Libre à vous ! Radio Cause Commune - Transcription de l’émission du 15 janvier 2019

Titre :
Émission Libre à vous ! diffusée mardi 15 janvier 2019 sur radio Cause Commune
Intervenants :
Marc Dandelot, CADA - Tangui Morlier, Regards Citoyens - Xavier Berne, Next INpact - Jean-Christophe Becquet, April - Frédéric Couchet, April
Lieu :
Radio Cause commune
Date :
15 janvier 2019
Durée :
1 h 30 min
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Page des références utiles concernant cette émission

Licence de la transcription :
Verbatim
Illustration :
Bannière radio Libre à vous - Antoine Bardelli ; licence CC BY-SA 2.0 FR ou supérieure ; licence Art Libre 1.3 ou supérieure et General Free Documentation License V1.3 ou supérieure. Logo radio Cause Commune, avec l’accord de Olivier Grieco

Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l’April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

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Transcription

Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Frédéric Couchet : Bonjour à toutes, bonjour à tous. Vous êtes sur la radio Cause Commune 93.10 en Île-de-France et partout dans le monde sur le site causecommune.fm. La radio dispose d’un webchat, donc utilisez votre navigateur web et rendez-vous sur chat.libre-a-toi.org ou plus simplement sur le site de la radio, donc causecommune.fm, et vous cliquez sur « chat ». Vous pourrez ainsi nous retrouver sur le salon dédié à l’émission et éventuellement poser des questions.

Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April. Je suis Frédéric Couchet, délégué général de l’April. Je vous rappelle le site web de l’April, april.org, et vous y retrouvez déjà une page consacrée à cette émission avec un certain nombre de références que l’on va citer ; la page sera mise à jour après l’émission avec les références que l’on citera pendant l’émission.

N’hésitez pas à nous faire des retours pour indiquer ce qui vous a plu mais aussi les points d’amélioration.

Nous vous souhaitons une excellente écoute.
On va passer maintenant au programme de l’émission. Nous allons commencer par une intervention de Jean-Christophe Becquet, président de l’April, sur ses démarches de sensibilisation, notamment pour la diffusion de ressources libres. Normalement Jean-Christophe est avec nous au téléphone. Bonjour Jean-Christophe.
Jean-Christophe Becquet : Bonjour à tous.
Frédéric Couchet : On se retrouve d’ici une petite minute. Après l’intervention de Jean-Christophe, d’ici dix-quinze minutes, nous aborderons notre sujet principal qui est attendu, je sais, par beaucoup de monde, qui portera sur les conditions d’accès aux documents administratifs avec Marc Dandelot président de la Commission d’accès aux documents administratifs, la CADA. Bonjour Monsieur Dandelot.
Marc Dandelot : Bonjour.
Frédéric Couchet : Avec nous également Tangui Morlier, membre du collectif Regards Citoyens, dont le but est de proposer un accès simplifié au fonctionnement de nos institutions à partir des informations publiques. Bonjour Tangui.
Tangui Morlier : Bonjour.
Frédéric Couchet : Et tout à l’heure nous rejoindra Xavier Berne, journaliste au site d’actualités et d’enquêtes Next INpact. Normalement, aux alentours de 16 heures 15, ma collègue Isabella Vanni qui s’occupe notamment de la vie associative et qui est responsable projets à l’April nous fera un petit point sur des actions de sensibilisation [Isabella finalement n’est pas intervenue afin de laisser les intervenants le sujet principal s’exprimer plus longuement, NdT].
Je salue aujourd’hui à la régie Charlotte. Derrière Charlotte il y a également Étienne Gonnu et Patrick Creusot qui assistent à une sorte de formation pour la régie. Donc merci Charlotte ; je précise que je ne dis que Charlotte parce qu’elle préfère qu’on l’appelle comme ça, sans son nom de famille ; ce n’est pas une discrimination, du tout

Chronique « Pépites libres »

Nous allons commencer par une intervention de Jean-Christophe Becquet, président de l’April, qui va initier une chronique dont le titre est « Pépites libres ». Rebonjour Jean-Christophe.
Jean-Christophe Becquet : Bonjour. Pour la chronique « Pépites libres », je me propose de vous présenter de temps en temps dans Libre à vous ! une ressource ; ça peut être une œuvre d’art, une ressource pédagogique, une base de données avec, comme point commun, le fait qu’elle soit sous licence libre. Parfois j’ai joué un rôle dans le fait qu’elle soit sous licence libre, donc lorsque c’est le cas eh bien je vous raconterai comment et pourquoi j’ai entrepris cette démarche.
Frédéric Couchet : Pour cette première chronique « Pépites libres » de quelle ressource souhaites-tu nous parler ?
Jean-Christophe Becquet : Comme première chronique « Pépites libres », je voulais parler de la conférence « Un Faible Degré d’Originalité ». « Un Faible Degré d’Originalité » c’est une causerie ludique qui rappelle les conférences gesticulées. J’expliquerai tout à l’heure ce que sont les conférences gesticulées.
Frédéric Couchet : Oui, s’il te plaît.
Jean-Christophe Becquet : Pendant 1 heure 30 Antoine Defoort, de l’Amicale de production, nous emmène en randonnée dans les montagnes embrumées du droit d’auteur. « Un Faible Degré d’Originalité » c’est une promenade culturelle qui nous conduit des Parapluies de Cherbourg au Boléro de Ravel en passant par un dessin animé libre de Nina Paley. Avec Antoine Defoort on parcourt l’histoire du droit d’auteur, notamment une belle immersion dans l’atmosphère feutrée des clubs londoniens au début du 18e siècle, pour découvrir l’histoire du droit d’auteur.
Frédéric Couchet : Qui est Antoine Defoort ?
Jean-Christophe Becquet : Laissez-moi citer Antoine Defoort : « Je propose qu’on fasse un petit peu de mécanique, parce que là, je vous ai démonté un droit d’auteur, voyez. Donc ça ce sont tous les éléments, tous les rouages qui composent un droit d’auteur. Je vous propose que l’on s’amuse à remonter le tout pour voir comment ça s’articule et que l’on commence peut-être par l’élément de base du droit d’auteur. On pourrait dire le châssis ou le socle qui n’est pas, comme on pourrait le penser, le droit d’auteur, mais bel et bien l’œuvre de l’esprit. » Et c’est avec un assemblage de cartons que le conférencier nous explique les subtilités du droit moral et du droit patrimonial, les deux briques du droit d’auteur.
Frédéric Couchet : Là tu viens de nous citer un extrait de cette conférence. Est-ce que tu peux nous dire qui est Antoine Defoort ?
Jean-Christophe Becquet : Antoine Defoort est un artiste comédien conférencier de l’Amicale de production. J’ai découvert sa conférence en cherchant des ressources pour une formation sur le droit d’auteur et les licences libres. J’ai trouvé une vidéo disponible en ligne de sa conférence, mais la vidéo n’était pas sous une licence libre. En fait elle était sous une licence Creative Commons, mais avec une restriction sur les utilisations commerciales, une licence Creative Commons NC, qui m’interdisait de l’utiliser pour une formation dans laquelle j’étais rémunéré pour l’intervention.

Donc j’ai contacté l’auteur pour lui proposer d’adopter une licence libre pour la vidéo de sa conférence. Après quelques échanges de mails, il a accepté, donc aujourd’hui on a disponible en ligne la vidéo de cette conférence sous licence libre que tout un chacun peut visionner et utiliser pour s’initier au fonctionnement du droit d’auteur.
Frédéric Couchet : Quels arguments tu as employés pour convaincre ? Parce que si j’ai bien compris, en fait, Antoine Defoort avait choisi une licence Creative Commons NC pour Non Commercial, qui interdisait la réutilisation commerciale sauf à demander pour chaque cas l’autorisation de l’auteur. Ça permet aussi de préciser que dans l’ensemble des licences Creative Commons certaines offrent plus ou moins de libertés ou de restrictions. Comment tu as convaincu finalement Antoine Defoort de passer de cette licence à une licence qui permet la réutilisation commerciale ?
Jean-Christophe Becquet : Le principal argument c’était le fait que d’avoir mis en ligne et en libre accès la vidéo de la conférence, ça témoignait quand même de la volonté de la voir diffusée le plus largement possible. Je lui ai expliqué le cas précis de ma formation dans laquelle j’avais pu citer sa conférence en ressource mais pas en projeter un extrait parce la clause Non Commercial de la licence me l’interdisait. Il a convenu, effectivement, que la principale valeur économique de son travail artistique c’était le travail scénique, le fait de jouer son spectacle sur scène, et que le fait d’adopter une licence libre augmenterait la diffusion et la visibilité de son travail. Donc après quelques échanges, il est passé d’une licence Creative Commons BY-NC, Non Commercial à une licence Creative Commons BY-SA, Share Alike, avec une clause copyleft qui permet l’utilisation, la copie, la diffusion libre de la vidéo à condition de partager sous licence libre, à son tour, les éventuelles versions dérivées ou modifiées de la vidéo.
Frédéric Couchet : En fait ce qu’on appelle le copyleft c’est le partage dans des conditions identiques. C’est-à-dire qu’en fait la ressource disponible sous cette licence qui permet une réutilisation, un remix, des modifications, y compris pour des usages commerciaux comme tu l’expliques dans le cadre d’une formation, mais à condition que le travail dérivé soit également sous les termes de la même licence. Pour les personnes qui sont un peu plus connaisseuses du logiciel libre, ça se rapproche des licences GNU GPL, General Public License de la Fondation pour le logiciel libre ; donc c’est partage dans les mêmes conditions.

Je reviens à une petite question. Tout à l’heure tu as parlé de conférence gesticulée pour cette conférence d’Antoine Defoort. Est-ce que tu pourrais expliquer ce qu’est une conférence gesticulée ?
Jean-Christophe Becquet : L’initiateur des conférences gesticulées, de manière un petit peu familière, dit qu’une conférence gesticulée c’est une conférence qui n’est pas chiante. En fait la conférence gesticulée est une prestation scénique qui mélange ce qu’on appelle des savoirs froids, ce sont les savoirs académiques, universitaires, ce qu’on apprend à l’école et dans les livres et puis des savoirs chauds. Les savoirs chauds c’est ceux qu’on apprend dans la vie quotidienne à travers ses expériences de vie.

