Libre à vous ! Radio Cause Commune - Transcription de l’émission du 8 septembre 2020

Titre :
Émission Libre à vous ! diffusée mardi 8 septembre 2020 sur radio Cause Commune
Intervenant·e·s :
Julie Bideux - Isabella Vanni - Catherine Dufour - Katia Aresti - Caroline Corbal - Isabelle Carrère - Frédéric Couchet - Étienne Gonnu à la régie
Lieu :
Radio Cause Commune
Date :
8 septembre 2020
Durée :
1 h 30 min
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Page des références utiles concernant cette émission

Licence de la transcription :
Verbatim
Illustration :
Bannière de l’émission Libre à vous ! de Antoine Bardelli, disponible selon les termes de, au moins, une des licences suivantes : licence CC BY-SA 2.0 FR ou supérieure ; licence Art Libre 1.3 ou supérieure et General Free Documentation License V1.3 ou supérieure. Logo de la radio Cause Commune utilisé avec l’accord de Olivier Grieco.
NB :
transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.

Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l’April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

logo cause commune

Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Frédéric Couchet : Bonjour à toutes. Bonjour à tous.

Les femmes, l’informatique, le logiciel libre, ce sera le sujet principal de l’émission du jour avec au programme la Fête des Possibles et également la première chronique d’Antanak qui portera sur l’installation d’un système d’exploitation libre. Nous allons parler de tout cela dans l’émission Libre à vous ! du jour.
Vous êtes sur la radio Cause Commune, la voix des possibles, 93.1 FM et en DAB+ en Île-de-France et partout dans le monde sur le site causecommune.fm.
Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre. Je suis Frédéric Couchet, le délégué général de l’April.

Le site web de l’April c’est april.org, vous pouvez y trouver une page consacrée à cette l’émission avec tous les liens et références utiles, les détails sur les pauses musicales et toute autre information utile en complément de l’émission et également les moyens de nous contacter. N’hésitez pas à nous faire des retours pour indiquer ce qui vous a plu mais aussi des points d’amélioration.
Nous sommes mardi 8 septembre 2020, nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.

À la réalisation de l’émission aujourd’hui mon collègue Étienne Gonnu. Bonjour Étienne.
Étienne Gonnu : Salut Fred.
Frédéric Couchet : Si vous souhaitez réagir, poser une question pendant ce direct, n’hésitez pas à vous connecter sur le salon web de la radio. Pour cela rendez-vous sur le site de la radio, causecommune.fm, cliquez sur « chat » et retrouvez-nous sur le salon dédié à l’émission.

Nous vous souhaitons une excellente écoute.

Tout de suite place au premier sujet.
[Virgule musicale]

Chronique « Le libre fait sa comm’ » d’Isabella Vanni, coordinatrice vie associative et responsable projets à l’April, qui portera sur la Fête des Possibles

Frédéric Couchet : Parler d’actions de type sensibilisation menées par l’April, annoncer des événements libristes à venir avec éventuellement des interviews des personnes qui organisent ces événements, c’est la chronique « Le libre fait sa comm’ » de ma collègue Isabella Vanni. Isabella est coordinatrice vie associative et responsable projets à l’April. Bonjour Isabella.
Isabella Vanni : Bonjour à tout le monde.
Frédéric Couchet : Au programme aujourd’hui la Fête des Possibles avec Isabella Vanni et Julie Bideux. Je vous laisse toutes les deux.
Isabella Vanni : Bonjour. Nous allons faire une petite interview de Julie Bideux de l’équipe d’organisation de la Fête des Possibles. Bonjour Julie.
Julie Bideux : Bonjour.
Isabella Vanni : Tu m’entends bien ?
Julie Bideux : Très bien.
Isabella Vanni : Super.

Merci d’avoir accepté notre invitation pour parler et présenter cette manifestation. On en a déjà parlé au cours d’une précédente émission de Libre à vous !, mais ça nous fait plaisir d‘en parler à nouveau.

Je te laisse la parole déjà pour présenter brièvement la Fête des Possibles. En quoi ça consiste ?
Julie Bideux : La Fête des Possibles c’est tout un ensemble d’évènements, à la fois des petits et des beaucoup plus grands, qui sont organisés localement principalement en France et en Belgique du 12 au 27 septembre 2020.

Le but de la Fête c’est de donner de la visibilité à tous les créateurs et créatrices de possibles, c’est-à-dire tous ceux et celles qui agissent au quotidien pour une société plus juste et plus durable. En organisant un rendez-vous dans le cadre de la Fête des Possibles, ces créateurs vont ouvrir les portes de leurs projets, organiser des rencontres pour réfléchir ensemble et donner envie à tous les participants, toutes les participantes, de s’engager près de chez eux.
Isabella Vanni : Super. Je rappelle les dates : du 12 au 27 septembre partout en France et en Belgique principalement. Si j’ai bien compris, il y a deux objectifs principaux avec cette Fête : d’un côté rendre visibles ces initiatives locales et ces solutions et de l’autre inviter les personnes à passer à l’action.
Julie Bideux : C’est ça.
Isabella Vanni : Merci. Est-ce que tu peux nous faire des exemples d’évènements, de formats d’évènements qui peuvent être organisés à l’occasion de cette Fête en sachant, si j’ai bien lu ce que vous mettez sur votre site, que l’un des critères vraiment important de ces évènements c’est favoriser la participation, c’est-à-dire faire en sorte que les personnes jouent un rôle actif pendant l’évènement.
Julie Bideux : C’est ça. Il y a vraiment une assez grande diversité de rendez-vous qui sont organisés pendant la Fête, de tailles très différentes. Cette année vous pouvez aussi bien assister à un atelier dans un jardin partagé, à une porte ouverte dans une ferme ou tout un habitat partagé, une balade à pied ou à vélo des lieux de transition de votre quartier, une soirée projection, un débat ou alors un village associatif avec des ateliers plus élargis.
Isabella Vanni : Disons que le village c’est un peu l’évènement qui peut en accueillir d’autres en fait, entre stands, ateliers, conférences, mais ça peut être aussi une petite activité.
Julie Bideux : C’est ça. Sur le site on pourra aussi bien trouver juste des ateliers qui sont organisés dans le local de l’association, qui sont peut-être prévus tous les ans et qui ont été inscrits sur le site de la carte, qui sont organisés parce que c’est la rentrée. Mais il y a aussi des évènements où des associations travaillent ensemble pour faire parler de leurs activités où, du coup, on retrouvera à la fois des stands pour découvrir la diversification d’un territoire et aussi des conférences, des ateliers pour s’engager.
Isabella Vanni : L’autre point intéressant effectivement de cette manifestation, vous encouragez les associations et les individus, tout type d’organisation, à coopérer en fait pour donner plus de variété, pour proposer plus de variété d’évènements.

Le contexte sanitaire que nous vivons en ce moment est très particulier et j’ai vu que vous en avez tenu compte, notamment dans le kit que vous avez préparé, « Je crée mon RV ». Est-ce que tu peux nous en parler ?
Julie Bideux : Forcement, la situation sanitaire actuelle et ses incertitudes ont pas mal impacté l’organisation des rendez-vous de la Fête des Possibles, notamment le nombre de rendez-vous a automatiquement été réduit par rapport à l’année passée et plusieurs ont dû être annulés. Après il faut savoir que comme de nombreux rendez-vous sont de petite taille il a souvent été plus facile aux organisateurs de s’adapter à cette contrainte, même si de plus grands évènements ont quand même pu être maintenus.

On a essayé de donner des billes aux organisateurs sur comment respecter ce contexte, notamment les évènements en plein air ont souvent été favorisés. On a essayé de proposer des formats alternatifs, donc d’aller faire justement des circuits pour des projets d’initiative plutôt que se rassembler dans un espace clos.
Isabella Vanni : Tu parles de circuit. Comme la radio Cause Commune émet en Île-de-France, j’en profite. J’ai vu un circuit qui avait l’air pas mal, j’irai peut-être, la Piste des Possibles à Alfortville en Val-de-Marne. C’est en fait un jeu de piste ; à chaque étape on découvre un acteur ou une initiative de la ville, on est invité à participer à une activité autour de thèmes différents avec un défi à relever pour passer à l’étape suivante. C’est effectivement une façon d’organiser un évènement très festif sans pour autant concentrer trop de personnes au même endroit, ce qu’on essaie d’éviter en ce moment.

Je voulais te demander s’il est encore possible de proposer des rendez-vous.
Julie Bideux : Oui, tout à fait. Il est possible de proposer des rendez-vous jusqu’au dernier moment, jusqu’au dernier jour de la Fête des Possibles. Les dates officielles de la Fête des Possibles c’est du 12 au 27 septembre, mais il est possible d’inscrire des rendez-vous du 5 septembre au 4 octobre.
Isabella Vanni : D’accord, on a un peu de marge, on peut déborder un petit peu au niveau des dates.

Est-ce que c’est nécessaire de créer un évènement ad hoc pour la Fête ? Je participe à la Fête donc j’organise un événement exprès ou je peux inscrire aussi des évènements que j’avais déjà prévus mais qui peuvent correspondre, disons, aux critères de la Fête ?
Julie Bideux : Oui, tout à fait. Même si on est très heureux qu’il y ait des évènements, des festivals des possibles, des fêtes des possibles locales, des temps des possibles qui soient organisés, notre but c’est de valoriser ce qui existe sur le terrain, notamment de donner plus de voix aux évènements qui sont déjà prévus, qui ne nous connaissaient peut-être pas avant, aux initiatives existantes. Donc n’importe quel évènement, tant qu’il respecte notre charte, peut-être inscrit sur la carte.
Isabella Vanni : Ça donne aussi, comme tu le dis, plus de visibilité. Ça donne une visibilité supplémentaire à des évènements et à des organisations qui font déjà plein de choses. J’en profite pour dire que l’April, en tant que partenaire de la Fête des Possibles, a relayé la communication autour de cette initiative auprès des organisations de promotion du logiciel libre. Suite à nos appels à participation, une dizaine d’évènements libristes est déjà proposée dans le cadre de la Fête cette année. On en profite pour remercier toutes ces organisations.

Une dernière chose : comment on fait pour savoir si un rendez-vous est près de chez soi ?
Julie Bideux : Pour retrouver les rendez-vous organisés près de chez soi, il suffit d’aller sur le site de la Fête des Possibles, fete-des-possibles.org et consulter la carte interactive qui est passée sur OpenStreetMap cette année.
Isabella Vanni : On en est très contents à l’April !
Julie Bideux : Tous les évènements actuels sont inscrits sur la carte. Il y a aussi des filtres pour sélectionner les lieux, les dates et les thématiques.
Isabella Vanni : Merci beaucoup Julie, notre temps arrive à la fin. Merci beaucoup.

À nouveau la Fête des Possibles de samedi 12 à dimanche 27 septembre 2020. J’espère que malgré la situation il y aura plein d’évènements et il y aura plein de participation. Merci encore.
Julie Bideux : Merci.
Frédéric Couchet : Merci Isabella. Merci Julie. C’était la chronique « Le libre fait sa comm’ » de Isabella sur la Fête des Possibles avec Julie Bideaux. Vous pouvez retrouver sur le site de la Fête des Possibles et également sur le site de l’Agenda du libre, agendadulibre .org, tous les évènements.
Nous allons faire une pause musicale.
[Virgule musicale]
Frédéric Couchet : Nous allons écouter Asleep par HaTom. On se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
Pause musicale : Asleep par HaTom.
Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Asleep par HaTom disponible sous licence libre Creative Commons Attribution.

