fidèles participants. Impeccable.
La réponse, vous vous en doutez, c’est la liste des prestataires. C’est un enjeu important, pour nous, d’arriver à présenter les prestataires qui sont existants, disponibles, offreurs de services sur les logiciels libres. Le fait d’avoir un logiciel libre métier est très intéressant, c’est un bien commun numérique, tout le monde peut se l’approprier, s’en servir, mais, à un moment, une collectivité a besoin de se sentir accompagnée, de pouvoir s’appuyer sur une force de frappe extérieure. D’où l’importance de lister ces prestataires et c’est un de nos chevaux de bataille concernant le Comptoir, lister les prestataires.
Je vous en propose une petite dernière.
Quand on est sur le Comptoir du Libre, on dispose de témoignages pour un logiciel. La question c’est de savoir qui écrit des témoignages.
Ces témoignages sont écrits :
Réponse 1, par des gens qui sont mal payés sur un autre continent ?
Réponse 2, par l’ADULLACT qui déteste avoir des fiches qui sont vides ?
Réponse 3, par des prestataires qui font leur pub ?
Réponse 4, par les collectivités ?
Qui vote pour la réponse 1, des gens mal payés sur un autre continent ? Il y en a qui osent !, merci beaucoup. Plusieurs personnes ont choisi la réponse 1.
Réponse 2, par l’ADULLACT parce qu’on déteste le vide. Nous avons des supporters. Merci. Merci la team « on n’aime pas le vide ».
Réponse 3, par des prestataires qui font leur pub. OK. Il n’y a pas d’ironie dans la salle, c’est très bien. Merci.
Et la réponse 4, vous vous en doutez, en l’occurrence il s’agit bien des collectivités. Ce sont les collectivités qui rédigent les témoignages et ce sont les seules habilitées à le faire. Quand on est inscrit en tant qu’autre chose qu’une collectivité, on ne peut pas rédiger de commentaires, de témoignages sur le Comptoir. Vous imaginez bien l’idée qu’il y a derrière. L’idée c’est de faire en sorte de garantir un minimum de sérieux et de crédibilité à ces témoignages dans le but de s’assurer qu’ils vont être utiles à d’autres collègues dans d’autres collectivités, avec une finalité qui est celle de donner confiance dans le logiciel libre ; quoi de plus rassurant que de savoir que telle et telle collectivité utilisent déjà telles solutions.
Merci d’avoir joué. Fin de la parenthèse sur le Comptoir du Libre.
C’était notre premier point sur 2021, l’interview que nous avons eue par l’Europe sur le Comptoir.
Automne 2021 – Étude catalogues de logiciels libres
Deuxième point fort. À l’automne 2021, on a eu la chance d’être sélectionnés par la Commission européenne pour participer, avec le Comptoir, à une étude sur les catalogues de logiciels libres, à l’échelle européenne. Je me suis permis de reprendre des visuels des diapos qui ont été faites à cette occasion. Je vous propose de décrire en quoi consistait cette étude et quel était son contenu.
On va commencer par dire que cette étude a regroupé dix pays que vous voyez affichés. Les plus observateurs d’entre vous remarqueront qu’il n’y a pas que des pays européens, le Canada n’est pas tout à fait en Europe. Ceci dit, ils avaient été sélectionnés pas parce qu’ils parlent français mais parce qu’ils avaient travaillé en étroite collaboration, entre autres avec des Français, sur des considérations de logiciels libres donc de catalogue. Vous voyez, dans les différents pays qui sont affichés, qu’il y a des pays qui nous sont limitrophes – l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, la Belgique –, bref ! Vous observez aussi des pays un petit peu plus lointains, que ce soit la Finlande dont on n’a pas forcément l’habitude d’entendre parler, ou que ce soit l’Estonie qui est aussi connue pour son énergie mise dans tout ce qui relève du numérique et du secteur public.
Donc on avait une dizaine de pays autour de la table et dans les petites anecdotes assez marrantes, nous nous retrouvions en visio avec toutes ces personnes-là et, quand on se retrouvait en visio à 15 heures pour nous en France, c’était assez marrant d’observer que, chez certaines personnes, il faisait déjà nuit ; typiquement en Finlande, à 15 heures au mois de décembre, il fait nuit.
Il y avait 12 catalogues qui vous sont présentés ici. Je ne vais pas tous vous les présenter, ce n’est pas l’objet. Ce qui m’intéresse c’est de vous montrer 10 pays, 12 catalogues, voir comment tout ça s’organise et se structure.
