- Titre :
- Émission Libre à vous ! diffusée mardi 15 septembre 2020 sur radio Cause Commune
- Intervenant·e·s :
- Éric Fraudain - Sylvie Boldo - Fabien Tarissan - Véronique Bonnet - Frédéric Couchet - Étienne Gonnu à la régie
- Lieu :
- Radio Cause Commune
- Date :
- 15 septembre 2020
- Durée :
- 1 h 30 min
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Page des références utiles concernant cette émission
- Licence de la transcription :
- Verbatim
- Illustration :
- Bannière de l’émission Libre à vous ! de Antoine Bardelli, disponible selon les termes de, au moins, une des licences suivantes : licence CC BY-SA 2.0 FR ou supérieure ; licence Art Libre 1.3 ou supérieure et General Free Documentation License V1.3 ou supérieure. Logo de la radio Cause Commune utilisé avec l’accord de Olivier Grieco.
- NB :
- transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l’April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.
Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Frédéric Couchet : Bonjour à toutes. Bonjour à tous.
L’informatique c’est quoi ? Ce sera le sujet principal de l’émission du jour avec au programme la première chronique musicale d’Éric Fraudain, également la chronique de Véronique Bonnet sur la mise en application des critères du logiciel libre.
Nous allons parler de tout cela dans l’émission du jour.
Vous êtes sur la radio Cause Commune, la voix des possibles, 93.1 FM et en DAB+ en Île-de-France et partout dans le monde sur le site causecommune.fm.
Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre. Je suis Frédéric Couchet, le délégué général de l’April.
Le site web de l’April c’est april.org, vous pouvez y trouver une page consacrée à cette émission avec les liens et références utiles, les détails sur les pauses musicales et également tous les moyens de nous contacter.
Nous sommes mardi 15 septembre 2020, nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.
Si vous souhaitez réagir, poser une question pendant ce direct, n’hésitez pas à vous connecter sur le salon web de la radio. Pour cela rendez-vous sur le site de la radio, causecommune.fm, cliquez sur « chat » et retrouvez-nous sur le salon dédié à l’émission.
À la réalisation de l’émission aujourd’hui mon collègue Étienne Gonnu. Bonjour Étienne.
Frédéric Couchet : Salut Fred.
Frédéric Couchet : Nous vous souhaitons une excellente écoute.
Pour commencer on va vous proposer un petit quiz, ça faisait longtemps, on va poser une petite question et je fournirai la réponse au cours de l’émission sauf si vous la donnez avant. Lors de l’émission de la semaine dernière, mardi 8 septembre 2020, il y a eu la première chronique d’une association qui agit notamment pour l’appropriation de l’informatique par toutes et tous et dont les locaux sont situés à côté du studio de la radio dans le 18e arrondissement de Paris. Quel est le nom de cette association ? Vous pouvez évidemment répondre sur le salon web de la radio ou sur les différents réseaux sociaux, sinon je vous donnerai la réponse en cours d’émission.
Tout de suite place au premier sujet.
[Virgule musicale]
Première chronique musicale de Éric Fraudain du site Au Bout Du Fil
Frédéric Couchet : Nous allons commencer par la première chronique musicale d’Éric Fraudain. Nous avons en effet le plaisir d’accueillir dans l’équipe des chroniqueurs Éric Fraudain du site Au Bout Du Fil, au boutdufil.com. Éric propose une sélection de musiques libres dans tous les styles musicaux. Il va nous faire une chronique musicale mensuelle, la première va avoir lieu aujourd’hui. Éric va également nous aider pour la programmation musicale en nous sélectionnant pour chaque émission des pépites musicales libres. Bonjour Éric.
Éric Fraudain : Bonjour à tous, très heureux d’être parmi vous.
Frédéric Couchet : C’est super, on est ravis. Je crois qu’aujourd’hui tu veux nous parler d’un artiste qui s’appelle Cloudkicker.
[Éric Fraudain corrige la prononciation de Cloudkicker]
Frédéric Couchet : Tu apprendras que mon anglais est particulier. Je te laisse la parole sur Cloudkicker.
Éric Fraudain : Tout d’abord je suis heureux de pouvoir partager avec vous mes préférences musicales, évidemment sous licence Creative Commons Attribution. Aujourd’hui, je vous emmène à Columbus, dans l’Ohio, à la découverte d’un artiste américain, qui s’appelle Cloudkicker, qui assume sa différence et son goût pour l’expérimentation.
Derrière Cloudkicker se cache un musicien, vous vous en doutez, qui s’appelle Ben Sharp et qui produit sous Cloudkicker depuis 2007 maintenant des albums sous licence Creative Commons, essentiellement Creative Commons Attribution. Je ne sais pas pourquoi mais sur son dernier album il s’est mis à publier sous licence Creative Commons By-NC-SA, où il interdit l’utilisation commerciale de sa musique, c’est pour la petite histoire.
Aujourd’hui je vous propose d’écouter un titre qui s’appelle Night qui est le premier titre de son album Unending qui est paru le 15 août 2019, et comme pour ses précédents opus, Ben Sharp a pris la main sur la réalisation tout entière de son album que ce soit l’écriture, la composition, l’enregistrement, le mixage et le mastering.
Je vous propose d’écouter ce titre et on revient juste après pour la review.
Éric Fraudain : Cause Commune 93.1.
[Diffusion de Night de Cloudkicker]
Éric Fraudain : Vous venez d’écouter Night sous licence Creative Commons Attribution de Cloudkicker.
La musique de Cloudkicker est, comme son nom d’artiste, onirique mais rebelle, aérienne mais un peu folle. Elle suit ses propres règles, loin des conventions, et refuse de se ranger dans une case, preuve que son nom, Cloudkicker, n’a pas été choisi au hasard, en français on pourrait traduire par « le botteur de nuage ».
Vous l’avez entendu, Ben Sharp est un multi-instrumentaliste avec une spécialisation à la guitare. Il est indépendant et il a tout appris par lui-même. Do it yourself. Il possède malgré tout une certaine notoriété depuis plusieurs années et ce sans travailler son marketing, uniquement grâce à son talent. C’est vraiment remarquable, surtout à notre époque. Pour la petite histoire, il possède même une référence sur Wikipédia anglais où il a sa propre page.
Si on voulait s’amuser à catégoriser sa musique – parfois il est nécessaire de la ranger dans un style – on pourrait tout simplement la cataloguer en musique instrumentale post-rock ou post-métal.
Je dois vous avouer que la musique que vous venez d’entendre, Night, ne reflète pas complètement la musique de Ben Sharp, puisqu’il est quand même très orienté vers un style métal, post-métal instrumental. J’ai essayé de vous faire écouter une musique qui permet plutôt d’avoir une approche générale à la liste de sa musique. Si vous aimez son style je vous encourage vraiment à aller bien plus loin et à écouter ses compositions sur Bandcamp essentiellement. D’ailleurs toutes ses musiques sont téléchargeables sur Bandcamp gratuitement et, bien sûr, vous pouvez contribuer financièrement à hauteur de ce que vous souhaitez.
Ben Sharp est donc un musicien passionné, qui crie haut et fort son envie de produire continuellement de nouveaux sons, sortant ainsi des sentiers battus. Night est un morceau mélancolique qui ouvre l’album Unending en douceur, invitant l’auditeur à se concentrer sur lui-même, sur ses propres rêves et ses pensées intérieures.
Sa particularité se situe dans les détails. Il travaille énormément les effets à la guitare. J’ai pu noter un travail sur un effet qui est le chorus voire de la reverb. J’ai un doute, mais je pense qu’il doit utiliser un bottleneck pour produire cet effet à la guitare, glissant entre deux notes ; je ne suis pas sûr de moi mais je pense qu’il doit utiliser ce genre d’outil. Le bottleneck, pour ceux qui ne connaissent pas, c’est comme un tube de verre ou de métal que le guitariste place sur son doigt, qui fait le lien entre eux accords. D’habitude on voit plutôt cette technique sur les musiques spécifiques au blues notamment. Là on voit bien que Ben Sharp a essayé d’emprunter cet instrument dans propre univers.
Il faut noter aussi que le mixage est une partie intégrante dans sa composition et il peut passer plusieurs mois à travailler son mixage. C’est presque devenu obsessionnel chez lui.
Pour résumer, pour conclure, Cloudkicker met un point d’honneur à se renouveler d’un album à l’autre. Il aime expérimenter, explorer de nouveaux sons, créer de l’inédit. Chacun de ses albums est donc différent du précédent.
J’en ai terminé. Je tiens juste à rappeler que sa musique, Night, est disponible sous licence Creative Commons By, Attribution.
Frédéric c’est à toi.
Frédéric Couchet : Merci. On va juste rappeler que la licence Creative Attribution signifie simplement qu’on est libre d’utiliser la musique de Cloudkicker à condition unique de le citer, c’est-à-dire que vous pouvez la modifier, vous pouvez la réutiliser même pour des besoins commerciaux. C’est une des nombreuses licences libres qui existent.
Je précise que Éric nous a concocté un choix d’autres titres de Cloudkicker pour cette émission. Chacune des pauses musicales aujourd’hui sera consacrée à l’artiste Cloudkicker.
Je remercie Éric Fraudain du site auboutdufil.com qui va nous faire une chronique musicale mensuelle et qui s’occupe de la programmation de Libre à vous !
Éric on se retrouve le mois prochain.
Éric Fraudain : Pas de souci. Merci à tous. Bonne émission.
Frédéric Couchet : Bonne journée. À bientôt.
On va passer à une pause musicale
[Virgule musicale]
Frédéric Couchet : La pause musicale c’est à nouveau, évidemment, Cloudkicker. On va écouter Intro to Woum par Cloudkicker. On se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
Voix off : Cause Commune 93.1.
Pause musicale : Intro to Woum par Cloudkicker.
Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Intro to Woum par Cloudkicker, disponible sous licence libre Creative Commons Attribution, c’est-à-dire partage à condition d’attribuer la source de la musique à l’artiste. Ce choix musical est de Éric Fraudain de auboutdufil.com. Vous retrouverez les références sur le site de l’April, april.com, et sur le site de la radio, causecommune.fm
Vous écoutez toujours l’émission Libre à vous ! sur radio Cause Commune, la voix des possibles, 93.1 FM et en DAB+ en Île-de-France et partout dans le monde sur le site causecommune.fm.
Nous allons passer au sujet principal.