Cette année, la programmation musicale de l’émission nous est assurée par Éric Fraudain du site Au Bout Du Fil, auboutdufil.com. Vous retrouver sur le site de Éric une description de cet artiste. J’en lis juste l’introduction : « HaTom est un Français qui compose depuis trois ans maintenant. Ses inspirations viennent d’univers différents, du reggae au jazz en passant par d’autres styles comme la Lofi. On comprend ainsi qu’HaTom prône une forme de liberté artistique en refusant d’être cantonné à un style. En ce moment, il crée beaucoup autour des styles R&B Soul et du Hip Hop ». La suite sur auboutdufil.com et sur la page Soundcloud et la chaîne YouTube de HaTom, je précise que HaTom s’écrit H, a, t, o, m.
Vous écoutez toujours l’émission Libre à vous ! sur radio Cause Commune, la voix des possibles, 93.1 FM en Île-de-France et partout dans le monde sur le site causecommune.fm.

On va passer au sujet suivant.
[Virgule musicale]
Frédéric Couchet : Nous allons poursuivre avec notre sujet principal qui va porter sur les femmes et l’informatique. Je précise que c’est la rediffusion d’un sujet déjà diffusé en novembre 2019. Initialement nous devions parler aujourd’hui d’initiation à la programmation pour les femmes, mais un souci technique nous empêche de traiter ce sujet. Nous diffusons donc à la place cette rediffusion qui a l’avantage d’aborder les sujets introductifs pour la future émission sur l’initiation à la programmation pour les femmes qui aura lieu très prochainement, je vous rassure.

On a écouter cette rediffusion et on se retrouve juste après.

Les femmes et les métiers et communautés de l’informatique et du logiciel libre avec Catherine Dufour, ingénieure en informatique, auteure de Ada ou la beauté des nombres,Fayard, septembre 2019 ; Katia Aresti, ingénieure logiciel chez Red Hat, membre de Duchess France ; Caroline Corbal de Code for France, membre d’Open Heroines France. Il s’agit d’une rediffusion du sujet principal de l’émission diffusée le 5 novembre 2019.

Frédéric Couchet : Nous allons donc poursuivre par notre sujet principal qui va porter sur les femmes et l’informatique et aussi le logiciel libre avec nos invitées : Catherine Dufour, ingénieure en informatique, autrice de Ada ou la beauté des nombres qui vient de paraître chez Fayard en septembre 2019. Bonjour Catherine.
Catherine Dufour : Bonjour.
Frédéric Couchet : Katia Aresti, ingénieure logiciel chez Red Hat, membre de Duchess France. Bonjour Katia.
Katia Aresti : Bonjour.
Frédéric Couchet : Et normalement au téléphone avec nous Caroline Corbal de Code for France et membre d’Open Heroines France. Bonjour Caroline.
Caroline Corbal : Bonjour, je suis là.
Frédéric Couchet : Super. Bienvenue à vous trois. Première question, même si je vous ai présentées très rapidement, une petite présentation personnelle, on va commencer par Caroline qui est au téléphone, c’est la situation la moins facile, donc Caroline.
Caroline Corbal : Bonjour. Tu m’as présentée, je suis membre du collectif Open Heroines que, je pense, on pourra présenter à nouveau tout à l’heure, sinon je suis cofondatrice d’une association qui s’appelle Code for France et je gravite dans le milieu du Libre depuis quatre/cinq ans.
Frédéric Couchet : D’accord. Katia Aresti.
Katia Aresti : Je suis ingénieure informatique chez Red Hat et je suis membre de Duchess France qu’on présentera tout à l’heure aussi depuis 2010. Je fais de l’open source en Java, particulièrement.
Frédéric Couchet : Je précise qu’on a déjà eu l’occasion d’avoir Katia Aresti dans notre émission sur le métier du développement logiciel libre, le podcast est disponible, et on a aussi déjà eu Caroline Corbal, je ne sais plus à quel moment c’était, mais pareil le podcast est disponible sur les sites de Cause Commune et de l’April. Catherine Dufour.
Catherine Dufour : Bonjour. Je m’appelle Catherine Dufour, je suis aussi ingénieure en informatique, je fais des bibliothèques numériques. Je fais des chroniques au Monde diplomatique, je donne des cours à Sciences Po et je suis auteure de science-fiction.
Frédéric Couchet : D’accord. On ne va pas aborder tous les thèmes du sujet qu’on va aborder aujourd’hui parce qu’il est très vaste, c’est une première émission sur le sujet, mais déjà première question, un petit peu le constat, pourquoi on parle de ce sujet-là, la place des femmes dans l’informatique et du logiciel libre alors qu’en fait, initialement, ce n’était pas la situation qu’on connaît aujourd’hui. Qui veut commencer peut-être sur l’histoire, rappeler les premières… Je précise, pour la la radio, qu’elles se font des signes pour se passer la parole. On va commencer sans doute par Catherine Dufour, notamment est-ce que les femmes ont toujours absentes, en tout cas moins présentes que les hommes dans l’informatique ? Comment ça se passait il y a quelques années ?
Catherine Dufour : Elles ont toujours été très présentes. L’informatique a commencé à la Seconde guerre mondiale, en gros, même si c’est vrai qu’IBM a été créée en 1890 par Hollerith. Globalement la partie noble de l’informatique c’était le hard, c’est-à-dire la machine, et puis le soft, la programmation, c’était la partie moins noble, donc on employait des femmes. Celle qui a inventé le premier programme informatique c’est Ada Lovelace, c’était en 1843, c’est un peu lointain. La première codeuse d’un des premiers gros ordinateurs, le Mark 1, c’est Grace Hopper, une ingénieure américaine et après il y avait un autre gros ordinateur à la même époque, là je vous parle c’est Seconde guerre mondiale ou juste après, c’était l’ENIAC, qui a été programmé par six mathématiciennes. Donc la programmation est longtemps restée une prérogative féminine.

Dans les années 70 – il y a un très bon article de Chantal Morley sur le sujet, à mon avis vous le trouverez sur Slate – l’informatique est devenue de plus en plus prégnante, l’informatique s’est répandue partout et les salaires ont commencé à monter. Il y a eu une réaction en Angleterre où c’était quand même l’État qui était le plus gros employeur d’informaticiens et d’informaticiennes, ils se sont vraiment dit « on ne va donner des payes pareilles à des femmes ! », et ils ont arrêté d’embaucher des programmeuses. Je crois qu’à l’époque il y avait 50 % de femmes dans l’informatique ; dans les années 80, je ne sais plus les chiffres exacts, c’est passé à 40 ou 30. Et maintenant, selon les paroisses, on dit que les femmes sont 12 % ou 20 % du secteur, mais il y a eu une volonté ferme de renvoyer les dames à la maison et de ne pas leur servir les gros salaires des informaticiens.
Frédéric Couchet : En fait, concrètement, c’est quand l’argent a commencé à arriver et le prestige on a dit : « Mesdames dehors, laissez la place aux hommes ! » C’est un peu ça.
Catherine Dufour : C’est toujours comme ça.
Frédéric Couchet : C’est toujours comme ça. Est-ce que Caroline ou Katia vous voulez compléter sur cette partie constat ou historique ou même le constat actuel ? Katia Aresti.
Katia Aresti : Oui, pour l’historique je pense que c’est très bien résumé, merci. Pour le constat actuel, oui, aujourd’hui on avance dans notre carrière pour travailler en tant que développeuse et plus on veut rester technique et avancer, du coup tu avances dans ta carrière, plus on voit qu’il y a plus de femmes qui quittent et qui vont être poussées plutôt à faire du management, du product owner, du fonctionnel. Très tôt dans notre carrière, on nous pousse plutôt à aller vers ça plus que les hommes je dirais. C’est comme si on voyait que comme les hommes, de toute manière, sont plus geeks, qu’ils vont peut-être plus s’épanouir pour devenir techniquement très forts avec les années et que nous on a quand même derrière un peu ce cliché qu’on va mieux faire de la gestion, qu’on va être plus sociales, etc., du coup on va nous pousser vers d’autres trucs très tôt dans notre carrière. Donc oui, quand tu as 14 ans d’expérience comme moi, eh bien on voit qu’il y a moins de femmes et dans l’open source encore moins.
Frédéric Couchet : On reviendra tout à l’heure sur la spécificité effectivement du Libre. Caroline Corbal est-ce que tu veux ajouter quelque chose ?
Caroline Corbal : Oui, que je partage tout à fait ce qui vient d’être dit et je pense, en effet, que ça fait un moment qu’on parle de la place des femmes dans le numérique et que concrètement la situation évolue beaucoup trop lentement. On voit encore qu’il n’y a pas assez de femmes encore qui contribuent à des projets libres. Il y a encore trop d’évènements avec une majorité d’intervenants masculins, voire 100 % masculins ; j’en ai encore vu récemment et je pense que c’est juste plus possible. Il y a encore trop peu de femmes dans les comités de direction des entreprises et puis encore, au quotidien, trop de situations de sexisme ordinaire qu’on doit subir. En échangeant entre femmes on se rend vraiment que beaucoup ne se sentent pas légitimes à prendre la parole que ce soit en public ou parfois dans des environnements fermés, ce qui me semble très problématique.
Frédéric Couchet : D’accord. Avant de repasser la parole à Catherine Dufour, j’ai une petite question collective. Catherine, dans son introduction, a parlé des années 40/50 jusqu’aux années 70 on va dire, mais dans les années 80 il y a eu un moment important c’est l’arrivée des ordinateurs personnels. Est-ce que l’arrivée des ordinateurs personnels a aggravé la situation dans le sens où ils ont peut-être été plus donnés à des garçons qu’à des filles ou, au contraire, est-ce que ça n’a joué aucun rôle ? C’est une question ouverte. Je redonne la parole à Catherine Dufour.
Catherine Dufour : Je n’aurai pas de réponse. Je dirais que très probablement, de toute façon, on a plus tendance à offrir des petits ordinateurs aux garçons et puis des petites machines à repasser aux filles, mais c’est juste du feeling. Il n’y a pas de données chiffrées là-dessus.

