Delphine Sabattier : L’inclusion numérique c’est le sujet à la une de Tech talk. Comment améliorer nos politiques publiques pour ne laisser personne à l’écart de ces transformations des services publics, des démarches administratives, mais aussi du marché de l’emploi ? Il existe un indicateur d’une fracture, qui est bien là, avec le tout récent « Baromètre du numérique » [1] publié, dévoilé par Bercy. On sait aussi que l’inclusion est l’un des trois thèmes prioritaires du volet numérique du Conseil national de la Refondation.
On va explorer ce thème ensemble avec Jean-Baptiste Manenti. Bonjour à nouveau.
Jean-Baptiste Manenti : Bonjour.
Delphine Sabattier : Vous êtes en charge des relations avec les élus et les organisations territoriales, au sein du secrétariat général du Conseil national du numérique [2]. Je rappelle que le CNNum est une commission consultative placée auprès du secrétaire d’État chargé de la Transition numérique et des Communications électroniques. Vous êtes aussi le copilote d’Itinéraires numériques [3], une démarche de stimulation du débat en local qui a conduit le CNNum, le conseil, à rencontrer les citoyens, les élus, les médiateurs aussi, les enseignants, les étudiants, les élèves à travers toute la France depuis l’été dernier. Précédemment vous étiez rapporteur pour le CNNum, vous avez notamment piloté – je vais signaler celui-là – les travaux, la réflexion sur le numérique en santé et aussi celui relatif à la transformation de l’État.
Nous avons également avec nous, par Skype, Garlann Nizon, cheffe de projet, formatrice au sein de la Coopérative d’activité et d’emploi Prisme [4].
Garlann, vous êtes une actrice de la médiation numérique depuis de nombreuses années et, encore aujourd’hui, pour le compte du département de la Drome, la Drome où vous vous situez, je crois, aujourd’hui même, et pour l’ANCT, l’Agence nationale de la cohésion des territoires. Vous travaillez sur les sujets relatifs à la numérisation de la santé et au renforcement des modèles socio-économiques des structures de médiation. On va voir à quel point la médiation est un point central dans cet objectif d’inclusion numérique.
Est restée également avec nous, autour de cette table, Lucie Broto, cofondatrice de Melba, parce qu’on a fait un clin d’œil ensemble à la Saint-Valentin avec votre application. Vous pouvez, bien sûr, participer également à la discussion.
Garlann, on va peut-être commencer ensemble. Bonjour.
Garlann Nizon : Bonjour.
Delphine Sabattier : Je citais le Baromètre du numérique 2022 du ministère de l’Économie. Il révèle notamment que les inégalités en compétences numériques s’accentuent. On lit que les Français parmi les plus vulnérables non diplômés et âgés de 70 ans et plus sont une majorité à ne pas avoir l’impression de gagner en maîtrise depuis ces deux dernières années, ce qui laisserait entendre quand même que cette fracture numérique qui se creuse ne concerne, finalement, que des très seniors ou des personnes précaires. Est-ce que c’est ce que vous constatez sur le terrain ?
Garlann Nizon : Absolument pas. Il me semble justement que la fracture numérique peut concerner tout le monde et qu’on a souvent tendance à avoir un petit peu des clichés, que ce sont effectivement les seniors et les précaires qui ne maîtrisent pas le numérique. Or, nous sommes tous, potentiellement à un moment donné, en risque de fracture numérique.
Je m’explique. C’est quoi aujourd’hui être à l’aise avec le numérique ? Quand on estimait, avant le confinement, qu’il y avait à peu près 13 millions de Français en difficulté avec le numérique, donc les chiffres de l’ANCT, post-confinement le Sénat a réétudié la question et on est monté à 19 millions. Pourquoi ? Parce que ce qui semblait être des usages exceptionnels avant le confinement étaient devenus classiques pendant le confinement, et pareil au niveau du débit : ce qui nous semblait être suffisant, parce qu’éventuellement on allait sur Internet pour faire sa déclaration des revenus, quand il a fallu faire l’école avec les enfants à la maison et faire du télétravail, eh bien le débit n’était plus le bon.
Je m’interroge aussi sur quelle est la notion même de fragilité numérique. Aujourd’hui, est-ce que c’est essayer de se débrouiller – ce qui est déjà très bien –, être autonome sur les usages, sur les déclarations de revenus, sur toutes les démarches administratives et l’accès aux droits, ou est-ce que l’autonomie numérique c’est aussi pouvoir décrypter un petit peu tout ce qui se trame autour de cette société de l’information, la numérisation de la société et tous les enjeux qu’il y a derrière. Je ne suis pas sûre que toute la population moins 13 ou 19 millions de Français maîtrise ce qu’est l’interopérabilité, la portabilité, la souveraineté, etc.