Donc le conférencier gesticulé nous amène un sujet qui est souvent un sujet de société ou un sujet avec des enjeux politiques en faisant à la fois des références à son vécu par rapport à son sujet et en apportant également des éléments théoriques de la littérature pour donner des éclairages et prendre du recul sur le sujet.
Frédéric Couchet : D’accord. Ça dure 1 heure 30, est-ce que tu as des exemples ou des passages marquants dans cette conférence qui ont été particulièrement intéressants par rapport à la démarche de l’auteur ?
Jean-Christophe Becquet : Oui. Tout à fait. J’aime beaucoup l’introduction de la conférence où, en fait, le conférencier joue un extrait théâtralisé du film Les Parapluies de Cherbourg et où il explique que la naissance de cette conférence c’est qu’il était en train de monter une reprise théâtrale des Parapluies de Cherbourg et que lorsque le spectacle était quasiment prêt et qu’ils ont eu la réponse des ayants droit pour cette adaptation, eh bien la réponse était négative, donc ça a fait avorter le projet. Il raconte comment c’est cet incident qui a déclenché l’envie, pour lui, de faire ce spectacle sur le droit d’auteur.

Un autre passage marquant de la conférence c’est lorsqu’il raconte l’histoire du Boléro de Ravel et plus particulièrement des héritiers du Boléro de Ravel. L’une des particularités du Boléro de Ravel c’est que c’est une œuvre parmi les œuvres musicales les plus jouées au monde et donc dont les droits d’auteur se comptent en millions d’euros. En se penchant sur l’histoire des ayants droit de Ravel on prend conscience que ces droits d’auteur, en fait, ne sont plus dévolus ni à l’auteur qui est mort ni à ses enfants – Maurice Ravel n’avait pas d’enfants –, mais à des personnes qui héritent des droits d’auteur pour des raisons juridiques mais qui n’ont plus aucun lien avec l’auteur. Donc la motivation initiale du droit d’auteur qui était d’encourager la création en rémunérant les auteurs, on voit bien qu’ici elle est complètement dévoyée et c’est ce que montre Antoine Defoort avec une petite séquence dans laquelle il met en scène les différents personnages et la manière dont se transmettent, petit à petit, les droits du Boléro de Ravel jusqu’à n’avoir, en fait, plus aucun lien avec l’auteur initial.
Frédéric Couchet : Écoute ça me paraît très clair. On va bientôt finir. Avant de donner les références, est-ce qu’il est encore possible d’assister en direct à cette conférence gesticulée d’Antoine Defoort ?
Jean-Christophe Becquet : Effectivement il y a des dates annoncées sur le site de l’Amicale de production : les deux prochaines dates annoncées sont le 28 mars 2019 à La Maison de la Culture d’Amiens, dans la Somme, pour suivre le 22 mai 2019 au Poc, p, o, c, à Alfortville dans le 94. C’est un spectacle qui continue à être joué et j’encourage, pour ma part, les responsables de lieux culturels, de médiathèques à contacter l’Amicale de production pour inviter Antoine Defoort à jouer sa conférence « Un Faible Degré d’Originalité ».
Frédéric Couchet : Le site de l’Amicale de production c’est amicaledeproduction, tout attaché, point com. Vous avez les dates des conférences d’Antoine Defoort, vous avez aussi les coordonnées pour l’inviter. Les références sont aussi sur le site de l’April.

Écoute Jean-Christophe je te remercie pour cette première chronique appelée « Pépites libres ». Est-ce que tu souhaites ajouter quelque chose ?
Jean-Christophe Becquet : Juste en conclusion, je voulais dire qu’aujourd’hui le 15 mars [15 janvier, NdT] ce sont les 18 ans de Wikipédia. Wikipédia est née le 15 janvier 2001 et donc, en conclusion de ma chronique, je voulais dire bon anniversaire à Wikipédia.
Frédéric Couchet : Effectivement nous souhaitons un bon anniversaire à Wikipédia et à toutes les personnes qui contribuent à cette encyclopédie en ligne libre. Merci Jean Christophe, on va se retrouver le mois prochain pour ta prochaine chronique « Pépites libres ».

Nous allons passer une pause musicale avant le prochain sujet. Le morceau s’appelle La rencontre, l’artiste s’appelle Ehma et on se retrouve juste après.
Pause musicale : La rencontre de Ehma.
Frédéric Couchet : Vous êtes de retour dans l’émission Libre à vous ! sur radio Cause Commune 93.1 en Île-de-France et partout ailleurs sur le site causecommune.fm. Je vais juste m’adresser à la régie : Xavier Berne dit que ça sonne occupé quand il essaye d’appeler.

Nous sommes le 15 janvier 2019, il est 15 heures 45 ; vous êtes avec l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre. Nous venons d’écouter La rencontre par Ehma. Les références sont évidemment sur le site de l’April, april.org.

Présentation et débats sur la mission de la CADA

Nous allons passer maintenant à notre sujet principal avec nos invités. On va accueillir Xavier Berne qui nous a rejoints par téléphone. Xavier Berne est journaliste au site d’enquêtes et d’actualités Next INpact. Bonjour Xavier.
Xavier Berne : Bonjour Frédéric. Bonjour à tous.
Frédéric Couchet : Je rappelle qu’est également présent en studio avec nous Marc Dandelot, président de la Commission d’accès aux documents administratifs ; Tangui Morlier membre du collectif Regards Citoyens et en régie c’est toujours Charlotte qui gère.

Notre sujet va porter sur les conditions d’accès aux documents administratifs, le rôle des différents acteurs dans ce qu’il est convenu, pour certains, d’appeler l’open data par défaut. Nous allons revenir aussi sur certains avis de la CADA qui ont fait beaucoup parler et on va parler, notamment, des difficultés. On va commencer par une courte introduction, enfin une introduction sur le droit d’accès aux documents administratifs parce que peut-être que les personnes qui écoutent se disent que ça ne les concerne absolument pas au quotidien. On va commencer par Xavier Berne de Next INpact. Est-ce que tu pourrais nous faire une petite introduction sur le droit d’accès aux documents administratifs ?
Xavier Berne : Oui. Bien sûr. Le droit d’accès aux documents administratifs c’est, en fait, quelque chose qui est assez ancien puisqu’il se fonde sur ce qu’on appelle la loi CADA qui a fêté ses 40 ans l’année dernière. Globalement, l’idée c’est de dire que tout citoyen a le droit d’accéder à des documents qui sont considérés comme publics parce qu’ils ont été détenus ou produits par des administrations, des administrations au sens large : ça peut être un ministère, ça peut votre mairie, ça peut être une école. Très concrètement vous pouvez, en tant que citoyen, aller demander aux administrations à avoir accès à un rapport, avoir droit, par exemple, à votre dossier médical. Vous pouvez vraiment demander énormément de choses : des statistiques ; ça peut être également, on en a aussi beaucoup parlé ces derniers temps, de code source pour les logiciels qui sont développés par l’administration. On a parlé, par exemple, du code source du logiciel de calcul de l’impôt sur le revenu ou celui de la taxe d’habitation. Je sais que Bercy a prévu d’ouvrir prochainement le code source du logiciel de calcul de la taxe foncière, etc. Voilà ! C’est ça qu’on appelle le droit d’accès aux documents administratifs.
Frédéric Couchet : Tangui Morlier, de Regards Citoyens, est-ce que tu veux compléter ?
Tangui Morlier : Oui. Ce droit est un droit fondamental dans notre démocratie et il est relativement vieux puisqu’il date de 1978. Effectivement, la règle par défaut c’est que l’administration est transparente : son activité doit pouvoir être auditée par les citoyens. Ce droit offre la possibilité à tout citoyen de demander aux administrations l’accès à des documents, des données ou des logiciels, à travers un mécanisme qui était, à mon sens, assez ingénieux. C’est-à-dire que plutôt que de rentrer directement dans une phase contentieuse en attaquant l’administration qui pouvait refuser d’accéder aux documents, passer par un médiateur, passer la Commission d’accès aux documents administratifs qui était conçue comme une médiation entre les citoyens et une administration qui, faute de temps, faute de connaissance ou faute d’envie, ne communiquait pas les documents qu’elle possédait.
Frédéric Couchet : Ce qui est important de retenir là, on va revenir sur la procédure, justement, avec Marc Dandelot président de la CADA, c’est qu’en fait le droit d’accès aux documents administratifs concerne tout le monde, ne serait-ce que pour comprendre le fonctionnement de sa collectivité, sa mairie, accéder à des documents qui nous concernent au quotidien. Ça ne concerne pas que les journalistes ou les activistes, ça concerne toute personne qui est effectivement intéressée par, on va dire, la vie de sa collectivité ou à titre simplement individuel.
Tangui Morlier : Absolument. Il y a même deux droits. Il y a un droit d’accès à l’ensemble des documents dans lesquels il n’y a pas de mention de personnes, il n’y a pas mention de secret particulier parce que, évidemment, les organisations publiques, notamment de défense, ont droit à un certain secret.

Et il y a deuxième droit qui offre la possibilité aux citoyens, lorsqu’ils sont concernés par une décision, d’accéder aux documents qui les concernent directement. Ces documents ne sont évidemment pas accessibles aux autres citoyens, sinon ce serait une atteinte à leur privée.
Frédéric Couchet : Tout à fait. Marc Dandelot, vous êtes président de la fameuse Commission d’accès aux documents administratifs. Est-ce que vous pouvez nous présenter la Commission et la procédure qu’une personne doit suivre si elle souhaite accéder à un document administratif ?
Marc Dandelot : D’abord bonjour Xavier. Je n’ai pas eu l’occasion de le saluer quand il est arrivé à l’antenne.
Xavier Berne : Merci. Bonjour.
Marc Dandelot : Je peux vous répondre. Je voudrais juste faire un petit commentaire préalable sur ce qui vient d’être très bien présenté sur les documents administratifs pour que les auditeurs comprennent bien, deux choses et peut-être une illustration.

D’abord le fait que, dès l’origine, il a bien été spécifié que ce qui a le caractère de document administratif c’est tout document qui soit produit ou détenu par l’administration dans sa mission. C’est-à-dire qu’un document administratif, pour faire l’objet du droit d’accès, n’est pas nécessairement un document que l’administration a élaboré elle-même. Je vous donne juste un exemple : un document de caractère tout à fait privé qui se trouve être dans un dossier de l’administration pour l’accomplissement d’une procédure va, de ce fait, devenir un document administratif. Et le droit d’accès s’applique aussi à ce type de document. Juste un exemple pour comprendre : un plan d’architecte dans un dossier de permis de construire c’est un document privé ; il devient document administratif lorsqu’il est transmis à la mairie pour un permis de construire.
Frédéric Couchet : Donc ce sont tous les documents détenus par l’administration.
Marc Dandelot : Tous les documents ou détenus et/ou produits par elle, bien sûr.