Pour reprendre, ce qu’a dit Katia est très important, c’est qu’il ne s’agit pas uniquement de plafond de verre. Un plafond de verre, vous montez en même temps que les hommes et à un moment pouf ! vous arrêtez, eux continuent. C’est ce qu’on appelle le couloir de verre. Là je voulais vous raconter une petite anecdote : une fois je suis intervenue dans une grosse société où il y avait une espèce de raout « féminisme et diversité ». C’est-à-dire qu’en gros on met dans une salle les femmes, les Noirs et les handicapés et on fait une grande conférence pour parler de ces soucis-là et à quel point la société essaye, justement, de détruire les inégalités. L’introduction a été faite par monsieur le PDG et puis il y a eu une petite allocution de monsieur le directeur financier et après ils nous ont dit : « Ce n’est pas tout ça, mais nous on a conseil d’administration, on va vous laisser discuter entre vous » [prononcé avec une voix mielleuse, NdT]. Ces messieurs sont allés exercer leurs fonctions régaliennes en nous laissant entre femmes, c’est-à-dire la responsable de la communication, la responsable des ressources humaines, c’est-à-dire, comme disait effectivement Katia, toutes les fonctions un petit peu molles, un petit peu dans le social, mais qui ne ont pas le nerf de la guerre, qui ne sont pas les vraies décisionnaires. Et à ce moment-là à la pause, en discutant avec les jeunes filles et les moins jeunes qui travaillaient dans cette société, j’ai compris que ce n’est pas tellement qu’on les empêchait de monter, c’est que dès le départ on les met dans un couloir de verre qui les emmènera, de toute façon, vers les fonctions molles où on est facilement remplaçable et où on ne prend pas les décisions importantes. Les hommes gardent en attribution, je dirais, le cœur du métier et le nerf de la guerre.

On ne raisonne plus forcément maintenant en fonction de plafond de verre mais en fonction de couloir de verre et c’est très bien fléché depuis le début de la carrière. Donc je félicite Katia pour avoir résisté à la pression de prendre ce couloir.
Frédéric Couchet : Avant de redonner la parole à Katia, sur le métier de développeuse, j’insiste : écoutez le podcast de l’émission avec Katia et Emmanuel Raviart où ils ont expliqué qu’on pouvait être développeur et développeuse de logiciels, en l’occurrence de logiciels libres, pendant des années et des années, que devenir chef de projet ou faire du marketing ce n’est pas la voie absolue ; je vous encourage vraiment à l’écouter. Je voulais juste savoir, par rapport à ma question sur les ordinateurs personnels des années 80, est-ce que Katia ou Caroline vous avez un commentaire là-dessus ou, pareil, vous n’avez pas de réponse ? Katia.
Katia Aresti : Effectivement je n’ai pas vécu ça parce que, justement, je pense que mon père m’a quand même un peu mis dans la tête que je devais être ingénieure. Depuis toute petite, quand j’avais trois/quatre ans et qu’on me demandait ce que je voulais être quand je serai grande, moi je disais que je voulais être ingénieure, parce que lui disait « tu vas être ingénieure ». Après j’ai fait ça parce que, plus tard, j’ai appris à coder et j’ai aimé coder. C’est pour ça que j’ai pris cette voie, pas parce que mon père m’a dit de faire ceci ou cela, c’est vraiment qui moi ai choisi. Ce qui est intéressant dans mon cas c’est que lui m’a poussée à beaucoup de choses : c’est lui qui apportait les Lego à la maison, il achetait des jouets typiquement plus orientés pour des garçons ou, disons, marketisés pour les garçons, donc pas roses, mais j’avais aussi des poupées, énormément de poupées, je faisais de la peinture, je faisais de la danse, etc. Disons que j’ai été exposée à tout et je n’ai pas vécu ça. Après ’ai eu un ordinateur. Oui, je crois que ça peut avoir une grosse influence la façon dont on te pousse à la maison et tous les stéréotypes de jouets, etc. Ce à quoi on joue quand on est petit et qu’on grandit avec ça, ça joue forcément quand même. Du coup, à mon avis, je pense qu’il y a forcément eu une influence, mais en même temps c’est empirique, je n’ai pas de data, de données.
Frédéric Couchet : On reviendra sur ce sujet dans le cours de l’émission, justement sur le rôle de l’éducation, des parents, de l’école, etc. Juste après on va aborder aussi le sujet de ce qui aggrave la situation aujourd’hui, de ce qui peut aussi l’améliorer, on va parler d’aujourd’hui. Caroline, est-ce que sur la partie expérience des années 80, même si, de mémoire, tu es un peu plus jeune peut-être que nous, est-ce que tu as une expérience ou des commentaires à faire ?
Caroline Corbal : Je rejoins Katia. Moi j’ai eu de la chance parce que mes parents m’ont tout de suite mis un ordinateur dans les mains, c’était dans les années 90, donc j’ai pu essayer ça dès le début et c’est là où je pense que l’école va aussi avoir un rôle fondamental pour gommer les discriminations qu’on peut avoir dans certains foyers. J’espère de toute façon qu’à terme, dans les foyers aussi, on aura de moins en moins ces discriminations-là.
Frédéric Couchet : D’accord. OK. On va parler un petit peu, même si Caroline a commencé, de ce qui aggrave la situation, de ce qui peut améliorer la situation et aussi des propositions concrètes. On parlera aussi, peut-être, des spécificités du logiciel libre s’il y en a par rapport à l’informatique en général parce qu’il peut y en avoir. Catherine Dufour, vous vouliez intervenir ?
Catherine Dufour : Oui. Je voulais juste dire que la notion de père est très importante. J’ai écrit un livre.
Frédéric Couchet : Pair, p, a,i, r ?
Catherine Dufour : P, e, r, e, avec un accent.
Frédéric Couchet : P, è, r, e, OK.
Catherine Dufour : J’ai écrit un livre, le Guide des métiers pour les petites filles qui ne veulent pas finir princesses, où je donne des modèles c’est-à-dire des biographies de femmes informaticiennes, mathématiciennes, chercheuses d’or, agentes secrètes, surfeuses, bref, tout un tas de métiers rigolos et que traditionnellement les femmes ne font pas. Donc je me suis intéressée aux biographies de ces femmes-là, celles qui font de la voile, celles qui font du combat rapproché, enfin bref, des choses vues comme masculines. Systématiquement, c’est le père qui autorise. Émilie du Châtelet qui est une grosse génie mathématique du 18e siècle, c’est son père qui lui a donné l’autorisation de faire et je retrouve très souvent le père comme moteur du fait qu’une femme s’affranchisse des limites imposées à son genre. Donc messieurs, si vous vous sentez féministes, le meilleur service que vous pouvez rendre aux femmes c’est d’autoriser votre fille à sortir justement de ces limites, l’autoriser et lui donner les moyens. Véritablement, ça se retrouve systématiquement.
Frédéric Couchet : D’accord. Excellente intervention. On reviendra sur la partie éducation encore plus en détail après.

Caroline, tout à l’heure tu avais commencé à citer quelques points qui aggravent la situation. On a bien compris l’historique, mais aujourd’hui il y a des choses qui aggravent. Est-ce qu’on peut faire un petit peu tour d’horizon rapide et peut-être les choses qui permettent, justement, de corriger ces points négatifs et les propositions concrètes ? Là on parlera un peu plus de vos structures et de vos actions. Qu’est-ce qui aggrave aujourd’hui la situation qui n’est déjà pas très belle ?
Caroline Corbal : Déjà, je dirais que ça dépend du point de vue où se place. Si on se place au niveau des organisations, par exemple des entreprises et des associations qui sont deux milieux que j’ai pu pas mal expérimenter, ce que j’ai observé c’est que le manque de dialogue est vraiment un souci. Entre équipes on a vraiment besoin de se parler, de se dire quelles sont nos attentes sur ces sujets-là au risque d’entretenir des situations qui sont non satisfaisantes. Ensuite, je pense qu’un des soucis c’est le manque de prise de risque : par exemple prise de risque lors d’évènements à inviter des intervenantes qui sont moins expérimentées, en se disant qu’on veut tel ou tel nom masculin parce que c’est une valeur sûre. En fait, je pense qu’il faut vraiment qu’on apprenne à faire confiance à des femmes plus jeunes et si on ne le fait pas c’est un cercle vicieux et ces femmes-là ne pourront jamais se former.

Ensuite, je pense que la manière dont les enjeux de diversité et d’inclusion sont traités aggrave parfois le problème parce que soit c’est traité comme des enjeux de communication sans action concrète derrière ce qui peut les desservir, soit, en fait, c’est l’inverse, on n’en parle pas parce qu’on a peur de mal faire, de mal en parler, de ne pas utiliser les bons termes, par exemple de faire peur à ses clients ou au public et ça je pense que c’est vraiment regrettable.

