Voix off : Tendances Première, 10 heures – 11 heures 30.
Cédric Wautier : On vous propose un peu d’hygiène numérique aujourd’hui avec Nicolas Pettiaux. Bonjour. On entend très peu Nicolas Pettiaux, on va donc essayer de recontacter Nicolas.
Olivier Meunier, bonjour. Vous êtes bien avec nous en studio, ça devrait mieux se passer avec vous. Vous êtes développeur, formateur en art numérique, vous êtes également papa et un grand défenseur des logiciels libres, aujourd’hui tous les deux. On va commencer avec vous Olivier : vous aviez envie de mettre en avant justement ces logiciels libres, mais aussi un logiciel particulier qui est Mastodon.
On va peut-être rappeler en deux mots ce qu’est un logiciel libre avec vous Olivier.
Olivier Meunier : Bonjour.
Un logiciel libre est un logiciel qui répond à quatre petites règles de base :
- une règle qui veut qu’on puisse utiliser le logiciel comme on veut ;
- la deuxième loi qui veut qu’on puisse regarder ce qu’il y a dans le logiciel, donc le code, qu’on puisse l’explorer, apprendre ;
- la troisième qui est qu’on puisse modifier ce code, donc pouvoir adapter le logiciel à d’autres usages ou à nos usages personnels
- et la dernière qui est la possibilité de copier, de distribuer ce logiciel à nos amis, à notre famille, à nos clients si on en a besoin.
Cédric Wautier : Pourquoi les mettre en avant aujourd’hui pour, je dirais, le non passionné d’informatique, pour celui ou celle qui, simplement, surfe un peu pour faire des recherches tous les jours ?
Olivier Meunier : Ces quatre petites règles permettent que ce logiciel ne nous rende pas coincés, ne nous attrape pas, ne nous enferme pas dans une logique qui est décidée par d’autres. Dans le logiciel libre, ce n’est pas le logiciel qui est libre, c’est l’utilisateur qui est libre. C’est une garantie des fonctions, mais aussi de son usage à l’avenir, le fait, par exemple, de ne pas être privé du logiciel dans un futur proche ou moins proche qui ferait qu’on ne puisse plus l’utiliser alors qu’on en a besoin. C’est aussi une garantie pour le côté démocratique des usages de ce logiciel.
Véronique Thyberghien : Mastodon est l’un des logiciels libres, et on vous retrouvera régulièrement, Nicolas Pettiaux et vous, pour venir nous parler justement de l’importance du Libre dans le numérique aujourd’hui. Mastodon, c’est quoi et à quoi ça sert ?
Olivier Meunier : Mastodon [1] est un des logiciels qui est adossé au protocole ActivityPub [2]. Un protocole est une manière de pouvoir discuter entre des ordinateurs ou des logiciels. On a ici un protocole qui permet d’ouvrir la communication entre différents logiciels de communication, de logiciels sociaux. Mastodon est un de ces logiciels qui permet de faire un peu ce qu’on fait avec Twitter. C’est du microblogging, des petits messages, mais ici un peu plus grands quand même, de 500 caractères, quelques images, des vidéos, des photos, du son aussi.
Cédric Wautier : Ce n’est peut-être pas mal d’en parler aujourd’hui. On n’a pas mal évoqué Twitter ces dernières semaines depuis le rachat de Twitter par Elon Musk et ce qu’il en découle. Pas mal de gens se disent « moi je coupe mon compte Twitter parce que je ne me retrouve plus du tout dans cette philosophie ». Mastodon pourrait justement être une porte pour celles et ceux qui ont envie de communiquer autrement ?
Olivier Meunier : Oui. C’est un petit peu le principe de Mastodon. On va prendre une analogie. On aurait un bateau, un grand bateau, Twitter, et ce bateau, tout d’un coup, a un problème, un iceberg arrive, au hasard Elon Musk, et les gens se disent qu’il serait peut-être temps de quitter ce bateau qui n’est pas conduit comme on l’imaginerait et on va chercher des canaux de sauvetage. Mastodon c’est un petit peu toute une flotte de petits bateaux, plus ou moins grands, qui seraient tout autour et qui pourraient accueillir les gens qui sortiraient de ce grand paquebot, avec l’idée que chacun des bateaux a sa culture, a son style, a son thème, sa philosophie et aussi sa modération. C’est une chose qui est aussi fort importante et différente de Twitter : ce logiciel et ses instances, ces petits serveurs sur lesquels on va se retrouver, sont modérés par des bénévoles, mais aussi des professionnels, qui sont proches de vous, qui ne sont pas à l’autre bout de la planète, à la limite ne parlant pas votre langue. C’est toute la différence qu’il y a, en fait, avec ces systèmes centralisés et commerciaux.
