Bonjour à tous et merci de m’avoir donné la parole pour cette fin, la clôture de cette belle conférence qu’a été Cloud Nord. On va parler de souveraineté dans le marché du cloud computing.
Rapidement qui suis-je ? Je m’appelle Quentin Adam, je dirige une boîte qui s’appelle Clever Cloud [1]. J’ai ce pseudo Twitter bizarre, waxzce, et j’ai aussi l’honneur de coprésider l’OIP, l’Open Internet Project [2], qui est le rassemblement de plusieurs acteurs qui défendent la privacy et la libre concurrence dans les business numériques en Europe.
Clever Cloud, pour ceux qui ne savent pas ce que c’est, c’est un produit, c’est une plateforme de cloud et c’est également quelque chose que vous pouvez avoir en on-premise qui automatise beaucoup de choses dans le travail de la gestion des infrastructures, autrement dit les développeurs git push et, à partir de ce moment-là, tous les processus de déploiement et de maintien en conditions opérationnelles sont faits en automatique. À la grande époque ça s’est appelé Platform as a Service, aujourd’hui on dirait plutôt du serverless, pas dans le sens où on a supprimé le serveur mais dans le sens où il y a moins d’administration serveur à faire, donc nous sommes un des acteurs du cloud computing européen. Nous avons refusé plusieurs fois de vendre la boîte à des entreprises non européennes parce que nous voulons créer un marché du cloud computing en Europe. Je pense que c’est important de le dire parce que c’est de là que je pars dans ma réflexion.
La souveraineté est un sujet qui est à la fois très important et qui est complexe. Il ne faut pas le prendre comme étant une conférence au sens où j’explique ce que c’est, c’est plus une invitation au débat. Il faut vraiment regarder le sujet avec un œil neuf pour essayer de comprendre ce qui nous arrive et structurer une réflexion dans le long terme pour aller dans le bon sens.
Littéralement, si on regarde le sujet, on va se demander quelle est la chaîne de valeur d’une plateforme de cloud computing. Quand on dit « chaîne de valeur », l’idée est de prendre les composantes qui génèrent la valeur et le revenu dans ces marchés-là.
Vous avez une partie du revenu qui va être très BTP :
vous avez le datacenter, c’est du bâtiment ;
vous avez ce qu’on appelle le cooling, c’est le refroidissement, c’est tout ce qui est climatisation, etc., ce sont des machines qui permettent de faire ça, il faut les fabriquer, les acheter ;
vous avez toute la gestion de la régulation électrique au sein du datacenter, tout ce qui va être la mi-room, le core routing de cette typologie-là d’infrastructure.
L’autre partie du business, une fois que vous avez un datacenter, c’est de rentrer dedans de l’électricité qu’il faut produire puis consommer.
Ensuite vous avez des gens, en général on appelle les gens qui sont dans le datacenter des remote hand, ce sont des gens dont le travail est d’aller intervenir sur les machines en général sur des webcams. Quand on dit remote hand c’est vraiment ça, c’est-à-dire que ce sont des gens à qui on dit « tu prends le disque numéro DB65 dans le stock tant, il y a un disque dur qui clignote en rouge dans la baie tant, tu arraches le disque, tu mets le disque à la place et tu replaces le disque abîmé dans le stock ». Ce sont des tâches relativement sommaires et très cadrées qu’on donne aux gens. Et puis il y a tous les gens qui travaillent sur les parties certifications des datacenters.
En hardware vous avez les serveurs, vous avez les systèmes de routeurs, vous avez les baies en elles-mêmes, vous avez un certain nombre de fabrications de hardware propres au datacenter.
En software vous avez toute la stack qui permet de faire du cloud computing. Vous avez la gestion du contrôle d’accès, la virtualisation, les OS, le contrôle de logs, de monitoring, etc.
C’est l’ensemble de ça qui forme, au global, du cloud computing.
Quand on parle de ce marché-là, on va essayer de se concentrer sur ce qu’on va appeler le marché de l’hébergement, c’est-à-dire juste avant le SaaS [Software as a Service]. Pourquoi ? Parce si on parle globalement hébergement, le IaaS [Infrastructure as a Service], le PaaS [Platform as a service], tout ça c’est le marché hébergement.
Le SaaS ça va être des marchés un peu plus compliqués à toucher puisque, en général, ils ont un rapport avec d’autres typologies de marché. Si on fait un logiciel qui gère des salles de spectacle, le fait qu’il soit en SaaS ce n’est pas tant un système d’hébergement que le fait qu’il soit en compétition avec le marché des logiciels de gestion de salles de spectacle. C’est pour ça que quand je vais parler de marché, je vais souvent me référer globalement à ce qu’est le hosting market donc on va s’arrêter juste avant le SaaS, bien qu’une grande partie de ce que je vais raconter pourrait s’appliquer à une typologie du SaaS qu’on pourrait qualifier d’infrastructure : les mails, le directory des employés, le calendrier, stocker des fichiers sur un disque, tout ça c’est un peu le bread and butter de toute entreprise, de toute organisation. On pourrait quasiment appeler ça de l’infrastructure au sens où tout le monde en a. Là je suis clairement en train de parler d’Office 365 et de Google Apps, donc une partie de ce que je vais dire sur le marché s’applique complètement à ça, c’est-à-dire que c’est le soft que tout le monde utilise et dont tout le monde a besoin.
Dans la chaîne de valeur il y a plusieurs choses à regarder.