Et dernier mot là-dessus, au niveau global aussi, je pense que l’absence de rôles modèles joue un rôle clé parce que nos cultures numériques sont vraiment peuplées d’icônes masculines. Que ces hommes-là nous inspirent ou non, on peut tous citer leurs noms alors que ce n’est pas le cas de la plupart des femmes qui excellent aujourd’hui dans le milieu informatique. Je pense que ça aggrave vraiment le problème parce que les jeunes filles ne peuvent pas s’identifier à des rôles modèles féminins.
Frédéric Couchet : Très bien. En plus ça me fait rebondir sur le livre de Catherine Dufour, Guide des métiers pour les petites filles qui ne veulent pas finir princesses où vous avez justement des rôles modèles.
Catherine Dufour : Des rôles modèles, c’était le but.
Frédéric Couchet : Des rôles modèles, anciennes et actuelles, ça c’est important et on reviendra aussi tout à l’heure sur le rôle important joué sur ce rôle modèle notamment avec Duchess France pour la mise en valeur des rôles modèles. Est-ce que vous voulez compléter, Katia ou Catherine, sur cette partie vraiment aggravation de la situation ou est-ce qu’on passe directement aux choses plutôt positives, c’est-à-dire comment améliorer les choses ?
Catherine Dufour : Je suis tout à fait d’accord avec ce que dit Caroline. En plus, moins il y a d’intervenantes moins il y a d’intervenantes. C’est-à-dire que quand on veut convier, avoir un minimum de parité et qu’on convie une femme, elle a déjà 80 invitations parce qu’elle est un peu toute seule. C’est un problème que je rencontre fréquemment. Il y a quand même des solutions, il y a un site qui s’appelle expertes.fr qui est très bien, où vous allez trouver des femmes d’absolument toutes les couleurs dans toutes les disciplines. Surtout n’hésitez pas à aller sur ce site-là, il est génial pour trouver de la ressource.
Frédéric Couchet : Katia.
Katia Aresti : Rien. Je pense que tout a été dit et très bien expliqué.
Frédéric Couchet : On va parler des propositions concrètes ou en tout cas pour résoudre ce problème. Ça va être aussi l’occasion de présenter un peu vos initiatives et sans doute d’autres initiatives, il n’y a pas que les vôtres, évidemment. On va peut-être commencer par Duchess France avec Katia Aresti. Comme tu l’as dit tu es développeuse chez Red Hat, une entreprise du logiciel libre, et tu fais partie de Duchess France. Quel est l’objectif de Duchess France et quelles sont vos principales actions ?
Katia Aresti : Duchess France est une association qui a été créée début 2010 par quatre femmes qui avaient fait un constat : justement, elles faisaient des soirées techniques à Paris et elles se disaient « pourquoi il n’y a pas plus de femmes ? Elles sont où les autres femmes, etc. ? Peut-être qu’elles ne sont pas motivées à venir à des soirées, etc. » Du coup elles ont créé ça avec justement l’idée de dire « vous n’êtes pas toutes seules, il y a plus de développeuses et de femmes techniques donc rencontrons-nous et créons ». Ça c’était l’origine du groupe. Je me suis inscrite au groupe dès le départ, dès la création en mars 2010, et ensuite, deux/trois mois après, je suis devenue membre organisatrice. Donc je ne suis pas fondatrice, mais je suis là depuis la fondation. Nos actions sont là principalement pour mettre en avant justement des femmes pour que d’autres femmes s’inspirent des différents parcours, mettre en place toute une communauté sur Slack dans laquelle aujourd’hui on peut discuter.
Frédéric Couchet : Précise ce qu’est Slack.
Katia Aresti : Slack c’est un chat, un logiciel qui sert à créer des canaux de chat.
Frédéric Couchet : De communication.
Katia Aresti : Voilà. Du coup on peut poster sur différents sujets, échanger, etc., des trucs techniques comme personnels, n’importe quoi. On organise aussi des soirées techniques à Paris. On essaye que les intervenants dans les soirées techniques soient des femmes ou un homme et une femme. Parfois ce n’est pas possible, du coup on ne va pas refuser quelqu’un qui veut venir parler à Duchess parce que c’est un homme, mais le but c’est vraiment de pousser les femmes à parler, à partager leurs connaissances techniques, donc on fait des soirées autour de ça. Ça peut aussi être simplement un apéro. On fait plein de choses. Le truc n’est pas méga structuré dans le sens où on n’a pas une soirée tous les mois, je ne sais pas comment, c’est vraiment selon les besoins.
Frédéric Couchet : Au feeling.
Katia Aresti : Au feeling et selon les disponibilités de chacune parce qu’on fait quand même tout ça en bénévolat et du coup ça prend quand même un temps fou et la plupart nous avons une vie de travail plus famille plus mille trucs. La communauté est quand même assez grande et sur Meetup qui est un site justement pour rassembler, pour organiser des évènements et faire en sorte que les gens s’inscrivent, on était pas loin de 2500 inscrits ou 3000. En fait il y a plein de meetups donc de soirées techniques comme ça sur Paris et mon constat est que quand c’est Duchess qui l’organise la moitié des personnes qui assistent, sur des soirées très techniques, ce sont souvent des femmes. Alors que d’autres soirées techniques organisées par d’autres groupes, peut-être pas une femme, voire zéro, le pourcentage est vraiment beaucoup plus petit. Mais nous on n’organise pas que pour les femmes, on ne ferme à personne, en fait.
Frédéric Couchet : D’accord. On reviendra sur ta remarque, notamment sur les réunions mixtes ou non-mixtes ; les réunions non-mixtes peuvent avoir leur importance. Je relaie une question ou plutôt une suggestion qui est sur le salon web – n’hésitez pas à vous joindre à nous sur causecommune.fm –, Marie-Odile qui suggère sous forme de question d’enregistrer les conférences et de les publier et en plus je pense qu’elle pourrait rajouter qu’elle va les transcrire parce Marie-Odile c’est la personne qui transcrit les conférences. Question : est-ce que ces conférences sont enregistrées ?
Katia Aresti : Celles qu’on fait avec Duchess ?
Frédéric Couchet : Oui.
Katia Aresti : S’il y a moyen dans la salle qui nous héberge, oui, mais sinon non et parfois ce sont juste des ateliers de coding, c’est pour les pros. Souvent, ce qu’on fait, c’est pour les pros, ce n’est pas pour initier les gens au code, on est là vraiment pour les pros, donc ce sont des choses techniquement assez poussées, en fait.
Frédéric Couchet : D’accord. Caroline Corbal, de ton côté Open Heroines je pense que c’est assez proche. Tu vas nous expliquer ça. D’où vient Open Heroines et qu’est-ce que vous faites ?
Caroline Corbal : Il y a quelques similitudes avec ce que vient de dire Katia. Open Heroines, en fait, c’est un collectif international qui a été créé il y a quatre ans pour rassembler les voix de femmes qui agissent dans le numérique ouvert. Par numérique ouvert on entend le logiciel libre, l’open data, l’open gov, les communs numériques, etc. C’est un réseau international. Pour le coup c’est fermé aux hommes, c’est uniquement pour les femmes, elles se retrouvent sur un Slack international. Avec une amie, Cécile Le Guen, il y a deux ans on a décidé d’ouvrir le chapitre français de ce réseau face au constat qu’on rencontrait encore dans nos environnements professionnels trop de situations de sexisme ordinaire et qu’on avait vraiment besoin d’en parler entre femmes dans des espaces safe, où on se sent en sécurité pour en parler. Open Heroines en France est un réseau de confiance dans lequel chacune est bienvenue. C’est complètement informel, il n’y a pas de bullshit, pas de post-it.
Frédéric Couchet : Pas de quoi ?
Caroline Corbal : De bullshit. Comment on dit en français ? On parle de choses sérieuses quoi ! On parle de choses sérieuses, il n’y a pas de post-it, pas d’ordre du jour, pas de feuille de route. On va boire des bières [ou autres, Note de l’intervenante] régulièrement. On a une boucle sur l’application Telegram pour échanger, sur laquelle toutes les femmes sont les bienvenues. D’ailleurs il y a aussi des femmes qui ne sont pas dans le numérique qui nous rejoignent parce qu’elles sont intéressées par nos discussions. De temps en temps on monte des projets quand le besoin s’en fait ressentir. Par exemple, récemment, on a organisé une soirée sur les femmes et la politique pour aider des jeunes femmes à s’engager en politique ; là ça dépasse un peu le sujet du numérique. Si vous souhaitez nous rejoindre n’hésitez pas à me contacter et je vous rajouterai dans la boucle des discussions.
Catherine Dufour : Volontiers. Oui.

Frédéric Couchet : D’accord. Invitation lancée. Petite question sur les ateliers ou, en tout cas, sur les rencontres non-mixtes, est-ce que tu pourrais expliquer l’importance de ces rencontres non-mixtes ? C’est un sujet qui a souvent été un sujet de discussion dans les communautés et mal compris. Est-ce que tu peux nous expliquer, ou bien sûr Katia et Catherine, l’importance de ces rencontres entre femmes ?
Caroline Corbal : En fait c’est vraiment là, pour le coup, venu du constat qu’entre femmes on ne se parle pas de la même manière que quand il y a des hommes et qu’il y a aussi beaucoup de femmes qui ne viennent pas à des réunions où il y a des hommes ou alors, si elles viennent, elles n’osent pas prendre la parole de la même manière. Vu l’ensemble des problèmes qu’on rencontrait, on avait besoin d’espaces où on se sent en sécurité, on se sent bien pour aborder ces problèmes. Parfois on parle de soucis liés justement au sexisme ordinaire, de tous ces sujets-là, là on est encore mieux pour en parler entre femmes puisqu’on peut en parler librement, mais on parle aussi d’autres sujets. Je pense que la non-mixité n’est pas l’unique solution mais c’est une solution, c’est quelque chose qui est fondamental déjà pour que les femmes puissent s’organiser entre elles et trouver des solutions.
Frédéric Couchet : D’accord. On va revenir sur ce sujet-là, les propositions concrètes, parce que j’ai vu sur vos sites que vous avez pas mal de propositions, notamment on reviendra sur l’organisation des conférences, justement quels conseils on peut donner aux structures qui organisent des conférences.
On va faire une pause musicale. On va écouter Age of Feminine par Kellee Maize. On se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause Commune.
Pause musicale : Age of Feminine par Kellee Maize.
Voix off : Cause Commune - 93.1.
Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Age of Feminine par Kellee Maize disponible sous licence libre Creative Commons Partage dans les mêmes conditions.
Vous écoutez l’émission Libre à vous ! sur radio Cause Commune 93.1 FM en Île-de-France et partout ailleurs sur le site causecommune.fm.
Nous allons poursuivre notre discussion concernant les femmes, l’informatique et le logiciel libre, toujours avec Catherine Dufour, Katia Aresti et Caroline Corbal. Juste avant la pause musicale nous parlions d’Open Heroines et de Duchess France ; je précise que Duchess c’est sans « e » à la fin ; on citera les sites à la fin de l’émission, on les mettra évidemment en référence et vous les retrouverez sur les sites de l’April et de Cause Commune. On commençait un petit peu à parler des propositions, des pratiques des unes et des autres dans vos structures. Tout à l’heure Caroline Corbal, dans les problématiques, a cité ce qu’on appelle les « manels », c’est-à-dire les panels d’intervenants avec que des hommes. Effectivement il y a beaucoup de conférences où on retrouve principalement des hommes. Quels conseils donnez-vous et d’ailleurs je crois, Katia Aresti, de mémoire, que tu participes à un comité de programmes ?
Katia Aresti : Oui.
Frédéric Couchet : On va commencer par Caroline parce qu’elle est au téléphone. Quels conseils vous pourriez donner aux personnes qui organisent des conférences ou des tables rondes ou des évènements soit informatiques soit libristes, peu importe, justement pour donner aux femmes la place qu’elles méritent d’avoir ? Caroline Corbal.
Caroline Corbal : Déjà d’être vigilants sur cette question des « manels ». Déjà avoir un comité de programmes paritaire il me semble que c’est un bon départ, c’est même une condition minimum. Ensuite, pour aller trouver des profils féminins, la question du référencement qui a été évoquée par Catherine tout à l’heure, il y a la plateforme Les expertes qui, du coup, est disponible et consultable et une autre plateforme pour l’international qui s’appelle speakerinnen.org où il y a pas de mal de profils féminins qui sont référencés. Le souci c’est qu’il y a pas mal de femmes qui n’osent pas encore se référencer sur ces plateformes.
Catherine Dufour : speaker quoi ?
Frédéric Couchet : speakerinnen.org.
Caroline Corbal : speakerinnen.
Frédéric Couchet : On mettra les références sur le site de la radio et sur le site de l’April puisque, effectivement, ce n’est pas évident à prononcer. Je précise aussi et je te redonne la parole que sur Duchess France il y a une liste d’expertes techniques, c’est d’ailleurs là que j’avais trouvé Katia Aresti quand je cherchais une développeuse pour l’émission de l’April. Je te laisse poursuivre.
Caroline Corbal : Je disais qu’il y a pas mal de femmes qui ne se référencent pas par manque d’information ou parce qu’elles ne se sentent pas légitimes à revendiquer une expertise. Mon message c’est vraiment « référencez-vous, vous êtes légitimes et votre parole compte » et si vous êtes un homme vous pouvez aussi référencer les femmes autour de vous ou, en tout cas, les inciter à le faire, leur en parler.