[Virgule musicale]
Qu’est-ce que l’informatique ? avec Sylvie Boldo, directrice de recherche à l’Inria, et Fabien Tarissan chargé de recherche en informatique au CNRS, auteur de l’ouvrage Au cœur des réseaux. Des sciences aux citoyens, Le Pommier, 2019
Frédéric Couchet : Nous allons poursuivre par notre sujet principal qui va porter sur le thème « c’est quoi l’informatique ? », large question !, avec Sylvie Boldo directrice de recherche à l’Inria et Fabien Tarissan chargé de recherche en informatique au CNRS et auteur de l’ouvrage Au cœur des réseaux. Des sciences aux citoyens, Éditions Le Pommier en 2019.
Normalement Sylvie et Fabien sont en connexion téléphonique avec nous, on va vérifier. Est-ce que vous êtes là ?
Fabien Tarissan : Tout à fait. Bonjour.
Sylvie Boldo : Bonjour. Oui, nous sommes là.
Frédéric Couchet : Parfait. Je précise que c’est un premier test de connexion. On est encore en mode covid, donc Fabien et Sylvie sont à distance pendant que Étienne et moi sommes au studio.
L’idée de cette première émission, qui est née d’ailleurs lors d’une rencontre l’an dernier avec la Société informatique de France dont Fabien Tarissan est membre du conseil d’administration, c’est un peu d’expliquer ce qu’est l’informatique, parce que, en fait, l’informatique est omniprésente dans nos vies mais ce n’est pas sûr que les gens aient bien compris ce que c’est. Ce n’est probablement qu’une première émission parce que nous aborderons certains sujets peut-être plus en détail dans d’autres émissions ; là on va essayer de débroussailler un petit peu ce terrain. Première question, on va laisser se présenter les deux personnes que nous avons invitées. On va commencer par Sylvie Boldo.
Sylvie Boldo : Je suis chercheuse en informatique à l’Inria et l’Université Paris-Saclay et ma recherche porte sur la confiance dans les ordinateurs et les calculs sur ordinateur.
Frédéric Couchet : C’est un des sujets qu’on va aborder, justement cette fameuse de notion de confiance. Fabien Tarissan.
Fabien Tarissan : Je suis également chercheur mais au CNRS, en informatique également. Mon domaine d’expertise c’est plutôt les réseaux. J’ai aussi une casquette d’enseignant puisque je suis professeur attaché à l’École normale supérieure de Paris-Saclay et, vous l’avez dit, j’ai également une casquette en termes de médiation, de diffusion des connaissances auprès du plus grand nombre, du grand public pour faire simple : je suis, pour la Société informatique de France, vice-président en charge de la médiation scientifique.
Frédéric Couchet : D’accord. On va commencer par une question qui est peut-être un peu compliquée, mais on va essayer de rentrer un petit peu là-dedans, c’est la définition de l’informatique. Si on vous pose la question quand on vous rencontre la première fois et que vous expliquez que vous faites de l’informatique, comment vous définissez l’informatique ? Quels sont les grands concepts de l’informatique et après on va essayer de les détailler un petit peu. Sylvie Boldo.
Sylvie Boldo : Pour moi il y a quatre concepts importants en informatique qui sont : l’information, l’algorithme, le programme et la machine. Je ne sais pas si vous voulez que je détaille les quatre ou si Fabien veut le faire.
Frédéric Couchet : Vous allez pouvoir les détailler tous les deux. Vous, vous partez sur les quatre grands concepts. De votre côté, Fabien Tarissan, est-ce que vous partez sur ces mêmes quatre grands concepts ou est-ce que vous donnez une définition un peu différente ?
Fabien Tarissan : En général je commence par dire une formule, une définition qui est assez communément admise dans notre communauté qui est de dire que l’informatique c’est une science et que c’est une science du traitement automatisé de l’information. J’aime bien cette formule parce que, notamment,elle renvoie d’abord à la démarche scientifique qui est derrière l’informatique, l’informatique c’est une discipline scientifique, mais aussi à l’aspect technique, au traitement automatisé qui, lui, renvoie plutôt à l’ordinateur. Et effectivement, ensuite on peut se demander ce que recouvre, en termes de champs disciplinaires, la notion de science du traitement automatisé de l’information et là je suis tout à fait d’accord avec Sylvie, il faut travailler les quatre concepts qu’elle vient d’énoncer et qui sont d’ailleurs la manière que l’on a de présenter l’informatique au lycée dans les programmes d’enseignement scolaire. Ce sont effectivement quatre concepts qui traversent tous les champs de la discipline informatique.
Frédéric Couchet : D’accord. On va les aborder et on reviendra tout à l’heure sur la formation au collège, lycée, puis la formation des enseignants. Déjà on retient une science du traitement de l’information mais également une technique parce que, pendant longtemps, les gens n’ont sans doute vu l’informatique que d’un point de vue technique. Donc quatre grands concepts : information, algorithme, langage, machine.
Est-ce qu’on peut commencer un petit peu à détailler ces quatre grands concepts en commençant par le premier, l’information. Sylvie Boldo.
Sylvie Boldo : L’information, il y en a partout autour de nous. Ça va effectivement des serveurs de données de vos mails à des choses très simples. Je voulais vous donner un exemple : vous imaginez une classe qui a des notes sur 20 et le professeur veut, par exemple, la moyenne ou la note maximale de ces notes. La donnée de base, eh bien ça va être les notes de tous les élèves. Après il va vouloir appliquer un algorithme qui est, par exemple, je vais sommer, faire la somme de toutes ces valeurs-là, diviser par le nombre d’élèves et là j’aurai la moyenne. Après, s’il veut le faire en vrai, il va écrire un programme dans un langage de son choix, donc il va devoir écrire un texte compréhensible par la machine qui va lui permettre de faire ce calcul-là. Après, ça va rentrer dans la machine qui va vous donner un résultat.
Quelque part l’informatique c’est passer au travers de ça, c’est-à-dire aller d’un certain nombre d’informations et d’idées de façon à concevoir un algorithme qui, après, va marcher sur une machine.
Frédéric Couchet : D’accord. C’est déjà intéressant et on va revenir sur ces quatre concepts, notamment avec Fabien, mais que les gens comprennent que « informatique » n’est pas synonyme forcément « d’ordinateur », on peut faire de l’informatique sans machine quelque part et on verra peut-être tout à l’heure dans l’initiation qu’on peut commencer à initier à l’informatique dès la maternelle, en fait sans ordinateur.
Fabien, sur ces quatre grands concepts et sur leur enchaînement donc information, algorithme, langage, machine ?
Fabien Tarissan : C’est intéressant de comprendre l’enchaînement. Sylvie a tout à fait raison. Comprendre ce qu’est l’informatique et avoir une démarche d’informaticien ou d’informaticienne c’est exactement ce qu’elle vient dire, c’est-à-dire mettre en œuvre l’ensemble de ces quatre concepts dans une démarche assez rigoureuse.
Si on les prend séparément j’aime bien commencer par définir ce qu’est un algorithme, parce que, notamment, l’algorithme n’est pas propre à l’informatique, ça existe depuis des milliers d’années, probablement depuis que les hommes et les femmes ont eu besoin de compter, de faire des calculs notamment sur les surfaces agraires, etc. On retrouve des algorithmes dans l’Antiquité.
Qu’est-ce que c’est qu’un algorithme ? C’est une séquence d’instructions qui est censée être simple, élémentaire, qui est censée être non ambiguë, dont l’interprétation ne dépend pas de la personne qui reçoit cette séquence d’instructions, et surtout qui résout un problème donné. L’exemple que j’aime bien prendre, notamment devant un public très jeune, c’est l’exemple de la recette de cuisine. Si vous voulez faire un gâteau au chocolat, vous suivez une recette, vous prenez tant d’œufs, tant de proportions de beurre, de farine, vous chauffez votre four à telle température, et normalement, invariablement, à la fin vous allez obtenir un gâteau au chocolat. Ce que j’aime bien dans cet exemple c’est qu’on peut très vite sentir qu’on n’a pas besoin de comprendre pourquoi ça marche, on n’a pas besoin de comprendre l’alchimie qui s’opère entre les ingrédients, à la fin, invariablement, on obtient un gâteau au chocolat. Et c’est ça qui est un petit peu au cœur d’un algorithme. Si on suit la procédure qui est exprimée par cette séquence d’instructions dans un algorithme, alors on obtient la résolution du problème auquel s’attaque l’algorithme.
Après, si on veut enchaîner et comprendre la dynamique avec les autres facettes, avec l’exemple de la recette on sent bien qu’on n’est pas dans l’algorithme informatique, d’accord. Il y a des choses qui caractérisent les algorithmes dits informatiques des autres, il y a plusieurs points particuliers, mais il y en a qui nous amène au deuxième concept qui est que les algorithmes informatiques ont pour vocation, ont pour destinée à être opérés non pas par des êtres humains mais par des machines. Ça nous amène au deuxième concept qui a été évoqué par Sylvie tout à l’heure qui est celui de machine. Il faut comprendre comment s’organise une machine qui traite automatiquement de l’information. Qu’est-ce que c’est qu’un système d’exploitation ? Qu’est-ce que c’est qu’un fichier ? Qu’est-ce qui se passe quand on met des ordinateurs connectés entre eux et qu’on crée des réseaux ?
Du coup, on a ces deux concepts qui interagissent, on a quelque chose de très abstrait, un algorithme, on a quelque chose de très concret qui est une machine et là se joue quelque chose qui est de faire correspondre ces deux mondes. Et là on a besoin d’un cadre très formel pour exprimer ce qu’est un algorithme pour une machine. C’est donc ça l’exercice de la programmation et de comprendre ce qu’est un langage de programmation. Là toute la question, notamment dans le cadre de l’enseignement, c’est de faire comprendre quels sont les éléments clefs qu’un langage doit avoir pour rendre opérationnel ce que les algorithmes veulent faire et le rendre exécutable par une machine.
On voit bien que ces points-là ont une dynamique ensemble. Ils sont en même temps très distincts et, en même temps, ils parlent un petit peu de la même chose : on a les algorithmes du côté très abstrait, la machine du côté concret et le langage qui fait opérer les deux.
Frédéric Couchet : D’accord. Je suppose qu’il y a plusieurs façons de résoudre un même problème, donc plusieurs algorithmes possibles. Par exemple si on veut trier des objets, il y a sans doute plusieurs façons de trier des objets et il y a également plusieurs langages qui existent pour mettre en œuvre cet algorithme de façon compréhensible par l’ordinateur ?