Ce sont des sujets qui sont tellement variés et divers qu’on peut effectivement se poser la question de quand est-ce qu’on est en fragilité numérique ou pas et je crois qu’on l’est tous à un moment donné.
Delphine Sabattier : Merci beaucoup. On sort quand même du cliché sur cette fracture numérique. Aujourd’hui l’accélération de toute la numérisation de la société et des services publics nous confronte tous, à un moment ou à un autre, à une fragilité comme vous le signalez, Garlann.
Jean-Baptiste, vous revenez d’une semaine de déplacement en région Grand Est pour Itinéraires du numérique dont j’ai parlé. Qu’avez-vous entendu sur le terrain en région ?
Jean-Baptiste Manenti : Il y a déjà ce sujet, Garlann en parlait, du fait que ce n’est pas juste une question de démarche ou de dématérialisation. Vous le disiez, c’est vrai qu’on en a eu un bon exemple tout à l’heure, le numérique est partout dans nos vies, que ce soit au travail, que ce soit quand on s’occupe de sa santé, que ce soit au niveau de la culture, de l’éducation, voire de l’intime. Il y a ce besoin de pouvoir diffuser une culture numérique qui soit particulièrement large au sein de la société, qui ne soit pas juste la maîtrise des outils, mais la compréhension de tout ça. C’est ce qu’on essaye aussi de porter comme message avec ces débats sous l’initiative « Itinéraires numériques ».
La semaine dernière on a beaucoup rencontré des jeunes publics, des collégiens, des lycéens, des étudiants. On a beaucoup parlé d’un sujet qui est celui de l’économie de l’attention, donc comprendre comment fonctionnent les modèles économiques des plateformes qui captent notre attention et en tirent une valeur marchande.
Ce qui ressort de tout ça, et ça pourrait aussi faire le lien avec Le Baromètre du numérique dont vous parliez, c’est qu’on se rend tous compte, jeunes comme moins jeunes – c’est aussi un débat qu’on a eu avec des personnes plus âgées –, qu’on a tous déjà été un jour happés, attrapés par ça. On aime bien poser cette question en arrivant : qui pense ici qu’il a déjà passé trop de temps sur un écran ? Généralement une forêt de mains se lèvent. Et, quand on est avec des jeunes, on pose aussi la question : qui pense que ses parents passent parfois trop de temps sur les écrans ? C’est généralement la même forêt de mains qui se lèvent.
Delphine Sabattier : Intéressant.
Jean-Baptiste Manenti : Ça prouve aussi ce besoin d’en parler. La question qu’on pose ensuite c’est : est-ce que vous en avez parlé avec eux, est-ce que vous en parlez entre vous ?, et là, généralement, les mains se baissent. On a des échanges sur le fait que c’est compliqué d’aborder ces sujets-là, donc on a besoin d’être outillé pour comprendre toutes ces transformations, tous ces impacts sur le quotidien.
Delphine Sabattier : Ce n’est pas parce qu’on utilise qu’on maîtrise. Effectivement, la frontière est intéressante. On voit, encore dans ce baromètre, que nous sommes hyper-connectés, y compris les plus de 70 ans. Maintenant ça y est, nous sommes équipés de smartphones sur lesquels on passe effectivement beaucoup de temps. Pourtant, 54 % des Français, donc plus de la moitié, éprouvent au moins une difficulté qui les empêche d’effectuer des démarches en ligne et on est à plus 16 points par rapport à 2020, puisque c’est un baromètre qui est réalisé tous les deux ans. Quelles sont vos explications à cette fracture numérique qui se creuse, Garlann ?
Garlann Nizon : Je pense que quand on parle d’accès aux droits, il y a plusieurs problématiques.
Il y a déjà l’accès au numérique et la maîtrise du numérique, mais il y a aussi la compréhension du langage administratif et des rouages de l’administration française, ce qui n’est pas forcément évident pour tout le monde.
Après, il y a aussi une problématique : il y a de moins en moins de guichets, on a de moins en moins accès à une personne pour nous aider. C’est-à-dire que l’ordinateur c’est 0 ou c’est 1, ça passe ou ça ne passe pas ! Il ne connaît les situations qui sortent un petit peu de l’ordinaire. Si on n’a pas une médiation humaine, on tourne en rond et on ne s’en sort pas.