Ensuite, pour terminer sur les conférences, je pense qu’il est important de créer un environnement dans lequel chacun et chacune se sente en confiance pour intervenir et que, pour ça, avoir des outils comme un code de conduite c’est quelque chose qui est tout à fait nécessaire pour créer des environnements dans lesquels on se sent en confiance. Il y a aussi tout un tas d’outils qui sont expérimentés dans des conférences, beaucoup de conférences aux États-Unis où, par exemple à l’entrée de la conférence, on vous donne un badge avec le prénom par lequel vous voulez qu’on vous nomme lors de la conférence, est-ce que vous souhaitez ou non être pris en photo, etc.
Frédéric Couchet : D’accord. Katia Aresti.
Katia Aresti : Déjà je vais rajouter que ce qui arrive souvent aujourd’hui dans les conférences dès qu’il y a un panel dans lequel il n’y a pas de femmes, il y a quand même un peu de tweet bashing sur la conférence en mode « mais pourquoi il n’y a ? Qu’est-ce que vous avez fait ? Vous avez fait de la merde, etc. » Et, en fait, souvent ce sont des hommes qui organisent ou qui ont une équipe dans laquelle il y a peut-être une ou deux femmes et majoritairement des hommes qui ont quand même fait un effort de chercher, mais les femmes ont dit non pour y aller parce que souvent nous sommes les mêmes qui sommes sollicitées. Pourquoi je trouve que c’est un problème ? Ce n’est pas que nous disons non, le problème est que souvent il arrive que les personnes qui organisent se disent « ah, on veut inviter justement des femmes mais qui sont ces femmes-là ? » Iils les connaissent très peu parce qu’en fait ça ne suffit pas de s’intéresser pour faire venir parler des femmes, juste pour cocher une case « diversité », il faut s’intéresser avant, mais bien avant, genre des mois et des mois avant que tu organises une conférence. Parce que comme ça, quand on va t’inviter, tu vas savoir que ce n’est pas parce que tu es femme – ce qui est une horreur quand tu te fais inviter juste parce que tu es une femme – parce que dès tu es visible tu es quand même un peu sursollicitée et tu as quand même cette impression-là. C’est un truc qui revient souvent quand on discute chez Duchess France, tu te dis « est-ce qu’on m’invite parce que je suis légitime ou juste parce que je suis une femme et que je vais cocher une case "diversité" ». Mais quand tu es invitée parce qu’on connaît ton travail et qu’on t’invite parce qu’on te veut, on a beaucoup plus tendance à dire oui et à ne pas sentir ce syndrome d’imposteur pour y aller et oser se lancer.

Le conseil fondamental que je donne aux gens, comme l’a déjà dit Caroline, avoir une équipe mixte c’est très bien parce que souvent les femmes s’intéressent à d’autres femmes, mais les hommes qui sont en train d’organiser doivent aussi s’intéresser à ce que font leurs collègues féminines, s’intéresser avec beaucoup d’avance. C’est quand même comme ça que cette communauté se crée, qu’elle s’agrandit et les femmes ont vraiment envie d’aller parler dans leurs conférences. Tu ne vas pas avoir cette impression de « oui on m’invite parce qu’ils veulent cocher une case "diversité" et pas avoir un Twitter bashing derrière ».
Frédéric Couchet : Ce que je trouve bien, après je donne la parole à Catherine Dufour, notamment sur Duchess France ou d’autres sites comme ça, c’est que votre expertise est mise en avant, notamment la tienne sur ton développement. En fait, je connais quelqu’un dans le monde du logiciel, ça fait longtemps que je ne l’ai pas vue, c’est Agnès Crépet que tu connais, qui est maintenant à Amsterdam chez Fairphone, donc en cherchant un petit peu les profils techniques j’ai vu que ce qui était mis en avant tout ce sont vos compétences techniques. Nous on cherchait évidemment quelqu’un qui avait une expérience technique et aussi une longue expérience dans le développement logiciel, ce qui n’est pas forcément évident comme tu le disais au début, les gens qui ont 15 ans d’expérience dans le développement logiciel, ce n’est pas évident. Dans cette émission on voulait vraiment quelqu’un qui fait du développement et pas quelqu’un qui est devenu chef de projet. Ce que je trouve bien sur ces sites-là ce sont ces mises en avant de la compétence technique, mais, comme tu le dis effectivement, il ne faut pas s’y intéresser au dernier moment, ça nécessite un travail et je pense, je poserai peut-être la question, que ça ne doit pas reposer, dans les communautés de programmes, que sur les femmes ; ça doit être la responsabilité du comité de programmes globalement d’avoir cette démarche-là.

Une autre question me vient à l’esprit et je te laisse réagir, une question comme ça vous pourrez y répondre, un truc qui est dur à combattre c’est peut-être l’habitude des hommes, des réseaux, d’être entre eux ? Est-ce que vous avez vécu ça par exemple quand vous participez à des comités de programmes ou des évènements, cette habitude que les hommes ont d’être entre eux ?
Katia Aresti : Justement, je pense que c’est quelque chose que moi, comme femme, je vais avoir encore plus tendance à aller m’intéresser à des femmes, mais je m’intéresse aussi aux hommes parce que c’est un milieu dans lequel j’ai énormément de collègues masculins ; je suis tellement habituée, j’ai beaucoup d’amis hommes dans l’informatique, mais du coup je vais avoir cet intérêt-là. Donc je comprends que les hommes, par défaut, aient un intérêt pour d’autres hommes, comme tu dis, mais il faut qu’on essaye tous de briser ça, des deux côtés en fait. C’est ça qui va aider à s’ouvrir à des choses. Justement, peut-être qu’au début tu ne vas pas forcément t’intéresser à ce que font d’autres gens et, en plus, pas que par rapport homme-femme mais aussi par rapport techniquement. Si tu fais beaucoup de trucs mais back-end.
Frédéric Couchet : Back-end ?
Katia Aresti : Désolée. Si tu fais beaucoup de Java peut-être que tu devrais t’intéresser aussi à ce qui se passe en JavaScript.

Frédéric Couchet : Ce sont deux langages de programmation qui ne sont pas exactement pareils. Il faut de l’ouverture.
Katia Aresti : Voilà. Il faut une ouverture dans tous les aspects, ça aide à aller justement sur un truc beaucoup plus diversifié dans tous les sens.
Frédéric Couchet : D’accord. Catherine Dufour je vous laisse réagir là-dessus et j’étends la question au monde professionnel sur le recrutement. Comment aujourd’hui, dans le recrutement en informatique, on peut encourager à avoir plus de femmes qui candidatent à des postes et qui sont recrutées après ? Catherine Dufour.
Catherine Dufour : Je me rappelle de mes débuts en tant qu’auteure, autrice de science-fiction ; des autrices de science-fiction en France à l’époque – je parle de ça parce que je suis la cacochyme de l’émission, j’ai 53 ans –, donc il y a une vingtaine d’années, on était trois autrices de science-fiction. Eh bien j’y suis allée ! J’étais timide et je n’aimais parler ni sur des estrades ni dans le poste. Et j’y suis allée parce que sinon il n’y avait pas de femmes, il n’y avait personne. Il faut y aller et après il faut arracher le micro des mains des hommes, vous leur tapez sur la tête avec et vous prenez la parole. Vous n’êtes pas aimable et souriante parce que c’est ce qu’on attend de vous et vous parlez et vous râlez et vous protestez ; il n’y a que comme ça qu’on y arrivera. Peut-être que dans trois générations le sexisme ne sera plus qu’un mauvais souvenir, mais pour le moment le peu de femmes qui accèdent justement à un micro doit absolument y aller pour défendre les autres. Vous ressentirez, de toute façon, le syndrome de l’imposteur parce qu’on l’a toutes – de toute façon les bons ont le syndrome de l’imposteur, mâles comme femelles. Vous l’attrapez, vous faites comme Virginia Woolf, vous lui tordez le cou, après vous le mettez sur votre chaise et vous vous asseyez dessus des deux fesses.

Je suis allée à des tas de conférences avec des hommes ; ils parlent bien, ils ont un bel organe, ça déroule et ils ne me passent jamais le micro. Tout ça c’est une question de pouvoir. Finalement tout ça c’est une question d’argent, c’est une question de pognon ; il y a un gâteau, chacun en veut la plus grosse part. Il est évident que ce sont les hommes qui ont la main dessus et s’ils ouvrent la porte et qu’ils laissent entrer 50 % de la population, et je ne vous parle même pas de la population non-blanche, il va y avoir beaucoup plus de monde sur le gâteau. Donc il faut juste ne pas attendre qu’on vous tende le micro, il faut le prendre et s’en servir pour taper sur la tête des autres ; ce n’est peut-être pas très gracieux mais c’est absolument indispensable.
Frédéric Couchet : Avant de donner la parole à Caroline Corbal, si vous appréciez la prise de parole de Catherine, je vous encourage à lire son livre Ada ou la beauté des nombres, vous allez notamment découvrir plein de choses sur Ada, mais, en plus, il y a de la truculence dans le texte et je précise qu’on va enregistrer une interview de Catherine Dufour, sur son livre, qui sera diffusée normalement le 19 novembre 2019, donc dans 15 jours.

Caroline, est-ce que tu veux réagir et, par rapport aux questions que j’ai étendues sur la partie recrutement, est-ce qu’il y a des choses spécifiques par rapport au recrutement dans les sociétés d’informatique ? Et la question du début que j’ai oubliée, à laquelle on n’a pas répondu, c’est : est-ce qu’il y a une spécificité, bonne ou mauvaise, dans la partie logiciel libre par rapport à l’informatique en général ou est-ce qu’il n’y a aucune spécificité ? Caroline Corbal. Ça fait beaucoup de questions !
Caroline Corbal : Ça fait beaucoup de questions. Déjà je suis en phase avec tout ce qui vient d’être dit, je rajouterais peut-être aussi sur le côté « les hommes sont beaucoup entre eux » que c’est quelque chose que j’ai énormément vu et ressenti et c’est là où je pense que la solidarité féminine doit vraiment jouer parce que j’ai aussi vécu des cas où ça n’était pas le cas et j’ai reçu des refus de femmes à m’aider, à me tendre une main, notamment parce qu’elles avaient sûrement accédé aussi à des situations de pouvoir ; c’est peut-être un mécanisme qui se répète, je ne sais pas, mais j’ai trouvé ça vraiment dur et je pense que la solidarité féminine doit être au cœur de notre action et on doit vraiment créer des réseaux d’entraide et de soutien nous aussi.

Sur la partie recrutement, je pense qu’il faut que les recruteurs pensent à adapter impérativement leur processus de recrutement, c’est-à-dire rédiger les offres de manière plus inclusive. Il faut arriver à faire comprendre aux chercheuses d’emploi qu’elles sont ciblées par ces offres et partager aussi sur les bons réseaux. Aujourd’hui il y a des dizaines de réseaux qui sont dédiés aux femmes dans le numérique et il faut envoyer ces offres sur ces réseaux-là.

Ensuite, il ne suffit pas de recruter des femmes dans vos organisations, il faut aussi les accueillir dans de bonnes conditions et ça, ça implique nécessairement d’y investir du temps humain, des moyens, donc c’est forcément un budget et il faut vraiment se donner les moyens pour arriver à progresser sur ces sujets. Ça rejoint ce qu’on disait tout à l’heure. Pour les évènements c’est exactement la même chose, il faut arriver à créer des environnements qui soient inclusifs, dans lesquels chacun et chacune se sent en confiance pour travailler. Ça rejoint, Fred, exactement ce que tu disais, je pense que ça ne doit absolument pas reposer sur une seule personne qui est trop souvent une femme. Il faut vraiment qu’on accepte que la charge mentale de la diversité soit partagée par tous en interne.

