Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Étienne Gonnu : Bonjour à toutes, bonjour à tous dans Libre à vous !. C’est le moment que vous avez choisi pour vous offrir une heure trente d’informations et d’échanges sur les libertés informatiques et également de la musique libre.
La gestion électronique de documents avec des logiciels libres, un sujet proposé par Laurent Costy, avec Jérémie Lesage de la société Jeci et Vincent Calame. Ce sera le sujet principal de l’émission du jour. Également au programme, « La maltraitance numérique » dans « Que libérer d’autre que du logiciel », une chronique proposée par Antanak. Et, en fin d’émission, « La flemme du paramétrage des données privées ».
Nous allons parler de tout cela dans l’émission du jour.
Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission qui vous raconte les libertés informatiques, proposée par l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Je suis Étienne Gonnu, chargé de mission affaires publiques pour l’April.
Le site web de l’émission est libreavous.org. Vous pouvez y trouver une page consacrée à l’émission du jour avec tous les liens et références utiles et également les moyens de nous contacter. N’hésitez pas à nous faire des retours ou à nous poser toute question.
Nous sommes mardi 10 décembre 2024, nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.
À la réalisation de l’émission, mon collègue Frédéric Couchet. Salut Fred.
Frédéric Couchet : Salut. Bonne émission à vous.
Étienne Gonnu : Merci. Nous vous souhaitons une excellente écoute.
[Jingle]
Chronique « Que libérer d’autre que du logiciel » d’Antanak – « La maltraitance numérique »
Étienne Gonnu : Avant de passer la parole à Isabelle, d’Antanak, pour la première chronique, j’ai un petit quiz pour vous, fidèles auditeurices : qui nous propose la dernière chronique ? Je vous rappelle le titre « La flemme du paramétrage des données privées ». Si vous écoutez en direct, je vous propose de venir partager votre réponse sur le salon web de l’émission, accessible depuis le site causecommune.fm. La première personne à répondre gagnera des bisous radiophoniques. On se retrouve en fin d’émission pour la réponse.
Il est grand temps de laisser la parole à Isabelle pour sa chronique « Que libérer d’autre que du logiciel » sur le thème de « La maltraitance numérique ».
Salut Isabelle.
Isabelle Carrère : Salut. Merci. Étienne, bonjour à tous et toutes.
Je voulais parler aujourd’hui de ce sujet qui est, sans doute, relié à des émotions qu’on partage tous et toutes plus ou moins. Je voudrais évoquer ça la maltraitance numérique, pas celle des administrations vis-à-vis des citoyens/citoyennes, non, je vous ai déjà beaucoup parlé de celle-là, plusieurs fois, et vous savez combien on constate quotidiennement, à Antanak, comment les personnes sont perdues face à des guichets virtuels, sans contact avec d’autres, sur un souci qu’elles rencontrent ; comment les institutions envoient de plus en plus d’injonctions à tout traiter sur des plateformes, des courriels, des applications plus ou moins bien faites. Non, ce n’est pas de cette maltraitance-là que je vais reparler aujourd’hui, même si ces constats, vous le voyez bien, me taraudent, nous minent et nous révoltent à Antanak. Non ! Je ne vais pas non plus vous parler de la maltraitance sur les réseaux sociaux, les harcèlements, les insultes, les commérages et autres réactions sans penser, mais sous le coup d’une émotion rapidement mise en avant, sans réflexion. D’ailleurs, je serais bien mal placée pour parler des réseaux sociaux, moi qui ne suis ni une adepte ni une suiveuse, moi qui ne vais jamais sur l’une ou l’autre de ces plateformes à la main des grands GAMAM. On en parlait tout à l’heure, en off, avant le début de l’émission, mais oui, j’ai bien dit GAMAM et non plus GAFAM, parce que, en fait, le « F » de face de bouc ne suffit pas, pour moi, à parler de Meta. Parce que Meta, c’est, certes, face de bouc, mais c’est aussi Messenger, Instagram, etc., qui sont quand même la même affaire. Après, il y en a qui n’aiment pas, qui ne sont pas d’accord avec ce changement d’habitude. GAFAM, ça sonnait bien, tout le monde commençait à savoir de quoi on parlait. GAMAM, ça marche aussi, non ?
En tout cas, ce dont je voulais vous parler ici, c’est d’une maltraitance numérique plus insidieuse, moins discutée, moins évoquée, et pourtant !
Des personnes veulent se parler et discuter facilement entre elles, échanger des propos, des projets, des actions ou juste des trucs de tous les jours dans une vie d’association, par exemple, une famille élargie, un groupe de potes qui font de la varappe, chantent en chorale ou que sais-je, tant d’exemples. Et là, c’est le début d’une affaire infernale. Que choisir ?
Est-ce que les courriels suffisent ? Du coup, on aborde la question des façons d’utiliser ces courriels. Je ne parle pas uniquement des gens qui ne savent pas trop bien la différence entre « répondre » et « répondre à tous/toutes », quoique, là, ce soit déjà un problème. Il y a des personnes qui, systématiquement, répondent à un mail précédent et ne tiennent pas compte du tout dernier. Du coup, on ne sait pas si elles ont reçu ce dernier, si elles l’ont lu ou si elles veulent squizer la personne. On n’apprend pas encore tout ça à l’école. Si ? Je ne sais pas. En fait, peut-être que des instituteurices enseignent des choses là-dessus, ou des profs en collège, peut-être savez-vous ça.
Et puis, c’est incroyable, mais, souvent, il y a des adresses courriel, donc, derrière, des personnes qui disparaissent d’une liste de diffusion, d’une liste de discussion, et là ça peut devenir violent et la paranoïa n’est souvent pas loin : « J’ai été exclu. On m’a viré. »
Il y a aussi les histoires de spam, d’indésirables. Pourquoi ne m’a-t-elle pas répondu ? Elle m’a mis dans ses indésirables.
En plus, on constate aussi que des fournisseurs de boîtes mail se laissent aller à des pratiques bizarres de confiscation : des messages envoyés d’une boîte Yahoo qui n’arrivent plus à laposte.net pendant deux jours, puis ça revient, et tu ne sais pas pourquoi.
Toi qui as choisi de ne pas utiliser une adresse chez un fournisseur que tu exècres, par exemple, tu n’utilises jamais Google, eh bien si une de tes grandes amies utilise Gmail, que fais-tu ? Tu la boudes ? Du coup plus d’échanges de courriels avec elle ? Du coup, tes données sont potentiellement, malgré tout, prises en charge là où tu ne voulais pas aller. Donc, de fait, on choisit pour toi !
En tout cas, l’impression qui en ressort, c’est que ce n’est pas tout à fait aussi génial que ça en a l’air. Tout va à peu près bien tant que tu es dans une relation bijective, mais dès que tu dépasses deux, tu commences à prendre des risques.
Peu ou prou, tu te sens régulièrement maltraité. Selon que les apprentissages et les habitudes ont été développées dans un cadre professionnel ou uniquement personnel, administratif, amical ou familial, les pratiques sont assez différentes et les acceptabilités aussi. Ces façons de faire sont-elles toujours le reflet de la personne, de son rapport aux autres ? Je ne saurais pas le dire !
Les courriels ne sont donc pas adaptés à la situation, aux besoins d’un collectif, même petit. Voyons du côté des applications prévues pour discuter à plusieurs. Alors là, c’est plus compliqué encore ! Pourquoi Telegram plus que Signal, mais pourquoi WhatsApp plus que Snapchat ? Quel support sera le plus adapté ? D’ailleurs, quels sont les critères de choix ? Combien de personnes se penchent sur la question avant d’accepter d’être dans telle ou telle boucle ? Je ne sais pas vous, mais nous, à Antanak, on constate que les gens ne réfléchissent pas, ils acceptent, ils y vont, c’est comme si c’était une pratique magique, ou ils n’acceptent pas. J’ai l’impression que ce n’est vraiment pas souvent le cas et que les gens acceptent rapidement la proposition d’une personne avec laquelle le lien est fort ou d’un groupe dont on ne veut pas être exclu. Du coup, là, le critère, c’est plutôt l’affect, faire comme, faire groupe, ne pas dire non.
Et si on avait d’autres critères, ça serait quoi ? La confidentialité des échanges ? Ne rêvons pas ! Le coût ? Les fonctionnalités, ? Les conditions d’utilisation ? Les difficultés ? La compatibilité avec les outils qu’on a déjà ? Les noms, les pratiques, les principes de ceux qui l’ont développé, genre du Libre, de l’open source, du propriétaire ? Les lieux d’hébergement des plateformes, où est-ce qu’elles sont ? Les types de groupes qui y sont déjà ? On n’a pas fini !
Rapidement, on s’aperçoit que plusieurs plateformes ont voulu, comme souvent les GAMAM donc, conserver les gens dans un même univers, les entourer tellement qu’ils ne s’échappent plus, ils ne vont plus aller chercher quoi que ce soit ailleurs, ils sont comme des prisonniers/prisonnières. La recette, c’est essayer de répondre à tous les besoins, y compris ceux qu’on crée pour cela. Donc, à la fois, on téléphone gratuitement. On écrit très vite, rapidement, dans le format chat, où le plus important, en fait, c’est d’écrire, de lancer un truc, même si personne ne répond, même si ce n’est pas hyper-intéressant ni fondamental, on y va ; pouvoir conserver, supprimer des échanges selon l’humeur du jour ; joindre des photos, des textes, bref !, j’en passe. Tout le monde rajoute des fonctionnalités pour que tout cela fonctionne sur un ordinateur, mais, plus généralement, sur un ordiphone, pour avoir toujours ça avec soi où qu’on soit.
Sans doute que cela reformate – pardonnez-moi l’utilisation de ce terme –, mais ça modifie les relations, de fait. Tu y es ou tu n’y es pas.
Et puis, il y a un propriétaire du nouveau groupe. Non, pardon ! On l’appelle administrateur, pas administratrice, d’ailleurs, vous avez remarqué ?, administrateur, il n’est pas toujours propriétaire, mais c’est comme si. Bon ! Il y a quand même une personne qui invite, qui peut virer, qui peut accepter les présences. Comme un délégué ? Comme un président ? On ne sait pas !
Pour ma part, je suis assez stupéfaite de constater comment ces généralités sont désormais inscrites chez chacun, chacune, tout âge, toutes cultures.
On n’est donc pas à l’abri de la maltraitance sur ces applications, la première des maltraitances étant d’être comme obligé d’y être.