Je pense qu’un des problèmes est là aussi et même les professionnels, les travailleurs sociaux, nous le disent « on n’a plus, aujourd’hui, accès à un humain dans l’administration ». On va avoir des numéros verts, on va avoir des répondeurs, des chatbots, etc., mais quand on sort de la situation, j’allais dire classique et ordinaire, eh bien on se retrouve en difficulté.
J’aime souvent dire cette l’anecdote : même l’ancien secrétaire d’État, Cédric O, s’est retrouvé en difficulté parce que sur un formulaire administratif il était décidé qu’un nom de famille ne pouvait pas contenir qu’une lettre, donc pareil, ça coince. L’ordinateur est comme ça, c’est oui ou c’est non. C’est aussi souvent ça la problématique : on a oublié qu’en parallèle de la dématérialisation il fallait assurer un accompagnement humain justement pour ces situations difficiles.
Delphine Sabattier : Est-ce qu’il y a d’importantes disparités entre les régions en France ?
Jean-Baptiste Manenti : Je n’ai pas spécifiquement de chiffres sur ce point-là. Vous parliez de publics particulièrement exposés, peut-être que c’est vrai dans certaines zones plus rurales où il y a aussi des difficultés qui viennent s’ajouter en termes d’accès au numérique.
Delphine Sabattier : C’est peut-être la question de ces lieux dont parle Garlann, ces lieux de médiation où on peut aller se référer à un humain, finalement, pour sortir d’une impasse numérique. Est-ce qu’on trouve ces lieux véritablement partout ? Comment sont-ils déployés ? Qui décide de la cartographie, je dirais, de la médiation numérique ?
Jean-Baptiste Manenti : Plusieurs dispositifs existent.
Il y a des dispositifs qui sont pilotés au niveau national, les fameux conseillers numériques France Services [5], il y a des lieux qui s’appellent les maisons France Services [6], il y a aussi des programmes itinérants, Bus France services [7].
Il y a aussi tout un réseau, un énorme réseau d’acteurs de la médiation qui ne sont pas forcément liés à l’État, qui sont des structures locales, parfois associatives, parfois sous forme de tiers-lieux, qu’on a eu la chance de pouvoir rencontrer dans l’organisation de cette démarche et de ces débats. L’idée c’était vraiment de pouvoir s’appuyer et travailler avec ces structures qui rencontrent quotidiennement des publics éloignés, ou non d’ailleurs, du numérique. D’ailleurs, quand on parle avec tous ces acteurs de terrain, on ressent ce besoin de proximité. Il y a cette notion de dernier kilomètre qui revient souvent, c’est-à-dire pouvoir s’appuyer sur des structures qui vont faire ça. Je prends un exemple : les bus itinérants vont aller dans les zones les plus rurales pour vraiment raccrocher les wagons.
Delphine Sabattier : Sur cette question des lieux de médiation, est-ce qu’il y a une forte disparité entre les régions, Garlann Nizon ?
Garlann Nizon : Oui, je pense qu’il y a des régions qui, historiquement, se sont saisies de cette question-là un peu plus en avant que d’autres. Il y a, par exemple, une longue histoire, notamment en Ardèche, sur la création des structures de médiation numérique. En Auvergne-Rhône-Alpes aussi c’est ancien et l’arrivée de conseillers numériques France Services a permis effectivement que les territoires se saisissent de ces questions-là.
Après c’est compliqué parce qu’il y a eu une période où on considérait que les gens étaient équipés, savaient faire. Et puis, à mon sens, il y a eu un point de bascule qui a été la dématérialisation à 100 % de l’inscription à Pôle emploi. Là, on s’est rendu compte que ça ne tombait pas vraiment sous le sens, tout le monde ne savait pas faire, tout le monde n’était pas équipé, il n’y avait pas forcément un débit suffisant partout, donc on a remis en place des structures qui avaient été au préalablement fermées, pourquoi pas ! Vous avez effectivement une disparité assez forte sur le territoire que l’État essaie de combler avec les dispositifs CNFS [Conseiller numérique France Services], l’établissement de France Services et autres, mais il y a des historiques qui sont très différents. Par exemple en Drome, là où je suis, c’est une politique vraiment volontariste depuis plus de 15 ans avec un très fort soutien du département aux structures. Il y a aussi une problématique de modèle économique parce qu’il y a du « renvoi vers », mais il n’y a pas forcément les financements qui vont avec pour pouvoir soutenir ces structures-là, avec des gens à l’intérieur qui sont extrêmement polyvalents, qui vont vous accompagner à la fois sur vos pratiques manipulatoires, l’accès aux droits ou les questions relatives à l’éducation, l’impact des réseaux sociaux, la recherche d’emploi, etc.