Ça ce sont des principes qu’on peut très bien, dans une organisation, élaborer collectivement, par exemple lors de sessions dédiées et ensuite les formaliser dans un document commun qui peut prendre la forme d’une charte, d’un code de conduite ou autre, peu importe la forme qu’il va prendre à la fin.
Frédéric Couchet : D’accord. Petite question avant d’aborder le sujet suivant sur le rôle de l’éducation, de l’école, des parents. Pour que les hommes évitent de se faire taper dessus avec un micro par Catherine, au-delà d’arrêter de faire des blagues sexistes au travail ou même en société, est-ce que vous avez des conseils à leur donner, des conseils pratiques ou simplement le conseil principal que vous voudriez leur donner ? Caroline.
Caroline Corbal : C’est un travail que j’avais fait avec mes collègues, notamment dans mon ancienne entreprise, l’idée c’est vraiment d’être un bon allié et pour ça, les points qu’on avait un peu élaborés, c’était déjà de dire que quand on a une discussion collective avec des hommes et des femmes autour de la même table, il faut écouter jusqu’au bout chaque prise de parole, accepter de ne pas prendre toute la place et respecter le leadership des femmes. Je sais que parfois c’est difficile mais vraiment il faut respecter le leadership des femmes et, s’il vous plaît, ne pas rire aux blagues et aux remarques sexistes par convention ; c’est quelque chose qui arrive hyper-souvent, il y a une blague qui est adressée à l’auditoire, souvent ce sont des blagues qui, en plus, ne sont pas du tout drôles et par convention, par habitude, on rit tous. Ça vraiment c’est un réflexe qu’il faut qu’on arrive à déconstruire parce que ça fait beaucoup plus de mal qu’on ne l’imagine.
Frédéric Couchet : D’accord. Sur cette partie-là est-ce que vous voulez compléter, Katia ou Catherine, avant qu’on passe au sujet suivant ? Katia Aresti.
Katia Aresti : Dans les conférences ou dans le travail ne pas affecter un rôle à une femme sur son apparence. Je dirais pareil : quand on n’assume pas que tu n’es pas assez technique ou qu’on t’assigne un rôle ou un autre, en fait, tu as l’impression qu’on ne te prend pas au sérieux. Donc assumer que la personne qui est en face de soi est aussi expérimentée que soi, qu’elle en sait autant que soi et que, si elle n’est pas technique, peut-être qu’elle va le dire elle-même. Mais ne pas penser, dans une conférence technique avec 3000 développeurs, que la femme qu’on croise fait forcément du marketing. Ce qui est très bien de faire du marketing, s’il vous plaît, c’est très bien.
Frédéric Couchet : C’est très bien. Justement ça me fait penser à une question et après je passe la parole à Catherine, par rapport au logiciel libre. Je crois qu’il y avait une statistique qui était sortie sur une plateforme de développement logiciel, peu importe le nom, qui listait le pourcentage d’acceptation de code venant d’un pseudo de genre masculin ou de genre féminin et quand c’était un genre féminin, il y avait moins de chance que le code soit accepté rapidement. Est-ce que je me trompe ou est-ce que c’est une réalité ?
Katia Aresti : Dans mon expérience, j’ai une équipe remote.
Frédéric Couchet : À distance.
Katia Aresti : On est distribués dans le monde, ils sont tous garçons sauf moi, et je ne me sens pas différente des autres. En fait, mon équipe est super : je me sens appuyée, soutenue. Quand il faut dire que ce n’est pas bien, ils le disent vraiment à tout le monde, bref !, ça c’est super. Mais je connais justement une développeuse qui était une grosse contributrice d’un gros projet open source appelé Docker, elle avait deux comptes différents dont un pour pouvoir envoyer des trucs sans qu’on sache que c’était elle et elle disait que ça passait justement plus simplement. Après, j’imagine que ça dépend de la communauté, que ça dépend du projet.
Frédéric Couchet : Je crois que c’est une statistique qui a été faite sur GitHub qui est une plateforme de développement, mais on vérifiera et on mettra les liens si besoin. Peut-être que je me trompe, mais mon intuition ne doit pas être loin. Caroline.
Caroline Corbal : Tu as tout à fait raison, c’est une étude qui était sortie en 2016 sur GitHub qui s’appelle Gender bias in open source.
Frédéric Couchet : Les biais de genre dans le logiciel libre. Voilà.
Caroline Corbal : Exactement.
Frédéric Couchet : D’accord. On mettra les références sur les sites de la radio et de l’April. Catherine Dufour.
Catherine Dufour : Si on veut en savoir un peu plus, de façon chiffrée, sur ce problème-là, cette problématique-là dans le monde du travail, il faut lire TGS, Travail Genre et Sociétés. C’est une revue qui est menée depuis, je ne sais pas, 20/30 ans, en tout cas fondée par madame Maruani. Ils vont tout simplement poser des questions aux jeunes : que veux-tu faire plus tard ? Et c’est toujours la même chose. Quand une jeune fille dit « moi je veux être maître-chien », on lui dit « mais non, c’est mieux coiffeuse. » Quand un homme veut être coiffeur, il arrive dans une promo où elles sont 99 et il est tout seul, il est accueilli, bien sûr, comme le Saint-Sacrement. Quand une femme décide de faire génie mécanique, sur une promo de 100 elles sont deux, les autres étudiants n’ont de cesse de dessiner des bites sur leurs boîtes à outils, de faire des bruits de bouche et de faire, bien sûr, des blagues sexistes qui vous ravalent à votre foufoune jusqu’à ce que, en général, sur les deux il y en a au moins une qui craque et qui va faire coiffeuse ! Malheureusement ça ne change pas tellement et il est évident qu’on rêve de pouvoir compter sur une solidarité féminine. Les femmes c’est comme n’importe quel peuple opprimé, il y en a quand même un sacré nombre qui ont intériorisé leur infériorité et qui se feront couper en deux plutôt que de montrer la moindre solidarité. Et ça c’est un vrai problème !

Le problème de la misogynie féminine, permettez-moi de vous dire, c’est encore une terra incognita à défricher ; je vais laisser des femmes plus jeunes que moi se débrouiller avec et j’en suis ravie !
[Rires]
Frédéric Couchet : Vous venez de parler des enfants quand ils ont des ambitions de métier quel qu’il soit. Justement, c’est le dernier sujet, enfin l’avant-dernier avant les petits conseils de lecture et de podcasts sur le rôle, même si on en a déjà un peu parlé tout à l’heure, de l’éducation, des parents, de l’école. Katia a raconté son expérience avec son papa. Tout à l’heure Catherine Dufour a expliqué le rôle central du père dans l’autorisation de faire telle ou telle chose. Est-ce que vous voulez ajouter quelque chose sur ce point-là ? Est-ce que vous avez des conseils à donner aux parents, aux amis des parents ou, tout simplement, au système éducatif français. Caroline.
Caroline Corbal : Oui, sur le système éducatif, que l’école apprenne davantage déjà à connaître les nouveaux métiers qui utilisent le numérique. Tous les métiers, maintenant, vont utiliser du numérique - s’ils ne le font pas déjà - et je pense qu’il faut que les conseillers d’orientation et les profs qui accompagnent les élèves dans leurs choix puissent mieux parler de ces métiers-là, davantage les valoriser, les rendre plus attractifs pour donner plus envie ; en parler évidemment de la même manière aux filles et aux garçons et ensuite je pense qu’il y a un rôle fort des écoles de code. Les écoles de code doivent aussi apprendre à lutter contre les situations de sexisme, je pense notamment aux polémiques qu’il y avait eues avec l’École 42 qui faisaient un petit peu froid dans le dos quand on lisait des témoignages de jeunes filles qui étaient entrées brillamment dans cette école et qui en étaient sorties après quelques mois tellement elles disaient qu’elles expérimentaient au quotidien des situations de sexisme, de blagues, de réflexions sur leur tenue, etc.
Frédéric Couchet : Ça me fait penser, en termes d’école, et après je vais passer la parole à Katia et à Catherine, qu’il y a une école qui vient d’ouvrir ou qui va ouvrir, qui s’appelle Ada Tech School, principalement à Paris je crois, sauf erreur de ma part, mais on vérifiera, qui est une école qui est ouverte à toute personne mais qui affiche très clairement, justement, un accueil bienveillant, inclusif, etc. Le nom de Ada est évidemment choisi en référence à Ada Lovelace dont on parlera sans doute le 19 novembre avec Catherine Dufour.

Sur cette partie éducation, parents, enfants, amis des parents aussi parce qu’ils ont des rôles par rapport aux enfants, Katia Aresti tu veux ajouter quelque chose ?
Katia Aresti : Je ne sais pas, mais je constate que les enfants tout petits jouent vraiment au rôle de l’imitation, mais vraiment ! J’ai deux filles. Elles ont deux ans d’écart. Quand ma fille aînée a vu qu’on a vu qu’on avait un petit bébé à la maison, elle a commencé à jouer à s’occuper des bébés. Et un jour, aussi, elle a monté un petit truc en Lego à la con, quand elle avait trois ans et demi et d’un coup elle s’est mise à faire « tic, tic, tic » comme ça. Le papa lui a demandé « qu’est-ce tu fais ? — Je fais comme maman à l’ordinateur. » ; « tic, tic, tic ».
Frédéric Couchet : Comme on est à la radio, je précise que Katia est en train de mimer quelqu’un qui tape sur un clavier.
Katia Aresti : Désolée. D’un coup, je me croyais à la télé !
Frédéric Couchet : Bientôt !
Katia Aresti : Ce que je veux dire c’est qu’il y a un rôle d’imitation très fort qui se fait : les enfants imitent tout. Justement il faut éviter de tomber dans des cases en tant que parent. Après il y a nous, il y a l’école, il y a les autres parents, il y a tout le monde. Moi je n’achetais pas de fringues roses à ma fille, mais là c’est juste pas possible, elle en veut. Malgré moi ! Du coup je ne sais pas comment faire. Je lui dis non ? Eh bien non, je lui achète aussi des trucs roses, à un moment donné je choisis mes batailles ! Je veux dire qu’il y a pas que nous. Essayer de montrer différents exemples, surtout donner des choix et ne pas s’enfermer sur les box de marketing : ça c’est pour les filles, ça c’est pour les garçons, essayer de surpasser tout ça.
Frédéric Couchet : OK ! Catherine Dufour, vous vouliez réagir ?
Catherine Dufour : Oui. En général on essaye de donner l’éducation qu’on juge bonne à ses enfants et la société vient tout vous pourrir derrière, notamment en gavant les petites files de rose.