Ma question du jour, et je vais terminer là-dessus : est-ce que c’est le numérique qui induit ces maltraitances ?, du fait des distances, des valeurs qui président, la rapidité, la soi-disant modernité, etc. Ou bien est-ce qu’elles sont juste plus visibles, plus souvent présentes dans les relations, moins traduites en général dans les échanges ? Mais comment s’en libérer alors ?
Allez, c’est à vous d’y penser ! À bientôt.
Étienne Gonnu : Merci, Isabelle. Merci de nous aider à gratter le vernis avec ces questions-là qui sont hyper-importantes.
Je vais juste relayer une réflexion de Marie-Odile, une prof à la retraite, qui dit : « La vieille prof que je suis enseignait l’utilisation de la messagerie en quatrième, il y a bien longtemps, je ne sais pas ce qu’il en est maintenant. »
Isabelle Carrère : Super.
Étienne Gonnu : Et puis GAFAM, GAMAM , je pense que tes arguments sont effectivement pertinents, mais le poids des usages et des habitudes !
En tout cas, merci Isabelle. Je te dis à 2025 pour de nouvelles chroniques.
Isabelle Carrère : Absolument. Terminez bien, tous, toutes, l’année, avec joie si possible.
Étienne Gonnu : Avec joie si possible, c’est toujours mieux.
Nous allons faire une pause musicale.
[Virgule musicale]
Étienne Gonnu : Après la pause musicale, nous parlerons de la gestion électronique de documents sous le doux acronyme de GED.
Avant cela, nous allons écouter In the Dark par Two Bullets For The Devil. On se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
Pause musicale : In the Dark par In the Dark par Two Bullets For The Devil.
Voix off : Cause commune, 93.1.
Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter In the Dark par Two Bullets For The Devil, disponible sous licence Creative Commons Partage dans les mêmes conditions, CC By SA.
[Jingle]
Étienne Gonnu : Nous allons passer maintenant à notre sujet principal.
[Virgule musicale]
La gestion électronique de documents avec des logiciels libres
Étienne Gonnu : Nous allons poursuivre par notre sujet principal qui porte sur la gestion électronique de documents avec du logiciel libre, un sujet proposé et animé par Laurent Costy.
N’hésitez pas à participer à votre conversation au 09 72 55 51 46 ou sur le salon web dédié à l’émission, sur le site causecommune.fm, bouton « chat ». Toutes les références qu’on citera seront rendues disponibles sur la page consacrée à l’émission, sur libreavous.org/229.
Je dis donc bonjour et merci à Laurent pour ce nouveau sujet et je te laisse le micro.
Laurent Costy : Bonjour Étienne. Merci beaucoup.
J’ai un peu innové pour l’émission. D’habitude, je passe du temps pour préparer tout ça, mais là, en fait, j’ai confié la rédaction de l’introduction à Vincent Calame qui, après, passera aussi du côté des personnes qui nous apprendront des choses sur la GED. J’en fais donc de moins en moins et je trouve ça extrêmement intéressant.
Je te passe donc la parole pour l’introduction, Vincent.
Vincent Calame : Merci.
Comme Libre à vous ! est une émission grand public et que le but n’est pas de perdre celles et ceux qui nous écoutent dès les premières minutes de l’émission, je me propose de définir la gestion électronique de documents, autrement dit la GED, à partir de notre pratique quotidienne de l’informatique. Car, oui, je vous l’annonce, Mesdames, Messieurs, pour peu que vous utilisiez un ordinateur, vous faites de la gestion électronique de documents sans le savoir. En effet, que faites-vous quand vous enregistrez un fichier ? Vous lui donnez un nom et vous le placez dans votre arborescence de dossiers. Par ailleurs, votre logiciel lui attribue automatiquement une extension, désignant son type – si c’est un classeur ou un texte, par exemple –, et le système lui attribue une date de création et de dernière modification.
Vous voyez que par ce geste anodin, enregistrer un document, pas moins de cinq informations lui sont attribuées. Ces informations, c’est ce que nous appelons des « métadonnées » ; retenez bien le terme, parce que je pense que nous allons l’utiliser souvent dans cette émission. Une métadonnée, c’est une donnée qui décrit une donnée, autrement dit, dans notre cas, c’est une information qui décrit votre document. Un des objectifs de ces métadonnées, c’est de retrouver un document.
D’ailleurs, n’avez-vous pas remarqué qu’il est souvent plus facile de retrouver un document en pièce jointe dans vos courriels qu’un document dans votre disque dur ? L’explication est simple. Un document en pièce jointe a, de manière automatique, plus d’informations qui lui sont rattachées : il y a le nom de l’expéditeur, le titre du courriel, le texte même du courriel où votre correspondant a probablement décrit le contenu du document qu’il vous a transmis. Tout cela augmente les chances de le retrouver.
Maintenant, attention ! Gardez votre expérience personnelle en tête, souvenez-vous de toutes les fois où vous avez galéré pour retrouver un document dont vous connaissiez l’existence, mais dont vous ne vous souveniez plus du nom et du dossier où vous l’aviez rangé. Hop ! Maintenant, changez d’échelle et imaginez tout cela au niveau d’un collectif, d’une entreprise, d’une association ou d’une collectivité locale. Vous y êtes ? Vous imaginez bien le désordre, pour rester poli, que cela peut être et le temps perdu à retrouver des documents.
Voilà, ça y est. Je pense que vous avez une idée des enjeux de la gestion électronique de documents.
Laurent Costy : Merci beaucoup Vincent. Pendant que tu passes au-dessus de la table pour aller du côté des invités, j’en profite pour présenter notre deuxième invité, Jérémie Lesage, qui représente la société Jeci, et qui va nous parler d’un logiciel libre de gestion de documents qui s’appelle Pristy.
On va d’abord te demander de te présenter et Vincent expliquera pourquoi il est côté invités aujourd’hui. Jérémie.
Jérémie Lesage : Bonjour. Je me présente. Je suis Jérémie Lesage, fondateur de la société Jeci et également l’éditeur du logiciel qu’on appelle Pristy, un logiciel de gestion électronique de documents entièrement libre.
Laurent Costy : Très bien. Merci.
Vincent, toi aussi, finalement, tu baignes dans la GED, d’où cette introduction que j’ai trouvée merveilleuse.
Vincent Calame : Tout à fait. Je conçois du code de logiciels libres et, depuis 2002, mon principal logiciel est effectivement un logiciel de gestion de documents qui s’appelle BDF, pour Base de Fiches, que j’ai commencé un peu comme un logiciel métier en travaillant avec la Fondation Charles Léopold Mayer pour le progrès de l’Homme et qui, petit à petit, a été travaillé pour devenir plus générique.
Laurent Costy : Donc, si je résume, toi, finalement, c’est par un besoin interne que tu as commencé à développer quelque chose. Est-ce que Pristy, c’est la même logique ? Est-ce que ça été identifié comme un besoin pour des entreprises, pour des collectivités ?
Jérémie Lesage : Pristy est un logiciel de GED générique, c’est-à-dire qu’il veut répondre à un maximum de besoins, qu’il va correspondre à toutes les entreprises, toutes les structures, publiques ou privées. Nous avons une approche, justement, d’avoir des interfaces spécialisées plutôt métiers, plus orientées vers les utilisateurs, pour rendre la chose moins technique.
Laurent Costy : Très bien.
Vincent, de ton côté, finalement, tu as répondu à un usage interne et est-ce que, après, ça s’est ouvert vers d’autres structures ?
Vincent Calame : Oui, c’était le but, sachant que ce n’est pas totalement évident, parce que, justement, quand ça répond à une logique initiale, ça ne s’adapte pas forcément à tous les besoins de tout le monde. Ce qui est intéressant dans cette idée de rendre ça générique, c’est qu’on l’utilise également pour faire des sites de ressources documentaires et j’ai également, comme autre client, une autre fondation. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard, si ce sont deux fondations : elles ont les mêmes besoins, les mêmes exigences et elles ont des sous, elles ont un budget pour financer ça et, surtout, elles ont des exigences de rapports, de comptes-rendus, beaucoup plus fortes que ne peuvent l’avoir une simple association.
Laurent Costy : Très bien, merci. Du coup, je vais vous poser une question qui n’était pas prévue, attention. Finalement, la licence libre vous a-t-elle facilité la circulation du logiciel ? Vous a-t-elle facilité le déploiement auprès de partenaires, auprès de clients ? Jérémie.
Jérémie Lesage : En fait, ça nous a permis de le construire. On prend le meilleur d’autres logiciels libres, on les assemble et, après, on construit par-dessus. Ça nous a permis de produire un logiciel de manière très rapide en recyclant, en réutilisant ce qu’ont fait d’autres personnes. C’est là, pour nous, l’intérêt du logiciel libre.
Laurent Costy : Du coup, quelle est la brique initiale pour Pristy ?
Jérémie Lesage : Le moteur principal, c’est Alfresco, qui est aussi un logiciel libre. On a gardé le moteur, mais il y a aussi une base de données que tout le monde connaît, PostgreSQL, et on peut trouver un moteur de recherche qui s’appelle Solr. C’est donc un assemblage de briques, très technique, et nous essayons de masquer tout cela derrière une interface simplifiée.
Laurent Costy : C’est ça. Il faut que l’utilisateur n’ait absolument pas la vision de tout ce qu’il y a derrière, c’est ce qui rend le logiciel très utilisable. Je ne sais pas si on peut aborder la technique côté BDF, Vincent ?
Vincent Calame : Oui, même chose. Comme Jérémie, c’était naturel. J’ai pu développer ça parce qu’il y avait du logiciel libre et des bibliothèques libres qui étaient disponibles. Je n’imagine pas développer ça sans logiciel libre. Ça me semblait tout naturel de continuer là-dessus. D’ailleurs, je suis venu à la militance dans le logiciel libre, de manière générale, par mon expérience de codeur : j’avais envie de rendre un petit peu tout ce que j’avais pu gagner grâce au logiciel libre.
Laurent Costy : Oui, dans un premier temps, on utilise, on découvre et, après, ça semble logique, naturel, de renvoyer à la communauté ce qu’on a amélioré, ce qu’on a développé.
Vincent Calame : Complètement, ne pas être un parasite.
Laurent Costy : On en connaît ? On ne va pas citer de noms ! [Rires]
Déjà merci pour cette entrée en matière.
Vincent, tu as un peu expliqué comment tu es arrivé par le logiciel libre. Jérémie, de ton côté ?
