Philippe Scoffoni : On va attaquer cette table ronde avec un peu plus de temps que pour les petites conférences. On a trois invités, aujourd’hui, qui vont venir nous exposer un peu leurs retours d’expérience autour du logiciel libre dans leurs collectivités. Dans un premier temps, je vais les laisser se présenter chacun.
Sébastien Saunier : Sébastien Saunier, DSI [Directeur">des Systèmes d’Information] de la ville de Mions.
Claudine Chassagne : Claudine Chassagne. Je suis élue, en charge du numérique entre autres, dans une petite commune de l’Isère.
Nicolas Vivant : Nicolas Vivant. Je suis directeur de la stratégie du numérique de la ville d’Échirolles en Isère.
Philippe Scoffoni : Très bien. Merci.
Une première question pour ouvrir un peu le bal : aujourd’hui, de part votre expérience, peut-on dire que c’est plus simple de faire du logiciel libre en collectivité qu’il y a dix ans ? Qui veut commencer là-dessus ?
Nicolas Vivant : Je peux répondre rapidement pour dire que oui, c’est plus simple. C’est plus simple parce qu’il y a une plus grande maturité des produits, qu’un certain nombre de produits sont devenus des standards dans les DSI, indépendamment du fait qu’ils soient libres ou qu’ils ne soient pas libres, et puis on est à un tel degré de maturité qu’on a, aujourd’hui, le choix dans les produits. Il y a dix ans, quand on avait un produit qui marchait bien dans un domaine particulier, on était content. Aujourd’hui, on en est à s’engueuler pour savoir si avec Nextcloud [1] il faut mieux mettre OnlyOffice [2] ou Collabora [3]. On est donc dans cette situation. Aujourd’hui, on a le choix des outils, avec des chapelles même, c’est assez marrant, des choix ; par exemple, sur les messageries, on voit bien qu’il y a les pro-Zimbra [4], les pro-Bluemind [5], les pro-SOGo [6], les pro-je ne sais quoi. On a plein de solutions open source de messagerie, il y a dix ans les choses étaient beaucoup plus compliquées.
Philippe Scoffoni : Et sur le plan de déploiement, organisation ?
Claudine Chassagne : Je dirais qu’au niveau technique, oui, c’est indéniable, on a fait quand même beaucoup de progrès, en particulier sur les adhérences des applications métier, par exemple, puisque, maintenant, ce sont des applications web. Au niveau technique, sur le la maturité des applications, c’est indéniable, on a fait quand même pas mal de progrès.
Au niveau politique, c’est oui et non, parce qu’il y a 10 ans, on avait la circulaire Ayrault [7], on avait la loi pour une République numérique [8], il y avait un engouement par rapport à ça. Aujourd’hui, on a des directives, on a des encouragements, mais on n’a rien de vraiment bien précis, même au niveau politique local. On a des élus, on a une équipe d’élus qui est très orientée sur la transition, sur la transition numérique, sur le Pacte pour la transition [9], par contre, quand il faut utiliser des logiciels libres, ils arrivent avec leurs habitudes et, au niveau des usages et des habitudes, on a des agents et on a des élus qui sont fortement impactés par les usages de ce qu’ils ont eu dans le milieu professionnel et là c’est difficile, on a l’impression d’avoir une régression. Donc, c’est oui et non, pour moi, c’est mitigé .
Sébastien Saunier : Finalement je vais te rejoindre, l’évolution en 10 ans, techniquement effectivement pas de soucis.
Sur les mentalités, ça n’a pas forcément toujours évolué, ça dépend du contexte, peut-être politique, qu’on peut avoir. Il faut toujours, entre guillemets, « se battre » pour défendre le Libre, en tout cas de par notre expérience, et peut-être même de plus en plus. Après, il y a des vagues, mais il y a quand même encore du job à faire pour continuer comme ça, déjà.
Nicolas Vivant : On peut dire qu’il y a quand même deux situations qu’on rencontre souvent : la situation où on a des élus qui sont très porteurs et des services qui ont du mal à suivre et à mettre en œuvre, ou, inversement, des DSI qui poussent avec, au mieux, une bienveillance des élus, mais pas forcément de soutien. Après, j’ai la chance de travailler dans une collectivité où toutes les planètes sont alignées, c’est peut-être pour cela que, du coup, cette problématique est un peu moins prégnante pour moi, mais oui, c’est encore très fréquent, bien sûr.
Claudine Chassagne : Comme disait Sébastien, rien n’est jamais acquis. On peut avoir une situation favorable à l’instant t, et puis ça peut changer avec changement de mandature et on revient en arrière. Ce qui est très difficile, c’est de tenir dans la durée.
Nicolas Vivant : En même temps, c’est bien que les hommes politiques aient un peu la main sur ce qu’ils décident de faire. Je ne fais pas partie de ces gens qui pensent qu’il faudrait les obliger, au nom d’une espèce de truc « c’est mieux, c’est moral » je ne sais pas quoi. Qu’un macroniste fasse du macronisme, je trouve que c’est plutôt cohérent, s’il souhaite travailler avec Microsoft et des startups bizarres, c’est un choix quoi, c’est bien qu’il ait ce choix-là. Après, à nous de faire le meilleur travail possible pour que, justement, il n’y ait pas de tentations de revenir en arrière. Si vous mettez en place quelque chose qui marche parfaitement, tout le monde est super content et tout le monde a le sentiment d’avoir une DSI qui est au service des agents, qui est innovante dans ce qu’elle propose, il n’y a pas vraiment de raisons de faire marche arrière, à moins de vouloir absolument ou d’avoir des intérêts économiques ou des trucs chelous. Sinon, c’est aussi notre responsabilité de faire en sorte que dans nos stratégies de déploiement, de communication et tout ça, les choses se passent bien.