Il y a une très jolie petite histoire : madame de Maintenon, l’épouse de Louis XIV, ouvre une école pour filles justement à Saint Cyr [Maison royale de Saint-Louis]. Elle avait été une petite jeune fille plutôt mignonne, qui s’achetait des petites dentelles et puis elle se mettait devant son miroir et elle se faisait des mines et des duckfaces comme toutes les gamines. Dans son école, deux bonnes sœurs ont chopé des gamines en train de se mettre du rouge à lèvres, quelque chose comme ça. Elles sont allées voir madame de Maintenon en disant qu’est-ce qu’on fait ? Est-ce qu’on les pend sur la place publique ? Est-ce qu’on leur donne 200 Ave et 200 Pater à réciter ? Et madame de Maintenon a répondu : « Pour mourir à ces délicatesses il faut y avoir vécu, laissez-les faire ». C’est-à-dire que globalement les petites filles il faut les laisser se gaver de rose jusqu’à ce qu’elles n’en puissent plus, elles lâcheront elles-mêmes la chose en temps voulu. On ne peut pas lutter contre la société complètement, on peut aiguiller et puis il ne faut quand même pas trop s’inquiéter : un gamin qui n’est pas trop contrarié sur une de ses lubies finira fatalement par passer par autre chose et s’il est intelligent ou intelligente par passer à quelque chose de bien.
Frédéric Couchet : D’accord. Il nous reste deux/trois minutes, donc ça va être la dernière question : quels conseils, ça peut être de lectures, de podcasts, de vidéos ou autres, vous conseilleriez que ce soit aux femmes, aux hommes, aux parents, aux enfants. On va commencer par Caroline Corbal.
Caroline Corbal : Moi j’avais pensé à trois choses. Ce n’est pas lié directement au numérique mais de sont des supports, des œuvres qui traitent de sujets féministes et qui me semblent très inspirants et éclairants pour comprendre les mécanismes qui sous-tendent les dynamiques sexistes qui sont à l’œuvre dans le numérique.

En podcast j’avais pensé au podcast Les couilles sur la table qui est animé et pensé par Victoire Tuaillon, qui sort bientôt en livre et qui est hyper-intéressant. Et aussi « Un podcast à soi » de Charlotte Bienaimé.

En BD, toutes les BD de Liv Strömquist qui est une auteure suédoise, qui est hyper-drôle en plus et je pense notamment à L’Origine du monde ou à I’m every woman. C’est drôle, ça apprend plein de trucs sur le féminisme et ça donne des grilles de lecture vraiment assez intéressantes je trouve.

Et puis l’excellent Sorcières, la puissance invaincue des femmes de Mona Chollet qui là, pour le coup, est un peu plus dense mais qui est tout aussi intéressant.
Frédéric Couchet : Tu m’enverras les références précises pour que je les rajoute sur le site. Je confirme que le podcast Les couilles sur la table de Victoire Tuaillon est excellent.

Catherine Dufour, au-delà de vos livres, j’encourage vraiment à lire Ada ou la beauté des nombres – je l’ai fini avant-hier – et l’autre que je n’ai pas lu, que je vais commander, qui est le Guide des métiers pour les petites filles qui ne veulent pas finir princesses, est-ce que vous avez des conseils de lecture, de podcasts ou autres ?
Catherine Dufour : J’aurais un peu les mêmes. Vous pouvez faire tout Mona Chollet et après vous passerez à Naomi Klein et vous commencerez par Caliban et la Sorcière (Note de transcription : il s’agit en fait de Sylvia Federici). Après on se recause.
Frédéric Couchet : Mona Cholet, je crois que c’est l’an dernier ou il y a deux ans, a publié un livre Sorcières, la puissance invaincue des femmes.
Catherine Dufour : Sorcières. Avant elle avait fait un livre je ne me souviens plus du titre c’est sur la façon d’habiter chez soi [Chez soi, une odyssée de l’espace domestique] et avant elle avait fait Beauté fatale, les nouveaux visages d’une aliénation féminine. Tout Mona Cholet est effectivement incontournable.

Si vous préférez la BD, vous pouvez passer par Les Culottées de Pénélope Bagieu, ce n’est pas mal.
Frédéric Couchet : D’accord. Pareil vous m’enverrez les références que je n’ai pas. En tout cas les personnes qui écoutez l’émission, n’hésitez pas à nous envoyer des références et il y a d’autres sites ressources : on ne va pas citer mais par exemple opensourcediversity.org sur lequel il y a pas mal de références.

Par contre on n’a pas cité les sites web : Duchess France c’est duchess-france.org sans « e » à « duchess » et vous verrez sur le site pourquoi ça s’appelle Duchess, je vous laisse découvrir, ça a un lien avec la mascotte Java.

Open Heroines, c’est quoi le site principal Caroline ?
Caroline Corbal : C’est openheroines.org et, pour le chapitre français, vous pouvez plutôt nous retrouver sur le site de codefor.fr.
Frédéric Couchet : OK. En tout cas je vous remercie, c’était passionnant et ce n’est qu’une première émission sur le sujet parce qu’il y a évidemment plein de sujets qu’on n’a pas abordés.

Nous étions avec Caroline Corbal de Code for France et d’Open Heroines, Katia Aresti développeuse chez Red Hat et Duchess France et Catherine Dufour ingénieure en informatique qui a écrit de la fantaisie et qui a publié récemment Ada ou la beauté des nombres chez Fayard et qu’on retrouvera le 19 novembre dans notre studio.

Merci à vous et passez une agréable fin de journée.
Catherine Dufour : Merci.
Katia Aresti : Merci.
Frédéric Couchet : Nous sommes de retour depuis novembre 2019 au 8 septembre 2020. Vous venez d’écouter un sujet enregistré. Je vous précise que le sujet initialement prévu aujourd’hui, l’initiation à la programmation pour les femmes qui sera donc une suite logique de l’émission diffusée à l’instant, aura lieu courant septembre. L’enregistrement va avoir lieu en septembre et sera sans doute diffusé en septembre 2020 ou en octobre 2020.
Nous allons faire une pause musicale.
[Virgule musicale]
Frédéric Couchet : Nous allons écouter With you instrumental par HaTom. On se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
Pause musicale : With you instrumental par HaTom.
Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter With you instrumental par HaTom disponible sous licence libre Creative Commons Attribution. Vous retrouverez les références sur le site de l’April, april.org, et sur le site de la radio, causecommune.fm. Je rappelle que c’est un choix de notre nouveau programmateur musical Éric Fraudin du site Au Bout du Fil, Éric que nous aurons le plaisir d’avoir la semaine prochaine, mardi 15 septembre 2020, pour sa première chronique.
Vous écoutez toujours l’émission Libre à vous ! sur radio Cause Commune 93.1 FM et en DAB + en Île-de-France et partout dans le monde sur le site causecommune.fm.
Nous allons passer au sujet suivant.
[Virgule musicale]

Première chronique d’Antanak avec Isabelle Carrère sur le thème de l’installation d’un système d’exploitation libre

Frédéric Couchet : Nous allons poursuivre avec grand plaisir avec la première chronique d’Antanak et notamment Isabelle Carrère. Bonjour Isa.
Isabelle Carrère : Bonjour Fred.
Frédéric Couchet : Antanak, si vous vous souvenez, on en a déjà parlé dans l’émission sur le réemploi informatique, c’était le 23 juin 2020, donc dans l’émission 70 ; vous retrouverez évidemment le podcast sur le site de la radio. Et les locaux d’Antanak, comme je le disais la semaine dernière, sont juste à côté des studios de la radio, donc c’est au 18 rue Bernard Dimey dans le 18e arrondissement de Paris. Antanak est une association qui agit pour l’appropriation par toutes et tous de l’informatique.

On a le grand plaisir de t’accueillir pour une première chronique dont le thème va être justement l’installation de systèmes libres ?
Isabelle Carrère : Voilà ! Tout à fait. L’idée en fait c’était, comme tu viens de le faire, de refaire le pont avec ce qu’on avait pu évoquer avec Joyce [Markoll] lors de cette émission où tu nous avais invitées au mois de juin. On avait eu l’occasion de parler un petit peu de ce qu’est reconditionnement, réutilisation, réemploi, etc., et très rapidement on arrivait sur les utilisateurs.

Mon idée aujourd’hui, pour cette première chronique, c’était de faire un petit focus sur ce qui se passe entre les deux, donc qu’est-ce que c’est, qu’est-ce qu’on fait et comment on pratique à Antanak l’installation d’une distribution libre sur un ordinateur.

Les ordinateurs que nous avons, on l’a vu, ce sont des ordinateurs qui nous sont donnés majoritairement par des entreprises et par des particuliers. Les entreprises, on le sait, gardent à peu près entre trois et cinq ans leur matériel avant de s’en débarrasser, tout ou partie, elles font ça par vagues en général. Qu’est-ce qui se passe à ce moment-là, elles considèrent donc, comme les particuliers considèrent de la même manière les ordinateurs qu’ils viennent nous donner, comme obsolètes. De quoi parle-t-on et c’est quoi cette obsolescence-là ? En fait, c’est parce qu’ils considèrent qu’il y a un moment où l’ordinateur n’est plus performant. Mais de quelle performance parlons-nous ? Ce n’est pas aux auditeurs et auditrices de l’April que je vais expliquer ces choses-là. Il y a quand même trois grands champs sur le sujet de la performance.
Frédéric Couchet : Tu peux expliquer parce que majoritairement les auditeurs et auditrices de Cause Commune ne sont pas membres de l’April, je pense.
Isabelle Carrère : Pas majoritairement. Mais enfin, à Libre à vous !, j’imagine qu’il y a pas mal de gens qui s’y connaissent, désolée pour celles et ceux pour qui tout cela est une évidence.

Les trois points : quand on parle de performance pour un ordinateur on dit quoi ?

La question du débit possible, donc les entrées-sorties. Qu’est-ce qu’un appareil est en capacité de retranscrire, retransmettre, qu’il s’agisse d’ailleurs des choses externes, comme ce qu’on va voir par Internet par exemple, mais aussi les capacités internes d’un poste. Ça veut dire le lien, le débit entre un périphérique et l’ordinateur : entre un moniteur pour avoir un affichage à l’écran, une clef USB, un micro, une imprimante, peu importe, mais voilà !, quel est le débit possible, c’est la première notion dans la performance.

La deuxième c’est le processeur lui-même. Le processeur ça veut dire temps d’exécution d’une instruction qui a été fournie par un programme et/ou la capacité de calcul de l’appareil : en une seconde combien de calculs il peut faire et qu’est-ce qu’il peut travailler ? Ça c’est pour le processeur.

La troisième chose ça va être la capacité de mémorisation. Mémorisation à la fois dans la mémoire vive qu’on appelle la RAM, ou celle qu’on ajoute en swap, et la mémoire dite morte qui est celle des données sur le disque dur.

Du coup, quand on nous donne un ordinateur ce sont ces trois choses-là qu’on va aller regarder, vérifier, une fois, évidemment, qu’on a fait du nettoyage parce que c’est rare que les ordinateurs nous arrivent très propres et on les nettoie.
Frédéric Couchet : Quand tu parles de nettoyage, c’est nettoyage des données ?
Isabelle Carrère : Oui et non. Les deux. Tu as raison, il y a le nettoyage des données, évidemment, mais là je parlais plus en termes de nettoyage physique, je suis vraiment sur la machine elle-même, donc on démonte tout et on remonte tout parce qu’en général il y a beaucoup de poussière qui s’est infiltrée un peu partout quand ce n’est pas pire que de la poussière !