Jérémie Lesage : J’ai commencé assez jeune. J’ai bidouillé l’ordinateur de la maison quand j’étais petit et j’ai été formé par le LUG de Caen, Calvix, le groupe des utilisateurs de GNU/Linux. Je n’habite plus Caen, malheureusement, depuis plusieurs années. C’est grâce à ce que les gens, qui faisaient partie de cette association-là, m’ont donné que j’ai pu progresser très vite, apprendre et, pour moi, c’est une valeur essentielle. On est obligé de partager son savoir ; le garder, ce n’est pas le faire progresser. Donc, l’entreprise que je pousse, c’est dans l’esprit de partage, mais on fait aussi de l’argent, on est là aussi pour faire progresser notre affaire, mais pas aux dépens des autres.
Laurent Costy : Existe-t-il encore le groupe d’utilisateurs de logiciels libres à Caen ?
Jérémie Lesage : À priori, il existe encore. Maintenant, j’habite Dijon.
Laurent Costy : On va les saluer quand même, ce n’est pas grave !
Jérémie Lesage : Oui. Je garde un très bon souvenir de Calvix.
Étienne Gonnu : Je me permets de signaler que je vais vérifier sur agendadulibre.org, je fais un peu de pub pour cet outil qui permet de lister toutes les associations locales du logiciel libre partout en France, sur lequel on peut les retrouver. Je vais vérifier si elle existe toujours à Caen. Je referme cette petite parenthèse.
Laurent Costy : Je reviens sur une des briques initiales, puisque tout à l’heure, Jérémie, tu en as cité plusieurs, Alfresco. Y a-t-il un retour aussi vers cette communauté-là, quand vous développez Pristy ? Y a-t-il des échanges ? Cela s’articule-t-il, finalement, comme une forme de partenariat, une forme de travail en commun ?
Jérémie Lesage : Avec Alfresco, on a vu un problème. C’est une entreprise qui a été rachetée par une entreprise américaine et, depuis le rachat, le côté libre est devenu secondaire. Nous rendons nos développements compatibles, nous pouvons travailler, nous ne sommes pas en concurrence aujourd’hui, nous pouvons utiliser nos outils avec Alfresco. Mais c’est vrai qu’il n’y a pas d’échanges communautaires, il n’y a pas vraiment d’ambition, de cette entreprise-là, de développer un vrai esprit logiciel libre comme on pourrait le voir avec d’autres produits.
Nous sommes donc à côté. On suit, on est un petit peu le petit poisson qui suit la grosse baleine, on profite un peu de l’écosystème qui a été créé et de cette image-là.
Laurent Costy : Très bien. Et toi, Vincent, comment cela se passe avec les communautés des briques logicielles libres que tu utilises ?
Vincent Calame : De ce côté-là, je dois avouer que je ne participe pas du tout, c’est parfois à un niveau qui me dépasserait. Je n’utilise que 10 % des fonctionnalités qu’ils me proposent et je ne participe pas activement à ces communautés-là. Je dois avouer que l’expérience a montré que lorsque je veux utiliser des briques un peu trop innovantes, ça pose problème : c’est innovant sur le moment et puis ce n’est pas maintenu, on se rend compte que ça ne marche pas. Donc, en général, je prends des choses qui ont cinq ans d’âge comme briques logicielles, parce que c’est plus sûr. Du coup, effectivement, je ne suis pas très dynamique dans l’innovation des outils. Le logiciel se base sur Tomcat, un serveur d’applications Java, j’en suis à la version 8 et je vois qu’on est déjà à la 11, mais je vérifie que c’est compatible !
Laurent Costy : OK ! On sait que, par ailleurs, tu contribues au logiciel libre en en faisant beaucoup la promotion à la radio, par exemple. Tu es donc rattrapé !
Parlez-moi un peu des structures qui portent le projet, le statut de la structure, quelle équipe s’il y en a une. Jérémie
Jérémie Lesage : Dans l’entreprise que j’ai créée, Jeci, on développe entièrement le produit. On a quelques contributions externes pour nous dire qu’il y a des petits bugs, mais ça reste encore très minime. Notre produit a trois ans, on n’a donc pas eu le temps de développer une vraie communauté. Cependant, on travaille beaucoup – on en parlera tout à l’heure – avec les collectivités publiques et, elles, sont demandeuses de créer une communauté d’utilisateurs, même d’ouvrir la capacité de contribuer. Nous sommes tout à fait preneurs. Après, il faut respecter des règles pour que les développements des autres s’intègrent dans le nôtre, mais c’est notre ambition.
Laurent Costy : OK. En faire un commun numérique réellement. Je fais une petite parenthèse. À ma petite échelle, j’ai constaté, que quand le logiciel part d’une structure, pour, après, essayer de s’émanciper, la question de la communauté n’a pas forcément été pensée en amont. Du coup, ce développement de la communauté est un réel enjeu pour que le logiciel devienne un vrai commun numérique avec, justement, une communauté d’utilisateurs, de développeurs, etc.
Vincent ?
Vincent Calame : Ce n’est pas terrible. Au niveau du codage, c’est une communauté d’homme blanc, occidental, de plus de 50 ans ; on peut dire que je suis tout seul dedans ! Je n’ai pas une grande diversité. Il y a plein de raisons. Il y a aussi le fait que les destinataires du logiciel ne sont pas forcément ceux qui sont les plus actifs dans le monde du Libre. Pour l’instant, j’ai très peu de contributions en termes de code. Par contre, j’ai l’avantage, dans cette structure, d’être en contact direct avec les gens qui l’utilisent, je n’ai pas de filtre et, là, j’ai énormément de retours directs de développements possibles. C’est très agréable. Je suis en discussion directe avec ceux qui l’utilisent.
Laurent Costy : Tu m’as dit que tu es aussi en lien avec une documentaliste.
Vincent Calame : Oui, qui m’aide sur certains projets, parfois avec certains clients. Par contre, c’est bien d’être en contact direct. Et, justement, elle a cette fonction de discussion avec un client pour monter une base de données.
Laurent Costy : Merci. Jérémie, tu voulais compléter.
Jérémie Lesage : C’est vrai qu’on développe tous les deux un logiciel qui est à destination des entreprises, donc, on ne va pas créer une communauté d’individus. Ce n’est pas comme un produit genre Nextcloud que les gens vont pouvoir installer chez eux et se sentir un petit peu propriétaires du produit. Si nous devons créer une communauté, ce sera avec d’autres entreprises, avec des développeurs salariés, c’est donc plus difficile à développer, c’est moins naturel, c’est moins spontané, il faut le structurer. C’est pour cela qu’on n’a pas une communauté qui se développe naturellement autour de ce genre de produit.
Laurent Costy : D’accord. L’État tente ce genre de chose. Je pense qu’au niveau de la DINUM, la Direction interministérielle du numérique, des choses se passent quand même, me semble-t-il, pour, justement, mettre en lien les gens qui développent pour l’État. Il y a des initiatives pour essayer de mettre en lien les développeurs qui travaillent justement pour l’État, qui développent des logiciels libres. À un moment donné, il y a bien une pertinence et un intérêt à essayer de les mettre en lien. Par contre, il y a effectivement des moyens pour réussir à faire aboutir ça et ce n’est pas simple ; c’est du temps, des moyens et des gens pour pouvoir mettre en lien, finalement animer une communauté. C’est aussi un vrai métier.
Jérémie Lesage : La différence, c’est qu’on ne va pas attirer de bénévolat sur ce genre de produit vu qu’il est fait pour les entreprises. Personne ne va vouloir passer ses dimanches pour développer le projet. Donc, même la DINUM va financer des développeurs.
Laurent Costy : C’est un bel éclairage. Je trouve intéressant d’avoir ces différents éclairages.
Étienne Gonnu : Je peux juste dire qu’on avait reçu la DINUM qui avait notamment parlé de ce sujet-là, la communauté Blue Hats des différents développeurs et développeuses de logiciels au sein de l’administration publique. C’est l’émission 177, si vous voulez en apprendre plus.
Laurent Costy : Combien êtes-vous dans la société Jeci ?
Jérémie Lesage : Aujourd’hui, nous sommes quatre dans la société. On a dû, malheureusement, réduire un petit peu la voilure, mais, normalement, la croissance devrait reprendre l’année prochaine, je l’espère. Quatre, c’est un peu juste pour faire ce qu’on développe.
Laurent Costy : Avec des compétences essentiellement de développeurs ? Majoritairement ?
Jérémie Lesage : En gros, nous sommes trois ingénieurs pour la partie développement et on a Lucie qui fait plutôt office de Product Owner, cheffe de projet en langage informatique. C’est elle qui va définir un petit peu ce que les utilisateurs attendent et demander à ce que ce soit réalisé d’un point de vue technique. Ce qui est intéressant pour nous, c’est que, justement, c’est une personne qui n’est pas informaticienne à la base, qui va donc vraiment avoir une vision utilisatrice. C’est très important pour nous de ne pas avoir que des informaticiens dans l’équipe, sinon on produit des outils qui sont beaucoup trop techniques et que les gens n’apprécient pas.
Laurent Costy : Très bien, merci.
Rentrons un peu dans les structures qui utilisent respectivement le logiciel BDF et Pristy. Pouvez-vous un peu détailler, essayer de rendre un peu concret l’usage qui peut être fait du logiciel dans une structure. Vincent, tu commences ?
Vincent Calame : Au début, pour moi, c’est pour la Fondation Charles Léopold Mayer pour le progrès l’Homme et, là, c’est la question de la gestion de la mémoire interne, à la fois comptes-rendus de réunions, annuaires, archivage de l’ensemble, gestion de comptabilité analytique. On a donc construit progressivement, d’année en année, chaque fois on a rajouté une nouvelle chose qu’on mettait dans la base de données et qu’on mutualisait.
Je précise qu’on travaille au quotidien également avec un Nextcloud, mais, en fait, l’outil Fichothèque va servir sur toute la partie archivage. Nextcloud, pour moi, est pratique pour un travail au quotidien, pour la sauvegarde de ce que font les gens, et puis, ensuite, il y a la partie vraiment d’archivage et aussi de transmission.
Un point important, c’est que ça marche quand il y a aussi une volonté. Ce sont des logiciels destinés à des structures, structures dont la direction a la volonté d’avoir des archives, de faire un effort d’ailleurs inclus dans le contrat de travail des gens pour qu’ils mutualisent, qu’ils centralisent l’information. Toutes les structures, malheureusement, ne le font pas. On voudrait essayer de les convaincre de le faire, mais on s’aperçoit qu’il y a quand même beaucoup de structures qui laissent ça un peu au soin des disques durs qui traînent.