La plupart des choses sont vues comme des investissements. Quand on fait ce genre de business on calcule leur coût en les amortissant sur plusieurs années, en général adossés à des prêts ou à des emprunts obligataires, c’est un peu plus toutchy, en général adossés à des prêts qui vont globalement permettre de payer quelque chose dans le temps. Un bâtiment se paye sur 15 ans, les trucs qui sont industriels genre la climatisation, les gros répartiteurs électriques ça va être sur 10 ans, la plupart du matériel réseau s’amortit sur cinq, une partie des serveurs s’amortit sur cinq, l’autre partie sur trois. Par exemple chez Clever on utilise beaucoup de blade system, ce sont les gros serveurs dans lesquels on vient enchâsser des serveurs en blade, chez nous on utilise beaucoup des HPE Synergie. L’enclosure, le truc dans lequel on vient enchâsser s’amortit facilement sur cinq ans parce qu’il bouge très peu, là où, en général, on amortit le serveur sur trois. Un serveur amortit ne veut pas dire qu’il est automatiquement dé-provisionné, on peut très bien le garder en provision. On continue à utiliser un serveur amorti c’est juste qu’on arrête de le payer, il rentre juste dans la compta comme ça.
Pourquoi c’est important de dire ça ?, parce que tout ça ce sont des choses physiques qu’on achète.
Le software, lui, quelque part, rapporte de l’argent pour l’éternité. C’est le point important avec le software : le soft c’est quelque chose qui a une vraie capacité de rendement dans le temps, je l’avais déjà expliqué dans une conférence qui s’appelait How the book keeper fucked up my IT management [3]. Je pense que le soft est un asset industriel extrêmement important qui perturbe aujourd’hui dramatiquement notre économie. Je me permets de faire un détour là-dessus. En économie, il y a un truc qui dit que tout rendement du capital est décroissant, c’est-à-dire que quand on a beaucoup de capital et qu’on l’investit pour faire une activité, le rendement qu’on a au-dessus de ce capital-là décroît en général dans le temps. On a acheté les meilleurs terrains en agriculture, donc plus on va continuer à cultiver des terrains moins ils ont être bons, parce que quand on fait de l’industrie on a pris tous les meilleurs employés, donc petit à petit on a des ouvriers de moins en moins qualifiés, des ressources en matières premières de moins en moins bonnes. C’est tout ça qui fait qu’en général le rendement en capital baisse au fur et à mesure que tu mets du capital et plus ton capital reste dans le temps plus il baisse puisqu’en fait tu as l’usure de ce que tu as acheté au démarrage. Et puis tu as des nouvelles générations techniques qui viennent lutter contre toi et qui amènent des nouveautés que tu n’as pas. Le rendement décroissant du capital est une des règles.
En informatique on est face à un cas un peu particulier, l’idée c’est qu’on a un rendement croissant du capital. Ça donne des boîtes dont la valorisation va monter de façon de plus en plus forte et quasi exponentielle dans le temps, parce qu’elles rapportent de plus en plus d’argent : un dollar investit en année 1 va rapporter de plus en plus de dollars, voire dépasser le capital mis au démarrage en rendement. C’est une chose importante qui concerne Tesla, Facebook, Google, Microsoft. Ce sont des boîtes dont le capital a un rendement croissant et c’est une perturbation, c’est une anomalie économique qu’il faut expliquer et qu’on peut démontrer facilement. Si vous prenez le Nasdaq, le Nasdaq est un peu l’antichambre du New York Stock Exchange, c’est un endroit de cotation qui est vécu comme étant l’endroit où on va mettre en cotation les boîtes qui vont devenir quelque chose. Toutes les boîtes qui rentrent en cotation rentrent en général par le Nasdaq aux États-Unis, donc toutes les boîtes des nouvelles technologies sont entrées sur le Nasdaq. Il se trouve qu’après le Nasdaq fait tout pour que les boîtes ne partent pas au New York Stock Exchange mais restent au Nasdaq ; ce sont des entreprises, elles ont une compétition comme les autres, les Teekers ne sont jamais que des entreprises. Je vous laisse vous intéresser à ce marché-là si vous avez envie de vous renseigner. Le Nasdaq, du coup, possède en lui-même beaucoup de valeurs technologiques. On voit que la cotation globale du Nasdaq prend une forme de courbe exponentielle pour exactement cette question-là, le rendement croissant du capital, qui est une question hyper-pertinente à se poser dans le cas présent.
Un autre exemple. Là vous avez les boîtes de 2005 qui sont en tête de la bourse et qui sont, en plus, des boîtes américaines et vous avez les boîtes de 2021 avec leur rapport de valorisation comparé. On voit que la valorisation des boîtes les plus riches de 2021 est énormément plus grande que celle des boîtes de 2005, mais surtout qu’en 2005 on a General Electric qui est un conglomérat industriel, Exxon Mobil qui fait dans le pétrole et l’énergie, Microsoft est la seule boîte d’IT, Citigroup c’est de la finance, c’est une grosse banque, British Petroleum c’est pétrole et énergie, Walmart c’est du retail, on a la Royal Dutch Shell c’est encore pétrole et énergie et Johnson and Johnson c’est de la santé.
2021 qu’est-ce qu’on a derrière ? On a Apple, Microsoft ; Saudi Aramco est la seule boîte qui n’est pas du secteur technologique c’est une boîte pétrole et énergie. Ensuite Amazon, Alphabet donc Google, Facebook, Tencent. En dernier vous avez Tesla qui est certes une boîte du secteur automobile mais qui est quand même créée par un entrepreneur de la tech et qui est une boîte où vous avez un software qui habille une voiture, mais à la base la racine de Tesla c’est de faire du soft pour créer des voitures.
On voit que les boîtes de l’IT ont pris le haut du classement à cause de cette notion de rendement du capital qui est croissant et qui est hyper-pertinente à présent.