Ce qui est intéressant avec ces trois sujets c’est de quoi parle-t-on ? La performance pour les entreprises ou les gens qui considèrent que l’ordinateur ne leur suffit plus c’est quoi ? C’est vitesse et quantité. Rapidité d’obtention de l’information et nombre d’informations que je suis capable d’obtenir. C’est intéressant parce que je trouve que ce sont deux thématiques très actuelles en tout cas dans nos sociétés occidentales, la vitesse et la quantité. De fait, les fabricants de matériel, mais aussi vraisemblablement les développeurs, jouent le jeu de cette recherche de toujours plus, toujours plus vite, plus de choses, plus d’informations, etc., ce qui fait que les gens aussi vont là-dedans, pas simplement pour des effets de mode mais aussi parce qu’on habitue toutes les personnes à vouloir que « eh bien oui, j’appuie sur un bouton il faut que ça réponde tout de suite et je veux pouvoir transporter des tas de données et avoir un débit très rapide ».

En fait, dans la pratique, on voit bien que ce n’est pas obligatoirement ça qui est vraiment nécessaire. C’est-à-dire que la majorité des « actes quotidiens », entre guillemets, si je peux m’exprimer comme ça, ne requiert pas cette vitesse-là et ne requiert pas autant de choses. Donc cette vitesse est technique. Elle est technique, elle est voulue ou requise, on va dire ça comme ça, gentiment, par la technique, parce que la gourmandise est là. Les vidéos sont de plus en plus lourdes, les pages web sont costauds. On l’a vu dans la période récente, pour communiquer tout le monde voulait avoir une caméra, un bon micro, etc., mais tout ça requiert des choses qui font que vitesse et quantité sont requises partout.

Du coup, les ordinateurs ne sont plus suffisants. Or, quand nous on regarde ce qui est réellement nécessaire, on va voir tout à l’heure que ce n’est pas exactement tout ça.
Donc ce matériel nous arrive. On l’a nettoyé, on l’a remonté. La question suivante va être : quel est le système d’exploitation le plus adapté qu’on va pouvoir y installer ?

Dans un premier temps, au tout début d’Antanak en 2015, quand on a ouvert l’association, on s’était dit que l’idéal c’était de pouvoir immédiatement à la fois l’adapter bien sûr à la machine, ses propres capacités, mais aussi l’adapter à la personne qui serait l’utilisatrice finale. Mais ça c’était un vœu pieux, parce que dans la vraie vie on ne sait pas tout de suite, au moment où un ordinateur nous arrive, qui sera l’utilisateur ou l’utilisatrice finale, donc ça ne marche pas. En plus il fallait qu’on ait un peu de temps d’avance, donc qu’on soit capable de préparer à l’avance du matériel. Donc qu’est-ce qu’on s’est dit ? On s’est dit très bien, on va le faire d’abord en fonction du CPU, les trois axes que je viens de dire tout à l’heure.
Frédéric Couchet : Le CPU c’est le processeur.
Isabelle Carrère : Le processeur, son âge, sa génération, le nombre de cœurs, etc., et puis de la RAM. On rajoute toujours de la RAM, mais les ordinateurs ont une capacité limitée, définie.
Frédéric Couchet : Capacité maximale d’acceptation de la RAM.
Isabelle Carrère : Du coup, il y a de très vieux postes qui ne peuvent accepter que deux gigas, par exemple. Ceux-là ce n’est pas la peine d’essayer de leur en mettre 32, de toute façon ça ne marchera pas ! En même temps, il y a des gens, François, quelqu’un d’Antanak qui viendra sans doute dans une prochaine chronique, qui est très content quand il arrive à faire fonctionner des postes avec 512 mégas de RAM. C’est un sujet qui est compliqué parce qu’on voit bien que notamment pour Internet ça ne marche pas. Ça marche pour beaucoup de choses, on peut faire du traitement de texte avec très peu de RAM. Dès qu’on veut aller sur Internet c’est mort, effectivement, parce que les développements sont… Je ne veux pas y revenir, mais ce sont bien nos questions de performance de tout à l’heure.

En tout cas quand on décide qu’on va installer une distribution GNU/Linux et là ça va être une des distributions non commerciales, communautaires et grand public qu’on va choisir. Donc on va mettre du Debian, de l’Ubuntu, du Xubuntu, du Mint, de l’antiX, du CentOS, du Bodhi Linux, j’en passe et des meilleures. Pourquoi ? Nous on n’est vraiment pas pour le monopole d’une distribution, on serait très malheureux et très tristes s’il n’y avait plus qu’un grand qui prendrait toute la place du, entre guillemets, « marché du Libre » et on est friands de ce que nous-mêmes et les gens qui viennent à Antanak puissent voir plusieurs choses différentes. Et ce n’est pas simplement un vœu pieux, c’est vraiment une chose qui est super importante pour nous et c’est pour la même raison que nous n’avons pas, contrairement à d’autres associations, choisi de faire notre propre distribution. Outre le fait qu’on n’est pas tous des informaticiens, moi la première, on aurait pu se dire ça, on va en aménager une, repartir de quelque chose. On n’a pas voulu ça, on n’est pas la-dessus. Ce qu’on veut c’est montrer l’ouverture, montrer les capacités parce que toutes ces communautés font un boulot incroyable, génial, et je pense que ça nous intéresse plus de mettre ça en valeur, de reconnaître ça et d’en parler plutôt que de dire « non, voilà, il y a une distribution qui est la bonne c’est, deux points ouvrez les guillemets ». Non, on n’est pas là-dessus !

De ce fait on arrive à trouver la meilleure ou la bonne distribution pour le poste en question en fonction des critères machine dont j’ai parlé tout à l’heure. Parfois on a quelques soucis parce que, on ne sait pas trop pourquoi, il y a des cartes filles, par exemple la carte réseau Wifi qui, avec telle distribution, ne va marcher. Parfois on n’y arrive pas, du coup on est obligé de changer de braquet, on dit ce n’est pas celle-là que je vais utiliser c’est plutôt telle autre. On change. Sinon en général on s’y tient une fois qu’on a décidé ça.

Par contre, ce qu’on a fait de manière à ne pas être tout le temps juste avec une clef USB avec une image ISO qu’on va installer, c’est un processus un petit peu long, on a mis en place quelque chose, c’est Florian, un autre membre d’Antanak qui a mis ça en place, on se sert de Clonezilla. En fait, on fait sur des petits disques durs de 40 gigas, nos propres bibliothèques d’images à partir de ces distributions que j’ai citées tout à l’heure. À chaque mise à jour on remet notre bibliothèque d’images à jour et on a les dernières versions mais avec nos « propres paramètres » entre guillemets, c’est-à-dire qu’on met les paramètres dans Firefox, par exemple on dit qu’on veut que le bouton fermeture soit là. On met deux/trois choses telles on a envie et telles qu’on a constaté que pour les gens c’était plus facile d’accéder à ça.

On dépose tout ça sur notre serveur et ensuite, avec Clonezilla, on va aller chercher la distribution qui va bien. Avec Clonezilla on fait un clone sur le disque dur de l’appareil qu’on est en train de reconditionner pour la personne. Du coup on accélère beaucoup notre processus, on est très fiers de ça parce que c’est le seul endroit où on est un peu industriel et moins artisanal et ça marche très bien. Après, avec Gparted en graphique ou Parted en terminal, il n’y a plus qu’à retirer, en fait, les partitions pour que l’ensemble du disque dur soit utilisable par la personne à qui on va donner l’ordinateur, parce que sinon on n’aurait, à chaque fois, que les 40 gigas.

Voilà. Et on a gardé malgré tout quelques petites images en 32 bits pour les anciens postes. En tout cas, on est vraiment sur cette ligne de pouvoir faire des choses variées.

On voit bien que 90 % des usages des gens qui viennent chercher un ordinateur à Antanak, ça va être quoi ? C’est Internet et le traitement de texte. Il y a 10 % de gens qui vont venir et avoir besoin d’autre chose pour faire de la vidéo, du son, des trucs autres, etc. On a trouvé que finalement c’était la bonne façon que nous choisissions par rapport à la machine, cette adaptation-là de la bonne distribution GNU/Linux qui ensuite va être utilisée par les gens et ce, sans aucun souci.

Si j’ai 30 secondes encore, je vais juste raconter une petite histoire de fin, c’est assez amusant. Quand on donne des ordinateurs on explique aux gens tout ça, comment ça marche, ce qu’ils vont en faire après, ce à quoi ils s’engagent pour le bon entretien, blablabla. Pendant le confinement on a donné énormément d’ordinateurs. Un jour j’étais en train d’expliquer à un jeune comment fonctionnait l’ordinateur qu’on allait lui donner. Il m’écoute très sagement, très gentiment, du moins le pensais-je, il ne posait aucune question. J’ai dit « c’est bon, vous n’avez aucune question ? » Et sa question c’était : « Maintenant, pour installer Windows, je fais comment ? »…
Frédéric Couchet : Il y encore du boulot !
Isabelle Carrère : Il y encore du boulot, voilà c’est ce que je voulais dire !
Frédéric Couchet : Ça donnera l’occasion d’avoir d’autres chroniques.

C’était la première chronique d’Antanak, antanak.com pour le site web, et sinon 18 rue Bernard Dimey dans le 18e à Paris, juste à côté du studio. Merci Isabelle. C’était Isabelle Carrère qu’on retrouvera tous les mois.

Je précise aussi que Isabelle anime l’émission Un coin quelque part sur radio Cause Commune sur l’habitat, donc n’hésitez pas à l’écouter.
Isabelle Carrère : Merci beaucoup.
Frédéric Couchet : Merci Isabelle.

On a approche vraiment de la fin de l’émission. On va faire quelques annonces si j’ai le temps.
[Virgule musicale]

Annonces

Frédéric Couchet : Juste une petite annonce. N’hésitez pas à nous laisser un message sur le répondeur de la radio pour réagir à l’un des sujets de l’émission, nous poser une question ou simplement nous faire un retour. Le numéro du répondeur : 09 72 51 55 46, je répète 09 72 51 55 46.
Notre émission se termine. Je remercie les personnes qui ont participé à l’émission du jour : Isabella Vanni, Julie Bideux, Isabelle Carrère, également Catherine Dufour, Caroline Corbal et Katia Aresti, c’était le sujet enregistré il y a un an.

Aux manettes de la régie mon collègue Étienne Gonnu.

Merci également à Antoine, bénévole à l’April, Olivier Grieco, le directeur d’antenne de la radio, pour la post-production des podcasts.

Merci également à Quentin Gibeaux, bénévole à l’April, qui fait le découpage du podcast complet en sujets individuels.

Vous retrouverez sur causecommune.fm et sur april.org une page avec toutes les références utiles et les moyens de nous contacter. N’hésitez pas à nous faire des retours.
Nous vous remercions d’avoir écouté l’émission. N’hésitez pas à faire connaître l’émission et également la radio Cause Commune, la voix des possibles, le plus possible autour de vous.
La prochaine émission aura lieu en direct mardi 15 septembre 2020 à 15 heures 30. Notre sujet principal sera la réponse à la question que vous vous posez tous depuis 1970 : c’est quoi l’informatique ?
Nous vous souhaitons de passer une belle fin de journée. On se retrouve en direct mardi 15 septembre et d’ici là, portez-vous bien.
Générique de fin d’émission : Wesh Tone par Realaze.

Avertissement : Transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant⋅e⋅s mais rendant le discours fluide. Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.