Et la deuxième chose que je voudrais dire, parce qu’elle doit être bien comprise, c’est que c’est quelle que soit la soit la nature ou le support. Je vais vous donner quelques exemples. On a souvent, au départ, raisonné et compris les documents administratifs comme un rapport ou une lettre de l’administration. Mais ça peut être une photographie, ça peut être un courriel – les courriels que j’ai envoyés ce matin à ma secrétaire générale qui est à côté de moi, ce sont des documents administratifs qui sont communicables sous réserve de ne pas, évidemment, contenir des secrets protégés. Ce sont des choses dont les administrations elles-mêmes n’ont pas encore tout à fait conscience. Autre exemple : le journal télévisé que vous pouvez regarder sur une chaîne publique, à partir du moment où on considère que les chaînes publiques font partie de la mission de service public, eh bien le journal télévisé, les images du journal télévisé revêtiront la qualité de documents administratifs. Donc c’est une conception extrêmement large et je dirais que cette dimension est très utile à la transparence de l’action administrative.

Voilà le point que je voulais souligner.
Frédéric Couchet : D’accord. On a bien compris que c’est très large. Mais d’un point de vue concret, on se met à la place de quelqu’un qui écoute, qui souhaite accéder à un document administratif, pas forcément vos échanges avec votre secrétaire générale, évidemment, mais un document d’une collectivité, comment doit-elle procéder ?
Marc Dandelot : La première chose à faire, c’est qu’elle doit le demander.
Frédéric Couchet : À qui ?
Marc Dandelot : Elle doit le demander à l’autorité administrative en principe qui est celle qui est redevable de l’obligation. Mais si elle se trompe, c’est-à-dire si elle s’adresse à une autre autorité administrative parce qu’elle ne connaît pas bien, eh bien l’autorité administrative à laquelle elle s’adresse va être obligée de la transmettre à qui de droit.
Frédéric Couchet : Supposons qu’elle s’adresse à la bonne collectivité, une mairie.
Marc Dandelot : Si elle obtient satisfaction, la messe est dite.
Frédéric Couchet : OK.
Marc Dandelot : Si elle n’obtient pas satisfaction et qu’elle veut contester, elle s’adresse à la CADA par une procédure extrêmement simple qui est, je dirais, de saisir moyennant une lettre ou un courriel. Maintenant ça se passe sur le plan électronique : nous avons mis en place une application qui est un formulaire type, qui n’est même pas obligatoire mais qui est beaucoup recommandé. Parce qu’on ne peut pas saisir le juge directement d’un refus de communication d’un document.
Frédéric Couchet : Aujourd’hui on ne va pas parler du juge. Pour l’instant on s’arrêtera à la CADA.
Marc Dandelot : La réponse à votre question c’est que la procédure, si l’administration n’a pas dans un premier temps donné satisfaction à la personne, si la personne veut continuer, elle s’adresse à la CADA.
Frédéric Couchet : Donc le processus et je laisserai évidemment Tangui Morlier et Xavier Berne de compléter. Oui, Xavier Berne.
Xavier Berne : Si je peux me permettre de compléter, c’est important aussi : les administrations ont un mois pour répondre. Au bout d’un mois, s’il n’y a pas eu de réponse, on considère que c’est un refus tacite et c’est donc à partir de ce délai d’un mois qu’on peut saisir la CADA. Je pense que c’est important aussi de le préciser.
Frédéric Couchet : Tout à fait. C’est effectivement ce que j’allais préciser. On prend l’exemple d’une mairie ou autre : la personne demande, sollicite un document administratif à la mairie. La mairie lui répond négativement avec un certain nombre d’arguments, peu importe, et on verra tout à l’heure dans certains avis. À ce moment-là, effectivement, la personne peut saisir la CADA si elle veut contester la décision. Mais également si la collectivité, donc la mairie, ne répond pas dans un délai d’un mois, on a à faire à un refus tacite et, à ce moment-là effectivement, la personne peut saisir la CADA comme vous l’avez dit, soit par lettre soit aujourd’hui par courriel. Est-ce que la CADA a un délai obligatoire de traitement de l’avis ? Un mois ?
Marc Dandelot : Oui. Le délai légal est d’un mois.
Frédéric Couchet : Un mois. D’accord. Tangui, est-ce que tu veux compléter quelque chose déjà, tout de suite, sur la partie procédurale simplement ?
Tangui Morlier : Non, outre le fait que ça peut paraître extrêmement intimidant pour un citoyen qui s’adresse à une administration d’obtenir son droit à la transparence et que ce mécanisme de la CADA est un mécanisme extrêmement simple. Je dois dire que je n’ai jamais utilisé le formulaire du site de la CADA et je crois que la prochaine fois il faudra que je le fasse ; mais un simple émail adressé à cada chez cada.fr, si mes souvenirs sont bons, permet de voir son dossier instruit.
Frédéric Couchet : Tout à fait. Nous-mêmes à l’April, effectivement, on n’a jamais utilisé le formulaire. C’est d’une « simplicité », entre guillemets, cette procédure tout à fait claire. Quels sont les moyens dévolus à la CADA. La CADA a été créée en 1978, par la loi informatique et libertés. Aujourd’hui on est en 2019. Oui Xavier.
Xavier Berne : Par la loi CADA ! Pas par la loi informatique et libertés !
Frédéric Couchet : Oui, par la loi CADA, excusez-moi ! C’est pour ça que je suis entouré d’experts pour me corriger.
Xavier Berne : C’était la même année ! Tu as de la chance, c’était la même année.
Frédéric Couchet : Exactement. En 1978 il s’est passé plein de choses. J’ai même oublié ce que je voulais dire.
Marc Dandelot : Vous parliez des moyens.
Frédéric Couchet : Les moyens, oui. Le nombre de demandes, je suppose, a considérablement augmenté. Pour savoir : aujourd’hui quels sont les moyens de la CADA en termes de ressources humaines, par exemple, pour traiter les demandes ? En termes financiers ? Combien de personnes vous avez pour traiter toutes ces demandes et combien de demandes vous recevez par an ?
Marc Dandelot : Par an nous recevons un peu plus de 7000 demandes. C’est un niveau qui s’est confirmé au cours des dernières années. Il était moitié moins élevé il y a une demi-douzaine d’années. Nous restons une petite institution ; nous sommes une des plus petites de ce qu’on appelle autorité administrative indépendante. Il y a un secrétariat général qui comporte une quinzaine de personnes et un groupe de rapporteurs qui sont, pour l’essentiel, soit des magistrats administratifs, soit des fonctionnaires spécialisés par exemple dans les archives ou dans des questions administratives pointues, qui sont chargés d’examiner les dossiers et de préparer les rapports. C’est vrai que nos moyens sont extrêmement tendus pour faire face à ce qu’est aujourd’hui la sollicitation de la CADA.
Frédéric Couchet : Est-ce que ce nombre de personnes, et après je passe la parole à Tangui Morlier qui veut réagir, est constant depuis quelques années ou est-ce que ça a évolué positivement ?
Marc Dandelot : Il est largement constant. Il a très légèrement évolué, mais il n’a pas évolué dans la proportion requise pour que nous puissions faire notre mission de façon aussi rapide que le prévoit la loi.
Frédéric Couchet : Tangui Morlier.
Tangui Morlier : Peut-être, si je peux me permettre, avez-vous oublié un acteur assez important aussi, ce sont les membres de la Commission elle-même, dont vous faites partie.
Marc Dandelot : Je n’ai pas encore répondu à cet aspect de la question, effectivement, pour présenter la CADA, pour présenter les procédures qui vont conduire au traitement de la demande.
Tangui Morlier : Pardon.
Marc Dandelot : Ce qu’il faut savoir c’est que la CADA, en tant qu’autorité indépendante, est une autorité collégiale qui comprend 11 membres qui sont de profils divers. Il y a des hauts-magistrats, des personnalités qualifiées à différents titres, par exemple au titre des archives, des personnalités qualifiées au titre de la diffusion publique. Il y a des professeurs d’université, il y en a deux actuellement, un professeur de droit public et un professeur d’histoire. Et puis, comme c’est aussi la tradition française dans ce type de collège, des élus, c’est-à-dire un représentant des élus locaux, un sénateur et un député. Au total donc 11 membres.
Frédéric Couchet : Donc c’est cette Commission qui prend la plupart des avis et certains avis sont pris par délégation, je ne sais pas si c’est le bon terme, par le président dans certains cas.
Marc Dandelot : Oui. Depuis une réforme récente que nous avons introduite. Normalement tous les avis sont soumis au collège qui se prononce collégialement. Mais comme il y a un nombre important d’avis qui sont en réalité la reprise d’une doctrine bien établie de la CADA et qui ne présentent pas de nécessité d’un débat collégial dans l’institution, il est prévu que le collège a délégué à son président la possibilité de prendre sous sa seule signature ces avis très simples. C’est ce qu’on appelle, entre guillemets, « les ordonnances du président ».
Frédéric Couchet : On abordera au moins un de ces avis-là vu qu’il y en a un qui nous concerne et qui concerne Next INpact. Est-ce que, Xavier Berne, Tangui Morlier, vous voulez ajouter quelque chose sur cette partie-là ou poser une question éventuellement aussi ? Xavier ? Comme tu es au téléphone, je te donne peut-être la parole.
Xavier Berne : Oui. Est-ce que vous pouvez un petit peu nous raconter comment sont prises les décisions en séance ? Comment se passent, un petit peu, les discussions entre membres du collège de la CADA ?
Marc Dandelot : Oui. Voilà aussi concrètement que possible comment ça se présente. D’abord, lorsque le collège se réunit, nous avons la possibilité de recourir à deux types de procédure : soit on a une délibération qui est, je dirais, classique, soit, si nous avons une nécessité particulière, nous pouvons inviter des administrations ou des représentants, même quelquefois des personnes concernées, à participer à un dialogue avec la Commission, au début. Nous n’en abusons pas parce que ça fait aussi durer les débats ; ça c’est une première option.

La deuxième chose c’est que, pour l’essentiel des affaires, lorsqu’une affaire a été inscrite à l’ordre du jour du collège, le rapporteur général qui est une institution très originale et importante de la CADA, qui est le leader du groupe des rapporteurs – les rapporteurs qui ont préparé les dossiers ne sont pas physiquement présents lors d’une réunion de la CADA parce qu’ils sont souvent en province et que ça serait compliqué ; en revanche il y a un rapporteur général –, qui vient faire un rapport indépendant qui expose l’affaire au collège sur la base duquel la discussion du collège peut se fonder.