Si je résume, et je l’ai déjà dit plusieurs fois, le logiciel c’est la révolution industrielle de la prestation intellectuelle et c’est une chose qu’il faut vraiment se mettre en tête : dans sa façon de gérer le sujet, le logiciel va nécessairement avoir un impact délirant sur la totalité des industries. Considérer aujourd’hui le logiciel comme de l’industrie classique ce n’est pas du tout la bonne approche, c’est une révolution industrielle et il faut immédiatement rentrer dedans sinon on aura un problème.
C’est pour ça que posséder le logiciel est si important parce que ce sera du rendement financier pur. À échelle d’un pays, si on ne possède pas les logiciels qu’on gère, on manque du rendement et, si jamais on paye le logiciel à d’autres, on donne du rendement gratuit puisqu’il n’y a pas de coûts de production associé au logiciel, c’est un rendement croissant, qui vient, et il n’y a pas de discussion.
Maintenant, si on le regarde sous l’angle du business du cloud computing, regardons-le de façon très simple.
Je vous ai mis les prix d’AWS Lambda, donc une couche logicielle d’AWS, vous avez un prix par million de requêtes, etc., c’est un peu compliqué, j’ai viré ça, j’ai juste pris le prix par minute et milliseconde.
De l’autre côté je vous mets des compute notes de chez OVH qui sont littéralement la même chose, vous avez la capacité équivalente en ressources, en admettant que j’aie dégagé cette histoire de prix par million par requêtes, c’était trop chiant à simuler, on atterrit à un facteur de fois 6, c’est-à-dire que les ressources Amazon coûtent six fois plus cher que les ressources OVH. La question c’est que payes-tu quand tu achètes du Lambda ? D’un côté, vu que tu payes à la milliseconde par rapport à l’heure, tu payes effectivement le coût de ne pas t’engager donc tu payes un coût d’augmentation du risque, c’est sûr, mais il n’est pas si énorme que ça. Après la question c’est est-ce que tu payes le hardware qu’Amazon achèterait beaucoup plus cher que Google ? La question c’est est-ce que Amazon qui vient du retail est tellement plus mauvais à acheter du matos par rapport à OVH ou pas ? Je vous laisse répondre à la question, c’est très drôle de penser qu’Amazon pourrait acheter moins bien son hardware qu’OVH, ou alors on achète le soft.
Littéralement ce qu’on achète quand on achète cette typologie-là de produit, c’est le logiciel, c’est ça que les gens achètent et c’est ça qui a de la valeur. Du coup quels impacts ça a ? Si on se pose sur la notion de chaîne de valeur de l’investissement et qu’on essaye de la qualifier, je reprends ma chaîne de valeur : j’avais du datacenter, de l’électricité, du HR, du hardware, du software. On peut caler globalement le datacenter et le hardware dans la catégorie investissements d’infrastructure avec, en plus, comme je vous l’ai expliqué, des taux d’amortissement. On va caler l’électricité et la ressource humaine dans le runtime, dans le run, dans l’opération au quotidien de ce truc-là qui permet à des remote hand de bosser mais tout ça c’est du run de l’opération et ensuite on va mettre le software.
Les gens qui font les infrastructures sont des gens dont la vision marché est de se concentrer sur leur activité ; c’est normal c’est humain, tout le monde se concentre sur son activité. Eux construisent des datacenters, ils mettent des serveurs dedans, ils vous les louent. Eux voient l’infrastructure puisque pour eux le logiciel a toujours été « on va télécharger Ubuntu », les mecs le posent au bout, à la fin, et on a juste un truc qu’ils facturent au mensuel. En fait le soft est la portion congrue, selon eux, de la vision valeur du truc.
Dans le cloud computing le soft n’est pas la portion congrue. Ce qui est dommage c’est qu’en centrant tout sur l’infrastructure on met des œillères et on ne comprend pas que le marché c’est le soft. Ce qu’on achète chez Amazon ce ne sont pas des machines virtuelles, tout le monde sait faire des machines virtuelles. Ce qu’on achète c’est l’identifiant bien centralisé par personne, la trace d’audit de qui fait quoi, la facturation à la seconde, ce sont tous les services additionnels qui vont dessus, c’est ça qui prend de la valeur et c’est ça qui a la valeur d’achat. ce que les gens achètent chez Amazon ce n’est pas du hardware, ils ne savent même pas ce que c’est comme hardware, ce qu’ils achètent c’est le logiciel qui fait ça et plus ça va plus ils achètent de logiciel. C’est-à-dire qu’on utilise de plus en plus des produits avec une valeur hyper-élevée et de plus en plus abstraite, des databases as a service ou des cloud databases, du Lambda, des systèmes IOT, en fait on va de plus en plus vers une abstraction et une notion servicielle qui est fournie au-dessus de l’infrastructure. Du coup ça nous donne une part de plus en plus forte du soft à l’intérieur de cette valorisation-là de la chaîne de valeur.
Aujourd’hui, cette part de plus en plus importante du soft est sous-estimée dans la notion de plan cloud à la française parce que les gens à qui on demande de faire du cloud ne sont pas les gens qui ont fait du cloud aux États-Unis : Google vient du moteur de recherche, du mail, etc., ce sont des fabricants de logiciels ; Amazon.com ce sont des fabricants de logiciels, je vous renvoie au mail absolument pertinent de Jeff Bezos sur l’architecture services qu’il faut adapter pour Amazon et qui a donné Amazon Web Services. On a demandé à nos hébergeurs de faire des choses, les gens qui, aux États-Unis, ont disparu sous les vagues du cloud. Eux voient l’infrastructure puisque c’est leur métier, ils sont obnubilés par ça, au lieu de se dire que ce qu’on doit faire c’est du soft et on va habiller ça de hardware. Exactement comme quand on a fait un dispositif médical qui s’appelle le MakAir où on a créé un logiciel qui fait respirer les gens et on l’a habillé de hardware.