Il est important que la structure ait cette volonté initiale.
Je peux donner l’exemple de la deuxième fondation pour laquelle je travaille. En fait, c’est un cas classique. Ils avaient un tableur, puis, un jour, ils se sont rendu compte qu’avec un tableur on ne peut pas tout faire, il faut passer à l’étape au-dessus pour mieux stocker et mieux centraliser l’information, parce que tout traîne à droite et à gauche. Mais ça demande que la structure fasse cet effort, qui est aussi un effort de management. C’est vraiment là-dedans qu’il faut qu’on soit pour que ça marche, sinon on a les bonnes habitudes électroniques et, comme je le disais en introduction, tout traîne en pièces jointes, donc à quoi bon passer par ces interfaces compliquées, même si on essaye de les faire les plus simples possible, ce sera toujours moins habituel qu’un Google Drive ou je ne sais quoi.
Laurent Costy : Si je comprends bien, si on remonte dans les archives de la fondation, on peut retrouver le compte-rendu de l’instance de gouvernance qui a décidé qu’il fallait gérer ça de manière plus propre que précédemment ?
Vincent Calame : En tout cas, la première fiche de suivi date de 1986, on la retrouve dans la base de données.
Laurent Costy : Ah oui ! C’est une belle base de données. Du coup, on y retrouve à la fois des comptes-rendus, j’imagine qu’on y retrouve les suivis de projet de la fondation ?
Vincent Calame : Toutes les conventions avec les partenaires. En fait, c’est tout le bilan des financements donnés aux partenaires sur une très longue durée. Pour les conventions, ça, remonte à 2002. C’est l’ensemble des partenariats, les échanges avec un partenaire. Tout est là.
Laurent Costy : On pourrait comparer avec des structures qui n’auraient pas fait ce choix de penser la GED et de voir à quand remonte leur structuration de données. Ce serait sans doute beaucoup moins ancien, enfin, j’imagine. On pourrait retrouver des données mais ça risque d’être beaucoup plus éparse et beaucoup moins organisé.
Vincent Calame : On imagine le disque dur qu’on a tous, qu’on peut tous avoir dans un tiroir. C’est forcément quelque part dans un disque dur. Après, comment on cherche dedans, c’est une autre paire de manches !
Laurent Costy : OK, merci. Pour Pristy, si on devait rendre un peu concret pour les personnes qui nous écoutent. Un exemple concret avec une collectivité ?
Jérémie Lesage : C’est vrai qu’on peut déployer la solution partout. Récemment, on travaille avec des départements. Par exemple, le logiciel va servir à consulter des demandes d’assistance sociale ou des demandes d’agrément [pour devenir assistante maternelle, Note de l’intervenant]. Par exemple, si une personne a besoin d’aide sur un handicap, elle va faire la demande auprès du département. Il y a tout un dossier par individu qui est géré, qui va être stocké et regroupé dans la GED, en tout cas pour ces clients-là. Ça permet le contrôle des pièces, mais ça permet aussi de s’assurer que les pièces seront bien détruites quand on n’en aura plus besoin. Ça permet, éventuellement, de faire des contrôles à posteriori. Il y a donc des cas d’usage, comme ça, très concrets.
C’est vrai que la plupart des projets sont, de plus en plus, des dossiers de travail : j’ai une équipe, je veux travailler avec un ensemble de personnes sur des pièces communes, je vais créer un espace de travail conjoint, je vais inviter des personnes et je vais échanger, comme on pourrait le faire dans un drive américain. La différence, c’est que, là, on sait où sont les fichiers, on sait à quoi ils servent. Ils sont sur nos serveurs ou ceux des clients.
On a des usages assez divers : soit des usages vraiment bureautiques où ce sont les humains qui vont, dans le logiciel, créer du contenu, des rapports, des classeurs et compagnie, soit on va récupérer des données qui viennent d’autres logiciels. Par exemple, quand vous saisissez un formulaire en ligne, soit le formulaire finit dans une base de données, mais, parfois, il va finir en format PDF et ce document-là va créer un dossier. Votre dossier va être stocké quelque part dans la GED.
Laurent Costy : Qu’est-ce qu’apporte de plus Pristy que, par exemple, utiliser Nextcloud ? On pourrait se dire aussi que, dans Nextcloud, je peux partager mon dossier avec qui j’ai envie de travailler, je peux aller déposer toutes les pièces liées à un dossier. Qu’est-ce que ça apporte de plus ? De la métadonnée ? Beaucoup plus de métadonnées qui vont s’accumuler automatiquement ? Si tu peux réexpliquer, en passant, ce que sont les métadonnées, Vincent en a parlé dans l’introduction.
Jérémie Lesage : Une des grandes différences, là où on peut aller beaucoup plus loin avec Pristy qu’avec Nextcloud, c’est sur les métadonnées. Les métadonnées, c’est ce qui va donner de la valeur à la donnée, ce qui va l’enrichir. Si le fichier est tout seul, il faut l’ouvrir pour savoir ce que ce qu’il contient. En mettant des métadonnées, on va pouvoir décrire ce qu’il contient, savoir quel client est concerné, quelle personne est concernée. Et on peut, avec le moteur qui est derrière, Alfresco, définir des contraintes très fortes sur ces métadonnées. Ce n’est pas quelque chose de très fluide dans le sens où on ne peut pas définir des métadonnées à la volée, mais on va avoir une démarche de réflexion, en amont, en disant « j’ai tel type de document, je veux que tous les documents de ce même type aient des métadonnées similaires, comme cela je pourrai filtrer dessus. » Par exemple l’auteur, la métadonnée la plus classique, je vais pouvoir filtrer, de manière assez rapide, dans mes 10, 20 ou 50 millions de fichiers tous les documents qui ont le même auteur.
Vincent Calame : Pour compléter, parce que je ne connais pas très bien Alfresco, il y a aussi toute la question de la gestion des droits d’accès aux données. Dans Nextcloud, à part juste partager le fichier avec un groupe, on ne peut pas faire grand-chose, alors qu’on peut être face à des données pour lesquelles il est important de savoir qui a droit de les regarder parce que beaucoup sont confidentielles.
Laurent Costy : On a un réglage plus fin, c’est ça ?
Jérémie Lesage : On peut aller très loin dans les permissions, on essaye de cacher, parce que ça devient très complexe, mais on peut être très limitant. Ce que nous mettons aussi en avant dans Pristy, c’est la traçabilité. On est capable de savoir, pour chaque document, pour chaque fichier, quelle personne a lu le fichier, l’a consulté, l’a copié, l’a supprimé. C’est très compliqué à faire dans Nextcloud, je ne dirais pas que c’est impossible, en tout cas notre solution est adaptée pour ce genre de besoin. Forcément, ça ne concerne pas un usage familial ou personnel, c’est intéressant pour les entreprises qui ont des données qu’on dit sensibles en termes de RGPD. Je n’ai pas besoin de préciser ce qu’est le RGPD, je crois que tout le monde sait que c’est le Règlement général de protection des données. Normalement, tout le monde est censé être sensible à ça. On a donc des règles, en particulier pour les données dites sensibles, qui concernent la santé des personnes, les religions, le positionnement politique. On doit faire encore plus attention pour ces documents-là, donc nous fournissons un service pour pouvoir tracer nominativement, après, qui a lu, qui a consulté, qui a copié ou imprimé ces documents-là.
Laurent Costy : Étienne, tu avais une question.
Étienne Gonnu : La pause musicale va arriver. J’avais une question, peut-être une illustration, Vincent pourra me corriger, un exemple d’usage et aussi de l’utilité que peut avoir Base de Fiches. Pour Libre à vous !, Vincent a développé un outil qui nous a aidé à mettre en valeur les musiques libres. Donc, maintenant, si vous allez sur le site, vous avez tout un tableau qui récapitule, avec toutes les métadonnées qui vont bien, les musiques libres. Nous avons des accès spécifiques pour pouvoir agir sur ces données-là. Et, si je ne me trompe pas, tu es parti de BDF. Est-ce que c’est de la GED ? En termes de mise en valeur de ces données et de manière de les gérer, je vois ce que ça a pu impacter.
Vincent Calame : C’est vrai que les frontières sont floues ; il y a plein de logiciels qui permettent de faire de la GED, on reviendra là-dessus. J’utilise ce logiciel-là. Je dirais que si on avait mis également les fichiers audio, le document enregistré, ce n’est pas le cas, on fait un renvoi, mais c’est l’idée. En tout cas, pour chaque type de contenu, il faut définir les métadonnées qui nous intéressent et avoir une interface pour les saisir et les mutualiser. Typiquement nous aurions pu, dans un premier temps, gérer ça dans un tableur et, progressivement, nous nous serions rendu compte que le tableur devenait très gros, ça aurait été compliqué. C’est un peu une étape au-dessus du tableur.
Étienne Gonnu : D’accord, merci beaucoup. Je veux aussi préciser notre retour d’utilisateur. Avec mes collègues, nous t’avons remonté nos besoins quand tu as créé cette base et c’était très intéressant d’avoir cet échange : « On veut faire ça, on aimerait faire ça ». Tu nous disais « ça c’est possible, ou pas, voilà comment on peut faire. » Voir cet outil se construire par nos échanges, d’un point de vue non-informaticien, j’ai trouvé ça très intéressant.
Comme je disais, nous allons faire une petite pause musicale avant de poursuivre cet échange fort intéressant. Nous allons écouter Girl From the City of Steel par Holizna. On se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
Pause musicale : Girl From the City of Steel par HoliznaCC0.
Voix off : Cause Commune, 93.1.
Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter Girl From the City of Steel par Holizna, disponible sous licence Creative Commons CC0. Je précise que cette licence n’est pas, en tant que telle, directement applicable en France, où un auteur ou une autrice ne peut, d’un point de vue juridique, renoncer à ce qu’on appelle ses droits matrimoniaux. Quoi qu’il en soit, cette licence CC0 permet la liberté, l’utilisation, la modification, la diffusion et le partage de cette musique, y compris à des fins commerciales.
[Jingle]
Étienne Gonnu : Vous écoutez toujours, Libre à vous !, l’émission qui vous raconte les libertés informatiques.
Laurent Costy anime un sujet sur la gestion électronique de documents, avec ses invités Jérémie Lesage et Vincent Calame.