Fabien Tarissan : Tout à fait. D’ailleurs c’est une des choses que l’on enseigne très vite quand on enseigne l’algorithmique, c’est d’essayer de raisonner sur les algorithmes d’abord pour des choses très importantes qui sont être capable d’être sûr, donc de prouver – on est vraiment dans le domaine mathématique – que l’algorithme est correct, qu’il fait ce qu’il est censé faire, qu’il termine, c’est-à-dire qu’il va répondre à un moment donné. On évalue aussi ce qu’on appelle sa complexité, c’est-à-dire, grosso modo, le temps qu’il va mettre pour répondre à un problème. Et là, effectivement, on peut se mettre à comparer des algorithmes qui, en un sens, ont envie de faire tous la même chose, ils résolvent le même problème, simplement ils ne mettent peut-être pas tous le même temps à le faire.
Il y a effectivement plusieurs méthodes pour répondre à un problème et on peut se mettre à comparer ces méthodes de façon très formelle pour, du coup, choisir la plus optimale.
Frédéric Couchet : Sylvie Boldo, justement, complétez sur ces quatre facettes.
Sylvie Boldo : Pour compléter ma réponse parce que j’ai trouvé que l’exemple du tri des valeurs est intéressant. Quand on apprend le piano on fait des gammes, quand on apprend l’informatique on fait des gammes et parmi ces gammes il y a effectivement les algorithmes de tri. Dans l’enseignement de l’informatique il y a effectivement un certain nombre d’algorithmes de tri qui sont appris. C’est vraiment un exemple clef de la littérature informatique.
Frédéric Couchet : Je n’ai pas pris cet exemple totalement au hasard. Ayant été étudiant en informatique, c’est effectivement une des premières choses qu’on nous a expliquée, qu’on nous a demandé de résoudre, les algorithmes de tri. Effectivement quand il s’agit de trier 10 objets, peu importe finalement l’algorithme, mais quand il s’agit d’en trier des millions voire des milliards, évidemment la complexité de l’algorithme, comme l’expliquait Fabien Tarissan, est importante.
Le premier point important de cette discussion pour les gens qui écoutent, est qu’ils comprennent finalement que l’informatique ce sont quatre grands champs qui sont liés entre eux : information-données, l’algorithme, le langage et les machines, avec ordinateurs aujourd’hui tels qu’on les connaît, mais ça peut être d’autres machines, ça peut être des machines dans des voitures, dans des avions, dans des téléphones, etc.
Sur cette notion de quatre grands concepts liés entre eux, est-ce que vous voulez ajouter quelque chose avant qu’on passe au thème suivant ?
Fabien Tarissan : On peut peut-être rappeler une formule d’un de nos grands pontes en informatique, Edsger Dijkstra, qui a dit quelque chose que vous avez repris au début de l’émission : « L’informatique n’est pas plus la science des ordinateurs que l’astronomie n’est celle des télescopes. ». Je pense que c’est important, effectivement, de démystifier ça, de décorréler un petit peu l’image que le grand public peut avoir de l’informatique à travers juste de l’objet machine et comprendre que derrière il y a une démarche scientifique qu’il est important également de percevoir et de comprendre.
Frédéric Couchet : D’accord. Sylvie est-ce que vous voulez ajouter quelque chose sur cette partie ?
Sylvie Boldo : Juste un petit complément. Effectivement, les gens imaginent un ordinateur. Ce que j’aime faire dans les classes de petits c’est leur apporter un ordinateur en morceaux pour qu’ils voient le processeur. Les enfants sont fascinés d’avoir entre les mains un processeur, mais effectivement, ça ne veut pas dire que l’informatique repose sur des processeurs, on peut faire de l’informatique débranchée.
Frédéric Couchet : On va en parler tout à l’heure.
Sylvie Boldo : On va en reparler, oui.
Frédéric Couchet : Votre expérience m’amuse parce que, quand mes enfants étaient encore petits, je leur ai ouvert le capot d’un ordinateur, à l’époque où on pouvait encore le faire facilement, pour leur montrer ce qu’il y a dedans et c’était quand même très passionnant. On va parler justement de la partie déconnectée tout à l’heure.
Deuxième thème un plus rapide c’est peut-être donner quelques dates. Est-ce qu’il y a quelques dates clefs dans l’histoire de l’informatique. Tout à l’heure Fabien Tarissan disait que les algorithmes ça n’avait rien de nouveau, c’était arrivé avec la création de l’humanité quelque part. Est-ce qu’il y a des dates clefs à retenir dans l’histoire de l’informatique ? Sylvie ou Fabien, qui veut commencer ?
Sylvie Boldo : Ce que j’aime bien c’est la machine de Blaise Pascal au 17e siècle, la Pascaline, qui est effectivement le début des calculs automatisés. Après il y a d’autres outils. C’est une machine que j’aime beaucoup et ça montre qu’en fait faire des calculs à la main c’est pénible, donc on veut les automatiser, donc on veut les automatiser depuis très longtemps, déjà au 17e siècle. Maintenant on va beaucoup plus vite, mais on a toujours une machine à calculer.
Frédéric Couchet : Fabien Tarissan.
Fabien Tarissan : C’est marrant. Si on part sur le côté technique, sur les machines, j’aime bien aussi compléter ce genre de machines avec des machines qui n’ont rien à voir avec l’informatique à priori, en tout cas auxquelles on ne pense pas en premier, que sont la machine à tisser. Pourquoi ? Parce que ce sont des exemples de machines programmables. Donc la machine à tisser, les orgues de Barbarie sont des machines dans lesquelles on va changer un petit bout à l’intérieur et ça va totalement changer la sortie de cette machine et c’est quelque chose qui est aussi au cœur du fonctionnement de l’informatique, enfin de l’aspect technique de l’informatique.
En termes de dates, ce que j’aime bien citer à mes élèves de première année, c’est rappeler que la naissance de l’informatique telle qu’on la connaît maintenant, ce sont les années 1950, fin des années 1940 on a les premiers ordinateurs et en fait on a, un tout petit peu avant, un texte fondamental qui a été écrit par Alan Turing, qui me semble fondamental, dans lequel est énoncé pour la première fois le concept de machine universelle qui est une description très abstraite de ce que pourrait être un ordinateur et cette description est faite dix ans avant les premiers ordinateurs tels qu’on peut les connaître maintenant. C’est un texte de 1936 qui me semble fondamental.
Après il y a d’autres dates.
Frédéric Couchet : Oui, il y a plein d’autres dates. C’était pour vous demander quelques dates. Je crois que les premiers enseignements universitaires c’est aussi dans les années 1970, il y a une cinquantaine d’années en gros. C’était pour avoir quelques dates et après on renvoie les personnes aux pages Wikipédia et aux références qu’on mettra sur le site de l’April. C’est important de noter que finalement l’informatique n’est pas quelque chose de récent, c’est quelque chose qui existe depuis très longtemps.
On va aborder un troisième sujet qui est notamment le cœur du travail de Sylvie Boldo, c’est la confiance dans l’ordinateur. En fait, les deux choses qu’on voit souvent chez les gens c’est soit ils pensent que l’ordinateur est absolument parfait et ne peut jamais faire d’erreurs. Et deuxième chose qu’on voit souvent, notamment avec l’informatique propriétaire, c’est que quand il y a quand même des erreurs ou des bugs, c’est forcément de la faute de la personne et pas de l’ordinateur, l’ordinateur étant parfait. Tout à l’heure Fabien Tarissan a aussi parlé, je crois, de vérification ou de méthode formelle, je ne sais plus, qui fait partie de la confiance.
Sylvie Boldo, je vous propose de commencer là-dessus puisque c’est justement votre cœur de recherche, sur la confiance dans l’ordinateur : est-ce que l’ordinateur est un outil magique et parfait ? Est-ce qu’il a des limites ?
Sylvie Boldo : Quelque part, pour l’utilisateur, c’est quand même un outil un peu magique parce que ça permet d’accéder très rapidement, très vite, à des informations qui sont éloignées. Quelque part les gens ont effectivement perçu le téléphone ou l’ordinateur comme des outils magiques. Le problème c’est qu’en fait un ordinateur c’est très bête, ça fait ce qu’on lui demande et surtout, ça fait ce qu’on lui demande et pas ce qu’on veut. Effectivement on interagit avec l’ordinateur, qui est une machine, par le biais de programmes — Fabien a évoqué tout à l’heure les systèmes d’exploitation —, donc quelque part il y a des humains qui ont programmé des programmes qui nous permettent d’interagir avec la machine, qui est un truc très bête qui sait faire des additions, des multiplications, etc., mais qui n’a aucune idée de ce qu’il est en train de faire. Donc de temps en temps ça ne marche pas comme on veut. Effectivement, souvent c’est la faute de l’ordinateur. La solution c’est soit de râler sur l’ordinateur, ce qui ne marche pas, soit de rebooter, ce qui marche parfois, soit d’autres choses. Dans un contexte personnel ce n’est pas forcément très grave, mais l’informatique est aussi dans les avions, dans les hôpitaux, etc., donc il peut y avoir des cas où on a besoin d’un peu plus de sûreté et de confiance. Il y a un pan de l’informatique qu’on appelle méthode formelle qui a pour but d’amener de la confiance pour effectivement être sûrs qu’un certain nombre de programmes ou d’algorithmes sont corrects et ne vont pas planter au milieu.
Frédéric Couchet : Le but de ces méthodes formelles sur lesquelles vous travaillez c’est prouver de façon, quelque part, mathématique que l’ordinateur, que le langage ou que le programme qui a été écrit par un être humain fait vraiment ce pourquoi il était prévu et pas autre chose.
Sylvie Boldo : Absolument. C’est ça. Une des difficultés c’est de décrire ce que le programme est censé faire. Il ne faut pas imaginer juste un petit bout de programme de dix lignes écrit par une personne, il faut imaginer des systèmes qui sont écrits par 50, 100 personnes, qui doivent interagir entre eux. Le fait qu’une fonction écrite par quelqu’un va bien être ce que l’autre attend, ce n’est pas complètement évident non plus. Il y a des techniques de génie logiciel pour ce genre de choses, mais disons que globalement c’est quand même une question très compliquée. On commence à savoir faire des choses, il y a pas mal de recherche là-dessus, mais effectivement c’est encore du domaine de la recherche.
Frédéric Couchet : D’accord. Est-ce qu’il y a beaucoup de code qui est étudié de cette façon-là, notamment du code qui est en production, c’est-à-dire utilisé au quotidien ? C’est-à-dire est-ce que par exemple le code qui est embarqué dans les avions subit des tests via des méthodes formelles ?