Ensuite, comme toute institution collégiale, comme le ferait même une quasi juridiction, il y a un débat au sein du collège et c’est ensuite la tâche du président, lorsque le débat est terminé, d’apprécier s’il y a un consensus sur une solution ou s’il faut voter. Lorsque c’est nécessaire nous procédons à un vote ou bien, lorsque ce n’est pas nécessaire, on constate qu’il y a un accord global. C’est comme ça que fonctionnent toutes les instances collégiales.
Frédéric Couchet : Tangui Morlier.
Tangui Morlier : Le délai légal d’un mois pour que vous puissiez instruire la demande et émettre un avis est un délai très contraint.
Marc Dandelot : Oui.
Tangui Morlier : Aujourd’hui il est de combien de temps en moyenne ?
Marc Dandelot : Aujourd’hui la moyenne c’est plutôt autour de trois mois. Nous ne sommes pas satisfaits de cette situation. Il faut bien voir que la raison pour laquelle on a voulu enserrer la CADA dans un délai extrêmement court c’est pour que la personne qui saisit la CADA puisse sans attendre, si la CADA n’a pas rendu son avis, l’expiration de ce délai, saisir le juge administratif. Donc c’est une garantie. Maintenant, compte-tenu du nombre et de la complexité des affaires qui nous sont soumises, aujourd’hui nous avons souvent tendance à rendre nos avis dans un délai qui est de l’ordre de trois mois, qui n’est pas conforme à ce que prévoit la loi, que nous nous efforçons de contenir et de restreindre, mais c’est une opération délicate tant que la pression du nombre d’affaires reste au niveau où elle est aujourd’hui.
Frédéric Couchet : Ça me permet de préciser le recours au tribunal administratif dans la procédure. On reprend l’exemple de quelqu’un, d’une personne qui sollicite un document administratif d’une mairie ; la mairie refuse ; la personne sollicite la CADA qui donne un avis qui donne raison à la personne qui demande le document, mais la mairie continue de refuser parce que l’avis n’est pas contraignant, c’est un avis simplement. À ce moment, la personne peut saisir le tribunal administratif qui là pourra juger. Et l’une des premières décisions les plus importantes, en tout cas suite aux lois numériques, c’est le code source des impôts il y a deux-trois ans je crois bien, où une personne demande à Bercy le code source des impôts ; Bercy refuse. La personne saisit la CADA. La CADA confirme que le code source est bien un document administratif ; Bercy ne s’y conforme pas. Finalement la personne a saisi le tribunal administratif. Entre temps Bercy, ayant compris qu’ils allaient se faire bouler au tribunal administratif, ils ont décidé d’ouvrir le code source des impôts, mais je rappellerais que le tribunal administratif avait donné raison à la personne qui demandait ce code source, avait donné raison à la CADA, en expliquant en plus très clairement que Bercy globalement, dans son argumentaire juridique, se foutait de la gueule du monde. [Rires]. C’est un avis personnel ! En tout cas les juges administratifs ne s’étaient pas trompés. Cette procédure, effectivement, peut aller jusqu’au tribunal administratif ce qui est un petit peu plus long.
Marc Dandelot : Si je puis me permettre un commentaire.
Frédéric Couchet : Allez-y.
Marc Dandelot : Je crois que ce que vous dites est très important dans la mesure où, même si la CADA, de par ses pouvoirs, n’émet que des avis, l’expérience montre que pour une série de raisons qui tiennent, j’ai tendance à le penser, à la qualité de ses avis, dans un très grand nombre de cas, je ne dis pas presque toujours, mais je pourrais dire presque toujours, l’avis de la CADA est conforté par le tribunal administratif. C’est ça qui fait l’autorité des avis de la CADA. Donc le fait que lorsque l’administration ne suit pas un avis de la CADA – elle a le pouvoir de le faire, c’est comme ça que le législateur a voulu assurer l’équilibre du dispositif –, elle doit s’attendre avec beaucoup de probabilités, si elle insiste dans ce sens, à être censurée par le juge administratif.
Frédéric Couchet : Je vais poser une dernière question et je vais te laisser la parole Tangui, je vais poser une dernière question avant une pause musicale et, après la pause musicale, on abordera la qualité des avis de la CADA et notamment certains avis. Ma question porte sur les évolutions récentes qui ont pu être introduites notamment par la loi pour une République numérique en 2016 ou d’autres lois, dans ce dispositif. Est-ce qu’il y a eu des évolutions majeures, soit positives, positivement pour les différents acteurs, soit négativement. Je pose la question collégiale à nos trois invités. Je vais commencer par Tangui qui voulait prendre la parole ou tu veux parler d’autre chose Tangui, réagir ?
Tangui Morlier : Je voulais juste informer nos auditeurs qu’il n’y a pas besoin d’attendre l’avis de la CADA. En fait, il suffit d’avoir saisi la CADA pour pouvoir aller voir le juge administratif et cet avis est non contraignant vis-à-vis du tribunal administratif comme on l’a souligné.

Effectivement il y a eu des réformes et la loi CADA a été notablement réformée lors de la législature précédente puisqu’il y a deux lois qui l’ont directement impactée : la loi de Clotilde Valter sur les données publiques et la loi numérique d’Axelle Lemaire qui ont, à quelques mois d’intervalle, fait progresser grandement le droit à la transparence avec l’introduction du droit à l’open data. Ça on le doit à la loi Lemaire qui permet aux citoyens non seulement de pouvoir obtenir la communication d’un document, mais aussi de pouvoir obtenir la publication de ce document ou de ces données. En plus c’est un processus qui est venu des citoyens puisque, entre autres, Regards Citoyens a pas mal agi pour que les parlementaires intègrent ça dans le texte du gouvernement.
Frédéric Couchet : En gros, c’est le principe de ne demander qu’une seule fois. C’est-à-dire un document demandé à l’administration… Non ce n’est pas exactement ça ?
Marc Dandelot : Ce qu’on appelle l’open data qui est, en français, l’ouverture des données qui est, en termes d’importance du sujet, la plus grande novation effectivement de la loi Lemaire, ça consiste en quoi ? Ça consiste en une inversion du paradigme de l’accès. Dans le dispositif traditionnel de la loi de 1978 dont on a parlé jusque-là, il y a un droit d’accès qui implique que la personne demande le document. Dans le système de ce qu’on appelle l’open data, il y a une obligation pour l’administration concernée de spontanément mettre en ligne.
Frédéric Couchet : OK.
Marc Dandelot : Ce qui évidemment va entraîner une dispense : la demande devient sans objet. Simplement vous imaginez que pour que cette obligation se réalise spontanément il faut un changement de comportement assez important de la part de l’administration, qui n’est pas seulement lié à des problèmes pratiques, mais aussi à des problèmes culturels.
Frédéric Couchet : D’ailleurs je suis un peu coupable, parce qu’avec Tangui Morlier et Xavier Berne on a consacré une émission à ce sujet. J’invite les personnes intéressées : c’est je crois, de mémoire, l’émission d’octobre 2018 sur les données publiques ouvertes et notamment les collectivités. Tangui, je te laisse continuer sur ce que tu voulais dire et ensuite je passerai la parole à Xavier Berne.
Tangui Morlier : Deuxième innovation de ces lois et là il me semble que c’est la loi Valter qui l’a introduite, c’est que les documents numériques peuvent être demandés en format ouvert, ce qui n’était pas forcément le cas avant. Certaines administrations donnaient des formats propriétaires qui, ne pouvant pas être ouverts par les citoyens, devenaient sans usage réel. Et la dernière innovation pour les résumer…
Marc Dandelot : La gratuité surtout.
Tangui Morlier : La gratuité est effectivement annoncée par la loi Valter, mais c’était déjà la règle. Elle est annoncée politiquement de manière plus forte à travers la loi Valter.

La troisième innovation, on en a parlé tout à l’heure, c’est le fait que le président de la CADA puisse prendre des avis sans solliciter le collège, ce qui offre un droit supplémentaire en termes de fluidification éventuelle de la CADA.
Frédéric Couchet : On va en parler juste après la pause musicale. Xavier Berne, est-ce que tu veux intervenir sur cette partie-là ?
Xavier Berne : Non, je pense que c’est bon. Je pense que les deux intervenants précédents ont plutôt bien fait le tour sur les nouveautés de la loi numérique. Il y en a beaucoup d’autres mais après ça relève peut-être du détail. Ce qu’il faut retenir c’est qu’effectivement cette loi CADA relevait plutôt du modèle : je demande à l’administration, l’administration me donne. Avec la loi numérique il y a de nouvelles obligations pour que les administrations mettent également sur Internet des documents administratifs pour que tout le monde en profite. Au-delà de l’aspect bénéfique pour la société civile, c’est aussi important pour les administrations. Pourquoi ? Parce que juridiquement, un document qui est mis en ligne n’a plus à être communiqué ensuite à un citoyen qui viendrait le demander. Ça veut dire qu’après, l’administration n’a plus à répondre aux demandes individuelles. L’administration aussi a donc intérêt à ce que les documents administratifs soient mis en ligne.
Frédéric Couchet : Tangui Morlier, tu veux intervenir.
Tangui Morlier : Peut-être parmi les dernières réformes, il y a une réforme plus inquiétante qui, en théorie, ne doit pas impacter, si on regarde d’un point de vue simplement juridique, la loi CADA, mais qui est une régression en matière de transparence globale de la société, c’est le secret des affaires qui a été voté un petit peu plus récemment. Il se trouve parfois que la CADA, et ça permettra peut-être de lancer le sujet, s’empare de ce sujet alors qu’à priori elle ne devrait pas être concernée. Et ça crée aussi beaucoup d’inquiétude de la part des administrations ou de certains délégataires de service public qui vont utiliser cet argument du secret des affaires pour opposer de l’opacité.
Frédéric Couchet : C’est l’un des sujets qui sera abordé après la pause musicale. Quand on parlera des avis on parlera principalement de trois avis on va dire, entre guillemets, « emblématiques ». Nous allons faire une pause musicale, le morceau s’appelle La petite Britney, le groupe s’appelle 6 février 1985, je ne sais pas pourquoi, et on se retrouve juste après.
Pause musicale : La petite Britney par le groupe 6 février 1985.
Frédéric Couchet : Vous êtes de retour sur l’émission Libre à vous sur radio Cause Commune 93.1 en Île-de-France et partout ailleurs sur le site causecommune.fm. Vous venez d’écouter La petite Britney par le groupe 6 février 1985. Les références précises sont sur le site de l’April.
Nous sommes toujours en compagnie de Xavier Berne, journaliste à Next INpact, Xavier par téléphone et, au studio, Marc Dandelot président de la Commission d’accès aux documents administratifs, Tangui Morlier membre du collectif Regards Citoyens.