Delphine Sabattier : Je voudrais avoir votre avis. On parle de ces lieux de médiation avec le rôle de l’État pour impulser la création de ces tiers-lieux, les décisions qui sont au niveau des régions. Je voulais avoir votre regard sur les ateliers du numérique de Google, parce qu’ils se déploient énormément, c’est une initiative privée qui vient d’un GAFAM. Est-ce que vous êtes plutôt pour encourager ces initiatives parce que ça vient en renfort, au final, de l’action de l’État et des politiques publiques ? Ou est-ce que vous dites « non, attention, ça ne correspond pas au rôle que doit tenir un conseiller numérique France Services ? ».
Jean-Baptiste Manenti : C’est une question qui est complexe. Ce qui est certain c’est qu’il y a effectivement des acteurs privés, des grandes entreprises – vous avez cité Google – qui essayent de proposer des actions là-dessus. Ce qu’on essaye aussi de porter comme message, c’est qu’il y a vraiment tout un éventail d’acteurs différents, donc il y a aussi des acteurs publics, parapublics, associatifs, des acteurs de l’éducation, de l’éducation populaire aussi. Il y a une « mise en réseau », entre guillemets, importante de ces acteurs-là qui portent des solutions quotidiennes, qui portent des solutions qui sont axées généralement sur l’intérêt général et l’accompagnement des publics et qui sont surtout des solutions de proximité ; on insiste vraiment beaucoup sur cette notion.
Delphine Sabattier : Vous nous dites que c’est un maillage ; tout ça, tous ces dispositifs, finalement, se complètent.
Garlann Nizon, vous pouvez réagir aussi à cette question. J’en avais également une autre sur la question de la dématérialisation des services publics : est-ce qu’il faut continuer au même rythme ? Est-ce qu’on peut accélérer ou est-ce qu’il faut freiner ?
Garlann Nizon : Je vais répondre aux deux questions si vous le permettez.
Il me semble que si on demande à Google d’assurer l’accès aux droits des citoyens, on aura loupé quelque chose. Est-ce que Google, ou n’importe quel autre GAFAM, est le mieux placé en ce qui concerne la neutralité vis-à-vis des outils ou la protection des données personnelles ? J’ai quelques doutes ! Maintenant, effectivement, s’il n’y a rien d’autre, il n’y a rien d’autre, mais ce serait bien que ce ne soit pas au détriment des acteurs existants.
Par rapport à la dématérialisation, il me semble que la question n’est pas la dématérialisation en tant que telle, c’est quel accompagnement on propose aux usagers, comment on les aide à s’approprier tous ces outils, les outils de base et les outils d’accès aux droits, et comment on réfléchit aussi à ne pas, on va dire, rendre en PDF ce qui était en formulaire papier. C’est comment on essaie d’être plus efficace, éviter d’avoir à saisir à nouveau en permanence avec des outils et surtout comment on assure un plan B. Il y a des gens qui ne veulent pas, qui ne peuvent pas ; il y a la question de l’illettrisme, 7 % en France, il y a la question des gens qui ne maîtrisent la langue et on les fait perdre en autonomie. Il y a toujours cette question de comment on trouve un plan B.
Delphine Sabattier : Quelle est la vision du CNNum sur ce sujet de l’inclusion numérique par rapport à l’accélération de la digitalisation de nos services publics ?
Jean-Baptiste Manenti : Le terme accélération est le bon parce que tout cela est effectivement allé très vite. On peut tirer une analogie avec l’écriture. L’écriture a été inventée il y a des millénaires, on a des siècles de politiques publiques qui vont être liées à sa diffusion et pourtant, aujourd’hui, on a toujours une part de la population qui est en situation d’illettrisme.
Pour le numérique, on a une révolution d’une ampleur phénoménale, on l’a vu, ça touche tous les pans de la vie. Ce sont des technologies qui n’ont que quelques décennies. On est évidemment allés très vite là-dessus et on a besoin de ce temps d’adaptation.
Delphine Sabattier : Il faut freiner, il faut ralentir un peu sur la digitalisation des démarches administratives par exemple ?
Jean-Baptiste Manenti : Je ne sais pas si le sujet c’est de freiner. Il y a un sujet d’accompagnement.
Un thème, un mot qui revient souvent dans les échanges qu’on a avec des citoyens dans le cadre d’Itinéraires numériques, quand ils nous parlent de ces sujets-là, de la dématérialisation, c’est : est-ce qu’on a encore le choix ? Plusieurs fois cette question nous a été posée par des citoyens et c’est effectivement une question qu’on se pose aujourd’hui.