Sylvie Boldo : Les programmes dans les avions sont soumis à des normes extrêmement difficiles. Ils doivent être testés de façon très intensive et ils sont au moins partiellement prouvés avec diverses méthodes formelles. Il y a un niveau d’exigence sur les codes des avions qui est très important, beaucoup plus que sur les logiciels que vous utilisez couramment. On fait quand même beaucoup d’efforts pour ces systèmes critiques. Effectivement, ce qu’on aimerait bien, c’est que ce soit beaucoup plus automatique, notamment les démonstrations, c’est un des sujets sur lesquels les gens travaillent. Il y a effectivement des niveaux d’exigence pour certains programmes qui sont très élevés.
Frédéric Couchet : Ça fait combien d’années que des gens travaillent sur ce champ-là de cette preuve formelle ?
Sylvie Boldo : Sur les méthodes formelles, ça fait au moins trente ans. Les premières choses c’était l’informatique théorique, le lambda-calcul, ce sont les années 70/80. Quelque part, le fait de pouvoir décrire un algorithme et un programme de façon formelle c’est quelque chose qui n’est pas nouveau. Ce qui est plus récent c’est effectivement réussir à appliquer ça sur des programmes de la vraie vie, ça on le fait au moins partiellement.
Frédéric Couchet : D’accord. Fabien Tarissan, sur ce sujet de la confiance dans l’ordinateur, est-ce que vous voulez compléter sur les méthodes formelles ou sur un autre domaine ?
Fabien Tarissan : Non, la description est très claire. Par contre j’insisterais bien sur l’importance de cette nécessité de s’assurer de la sécurité des programmes qui sont écrits. On vient de voir avec les méthodes formelles des techniques extrêmement pointues qui sont justement ce sur quoi travaille Sylvie au quotidien dans ses recherches. On peut aussi aller regarder à l’autre bout de la chaîne, notamment quand on enseigne la programmation aux plus jeunes ou d’ailleurs aux moins jeunes. On n’enseigne pas simplement le fait d’être capable d’écrire des programmes c’est-à-dire de bien connaître les mots clefs du langage et comment ils s’organisent, mais on enseigne aussi la bonne pratique. La bonne pratique de la programmation elle vise quoi ? Justement à s’assurer qu’il y ait le moins d’erreurs possibles lorsqu’on écrit un programme. En fait, même si l’algorithme est clair dans notre tête, on ne se lance pas bille en tête dans l’écriture d’un programme, on passe par des phases dans lesquelles on évalue ce que va être ce qu’on appelle la spécification d’un programme, donc qu’est-ce qu’il va prendre en entrée, quel type de données il va prendre en entrée, quel type de données il va renvoyer en sortie dans son calcul, quelles sont les contraintes ou les hypothèses qui sont portées sur ces données. On essaye d’évaluer des batteries de tests sur lesquels on va ensuite tester son programme. Il y a toute une dynamique, un processus qui participe d’une bonne pratique d’écriture des programmes et qui est en lien avec cette nécessité de s’assurer que les programmes sont corrects.
Frédéric Couchet : D’accord. On va revenir sur ce sujet et on abordera aussi celui de l’enseignement. D’abord on va faire une petite pause musicale qui va être relativement courte. Aujourd’hui ce ne sont que des pauses musicales relativement courtes, encore une fois choisie par notre programmeur musical Éric Fraudain.
Nous allons écouter Welcome back par Cloudkicker. On se retrouve juste après. On vous souhaite une belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
Voix off : Cause Commune 93.1
Pause musicale : Welcome back par Cloudkicker.
Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Welcome back par Cloudkicker, disponible sous licence libre Creative Commons Attribution. Vous retrouverez les références sur le site de l’April, april.org, et sur le site de la radio causecommune.fm.
Vous écoutez toujours l’émission Libre à vous ! sur radio Commune, la voix des possibles, 93.1 et en DAB+ et Île-de-France et partout dans le monde sur le site causecommune.fm.
Avant de poursuivre avec notre sujet, je vais répondre à la première question du quiz pour être sûr de ne pas oublier. Je vous indiquais que dans l’émission de la semaine dernière il y avait eu la première chronique d’une association qui agit notamment pour l’appropriation de l’informatique par toutes et tous et dont les locaux sont situés à côté du studio de la radio dans le 18e, je vous demandais le nom de cette association. L’association s’appelle Antanak, antanak.com. Isabelle qui est intervenue la semaine dernière m’a dit que suite à sa chronique quatre personnes ont contacté l’association pour installer un système d’exploitation libre sur leur ordinateur. Donc n’hésitez pas à contacter antanak, avec un « k », point com. C’est juste à côté du local de la radio, vous pourrez en plus passer voir la radio si vous passez dans le quartier.
On va poursuivre avec notre sujet principal qui porte sur le thème « c’est quoi l’informatique ? » avec nos invités : Sylvie Boldo, directeur de recherche à l’Inria et Fabien Tarissan chargé de recherche en informatique au CNRS.
Juste avant la pause musicale on parlait de confiance dans l’ordinateur et aussi de l’importance de la qualité d’écriture du code. Je crois que c’est Fabien Tarissan qui parlait de ça juste avant.
Avant d’aborder l’importance de l’enseignement de l’informatique, est-ce que sur cette notion d’importance de la qualité de l’écriture du code vous voulez ajouter quelque chose ? Une question un peu provocatrice : est-ce que la majorité du code, notamment dans certains logiciels, est mal écrite en fait tout simplement, pour des raisons peut-être d’urgence parce que l’entreprise ou la structure dans laquelle on travaille est sous pression ou autre ? Quelle est la qualité générale du code écrit aujourd’hui en informatique ? Fabien, Sylvie, est-ce que vous êtes encore avec nous ?
Fabien Tarissan : Je n’ai pas une grande idée. Je me dis que la qualité dépend des contraintes, dépend de la norme que l’on pose sur ce qu’est un bon programme. Si on prend les normes telles que celles évoquées par Sylvie dans l’aviation je pense qu’il y a très peu de codes qui sont bien écrits. Il y a aussi beaucoup de codes qui sont partiellement bien écrits mais cela est suffisant pour les besoins de ce qu’ils font. Moi j’écris souvent des programmes que je suis le seul à utiliser pour des petits calculs ; s’ils ne sont pas parfaits, ce n’est pas très grave tant que le résultat est juste. Je ne sais pas très bien comment répondre à cette question, je n’ai pas une idée précise de la qualité sur l’ensemble des programmes. J’ai idée qu’ils ne sont pas tous très bien écrits quand même !
Sylvie Boldo : Je pense aussi que c’est un problème compliqué de bien écrire un programme. C’est un problème connu. Je pense aussi qu’au moment où ils sont écrits ils sont probablement bien écrits, mais après les programmes changent, ils évoluent, et on leur demande souvent de faire plus que ce qu’ils faisaient au début. Quelquefois il faudrait tout réécrire et on n’a pas forcément le temps. Je pense que c’est surtout pour ça qu’on a de la mauvaise qualité à la fin.
Frédéric Couchet : D’accord. On avait fait une émission sur l’agilité et notamment la personne qui intervenait, Alexis Monville, parlait, je cite ça de mémoire, des cycles en V versus les cycles agiles. Donc cycle en V où pendant des mois des gens écrivent du code et ensuite livrent le truc et ça ne correspond pas vraiment à ce que voulait la personne, versus cycle agile où il y a des itérations courtes, par exemple à la semaine, qui permettent d’adapter l’écriture du code en fonction du retour des personnes utilisatrices. Est-ce que c’est un petit peu ça ou je suis complètement hors sujet ?
Sylvie Boldo : Non, ce n’est pas hors-sujet, c’est juste que quelque part ça dépend du projet. Des fois il faut sortir un seul truc à une certaine date, dans ce cas-là, effectivement, c’est plutôt un cycle en V. Des fois on fait un cycle en V et, en fait, on se rend compte que ce n’était pas de ça qu’on avait besoin, donc il faut soit refaire un V, soit refaire du agile et, quelque part, étant donné certaines contraintes on a faits des choix et des fois les contraintes changent, ça fait que le programme qu’on a à la fin est un petit peu bancal. Ce n’est pas forcément la faute des programmeurs du début.
Frédéric Couchet : D’accord. Donc ne tapez pas toujours sur les programmeurs et les programmeuses quand quelque chose ne fonctionne pas ! On va aussi rappeler que l’informatique est un domaine très large, ce n’est pas parce qu’on fait de l’informatique qu’on maîtrise toute l’informatique. C’est vraiment un domaine très large comme on a pu le voir. On peut être spécialiste et ne rien connaître d’un autre domaine de l’informatique. C’est « normal » entre guillemets.
Sylvie Boldo : C’est tout à fait normal, je ne connais rien en réseaux.
Fabien Tarissan : Je connais très peu de choses sur les bugs.
Frédéric Couchet : On a parlé tout à l’heure, évidemment, de l’importance de l’enseignement de l’informatique ou, en tout cas, nous on considère que c’est important. Justement, je voudrais vous demander, avant qu’on aborde comment se passe l’enseignement de l’informatique aujourd’hui en France, pourquoi est-ce si important que ça d‘enseigner l’informatique ? Finalement par rapport à ces quatre grands concepts qu’on a vus au début de l’émission, je les rappelle, information, algorithme, langage, machine, lesquels doit-on apprendre aux personnes ? Sous quelle forme ? Quels sont les liens ?
Première question pourquoi est-ce si important d’apprendre l’informatique à nos élèves ou même, peut-être, au grand public, je ne sais pas ? Fabien Tarissan on va commencer par vous parce que, je le rappelle, vous êtes, je crois, vice-président, médiation de la Société informatique de France. Je crois que vous travaillez beaucoup sur ce domaine-là.
Fabien Tarissan : La médiation, du coup, c’est plus sur la diffusion des connaissances et pas forcément directement sur l’enseignement, mais, bien sûr, c’est très fortement lié.
Pour reprendre quelque chose qui a été dit tout à l’heure par Sylvie, l’informatique est partout, la notion d’information est partout, le numérique, il me semble constater que ça amène à des fantasmes dans les deux sens. C’est-à-dire des fantasmes tout à fait déraisonnables sur la résolution espérée de problèmes profonds et, à l’inverse, des peurs tout à fait irraisonnées sur les développements technologiques et le fait que ça dépasse l’humanité.
En réalité, comme souvent dans l’évolution des sciences et des techniques, ce ne sont pas tant les innovations elles-mêmes mais l’exploitation des possibilités qu’elles offrent qui sont porteuses soit de dangers soit, au contraire, de bienfaits pour le plus grand nombre.
