Luc : Décryptualité. Semaine 13. Salut Manu.
Manu : Salut Mag.
Mag : Salut Luc.
Luc : Aujourd’hui on a un son correct.
Manu : Oui, c’est bizarre !
Mag : C’est parce qu’on est tous ensemble.
Luc : C’est ça. Vive les jours fériés. Qu’a-t-on au sommaire ?
Manu : Petite revue de presse, quatre articles.
Mag : On va commencer.
ZDNet France, « La crise de gouvernance de la Free Software Foundation ne s’arrange pas », par Steven J. Vaughan-Nichols.
Manu : Crise de gouvernance. En gros il y a des accusations qui ont été lancées contre Richard Stallman. Il y a pas mal de problèmes avec Richard Stallman, globalement, il a des comportements difficiles, mais il y a tellement d’accusations idiotes et complètement disproportionnées qui sont sorties que là ça ne veut plus dire grand-chose. Il a été accusé, validiste, transphobe, des accusations qui ne tiennent pas quand on creuse. Mais bon !
Luc : C’est le sujet à trolls avec les gens qui sont derrière lui et ceux plutôt contre lui. En tout cas, pour moi il a ce talent d’avoir réussi à se faire beaucoup d’ennemis. Bon ! Les circonstances ! À chacun de se faire son opinion et de prendre position, mais il y a effectivement une certitude, ça divise.
Mag : Article suivant : ZDNet France, « Aux racines de Wikipédia, la culture du logiciel libre », par Thierry Noisette.
Manu : On reprend un petit peu ce qu’est Wikipédia et effectivement les racines, la base, c’est le logiciel libre et son esprit. Ça fait toujours du bien de le rappeler, c’est toujours agréable. Wikipédia, gros succès, c’est un projet mondial, c’est peu de le dire, c’est un des premiers sites internet consultés dans le monde.
Luc : J’ai contribué à Wikipédia au début des années 2000.
Manu : Sur les pages de flingues !
Luc : Sur plein de choses, dont ce sujet-là, ce qui est totalement anecdotique. Quand j’y repense, à l’époque tout le monde disait « mais qu’est-ce que c’est, ça ne marchera jamais, c’est scandaleux ! », il y a eu beaucoup de réactions. Aujourd’hui ça fait vraiment partie du paysage, c’est assez rigolo.
Manu : Ceci dit, il y a toujours besoin de modérateurs parce que, même si ça fonctionne bien, le nombre de participants n’est pas aussi grand qu’il le faudrait, mais ça n’empêche.
Luc : C’est un sujet à part entière.
Mag : RTBF Info « La séquence ARN du vaccin Moderna publiée en open source par des chercheurs de Stanford », par la rédaction.
Manu : Ce ne sont pas les créateurs, les inventeurs originaux ou les découvreurs originaux du vaccin qui l’ont publié.
Mag : Tu veux dire les chercheurs du laboratoire ?
Manu : C’est ça. Ce sont d’autres labos qui ont reverse engineeré le protocole, les molécules, je ne sais plus exactement.
Luc : C’est du piratage !
Manu : Non. Tu as le droit de le faire et puis c’est de la science, donc tous ces processus ne sont pas couverts par le droit d’auteur, les brevets, le droit des marques et tutti quanti. On a le droit de faire cela et de le publier ensuite. Aujourd’hui, des gens qui voudraient refaire ces vaccins-là ont de bonnes bases pour y travailler.
Mag : Et limite, quand on voit que tous ces vaccins ont été trouvés grâce à des fonds publics, je trouve ça inadmissible qu’ils soient fermés.
Luc : Si c’est une université américaine, côté fonds public c’est loin d’être évident, mais bref !
Mag : cio-online.com, « Ne pas respecter la licence d’un logiciel peut bien relever de la responsabilité contractuelle », par la rédaction.
Manu : Je propose que ce soit le sujet de la semaine, c’est un sujet plutôt intéressant, bien qu’obscur.
Luc : Oui. On ne maîtrise pas complètement le sujet, on risque de dire des bêtises.
Mag : Jamais ! Jamais !