Je voudrais faire un tout petit focus sur cette diapo. Vous pouvez observer que la France est présente avec, en fait, trois catalogues. C’est le seul pays à être présent avec plusieurs catalogues. On peut les nommer. Il y a le SILL, le Socle interministériel de logiciels libres [3] ; il y a code.gouv.fr [4] qui, à l’époque, s’appelait encore code.etalab.gouv.fr ; et il y a évidemment notre Comptoir du Libre. Nous sommes le seul pays à être identifié comme ayant trois catalogues qui, évidemment, ne se marchent pas sur les pieds et discutent intelligemment. Il y en a un certain nombre d’autres.
Dans les petites anecdotes, vous noterez aussi que quand on est en Estonie, le mot forge logicielle se prononce « koodivaramu », ce qui est très poétique, vous pourrez jouer ça au scrabble, si vous y pensez, dimanche prochain.
Donc 10 pays, 12 catalogues, avec une seule question qui se présentait à la fin : et si on faisait un catalogue de logiciels libres européen, quels contenus mettrait-on dedans ? C’était la question clé.
Je ne vous cache pas que les discussions ont été nourries parce qu’on s’est rendu compte que tous les pays n’avaient pas du tout les mêmes niveaux de maturité, pas tant vis-à-vis du logiciel libre – tout le monde savait, bien évidemment, ce qu’est un logiciel libre –, mais concernant la maturité sur ce que doit être ou ce que devrait être un catalogue de logiciels libres. Et là, les avis n’étaient pas forcément convergents. Des pays avaient un besoin très clair de lister du Linux, du Apache, des briques très techniques, et d’autres pays avaient des avis assez divergents. Bref ! Sur les différents ateliers il y a eu un certain nombre de discussions très respectueuses et très intéressantes : observer qu’à l’échelle de l’Europe tout le monde n’a pas la même compréhension de ce devrait être un catalogue de logiciels libres.
Pour cela je vous propose un petit schéma qui a été fait par The Gartner Group. The Gartner Group c’est l’entreprise qui a été missionnée pour opérer cette étude.
L’objectif c’est de vous présenter les différents catalogues ; on ne va pas les présenter un par un, ce n’est pas l’objet. L’idée c’est de faire un point sur deux observations.
On va commencer par décrire le schéma.
The Gartner a dressé deux axes : un, horizontal, consiste à dire quel est le niveau d’orientation du catalogue, est-ce qu’il est orienté plutôt technique – ce sera plutôt vers la gauche – ou est-ce qu’il est orienté plutôt métier, ce sera plutôt vers la droite. Et, sur un axe vertical, quel est le niveau d’énergie ou d’implication requis pour contribuer à ces logiciels. Vous voyez que quand l’engagement est faible, c’est plutôt vers le haut et quand l’engagement est élevé, dit autrement l’énergie nécessaire est importante, on est plutôt vers le bas.
On observe qu’en haut à gauche, on trouve des solutions qui sont, au final, relativement techniques et relativement automatisées. On trouve, par exemple, code.gouv.fr, on trouve aussi Software Heritage [5] qui a pour objet d’archiver l’ensemble des codes sources des logiciels libres [De tous les logiciels, NdT] de l’univers. On voit donc qu’on ne prend pas l’acception de la notion de catalogue de la même manière que nous le faisons dans notre Comptoir du Libre ; là on est très dans l’automatisation, la technique et on est proche du monde des développeurs.
L’autre point à observer : si vous prenez un petit peu de recul par rapport à ce schéma, vous observez que le petit logo ADULLACT, qui représente donc le Comptoir du Libre, a une position assez excentrée par rapport à tous les autres. C’est quelque chose qui nous a paru intéressant et remarquable : là on voit l’orientation métier et le choix assumé de dire que nous faisons un catalogue de logiciels libres qui est très orienté vers les métiers. Et c’était un des éléments importants : le fait d’arriver à expliquer à nos compatriotes que ce qui nous semblait particulièrement utile et qui nous semblait avoir beaucoup de valeur ajoutée, c’était bien le fait de se tourner vers les métiers et de dire « tel logiciel va pouvoir servir dans tel métier » plutôt que dire « GNU/Linux, certes vous pouvez vous en servir et c’est très bien ». On pensait que dire « openCimetière » [6] ça a de la valeur et c’est vraiment la valeur ajoutée du Comptoir du Libre.
Voilà le genre de discussions qu’on a pu avoir et comment ça s’est retranscrit sur la fin.