Ce qui importe au final c’est d’être capable de peser sur ces développements et de maîtriser leurs conséquences. Du coup, comment contrôler les conséquences d’une nouvelle science ou d’une nouvelle technologie si on ne comprend pas, au préalable, ce sur quoi elle se fonde. C’est pour ça que c’est important de comprendre ce qu’est l’informatique, ce que sont les algorithmes, ce qu’est la notion de sécurité des programmes, ce que sont les réseaux, pour ensuite, en citoyen et citoyenne éclairés, peser sur les choix qui nous sont offerts.
Voilà en tout cas comment je conçois l’importance pour tous d’ailleurs, pas simplement pour les élèves, vous l’avez dit, d’avoir un minimum de connaissances sur ce qu’est l’informatique.
Frédéric Couchet : Sylvie Boldo.
Sylvie Boldo : Je suis complètement d’accord. Je pense que c’est important que les citoyens soient éclairés sur l’informatique parce qu’ils l’utilisent tout le temps. C’est-à-dire qu’effectivement ils vont faire leur déclaration des revenus sur le site web des impôts, ils vont éventuellement donner des informations à Google, Facebook, Amazon et ils ne se rendent pas forcément compte des conséquences effectivement de donner ses données, d’utiliser des programmes, quelque part parce qu’on ne leur a pas expliqué, on ne leur a pas expliqué ce que Google pouvait faire avec leurs données, donc on ne peut pas espérer que les gens aient un avis éclairé si on ne leur explique pas. Ça, effectivement, c’est important pour moi et à tout âge. On commence par les jeunes parce qu’ils vont grandir mais, quelque part, ça mériterait d’être plus large.
Frédéric Couchet : Ça me fait penser à une question que m’avait envoyée Marie-Odile qui s’occupe des transcriptions chez nous en préparant l’émission, je retrouve la petite question : si on dit que l’informatique est partout, pourquoi est-elle si mal comprise par les responsables politiques ? Est-ce que c’est un problème justement de formation ? De génération quelque part peut-être ? Peut-être que les responsables politiques sont majoritairement d’une génération qui n’a peut-être pas appris l’informatique. Est-ce que vous partagez ce point de vue, peut-être que vous ne le partagez pas, sur le fait que l’informatique est mal comprise par les responsables politiques actuels ?
Fabien Tarissan : Si, je partage ce point de vue. Je pense que les décideurs publics, au sens large, pas que les hommes et les femmes politiques, je le vois aussi dans le domaine de la magistrature où les algorithmes arrivent aussi dans les tribunaux soit pour épauler les juges soit, au contraire, pour pour que ça devienne des sujets de droit — il faut trancher d’un point de vue juridique sur des questions qui touchent à l’informatique — et les gens sont mal préparés. Effectivement, la raison vient en partie du fait qu’ils sont d’une génération où il n’y a pas eu de formation à l’informatique, donc il n’a pas du tout de connaissances sur ce qu’est un algorithme ou sur ce qu’est l’informatique. Oui, je suis assez d’accord avec ce constat.
Frédéric Couchet : Et Sylvie Boldo, de votre côté ?
Sylvie Boldo : Oui, tout à fait. On ne les a pas formés on ne peut pas espérer qu’ils sachent !
Frédéric Couchet : Justement parlons donc de l’enseignement de l’informatique. On va parler des élèves dans un premier temps et, si on a le temps, on parlera peut-être après des adultes. À partir de quelle classe d’âge peut-on commencer à enseigner l’informatique et sous quelle forme ? Notamment est-ce que dès le départ on va parler de données, d’algorithme, de langage, de machine ? Comment on commence ? À quel âge ? Qu’est-ce qu’on fait en fonction des différentes classes d’âge ? Pour parler concrètement, est-ce qu’en maternelle on peut initier à l’informatique et est-ce qu’il faut initier à l’informatique dès la maternelle ?
Fabien Tarissan : Est-ce qu’il faut ?, je ne sais pas, mais est-ce qu’on peut ?, oui. J’en ai fait l’expérience, je suis déjà intervenu en maternelle. Du coup, il faut réfléchir à ce qu’est le programme au niveau scolaire auquel on essaye de participer. C’est très personnel ce que je dis là, ce n’est pas une réponse globale. En l’occurrence, quand j’étais intervenu en moyenne section, ils travaillaient la notion de déplacement et de positionnement dans l’espace. Il fallait que les élèves, dans l’année, arrivent à comprendre quand on leur dit « droite, gauche », quand on leur dit à « droite de l’arbre, à gauche de l’arbre, à l’entrée, etc. » On avait travaillé sur un petit problème de déplacer des personnages sur une grille, ça participait d’un conte qui était travaillé à ce moment-là. J’étais intervenu pour discuter avec les élèves de comment on pourrait expliquer à ce petit personnage qui doit se rendre à un endroit sur une carte comment se déplacer. Donc on avait discuté langage. On avait essayé ensemble de mettre au point des mots clefs qui permettraient à quelqu’un, les élèves, de décrire le déplacement que le personnage devait opérer sur une grille et ensuite on avait mis en œuvre ce langage qu’ils avaient donc proposé eux-mêmes, bien sûr on avait encadré ça. Ensuite ils écrivaient de tout petits programmes à base de flèches, à base de déplacements et c’étaient des algorithmes, c’était leurs premiers programmes. Bien sûr, on ne mettait pas ces mots-là dessus. On ne parle pas de programme, on ne parle pas de langage, on ne parle pas d’algorithme et de complexité, bien évidemment. Mais on fait le plus important c’est-à-dire qu’on travaille les concepts, on forge de l’intuition pour que plus tard, dans leur scolarité, lorsqu’ils tombent sur la notion d’algorithme, la notion de terminaison, la notion de programme, eh bien ça fasse écho à des choses qu’ils ont déjà travaillées plus jeunes.
Frédéric Couchet : Est-ce que ce que vous décrivez est un peu en rapport à ce qu’on faisait il y a longtemps, ça existe peut-être toujours, la tortue du langage Logo ?
Fabien Tarissan : Oui. Sauf que là on ne le faisait pas avec une machine. Le problème que je vois dans l’apprentissage avec exclusivement un ordinateur c’est que c’est un médium qui met une barrière entre les concepts dont on parlait tout à l’heure et leur apprentissage. Si on passe par l’ordinateur pour enseigner ces concepts, alors il faut alors au préalable appréhender l’outil, il faut être capable d’écrire sur un clavier, il faut être capable d’être agile avec ses doigts, il faut être capable de lire les messages d’erreur sur un ordinateur. Donc il y a tout un écart qui se fait entre les concepts-mêmes et l’apprentissage. Lorsqu’on évacue l’ordinateur, notamment auprès des plus jeunes, ça facilite beaucoup le fait de travailler les concepts. Nous on travaillait ça avec du papier, un crayon et des flèches. Sinon oui, ça correspond beaucoup à ce qu’on faisait avec la tortue Logo, bien sûr.
Frédéric Couchet : D’accord. Dans l’enseignement actuel français on peut commencer dès la maternelle, mais dans les programmes officiels on commence à partir de quand en fait ? À partir de quelle classe d’âge ?
Fabien Tarissan : L’informatique telle qu’on l’a décrite tout à l’heure, notamment l’enseignement des quatre concepts, on la retrouve très clairement en première. C’est là qu’il y a la spécialité informatique, une spécialité sur laquelle les élèves de première, donc dans le prolongement, en terminale peuvent passer le bac et c’est une spécialité au même titre que les mathématiques, la littérature, la philosophie, l’histoire-géo, etc. Là c’est vraiment l’enseignement comme on l’a dit tout à l’heure.
C’est aussi abordé avant dans les programmes, on retrouve de l’informatique, notamment l’algorithmique, dans les programmes de mathématiques, ce qui est très bien, simplement c’est de l’informatique pour les mathématiques. Évidemment, si ça apparaît dans les programmes de mathématiques, c’est parce que c’est une partie de l’informatique qui est très fortement corrélée au programme de mathématiques de l’année. Par exemple ça va être comment est-ce qu’on calcule le plus grand commun diviseur entre deux nombres. Bien sûr on travaille l’informatique, ça forge aussi l’intuition et les connaissances, mais ce n’est pas complètement collé à ce qu’on décrivait tout à l’heure.
Ensuite, il y a un aussi cours qui est très important, qui est apparu en 2019 en même temps que la spécialité « numérique et sciences informatiques » de première et de terminale, qui est le cours de seconde, qui s’appelle « sciences numériques et technologie », qui lui est un cours obligatoire d’une heure et demie par semaine pour tous les lycéens de seconde, qui est un enseignement qui touche à l’informatique et qui touche à la technologie. C’est un enseignement qui est pensé sous forme de thèmes. Il aborde différents thèmes : qu’est-ce que c’est qu’Internet ? Qu’est-ce que c’est que le Web ? Qu’est-ce que c’est que la photo numérique ? Je ne les ai pas tous en tête là comme ça [Internet - Le Web - Les réseaux sociaux - Les données structurées et leur traitement - Localisation, cartographie et mobilité - Informatique embarquée et objets connectés . La photographie numérique]. Donc c’est un apprentissage à la fois de la technologie qui est derrière, de la bonne pratique de ces objets-là et aussi de quelques rudiments d’informatique au sens scientifique.
Frédéric Couchet : D’accord. Donc ça commence dès la seconde, puis première, terminale.
Sylvie Boldo, sur cette partie enseignement, est-ce que vous voulez compléter avant que je pose une question sur la formation des enseignants ?
Sylvie Boldo : Je voulais dire que je n’ai pas testé la maternelle, je n’ai pas été si courageuse que ça, j’ai testé le primaire et, par contre, c’était plutôt de l’algorithmique, pas sur ordinateur non plus, mais avec des Duplo donc avec des objets physiques qu’il faut déplacer. Là les algorithmes c’est comment je me déplace d’un certain nombre de cases pour effectivement faire ce que je voulais. Ma pratique c’est que ça marche très bien. C’est-à-dire qu’effectivement les enfants se prennent vraiment au jeu de trouver un algorithme, je ne dis pas forcément le gros mot « algorithme », mais de résoudre le problème et de trouver une méthode systématique. Ça les entraîne vraiment à ce qu’on peut appeler plus tard la pensée algorithmique, c’est-à-dire effectivement comment je trouve une méthode systématique pour résoudre mon problème.
Frédéric Couchet : D’accord.