Luc : Cette dimension juridique est très importante dans le logiciel libre, dans l’informatique en général mais particulièrement dans le logiciel libre [1], puisque c’est ce qui va fixer ce qu’on a le droit de faire ou de ne pas faire. Les fameuses quatre libertés du logiciel libre sont, dans la pratique, décrites dans une licence qui est un texte qu’on peut utiliser et opposer devant un tribunal si on n’est pas content de la façon dont un acteur l’a utilisé.
Manu : J’aime bien rappeler que, par défaut, on ne peut rien faire d’une œuvre de l’esprit, on ne peut pas la modifier, redistribuer notamment, on ne peut pas participer jusqu’à 70 ans après la mort de l’auteur. Tant qu’on est dans cette période-là, il faut obtenir des droits d’accès sous forme d’une licence, par exemple, donc des licences privatrices qu’on n’aime pas trop, on a des licences libres qu’on apprécie beaucoup et qu’on met en avant. Sans cela et si on n’accepte pas de suivre une licence, par défaut on retombe sur un droit usuel et on n’a pas l’usage.
Mag : Le cas qui nous intéresse dans cet article-là c’est la procédure que Entr’ouvert, qu’on salue au passage, avait lancée en 2005 ! – O my God c’est loin ! – contre Orange.
Luc : Oui, pour l’utilisation de logiciels qui ont été développés par Entr’ouvert, qui correspondent à certains usages. Orange avait gagné un appel d’offres et avait utilisé ces technologies, ces développements de la société Entr’ouvert sans respecter la licence. Entr’ouvert dit qu’Orange a tout fait pour faire traîner la procédure ce qui fait qu’on se retrouve, aujourd’hui, plus de quoi ?
Mag : 16 ans.
Luc : 16 ans après les faits, à avoir une décision [2] de la cour d’appel, donc ça a été très long. Tout l’enjeu était de savoir si c’était quelque chose qui devait être jugé au niveau du droit des contrats – la licence étant un contrat qui engage à faire des choses et à respecter certains éléments – ou si c’était au niveau du droit d’auteur puisque le code informatique relève du droit d’auteur et, dans ce cas-là, ce serait une contrefaçon.
Entr’ouvert voulait que la contrefaçon soit reconnue, que ce soit jugé dans le domaine de la contrefaçon. Il y a une décision en première instance qui disait que non, ça allait être jugé dans le domaine du droit des contrats. L’appel vient de tomber et ça a été confirmé sur le droit des contrats.
Manu : On peut dire quel est le résultat ?
Mag : Effectivement, Orange n’a pas été reconnue coupable de contrefaçon, donc c’est un délit contractuel, mais a été reconnue coupable de parasitisme et condamnée à 150 000 euros plus les dépenses et frais de procédure.
Luc : On espère que ça donnera satisfaction à Entr’ouvert. En tout cas, un des intérêts de cette décision pour les gens qui gardent un œil sur ce genre de sujet, c’est de dire OK, en cas de non-respect d’une licence à quoi s’expose-t-on juridiquement ? N’importe qui peut écrire une licence, un texte juridique, et ce n’est une fois qu’on se retrouve au tribunal et qu’il commence à y avoir des jurisprudences qu’on sait ce que ça vaut vraiment. L’article dit « bof ! »
Manu : Il dit bof ! Il dit oui, c’est vraisemblablement du contractuel dans ce cas-là, mais dans d’autres cas ça pourrait être de la contrefaçon. Bof !
Mag : En gros, c’est du cas par cas. Cette jurisprudence, qui a été faite par la cour d’appel de Paris, est vraiment à prendre avec des pincettes.
Luc : Ça ne permettra pas de définir un cas général, déjà en première instance et là la cour d’appel. En tout cas la Cour de justice de l’Union européenne avait été sollicitée pour donner son avis, elle avait dit « ça dépend » !
Mag : P’têt ben que oui, p’têt ben que non !
Luc : Donc ils jugent en fonction des circonstances et, dans cette décision, il est dit qu’effectivement si le non-respect est généré par un non-respect de contrat alors c’est du contractuel, si c’est généré par de la contrefaçon, alors c’est de la contrefaçon. Super ! L’article est un peu léger là-dessus parce qu’on ne sait pas exactement quels sont les critères qui font la différence.