Philippe Scoffoni : Il y a donc une articulation à mettre entre le politique, l’organisation. Comment gérez-vous ça ?
Claudine Chassagne : Pour ma part, j’ai d’abord eu une expérience en tant que DSI de grande collectivité, dans les années 2 000 où on avait mis une stratégie et puis, effectivement, ça a capoté au changement de mandature, c’est donc pour ça, c’est du vécu. Là, je suis élue depuis 2014, on a donc cette politique-là depuis deux mandats, ça nous laisse un petit peu de temps.
Pour moi, ce qui est essentiel, c’est vraiment de travailler en trinôme entre un élu qui porte les orientations politiques, entre le DSI qui va faire la déclinaison opérationnelle et surtout, le troisième, la DGS, la Direction générale des services qui va entraîner les services, parce que, sans appropriation par les services, on reste sur l’aspect technique ou sur l’aspect politique et, parfois ce n’est pas abouti.
Nicolas Vivant : Et, en tant que DSI, il faut s’adapter : selon qu’on a une DG qui supporte ou pas, la stratégie qu’on va mettre en œuvre ne sera pas la même. Parfois, il ne faut pas dire qu’on fait du logiciel libre, parce que le logiciel libre agit plutôt comme un repoussoir, c’est notamment le cas dans les collectivités qui ont eu une mauvaise expérience sur un produit open source, donc, parfois, il vaut mieux juste ne pas le dire, donc on est vraiment sur les usages et sur le fonctionnel. Après, quand les planètes sont alignées, on peut effectivement y aller un peu plus sur les valeurs.
Philippe Scoffoni : C’est plus facile.
Sébastien Saunier : Sur la partie DG, comme tu disais au début, souvent les DG arrivent avec leur passif, leurs habitudes, les logiciels qu’ils maîtrisent. Ils sont tout en haut, donc, c’est vrai que si ça les dérange de venir s’adapter à l’outil de la collectivité, on va dire qu’ils ont presque les mains libres pour dire « OK, c’est bon, mais on va utiliser l’outil que j’ai l’habitude d’utiliser ». Après, quand on passe un peu plus à la pratique en disant « ça va coûter tant », on arrive à avoir un petit délai. En toute transparence, nous sommes dans ce délai. Nous sommes effectivement en train de nous battre un petit peu, ce n’est pas le bon terme, de regarder les alternatives. On temporise un peu : revenons sur un mode projet, réfléchissons avantages/inconvénients, etc., fonctionnalités, de quoi a-t-on besoin, poser les choses et ensuite repartir sur une décision.
Philippe Scoffoni : Par rapport à cette instabilité, arrivez-vous à mettre en place des « stratégies », entre guillemets, à votre niveau, pour jouer le long terme ?
Claudine Chassagne : Je voulais juste répondre à Nicolas, parce que je n’étais pas d’accord avec lui, sur le fait qu’il ne faut pas dire qu’on fait du logiciel libre. Au contraire, il faut qu’on dise qu’on fait du logiciel libre au niveau politique, au niveau technique, simplement il ne faut pas qu’on utilise les arguments qu’on a utilisés dans le passé, parce que c’est gratuit, etc.
Aujourd’hui, les enjeux au niveau politique pour dire qu’on utilise le logiciel libre, c’est l’ouverture et l’interopérabilité du système d’information, c’est la mutualisation et l’indépendance technologique et c’est la maîtrise des données. Pour moi, il y a trois enjeux qui sont fondamentaux et qu’il faut justement porter très haut. On parle beaucoup de souveraineté, il faut qu’on réintègre ça même dans nos collectivités.
Nicolas Vivant : Tu as raison. Échirolles ne cache pas qu’on y fait des logiciels libres, sinon je ne serais pas là en train de parler. Dans les échanges qu’on peut avoir avec les autres collectivités, avec nos élus et tout ça, c’est évidemment un projet qu’on met en avant, on communique suffisamment là-dessus. Je parle plutôt vis-à-vis des utilisateurs, il y a des utilisateurs qui sont des traumatisés de l’open source, le faut le mesurer. J’ai un directeur d’école, à Échirolles, qui arrive d’une autre commune où un passage à Linux ne s’était pas très bien passé. Quand il est arrivé, qu’il m’a vu, la première chose qu’il m’a dite c’est « tu ne vas pas nous passer sous Linux ». Je lui ai dit « non, jamais ». Cette personne-là, avant de la passer sous Linux, il y a un peu de travail à faire.
Il y a des façons d’amener les logiciels libres dans les services, en prêchant par l’exemple. Là, nous attaquons le déploiement de Linux, nous l’attaquons avec un plan de volontariat, c’est-à-dire un appel à ceux qui souhaitent avoir Linux et c’est à eux qu’on va l’installer en premier. Pourquoi ? Parce que c’est une façon d’amener Linux doucement dans l’infrastructure, dans le milieu, donc de lever un certain nombre de freins, parce qu’on va voir des gens qui travaillent, qui utilisent les vidéoprojecteurs, les outils d’édition collaborative, bref !, et puis, parce que ça se passe bien chez le voisin, ça permet de lever un certain nombre de freins. On y va très doucement, on y va, comme ça, avec des gens qui souhaitent passer au Libre avant de s’attaquer à des gens que ça inquiète.
C’est la mise en avant du Libre comme un projet politique. On a plein d’exemples de communes où il y a un fort élan des élus, qui poussent vraiment, et des services qui n’avancent pas. Il ne suffit pas de dire « c’est génial, la souveraineté numérique, les données personnelles, et puis c’est cohérent avec notre projet politique ». Il y a plein d’agents qui disent « d’accord, mais ce que je veux c’est bosser et là vous allez me proposer un truc de clochard » ; dans les idées reçues, c’est quand même un peu le genre de truc qu’on entend.