Nous étions un petit peu dans la théorie. On va continuer à en parler sur un point précis avant d’aborder certains avis de la CADA. On va parler de l’aspect secret. Marc Dandelot notamment, président de la CADA, souhaitait aborder ce sujet ; je vous laisse la parole.
Marc Dandelot : Merci. Je voulais dire que dans les secrets, c’est vrai de toutes les législations dans le monde entier sur la communication des documents administratifs, il y a des éléments, des données, des informations qui doivent rester secrètes. Il y en a deux grandes catégories pour comprendre.

Il y a d’abord des secrets d’intérêt général, par exemple la sécurité publique. On ne peut pas dévoiler, à l’occasion d’un document, des informations qui mettraient en cause la sécurité publique.

Et puis il y a des secrets plus contingents à la situation de personnes, que ce soit des personnes physiques ou des personnes morales. Le secret dont peut se prévaloir une personne physique c’est la vie privée. Le secret dont peut se prévaloir une personne morale c’est le secret des affaires et, dans l’hypothèse où un tel secret lié à une personne est en cause, le document ne peut être communiqué qu’à cette personne précisément, sauf si la loi, explicitement, est venue prévoir une exception.

Lorsqu’un document, ce qui est très souvent le cas, surtout un document d’une certaine importance, contient des éléments qui sont couverts par le secret, ce qu’il faut bien comprendre c’est que ce que prévoit la loi c’est que l’administration doit non pas décider tout de suite de ne pas communiquer, mais doit regarder si elle peut occulter. À ce moment-là, elle ne délivrera qu’un document occulté. C’est souvent un sujet de débats d’abord parce que la portée de ce qui doit être occulté fait souvent, je dirais, un débat entre les parties. Et deuxièmement, ce qu’il faut bien voir aussi, c’est que le travail d’occultation peut représenter une charge de travail très importante lorsque le document est gros et n’a pas été rédigé et conçu dans la perspective où il pourrait être communiqué. Nous trouvons de façon récurrente des réticences anormales de l’administration à communiquer ce genre de document non pas du tout pour des principes qui sont le refus de la transparence, mais simplement par le travail que représente ce processus d’occultation qui représente des charges supplémentaires de travail pour une administration qui peut ne pas être, je dirais, enthousiaste à l’idée de se mettre ça sur le dos en supplément de ce qu’elle a à faire normalement.
Frédéric Couchet : Tangui Morlier, tu veux réagir ?
Tangui Morlier : Effectivement, il y a certains secrets qui sont légitimes. On pense naturellement à la vie privée. Le rôle d’une administration n’est pas de révéler la vie privée de ses concitoyens, même s’il est parfois légitime que l’administration en connaisse une partie, je pense notamment aux revenus ou à ce genre de choses. En revanche, il faut bien avoir à l’esprit que ces secrets, au sens de l’administration, sont toujours limités dans le temps. Même le secret le plus secret au sens administratif va être révélé par le travail historique des historiens, des archivistes publics, dont la charge est, justement, d’évaluer quand est-ce que ce secret deviendra public et qu’on pourra comprendre des décisions publiques qui ne sont peut-être pas immédiatement compréhensibles par le simple accès aux documents administratifs.

Il se trouve que ces secrets légitimes sont régulièrement utilisés par des administrations opaques ou qui n’ont pas de culture de la transparence, pour opposer un refus à des citoyens, parfois un petit peu énervés, parfois un peu trop challengeants, et le repli classique de toute organisation, qu’elle soit publique ou pas, c’est de dire : ce ne sont pas vos problèmes, regardez ailleurs.

Donc il y a cet équilibre qu’il faut toujours trouver entre des secrets légitimes qui doivent être le plus minimes possible puisqu’il s’agit de la chose publique et que, du coup, l’ensemble des citoyens doit connaître, y compris en attendant un petit peu parfois, et cette culture de la transparence, en tout cas cette culture de la transparence démocratique qui n’est sans doute pas assez intimement connue par les institutions.
Frédéric Couchet : Avant de passer la parole à Xavier Berne qui, je suis sûr, réagira sur ce point-là, et avant d’aborder certains avis de la CADA en détail, il y a au moins une administration qui pratique le noir sur les documents de façon très intensive c’est quand même le ministère des Armées, ex-ministère de la Défense, qui est capable de nous envoyer 100 pages de documents où à peu près 90 % est noirci de façon totalement abusive, des fois en oubliant le sommaire et le sommaire révèle des fois des choses ! En plus ils sont incompétents quand ils font ce genre d’opération, excusez-moi de le dire.

Xavier Berne est-ce que tu veux réagir sur ce point précis ? Ensuite, ce que je propose, c’est qu’on enchaîne sur l’un des avis on va dire emblématiques de ces derniers mois de la CADA qui concerne justement notre ministère entre guillemets « préféré », qui est le ministère des Armées, et qui concerne à la fois l’April et Next INpact. Xavier Berne.
Xavier Berne : Je pense que c’est bon. Je veux bien qu’on continue plutôt sur d’autres avis pour avancer un petit peu sur les différents sujets qui seront évoqués, je pense, dans l’émission.
Frédéric Couchet : À ce moment-là, est-ce que tu peux nous expliquer la démarche que tu as faite par rapport à un document que nous avions demandé au ministère des Armées, que nous avions publié sur notre site. Toi, ensuite, tu as sollicité le ministère des Armées sur un point précis et la CADA a donné un avis. Est-ce que tu peux nous faire une petite explication de texte, s’il te plaît ?
Xavier Berne : En fait, il y a un contrat qui lie actuellement, et depuis de nombreuses années, le ministère de la Défense à l’entreprise Microsoft pour des produits de type Office. Du coup l’April avait demandé la communication de certains documents contractuels qui ont été communiqués par la suite à l’April, l’association de promotion du logiciel libre. Et il se trouve qu’en fait, théoriquement, le ministère des Armées ayant plus de 50 agents, en vertu de la fameuse loi numérique, il aurait dû mettre en ligne tous ces documents.
Frédéric Couchet : Sur leur site ?
Xavier Berne : Ce n’est pas précisé. C’est précisé que ça aurait dû être publié en ligne, mais c’est quand même plus ou moins sous-entendu que c’est sur le site de l’administration en question. Les documents n’avaient pas été mis en ligne. En plus, les documents qui vous avaient été communiqués à l’époque, n’avaient pas été communiqués dans un format ouvert comme le prévoit également la loi numérique. C’est-à-dire que c’était de simples documents qui avaient été scannés et un document scanné, c’est complètement inexploitable ; on ne peut rien en faire derrière ! Il faut ressaisir tout ce qui est dans le document scanné et mettre dans un fichier de traitement de texte ou un tableur si ce sont des chiffres.
Frédéric Couchet : Pour préciser, en fait on avait reçu un courrier papier que nous avions scanné. Pour préciser.
Xavier Berne : D’accord. Ah ben oui ! Je ne savais pas, du coup ça changeait des choses. J’avais quand même fait une demande de publication en ligne. J’avais demandé au ministère des Armées qu’il mette directement en ligne ces fameux documents administratifs. Le ministère des Armées ne m’a pas répondu. Donc au bout d’un mois j’ai saisi la CADA qui, au bout de plusieurs mois, m’a répondu en disant que ma demande était irrecevable tout simplement parce que les documents que je demandais étaient mis en ligne sur le site de l’April, l’association de promotion du logiciel libre. J’ai trouvé ça vraiment très surprenant que la CADA accepte que, d’une certaine manière, l’administration se défausse de ses obligations sur un tiers et là, en l’occurrence, c’était votre association l’April.
Frédéric Couchet : Pour bien préciser, l’association n’a pas une délégation de service public. Nous sommes une association loi 1901 de droit privé. Ça nous a aussi surpris ; on peut dire qu’on emploie un mot un peu faible parce qu’on a trouvé ça parfaitement scandaleux. On a trouvé la réponse du ministère des Armées à peu près logique parce que le foutage de gueule au ministère des Armées, j’insiste, est à peu près permanent sur ce dossier-là. Par contre, ce à quoi on s’attendait effectivement, c’est que la CADA les corrige un petit peu et leur disent qu’ils s’étaient trompés. Avant de laisser évidemment Marc Dandelot s’expliquer sur ce dossier précis, est-ce que, Tangui Morlier, tu veux ajouter quelque chose sur cet avis-là précis ?
Tangui Morlier : Il nous a aussi fortement surpris. Il me semble que l’article L312-1 dit clairement que les administrations rendent publics les documents. Ce document, par exemple, puisqu’il avait fait l’objet d’une demande CADA et que la loi Lemaire prévoyait que les documents qui faisaient l’objet d’une demande CADA étaient ensuite publiés sur le site des administrations. Donc on a été effectivement surpris de cet avis qui nous a semblé être plus un copié-collé de la part du ministère de la Défense qu’un vrai avis mûrement réfléchi de la part de la CADA.
Frédéric Couchet : Avant de laisser la parole à Marc Dandelot je précise que l’avis a été pris par Marc Dandelot en tant que président de la CADA. On parlait de la procédure entre collège et décision prise par le président. Si je me souviens bien ce genre d’avis, vous l’expliquiez tout à l’heure, c’est soit pour des décisions simples – il nous paraissait à peu près simple que le ministère des Armées racontait n’importe quoi –, soit pour des décisions qui faisaient suite, finalement, à une doctrine régulière de la CADA. On a regardé un peu la doctrine de la CADA, on n’a jamais trouvé d’avis qui confirmait qu’une structure n’ayant pas une délégation de service public avait la charge de mettre en ligne des documents qu’elle avait reçus via une administration et aussi de les maintenir. Je rappelle que la loi Lemaire oblige à maintenir ces documents donc nous oblige, quelque part, à demander régulièrement au ministère des Armées les nouveaux documents pour mettre à jour notre site. Marc Dandelot, sur ce dossier-là, en gros, pourquoi cette décision ?
Marc Dandelot : Je vais expliquer la décision et ensuite je vais commenter par rapport à ce que nous nous sommes dit à l’instant qui contribue peut-être à éclairer des éléments qui ne sont pas traités par la décision.