En fait, quand on parle de révolution industrielle posée par le hardware c’est exactement ça : le logiciel est au centre et la valeur vient avant tout du logiciel. C’est une chose qui est très importante c’est ce qu’on appelle Software is eating the world ; la personne qui a dit ça s’appelle Marc Andreessen Horowitz [4]. Cette personne a dit que le logiciel, petit à petit, va prendre l’ensemble des activités du monde et les intégrer au sein de son fonctionnement. C’est une mécanique qui fait que petit à petit la révolution industrielle de la prestation intellectuelle fait que de plus en plus d’activités migrent dans le logiciel et le logiciel prend l’ensemble du marché sur plein de sujets.
On comprend que c’est une mécanique qui est liée au fonctionnement-même de cette économie. Essayez de construire Facebook sans logiciel et sans technologie. Prenez des gens qui sont des crieurs publics et des coursiers, qui vont porter des messages, et vous reproduisez l’infrastructure informationnelle de Facebook. Ça n’est pas possible, ça coûte beaucoup trop cher, c’est structurellement pas capable d’opérer. Alors que Facebook rapporte beaucoup d’argent grâce au rendement croissant du logiciel.
À chaque fois que vous regardez un sujet économique, vous devez le reproduire sans automatisation de la prestation intellectuelle et des capacités de communication qui sont fournies par l’informatique. C’est pour ça que tout a changé dans cette industrie-là.
Que veut dire cette chaîne de valeur-là d’un point de vue du cloud business quand on est un Français ou un Européen ? C’est un point important. Le datacenter oui, on sait produire du ciment, construire du ciment. Les machines de refroidissement et d’électricité en général ça va être plutôt être Pays-Bas, beaucoup Allemagne, bien qu’en France on ait Schneider Electric qui est assez français dans sa capitalisation ; le core routing c’est clairement américain ; c’est nous qui produisons l’électricité et en France on est très bien, c’est du nucléaire, ça ne coûte pas cher, c’est globalement propre donc en électricité on est bien, c’est local. Les ressources humaines, oui, mais c’est la portion congrue et il n’y a pas beaucoup de choses, donc c’est local. Le hardware, tout ce qui est serveurs, aujourd’hui on a perdu la plupart de nos fondeurs et constructeurs même si on lutte, nous, nous travaillons en collaboration avec des fondeurs européens pour construire des bouts spécifiques de notre infrastructure et aller de plus en plus loin, ce qui est un modèle que tous les clouds providers font. Aujourd’hui Amazon a un produit qui s’appelle Nitro en interne, c’est ce qui fournit l’interconnexion réseau/stockage, c’est du silicium maison Amazon, en fait tout le monde va vers ça, donc nous aussi, mais la plupart du hardware, soyons francs, est produit dans le Sud-Est asiatique avec ou sans API américaines, mais c’est quand même l’essentiel de l’endroit dans lequel il est produit, donc c’est globalement perdu pour nous dans le marché.
Ensuite il y a le logiciel.
Comme je vous l’ai expliqué, en fait le cloud ce n’est pas de l’infra, c’est du soft. Le cloud c’est du soft, de A à Z. Le cloud computing c’est du logiciel, c’est juste que tu l’habilles avec un peu de hardware, mais la racine de ce qui fait de l’argent, de ce qui fait de la valeur dans le cloud computing c’est du soft. La grande question à se poser c’est est-ce que nous sommes bons en software, notamment en France est-ce que nous sommes bons en logiciel ? En fait on nous pique des ingénieurs sur la planète entière, on a plein d’ingénieurs et toutes les grosses boîtes viennent installer un centre de R&D chez nous. Je pense qu’on peut assez rationnellement dire que nous sommes très bons en logiciel en France. Du coup ce serait dommage de ne pas se mettre à fond sur ce marché-là parce que nous avons de très bons développeurs. Tout le monde nous les pique, l’ambiance est bonne, on est un des pays avec les plus belles conférences, le plus gros Devops D-Day du monde est en France. La France est un pays de développeurs. Il y a un sujet qui est de se dire pourquoi ? Parce que si dans la chaîne de valeur on abandonne ce qui rapporte le plus d’argent, ça veut dire que pour l’éternité on abandonne cet argent-là.
Je voudrais juste qu’on parle rapidement du marché pour être bien sûr qu’on se comprend. C’est une première étude que je vous propose, le marché du cloud computing, aujourd’hui, est un marché qui fait 27 % de ce qui se fera en 2028 selon cette première étude, je vous invite à aller la regarder [5]. Évidemment ce sont des forecasts, on regarde dans des boules de cristal, ce qui veut dire en clair que ce n’est pas un marché très fermé, puisqu’il y a encore 75 % du marché à aller chercher.
Une autre étude [6] dit que l’annual growth rate va être de 20 %, autrement dit la croissance de ce marché-là va être de 20 % tous les ans, ça veut dire qu’il y a 20 % du marché qui se rajoute tous les ans.
C’est pareil, ce sont des croissances énormes de marché, en fait ce sont des marchés qui sont très libres.
Une autre étude [7] dit qu’aujourd’hui on est à 20 % de ce qu’on sera en 2030 en taille de marché.