Mag : Sur le site d’Entr’ouvert on voyait qu’il avait fallu trois ans à des experts pour pouvoir s’exprimer sur leur cas.
Luc : Au moins prouver qu’Orange utilisait bien ces éléments-là.
Manu : Ce que j’aime bien dans ces circonstances c’est que ça fait des années et des années qu’on discute de la puissance des licences libres [3] et qu’on se pose des questions parce qu’il n’y a pas beaucoup de monde qui a voulu, quelque part, tester cela en justice parce que les licences sont très fortes, en tout cas c’était notre supposition jusqu’à aujourd’hui.
Luc : Oui et aller en justice ça coûte beaucoup d’argent et ça prend beaucoup de temps. La preuve ! Entr’ouvert est une PME, donc je pense que, pour eux, financer ce procès sur des années a dû être une charge importante. Orange est censée payer les frais de justice, mais on sait que bien souvent le remboursement des frais de justice ne couvre pas la réalité des frais, on en est toujours de sa poche. On comprend qu’il y ait plein de gens qui hésitent à se lancer dans une procédure comme ça.
Manu : Une des autres remarques était de dire que les licences de logiciel libre sont très fortes parce qu’elles te donnent des droits, elles ne t’en enlèvent pas ou peu, il n’y a pas beaucoup d’obligations en général, il y a le copyleft qui est dans la GPL [4]. Souvent on te donne des droits, donc si tu enfreins une licence de logiciel libre, tu t’enlèves des droits puisque tu retires toute la licence.
Luc : Oui. Après les choses deviennent compliquées pour les gens qui ne font pas que du Libre. Typiquement, aujourd’hui toutes les briques libres sont utilisées très massivement par énormément d’éditeurs, plein de gens qui, eux, ne font pas nécessairement du logiciel libre. Du coup ils sont très attentifs à ce qui peut se passer, quelles sont juridiquement les conséquences de leurs choix dès lors qu’ils commencent à mixer du Libre avec des trucs qui ne le sont pas.
Mag : Ça me rappelle une affaire qu’il y a avait eue entre Free et IT Development.
Luc : Effectivement, c’était un des cas limites.
Mag : Ils avaient mis dans leur Freebox du code qui ne leur appartenait pas vraiment ou, en tout cas, qu’ils pouvaient utiliser mais qu’ils redistribuaient partout sans vraiment le dire.
Luc : Oui. En fait eux disaient qu’ils ne le redistribuaient puisque c’était dans les Freebox et ils disaient « les Freebox c’est notre infrastructure même si c’est chez les gens ». Or, dans la GPL, il y a cette idée qu’on doit conserver la même licence quand on redistribue un code qu’on a modifié. Free arguait du fait que ce code n’était pas redistribué puisqu’il était à l’intérieur de leurs box qui restent leur propriété.
Manu : Il me semble qu’il y a eu des démarrages en justice, mais finalement ça n’a pas été très loin. Free a rapidement dit « c’est bon, on vous redistribue ».
Luc : Quelques années quand même !
Manu : Oui, mais globalement ils n’ont pas été jusqu’au bout du test, donc on n’avait pas validé dans un sens ou dans un autre.
Luc : C’est un des trucs avec ces longueurs de procès. Après plusieurs années de discussions, de démarches et de procédures, il est très probable que Free a dû passer en version n + 2, n + 3 de sa box et se dire « OK, on leur file leur bout de logiciel, on s’en fout, le truc est déjà obsolète ! » Du coup, au bout d’un moment ils ont dû lâcher le morceau en disant ça ne sert à rien. C’est ce qui est assez terrible avec le temps juridique qui est extrêmement long. L’informatique bouge à une telle vitesse ! Déjà, pour le commun des mortels, c’est trop long, mais dans l’informatique où tout change très vite !
Manu : Est-ce qu’on en profite pour parler d’une décision qui vient de tomber aujourd’hui, qui concerne aussi le droit d’auteur, mais qui est aux États-Unis ?
Luc : Non, on n’en parle pas !
Manu : Comment ça on n’en parle pas ! Là ce sont des milliards mon petit monsieur.
Luc : Alors vas-y.
