- Titre :
- Le modèle associatif est-il soluble dans la #StartUp Nation ?
- Intervenant :
- Pierre-Yves Gosset - Framasoft
- Lieu :
- Ethics by Design 2020
- Date :
- 12 octobre 2020
- Durée :
- 8 min 49
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- Licence de la transcription :
- Verbatim
- Illustration :
- capture d’écran de la vidéo dont la licence est Creative Commons Attribution - Partage dans les mêmes conditions
- NB :
- transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l’April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.
Transcription
Je suis Pierre-Yves Gosset. Je suis codirecteur et délégué général d’une association qui s’appelle Framasoft [1].
Je suis venu parler un petit peu de comment est-ce que le modèle associatif peut être une forme de résistance au modèle qui nous est bien vendu aujourd’hui qui est celui de la startup nation avec cette idée que, finalement, en mettant en place un certain nombre de mécanismes de résilience, on peut proposer un autre modèle de société à la fois à l’ensemble de la société et un autre modèle d’organisation et de structuration interne typiquement pour des projets associatifs.
Framasoft est une association d’éducation populaire aux enjeux du numérique. Ça veut dire qu’on est un petit groupe de personnes, on est 35 adhérentes et adhérents, et on essaye de travailler l’esprit critique aux enjeux du numérique et à la place que le numérique prend dans nos vies. On est essentiellement connus ces dernières années pour avoir fait une campagne qui s’appelle « Dégooglisons Internet » [2], qui visait justement à la fois à sensibiliser justement à la toxicité des GAFAM – Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft, etc. – et aussi à démontrer que le logiciel libre était une réponse à cette problématique en montrant que le logiciel libre pouvait être installé un peu partout par un peu n’importe qui et permettait de se réapproprier le numérique, sachant que justement les GAFAM essayent de nous mettre à distance du numérique. Ils essayent un petit peu de monter une espèce de mystification – quand on parle du cloud, c’est magique, etc. On voulait rendre les choses beaucoup moins magiques et beaucoup plus terre à terre et réexpliquer finalement ce qu’est qu’Internet, comment ça fonctionne, c’est quoi la plomberie qu’il y a derrière. Et les logiciels qu’est-ce que c’est, qu’est-ce que c’est qu’un algorithme. On essaye de travailler un petit peu ces questions-là.
Une des problématiques principales, une des sources du problème, c’est le modèle « croisssanciste » dans lequel on est où on crée de l’emploi pour avoir des salaires, pour consommer, pour faire vivre des entreprises qui elles-mêmes vont recréer de l’emploi, etc. C’est un modèle qui a plutôt bien fonctionné et qui, pour être tout à fait franc, a permis à un certain nombre de personnes de sortir de la misère, mais c’est un modèle qui a complètement éludé un pan quand même relativement important de la question : c’est un modèle qui est extractiviste, qui va prendre des ressources sans se poser la question de quelle est la quantité de ces ressources et de ce qu’on fera quand il n’y en aura plus.
À Framasoft, ce qu’on essaye de faire, c’est de sortir de cette société de consommation pour essayer de proposer un modèle qu’on appelle la société de contribution. C’est à la fois travailler des objets numériques, concrètement on développe des logiciels, on en propose au grand public, mais c’est aussi dans notre propre organisation, dans notre propre structure, dans notre propre association : comment est-ce qu’on peut résister à ce modèle « croissanciste » ?, typiquement en plafonnant le nombre d’embauches ou ce genre de chose. Donc on réfléchit, c’est quelque chose de relativement récent, à notre propre compostabilité en tant que structure : qu’est-ce qui restera de nous quand cette structure disparaîtra, parce qu’elle va disparaître, parce que rien n’est permanent en ce bas monde.
Pourquoi est-ce qu’on développe des logiciels ? Au départ on n’en développait pas, on ne voulait pas du tout devenir éditeur de logiciels, on était vraiment dans l’idée d’être une association d’éducation populaire, donc de travailler finalement cette matière informatique, numérique, dans la société pour essayer de vulgariser un certain nombre de choses auprès du plus large public qui s’en emparera ou pas.