Que peut-on conclure de tous ces chiffres-là ? C’est qu’en fait la guerre du cloud n’est pas perdue, elle n’a pas commencé ! Vous êtes dans un marché qui n’a pas été structuré. Aujourd’hui c’est un océan bleu. Donc quand les lobbyistes, notamment de Microsoft, d’Amazon, etc., passent leur temps à laver le cerveau de nos dirigeants en disant « sur le cloud c’est déjà fait, vous avez besoin de nous, on possède déjà le marché », ce n’est pas vrai ! La meilleure façon de perdre une guerre c’est de ne pas mettre d’armée sur le terrain et aujourd’hui c’est ce qu’on fait parce qu’on nous dit « vous êtes trop faibles ». En fait le marché n’a pas commencé, cette guerre n’a pas commencé. On se fait enfermer dans une posture intellectuelle qui n’est pas la bonne. C’est un marché qui est un océan bleu et plus il y aura de poissons dans la mer mieux on va se répartir plutôt que de se retrouver avec trois/quatre grosses baleines qui empêcheront tout le reste du marché d’exister et deviendront une situation de tripôle, quadrupôle un peu dégoûtante qui est la plus mauvaise des postures économiques qu’on puisse imaginer puisque, du coup, ça fait une entente de marché. On appelle ça un cartel si vous préférez, donc ce n’est pas du tout une bonne chose. Il faut au contraire multiplier les acteurs sur ce marché-là pour le rendre performant et intéressant. La question c’est pourquoi est-ce que c’est important ?
On pourrait se dire, pour finir, qu’on s’en fout, que ce n’est pas très grave, on n’a qu’à abandonner ce marché-là. La raison pour laquelle c’est important c’est que d’abord tous les futurs business qui vont se monter au-dessus de cette révolution industrielle de la prestation intellectuelle qu’est l’IT mais également toutes celles de l’industrie 4.0, le renouvellement de l’industrie, etc., tous ces sujets-là vont en fait être construits autour de capacités d’utilisation de cloud. Tout ce marché va reposer en entier sur ce business-là. Si on n’est pas capables de capter une part ça veut dire qu’à chaque fois qu’on créera un business on aura une taxe d’une portion de ce business-là qui va partir systématiquement à l’étranger. Dans la chaîne de valeur, en fait on se supprime une partie de la marge à échelle étatique ou supra-étatique dans le cadre européen. C’est un sujet qui est très important parce que c’est s’appauvrir. Or on a déjà une balance commerciale qui est déficitaire. La balance commerciale, pour la faire très courte, ou la balance des paiements courants en fonction de la façon dont on veut regarder le sujet, ce sont les choses qui rentrent par notre export, donc l’argent qui rentre par l’export, versus l’argent qui sort par notre capacité d’importation. Aujourd’hui on a une balance déficitaire, autrement dit on achète plus de choses qu’on en vend à l’extérieur. Je n’ai pas besoin de vous faire un dessin, ça s’appelle s’appauvrir. Quand on dépense plus d’argent qu’on en gagne on s’appauvrit. En fait aujourd’hui on s’appauvrit. Avec un modèle où on perdrait systématiquement, à échelle étatique, une partie de la marge, on génère une capacité à s’appauvrir au quotidien. Et c’est quelque chose qui, à mon avis, est une erreur stratégique.
Ensuite c’est un sujet taxe. Le sujet taxe quel est-il ? Aujourd’hui les taxes c’est ce qui permet de payer les routes qui permettent à Amazon.com de se développer, qui permettent de payer le réseau de fibres et de télécoms du pays qui a permis à Google, à Facebook, etc., de se développer, tout ça c’est de l’investissement public, mais c’est également ce qui paye les écoles, c’est ce qui paye les hôpitaux, c’est ce qui paye la protection policière. Tous les services publics reposent sur le fait que les entreprises payent des taxes. Or la totalité des gens américains dont nous parlons depuis le début sont des boîtes qui pratiquent une optimisation fiscale. Attention, je ne dis pas que c’est illégal, je dis que c’est immoral. Vu de leur poche ce n’est pas immoral ! Les mecs sont Américains, du coup ils font des trucs d’Américain, ils profitent à l’Amérique. Mais nous nous sommes français, nous vivons en France. Le pays dans lequel on a à manger, le pays dans lequel nos enfants vont à l’école, le pays dans lequel on roule sur des routes qui sont entretenues par les taxes, tout ça c’est le nôtre. Si on utilise des produits qui ne payent jamais les taxes, en fait on appauvrit aussi la structure qui nous fournit ce cadre de vie-là et c’est à mon avis dramatique.
Le deuxième point c’est de dire que, par ailleurs, les fournisseurs français comme moi payons nos taxes en France, nous les payons au tarif fort et ça crée aussi un problème distorsion de concurrence dont on pourra parler. C’est très important de se dire qu’à un moment acheter local c’est aussi acheter pour payer des taxes chez nous. Payer des taxes à nos pays, on peut payer des taxes aux pays européens, surtout qu’il y a des efforts fiscaux entre les pays européens, ça génère aussi de la qualité de cadre de vie pour nous et ça c’est important.
Ensuite il y a la petite notion d’espionnage. Je sais qu’on nous dit que l’espionnage n’existe pas, que les Américains sont nos alliés. On vient d’avoir une petite histoire de sous-marins un peu compliquée. Il y a une très belle boîte qui permettait de regarder les sous-sols pétrolifères, de les analyser, qui a été achetée à la baisse par les États-Unis, les Texans, de la même façon que Alstom. Reprenez le sujet Alstom, il existe une très belle interview du numéro 3 d’Alstom ainsi qu’un livre qui explique comment Alstom a été achetée en utilisant des méthodes je dirais peu conventionnelles et à la limite du piratage. oui, les Américains sont nos alliés mais ce sont des alliés qui ont leurs intérêts en tête. Quand je dis ça je ne suis pas en train de les critiquer, je trouve que les gens de la NSA font très bien leur travail. C’est juste que les gens de la NSA ont un travail qui n’est pas aligné sur nos intérêts. Leur travail est aligné sur les intérêts américains et nous sommes Français. À un moment donné, est-ce que les gens qui bossent là-bas, qui ont monté les programmes ECHELON [8], qui ont monté les programmes d’intelligence économique qui font la rentabilité des États-Unis ont bien bossé ? Oui. Le problème c’est qu’ils ne bossent pas pour nous. C’est une chose importante à voir. Ce sont des alliés et quand on veut avoir un bon rapport avec ses alliés, il faut un rapport de force, c’est-à-dire que les alliés sont alliés parce qu’ils ont une sorte de pied d’égalité. Quand on se met en défaveur de ses alliés on devient leur vassal. C’est très important.