Aussi curieux que cela puisse paraître, si j’ai pris cette ordonnance c’est tout simplement parce que telle était la doctrine de la CADA en vertu d’avis précédents que je n’ai donc pas inventés. Il faut que je m’explique un peu de la technique juridique.
Frédéric Couchet : Allez-y.
Marc Dandelot : Ce que prévoit la loi c’est que lorsqu’un document a fait l’objet d’une diffusion publique on ne peut pas en demander communication parce que, en quelque sorte, l’accès public a été fait. La question s’est posée il y a déjà plusieurs années de savoir si la diffusion publique d’un document était exclusivement sa diffusion par l’administration ou si l’état de fait de diffusion publique pouvait résulter de la mise en ligne par une personne privée. Il se trouve que dans plusieurs cas précédents la CADA avait retenu cette conception purement factuelle de la diffusion publique, c’est-à-dire avait admis que lorsqu’un document a été révélé publiquement il n’entre plus dans la procédure de droit d’accès puisque le droit d’accès devient sans objet.
Tangui Morlier : Pour être sûr de bien comprendre, vous estimez, du coup, que les nouveaux articles qui ont été introduits pas la loi Lemaire ne vous concernent pas ?
Marc Dandelot : Non. C’est là où il y a deux points sur lesquels je voudrais nuancer. D’abord c’est que, de toute façon, au vu de ce que nous avons déjà dit nous-même depuis la loi Lemaire, c’est qu’il ne peut y avoir diffusion publique que si c’est diffusé dans le format qui est requis par la loi. Et là, par rapport à ce qu’a dit Xavier, effectivement il peut y avoir un problème, mais ça ce n’était pas dans le dossier sur lequel j’ai eu à me prononcer.
Frédéric Couchet : Ça l’était indirectement, parce que, excusez-moi, dans votre avis vous citez l’URL du site de l’April. Sur le site de, l’April les documents c’est du PDF scanné ; ce n’est pas un format ouvert ! Donc vous aviez les informations. Ça me fait penser à un point que je souhaitais aborder à la fin de l’émission mais je le cite tout de suite pour qu’on en reparle tout à l’heure : dans les procédures, la CADA discute avec l’administration, échange, mais à aucun moment la CADA n’échange avec la personne requérante pour dire « l’administration nous répond ça, qu’est-ce que vous en pensez ? » Alors qu’au tribunal administratif il y a cette procédure-là. C’est un manque dans la procédure !
Marc Dandelot : C’est exact mais c’est ce qui est prévu par la loi et on peut le contester.
Frédéric Couchet : Ça, je ne vous le reproche pas.
Marc Dandelot : C’est-à-dire qu’effectivement, initialement c’est pour des raisons qui tiennent à la rapidité de l’instruction. La CADA étant une autorité administrative et non pas une autorité juridictionnelle, il n’est pas prévu ce qui s’appelle une procédure contradictoire. C’est-à-dire que nous sollicitons pour notre information des informations de l’administration, mais nous n’avons pas de va-et-vient, d’échanges de communication comme on ferait un échange de communication de mémoires dans le cadre juridictionnel, avec la personne qui nous saisit. Ça, c’est le texte de procédure.
Tangui Morlier : En même temps l’usage a pu vous permettre par le passé, il me semble au moins une fois à travers un cas lié à la jurisprudence, de pouvoir accueillir un demandeur pour qu’il exprime son point de vue devant la Commission. Il me semble que vous l’avez fait avec l’entreprise Doctrine.
Marc Dandelot : Oui. Nous l’avons fait, absolument. Que nous puissions le faire est une chose que nous nous sommes reconnue ; que nous soyons obligés de le faire ne résulte pas des textes.
Frédéric Couchet : Nous sommes d’accord ! Ça ne résulte pas des textes. Mon point était simplement de dire que c’était un manque dans les textes actuels.
Marc Dandelot : Maintenant, si effectivement ce que vous me dites c’est que nous pouvions avoir de par une recherche suffisamment je dirais pertinente.
Frédéric Couchet : Un clic. Un clic ! Excusez-moi, mais dans votre avis il y a le lien vers notre page. Un clic ! Ou alors c’est que, peut-être, la définition du format ouvert n’est pas maîtrisée.
Marc Dandelot : Si le format n’était pas bon ! C’est un avis. Il faudrait que je regarde.
Frédéric Couchet : Excusez-moi. À la limite c’est un point mineur cet aspect format même si, effectivement, c’est dans la loi. Le point essentiel c’est que vous dites que dans la jurisprudence de la CADA vous avez trouvé des avis conformes.
Marc Dandelot : C’est un point qu’on peut discuter, peut-être au vu de la nouvelle loi. Je pense qu’une diffusion publique puisse exister de par la publication d’un tiers ne suffit pas à, je dirais, accomplir les obligations de l’administration à mettre en open data. Ça je crois que c’est exact et donc peut-être qu’il faut que nous reconsidérions notre, pas que nous reconsidérions, mais que nous complétions notre doctrine sur ce point. Je vous l’admets.
Tangui Morlier : C’est-à-dire que si Xavier refait sa demande, peut-être qu’il n’aura pas le même avis ?
Marc Dandelot : Écoutez, je ne peux pas en préjuger. En tout cas, si aujourd’hui nous sommes saisis d’une demande qui ne soit pas une demande de communication mais une demande de mise en ligne, ce qui était le cas d’ailleurs, je pense que je ne prendrais pas d’ordonnance et je soumettrais l’affaire au collège. C’est assez clair.
Frédéric Couchet : Xavier Berne.
Xavier Berne : Vous vous rendez quand même compte qu’avec ce genre d’avis vous envoyez un sacré signal à l’administration parce que, du coup, d’une part vous dites que vous n’avez pas à respecter les obligations de la loi numérique à partir du moment où une association s’en charge. Ça veut quand même dire aussi que l’association, du jour au lendemain, elle peut arrêter par exemple de mettre ce lien. Vous avez dit tout à l’heure que c’était à partir du moment où il y avait eu une diffusion publique. Mais vous parlez au passé comme si, une fois que la diffusion publique a cessé, l’obligation de publier en ligne le document cessait aussi. Pour moi l’obligation, dans le code des relations entre le public et l’administration, c’est bien de publier en ligne de manière indéterminée.
Marc Dandelot : Ça je suis d’accord.
Xavier Berne : Concrètement il se passe quoi si demain l’April arrête de mettre le document sur son site internet ?
Marc Dandelot : Nous n’avons jamais eu un cas de ce genre, mais il faudra en tirer les conséquences.
Frédéric Couchet : Le document vient de disparaître du site de l’April ! À l’instant ! J’ai tapoté au clavier, malheureusement ! Non c’est une blague ! [Rires]

Par contre j’ai une question plus précise, peut-être que vous n’avez pas les références en tête. Vous dites que dans la doctrine vous avez des cas.
Marc Dandelot : On a eu des cas.
Frédéric Couchet : Moi je suis intéressé par les avis précis. On a regardé un peu la doctrine ; j’ai des exemples en tête où notamment, effectivement, ce sont des structures tierces qui avaient mis en ligne des documents. Mais les exemples que j’ai en tête, notamment un exemple avec Infogreffe, ce sont des structures qui avaient une délégation de service public. Moi je suis preneur d’un avis de la CADA dans lequel la structure qui a mis en ligne le document est une structure type association loi 1901 qui n’a pas délégation de service public. Je suis preneur ! Ce n’est pas immédiatement évidemment dans l’émission mais après. J’aimerais bien consulter cet avis. J’avoue ne pas l’avoir trouvé ni sur le site de la CADA ni en consultant les rapports d’activité. Je sais que dans un certain nombre de rapports d’activité, je crois que c’est celui de 2015, il y a un débat sur ce sujet, effectivement, de la diffusion.

Est-ce que sur cet avis-là ça vous paraît clair ? Est-ce que vous souhaitez poursuivre ou est-ce qu’on peut prendre un deuxième avis récent de la CADA. Xavier Berne ?
Xavier Berne : Je pense qu’on peut passer à un autre avis de la CADA. On prend quelques avis ici, mais, d’une certaine manière, pour moi les problèmes autour des avis de la CADA disent quand même un problème de fond autour du fonctionnement de la CADA.
Frédéric Couchet : Qui est ?
Xavier Berne : J’en discutais il n’y a pas très longtemps avec l’association Ouvre-boîte qui travaille également pour ouvrir des données et qui me disait : « On a souvent l’impression que la CADA n’a pas le temps d’instruire correctement les dossiers faute de temps ». Et effectivement, c’est un petit peu l’impression que j’ai eue en lisant l’avis sur l’histoire des documents contractuels du ministère des Armées et ça se retrouve dans d’autres avis que tu vas sûrement vouloir évoquer.
Frédéric Couchet : Tangui Morlier.
Tangui Morlier : S’il existe une autorité indépendante elle doit faire bien son travail avec les moyens qu’on lui donne. À priori ces moyens ont légèrement augmenté, peut-être pas suffisamment au regard des gens qui la gèrent, mais on est quand même passé de 15 rapporteurs à 19 ou 20 ; ce sont des informations qui sont publiées sur le site de la CADA, en regardant les rapports. Le nombre d’avis traités par rapporteur diminue d’année en année ; on était autour de 350 avis par rapporteur en 2013, aujourd’hui on est quasiment à 250 par rapporteur. J’ai récupéré toutes les données. Là où on peut rendre hommage à la CADA c’est quand même que la CADA s’applique à elle-même la transparence qu’elle est censée véhiculer aux autres administrations et qu’on peut récupérer l’intégralité des avis en open data à travers un partenariat avec data.gouv.fr, donc ce travail-là de pouvoir ausculter le travail de la CADA, avec une volonté de l’améliorer. C’est pour ça, d’ailleurs, qu’on se félicite tous que son président soit en train de discuter avec nous aujourd’hui.

Il me semble effectivement qu’il y a aujourd’hui un problème de qualité qui n’est pas lié à un surplus d’activité, en tout cas numéraire. Peut-être que les avis sont plus complexes, mais force est de constater qu’il y avait 10 000 sollicitations en 2014 et 2015 et il y en aura un petit peu moins en 2018 si on regarde les données qui sont publiées par data.gouv.fr.
Frédéric Couchet : Je vais passer la parole à Marc Dandelot mais avant je vais préciser deux choses. On va traiter deux avis. Notamment l’un où Regards Citoyens considère qu’il y a une erreur de droit et l’autre c’est pour revenir sur le secret des affaires, le lien dont parlait tout à l’heure Tangui Morlier entre secret des affaires et loi CADA.