N’hésitez pas à participer à notre conversation au 09 72 51 55 46 ou sur le salon web dédié à l’émission, sur le site causecommune.fm, bouton « chat ».
Laurent, je te laisse à nouveau la parole.
Laurent Costy : Merci. Même si on en a un peu parlé, je vais reposer la question sur la façon dont ça marche concrètement. Ça permettra de continuer à appréhender ce qu’est la GED, la gestion électronique de documents. Vincent, peux-tu essayer de réexpliquer un peu comment, finalement, ça se construit ?
Vincent Calame : Je voulais aussi préciser que, pour un outil de GED, on voit beaucoup l’image de déposer un fichier, c’est le b.a.-ba d’un outil de GED. Mais, en fait, on s’aperçoit qu’il y a énormément d’outils qui permettent d’en faire. Si une association a un wiki, il y a toujours la possibilité de déposer un fichier joint. Avec les logiciels de gestion de contenu pour faire des sites internet, par exemple avec Spip ou WordPress, vous pouvez avoir une partie ressources documentaires où vous déposez vos documents. Si on prend GED dans un sens très large, comme je l’ai décrit en introduction, on gère des documents.
Après, un outil plus sophistiqué va aussi pouvoir permettre de produire des documents, pas seulement archiver des fichiers, mais en produire, notamment quand on a des documents formatés. J’ai donné l’exemple, pour la fondation, des conventions de partenariat qui suivent une structure assez précise : il y a l’adresse du partenaire, s’il y a un deuxième partenaire, l’historique du partenariat, quel montant et ainsi de suite. Pour cela, il y a deux solutions. On peut très bien, avec LibreOffice, faire un modèle de document. C’est ce qu’on ferait spontanément au début, mais avec un outil de GED, en tout cas dans celui que j’ai développé, c’est par des formulaires : on saisit l’information dans des champs et ensuite, une fois enregistrés, il y aura une production automatiquement du fichier format LibreOffice, ODT, prêt à la signature. En fait, on gère à la fois le contenu : en saisissant cette information, on la classe automatiquement, on dit « c’est dans telle ligne budgétaire » ; après, il y a tous les classements internes de la structure, toutes les questions de nomenclature et ainsi de suite. On lie cela à la fiche du partenaire, ce qui permet de retrouver toutes les conventions du partenaire. C’est quelque chose qui fait tout à la fois : à la fois la saisie des métadonnées et la création du document lui-même.
Laurent Costy : Oui. Et, finalement, la GED permet aussi des vues différentes : je peux avoir le point de vue du partenaire pour avoir l’ensemble des conventions qu’on a passées avec lui, je peux rentrer par le partenaire pour avoir cette vue d’ensemble, mais je peux rentrer aussi par la question des conventions. En fait, on peut générer des vues très différentes en fonction de toutes les données qui sont dedans. C’est aussi cela que permet la GED à priori ?
Vincent Calame : Oui. On établit des relations et le but, après, comme c’est quand même plus laborieux à saisir dans une interface de GED que juste taper dans son traitement de texte, il faut montrer à l’utilisateur final l’intérêt qu’il a, notamment en termes de mise en relation des éléments entre eux. Ça permet d’établir des tableaux de bord. Je dis souvent, quand on met en place un tel outil, qu’il y a la partie saisie, qui est très importante, mais aussi la partie valorisation, qui est aussi très importante. Il faut convaincre que plus les données seront bien valorisées, plus on aura envie de saisir de bonnes données. Sinon, ce qu’il y a de pire, c’est une base de données mal saisies, c’est d’un intérêt très limité. Parfois, il vaut mieux pas d’information qu’une mauvaise information. Plus elle sera valorisée, soit au niveau de la direction en termes de management soit pour la personne elle-même qui saisit, plus la donnée sera de qualité.
Laurent Costy : Là aussi, il y a tout un enjeu, il y a tout un équilibre. Je me tourne vers Jérémie. Souvent, je suis confronté à des questionnaires, il y a des questions auxquelles je n’ai pas envie de répondre, ce sont des questions obligatoires, je n’ai pas envie, du coup je passe à autre chose. Il y a tout un équilibre à trouver entre la manière dont va penser l’utilisateur, l’utilisatrice, et puis la donnée dont on a réellement besoin. Comment cela s’articule, parce que c’est hypersensible ? Parfois, quand un questionnaire m’oblige à répondre à une question à laquelle je n’ai pas envie de répondre, que la question est obligatoire, soit c’est vraiment un questionnaire indispensable et je le renseigne, soit je passe à autre chose et je ne remplis pas le questionnaire. J’imagine que cela aussi se construit avec le partenaire ?
Jérémie Lesage : Si les interfaces sont trop complexes ou pas agréables, il y a toujours un comportement d’évitement de l’utilisateur. Certaines structures, qui ont les moyens, vont engager des spécialistes de la gestion documentaire pour faire soit la saisie soit la validation que les données sont bien là. Sinon on réfléchit à des solutions pour automatiser.
Maintenant, avec l’IA, on va pouvoir faire un peu mieux encore. L’idée, c’est de réduire le nombre d’étapes que va devoir effectuer l’utilisateur. Si on peut, par exemple, aller récupérer des informations dans une autre base de données, pourquoi, systématiquement, demander de taper votre nom, votre prénom, votre adresse mail, alors qu’à partir du moment où vous êtes identifié, on sait que c’est vous ? Pourquoi devez-vous renseigner le nom du fournisseur alors qu’il est dans l’en-tête de votre de votre document ? Nous allons essayer d’améliorer le processus pour que l’ordinateur fasse le travail un peu à notre place, pour que ce soit mieux accepté.
Laurent Costy : Tu as commencé à évoquer l’IA. J’ai une question préalable qui va nous amener vers l’IA. Finalement, au fil des années, la quantité de données peut être extrêmement importante. Tout à l’heure, tu évoquais le premier document de la Fichothèque en 86. Je ne sais pas combien il y a de fiches maintenant. Tu pourras peut-être aussi donner la quantité de données qui est gérée au quotidien par Pristy. Vincent, d’abord, pour le nombre de fiches.
Vincent Calame : Pour le moment, dans les fiches de suivi, on doit être à 30 000 ou 35 000. Elles ne sont pas toutes lues quotidiennement !
Laurent Costy : D’accord. Si on imagine transposer ces 30 000 fiches, qui contiennent plein de champs, dans un tableur, ça n’est effectivement plus gérable. C’est vrai que ça s’ancre dans le temps.
Jérémie Lesage : Chez Pristy, ça dépend vraiment des clients. On fait parfois des reprises de données de plusieurs dizaines de millions de fichiers, parce qu’on récupère des historiques qui s’accumulent avec le temps. On fait des migrations, on a des clients qui abandonnent des GED propriétaires pour venir dans des solutions plus libres, donc on les migre. Ces traitements durent parfois une semaine pour récupérer la base complète des données. Les plus grosses bases font sept ou huit téraoctets de données et ce sont des PDF, ce ne sont pas des images.
Laurent Costy : D’accord. Donc là, effectivement, potentiellement une pertinence pour l’IA de pouvoir classer, de pouvoir faciliter le travail de GED. Comment ça se présente, finalement ? Beaucoup de choses autour de l’IA, on pourrait en discuter des heures.
Jérémie Lesage : Il y a beaucoup de choses sur l’IA. On pourrait revenir sur la raison pour laquelle les entreprises font le choix de mettre leurs documents dans une GED. Si je prends une analogie avec ce que tout le monde a dans la poche, un téléphone, on va prendre des photos avec son téléphone, on peut prendre des photos avec son appareil photo, on peut nous envoyer des photos par mail. Si, un jour, je veux regarder toutes les photos qui sont en ma possession, il faut que je prenne mon téléphone, ma tablette, mon appareil photo, mon ordinateur, il y en a partout. Les entreprises ont ce même souci. Elles ont des dizaines de logiciels qui produisent des documents et, avant d’avoir une GED, on est obligé d’aller fouiller dans tous les logiciels pour pouvoir consulter l’entièreté des documents disponibles.
La GED centralise et permet, ensuite, de classer de manière plus ou moins automatique et de rechercher de manière plus ou moins automatique.
Naturellement, déjà, on peut rechercher sur les métadonnées, on peut rechercher sur l’intérieur du contenu, parce qu’on a des moteurs de recherche qui le supportent. L’IA va nous permettre d’améliorer encore la qualité de recherche en donnant une plus grande valeur au contenu ; on ne va pas rechercher sur un mot-clé. Par exemple, je veux la facture de ma dernière voiture, si je mets « facture et voiture », je peux avoir des centaines de réponses. Si je demande à une IA « sors-moi la facture de ma dernière voiture », elle va « comprendre » l’intention – « comprendre » entre guillemets –, elle va extraire l’information de la date, de la temporalité, ajouter automatiquement un filtre sur la date et isoler le document qui m’intéresse. C’est là où l’IA nous fait gagner du temps, parce que nous sommes un peu feignants : on va pas ouvrir le formulaire de recherche avancée, saisir le paramètre avec la plage de la bonne date, savoir si c’était un PDF ou un autre format de document. Non ! L’IA va pouvoir faire ce travail-là à notre place.
Laurent Costy : Où en êtes-vous par rapport à Pristy ? Dans les prémices ?
Jérémie Lesage : L’année dernière, sur les salons, je disais toujours : « Il y a aujourd’hui 50 acteurs, j’attends de savoir combien vont rester pour faire mon choix. »
Laurent Costy : Cinquante acteurs qui proposent des outils à intégrer à la GED, c’est ça ?
Jérémie Lesage : À la GED, non, de l’IA de manière générale. Il y a des centaines de moteurs différents, des solutions très différentes, en open source un peu moins. Pour autant, c’est ce que tu disais tout à l’heure, quand on est trop en amont sur l’innovation, parfois on se trompe et nous ne pouvons pas trop nous permettre de nous tromper. Si on investit beaucoup d’argent dans des nouvelles technologies, on doit avoir un retour sur investissement.
L’année dernière, on attendait de voir qui allait être en vie encore en 2025. Là, on commence à y voir plus clair. Mais on a une problématique : encore une fois, on a dumping américain. Quand je dis à mes clients qu’avoir un moteur d’IA ça nécessite de l’infrastructure un peu spécifique, donc ça coûte de l’argent, on me répond que ChatGPT c’est gratuit. Il y a toujours cette notion de gratuité chez les Américains. On parle beaucoup du dumping pour des vêtements qui viennent de Chine ou d’Asie, en disant « ce n’est pas normal, ils ne payent pas la même chose que nous. » C’est pareil pour l’informatique. Vous avez des logiciels gratuits et, à nous, on demande de faire mieux et gratuit aussi. On ne peut pas faire gratuit, on n’a pas les moyens de faire gratuit.
