Delphine Sabattier : Créé en 2016 par l’ingénieur allemand Eugen Rochko [1], Mastodon [2] est un réseau social qui reprend les codes de X, feu Twitter, tout en adoptant une philosophie et une architecture absolument radicalement opposées.
Bonjour, Renaud Chaput.
Renaud Chaput : Bonjour.
Delphine Sabattier : Merci beaucoup d’être connecté avec nous. Vous êtes le directeur technique de Mastodon.
Je voulais qu’on rappelle quand même, pour démarrer, ce qui fait la différence de Mastodon par rapport au réseau social auquel j’ai fait référence et qui s’est construit, finalement, en opposition à ce réseau.
Renaud Chaput : Oui, tout à fait. Au début, Mastodon s’est surtout construit en alternative à X, une alternative qui se veut être open source, l’ensemble du logiciel est disponible et installable par tout le monde. Mastodon est aussi basé sur un système que l’on appelle la fédération, c’est-à-dire qu’il n’y a pas un seul serveur Mastodon, mais il y a une dizaine de milliers de serveurs Mastodon à l’heure actuelle, qui communiquent tous les uns avec les autres, ce qui fait qu’il n’y a pas un seul endroit ou un seul propriétaire. C’est vraiment un réseau qui est distribué dans le monde entier.
Delphine Sabattier : C’est ce qu’on appelle le fediverse [3].
Renaud Chaput : Tout à fait, le fediverse, c’est le nom de l’ensemble des serveurs qui discutent sur Mastodon.
Delphine Sabattier : Mais, dans le fond, qu’est-ce que ça change, finalement, dans la manière dont on va discuter et communiquer avec les autres sur Mastodon ?
Renaud Chaput : La plus grosse différence, c’est que Mastodon n’est pas contrôlé par une seule personne ou une seule entreprise. Chaque serveur est indépendant, va donc être soumis aux lois locales de l’endroit où le serveur est installé et va pouvoir définir sa politique de modération, les contenus qu’il souhaite autoriser ou interdire, ou même à quelles personnes ce serveur est ouvert. Par exemple, je peux très bien créer un serveur Mastodon focalisé sur la communauté francophone et dire « j’ai mon petit point d’Internet, mon petit point de réseau social orienté autour de ma communauté ».
Delphine Sabattier : Un des griefs, je dirais, c’est le fait qu’on risque de rester enfermé, finalement, dans ses propres bulles, mais il faut quand même préciser que ces serveurs sont interconnectés et qu’on peut naviguer d’une communauté à une autre.
Renaud Chaput : Tout à fait. C’est la même manière dont les e-mails fonctionnent actuellement. Quand vous créez votre e-mail, vous pouvez le créer chez Hotmail, vous pouvez le créer chez Gmail, vous pouvez aussi l’héberger chez vous ou, en tant qu’entreprise, héberger votre serveur, mais ce n’est pas pour cela vous pouvez communiquer seulement avec les gens qui sont sur le même hébergeur que vous. Avec les e-mails, vous pouvez communiquer avec tout le monde. C’est la même chose avec Mastodon. Peu importe où est votre compte, vous pouvez communiquer avec tous les autres gens qui sont sur le réseau.
Delphine Sabattier : Là, vous décidez donc de créer une fondation à but non lucratif [4]. Pourquoi ?
Renaud Chaput : Parce que le projet a besoin de grossir. Comme vous l’avez dit, le projet à huit ans, a été créé, à la base, par Eugen. On a maintenant un million d’utilisateurs et utilisatrices actifs mensuels. On a besoin de grossir l’équipe, de financements, et on a aussi un vrai besoin de garantir l’indépendance de Mastodon, parce que, pour nous, c’est ce qui fait la grosse différence par rapport aux réseaux sociaux actuels : ils sont tous, ou à peu près tous, contrôlés par de riches milliardaires américains. Notre état d’esprit est plus lié à ce que fait, par exemple, Wikipédia. Pour nous, Mastodon est un commun numérique, donc personne ne doit pouvoir, seul, décider de ce qu’est Mastodon.
Avec la création de cette fondation, nous voulons sanctuariser cette indépendance et nous assurer que Mastodon est géré et répond à la communauté Mastodon et pas à un quelconque intérêt ou à une quelconque idéologie.
Delphine Sabattier : C’est aussi une protection du projet.
Vous dites « on a besoin grandir ». Aujourd’hui, c’est quoi ? C’est plus d’un million d’utilisateurs sur Mastodon. Vous allez me répondre, mais j’en profite pour enchaîner sur ma deuxième question : est-ce que vous avez senti un effet à la suite du HelloQuitteX [5], un appel à quitter X le 20 décembre, jour de l’investiture de Donald Trump ? Avez-vous ressenti un effet puisqu’on a beaucoup parlé plutôt de Bluesky ?
Renaud Chaput : Oui. À l’heure actuelle, ce sont peu près un million d’utilisateurs et utilisatrices actives, mensuelles, sur Mastodon, et on a vu un énorme effet, en France, avec la campagne HelloQuitteX.
Beaucoup de gens sont allés sur Bluesky, peut-être, mais sont aussi venus sur Mastodon. Je sais que des serveurs francophones ont vu leur nombre d’inscriptions mensuelles multiplié par 10 ou par 15 pendant cette période. On a un vrai afflux de citoyens français, en fait, ou de gens francophones, suite à la campagne HelloQuitteX, un petit peu moins, peut-être, d’institutions ou de médias, mais vraiment beaucoup, que ce soit des artistes, des journalistes, des professeurs. On a une vraie communauté qui est en train de grossir très fortement en ce moment.
Delphine Sabattier : On parle peut-être moins des initiatives européennes, c’est un biais ?
Renaud Chaput : Oui. Et puis nous, en tant que projet open source, projet ouvert, on a, par exemple si on compare à Bluesky, beaucoup moins de moyens qu’eux, on n’a pas levé d’argent, on n’a pas d’investisseurs. Ça veut aussi dire qu’on a probablement été moins efficaces, on a été moins efficaces côté marketing, parce que nous n’avons pas les moyens de faire ça à l’heure actuelle et ça compte beaucoup.
Delphine Sabattier : Quand vous passez chez Smart Tech, c’est gratuit !
On vous souhaite que la communauté continue de grandir. En tout cas, nous croyons beaucoup en Mastodon.
Merci beaucoup, Renaud Chaput. Je rappelle que vous êtes le directeur technique du réseau social.