Cédric Wautier : Nicolas Pettiaux, je crois qu’on vous a par téléphone. Bonjour Nicolas.
Nicolas Pettiaux : Bonjour.
Cédric Wautier : Ça veut dire, si j’entends bien Olivier, que ce système va permettre aussi un meilleur contrôle des messages qui sont parfois envoyés, la communauté va mieux contrôler ce qui est dit.
Nicolas Pettiaux : Exactement. Comme l’a très bien dit Olivier, avec ce nouveau système qui est juste un retour aux origines du Web qui était décentralisé à l’origine, il y a 40 ans, maintenant les différentes communautés, c’est-à-dire les utilisateurs et les gestionnaires des instances, vont pouvoir complètement contrôler l’entièreté des messages et ce seront les seuls qui pourront le faire, puisqu’il n’est plus possible, techniquement, d’avoir une personne au centre du réseau qui contrôle tout, que ce soit un gouvernement ou une société. On revient vers un modèle complètement décentralisé, ça va perturber un certain nombre de gens, ça en perturbe un certain nombre, mais c’est pour nous la garantie d’une plus grande qualité, d’une plus grande bienveillance. Les messages sont effectivement bien contrôlés, en fonction des différentes instances, et il y a extrêmement peu de pornographie, tout est fait pour que les messages soient adéquats et conviennent à chacun.
Véronique Thyberghien : C’est contrôlé, tout en laissant quand même une marge de liberté, puisque ce n’est pas contrôlé par un seul homme ou par la philosophie d’un seul homme, mais par celle de plusieurs. On pourrait se dire qu’aujourd’hui Mastodon est encore un inconnu. En fait, pas du tout, quand on regarde qui utilise aujourd’hui Mastodon, il y a déjà de grandes instances.
Nicolas Pettiaux : Attention au piège de la grande instance ! Oui, il y a de très grandes instances, mais si vous devez choisir un nouveau serveur, une instance sur laquelle vous voulez créer votre login, attention : choisissez celle qui correspond à votre communauté et choisissez plutôt une petite instance locale qui correspond à votre attente. Dans tous les cas vous aurez accès aux messages de tout le monde, pour peu que tout le monde soit connecté à votre instance.
Cédric Wautier : Nicolas Pettiaux, là je ne vous comprends pas. Twitter c’est simple, on se branche sur Twitter et on lance des messages. Ici on va devoir choisir, mais comment ? Sur la base de quels critères va-t-on choisir ? Quelle instance va nous suivre ?
Nicolas Pettiaux : Par exemple, vous allez sur joinmastodon.org [3], je crois que c’est comme ça, et là vous avez une liste de serveurs, il y en a des milliers, il y en a de l’ordre de 8000 aujourd’hui. On vous dit « dans votre langue, si vous êtes intéressé par tel ou tel sujet, que vous habitez tel ou tel endroit, demandez à vous inscrire sur cette instance-là ». Il y a des instances, Framapiaf par exemple, qui refusent aujourd’hui de nouvelles inscriptions parce qu’il y en a trop à certains endroits, la machine n’en peut plus. Il y en a qui en acceptent encore et on vous dira si on vous accepte ou pas.
Vous choisissez un serveur local, un serveur et, une fois que vous êtes connecté à ce serveur, vous êtes connecté à tous ceux auxquels lui est connecté. Par exemple, disais-je, il se fait que l’équipe de Trump, TRUTH Social, a choisi le même outil, Mastodon, il y a quelques années, vous vous en souvenez ? Peu de gens avaient fait attention à l’outil qui avait été choisi, il se fait que c’est celui-là. Mais, parce qu’il y a un contrat moral d’engagement, toutes les autres instances de Mastodon ont laissé ce serveur-là de côté, n’ont pas voulu s’y connecter. Ça permet de montrer comment fonctionne la modération qui peut être mise en œuvre soit par l‘administrateur, soit par l’équipe de modération, soit chacun pour soi. Aujourd’hui TRUTH Social, qui a à peu près quatre millions de personnes, est isolé du reste du monde Mastodon qui en a déjà plus de huit millions.
Véronique Thyberghien : C’est ça. Donc ça permet aussi de marquer un certain désaccord sans devoir se déconnecter complètement d’un réseau social, justement en n’étant pas connecté à ce type de serveur, où d’instance en particulier.
Nicolas Pettiaux, en ce qui concerne l’utilisation de Mastodon, on a l’impression que c’est un peu lent de s’y mettre. Qu’est-ce qui pourrait motiver, aujourd’hui, des utilisateurs à se tourner en particulier vers Mastodon ?