Dernier point ce sont les talents. Les talents c’est quelque chose d’important. Aujourd’hui on sait tous que l’industrie informatique va continuer à se déployer, on sait tous que c’est l’enfer de recruter. Pourquoi c’est l’enfer de recruter ?, parce qu’il y a besoin de gens. Si on détruit des compétences en utilisant systématiquement des capacités importées, on va détruire notre capacité à faire des choses sur notre territoire, on va détruire la capacité de nos boîtes à créer. Je n’ai pas envie d’être désagréable mais c’est quand même un peu ce qui s’est passé dans l’industrie. J’ai l’impression de revivre la même chose où on nous dit « ce n’est pas grave, on va mettre tout ça là-bas, ailleurs dans le monde » et après on se rend compte que chez nous on ne sait plus bobiner un moteur, on se rend compte qu’on ne sait plus produire de masques, on se rend compte qu’on ne sait plus produire de vaccins. À un moment donné il faut quand même se dire qu’il y a là un sujet à regarder qui est comment on garde des compétences chez nous pour ne pas rester dans une situation appauvrie. C’est un point très important. Vu qu’on a déjà appris avec la désindustrialisation, ça me paraît très important qu’on regarde ces choses-là de façon pertinente et intelligente et qu’on n’oublie pas les leçons qu’on a pu apprendre par le passé.
Il y a un dernier point qui est de parler de la compétition. Il y a des règles sur la façon dont on fait un marché : est-ce qu’on a le droit de vendre à perte ? Non, tu n’as pas le droit de vendre à perte parce que ce n’est pas une concurrence libre. Des règles de business existent pour que la compétition permette au marché de se déployer en ayant le meilleur pour les consommateurs. On peut remettre en cause le modèle économique, ce n’est pas la question, l’idée n’est pas là. Il y a des lois sur la compétition libre et non faussée, il y a notamment des lois qui ne permettent pas de créer des monopoles parce que les monopoles sont toujours mauvais, à terme, pour les consommateurs.
Est-ce qu’on a la libre concurrence aujourd’hui dans les métiers de l’informatique et de l’Internet ? Pas toujours. On a des acteurs qui font ce qu’on appelle de l’abus de position dominante. Un abus de position dominante c’est quoi ? Vous êtes au début du confinement tout le monde va se retrouver en télétravail et là, d’un seul coup, mise à jour dans Google, on va vous pousser Google Meet comme vous ne l’avez jamais vu. Il est partout et vous ne pouvez rien faire, vous créez un évènement vous avez nécessairement Google Meet. En fait, à ce moment-là, Google n’existe pas sur le marché de la téléconférence. Des concurrents tels que Zoom [9] se retrouvent obligés de dire « en fait ils se servent de leur position dominante sur le marché pour m’empêcher à accéder au marché. C’est un abus de position dominante » et Teams a fait exactement la même chose chez Microsoft. C’est un abus de position dominante. Ce n’est pas moi que le dis. Google s’est fait condamner plein de fois pour abus de position dominante, Microsoft aussi. La dernière fois c’est Google Shopping, il y a 12 ans vous avez Kelkoo, LeGuide, etc., on se demande comment on va acheter des trucs sur Internet. Google arrive, fait Google Shopping et impose Google Shopping. Les autres l’attaquent et 12 ans plus tard, je suis bien placé pour le savoir puisque dans les parties civiles il y a l’Open Internet Project, bien après je récupère la coprésidence du truc et je constate qu’on gagne le procès contre Google et que Google n’avait pas le droit de faire ce qu’il a fait avec Google Shopping parce que c’était une entrave à la libre concurrence et un abus de position de position dominante, sauf que les Kelkoo, LeGuide, etc., en fait le marché du moteur de recherche Shopping s’est fait détruire. Ce qui est très drôle c’est qu’en plus Google dit « depuis j’ai été attaqué par Amazon, donc on ne peut pas vraiment considérer que c’est un abus de position dominante parce que je n’ai pas nécessairement la position dominante ». Une chose très importante : en droit ce n’est pas parce que tu n’as pas réussi ton coup que tu n’as pas fait de délit ; ça reste un délit. Ne pas respecter les lois de la concurrence c’est un délit.
Donc on a à faire à des boîtes qui passent leur temps à faire de l’abus de position dominante.
Quand Microsoft va voir des grands groupes chez qui on a gagné des contrats et leur dit « si vous venez chez nous on paye une boîte de services pour coder le logiciel, en fait on paye la facture à votre place », c’est un peu une entrave à la libre concurrence. Quand ils prennent des licences en pluriannuel et qu’on leur dit « on va convertir votre contrat de licence en contrat de crédit Microsoft Azure », en fait c’est changer de produit au milieu d’un contrat et c’est une entrave à la libre concurrence puisque nous, du coup, on se retrouve à bosser contre des gens qui font du gratuit pour s’assurer qu’ils détruisent. La compétition loyale n’est pas fournie. Aujourd’hui il faut lutter contre cette façon absolument dégueulasse de créer des structures monopolistiques qui empêchent une concurrence qui va permettre l’innovation, qui va permettre à tout le monde de travailler et de créer des nouvelles choses avec des prix régulés par le marché. Il ne faut pas attaquer la libre concurrence donc il faut qu’on se mette à plusieurs pour réfléchir à comment on peut imposer le fait de respecter la libre concurrence à des gens qui, aujourd’hui, méprisent le droit de façon répétée.