Donc, aujourd’hui, on en est là, on a, techniquement, des solutions qui sont envisageables, mais des solutions qui sont libres, en termes de moteur d’IA, c’est très compliqué.
Laurent Costy : À priori, il n’y en a pas, en tout cas selon la définition de l’Open Source Initiative qui a donné une définition de ce que serait une IA open source.
Jérémie Lesage : Libre ? Open source, c’est une chose. Après morale, parce que, forcément, on s’enrichit du savoir des autres. Quelle est la moralité de ce genre d’algorithme qui va pomper des informations ? Il faut que ce soit libre, open source, moral, et que ça fasse concurrence à des acteurs qui, eux, n’ont pas cette moralité et vont pouvoir taper dans des bases de données gigantesques. Si on veut être 100 % libre, on va forcément avoir un problème de compétitivité, c’est-à-dire que nous ne sommes pas capables de faire aussi bien et c’est un vrai problème. Après, on a le problème du coût. Aujourd’hui, les clients ne sont pas prêts à payer parce que c’est gratuit ailleurs.
Laurent Costy : Alors qu’on sait que, par ailleurs, l’IA demande pas mal de ressource pour les calculs, même en interne. Si ça doit s’installer en local, j’imagine que ça consomme énormément d’énergie.
Jérémie Lesage : Déjà, ça consomme au moment de la production des cartes graphiques qu’on doit utiliser, surtout qu’elles ont une durée de vie ! Elles sont remplacées au bout de deux ans. La pérennité de ce qu’on propose n’est pas super intéressante. Ça consomme aussi énormément de flux réseaux, d’électricité. On nous demande de faire de l’informatique écologique, ce qui est complètement à l’opposé de ce que propose l’IA. On est dans deux mondes qui s’opposent radicalement.
On va le mettre en place. Je pense que ce qu’il faut d’abord se poser comme question et c’est, à mon avis, le plus important : pour quel usage ? L’IA fait des choses magnifiques, mais qui, souvent, ne servent à rien, comme beaucoup d’évolutions dans l’informatique. Donc, quel est l’usage réel ? Aujourd’hui, on a des usages assez faciles d’enrichissement automatique, de classement automatique, de typage automatique, pouvoir reconnaître : je sais que c’est une facture, je sais que c’est une œuvre, ça, c’est intéressant. Mais est-ce que les autres usages sont réellement pertinents ? Est-ce qu’ils vont vraiment apporter de la valeur ? Je pense que c’est la question qu’il faut se poser.
Laurent Costy : Merci. Donc, pour l’instant, prudence, toujours en observation, et puis sans doute que ça sera intégré, mais en réflexion.
Et toi, la Fichothèque et L’IA ?
Vincent Calame : Je suis comme Jérémie. Je vais attendre que les gens essuient les plâtres et on verra dans cinq ans.
Cela dit, pour l’anecdote, le directeur de la Fondation Charles Léopold Mayer a participé à une réunion organisée par un organisme qui s’appelle SwissFoundations, qui réunit des fondations. Un intervenant leur disait plein de bien de l’IA pour traiter les demandes de financement. Traiter les demandes de financement, c’est la base du travail d’un responsable de programme de fondation. En fait, il était en train de leur expliquer comment ils allaient être remplacés par une IA. Fantastique !
Je pense que je resterai à une niche particulière d’outils sans IA. De toute façon, en termes de puissance, de budget, de compétences, je serais complètement largué !
Laurent Costy : Ton outil est moins générique que Pristy, par exemple aussi, puisqu’il a d’abord été pensé pour une fondation et il demande peut-être plus d’adaptation.
Vincent Calame : Je ne sais pas à partir de quelle quantité de données qu’on lui fait mouliner une IA est pertinente. Est-ce qu’à 5000 documents, on obtient déjà des choses ? Je ne sais pas du tout.
Laurent Costy : Moi non plus !
Vincent Calame : Je pense que ce sera à la prochaine génération de répondre !
Laurent Costy : Tout à l’heure,Jérémie, tu parlais d’une grande quantité de données. On a parlé un petit peu du RGPD, qui, normalement, impose la suppression de données, on pourrait penser que ça va finir par se réguler, mais, finalement, la quantité de données augmente toujours. On augmente le nombre de métadonnées au fil des années. Du coup, on ne peut pas rester sur une constante de quantité de données.
Jérémie Lesage : Non, c’est impossible, d’autant que, maintenant, toutes les démarches sont numérisées. Aujourd’hui, dès que vous faites quelque chose, ça génère une donnée. Et encore, avec la GED, on ne parle que des données humaines, donc de documents que vous pouvez lire, mais il faut imaginer la quantité de données qu’on appelle des data ou des métriques, des données de mesure qui sont générées à la seconde dans le monde. C’est phénoménal, pour des besoins qui, en plus, sont éphémères. Chaque serveur va générer, chaque seconde, une centaine de métriques pour s’assurer qu’il est en bonne santé. Donc, vu le nombre de serveurs qui sont déployés en permanence, ce sont des téraoctets de données qui ne servent à rien, à priori pas nominatives, donc qui ne concernent pas le RGPD. En pratique, il y a toujours l’adresse IP, l’identifiant utilisateur ou même la date de la connexion qui permettent de rapprocher les usages des personnes.
Donc non, le flux d’information ne peut pas réduire, telle qu’on conçoit l’informatique aujourd’hui.
Laurent Costy : Merci. Vincent, tu avais mis une petite question dans le pad de préparation de l’émission. Tu parlais de la GED pour les associations, c’est un sujet qu’on aime bien creuser tous les deux. Qu’est-ce que tu en penses après avoir croisé pas mal cette question-là auprès de structures ?
Vincent Calame : Comme tu disais en termes d’interface, tu évoquais toi-même les formulaires que tu n’as pas envie de remplir. Une association repose notamment sur des bénévoles, on peut beaucoup moins les contraindre qu’un salarié ; c’est dans son contrat de travail, on lui dit : « Si tu fais une réunion, tu dois faire un compte-rendu que tu saisis dans la base de données en suivant tel champ et tel champ. » Demander ça à des bénévoles me semble un peu plus compliqué. C’est sans doute un peu ça le frein. On ne peut pas mettre en place des outils trop complexes, parce qu’il y a un taux de rotation fréquent, un bénévole a ses propres habitudes et on ne peut pas le chambouler comme ça.
Laurent Costy : On rappelle que sur 1,4 million d’associations en France, 90 % d’entre elles ne sont gérées que par des bénévoles. Donc, effectivement, la question du bénévolat, de l’outil informatique et de la contrainte de l’outil informatique est réelle. Je pense que tu pointes quelque chose d’important.
Je peux juste témoigner des interventions que j’ai pu faire en milieu associatif – je réponds à la question que j’ai posée, ce n’est pas mal, c’est intéressant en tant qu’animateur. Ce qui me semble important aussi dans le monde associatif, c’est de réussir à faire prendre conscience de la nécessité d’organiser en commun et ce n’est pas simple. Si ça n’a pas été pensé, si ça n’a pas été accompagné, eh bien oui, les gens enregistrent sur leur disque dur. Ils utilisent les outils qui sont à disposition, parce qu’il y en a un qui a pensé à utiliser Google Drive, machin, donc, on commence à disperser les règles [de fonctionnement, Note de l’intervenant]. Mais, comme à un moment donné ça n’a pas été pensé, ce n’est pas structuré et ça reste extrêmement compliqué. Parfois, c’est important d’avoir une tierce personne qui va venir aider à penser ensemble, à structurer pour que, justement, on pense en amont les droits, les accès, etc.
Jérémie, tu voulais compléter.
Jérémie Lesage : Un autre point très important dans les associations, qui rejoint exactement ce que vous êtes en train de dire, c’est qu’on a un niveau de connaissance de l’informatique qui est très disparate, surtout si vous prenez des associations qui sont dans les villages, les associations sportives. On peut avoir des gens qui utilisent l’informatique tous les jours et d’autres jamais. Donc, trouver des outils qui correspondent au niveau de compétences de chacun, c’est très compliqué, d’autant qu’on ne peut pas former les gens, ce sont des bénévoles et on n’aurait pas les moyens de les former, de toute façon, mais c’est vrai pour tous les produits informatiques. Donc, trouver un moyen de dire aux bénévoles que c’est un bien pour tout le monde, parce que ça va améliorer leur qualité de travail, mais, en face, vous avez des gens qui ont du mal à écrire un e–mail. Une vraie distance se crée, comme ça, dans les associations, on va donc préférer ne pas déployer de solutions pour ne pas créer des distances, pour ne pas mettre un frein à l’intégration dans les associations.
Laurent Costy : Il existe des programmes de formation des bénévoles et c’est extrêmement important. J’en parle parce qu’on a déjà parlé lors de l’émission sur Bénévalibre, il n’y a pas longtemps, l’émission 226. Il existe des programmes de formation pour les bénévoles et c’est là qu’on mesure la capacité à mettre tout le monde autour de la table, à faire converger vers un usage, à animer, après, le logiciel ; faire que ça prenne et que ça reste dans le temps. C’est cela qui est compliqué. En fait, ce n’est pas pensé, parce que les bénévoles sont sur leur objet associatif et prendre du temps pour se former à un outil informatique, ça reste, en tout cas dans leur esprit, secondaire. On se rend compte que quand on arrive à le mettre en place, c’est bénéfique pour tout le monde, pour l’association et même pour les bénévoles qui acquièrent des compétences.
Il nous reste cinq minutes. Vous avez deux minutes trente chacun pour compléter.
Il y avait peut-être la question écologique d’un GED, l’intérêt d’un GED sur le plan écologique. On a parlé de l’IA qui ne va sans doute pas aider, mais peut-être y a-t-il des avantages, en termes de gestion de données, qui font qu’on consomme un peu moins d’énergie ?