Par rapport à ces cours se pose la question de la formation des enseignants et des enseignantes. Historiquement, je crois que la plupart de ces cours étaient donnée notamment par des professeurs de mathématiques, etc. Depuis peu, si je ne me trompe pas, il y a un CAPES informatique. Est-ce que qu’aujourd’hui les enseignants sont eux-mêmes et elles-mêmes formés pour donner des cours d’informatique en tant que science ? Où est-ce qu’on en est de cette formation ? Fabien Tarissan.
Fabien Tarissan : En partie. En fait l’informatique a fait son introduction dans les programmes il y a à peu près une dizaine d’années avec la spécialité « Informatique et sciences du numérique », qui s’appelait ISN, qui a donc disparu depuis pour cette spécialité plus importante qui s’appelle « Numérique et sciences informatiques ».
En 2019, si je me souviens bien, 30 000 élèves avaient choisi la spécialité informatique en première, c’est quand même conséquent. Ça demande à peu près, je dis un petit peu à la louche mais c’est l’ordre de grandeur, 2500/2800 professeurs pour faire ça. Effectivement la question se pose de qui va enseigner, qui peut être formé pour ça ? Il y a eu plusieurs courants de formation. Comme vous l’avez dit, des enseignants qui sont, en fait, des enseignants d’une autre discipline, qui se sont formés, qui ont fait de la formation continue pour, entre guillemets, « se mettre à niveau », pour avoir l’ensemble des connaissances du programme pour enseigner ça. Il faut se rendre que la spécialité c’est quatre heures par semaine en première, six heures par semaine en terminale. C’est quand même très conséquent en termes de connaissances à avoir et de recul à avoir pour le professeur pour qu’il soit à l’aise dans le fait de dispenser ces connaissances-là. Aujourd’hui, entre cette formation ISN qui avait eu lieu il a dix ans et la formation très récente à travers un diplôme inter-universitaire pour préparer les enseignants, on en est aujourd’hui à travers ces formations, ces différentes habilitations qui ont formé des enseignants d’une autre discipline, autour je crois de 1500. Je dis à peu près, il faudrait vérifier, j’aurais dû vérifier pour être plus précis.
Frédéric Couchet : Ce n’est pas grave, on mettra les bons chiffres.
Fabien Tarissan : C’est à peu près ça. Il manque quand même, au bas mot, 1000 professeurs pour ouvrir partout où on voudrait ouvrir ces classes-là pour répondre à la demande.
Il y a effectivement un CAPES, le CAPES il est très bien, c’est une formation longue, ce sont des gens qui sont en licence, qui ont suivi une formation universitaire en informatique et qui passent le concours du CAPES pour être professeur qui est la voie habituelle, en fait, pour enseigner une discipline au lycée et au collège, le CAPES c’est 30 places par an, donc on ne va pas aller très vite à ce rythme-là !
Frédéric Couchet : Trente places !
Fabien Tarissan : C’était 30 places cette année. Il a ouvert l’année dernière, donc là on a la toute première promotion de capétiens et de capétiennes ; 30 places dans le public et dix places dans le privé. C’est très peu pour répondre à la forte demande, au fort besoin d’enseignants. Donc oui, il va falloir muscler un petit peu notre corps enseignant. Il va falloir aussi regarder comment va s’opérer l’articulation entre les nouveaux formés, les capétiens et les capétiennes, et ceux qui ont fait un effort considérable dans une formation ad hoc, à travers les habilitations que j’évoquais avant. Il faut voir que ce sont des professeurs qui se sont formés en continu pendant qu’ils enseignaient leur matière. Ils avaient leur service dans la semaine, ils enseignaient et ils ont pris des semaines de vacances pour se former huit heures par jour pendant cinq semaines pour être prêts à enseigner cet enseignement à la rentrée. Donc il va falloir articuler ces deux corps-là et notamment pas que les nouveaux arrivants remplacent simplement tous ces gens-là qui ont fait un effort considérable pour démarrer ces enseignements de spécialité.
Frédéric Couchet : D’ailleurs sur ce sujet-là, si je me souviens bien, l’association EPI, Enseignement public et informatique, a publié récemment un communiqué de presse qui s’inquiétait justement de cette situation que vous évoquez.
Fabien Tarissan : Effectivement, c’est l’EPI qui a alerté sur cette question et, du coup, on essaye de voir exactement ce qui s’est passé, comment les décisions se prennent. Il faut juste porter une attention sur la manière dont vont s’opérer les affectations dans les lycées. Il serait inacceptable que tous ces gens qui ont fait énormément d’efforts pour se former et pour enseigner se voient du jour au lendemain sans enseignement d’informatique simplement parce que maintenant il y a quelques capétiens qui arrivent. Il y a de place pour tout le monde, il y a une forte demande, il y a un fort besoin, il faut juste qu’on arrive à prendre les bonnes décisions en termes d’affectation, en termes de répartition des classes.
Frédéric Couchet : Je ne vais pas vous demander si le ministre actuel peut prendre ce gendre de décision… Je fais mon commentaire tout seul !
Le temps avance. Je regarde l’heure parce que j’aurais aimé qu’on aborde un dernier sujet, celui des réseaux, sur lequel notamment vous travaillez Fabien. Sylvie, est-ce que vous voulez compléter ou ajouter quelque chose sur cette partie enseignement de l’informatique soit pour nos élèves, soit pour les adultes ?
Sylvie Boldo : Ce qu’a dit Fabien était très complet. Je voulais juste souligner le travail très important des professeurs qui se sont formés à l’informatique parce qu’ils ont vraiment travaillé très dur.
Frédéric Couchet : Oui, tout à fait. Pour en connaître quelques-uns, ils ont travaillé à côté sur leurs heures, ils se sont formés souvent, en plus, en utilisant des logiciels libres et des ressources libres. Donc ça c’est vraiment important.
On va aborder un dernier sujet, il nous reste quelques minutes, même pas une dizaine de minutes, un sujet qui est important sur lequel on reviendra sans doute aussi dans le cadre d’une autre émission.
Quand on discute avec des ados, il y a une chose qui revient assez souvent c’est que ces personnes n’ont souvent pas compris la différence entre un navigateur et un moteur de recherche. Je ne vais pas donner le nom du moteur de recherche, en l’occurrence si, c’est souvent Google, mais il y a souvent une confusion entre les deux, c’est-à-dire que pour eux le navigateur qu’ils utilisent, en fait, c’est uniquement un moteur de recherche. Donc il y a une mécompréhension du fonctionnement d’Internet, du Web, encore plus sans doute des algorithmes derrière les réseaux sociaux que les personnes utilisent. Ça c’est une de vos thématiques, Fabien Tarissan, de recherche et de travail, d’ailleurs je rappelle que vous avez écrit un ouvrage qui s’appelle Au cœur des réseaux. Des sciences aux citoyens, aux Éditions Le Pommier en 2019. J’aimerais que vous nous parliez un petit peu de l’importance de comprendre comment fonctionne Internet, le Web, pour comprendre le monde qui nous entoure aujourd’hui, qu’on utilise au quotidien.
Fabien Tarissan : Ce monde en ligne, oui tout à fait. Vous parlez de confusion entre navigateur et moteur de recherche, il y a des confusions encore plus profondes, la confusion entre Internet et le Web est très courante. Quand on dit qu’on va surfer sur Internet alors qu’en fait on va surfer sur le Web pour récupérer des informations, ce sont des confusions. Par exemple Internet et le Web sont deux objets, sont deux réseaux mais deux réseaux extrêmement différents. D’ailleurs l’année dernière, en 2019, on a célébré les 50 ans de la naissance d’Internet et, la même année, on a fêté les 30 ans de la naissance du Web. Ce n’est pas simplement que ce sont deux objets différents, c’est qu’ils ont 20 ans d’écart au moment de leur création. 20 ans, à l’échelle de l‘informatique moderne, c’est quand même beaucoup.
Il y a deux choses à dire. D’abord ça ne me choque pas tant que ça qu’on confonde Internet et le Web et qu’on prenne l’un pour l’autre. Par contre, quand on commence à réfléchir sur les enjeux qui sont derrière ces objets, derrière ces deux réseaux, alors là ça devient important de les distinguer. Par exemple, on a beaucoup parlé ces dernières années de la neutralité du Net qui était un acquis, enfin un consensus de la communauté pour faire fonctionner le réseau internet, et qui commence à être détricoté aux États-Unis notamment. Donc là, si on veut comprendre ce qui passe, il faut comprendre ce qu’est Internet. Le Web n’a aucun lien avec la question de la neutralité du Net. La neutralité du Net c’est savoir si on a le droit, en tant qu’opérateur de télécommunications, de traiter les flux d’informations qui arrivent à un point du réseau de façon différente que neutre. Jusqu’à présent non, le réseau devait être neutre, donc il devait traiter tous les flux de la même manière et maintenant on commence à donner le droit à ces opérateurs de le faire de façon différente.
À l’autre extrême, si je prends un autre exemple dont on parle beaucoup en ce moment que sont les fake news, là c’est l’inverse. L’Internet n’a rien à dire sur les fake news, ce qui est important c’est le Web qui permet de comprendre comment ces fausses informations se créent, comment est-ce qu’elles sont relayées sur les réseaux, pourquoi est-ce qu’elles acquièrent une telle notoriété en général extrêmement vite, pourquoi est-ce qu’elles touchent autant d’utilisateurs du Web, pour essayer de comprendre comment s’en prémunir d’une certaine façon.
Donc oui, je crois qu’il y a un travail à faire pour bien comprendre ce qui se joue derrière ces objets, pour comprendre aussi ce qui se joue derrière les algorithmes qui opèrent sur ces réseaux. Vous avez cité les moteurs de recherche qui ont effectivement un rôle. Un rôle, il faut le souligner, qui est nécessaire. En moyenne, quand quelqu’un tape des mots clefs sur un moteur de recherche quel qu’il soit, il y a plusieurs centaines de milliers de pages web qui correspondent à cette requête. Il est évident qu’on ne peut pas laisser l’utilisateur en face de 200 000 pages web livrées en vrac en lui disant « voilà, il y a ces 200 000 pages qui devraient t’intéresser ». Évidemment il faut classer l’information, évidemment il faut organiser l’information, il faut le faire de manière automatique et c’est ça le travail d’un moteur de recherche. Mais, en même temps, du coup, les moteurs de recherche ont un impact extrêmement fort sur l’information qui est rendue visible. On ne voit, en réalité, qu’une infime fraction des pages web qui existent, des posts qui existent sur les réseaux sociaux, etc. Donc se pose la question de quel impact ça a sur notre manière de raisonner ensuite, sur les décisions qu’on prend hors-ligne, par exemple sur notre manière de voter.