Orientation métier
Au final, ce qui ressort, c’est bien cette orientation métier. Au gré des discussions qu’on a pu avoir, je ne vous cache pas que, d’une cession à l’autre, on avait du mal à se comprendre, particulièrement au début. On discutait avec nos interlocuteurs de la Commission européenne, qu’on connaît, et, après les ateliers, on leur disait : « Nous ne comprenons pas quel est le bon niveau de la discussion à avoir ». En fait ils nous ont dit : « Ne vous inquiétez pas, vous êtes dans le vrai, vous avez raison. L’orientation métier est bien la bonne. Ayez conscience, vous Français, s’il vous plaît, que vous êtes particulièrement en avance sur le reste de l’Europe, d’une part, et, d’autre part, ayez conscience aussi, s’il vous plaît, que nous, Commission européenne, notre job c’est de faire en sorte de rassembler tout le monde, ensemble, pour avoir des briques communes sur lesquelles nous puissions nous appuyer ». Je vous avoue que cela nous a donné beaucoup de bonheur et beaucoup de fierté : que la Commission européenne nous dise, d’une part, « vous avez choisi la bonne direction » et, d’autre part, « vous ne vous en rendez pas compte, mais, en fait, vous êtes en avance. En termes de logiciels libres, la France est le pays leader à l’échelle de l’Europe ». Ça nous a fait très plaisir, d’autant plus plaisir que le choix du logiciel libre métier, qui est un choix qui a été fait il y a 20 ans par l’ADULLACT, s’avère être le bon. Quand vous faites un choix et que, 20 ans après, quelqu’un, qui est l’Europe, vient vous dire « vous avez fait le bon choix », je vous avoue que ça nous rend heureux.
C’était ce que je souhaitais partager avec vous.
[Applaudissements]
Bertrand Lemaire : Dans les catalogues que vous avez pu voir, il y a, bien évidemment, des descriptions, mais est-ce qu’il y avait des liens vers les forges, comment est-ce que ça fonctionnait ?
Matthieu Faure : Dans les différents catalogues qu’on a eu l’occasion de voir, il y avait des catalogues qui étaient très techniques, on l’a mentionné, et des catalogues qui partaient, en fait, des forges, donc qui étaient très orientés développeurs, c’étaient des catalogues à l’intention des développeurs de logiciels libres ou des développeurs tout court, mais qui, pour le coup, étaient très éloignés de nos considérations qui sont les considérations métiers. Il y avait effectivement des catalogues qui étaient, entre guillemets, ni plus ni moins qu’« une manière d’automatiser le catalogage » sur GitHub ou Gitlab, ce qui a de la valeur, indéniablement. Par contre, la valeur ajoutée est un petit peu limitée quand il s’agit de parler des métiers.
Bertrand Lemaire : Donc, à l’inverse, beaucoup de catalogues aussi avec des packages tout prêts à installer et une fiche descriptive, un mode d’emploi, etc. ?
Matthieu Faure : Ça dépendait des catalogues. Là j’ai parlé des catalogues qui étaient très techniques. Il y avait des catalogues qui étaient un petit peu plus, en anglais on dirait curated, affinés à la main, avec des solutions métiers qui étaient sélectionnées, j’ai envie de dire à la pince à épiler par quelques chefs éditoriaux en disant « telle solution fonctionne, telle solution fonctionne ». La limite de ces catalogues c’est, qu’au final, ils ne sont pas très remplis parce que le nombre de solutions se compte en dizaines, peut-être une cinquantaine, on atteint difficilement la centaine, alors qu’au Comptoir on a plus de 400 logiciels qui sont référencés. On se retrouvait à devoir trouver un équilibre, à arriver à trouver un entre-deux entre ce qui est complètement automatisé, où là on est dans des milliers de solutions, et ce qui est complètement manuel, où on est dans la dizaine de solutions et d’arriver.
Bertrand Lemaire : Le fameux catalogue Framalibre [7] de Framasoft [8] est, par exemple, à la fois très descriptif, mais avec un lien direct pour télécharger. En fait c’est ce qu’il y a de plus de pratique pour un utilisateur ; moi je l’utilise assez souvent.
Matthieu Faure : C’est vrai. Le catalogue Framalibre est indéniablement très pratique. Mais Framalibre, comme son nom l’indique, est là pour recenser les logiciels libres, point, les logiciels libres tout court ; il n’y a pas cette composante métier et encore moins cette composante des collectivités. C’est ce qui différencie fondamentalement le Comptoir du Libre de Framalibre. Framalibre est quelque chose de généraliste alors que le Comptoir du Libre est vraiment sur les métiers des collectivités.
Bertrand Lemaire : Parfait. Merci.