Jérémie Lesage : C’est un sujet qui est très compliqué. En tant qu’entreprise, nous sommes embêtés avec ça. Je dis « embêtés », c’est gentil, mais aujourd’hui, dans les marchés publics, on doit dire dans quelle mesure on respecte un petit peu les contraintes environnementales. C’est très compliqué de répondre sans dire des choses qui sont ce qu’on appelle du greenwashing. Ce qui est notable, c’est, en tout cas, qu’on cherche à changer les usages : éviter de dupliquer les contenus, éviter de les envoyer par mail 50 fois, 100 fois, dans des reply to all qui sont inutiles. Là ça a un intérêt.
Après, je ne sais pas si on peut aussi y voir un intérêt en termes d’archives. Je me souviens, quand j’étais plus jeune, des couloirs avec des rayons remplis de boîtes d’archives, des documents qui avaient été imprimés pour mettre dans des boîtes et pour être détruits au bout de dix ans. On a économisé tout ça, mais est-ce vraiment plus écologique de stocker ça sur des serveurs ? Je n’en sais rien.
Laurent Costy : La question reste en suspens. Vincent, je ne sais pas si tu as un avis. Après, il y a toute la question de l’optimisation des programmes, etc. Mais c’est vrai que ça reste finalement assez faible devant la consommation énergétique qui se rajoute au fur et à mesure du temps, avec la quantité de données qui augmente parce qu’on a toujours besoin d’une métadonnée supplémentaire, finalement ce que disait Jérémie tout à l’heure : réduire la quantité de données captées, enregistrées, reste impossible dans le monde qui va de l’avant.
Vincent Calame : Je pense que si on peut éviter de dupliquer trop la donnée, ce n’est déjà pas mal. Si on ne stocke que du texte brut, ce n’est rien du tout en termes de données. Donc déjà, quand on stocke du texte brut par rapport à un fichier PDF scanné de quelque chose d’imprimé, on gagne énormément. On peut effectivement avoir des données un peu plus sobres en les structurant mieux.
Laurent Costy : Très bien. Il vous reste chacun une minute, deux minutes, pour donner un point que vous auriez oublié ou sur lequel vous voulez insister.
Vincent Calame : Je pense que c’est important, notamment pour les associations, j’y reviens, qui ont un fort taux de rotation. Pensez aux fois où vous débarquez dans une structure, que vous devez récupérer de l’information, savoir, par exemple, ce que faisait la personne à votre poste avant ou une chose comme ça. Partez de cette expérience et vous verrez l’intérêt d’une bonne GED. Quand vous arrivez dans une structure, c’est comme cela que vous pouvez retrouver l’historique de l’ensemble et réaliser vos missions.
Laurent Costy : Merci. Jérémie, le mot de la fin.
Jérémie Lesage : Comment dire ! Je perds mes mots en fin d’émission.
Laurent Costy : Où il y a de la GED, il n’y a pas de plaisir ! Il ne fallait pas la faire ! C’est pour débloquer un peu.
Jérémie Lesage : C’est un bel acronyme. En fait, c’est un peu un fourre-tout. On me demande souvent : c’est quoi la GED ? Je réponds plutôt : qu’est-ce que ça peut vous apporter ? À quoi ça va vous servir ? C’est vrai que, personnellement, dans ma vie de tous les jours, je ne l’utilise pas, pour gérer mes factures personnelles, c’est un peu trop gros, donc j’utilise un drive comme tout le monde, alors que, pourtant, je vends des solutions très complexes. Il faut quand même rester à hauteur de la mesure, c’est-à-dire qu’est-ce que ça va vous apporter ?
On parle beaucoup de logiciels. Si on fait des logiciels libres, c’est qu’on considère que la valeur n’est pas dans le logiciel, n’est pas que dans le logiciel, elle est dans tout ce qu’on apporte à côté. Donc, bien sûr, la maintenance, que tout fonctionne, mais surtout l’accompagnement. Pourquoi mettre en place ce genre de solution ? Qu’est-ce que ça va vous faire gagner comme temps ? Qu’est-ce que ça ne va pas vous faire perdre ? En fait, dans l’informatique, c’est le facteur humain qu’il faut mettre en avant. Nous sommes des développeurs, mais on ne travaille pas pour faire des logiciels, on travaille pour des humains en face. C’est donc ça qu’il faut mettre un peu en avant : l’esprit du logiciel libre. On n’est pas là pour vous vendre quelque chose, on est là pour vous faire aller plus vite, aller mieux dans votre travail quotidien.
Laurent Costy : Belle conclusion. Et l’accompagnement, la formation, ça rejoint un peu ce qu’on disait par rapport aux bénévoles. C’est vrai que le côté humain est essentiel. Parfait !
Étienne Gonnu : Je trouve aussi que ce sont de beaux mots de conclusion d’un bel échange.
Merci Vincent. Merci Jérémie. Merci Laurent pour ce temps d’échange.
On est pile dans les temps parce qu’on a une superbe chronique qui va suivre, une chronique où l’humour sert à la pédagogie, à moins que ce ne soit l’inverse.
En tout cas, vous pourrez retrouver toutes les références de l’émission de ce jour sur la page consacrée à l’émission, libreavous.org/229.
Nous allons à présent faire une pause musicale.
[Virgule musicale]
Étienne Gonnu : Nous allons écouter Tobas del Carnaval par Carlos Carty. On se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
Pause musicale : Tobas del Carnaval par Carlos Carty.
Voix off : Cause Commun, 93.1.
Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter Tobas del Carnaval par Carlos Carty, disponible sous licence Creative Commons Attribution, CC By. J’en profite pour remercier le groupe de bénévoles, beaucoup de bénévoles bossent à l’April, de manière bénévole – je m’emmêle dans mes mots, ce n’est pas grave –, en tout cas qui nous proposent toujours de superbes musiques libres. Donc, merci à elles et eux.
[Jingle]
Étienne Gonnu : Je suis Étienne Gonnu pour l’April. Nous allons passer au sujet suivant.
[Virgule musicale]
Chronique « À cœur vaillant, la voie est libre » de Laurent et Lorette Costy - « La flemme du paramétrage des données privées »
Étienne Gonnu : Nous allons poursuivre avec notre dernier sujet, « La flemme du paramétrage des données privées », une chronique « À cœur vaillant, la voie est libre » proposée par Laurent et Lorette Costy. Laurent est avec nous en studio, mais on va quand même laisser à Laurent du passé et à Lorette du passé. On se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
[Virgule sonore]
Laurent Costy : Bouboula, j’ai la flemme d’écrire une chronique. On va meubler, ma louloute, aujourd’hui. On va ressortir des vieilles news du milieu de l’Internet. Tiens justement, la version 1.12 de La Bataille pour Wesnoth vient de sortir en ce début d’année 2015 !
Lorette Costy : Bon jeu libre, sympathique effectivement. La Bataille pour Wesnoth est excellent pour aiguiser sa stratégie tour par tour. Publié sous licence GNU GPL v2+, traduit en français, on peut jouer en solo via des campagnes ou en multijoueur dans un univers médiéval fantastique. Mais, en 2024, la version à jour est plutôt la 1.18 !
Laurent Costy : J’ai la flemme, je te dis ! Comment je peux faire pour outrepasser cette flemme ?
Lorette Costy : Comme L’Outreterre des Royaumes oubliés dans Donjons & Dragons, 2015 est l’outrepassé de La Bataille pour Wesnoth.
Pour ta flemme, j’ai la solution. Elle est plutôt visuelle, mais elle marche : tu vas rotationner à 180° dans ta tête le premier « e » de flemme et voilà que le mot se transforme en flamme ! Voici le feu bouté à ton enthousiasme et encore un début de chronique complètement foutraque que tout le monde va devoir réécouter trois fois.
Laurent Costy : Certes, mais grâce à toi, on peut attaquer ! Je crois que j’ai très envie, finalement, de te parler de données et de sécurité.
Lorette Costy : Mais c’est super ! Youkaïdi, Youkaïda ! Ça me rappelle toutes les belles histoires que tu me lisais avant de m’endormir quand j’étais petite. Quel bonheur !
Laurent Costy : Toi qui fais du sport, tu connais sans doute l’application Strava. Je sais que tu ne l’utilises pas pour éviter de faire de la peine à ton pauvre père qui verrait, sinon, les données et les performances de sa fille être exposées sur les internets.
Lorette Costy : Je confirme, je ne l’utilise pas, mais je connais et comme dit le site, « Strava est le réseau social des athlètes ».
Laurent Costy : Ah oui ! Alors ce n’est vraiment pas pour moi ! Éventuellement, quand j’étais jeune et performant, j’aurais peut-être aimé gaver les autres avec mes modestes exploits sportifs, mais je me demande de plus en plus qui ça peut intéresser.
Lorette Costy : Attends, je continue : « Enregistrez votre activité pour la retrouver dans votre flux Strava où vos amis et les personnes qui vous suivent peuvent également partager leurs propres courses et entraînements, donner des kudos pour féliciter les performances de chacun, et laisser des commentaires. »
Laurent Costy : Donner des cadeaux pour faire une course ?
Lorette Costy : Non, Papa, des kudos, c’est un terme anglais pour désigner « la gloire et le renom qui découlent d’une action réussie », selon Wikipédia. Il faut toujours des mots bizarres dans une appli pour que la communauté se sente unique, pour qu’elle puisse expliquer aux autres ce que ça veut dire, etc.
Laurent Costy : Et, quand on sait ça, on se sent appartenir à la communauté ! Je comprends. Mais j’y pense, je te filerais plutôt un kudo pour Noël !
Lorette Costy : Ta lutte contre le capitalisme est bien pratique pour dissimuler ta pingrerie, mon cher Papa ! Revenons à Strava et commençons par regarder ce que dit le site ToS ;DR de Strava.
Laurent Costy : « ToS ;DR de Strava. », c’est limpide comme expression. C’est évident ! Tout le monde comprend en un clin d’oreille. Bon, plus sérieusement, Strava, je commence à cerner, on vient d’en parler, mais ToS ;DR, il faut que tu éclaircisses pour nos poditeurs et poditrices plongé·es dans le noir inquiétant de la méconnaissance.
Lorette Costy : ToS ;DR, site accessible grâce à l’URL https://tosdr.org, est aussi un acronyme anglais pour Terms of Service ; Didn’t Read, autrement dit, en français, « conditions d’utilisation non lues ». C’est un merveilleux site pour celles et ceux qui ont la flamme, non, la flemme, de lire les conditions générales d’utilisation d’un service sur Internet, avant de commencer à l’utiliser.
Laurent Costy : Est-ce bien utile de créer un tel site ? Tout le monde les lit les CGU !