Manu : C’est l’affaire Google-Oracle. Oracle, suite à des rachats d’entreprises, a pris la possession du langage Java, eh bien s’est plaint auprès de la justice que Google avait fait un duplicata de son environnement, du langage, et qu’ils avaient copié, fait de la contrefaçon sur le langage, sur des interfaces de programmation, des API. En première instance le juge avait dit « non, ça va, ce n’est pas de la contrefaçon, on ne vous a pas copié grand-chose », pour le coup c’était un juge qui savait coder, c’était assez drôle. La deuxième instance avait dit « attendez, là ils ont copié, clairement, on voit bien, une ligne ici, une ligne là, c’est la même chose, donc doublon. »
Mag : Là le juge ne savait pas coder, c’est ça ?
Manu : Vraisemblablement la deuxième fois il ne savait pas coder parce que c’était ridicule. Là ils sont passés un cran plus haut, on pourrait même dire tous les crans plus haut parce que c’est la Cour suprême américaine. La Cour suprême américaine a dit « eh bien non, ce n’est pas une contrefaçon, ça va, ce n’est pas grand-chose, ils avaient le droit de le faire. »
Mag : Youhou !
Luc : Là encore ce sont des années et des années de procédure. Cette décision n’est pas nécessairement une bonne nouvelle parce qu’une des choses qui est reprochée aux licences libres, notamment par les gens qui aiment bien les mélanger à du propriétaire, on pourrait dire qu’à la limite on s’en fout, c’est l’insécurité juridique et il y a plein de boîtes qui sont dans cette inquiétude de dire est-ce qu’un jour il n’y a pas quelqu’un qui va me tomber dessus et me faire des procès pour ce qu’on a fait ?
Manu : Pour le coup, dans ton boulot il y a des gens qui vous vendent des services là-dessus.
Luc : Oui. On fait appel à un service et à chaque fois qu’on va éditer le logiciel, le sortir, on doit passer par une étape de vérification pour s’assurer qu’il n’y a aucun logiciel tiers qu’on utilise qui ait une licence qui ne corresponde pas à la politique de la société. À chaque fois qu’il y a un nouveau logiciel tiers qui est rajouté, il y a quelqu’un, un juriste, qui regarde et qui dit « oui c’est bon, non ce n’est pas possible ». Ça mène à des trucs absurdes, le truc sur lequel est une grosse usine à gaz vendue à des très grosses sociétés. Quand on l’installe, elles sont obligées de mettre des trucs à la main, toutes seules. C’est-à-dire qu’on les utilise, mais on ne les fournit pas parce que si on les fournit alors ça voudrait dire que peut-être blablabla.
Mag : C’est parce que vous mélangez du propriétaire et du Libre !
Luc : Oui.
Mag : Pourquoi ne pas faire que du Libre ?
Manu : Oui, oui ! Bravo. Objection en ton honneur, faites tout en Libre.
Luc : Il faut aller en parler aux actionnaires ! C’est clair. C’est aussi une des raisons pour lesquelles les licences non copyleft, qui n’ont pas cette obligation de reverser le code sous la même licence, c’est-à-dire qu’on peut très bien prendre un code libre, le modifier et le republier sous forme propriétaire, tout prendre.
Manu : C’est ce que Apple adore, notamment avec les licences Apache ou BSD [Berkeley Software Distribution License], avec lesquelles ils peuvent faire ça.
Luc : Il y a plein de sociétés qui aiment bien ça parce que c’est beaucoup moins engageant et dans leur logique où elles veulent rester maîtres de leur truc et mettre du propriétaire partout, elles sont plus sereines avec ce genre de licence en se disant « comme on a le droit de faire tout ce qu’on veut en aval, en termes de modifications, on est vachement plus tranquilles. »
Manu : Tout ça ce sont des discussions d’avocats, c’est obscur et compliqué. Je ne sais pas si on va en retirer grand-chose.
Luc : Si : la vie serait beaucoup plus simple si tout était libre.
Mag : Oui, évidemment !
Manu : Je trouve que c’est une super bonne conclusion.
Luc : On se retrouve la semaine prochaine.
Mag : Salut.
Manu : À la semaine prochaine. Salut.