Claudine Chassagne : C’est là où, dans la déclinaison opérationnelle, il est très important de conduire des projets de migration qui soient des projets à part entière, c’est-à-dire que ce n’est pas simplement de la technique. Là-dessus, la technique est très simple, il y a 20 % de technique pour l’intégrer, par contre, c’est 80 % d’accompagnement du changement. J’en profite pour saluer Marie-Jo [Kopp Castinel] d’OpenGo [10] : nous savions très bien que la migration vers la bureautique n’allait pas être acceptée puisque le technicien précédent avait mis au Open Office sur tous les postes, il y avait eu un rejet complet. On a donc lancé ce projet — élus, DG et DSI —, on a expliqué les enjeux, on a pris un prestataire efficace et compétent et on a créé des petits groupes qui ont réfléchi à la façon de migrer leurs données, ce que ça voulait dire, etc. Il y a eu des formations. C’est un projet qui a duré 18 mois. Il ne faut pas traiter les projets d’installation des logiciels libres de manière très simple, parce que ce sont des projets vraiment complexes tellement ça change les habitudes. C’était un peu ce que je disais tout à l’heure : en termes d’usages et d’habitudes c’est, pour moi, le plus gros obstacle. On a à faire face à ce qui existe aujourd’hui qui est Microsoft, qui est Google, tous les GAFAM. D’ailleurs, j’ai des directeurs d’école qui, par exemple, ne jurent que par les tablettes Apple.
Je pense que ce sont vraiment des projets qu’il faut mener, pour lesquels il faut prendre du temps et puis, chaque fois, remettre le travail sur l’ouvrage, parce qu’il faut former et accompagner.
Sébastien Saunier : Au sujet des projets. Nous avons migré vers Open Office un peu comme toi, il y a 19/20 ans. À l’époque, on n’avait pas vraiment intégré la notion de projet, on l’a fait en mode Big Bang, ne rigole pas Marie-Jo, mais ça s’est plutôt pas trop mal passé, et, ensuite, on a formé les agents. Ce qu’il y a, c’est qu’au fil du temps on a des agents qui se renouvellent. Finalement, ça évolue un peu, on a pas mal d’agents qui arrivent sans forcément connaître notamment LibreOffice, mais ça se passe quand même de mieux en mieux. On continue à former les nouveaux en mode migration et on s’aperçoit aussi que les gens ont de plus en plus cette facilité à passer d’un outil à l’autre, parce qu’on a l’usage des mobiles, etc., et on a, finalement, moins cette dépendance à l’interface, « j’ai l’habitude que le bouton soit là », ça arrive à évoluer. On a, pratiquement, plus de plasticité des utilisateurs, ça dépend qui, c’est toujours pareil.
Nicolas Vivant : Moi, je ne comprends pas toujours les utilisateurs. Personne ne les a formés à Gmail, personne ne les a formés à Canva, mais si vous installez le moindre outil, même qui ressemble à ça, ils hurlent et demandent des formations de partout. C’est quand même assez bizarre la résistance au changement !
Claudine Chassagne : Après tu as les champions d’Excel et les champions des présentations Powerpoint qui n’arrivent pas à trouver d’équivalent. Il faudrait quand même qu’on revienne un peu sur ces usages-là, trop sophistiqués, qui sont allés très loin parce qu’on n’a pas forcément les contreparties et c’est là aussi où ça peut poser problème.
Nicolas Vivant : En tout cas, dans une stratégie de migration, ce sont les personnes qu’il faut migrer en dernier. Ne commençons pas par les trucs les plus compliqués, ne commençons pas les trucs les plus lointains. Souvent je dis, si vous faites un passage à Linux, par pitié ne commencez pas par les écoles de votre collectivité, commencez autour de vous à l’hôtel de ville, un endroit qui n’est pas loin, si possible par des décideurs. La première personne que nous avons passée sous Linux, c’est notre directeur général des services, ça fait deux ans qu’il y est, maintenant, allez lui expliquer que ça ne marche pas et que c’est nul ! Ça fait deux ans qu’il l’utilise, donc vous voyez en termes de stratégie de migration.
Donc, commencez par les gens autour de vous, allez-y doucement pour laisser le temps à votre service de monter en compétences aussi. Tu parlais de ces experts sous Excel, mais c’est vrai aussi au service informatique : demandez aux gens de travailler autrement, avec d’autres produits, c’est remettre en cause tout un niveau de compétences. J’ai eu des réactions, au départ, par des gens qui avaient peur de se retrouver au niveau des utilisateurs ; aujourd’hui, ils étaient ceux qui expliquaient et ils avaient peur, demain, d’être en danger face à un utilisateur qui rencontre un problème. La première résistance au changement et la plus complexe à gérer c’est à l’intérieur du service informatique, ce n’est pas dans les services. Mais on est d’accord sur la partie accompagnement.
Juste un mot pour dire que ce type de moment est très important. Toutes les rencontres qu’on a sont des occasions d’échanger sur des produits, parce qu’il n’y a pas de marketing, il n’y a pas de communication, et aussi sur des stratégies, justement, de migration, le livre de Claudine est précieux [Migrer son système d’information vers les logiciels libres : Un défi politique et technique pour les collectivités ]. Pouvoir échanger sur ces sujets-là, c’est très important.
Claudine Chassagne : La stratégie est aussi différente suivant la taille de la collectivité. Toi, tu es dans une très grande collectivité, donc tu as un service informatique qui est quand même étoffé ; moi, je suis dans une commune de 5 600 habitants, le service informatique c’est une personne et demie parce qu’il y a un apprenti. Après, il faut effectivement tomber, là il vient de changer, sur le bon DSI qui va adhérer et qui va être moteur. Apparemment, on l’a trouvé, donc on va avancer.