Lorette Costy : Ce n’est pas parce que tu m’en lisais après m’avoir parlé de données et de sécurité pour m’endormir le soir, que tout le monde prend le temps de faire ça, Papa ! Hélas. Mais passons Strava à la moulinette de ToS ;DR pour voir.
Laurent Costy : Bisque, ce n’est pas joli, joli. Les couleurs ne sont pas très rassurantes. D’abord classe E, c’est le plus mauvais score. Prends garde alors à ta vie privée ! Pour ne prendre que deux points problématiques, je cite : « Les annonces présentées à d’autres utilisateurs peuvent faire référence à vous en tant qu’approbation implicite. Vous risquez de donner des informations sur votre mode de vie personnel à des inconnus. »
Lorette Costy : Ou encore : « Ce service peut collecter, utiliser et partager des données de localisation. » Certes, le but de Strava est de collecter des données géographiques, mais là où c’est crasse pouilleux et problématique, c’est concernant le partage à priori, par défaut, pour tout le monde. Remontons dans le temps, moins d’un an après le lancement de l’application, début 2018. Plusieurs personnes et médias signalent qu’il est assez simple, à partir de la carte Strava accessible publiquement, de désanonymiser des personnes.
Laurent Costy : Fin janvier 2018, un étudiant de Sydney, Nathan Ruser, a mis en évidence que l’application permettait de révéler la localisation de plusieurs bases militaires secrètes. Le Canard Enchaîné – oh !, ça me fait penser au Lama déchaîné de l’April et à la campagne en cours. Pensez à faire don ou à adhérer si vous ne l’avez pas encore fait et merci à celles et ceux qui ont déjà choisi de nous soutenir !
Lorette Costy : Comme c’est gentil, mais je te décerne la médaille de l’opportunité : tu gagnes direct 42 kudos. Bon, tu mentionnais donc un article du Canard Enchaîné, début 2018, suite à la révélation de Nathan Ruser.
Laurent Costy : Le titre est explicite : « La course à pied nuit gravement aux espions » avec, comme sous-titre, « Lorsqu’ils pratiquent le jogging avec un appareil muni d’un GPS, les agents de la DGSE sont repérables et très facilement identifiables. »
Lorette Costy : C’était le début, ils ne savaient pas, on peut leur pardonner !
Laurent Costy : Ce n’est pas faux. Soyons magnanimes et tolérons les erreurs de jeunesse qui permettaient même de trouver leurs adresses et toute leur vie personnelle sur les réseaux sociaux, femme, enfants, activités, vacances…
Lorette Costy : Sauf que le temps a passé et que peu de choses semblent avoir changé.
En 2020, Mediapart écrit un article et produit une vidéo qui explique les enjeux et les fuites qui perdurent.
Puis, un article de Jean-Marc Manach, sur Next, le 1er juillet 2022 titrait : « Des centaines d’agents de services de renseignement étaient « à poil » sur Strava, depuis 4 ans ». Et ce malgré les diverses annonces de responsables en 2018 qui disaient qu’ils allaient considérer le problème.
Laurent Costy : Pourquoi montrer son zizi ou sa foufoune sur Strava ? Quelque chose m’échappe. Mais nous voici en 2024 et ce sont trois articles du journal Le monde qui montrent, une nouvelle fois, que rien ne change et que c’est partout pareil. Des agents sont identifiés grâce aux traces laissées sur Strava, en France, dans la proximité du président de la République, aux États-Unis autour de Biden, et en Russie autour du champion mondial toutes catégories de la paranoïa, Vladimir Poutine.
Lorette Costy : Celui-là même. C’est difficile de comprendre pourquoi le problème persiste. Pourtant, en France, la question de l’anonymat des troupes d’élite est inscrite dans le Code pénal. La loi n° 2016-483 du 20 avril 2016 punit de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende « la révélation ou la divulgation, par quelque moyen que ce soit, de toute information qui pourrait conduire, directement ou indirectement, à l’identification d’une personne comme membre des unités des forces spéciales ». Mais, comme dit Mediapart, le législateur n’avait peut-être pas prévu que ces informations jugées sensibles seraient largement partagées… par les principaux concernés.
Laurent Costy : On peut tenter d’imaginer ce qu’il se passe chez les militaires et les agents secrets à ce sujet.
Voix off : Vous excuserez la scène suivante dans l’hypothèse où vous la trouveriez insuffisamment réaliste. En effet, le père Costy a été objecteur de conscience et sa fille Lorette n’a même pas fait son SNU [Service national universel]. Ceci étant, au regard du résultat qui tend irrémédiablement vers la pissade dans un violon, cette interprétation en vaut une autre.
Lorette Costy : Soldat ! Garde à vous ! C’est quoi ce bordel dans la presse ? Ce n’est pas la première fois en plus. Déjà en 2018, 2020, 2022 ! Il faut me promettre d’arrêter de diffuser toute information qui pourrait conduire, directement ou indirectement, gnagnagna, 75 000 euros d’amende, gnagnagna, vous connaissez la suite, Lorette l’a dit juste avant dans la chronique. [Prononcé à voix haute, NdT]
Laurent Costy : Chef, oui chef. Mais on se fait grave iéch’ quand même ! Et si on ne peut plus comparer nos performances et savoir qui a la plus grosse, on risque de mourir d’ennui. chef ! Faut nous comprendre. chef !
Lorette Costy : C’est bon pour cette fois, mais vous allez me faire le plaisir d’arrêter de vous faire plaisir. C’est un peu la sécurité quand même ! Vous me ferez trois pâtés, deux ovaires, mais surtout, vous allez relire dix fois le guide des bonnes pratiques édité par le ministère des Armées et, en particulier, si c’est trop long et qu’il n’y a pas assez d’images, le paragraphe sur les réseaux sociaux et les applis qui géolocalisent. [Prononcé à voix haute, NdT]
Laurent Costy : Chef, oui chef !
Lorette Costy : Non, mais c’est vrai quoi ! Sinon, on passe pour des guignols. Comment voulez-vous qu’on comprenne, après, qu’on confisque aux gens les bouchons de leur bouteille avant d’entrer dans un concert alors qu’on a des agents secrets qui sont identifiables sur Instagram et Facebook. Crotte de bique, faites un effort les gars, sérieux !
Laurent Costy : Ah oui, je suis d’accord avec vous chef. Ça m’a gonflé qu’on me confisque mon bouchon au dernier concert ! Ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de bouchon que je ne peux pas la lancer la bouteille !
Lorette Costy : Moi aussi ça m’a gonflée, on pourrait peut-être faire un courrier commun, mais, d’abord, ce n’est pas le sujet ! Bon, vous pouvez disposer. Et on surveillera la prochaine chronique de Laurent et Lorette Costy, on ne sait jamais. [Prononcé à voix haute, NdT]
Laurent Costy : Chef, oui, chef. Je vous salue bien bas et je vous dis à la prochaine ! Bisous.
Lorette Costy : Bisous, bisous !
[Virgule sonore]
Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter une chronique proposée par Laurent et Lorette Costy.
Nous arrivons à la fin de l’émission. Nous allons terminer par quelques annonces.
[Virgule musicale]
Quoi de Libre ? Actualités et annonces concernant l’April et le monde du Libre
Étienne Gonnu : Après six années d’existence sur la bande FM, Cause Commune propose à ses auditeurices de rejoindre le club de ses soutiens. Présente depuis janvier 2018 dans le paysage radiophonique francilien, Cause Commune est la dernière radio libre autorisé par l’Arcom à Paris.
Afin de continuer à proposer une voix alternative, la radio lance une campagne, pour 2025, avec un objectif de 40 000 euros, à la fois pour couvrir ses charges annuelles, mais aussi pour renforcer son soutien aux collectifs, personnes et communautés qui défendent leurs droits et portent ainsi les luttes qui profitent à l’émancipation de toutes et tous.
L’April aussi est toujours en campagne. Un nouveau Lama déchaîné est à paraître demain, l’avant-dernier de la campagne. Depuis deux ans, notre situation financière n’est plus à l’équilibre. Pour finir sereinement l’année 2024, une somme de 20 000 euros nous serait nécessaire, nous sommes à mi-chemin de cet objectif. Adhérez ou donnez, si vous le pouvez, en fonction de vos moyens, et n’hésitez pas à parler de cette campagne autour de vous et à diffuser notre Lama déchaîné où il y a même des mots-croisés.
Pour marquer la fin de cette campagne qui approche, nous avons prévu un temps convivial au local de l’April, le vendredi 20 décembre, à partir de 18 heures 30. Nous vous attendons avec plaisir.
Aujourd’hui, mardi 10 décembre, jusqu’au vendredi 13 décembre auront lieu les Journées Réseaux de L’Enseignement et de la Recherche à Rennes. L’April y tient un stand et les conférences sont disponibles en direct, en diffusion vidéo.
Je vous invite à consulter le site de l’Agenda du Libre, agendadulibre.org, pour trouver des événements en lien avec les logiciels libres ou la culture libre près de chez vous, ainsi qu’un annuaire des associations qui les font vivre.
Notre émission se termine.
Je remercie les personnes qui ont participé à l’émission : Isabelle Carrère, Vincent Calame, Jérémie Lesage, Lorette et Laurent Costy.
Aux manettes de la régie aujourd’hui, Frédéric Couchet.
Merci également aux personnes qui s’occupent de la post-production des podcasts : Samuel Aubert, Élodie Déniel-Girodon, Lang 1, Julien Osman, et Olivier Grieco, le directeur d’antenne de la radio.
Merci aux personnes qui découpent les podcasts complets des émissions en podcasts individuels par sujet : Quentin Gibeaux, bénévole à l’April, et mon collègue Frédéric Couchet.
Vous retrouvez sur notre site web, libreavous.org/229, toutes les références utiles de l’émission de ce jour, ainsi que sur le site de la radio, causecommune.fm.
Nous vous remercions d’avoir écouté l’émission.
Si vous avez aimé cette émission, n’hésitez pas à en parler le plus possible autour de vous et à faire connaître également la radio Cause Commune, la voix des possibles.
La prochaine émission aura lieu en direct mardi 17 décembre à 15 heures 30, la dernière de l’année 2024. Nous vous y accueillerons Au café libre pour discuter de l’actualité autour des libertés informatiques.
Nous vous souhaitons de passer une belle fin de journée. On se retrouve en direct mardi 17 décembre et d’ici là, portez-vous bien.
Générique de fin d’émission : Wesh Tone par Realaze.