Delphine Sabattier : Peut-être l’idée de garder le choix, en tout cas de garder cette médiation humaine.
Une réaction Lucie Broto ?
Lucie Broto : Le sujet spécifique de la numérisation des services publics touche, en fait, tout le monde. On a beau être totalement à l’aise avec tout un tas de sujets dans le numérique, quand on parle notamment de Pôle emploi on peut avoir ce stress de la part du public, d’avoir peur de se tromper. Je pense que ça va au-delà de « est-ce que j’ai accès ou non à Internet, à un téléphone, est-ce que je m’y connais ? ». Quand on parle de services publics, on peut avoir un stress supplémentaire.
Delphine Sabattier : Les démarches ça peut faire peur, absolument. Et c’est là où, effectivement, cette fracture numérique n’existe que virtuellement en termes de types de population. Tout le monde est aujourd’hui concerné par ces questions.
Garlann, on va juste terminer avec une dernière question pour vous : je voulais vous demander quels sont les premiers enseignements que vous pouvez peut-être déjà tirer de votre étude sur les modèles économiques des structures d’accompagnement des publics au numérique ?
Garlann Nizon : Pour la question des modèles économiques, s’il n’y a pas un financement ! Aujourd’hui, on a, en gros, deux types de structures : celles qui sont financées à 50 % par le privé et par le public, et celles qui sont financées à 95 % par le public.
Aujourd’hui on a un vrai problème de stabilisation de ces structures, surtout des emplois, donc des compétences. Vous avez souvent des structures qui ont des difficultés financières et qui ne fonctionnent souvent que par des appels à projet, donc avec une visibilité très courte, avec des questions de trésorerie qui sont très difficiles, qui ont donc, parfois, du mal à signer autre chose que des contrats précaires. On a donc besoin de stabiliser les compétences. Un médiateur numérique doit être extrêmement compétent en technique, en pédagogie, en services publics, en éducation et, pour pouvoir asseoir ces compétences-là, il faut du temps. Il faut donc que les structures puissent voir sur le long terme.
J’appelle de mes vœux qu’on sorte un petit peu de l’idée d’appel à projet, qu’on soit plus dans une vision sur le long terme avec des conventions d’objectifs et de gestion, pourquoi pas, avec des appels à communs pour essayer de ne pas mettre les structures en concurrence les unes par rapport aux autres. Quand il y a un appel à projet il y a une enveloppe qui, de toute façon, est finie à un moment donné, donc il y a une concurrence sur les territoires, alors qu’il y a un tel chantier ! Vu l’ampleur du chantier il me semble qu’il y a de la place pour tout le monde.
Il y a une vraie difficulté financière pour ces structures.
Il faut aussi arriver à mettre autour de la table des acteurs plutôt privés qui bénéficient indirectement des actions de médiation numérique, je pense par exemple à tous ces services qui sont dématérialisés, qui ne relèvent pas du service public, les mutuelles, les assurances, etc., qui bénéficient indirectement de l’action de la médiation numérique. Si quelqu’un ne sait pas faire sa démarche c’est effectivement un problème, donc il va se tourner là où il y a de la lumière, c’est l’effet guichet, et c’est souvent la structure de médiation numérique qu’il va trouver sur son chemin. Si on dématérialise, il va donc falloir que tout le monde prenne sa part. Il ne peut pas y avoir de dématérialisation sans accompagnement, donc financier.
Delphine Sabattier : Donc financier. Ça pose toujours la question de la manière dont on utilise les enveloppes de l’État.
Peut-être juste un dernier mot sur ce Conseil national de la Refondation qui a fait de l’inclusion l’un de ses trois thèmes prioritaires. Si vous deviez avoir une phrase pour nous dire sur quoi il faut absolument avancer, Jean-Baptiste ?
Jean-Baptiste Manenti : Je vais peut-être vous décevoir, mais les travaux sont encore en cours dans le cadre du CNR [Conseil national de la Refondation] [8] qui est porté par l’ANCT, l’Agence nationale de cohésion des territoires, et la MedNum [9], dont les conclusions seront rendues au printemps. On en saura plus à ce moment-là.
Delphine Sabattier : Vous ne voulez pas partager avec nous une petite piste, ce n’est pas grave, on vous réinvitera plus tard.
Merci beaucoup Garlann Nizon qui était connectée avec nous depuis la Drome, consultante en inclusion numérique. Merci à Jean-Baptiste Manenti du Conseil national du numérique, qui reste avec nous en plateau, et Lucie Broto de Melba.
À suivre tout de suite. On va parler de la matérialité de la donnée. Comment répondre à cet enjeu de sobriété numérique ?