Nicolas Vivant : Oui, et puis on est beaucoup plus en contact. Il y a cinq ans, on n’était pas du tout en contact.
Claudine Chassagne : Tout à fait, en réseau, en communauté et c’est important. Le propre du logiciel libre, c’est quand même de créer ces communautés d’échange et de partage.
Nicolas Vivant : Il n’y a pas très longtemps, j’ai fait un travail sur un logiciel de prise de rendez-vous, une sorte de Doctolib. Il en existe un, qui est libre, le code est en ligne, mais la documentation ce n’est pas trop ça. Du coup, nous avons fait le boulot en interne parce que, effectivement, nous avons les compétences d’installation de ce logiciel et tout. On a tout documenté, on a aussi documenté la partie administration, et on a partagé ça avec tout le monde, c’est-à-dire que nous avons fait ce travail de documentation qui n’avait pas été fait par l’éditeur du logiciel et nous l’avons partagé avec tous nos collègues, dont celui de Saint-Martin-d’Uriage. Ça veut dire que, déjà, il est un peu plus autonome si lui-même souhaite mettre en place cette solution et, surtout, ça veut dire qu’on est en contact et qu’on peut donner des coups de main s’il y a des blocages ou des trucs qu’on n’aurait pas documentés. C’est vraiment majeur parce que c’est ce qui nous permet de compenser, un petit peu, l’absence de communication et d’information comme on peut l’avoir sur les logiciels propriétaires.
Philippe Scoffoni : OK. Donc trouver des key users, finalement, qui vont être un peu les porteurs des nouvelles solutions libres qu’on déploie. Ça fait effectivement un peu partie des démarches de conduite de changement, etc., pour avoir des gens qui sont moteurs qui vont, après, porter la bonne parole et diffuser les facilités, en tout cas qui vont diffuser l’outil.
On parlait de réseau. Aujourd’hui, comment êtes-vous organisés ? Vous avez des regroupements régionaux, locaux ? Comment échangez-vous ?
Nicolas Vivant : Le premier réseau, c’est le réseau des libristes. On est là. Je vois plein de gens ici que j’ai vu aussi aux JdLL [Journées du Logiciel Libre] que je vois à Open Source Experience, que je vois au congrès de l’ADULLACT [11] pour ce qui est des collectivités. Donc, c’est déjà un réseau.
Au niveau de Grenoble, on a un syndicat intercommunal, qui s’appelle le SITPI [Syndicat intercommunal pour les télécommunications et les prestations informatiques], qui réunit une dizaine de communes. Il y a effectivement un objectif de promotion et d’utilisation de logiciels libres au SITPI. C’est un réseau très solide de communes qui échangent, cherchent des axes de mutualisation et tout ça.
Toujours à l’échelle de Grenoble, on a créé un collectif qui s’appelle Alpes Numérique Libre. Au départ, c’est un collectif pour les communes vraiment intéressées par les logiciels libres, mais, finalement, tout le monde a senti le bon plan et tout le monde est là. Je pensais qu’on serait cinq/six et, finalement, les 15 DSI des villes autour de l’agglo, plus Saint-Martin-d’Uriage et puis, de plus en plus, des communautés de communes, nous rejoignent : Bièvre Est, Massif du Vercors, Val de Drôme. On commence à avoir des collectivités qui sont un peu éloignées, qui ne nous rejoignent que là-dessus, sur du retour d’expérience et du partage de connaissances. C’est donc un outil. Quand on est une petite commune, on se sent seule, en réalité, et c’est précieux de pouvoir échanger.
Claudine Chassagne : C’est ce qui a un peu changé, justement. Échirolles a pris les choses en main au niveau politique comme au niveau technique, a donc créé un peu toutes ces strates et c’est vraiment intéressant. Nous avons cherché de la mutualisation pendant très longtemps, sur l’Isère, sans trouver, et puis finalement on adhère au SITPI, donc on va migrer vers le SITPI, ce syndicat intercommunal.
Après, il ne faut pas oublier toutes les associations : l’ADULLACT qui nous réunit, avec laquelle on travaille beaucoup, avec laquelle on échange beaucoup, qui existe quand même depuis plus de 20 ans. C’est important. Il y a l’April, il y a pas mal d’associations auxquelles on peut se référer. Mais c’est vrai qu’on était quand même bien seuls jusqu’à assez récemment ; ça va changer.
Philippe Scoffoni : Très bien. Sébastien, tu voulais rajouter quelque chose ?
Sébastien Saunier : Une réflexion en vous écoutant. C’est vrai qu’on a effectivement l’ADULLACT qui nous permet d’échanger, mais qui reste quand même orientée sur des logiciels plutôt métier. C’est vrai que ce qui pourrait manquer, c’est ce que vous avez développé sur l’Isère. On est plus sur de l’échange d’expériences orienté réellement logiciel libre, pas juste une association de DSI comme il en existe un certain nombre.
Philippe Scoffoni : Pour changer un petit peu de sujet. Aujourd’hui, on parle beaucoup de souveraineté numérique, éco-responsabilité, sobriété, etc. Est-ce que ça a un impact, aujourd’hui, sur votre stratégie de construction de DSI ? Est-ce que c’est un argument de plus en faveur des logiciels libres ou pas ?
Claudine Chassagne : Je vais reprendre l’aspect politique. En 2014, nous avions lancé une politique qui était le recours aux logiciels libres en priorité, c’était vraiment au plus haut niveau. Changement de mandature en 2020 avec de nouveaux élus beaucoup plus axés sur la transition. À ce moment-là, on a fait une stratégie du numérique responsable et inclusif qui s’appuie, justement, sur le logiciel libre. C’est une façon de dire qu’on fait du logiciel libre, mais on le camoufle sous la sobriété, sous la souveraineté, etc., et, finalement, ça a bien pris, donc on s’interroge vraiment sur ces aspects-là. Et là, le logiciel libre est un vrai atout par exemple pour allonger la durée de vie des terminaux, pour tout ce qui est flotte mobile, pour l’écoconception, etc. Donc, dans plein d’endroits, on a réintégré du logiciel libre à ce niveau-là ; on l’a mis dans cette politique-là.