C’est d’ailleurs pour ça que j’ai écrit l’année dernière ce livre, pour essayer de démystifier un petit peu le fonctionnement à la fois des réseaux, en même temps des algorithmes qui opèrent sur ces réseaux, essayer de faire comprendre aussi l’économie qui se joue derrière puisque la plupart des services qu’on utilise se présentent comme gratuits aux utilisateurs. Or, on le sait bien, il y a une énorme économie derrière. Donc il faut comprendre comment se joue cette économie, d’où vient la valeur ajoutée qui crée l’économie pour les sociétés qui sont derrière. Tout ça, encore une fois, pour choisir de façon éclairée quel service on va utiliser, comment on va l’utiliser et comment on va paramétrer tout ça.
Frédéric Couchet : Tout à l’heure on parlait de la formation des élèves. Est-ce que dans les spécialisations, les cours de spécialité informatique, est-ce que ces thèmes sont abordés ou pas du tout ?
Fabien Tarissan : Dans la spécialité première et terminale, on le trouve un petit peu à la marge, disons que c’est saupoudré. Mais c’est avant tout un enseignement scientifique au sens, je dirais, science dure, donc c’est moins fait. Par contre, c’est plutôt dans le programme de seconde que c’est fait où là, à chaque fois qu’il y a un thème qui touche à ces objets-là, il y a des connaissances sur qu’est-ce que ça veut d’utiliser ces services ? Comment on se paramètre ? Qu’est-ce que ça veut dire données publiques, privées, ce genre de choses ?
Frédéric Couchet : Sylvie Boldo sur cette thématique donc Internet, le Web, les algorithmes ?
Sylvie Boldo : Juste une anecdote parce que ce n’est pas mon domaine de recherche. Si vous allez sur un navigateur web vous avez en haut une barre sur laquelle vous pouvez mettre l’adresse et, en fait, il y a un truc qui a changé au cours de ma vie : avant je ne pouvais mettre que des adresses, maintenant je peux mettre des mots clefs et ça va me faire la recherche qui correspond. Ça, ça veut quand même dire que les moteurs de recherche ont une puissance très importante puisque, effectivement, les gens ne vont plus garder en marque-page des sites web, ils vont juste se rappeler des mots clefs et passer toujours par le moteur de recherche.
Frédéric Couchet : En plus, le moteur de recherche, notamment Google, vise visiblement, quelque part, à faire disparaître les URL.
Sylvie Boldo : Absolument.
Frédéric Couchet : C’est une volonté. Je suppose que les autres moteurs de recherche, peut-être pas tous, sont sur cette même logique-là. Effectivement on l’a remarqué.
Il ne nous reste que quelques minutes. J’aurais envie de vous demander à tous les deux, en deux minutes, si vous avez un message important à faire passer par rapport à cette thématique de l’informatique ou des annonces peut-être de projets en cours ou des annonces d’évènements. En deux minutes, le message important ou les messages importants à retenir par rapport à cette thématique de l’informatique. Ce n’est qu’une première émission, notamment sur la partie algorithme, on reviendra plus en détail sans doute dans d’autres émissions. Qu’est-ce que vous auriez envie de dire en chose importante ? On va commencer par Fabien Tarissan.
Fabien Tarissan : Là à chaud, en faisant référence à ce qui vient d’être dit ? On a évoqué le fait d’avoir besoin de l’éducation, de l’enseignement, d’éduquer les citoyens pour être éclairés sur ces questions. On vient de parler de bonnes pratiques, c’est-à-dire d’être acteurs sur les services qu’on utilise, le navigateur – certains navigateurs peuvent être respectueux de votre vie privée –, les moteurs de recherche – certains peuvent l’être également, etc. –, il me semble qu’il y a une troisième dimension sur laquelle il faut être capable de peser et qu’il faut bien avoir en tête, c’est légiférer. Il faut absolument encadrer par la loi ce que l’on peut et ne peut pas faire dans le domaine de l’informatique, dans le domaine de l’exploitation des données. Ça c’est un petit peu fait avec le règlement européen dont on a beaucoup parlé ces dernières années, le Règlement général pour la protection des données et puis les transpositions dans la législation française, mais il parle exclusivement des données, de l’information. Il faut le faire aussi au niveau algorithmique. Qu’est-ce qu’on a le droit de faire en termes de traitement automatisé dans tout un tas de questions qui sont extrêmement importantes ? Je reprends un exemple que je connais un petit peu qui est celui de la justice. En ce moment on se pose la question sur à quel point on peut épauler les magistrats, les avocats, d’outils de recommandation qui vont les aider à travailler leurs affaires. Et ça on le retrouve partout. On le retrouve aussi dans le domaine médical, on le retrouve dans différents pans d’enjeux sociétaux. Et là c’est important aussi d’être capable de dire très précisément ce qu’on a le droit ou pas le droit de faire dans ces domaines-là.
Frédéric Couchet : Tout à fait. Donc il faut une révision de la dernière loi dite numérique qui est la loi, de mémoire, de 2016, la loi pour une République numérique où il y a déjà quelques petits encadrements, mais sans doute largement insuffisants.
Fabien Tarissan : Tout à fait. Il y en même des plus récentes. En décembre dernier, en décembre 2019, il y a eu une loi qui encadre ce qu’on a le doit de faire en termes de publicité politique dans les contextes de campagnes électorales. On n’a pas le droit de diffuser de façon opaque des messages à caractère en fait publicitaire d’un point de vue politique. C’est maintenant encadré par la loi depuis moins d’un an. Il y a continuellement des évolutions, mais il faut aussi être capable d’avoir ça en tête, de bien encadrer par la loi.
Pour moi il y a trois leviers sur lesquels il faut être éclairés : il faut avoir une bonne pratique de l’informatique, il faut être éduqué, donc il faut passer par un enseignement et il faut légiférer. C’est ça le message que je voulais faire passer en cette fin.
Frédéric Couchet : D’accord. Merci Fabien Tarissan. Et de votre côté, Sylvie Boldo, un message de conclusion.
Sylvie Boldo : Je vais m’associer au message précédent, notamment sur l’enseignement, et je vais ajouter un autre message qui est peut-être plutôt à destination des femmes et des jeunes filles : l’informatique ça peut aussi être pour vous. Effectivement ce n’est pas réservé à des jeunes hommes dans un garage. C’est vraiment un métier intéressant avec toute une palette de métiers différents qui vont de la programmation à la recherche. Ce sont des travaux qui peuvent se faire tout seul mais aussi en groupe dans des groupes qui peuvent être très agréables, donc il n’y a aucune raison de ne pas essayer. Peut-être que ça vous plaira, peut-être que ça ne vous plaira pas, mais essayez l’informatique, ça a de forts débouchés et ça peut vous plaire !
Frédéric Couchet : Je ne peux qu’appuyer et souscrire à ce message. Je vais d’ailleurs rappeler que la semaine dernière on a rediffusé un sujet sur les femmes et l’informatique avec Catherine Dufour, Katia Aresti et Caroline Corbal. Que nous avons en préparation, que nous allons enregistrer ce mois-ci un sujet sur l’initiation à la programmation pour les femmes avec Ada Tech School, Django Girls et la troisième c’est Ladies of Code Paris ; malgré les noms ça parlera français, donc avec trois intervenantes. Que dans les podcasts vous pouvez aussi écouter, je ne sais pas à quelle date c’était, mais vous retrouverez sur causecommune.fm, l’émission sur l’initiation sur la programmation en général et dans les invités il y avait, à l’époque elle était encore lycéenne, Ludine Pierquin qui expliquait comment elle avait découvert l’informatique à travers les Coding Goûters, notamment avec le langage Scratch. Elle avait découvert et elle avait trouvé ça génial et, comme vous le dites, elle disait « les filles vous pouvez y aller, c’est aussi fait pour vous ». L’émission sur l’initiation à la programmation pour les femmes sera sans doute diffusée courant octobre, on devrait l’enregistrer d’ici quelques jours.
Je vous remercie pour cette première émission, on va dire introductive puisqu’il y avait plein de sujets sur lesquels on pourrait revenir et sur lesquels on va revenir, je pense évidemment notamment à la question des algorithmes, Internet, le Web. En tout cas c’était un grand plaisir de vous avoir malgré les conditions. J’espère que la prochaine fois on pourra voir avoir en direct pour une autre émission.
Nous étions avec Syvie Boldo et Fabian Tarissan. Je vous remercie et je vous souhaite de passer une belle fin de journée.
Fabien Tarissan : Merci à vous.
Sylvie Boldo : Merci beaucoup.
Frédéric Couchet : Nous allons faire une pause musicale.
[Virgule musicale]
Frédéric Couchet : Nous allons écouter AR Lp 36 par Cloudkicker. On se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
Voix off : Caus Commune 93.1.
Pause musicale : AR Lp 36 par Cloudkicker.
Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter, nous sommes en train d’écouter la fin de AR Lp 36 par Cloudkicker, disponible sous licence libre Creative Commons Attribution. Vous retrouverez les références sur le site de l’April, april.org, et sur le site de la radio causecommune.fm.
Vous écoutez toujours l’émission Libre à vous ! sur radio Cause Commune, la voix des possibles, 93.1 FM et en DAB+ en Île-de-France et partout dans le monde sur le site causecommune.fm.
Nous allons passer au sujet suivant.
[Virgule musicale]
Chronique « Partager est bon » de Véronique Bonnet, professeure de philosophie et présidente de l’April : présentation et commentaire du texte de Richard Stallman « Mettre en application les critères du logiciel libre »
Frédéric Couchet : Nous allons poursuivre avec la chronique de Véronique Bonnet, professeure de philosophie et présidente de l’April. La chronique de Véronique s’intitule « Partager est bon ». Le thème du jour : présentation et commentaire du texte de Richard Stallman intitulé « Mettre en application les critères du logiciel libre ».
Véronique je te passe la parole.
Véronique Bonnet : Précisément, Fred, quand on regarde le titre et quand on regarde aussi les intertitres de cet article que Richard Stallman a écrit en 2015, on a l’impression qu’il est réservé aux informaticiens, qu’ils soient déjà libristes ou en voie de le devenir, parce que le texte parle de paquets logiciels, de séquences de code, de compilateurs, de distros GNU/Linux, ça veut dire distributions, de périphériques, de pages Web, de greffons et de blobs. Mais lorsqu’on lit le texte de A jusqu’à Z, on voit bien qu’il ne s’adresse pas seulement à quelques initiés, bien au contraire, puisque tout le travail de la FSF [Free Software Foundation] et j’ajouterais, sous ton contrôle Fred, le but du travail de l’April, c’est de donner à ceux qui ne s’y connaissent pas les moyens de se renseigner, par exemple sur quelles page aller pour savoir si un outil informatique est respectueux des libertés ou pas, ou encore quel programme libre utiliser à la place d’un programme non libre. Comme des logiciels nouveaux apparaissent, le mouvement du logiciel libre a besoin d’être réactif, d’être rigoureux, précis, pour examiner si un programme valide ou non les quatre libertés qui respectent la personne humaine. Je dirais que c’est cette préoccupation qui gouverne tout le texte qui n’est technique que dans le but de chercher une éthique.