Petit à petit on s’est aperçu qu’il y avait des manques, il y a des chaînons manquants au niveau du numérique libre, notamment, par exemple, il n’y avait pas d’alternative à YouTube. On pouvait faire son petit YouTube chez soi, mais il ne pouvait pas discuter avec d’autres. Donc on a créé typiquement un logiciel qui s’appelle PeerTube [3] qui est une alternative, pas un concurrent, une alternative à YouTube. Sa particularité est que tout un chacun peut s’installer PeerTube, mettre ses vidéos dessus et se mettre en relation avec d’autres personnes qui ont installé PeerTube de façon à ce que sur sa petite installation PeerTube on puisse avoir accès non pas à 5, 10 ou 100 vidéos mais aujourd’hui à 400 000 vidéos et de façon à ce que l’on puisse se partager de l’information, découvrir d’autres vidéos, etc.
On est en train de développer un autre logiciel qui s’appelle Mobilizon [4], qui sortira là au mois d’octobre. Mobilizon est un logiciel qui se veut être une alternative aux pages, aux groupes et aux événements Facebook de façon à ce que des mouvements, notamment militants, puissent s’organiser en dehors de Facebook, je pense notamment au mouvement des Gilets jaunes. Ils se retrouvent dans des groupes privés sous leurs vrais prénoms, leurs vrais noms, et ça me catastrophe totalement parce que si on veut être un contre-pouvoir il faut, à un moment donné, pouvoir potentiellement utiliser du pseudonymat. Mobilizon permettra d’utiliser différentes identités, autorisera à ne pas utiliser son véritable prénom, son véritable nom, parce que ce n’est pas la même chose si vous allez à la crémaillère de votre cousine ou si vous allez manifester avec les Gilets jaunes. Il nous faut des outils d’organisation militante qui aujourd’hui n’existent pas, donc on s’est dit « OK on va le faire ».
Pourquoi être sous forme associative plutôt que, finalement, être devenue une entreprise ? On nous a souvent posé la question et on se l’est posée nous-mêmes. On aurait très bien pu devenir une coopérative ou une société coopérative d’intérêt collectif. Après réflexion on a refusé de faire ce choix pour deux raisons.
La première raison c’est que la loi de 1901 nous parait être une loi absolument merveilleuse, elle est très courte, elle est lisible, plus de 120 ans après elle reste parfaitement lisible et elle permet une liberté qui est folle et que d’autres pays nous envient.
La deuxième raison qui est corrélée à la première c’est que si, à chaque fois qu’on a un projet associatif qui marche, on monte une entreprise, on ringardise les mouvements associatifs. Il nous paraissait extrêmement important de défendre ces mouvements associatifs et de dire que, finalement, le succès ne doit pas être réservé qu’aux entreprises. Je comprends tout à fait qu’il y ait des gens qui ont envie de faire de l’argent, c’est tout à fait logique, je ne vais cracher sur eux. Par contre, on peut aussi avoir du succès en restant sur un modèle qui est celui d’un modèle non lucratif. Le fait de vouloir être une association était pour nous quelque chose qui permettait de résister à la ringardisation des associations qui sont aujourd’hui l’un des principaux contre-pouvoirs au modèle à la fois étatique et entrepreneurial.
À Framasoft, comme je le disais, la problématique c’est qu’on n’essaye pas de croître verticalement, on a plutôt la volonté d’essaimer horizontalement. C’est pour ça qu’on a impulsé un Collectif dont l’acronyme est CHATONS [5] qui veut dire Collectif des Hébergeurs Alternatifs Transparents Ouverts Neutres et Solidaires. L’idée c’est non pas de créer des clones de Framasoft, mais plutôt de donner l’envie et l’impulsion à des gens, puisqu’à la base ce sont des gens qui se réunissent dans des structures, la plupart du temps ce sont des associations mais ça peut être des entreprises, pour proposer des services soit sous forme thématique, soit sous forme d’un territoire donné. On va trouver des chatons qui fournissent plutôt des services par exemple aux coopératives ; on va trouver des chatons qui fournissent plutôt des services sur la région nantaise, etc. Aujourd’hui, parmi ces 70 structures que compte le Collectif, il y a un peu tout comme offre, ce qui est plutôt compliqué à identifier pour les utilisateurs, mais ça permet d’avoir une vraie résilience en cas de difficulté et en cas de crise, avec des gens qui, finalement, auront appris comment est-ce qu’on gère, comment est-ce qu’on devient hébergeur, comment est-ce qu’on devient un tout petit fournisseur de service. On pense que c’est là que se situe l’espoir par rapport au numérique.