Avant je voudrais juste rappeler que dans la procédure, la CADA étant une administration, vous pouvez dans le cadre de votre dossier, quand vous saisissez la CADA, demander à la CADA d’avoir les échanges avec l’administration et c’est toujours très intéressant. La CADA, de ce côté-là, nous transmet effectivement les informations ce qui nous permet de voir les échanges avec l’administration concernée. C’est une bonne pratique et je salue au passage Marc Rees de Next INpact qui nous a un jour donné ce petit truc. Effectivement la CADA étant une administration, la loi s’applique à elle-même.

Est-ce que vous voulez réagir tout de suite sur les propos de Tangui Morlier avant qu’on repasse dans le détail les deux avis.
Marc Dandelot : Juste très brièvement. On peut toujours trouver des critiques, nous ne sommes certainement pas à l’abri de critiques et je le reconnais très volontiers. Ce que je voulais quand même dire c’est qu’il y a dans la culture de la CADA — et moi, personnellement, j’y étais extrêmement attaché dans la façon dont nous avons continué à fonctionner au cours des dernières années — un souci qui a toujours été le nôtre de motivation extrêmement solide et complète de nos avis. Ce qui, effectivement, peut rendre la tâche plus difficile et consommatrice de temps quand nous sommes l’objet, comme c’est de plus en plus souvent le cas, de demandes compliquées. C’est vrai qu’une des raisons qui nous ont conduits à accepter d’être un petit peu plus, je dirais, souples sur le délai d’instruction, c’est parce que nous mettons plus de temps à faire une réponse complète aux demandes qui nous sont faites. Donc c’est une question d’équilibre entre la nécessité d’être toujours aussi rapides que possible par rapport à ce qu’a demandé le législateur et la nécessité d’avoir des avis juridiquement construits. Maintenant, encore une fois comme je le disais, il m’arrive moi-même de trouver qu’une décision du Conseil d’État qui remet en cause un avis de la CADA n’est pas justifié ou injuste, mais pour autant on l’applique parce que c’est le juge suprême de la juridiction administrative qui nous a dit le droit. Nous ne sommes pas, nous-mêmes, à l’abri de l’opinion qui peut être la vôtre, que notre opinion serait discutable.
Frédéric Couchet : Xavier Berne, je crois que tu voulais prendre un exemple, une demande de non publication de documents du Syndicat intercommunal d’énergie et e-communication de l’Ain, si je me souviens bien ; c’est un peu long.
Xavier Berne : Ce n’était pas le détail qui était intéressant. Ce qui m’avait choqué, en fait, dans cet avis de la CADA, c’est que la personne demandait la publication d’un document administratif et la CADA dans son avis s’est, à mon avis, complètement trompée de base légale en disant à la personne : non, votre demande n’est pas recevable parce qu’il manque un décret d’application. Or, cette demande de publication relevait d’un autre article de la loi CADA pour lequel il n’y avait pas besoin de décret d’application. Ça s’appliquait. Très logiquement la personne aurait dû recevoir un avis favorable à sa demande de communication.

Est-ce que, derrière tout ça, il n’y a quand même pas un petit peu des problèmes de moyens ou, je ne sais pas, de méthode de fonctionnement en interne. Est-ce que vous admettez qu’il puisse y avoir des erreurs, tout simplement ?
Frédéric Couchet : Marc Dandelot.
Marc Dandelot : Écoutez. D’abord je ne crois pas que ça soit vraiment très intéressant de reprendre l’argumentation juridique sur cet avis qui, en fait, partait de l’idée qu’on invoquait une loi qui n’était pas encore en vigueur. Je crois qu’effectivement ce n’était pas un problème de décret d’application mais que la loi n’était pas en vigueur. De toute façon, aujourd’hui elle l’est, donc c’est vraiment une affaire ancienne qui n’a plus de portée aujourd’hui.

Maintenant si vous me dites : est-ce que nous ne nous trompons jamais, je dis : nous essayons de nous tromper le moins possible. Maintenant, ce que je peux dire, quel est le juge de la justesse des avis que nous rendons ? C’est le juge administratif. Ce que je constate c’est que, aujourd’hui pas plus qu’autrefois je dirais, la validation par le juge administratif des avis de la CADA n’est pas plus faible aujourd’hui qu’elle ne l’était il y a dix ou vingt ans. Donc je ne partage pas l’idée qu’aujourd’hui les avis de la CADA seraient plus fragiles en termes juridiques. Maintenant, qu’on puisse trouver un avis dans lequel on a pris une solution discutable, je ne vois pas comment je peux dire que ce n’est pas possible. Nous sommes tous des êtres humains et même avec le maximum, je dirais, d’attention et de professionnalisme que nous pouvons porter à notre analyse, il peut se faire qu’il y ait quelque chose qu’on n’a pas vu, ça je ne peux pas le nier.
Frédéric Couchet : Xavier Berne.
Xavier Berne : Je ne cherchais pas à jeter la pierre en particulier sur tel ou tel avis, mais il s’avère qu’en tant que journaliste j’ai souvent besoin de saisir la CADA ; si je pouvais ne pas la saisir ce serait très bien ! Malheureusement les administrations, la plupart du temps, ne répondent même pas aux demandes de communication de documents administratifs et derrière, on se retrouve avec des avis des fois complètement loufoques. Le problème c’est que, pour le simple citoyen, déjà saisir la CADA je pense que c’est quelque chose qui n’est pas forcément, de prime abord, quand on n’a jamais fait ça auparavant ! Saisir le juge administratif derrière je pense que c’est quelque chose qui est encore plus rédhibitoire. Le manque de soin qui peut être apporté parfois dans certains avis, à mon avis, se fait à la défaveur des citoyens et donc du droit d’accès aux documents administratifs.
Frédéric Couchet : Tangui Morlier.
Tangui Morlier : Je partage totalement l’avis de Xavier. Ce pourquoi ? En l’occurrence pour Montélimar, c’est un proche de Regards Citoyens qui a fait la demande et il était assez clair, dans son esprit, que la CADA s’était trompée, que l’article L311-1 était applicable sans faire l’objet d’aucun décret. Et pourtant il n’est pas allé devant le tribunal administratif parce que, pour un citoyen, c’est quelque chose d’extrêmement coûteux en temps – pas en termes d’argent puisqu’on n’a même pas besoin d’un avocat –, mais c’est une charge importante à mener pour un citoyen.

Il se trouve que, pendant longtemps, la CADA était vue comme un médiateur dont les avis permettaient de calmer les insistances des citoyens et de rendre raison à certaines administrations qui faisaient de l’opacité. Donc ses avis, par la sagesse médiatrice de la CADA, étaient très peu remis en cause et sur le plan social à travers les militants de la transparence – je pense par exemple à Raymond Avrillier ou ce genre de militant qui utilise cet outil depuis très longtemps – et par la voie judiciaire à travers le juge administratif. Donc j’ai l’impression que vous profitez de cette aura positive pour la CADA. Je ne suis pas sûr que si tous les avis passaient devant le juge administratif on ne verrait pas une remise en question régulière de ces avis. Peut-être que je me trompe ! Peut-être que j’avais une vision totalement idéale de la CADA et qu’en regardant plus précisément, notamment grâce aux efforts de transparence que vous faites, on est tombés sur plus d’épisodes…
Marc Dandelot : Je pense peut-être aussi qu’il y a une explication très simple c’est qu’aujourd’hui, du fait de vos activités, nous sommes plus sous la scrutinise, sous l’œil critique et qu’effectivement c’est une façon pour nous de nous améliorer. Je le prends positivement.
Tangui Morlier : C’est extrêmement réjouissant que vous le preniez comme ça.
Marc Dandelot : Ce que je dois vous dire, ça je peux vous le dire vraiment avec beaucoup de certitude, sur la façon dont nous concevons nos réponses : quand, au collège, on parle de la rédaction de nos avis, surtout sur les sujets qui sont un peu difficiles à cerner comme le secret des affaires, nous essayons de développer des raisonnements qui soient suffisamment solides et suffisamment construits pour être compris par les administrations et donc que les avis aient l’autorité qu’il faut pour être mis en œuvre.
Frédéric Couchet : Ça nous permet une transition sur le secret des affaires qu’on va aborder juste après. Ce que dit Tangui Morlier c’est peut-être une sorte de désenchantement par rapport à une institution dont on attend beaucoup. C’est vrai que dans les autorités administratives, il y en quand même beaucoup, il y en certaines dont on n’attend rien, par exemple l’HADOPI, soyons clairs, qui a beaucoup plus de moyens financiers que vous et dont l’inutilité n’est plus à démontrer. Par contre c’est vrai que l’utilité de la CADA est importante. Et deuxième point, c’est peut-être aussi – et ça c’est aussi grâce à des structures comme Regards Citoyens, comme l’April et autres – que la compétence juridique des personnes augmente et donc elles sont plus en capacité de voir les erreurs juridiques.
Marc Dandelot : Absolument !
Frédéric Couchet : En tout cas de contester les avis juridiques de structures comme la CADA. Tangui l’a dit tout à l’heure, on vous salue vraiment de venir vous expliquer sur ces avis-là, ce qui ne serait pas forcément le cas de tout le monde. Il y a une montée en compétences de ce côté-là.
Tangui Morlier : Effectivement.
Frédéric Couchet : Comme l’a dit tout à l’heure Tangui, pour les personnes c’est compliqué d’aller au tribunal administratif et des fois on n’a pas envie ; même les structures, des fois on se dit : pff, aller au tribunal administratif c’est chiant, etc. Probablement que si vous avis été challengés plus souvent au tribunal administratif, peut-être qu’effectivement il y aurait des corrections.
Marc Dandelot : Je prends acte, mais je pense que je n’ai rien à dire, à contester de tout ce que vous dites.
Frédéric Couchet : D’accord. On va passer à un dernier avis ou, en tout cas, à un sujet qui est important parce qu’il y a des évolutions juridiques aussi au niveau européen avec la directive sur le secret des affaires, l’implémentation dans le droit français.