La question qu’on peut se poser c’est comment fait-on pour y aller ? Comment fait-on pour régler cette problématique ? Comment fait-on pour créer une structure souveraine, française et européenne, de cloud ?
La première vision, en tout cas ce que nous faisons chez Clever Cloud, la vision que nous avons c’est dire qu’il faut des solutions radicales, des produits qui sont différents, des choses qui vont permettre aux gens d’appréhender de nouveaux produits.
Pour produire le cloud européen je ne pense pas qu’il faille tenter de courir derrière des produits et faire un copier-coller, d’abord parce que c’est faux. Si vous regardez le revenu d’Amazon vous avez EC2, vous avez le réseau, vous avez S3, vaguement Lambda qui commence à bouffer et après, sur les 600 autres services, vous avez 7 à 8 % du chiffre d’affaires cumulé de la boîte. On voit bien que ce n’est pas nécessairement ça que les gens veulent. Les gens veulent de nouveaux produits, des produits radicaux, des produits qui changent la vision. Chez Clever nous avons toujours eu une vision totalement différente de celle des autres avec un marché très automatisé dans le but d’obtenir une vélocité de développeurs complètement différente. Je ne dis pas que notre produit est le meilleur, je dis juste qu’il est différent, qu’il s’appuie sur une nouvelle vision. Je pense que le cloud européen n’est pas une copie palote du cloud US, c’est une autre vision qui permet d’autres choses aux développeurs, qui permet de l’innovation et qui a une belle approche. Je pense que ce qui est important aujourd’hui c’est de faire des solutions basées sur de la recherche. On ne rattrape pas son retard en faisant le moins-disant, on ne rattrape son retard en faisant des mauvaises solutions, on ne rattrape son retard en quick-and-dirty, quand on fait de la recherche il faut investir. Pour être plus clair il faut investir dans de la tech.
C’est quoi investir dans de la tech ? Sans vouloir être pénible, en France on a un petit problème de schéma décisionnel qui fait que quand on est ingénieur on n’a pas accès aux postes de décision. Quand on est ingénieur on ne nous écoute pas quand on prend une décision. On prend parfois des décisions qui n’ont aucun sens d’un point technique parce que les gens qui sont autour de la table pour prendre les décisions ne comprennent pas ses tenants et aboutissants et j’ai même envie de dire qu’on investit rarement dans des ingés en France. J’ai vécu des tonnes de fois le fait qu’on me dise « c’est très bien ce que vous faites, tu vas passer CTO [Chief Technical Officer], on va recruter un vrai CIO [Chief Information Officer]. » J’aimerais qu’en France on comprenne un truc qui est important c’est que les modèles de boîtes de la tech sont des modèles de boîtes d’ingénieurs. Le seul point commun entre Steve Jobs, Bill Gates, Jeff Bezos, Elon Musk, Larry Page et Sergey Brin, Mark Zuckerberg, tous n’ont qu’un seul point commun, ce sont des ingénieurs, ce sont des techs, ce sont des devs qui comprennent ce dont il s’agit. Ils sont capables de faire des paris qui sont complexes.
Je vais donner un exemple.
Facebook gagnait moins d’argent que ce que rapportait un utilisateur par an ; la dépense IT d’un utilisateur était plus forte que ce qu’il gagnait par utilisateur et ça ne semblait pas troubler Mark Zuckerberg. Pourquoi ? En fait il était conscient que l’un des choix de Facebook qui était de tout baser sur du PHP au démarrage avait été véloce dans la création du logiciel mais posait un gros problème de capacité à faire tourner rapidement les softs, donc il avait mis une équipe à travailler sur le fait de fournir un processus de re-compilation. Overnight, quand ils ont mis en prod HipHop et HHVM, le coût infra est tombé en dessous de ce qu’un utilisateur rapportait. Po [10]. Pour faire ce type de pari, il faut comprendre le pari que tu fais. Oui, tu as mis une équipe de 20 personnes à bosser sur le sujet, mais comme tu comprends pourquoi elles le font et tu comprends comment tu vas rentabiliser, tu es capable de faire ce type de pari.
Quand on voit Elon Musk se balader dans l’usine de SpaceX, on sent qu’il comprend tout ce qui se passe. Je ne dis pas qu’il fait tout, évidemment, ils sont des milliers dans ces boîtes. Par contre il comprend les choix qu’il fait donc il est capable de ne pas faire que des choix conservateurs, mais aussi de faire des choix osés parce qu’il est capable de les assumer. Je pense qu’un point très important à comprendre de cette industrie, c’est que la tech fait parfois prendre de bonnes décisions, donc il y a des décisions qui sont techs, qui sont financièrement techs et c’est ça qui équilibre la balance.
Je pense qu’un point très important c’est qu’on se mette à investir dans les techs.
À mon humble avis, l’autre clef c’est qu’on se mette à travailler ensemble et c’est d’ailleurs ce que font les géants de la Valley. Aujourd’hui un tiers du bénéfice d’Apple est fourni par Google qui paye pour être le moteur de recherche par défaut sur iPhone. Ils se renvoient en permanence de l‘argent tout en étant concurrents. Aujourd’hui, en Europe, on a un manque de culture du travail en commun. Je pense qu’il faut packager nos solutions ensemble pour pouvoir filer des solutions end user qui intéressent les gens au final. C’est un point qui me semble extrêmement important, dire « OK, comment fait-on pour travailler ensemble et revendre les solutions ? »
Chez Clever on a une attitude notamment vis-à-vis des fournisseurs de logiciels qui est de dire « on va vous revendre et on va faire un bon deal », c’est pour ça qu’on est le seul fournisseur d’Elastic Premium européen. Nous nous sommes entendus avec Elasticsearch [11] parce qu’on a cette vision revendeur, on a cette vision du contrat partenarial.