Nicolas Vivant : Des études ont montré que l’utilisation de Linux, par exemple, était moins consommatrice en énergie et que c’est effectivement un vrai axe pour la sobriété, mais il y a plein d’autres trucs : toutes les grandes collectivités se retrouvent avec la moitié de leur parc qui ne passe pas à Windows 11 ! Ça veut dire des milliers de terminaux fonctionnels jetés à la poubelle. C’est vrai que le jour où la métropole de Grenoble a parlé de cela en réunion de DG, notre DG a pris la parole pour dire « nous ne sommes pas concernés, on vous laisse discuter entre vous », parce que le passage à Linux était entamé à Échirolles.
Globalement, le logiciel libre permet de reprendre la main sur son système d’information et c’est une des conditions. La maîtrise de son infra est une des conditions de la mise en place efficace de la sobriété numérique. Si vous êtes dépendant de prestataires, vous êtes aussi dépendant de leur capacité à être sobres ou pas.
Chez nous, plein de choses sont faites en interne, d’ailleurs plus de l’ordre organisationnel que matériel ou logiciel. On sait que 70 %, voire plus, de l’impact environnemental du numérique c’est la fabrication des terminaux. Donc, notre travail est surtout sur la façon d’éviter l’achat de nouveaux terminaux. Ça veut dire, en termes organisationnels, qu’on change énormément de choses, on revient à des trucs type BYOD [bring your own device], c’est-à-dire que si quelqu’un arrive dans la collectivité avec son smartphone et dit « je ne veux pas de smartphone, je veux juste une carte SIM », dans plein de collectivités on va lui dire « non, on ne met nos cartes SIM que dans des téléphones qu’on maîtrise parce qu’on a un système de gestion de notre parc. » OK, mais cela va à l’encontre de l’objectif de sobriété. Ça veut donc dire organiser son système d’information pour être capable d’intégrer, en toute sécurité, sur son réseau, des équipements qui ne sont pas les siens, ça en fait partie. C’est un vrai changement de paradigme et il y en a plein comme ça, c’est vraiment un changement organisationnel à opérer pour être efficace. Mais bien sûr que les logiciels libres nous aident, c’est sûr.
Sébastien Saunier : Sur l’aspect sobriété, etc., c’est vrai que, côté matériel, on travaille quasi exclusivement avec du reconditionné sur tout ce qui est poste de travail, un peu moins sur les mobiles, on a testé mais ce n’est pas toujours pertinent, et sur la partie infra, serveurs, aussi. Les choix qu’on peut faire peuvent aussi nous permettre de prolonger la vie de l’infra, des serveurs, de les changer au fil de l’eau, et pas forcément d’être sur un mode « tiens, j’ai acheté une licence VMware [virtualisation des postes de travail], je change VMware, il faut que je change toute l’infra en même temps ». Les logiciels libres nous permettent de venir moduler ces aspects-là.
Philippe Scoffoni : Une dernière question, une question de valorisation de ce travail et de ces logiciels qu’on met en place qui, parfois, n’ont pas de coût. Comment valorise-t-on vis-à-vis d’un DG et est-ce que ça peut se valoriser, finalement ?
Nicolas Vivant : C’est une question très intéressante. Il y a les économies qu’on fait et ce n’est pas difficile à valoriser. Quand je dis moi, comprenez l’équipe d’Échirolles, parce que c’est Philippe, qui est là dans la salle, qui fait en réalité le boulot. Ça fait trois ans qu’on présente un budget en investissement et en fonctionnement en baisse, avec un périmètre qui explose en termes de fonctionnalités ; ça, c’est visible. Très bien, nos élus sont contents, on cherche à faire des économies, on fait des économies.
Mais comment valoriser l’argent qu’on ne dépense pas ? Si j’ai 100 000 euros de budget, je reste à 100 000 euros, mais j’ai doublé mon périmètre, j’ai fait des économies, mais elles ne se voient pas au niveau budgétaire, donc, comment valoriser ça ? On a fait un travail qu’on vient d’achever. Par exemple, en solution de visioconférence, j’ai BigBlueButton [12]. Combien ça m’aurait coûté si j’avais le même nombre de licences en Teams. Et je fais ça pour l’ensemble des logiciels libres qui ont été déployés depuis le début du mandat. Le montant auquel on est arrivé à Échirolles m’a impressionné, je ne m’y attendais pas du tout, notre élu, je n’en parle même pas, d’autant plus qu’il est élu aux finances, ça l’intéressait donc à double titre, il était hyper motivé ! On arrive à 350 000 euros d’économies par an. Encore une fois, ce ne sont pas des économies, on n’a pas fait moins 350 000 euros sur le budget, mais, en gros, c’est la valeur de ce qui a été mis en œuvre. Ce sont, en gros, 350 000 euros par an, donc, à l’échelle d’un mandat, ça représente plus de deux millions d’euros d’argent qu’on n’a pas dépensé. C’est un chiffre qui parle, c’est pour 1 000 utilisateurs, je le dis pour les gens qui ne connaissent pas notre taille, pour 1 000 postes clients.
C’est donc une façon de valoriser. Il y a plusieurs façons de le faire.
Par exemple, je suis allé sur les sites de Microsoft pour voir quelle était la licence la moins chère pour Teams, elle est autour de trois euros. Et, pour confirmer le chiffre, parce qu’il y a quand même des négociations commerciales, tout le monde n’achète pas au prix affiché, je suis allé voir sur des marchés publics, puisque les marchés sont publics et les allocations de marché sont publiques avec des montants. Je suis allé vérifier que les chiffres que j’obtenais étaient effectivement cohérents.