On sent bien que, d’un côté, il y a une volonté, une dynamique de transparence, côté évidemment des personnes et de certaines structures comme la CADA, mais, de l’autre côté, il y a des volontés de limiter la transparence au maximum en utilisant des nouveaux outils juridiques comme le secret des affaires. Tangui Morlier de Regards Citoyens, je crois que tu voulais prendre un exemple concret de décision récente ou, en tout cas, de sujet récent qui lie accès aux documents administratifs et secret des affaires.
Tangui Morlier : Absolument. On a mené un petit appel pour essayer de collecter non pas les erreurs de la Commission CADA, mais les problèmes liés à la transparence, si vous avez suivi notre fil Twitter, notre hashtag What The Fuck CADA ?, #WTFCada.
Frédéric Couchet : Ça veut dire quoi What The Fuck ?
Tangui Morlier : What The Fuck ? c’est : mais qu’est-ce qui se passe donc avec la CADA, pour être tout à fait poli.
Marc Dandelot : Oui, oui !
Tangui Morlier : Mais ce n’est pas avec la CADA, c’est avec la loi CADA. Et si vous avez remarqué, dans les différents témoignages qui sont arrivés à travers ce hashtag, il y a des remises en question de certaines décisions du législateur. Il y a certaines administrations qui se sont fait épingler parce que vous aviez remis un avis positif et qu’il n’a pas été suivi. Et effectivement, dans le lot, certains avis posaient problème.

Ce qui a motivé, au sein de Regards Citoyens, le lancement de cet appel à témoignages, c’est une histoire relatée par Le Monde qui s’est penché sur les implants médicaux, qui a sollicité une administration chargée de collecter les autorisations liées à ces dispositifs médicaux et qui a simplement demandé la liste des entreprises qui avaient fait l’objet d’une autorisation et la liste des entreprises qui avaient vu leur dispositif médical refusé. L’administration a refusé. Le Monde a sollicité la CADA et, après quelque six mois d’attente, il a reçu un avis de la CADA, après la publication de son travail journalistique, lui indiquant que la demande n’était pas fondée puisqu’elle tombait sous le coup du secret des affaires.

Suite à ces témoignages-là, on a également eu le témoignage de l’association Ouvre-boîte qui a fait une demande d’accès au code emballeur. Lorsque vous allez dans un supermarché vous avez un petit pictogramme dans lequel il y a un numéro qui permet de savoir quelle est l’entreprise qui a emballé le produit que vous achetez dans le supermarché. Là, de manière encore plus surprenante, la CADA, alors que sa doctrine avait acté que c’était un document administratif et qu’on pouvait avoir la liste de tous les codes emballeurs, a décidé que cette liste d’entreprises était soumise au secret des affaires.

Ça nous a extrêmement choqués. Du coup on est allé voir, on s’est dit que les règles de la CADA étaient de regarder l‘application du droit. Donc on s’est demandé quelle était la définition du secret des affaires dans le droit français puisqu’il a été adopté, malheureusement, en France ces derniers mois.
Le secret des affaires répond à trois critères :

  • le premier c’est que le secret sollicité n’est généralement pas connu ou aisément accessible par les gens au sein d’une profession ;
  • le deuxième c’est qu’il revêt une valeur commerciale par son secret ;
  • et le troisième c’est qu’il existe une mesure de protection pour conserver le caractère secret de cette information.

Or, il se trouve que pour les deux avis liés au secret des affaires dont on a eu connaissance, il me semble qu’aucun de ces critères qui correspondent à la définition française du secret des affaires, n’est valide, alors que ce sont les trois conditions qui doivent être remplies, toutes les trois, pour pouvoir profiter de cette protection du secret des affaires.

Donc on a l’impression que pour ces deux décisions-là la CADA n’a pas pris une décision en droit mais a plutôt pris une décision politique. C’est-à-dire qu’il semblerait, au sein de la Commission, que des gens sont plutôt sensibles au secret des affaires et qu’ils ont envie de véhiculer une vision qui ne correspond pas au droit du secret des affaires et qui profite de certains avis pour passer ce message politique.
Frédéric Couchet : Marc Dandelot.
Marc Dandelot : Je ne pense pas du tout qu’il y ait de la part de la CADA la recherche de faire passer un message politique. S’agissant du secret des affaires tel qu’il est désormais appelé, l’ancien secret commercial et industriel, il a été précisé dans le CRPA [Code des relations entre le public et l’administration], dans la loi CADA, que les critères du secret des affaires étaient les mêmes que dans l’ancienne acception où on l’appelait le secret commercial et industriel.

Là-dessus je ne peux pas être d’accord avec vous. En revanche, je crois que de la part de la CADA il y a, dans la construction de sa doctrine, une continuité par rapport à ce qu’elle a construit jusque-là. Ce qui est vrai c’est que c’est un secret, nous l’avons dit à plusieurs reprises dans nos rapports précédents, dans lequel la subjectivité intervient. Et s’agissant du deuxième exemple que vous avez cité…
Tangui Morlier : Le code emballeur.
Marc Dandelot : Qui est le code emballeur, c’est vrai que nous avons dans cet avis récent changé sur un point la doctrine qui avait été exprimée par la CADA précédemment. Ça a été une délibération très explicite et longue de la CADA ; elle peut être contestée parce que, je dirais, rien n’est à l’abri de contestations, mais ça a été le délibéré de la CADA, sur la base de considérations objectives, qu’elle a estimé devoir prendre.

Sur l’affaire précédente c’est un petit peu différent, c’est-à-dire l’affaire des dispositifs médicaux. Je pense qu’il y a dans cette affaire une question qu’il faudra que la CADA se pose – et je ne sais pas si elle peut le faire seule, je veux dire sans changement législatif dans l’avenir – qui est la suivante. Je ne cherche pas à justifier, mais je cherche à expliquer ce qui a été le raisonnement de la CADA quand on lui a demandé la liste des entreprises qui avaient fait l’objet d’un agrément de leurs dispositifs médicaux ou qui se l’étaient vu refuser. Il se trouve que la CADA a appliqué sa doctrine traditionnelle, qui a été affirmée de nombreuses fois, selon laquelle la publication par une entreprise de la liste de ses clients relève du secret des affaires. Or, de par le dispositif qui est mis en place au plan européen pour la certification de ces dispositifs médicaux, c’était un dispositif qui relevait d’un dispositif de marchés.

Simplement, là où je reconnais qu’on peut interpeller la réflexion sur ce sujet, c’est que dans cette révélation de la liste des dispositifs médicaux il y avait aussi un enjeu de santé publique et nous aurions été en face d’une information environnementale. La loi a prévu, s’agissant de l’information environnementale, qu’il faut faire une appréciation de la proportionnalité entre le secret commercial à protéger et l’intérêt environnemental de la divulgation. C’est-à-dire qu’on peut faire une exception au secret et que, simplement, ce raisonnement de proportionnalité n’est pas prévu par la loi au titre de la santé publique. Donc on pourrait se poser la question de savoir s’il ne serait pas opportun d’ouvrir ce type de raisonnement à ce type d’enjeu public. Mais est-ce que la CADA peut le faire toute seule ou a besoin d’une ouverture législative ? Je rappelle que si on se réfère à un certain nombre de conventions européennes ou de textes européens sur la communication des documents administratifs, il est prévu, dans cette hypothèse-là, qu’on puisse faire un raisonnement de proportionnalité.
Frédéric Couchet : Excusez-moi, je vais te redonner la parole Tangui, mais il ne nous reste même pas quatre minutes. Je vais vous laisser la parole une minute chacun, mais vraiment une minute, pour cette émission. Je pense qu’on consacrera une deuxième émission et peut-être qu’on invitera un législateur voire le ministre. Je vous laisse à chacun vraiment une minute pour éviter de couper parce qu’après, à 17 heures, c’est AligreFM qui prend la suite et je vais commencer par Xavier Berne. Xavier Berne en trente secondes ou une minute.
Xavier Berne : C’est plutôt des questions et ça ne va peut-être pas vous arranger. Mais j’aurais aimé demander à Marc Dandelot s’il estimait avoir les moyens suffisants d’assurer sa mission aujourd’hui quand on voit les délais qui sont ceux de la CADA pour traiter les dossiers, quand on voit les problèmes qu’il y a autour des quelques avis dont on a parlé. Je pense que ce dont on a parlé c’était juste, un petit peu, l’arbre qui cache la forêt au vu de tout ce qui est remonté, notamment suite à l’initiative la semaine dernière de Regards Citoyens.

Je voulais aussi vous demander quel regard vous aviez sur l’attitude du gouvernement vis-à-vis de la CADA. Par exemple Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État au numérique, devait normalement intervenir pour votre quarantième anniversaire. Finalement il n’est pas venu. Est-ce que cette absence n’est pas, d’une certaine manière, représentative du manque de considération de la part du gouvernement vis-à-vis de la CADA ?
Frédéric Couchet : Merci Xavier pour cette question à laquelle, en moins de dix secondes, il va être compliqué de répondre. Marc Dandelot, très rapidement.
Marc Dandelot : Écoutez, je suis relativement optimiste aujourd’hui dans la mesure où nous avons un certain nombre de projets, même si ce n’est pas considérable, de consolidation de nos moyens. Donc je pense que nous allons pouvoir, dans le courant de l’année qui vient, avoir des améliorations et faire face. Maintenant dire que c’est idéal, je ne le dirais pas, mais je pense que nous pouvons faire face.
Xavier Berne : Vous n’avez pas répondu sur la question relative à l’attitude du gouvernement vis-à-vis de la CADA.
Marc Dandelot : Là, je ne veux pas commenter sur l’attitude du gouvernement. Nous avons eu une remarquable allocution de fin de séance de la part du vice-président du Conseil d’État et je pense que le Conseil d’État soutienne la CADA c’est très important pour notre autorité.
Frédéric Couchet : Xavier merci parce qu’on va bientôt être coupés sur la bande FM. En tout cas invitation est lancée au gouvernement pour une seconde émission. Je laisse dix secondes à Tangui si tu souhaites intervenir ou pas.
Tangui Morlier : Remercier évidemment Xavier d’avoir participé à cette émission et surtout le président de la CADA de nous permettre de dialoguer malgré nos ponctuels désaccords.
Marc Dandelot : Et nous critiquer pour nous améliorer !
Tangui Morlier : Absolument.
Frédéric Couchet : Je remercie évidemment tous les invités, Xavier Berne de Next INpact, Tangui Morlier de Regards Citoyens et Marc Dandelot de la CADA.
Nous nous retrouvons la semaine prochaine pour un sujet qui concernera les distributions libres.

Ma collègue qui devait faire une chronique sur la sensibilisation la fera la semaine prochaine en ouverture de l’émission.

Je vous souhaite de passer une belle journée, on se retrouve la semaine prochaine et d’ici là, portez-vous bien.

Avertissement : Transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant⋅e⋅s mais rendant le discours fluide. Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.