II faut que les Européens arrivent à bosser ensemble plutôt qu’essayer d’être le petit roi au milieu de son château. Il faut accepter de travailler ensemble, de packager les solutions pour un bénéfice de la totalité de nos clients. C’est une collaboration et cette collaboration me paraît importante.
La collaboration va aussi dans la capacité à dire « OK, on a un truc à faire et c’est un sujet important ». Prenons un exemple au pif : on a une plateforme à faire pour mettre toutes les données de santé des Français, on ne va pas évaluer les solutions sur étagère, on va prendre les leaders technologiques qu’on a sur le territoire, les mettre autour d’une table et leur dire « on a besoin de cette plateforme, construisez-la, faites-là pour nous, vous êtes obligés de collaborer parce qu’on veut que ce soit une plateforme européenne. Nous allons vous obliger à collaborer pour que ce soit bien ». C’est ce que font les États-Unis, les États-Unis font de la commande publique majeure pour être là, c’est ce qui est arrivé à SpaceX. SpaceX a reçu une énorme commande de la NASA, qu’on leur a achetée, parce que, à un moment donné, les États-Unis voulaient envoyer eux-mêmes leurs satellites. Cette capacité de collaboration qui est forcée serait, à mon humble avis, une bonne chose : quand on a un sujet important on s’oblige à le faire de la bonne façon.
Pour finir, pour tout le monde, il faut utiliser les solutions européennes. Je ne vous demande pas de nous acheter, je vous demande d’essayer nos solutions, je vous demande de nous donner une chance, je vous demande d’arrêter de fermer le marché avant qu’on soit dessus. Donnez-nous une chance de prouver qu’on sait faire le boulot, essayez notre solution, expliquez-nous où notre solution n’est pas assez bonne, essayez les solutions d’OVH, de Scalingo, de Scaleway, de Hetzner, essayez des solutions parce qu’il est important que vous ne nous sortiez pas du jeu par défaut. L’un des plus gros problèmes qu’on rencontre aujourd’hui c’est qu’à la fin ça devient un concours entre Microsoft, Google et Amazon parce qu’on a été sortis du marché. Il est important de nous garder dans le marché. Il est important aussi d’être multi-cloud, il est important de donner une chance, de dire « cette solution n’est peut-être pas exactement ce que je veux aujourd’hui, je vais leur faire le feed-back de ce qui manque et la garder sous le coude, m’assurer qu’ils continuent à progresser pour, un jour, pouvoir l’utiliser ». Il faut construire sa chaîne de valeur sur de la confiance.
Quand on fait de l’industrie, on crée des chaînes de fournisseurs de rang x, de rang n, vous avez les gens qui vous fournissent le PCB [circuit imprimé] quand vous faites un circuit électronique, les gens qui vous fournissent les petites résistances à mettre dessus, en fait les gens qui fournissent les résistances ont eux-mêmes des fournisseurs de matériau raffiné, etc. Tout ce travail qui est fait, est un travail où tu crées ta chaîne de valeur et tu crées ta chaîne de valeur en t’appuyant sur la confiance que ton fournisseur va bien faire le boulot et qu’il ne va pas essayer de te doubler. Aujourd’hui quand j’entends des banques et des assurances utiliser Amazon et Google qui ont publiquement dit qu’ils allaient lancer des banques et des assurances dans les années à venir, je me pose des questions tout à fait sincères. Tu ne peux pas construire de chaîne de valeur avec ces gens-là. Construire une chaîne de valeur c’est une capacité de t’appuyer sur tes fournisseurs et tes partenaires dans le long terme, c’est comme ça qu’on construit une chaîne de valeur. Aujourd’hui il faut réfléchir en IT comme on réfléchit en tant qu’industriel, à mon humble avis c’est ce qui permettra de grandir dans le bon sens.
Je vous invite à être plus hétérogènes dans vos choix, à être multi-cloud, à créer cette capacité de diversité, à rechercher l’altérite technologique qui va permettre à chaque possibilité d’émerger et de devenir une bonne solution parce que c’est comme ça qu’on construit un marché, c’est en lui donnant la possibilité de s’exprimer.
Je vous invite à être fiers, en tant qu’Européens, de faire de la tech, je vous invite à être fiers d’être dans la tech en tant qu’Européens parce que je pense qu’une des problématiques c’est qu’aujourd’hui on nous lave le cerveau avec « la Valley ils sont meilleurs ». En fait ce n’est pas vrai ! Il y a des nuls partout. Facebook était down l’autre jour, Amazon a régulièrement des problèmes, il n’y a pas longtemps vous pouviez jumper sur Azure de conteneur en conteneur avec des failles de sécurité monstrueuses et après on vous dit qu’ils sont les meilleurs. Ils ne sont pas les meilleurs, tout le monde fait des erreurs, toutes les boîtes font des erreurs ! À un moment donné il faut rechercher l’altérité. En tant qu’Européens vous pouvez être fiers de la tech qu’on produit. La virtualisation est née en France avec QEMU [12] ; ce ne sont que des boîtes européennes qui ont créé le Platform as a Service au démarrage. À un moment il faut vous dire que vous avez le droit d’être fiers d’être Européens dans la tech, de faire partie de ce mouvement-là, de faire partie de cette construction-là. Vous avez autant de capacités que l’IT américaine à produire des beaux projets et des belles choses.
Je vous invite à réfléchir à comment on construit ensemble notre marché de l’IT souveraine. Je vous remercie de m’avoir écouté. J’espère avoir lancé un débat et avoir apporté des choses.
Merci beaucoup à tous.