Une autre façon de faire c’est de contacter les collègues et demander, s’ils utilisent Teams, combien ils ont d’utilisateurs, combien ça leur a coûté, benchmarker comme ça.
Je pense qu’une bonne pratique, chaque fois qu’on met en œuvre une solution libre, c’est de faire faire des devis, c’est encore la meilleure façon, et puis on prend le moins cher et on dit « c’est ce que j’ai économisé ». Sauf que si ce sont toujours les mêmes acteurs à qui vous demandez les devis, au bout d’un moment ils se disent « OK, en fait il n’achètera jamais nos produits, tout ce qu’il veut c’est valoriser pour son élu » et ça risque de se compliquer un peu. Soit, vous trouvez en ligne les données, comme je vous l’ai dit, ou vous allez les chercher dans les marchés publics.
En tout cas, c’est vraiment une bonne pratique de faire ça, parce que même en termes de communication vis-à-vis des élus, 350 000 euros par an, ce sont sept postes d’informaticiens, c’est ce qu’il faut avoir à l’esprit ; on peut parler en postes à l’échelle du mandat, on peut parler en pourcentages d’écoles maternelles.
Ce n’est pas mal de faire ce travail-là, parce qu’on est souvent interrogé sur les économies que fait faire le Libre, avec des arguments qui nous disent « oui, mais ce qu’on économise en licence, on le paye en prestations, on le paye en formation ». Faisons ce travail. Quand je vous parle de 350 000 euros, ce sont des coûts récurrents, vraiment des coûts de fonctionnement, donc des coûts annuels, on est pas dans les coûts d’investissement et c’est en prenant en compte les quelques contrats de maintenance qu’on a pour contribuer aux projets libres qu’on utilise. Le chiffre n’est même pas à 350, il est à 365 000 !
Claudine Chassagne : Je reprends exactement ce que tu dis, parce que c’est pareil pour nous. Il y a ce qu’on voit, donc la suppression des licences. Dans tout projet, par exemple de bureautique libre, on demande qu’il y ait un volet financier avec un retour sur investissement sur un certain nombre d’années. On essaye de mettre ça dans tous les projets pour bien le mettre en évidence, parce qu’on a tendance à l’oublier très rapidement l’année d’après.
Après, il y a ce qui ne se voit pas. Comme le dit toujours le président de l’ADULLACT, « le logiciel libre n’est pas gratuit et il faut quand même qu’il y ait eu quelqu’un qui l’ait développé au départ » et ça demande aussi des compétences d’adaptation et ça se voit pas. Toute la difficulté, c’est effectivement d’arriver à faire comprendre qu’il y a ce besoin d’adaptation au développement qui fait que ça nous donne, au final, des logiciels qui sont certainement mieux adaptés. On le voit bien aussi avec les logiciels métiers, on vient de prendre le logiciel propriétaire Éducation Enfance Jeunesse, mais c’est terrible ce qu’on est en train de mettre en termes de formation, de prestations d’accompagnement, etc., pour que les usagers et les utilisateurs puissent se l’approprier.
On essaye de mettre ça en parallèle, on le garde bien sur un coin de table parce que c’est vrai que c’est important : on met aussi beaucoup d’argent dans l’accompagnement du changement pour un logiciel propriétaire. Il faut donc comparer les choses qui sont équivalentes.
Nicolas Vivant : C’est pour cela que je déteste l’expression : logiciel libre ne veut pas dire gratuit. Quand on parle de gratuité des logiciels libres, on parle de gratuité pour les utilisateurs. Si vous allez aux Restos du Cœur, le repas est gratuit. On fait avec les logiciels libres ce qu’on ne ferait jamais avec les Restos du Cœur. C’est comme si on disait aux Restos du Cœur « non, le repas n’est pas du tout gratuit, parce qu’il y a des gens qui le préparent. » Si, il est gratuit pour les gens ! Donc, n’hésitons pas à dire que les logiciels libres sont des logiciels gratuits. Pour les utilisateurs, c’est gratuit. Arrêtons de nous tirer des balles dans le pied avec cette expression « attention, Libre ne veut pas dire gratuit » ; si, Libre veut dire gratuit, il faut l’assumer en tant que tel. Je vous dis ça parce que c’est un vrai argument de passage au Libre dans les communes, surtout quand vous discutez avec l’adjoint aux finances, Libre, ça veut dire gratuit. Ça ne veut pas dire que ça n’a pas de valeur, ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas des coûts associés. Ça veut dire que le logiciel est gratuit comme les repas aux Restos du Cœur sont gratuits, même s’ils ont une valeur, même s’il a fallu les produire, il a fallu les acheminer, in fine ils sont gratuits. Plaçons-nous du point de vue de nos utilisateurs, ce sont eux qu’il faut convaincre, et puis l’adjoint aux finances, très important !
Sébastien Saunier : Je vais recouper ce que vous avez dit. À la réflexion, on ne revalorise pas suffisamment régulièrement les économies qui sont finalement générés. On l’a fait ponctuellement, on sait que ça nous évite de dépenser tant, le plus facile c’est effectivement sur les licences type Microsoft, sur d’autres outils on peut le faire aussi. C’est vrai que les élus oublient l’argent qu’on n’a pas dépensé, l’argent qu’on a évité de dépenser. Je boucle un peu sur ce que je disais tout à l’heure : à un moment donné, quand on se repose la question « ça va coûter ça, mais ça va coûter ça par an ? ». OK, on va se reposer des questions sur la pertinence d’un éventuel changement dans l’autre sens.