Nicolas Pettiaux : De manière générale, à mon avis, chacun d’entre nous, pour la plupart de ses comportements, fait beaucoup de choses volontiers, mais il y a une chose qu’on ne fait pas volontiers c’est changer. Changer ça veut dire modifier ses habitudes, quelles que soient les habitudes. Ceux qui ont pris l’habitude d’un réseau centralisé, de se soumettre aux algorithmes, qu’ils ne connaissent pas, de Facebook, Twitter, TikTok et tous les autres, continuent parce que changer représente un effort. Il suffira de passer la barrière de l’effort, d’assumer le choix, parce que c’est aussi une question qui est difficile, il faut assumer le choix qu’on va faire.
Par exemple, des instances aujourd’hui sont exclues du reste du monde bienveillant de Mastodon, dirais-je, parce que les modérateurs ne font pas bien leur boulot. Ça c’est embêtant, mais ce n’est pas tellement un problème parce qu’il est très facile de changer d’instance et d’emmener avec soi tous ses suiveurs, on les avertit tout seul. Comme il est tout à fait possible de modifier un message qui a été envoyé, à posteriori, et le message sera remis à l’ordre du jour ; c’est tout à fait possible aussi.
Il y a, dans Mastodon, beaucoup de fonctionnalités qui ne sont pas disponibles dans Twitter, qui seraient bienvenues dans Twitter, mais il faut garder à l’esprit que c’est géré par des gens qui y mettent du cœur, qui, comme l’a dit Olivier, sont souvent bénévoles, souvent ils en mettent un peu trop, donc il ne faut pas hésiter à les soutenir, notamment financièrement, ou bien à participer à l’équipe de modération. C’est à discuter chaque fois avec les administrateurs des instances. Vous en avez un devant vous, c’est Olivier qui est l’administrateur de tchafia.be.
Cédric Wautier : Justement, il avait envie de causer.
Olivier Meunier : Il y a pas mal d’autres choses en fait, pas mal de points positifs pour ce réseau. D’abord on en est effectivement maître. On n’est pas soumis à cette espèce de jeu de hasard, au prochain milliardaire qui rachète le truc. Il y a aussi actuellement — ça va peut-être changer avec le temps, avec les gens qui vont arriver — une ambiance vraiment très différente de celle de Twitter. Quand les gens arrivent sur Mastodon – il y a beaucoup de témoignages – ils disent « c’est marrant, on a vraiment l’impression d’être dans un espace convivial avec des amis qui ont des discussions intéressantes, qui ont envie de partager et plus dans une espèce de jeu de compétition à l’attention. On n’est plus à s’invectiver uniquement pour faire le ratio. »
Véronique Thyberghien : Au clic.
Olivier Meunier : C’est ça. On est vraiment dans un espace de partage et l’ambiance est vraiment beaucoup plus détendue que sur Twitter. Il y a aussi le côté du harcèlement. Il y a des outils qui sont un peu plus développés sur Mastodon que sur Twitter, à nouveau cette question de la modération par des gens proches. Il y a aussi un autre intérêt : Mastodon ce n’est pas être tout seul dans son coin, il y a toute une série d’autres services qui fonctionnent sur le même protocole, comme je disais précédemment.
Par exemple PeerTube [4], l’équivalent, une espèce de YouTube, est connecté avec Mastodon. On peut, par exemple, mettre un commentaire sur une vidéo qui est sur PeerTube avec son compte Mastodon, on peut suivre un canal PeerTube avec son compte Mastodon, on n’est pas obligé de s’inscrire sur l’autre système.
Il y a aussi Pixelfed [5] pour des images, il y a aussi Funkwhale [6] pour le partage de musique.
Il y a donc toute une série d’autres services qui font ce qu’on appelle le Fédivers [7] et qui ouvrent vraiment beaucoup plus les usages que justement ces plateformes qu’on appelle des jardins fermés, walled garden, comme Twitter, Facebook, etc., qui ne permettent pas de communiquer en dehors.
Véronique Thyberghien : Il y a donc un monde parallèle aux GAFAM, c’est celui des logiciels libres et on va se faire un plaisir de les découvrir régulièrement avec vous, Olivier Meunier et Nicolas Pettiaux. On reviendra sur Mastodon et on en reparlera, on va dire que c’est juste un chapitre d’ouverture pour pouvoir continuer à en parler avec vous régulièrement. N’hésitez pas à vous intéresser à ce type de logiciel. Merci à tous les deux.
Voix off : 10 heures – 11 heures 30 - Tendances Première, Véronique Thyberghien et Cédric Wautier.