Ces libertés je les rappelle, les quatre libertés, d’ailleurs Richard Stallman, dans cet article, commence par les évoquer :
- la liberté 0 c’est la liberté d’exécuter un programme ;
- la liberté 1, celle d’étudier le code et de le copier ;
- la liberté 2, liberté de le modifier, éventuellement pour l’améliorer ;
- liberté 3, distribuer des copies modifiées ou non modifiées de ce programme.
Au tout début de son travail Richard Stallman rappelle qu’une séquence de code qui ne permettrait pas ces quatre opérations serait injuste. Elle pourrait faire du mal à l’utilisateur, minorer son autonomie, ce qui est une atteinte. Or, il se trouve que certains estiment qu’on peut faire passer au second plan cette injustice si l’on raisonne simplement en termes de recherche d’efficacité, en termes de recherche de solutions.
La philosophie GNU a toujours fait de l’éthique et de la recherche de justice ce qui importait le plus. Le logiciel non libre ne s’embarrasse pas de cette question. Pour lui, seule la technicité compte et la recherche de résultat efface toute autre considération.
Le projet GNU, par ses propositions, est attentif à la liberté du code, porteuse de justice, et il prépare aussi à une autre liberté qui est liée à la liberté du code qui est la liberté de l’existence de manière plus générale dans des rapports sociaux qui sont consentis, qui sont choisis.
En 1983, au moment où Richard Stallman lance son appel pour écrire du code, il se trouve que beaucoup de paquets logiciels sont non libres, notamment les compilateurs et les bibliothèques qui sont indispensables dans un système. Il se trouve que le premier système d’exploitation entièrement libre sera constitué par GNU, complété par le noyau Linux après sa libération, permettant le dispositif GNU/Linux.
Mais alors, que penser des systèmes mixtes ? Que penser des fameuses distributions ? Est-ce qu’une distribution peut être mixte, c’est-à-dire simultanément libre par certains aspects et non libres par d’autres ? Par exemple certains, dont Richard Stallman dit qu’ils ont fait le mauvais choix, sur une plateforme non libre peuvent utiliser des logiciels libres ; ceci peut rendre service à ses utilisateurs qui sont soit mal renseignés, soit qui ont fait un choix pour des raisons d’efficacité. Par contre, et là il se trouve que la FSF et l’April veillent à ces questions, on évitera, sur une plateforme libre, d’utiliser des greffons non libres, des paquets non libres. Pourquoi ? Parce que ce qu’on installe n’est pas du tout innocent, même si on l’installe en seconde intention et par exemple, si à partir d’un système d’exploitation libre certains greffons non libres sont utilisables, il est important qu’ils puissent être choisis ou pas. Toujours l’importance de cette libre décision qui est celle de l’utilisateur.
Il y a ensuite un paragraphe sur les périphériques, par exemple lorsque nous sommes amenés à acheter des imprimantes. Il se trouve que certains périphériques non libres ne peuvent pas fonctionner à partir d’une distribution libre. Et le plus souvent d’ailleurs, lorsqu’on achète un périphérique, il est très difficile de savoir s’il est libre, s’il pourra fonctionner sous une distribution GNU/Linux. C’est pourquoi la question de la certification de tous ces outils qui sont amenés à être utilisés — est-ce qu’il est certifié ou pas ?, est-ce que les quatre libertés sont respectées ? — doit être rendue accessible, doit être manifestée à celui qui veut agir en toute connaissance de cause.
C’est vrai que la question de la certification des ordinateurs est plus délicate. Il est important, en tout cas, que le programme de démarrage soit libre. Une certification est proposée par la FSF. Il se peut que la FSF, ce mouvement fondé par Richard Stallman, puisse déclarer, vérifier que tel ordinateur est effectivement libre et là il est demandé, bien sûr, que le vendeur de cet ordinateur puisse, s’il bénéficie de cette certification, soutenir le mouvement du logiciel libre qu’il appellera ainsi et pas open source. Il faut absolument, s’il y a cette reconnaissance par la FSF que tel ordinateur est libre, il est important que ce matériel vendu par telle ou telle marque puisse se référer à ces valeurs, à ces recherches d’autonomie dont l’outil est porteur.
Enfin, et ce sera le dernier volet dans ce propos de Richard Stallman, qu’en est-il des pages web ? Le plus souvent elles contiennent des dispositifs opaques, non libres, notamment un qui va faire l’objet d’un passage important de cet article, JavaScript. JavaScript, occasionnellement d’ailleurs logiciel espion, qui exécute à l’insu de l’utilisateur ce pourquoi il a été programmé sans nécessairement le dire. Dès lors faut-il mettre en lien, à partir d’une distribution libre, des pages qui contiennent JavaScript ? Beaucoup de pages qui fonctionnent avec JavaScript, non libre, peuvent, pour être ouvertes, faire appel à une alternative qui s’appelle LibreJS, donc JS pour JavaScript. Si telle alternative n’est pas envisageable on peut parfois désactiver JavaScript si on peut s’en passer. S’il est impossible de s’en passer, alors ces pages doivent être désactivées : ces pages sont à éviter, il faut les écarter de la distribution libre.
Il se trouve que la conclusion, comme très souvent, insiste sur le pragmatisme de la philosophie GNU, c’est-à-dire cet ensemble de principes qui est manifesté dès l’aventure du Libre par Richard Stallman et ceux qui travaillent avec lui. En effet, comme il y a un caractère très mouvant sur le marché de l’informatique des logiciels, comme beaucoup de logiciels nouveaux apparaissent, alors il est très important de certifier ou de ne pas certifier, en tout cas de renseigner l’utilisateur pour s’opposer avec inventivité aux offensives non libres. Donc la tâche est constamment d’expliquer, déchiffrer, rendre accessible.
La philosophie GNU n’est pas ésotérique, elle ne s’adresse pas à des initiés. Elle se veut, c’est le terme inverse, exotérique, c’est-à-dire tournée vers le dehors. Nul ne doit être privé de la teneur des enquêtes des libristes et certainement pas vous, chers auditeurs.
Frédéric Couchet : Merci Véronique. C’était la chronique de Véronique Bonnet, professeure de philosophie et présidente de l’April, qui commentait un texte de Richard Stallman intitulé « Mettre en application les critères du logiciel libre ». Vous retrouverez sur gnu.org, g, n, u, point org. La traduction en français est assurée par notre groupe de travail Trad-GNU que vous pouvez évidemment rejoindre. Il a pour but de présenter l’informatique libre et la philosophie GNU en français.
Merci Véronique, c’était un plaisir de faire cette chronique à nouveau au studio et on se retrouve bientôt pour enregistrer d’autres chroniques et peut-être en direct. Belle journée à toi.
Véronique Bonnet : Belle journée Fred.
Frédéric Couchet : On va faire finir par quelques annonces rapides.
[Virgule musicale]
Annonces
Frédéric Couchet : Un sondage a été mis en place pour étudier l’utilisation de la contribution à OpenStreetMap, la cartographie libre, dans les collectivités et administrations. N’hésitez pas à remplir ce sondage, vous trouverez la référence sur le site de l’April, april.org, et sur causecommune.fm.
La nouvelle version du logiciel libre PeerTube, logiciel d’hébergement de vidéos décentralisé grâce à la diffusion de pair en pair et soutenu par Framasoft, vient d’être publiée avec des outils de modération améliorés, une gestion des playlists, un plugin, donc un greffon pour les annotations, et bien d’autres fonctionnalités à découvrir sur le site joinpeertube.org, tout attaché.
Il y a la reprise des soirées de contribution au Libre à la FPH [Fondation Charles Léopold Mayer pour le Progrès de l’Homme] chaque jeudi à partir de 19 heures, rue Saint-Sabin dans le 11e arrondissement de Paris.
Ce week-end il y a une install-partie, donc une fête d’installation, où vous pouvez recevoir de l’aide pour installer un système d’exploitation libre par exemple, à L’Electrolab à Nanterre, de 14 heures à 18 heures.
Et jeudi soir, à distance, il y a une réunion du groupe de travail Sensibilisation de l’April. Le groupe de travail Sensibilisation produit des outils de sensibilisation et vous pouvez y participer à distance.
Tous ces évènements sont annoncés évidemment sur le site de l’Agenda du Libre, agendadulibre.org.
Notre émission se termine et c’était un grand plaisir de refaire une émission complètement en direct, c’est la première depuis la reprise.
Je remercie toutes les personnes qui ont participé à l’émission : Éric Fraudain, Sylvie Boldo, Fabien Tarissan, Véronique Bonnet.
Aux manettes de la régie aujourd’hui Étienne Gonnu.
Merci également à Sylvain Kuntzmann, Antoine, Olivier Humbert, bénévoles à l’April, Olivier Grieco directeur d’antenne de la radio, qui s’occupent de la post-production des podcasts.
Merci également à Quentin Gibeaux, bénévole à l’April, qui découpe le podcast complet en podcasts individuels par sujet.
Vous retrouverez sur le site april.org et sur le site causecommune.fm, une page avec toutes les références utiles ainsi que les moyens de nous contacter, n’hésitez pas à nous faire des retours. Si vous voulez nous laisser un petit message, vous pouvez nous laisser un petit message sur le répondeur de la radio en appelant le 09 72 51 55 46, je répète 09 72 51 55 46, nous sommes preneurs de vos retours ou simplement de questions ou de commentaires.
Nous vous remercions d’avoir écouté l’émission. Si vous avez aimé cette émission n’hésitez pas à en parler le plus possible autour de vous. Faites également connaître la radio Cause Commune, la voix des possibles.
La prochaine émission aura lieu en direct mardi 22 septembre 2020 à 15 heures 30. Notre sujet principal portera sur les collectivités et le logiciel libre.
Nous vous souhaitons de passer une belle fin de journée. On se retrouve en direct mardi prochain et d’ici là, portez-vous bien.
Générique de fin d’émission : Wesh Tone par Realaze.