Nicolas Vivant : Ça rejoint ce que je disais sur la qualité du travail qu’on effectue pour éviter un retour en arrière. Le coût, c’est quand même un gros facteur quand on retourne sur des logiciels propriétaires. Donc, si les choses marchent, qu’on est conscient de la valeur de ce qui a été produit, c’est aussi plus compliqué de jeter tout ça à la poubelle en disant « je préfère l’interface de Teams », c’est plus dur.
Philippe Scoffoni : Est-ce qu’il y aurait encore des points dans vos pratiques de déploiement de logiciels libres aujourd’hui que vous aimeriez mettre en avant ou faire connaître ?
Nicolas Vivant : Il y en a plein. En tout cas, dire que c’est possible de le faire. À Échirolles, on atteint un niveau, on en est à libérer les interphones dans les écoles et notre accès à Internet. On commence à partir dans des trucs un peu bizarres !
Quand vous êtes sur un interphone connecté, qui se trouve devant l’école, vous sonnez et, sur le smartphone de la directrice, votre tête apparaît, elle dit « c’est qui ? » et elle vous ouvre. Ça, ce ne sont que des solutions propriétaires, ça passe par du cloud, on ne sait pas où c’est. On a trouvé comment faire pour que ça passe par notre infra et avec le même niveau... On commence à bosser dessus, on est sur une maquette et on sait que ça marche, on communiquera dessus quand on aura véritablement déployé, en 2025. Voilà le type de projet super intéressant sur lequel on peut travailler, qui permet de faire des économies et qui permet surtout, en termes de respect des données personnelles et de souveraineté numérique, d’avancer sur des domaines un peu inattendus.
L’accès à Internet c’est pareil. J’ai un DSI qui est arrivé en disant « pourquoi ne se connecte-t-on pas directement à Internet ? – Qu’est-ce que tu veux dire ? Sans fournisseur d’accès ? – Internet, il n’y a pas de fournisseur d’accès au début, Internet ce sont des gens qui sont interconnectés. Pourquoi ne se connecte-t-on pas directement ? ». On peut se connecter directement à Internet, personne ne le sait, ça nécessite d’avoir quelques compétences en réseau et aussi quelques compétences pour aller négocier, pour aller discuter avec quelques opérateurs de réseau.
On travaille sur des sujets comme ça.
Claudine Chassagne : Pour nous, il reste quand même un écueil, ce sont les écoles, parce que c’est à peu près la moitié de notre parc, la moitié pour les agents, la moitié pour les écoles, et là on a vraiment beaucoup de mal. On a pourtant beaucoup travaillé avec elles, on a même voulu les accompagner complètement pour migrer leurs cours, etc. – Marie-Jo en sait lancer quelque chose. C’est vrai qu’il y a eu vraiment une barrière complète. On comprend les enseignants parce qu’ils ne sont pas formés à ça, ils n’ont pas forcément le temps de se former, etc. Il faudrait vraiment qu’il y ait un mouvement un peu national par rapport à ça qui les amène petit à petit à être sensibilisés. J’observe presque un retour en arrière par rapport à des outils très sophistiqués, avec des demandes très propriétaires, alors qu’on a quand même essayé de travailler pendant cinq/six ans justement sur cet aspect-là.
Philippe Scoffoni : Sébastien, dans les écoles de Mions, ça va bien ?
Sébastien Saunier : Sur la partie bureautique pure, il y a longtemps qu’on a fait le pas et maintenant ça tourne. Après, sur les postes, on a testé il y a 15 ans, on a été un peu échaudés et puis avec les TNI [Tableau Numérique Interactif], etc., on avait regardé il n’y a encore pas si longtemps que ça, on a baissé un peu, on s’est concentré sur d’autres choses.
Nicolas Vivant : Comme je l’ai dit tout à l’heure, je conseille vraiment de faire les écoles en dernier, quand on a une solution stable, qui marche, qui a déjà été déployée en interne et tout ça, qu’on est tranquille avec la solution. Et puis, les enseignants ont vraiment des besoins spécifiques, donc ça nécessite une étude vraiment bien faite.
Quand j’ai déployé Linux dans les écoles, je me suis retrouvé face à des problématiques qui n’avaient pas du tout été abordées dans les échanges que j’avais eus avec les enseignants. Par exemple, ils achetaient tous des DVD des éditions Retz qui leur servaient à produire leurs cours. C’est évidemment un CD dans lequel il y a un autoxec et puis un .exe. Donc, comment faire tourner ça sous Linux ? En plus, selon l’année du DVD, les technos ne sont pas du tout les mêmes. Donc, avant d’attaquer le déploiement, on a travaillé sur la façon d’arriver à faire fonctionner ces DVD parce que ce sont des investissements qu’ont faits les enseignants, parfois avec leur propre argent, parfois avec l’argent de l’école, et qui sont mis à la poubelle si vous les passer sous Linux. Ça ne facilite pas l’adoption ! C’est donc un truc sur lequel on a travaillé avant de commencer le déploiement et ça me semble indispensable. Bref !, les écoles en dernier, surtout pas en premier !
Philippe Scoffoni : Tout le monde a retenu, c’est bon ? Vous avez noté ?
Est-ce qu’il y aurait un dernier message que vous voudriez faire passer à l’audience ?
Nicolas Vivant : Tu ne voulais pas qu’il y ait des échanges ?
Philippe Scoffoni : S’il y a des questions, on peut, il nous reste encore quelque temps.
Public : Concernant les applications métiers ?
Claudine Chassagne : C’est effectivement le problème. Pour les applications RH et finances, on n’a pas trouvé d’alternative, on est donc toujours avec des logiciels propriétaires. Là où ils évoluent c’est que maintenant c’est en navigateur web, ça nous permet donc de changer l’infrastructure dessous, donc on va s’attaquer nous à toute l’infrastructure en ligne Linux.
Après il y a tout le pan de l’administration électronique où, justement, il y a tous les produits avec l’ADULLACT, là, vraiment, on est quand même toujours en Libre. Tout ce qui est outils de communication, messageries, tout ça, on a aujourd’hui tout un éventail de logiciels libres.
La difficulté qu’on a c’est d’intégrer tout ça et de faire en sorte que ça corresponde aux utilisateurs. Je cite toujours cet exemple : on a GLPI [13] depuis très longtemps, on l’a pour les services techniques, on l’a pour les services informatiques, on l’a pour tout et, chaque fois que des gens nouveaux arrivent, ils disent « GLPI ne nous convient pas du tout ». En fait, on s’aperçoit qu’il faut travailler sur l’usage et l’organisation. C’est pour cela que j’insiste beaucoup là-dessus : les produits libres sont aussi bons que les produits propriétaires, simplement il faut beaucoup travailler sur l’organisation et le changement.
Nicolas Vivant : Je dirais que ça dépend des logiciels métiers. Il y a des logiciels métiers, par exemple pour la gestion de bibliothèque, où on trouve des logiciels libres, pas de souci. Là on a des difficultés c’est sur les logiciels métiers qui sont très en lien avec la réglementation qui évolue ; c’est vrai pour les finances, c’est vrai pour les RH. Dès qu’on est sur des sujets comme ça, où la réglementation est mise à jour très régulièrement, on a une difficulté, parce qu’il faut maintenir pour être conforme à la législation, mais surtout, pour quelqu’un qui développerait un outil comme ça, ça veut dire maintenir pour la législation de plein de pays du coup, puisqu’un logiciel libre, par défaut, n’a pas de frontières. C’est donc une vraie difficulté et c’est vrai que dans ces domaines-là, c’est compliqué. La gestion des cimetières ça va, la législation ne change pas très souvent ! Mais, par exemple sur la compta et la gestion publique, c’est terrible, on n’y arrive pas. Produire des feuilles de paye avec un logiciel libre, ce n’est vraiment pas simple, parce que la feuille de paye française, la feuille de paye espagnole et la feuille de paie allemande n’ont absolument rien à voir ; ce n’est pas simple. Après, il y a des outils, avec Dolibarr<ref<Dolibarr]] on y arrive, mais c’est plus compliqué.
Philippe Scoffoni : On prend une dernière question.
Public : En termes de retour d’expérience ou de partage auprès du collectif, bon il y a des PME, des TPE, des freelances qui ont des besoins divers et variés, qui sont très sollicités par les GAFAM ou autres. Est-ce que vous partagez l’information ? Vous faites tous plein de travaux, dans vos différentes entités. Comment ça se passe pour partager ou pour les développements spécifiques internes ? Est-ce que vous les opensourcez ? Quelle est votre position par rapport à ce sujet-là ?
Claudine Chassagne : Déjà en termes de publication, on a écrit des dossiers, on a témoigné sur ces retours d’expérience, moi surtout.
Je parle pour ma commune où on n’a qu’une seule personne au service informatique, elle ne développe pas, donc c’est vrai qu’on ne peut pas jouer ce rôle-là en termes de reversement. Ça peut être de la documentation.
Après, ça dépend aussi des personnes, j’ai l’impression que le nouveau DSI, qui est arrivé, est à fond là-dedans, donc je pense que ça va être différent.
Je veux dire que quand on a une personne et demie dans un service informatique, c’est différent. Dans ma dernière collectivité, on était 80. J’avais un service qui faisait justement du logiciel libre, qui l’adaptait qui le reversait, etc., donc c’est un petit peu différent entre petites et grandes collectivités ça fonctionne
Nicolas Vivant : Publier du code ! C’est surtout maintenir du code après et c’est très lourd. Il n’y a que les grosses collectivités, très grosses collectivités, qui peuvent se le permettre. La ville de Paris le fait, la ville de Toulouse le fait. À Échirolles, on a un développeur, 20 % de son temps est dédié à la contribution en ligne, mais on ne publie pas notre propre code, parce qu’on n’aurait vraiment pas les moyens, en termes de ressources, de le maintenir et d’animer la communauté. Mais ça pose une question intéressante qui est la question de la contribution. Nous sommes de gros consommateurs de logiciels libres, mais comment contribue-t-on ? Le moyen le plus simple qu’on a trouvé de contribuer, c’est de prendre des contrats de maintenance avec les éditeurs qui produisent les logiciels, même si on n’en a pas besoin. Nous sommes autonomes, par exemple, nous sommes capables de gérer notre solution XiVO [14] en autonomie, mais on a un contrat de maintenance chez XiVO. Nous sommes capables de gérer notre solution SOGo en autonomie, mais on a un contrat de maintenance chez SOGo. Pourquoi ? Parce que pour une collectivité, au niveau administratif, c’est ce qu’il y a de plus simple à mettre en œuvre. Vous dites « on a acheté un nouveau logiciel, il y a un contrat de maintenance », personne n’est choqué et personne ne va aller voir si vous en avez effectivement besoin ou pas. Ça peut donc être une façon intéressante de contribuer au projet.
Ensuite, il y a tout ce qui est bugs reporting, traductions, patchs, petits patchs qui peuvent être faits au sein de l’équipe et qui sont aussi des contributions.
Et puis, comme disait Claudine, il y a partager sur les logiciels qu’on utilise, j’en ai cité plein dans l’échange qu’on a eu. C’est aussi faire savoir quelles solutions on utilise, en faire la promotion et ça participe du succé des logiciels.
Philippe Scoffoni : Très bien. Merci beaucoup pour ce partage. J’espère que ça aura été instructif pour tout le monde et je vous invite à passer au repas, au petit en-cas qu’on vous a préparé. Les conférences reprennent à 13 heures 30, 13 heures 35. Merci à vous.
[Applaudissements]