Luc : Décryptualité. Semaine 49. Salut Manu.
Manu : Salut Luc.
Luc : Ce sera notre dernier podcast de l’année. On va faire deux semaines de pause pour les fêtes, mais on reprend en 2022.
Manu : On reprend en 2022. Peut-être trois semaines, il faudra voir au niveau des calculs de semaines.
Luc : Premier article, ZDNet France, « La Commission européenne veut mieux diffuser ses logiciels open source », un article de Thierry Noisette.
Manu : Effectivement, de grosses évolutions sont en train de se faire jour au niveau de l’Europe, des institutions. Ils veulent faire du logiciel libre, ils appellent ça open source, mais, de fait, ça va être du logiciel libre, c’est-à-dire qu’ils vont mettre sur des dépôts et sur un dépôt unique tous les logiciels qui seront développés par la Commission. On peut imaginer que ça ne va pas se faire du jour au lendemain, ça va certainement prendre un temps. En tout cas c’est quelque chose d’hyper-positif dans l’optique de réutiliser et de permettre à d’autres nations de reprendre un petit peu ce qui est fait là. Il y a pas mal de bonnes billes. Dans les premières choses qui étaient mises en avant, la signature électronique, le fait de pouvoir faire des contrats, on va dire, par Internet, mais aussi, je trouve que c’est assez approprié, l’édition de législations. Effectivement, pas mal de pays en Europe font chacun leurs lois, donc pourquoi ne pas essayer de faire, sous forme d’un logiciel libre, un outil pour partager, pour éditer des codes légaux. Je trouve que c’est plutôt pas mal et ça a l’air d’avoir déjà un impact en Allemagne, en Espagne et en Grèce. On peut espérer que la France s’y mette aussi. Autant développer le code commun à nos sociétés avec du code libre.
Luc : La Tribune, « Cloud : « Les PME européennes ont été ignorées par les stratégies nationales et Bruxelles » », un entretien mené par Sylvain Rolland.
Manu : Avec Jean-Paul Smets, PDG de NEXEDI, un libriste depuis longtemps, on l’a rencontré à l’April.
Luc : Là il parle au nom d’une association qui fédère 26 associations du cloud européen.
Manu : C’est Euclidia. On a déjà abordé le sujet la semaine dernière. Ils veulent faire remarquer qu’ils ont leur mot à dire dans l’informatique en nuage, qu’il n’y a pas que les entreprises américaines qui existent, que ce n’est pas juste en faisant des récupérations de leurs codes managées par des équipes européennes qu’on va s’en sortir, qu’on va développer de vraies compétences et de vrais outils. À un moment donné, il faut faire confiance aux sociétés qui existent déjà.
Luc : ZDNet France, « Donald Trump lève un milliard de dollars pour financer son réseau social », un article de la rédaction.
Manu : On a déjà abordé le sujet mais c’est en continuelle évolution et ça va continuer à évoluer, il n’y a pas de doute ! Là il y a un milliard de dollars qui a été levé sur les marchés américains. Ce n’est pas mal !
Luc : Ça commence à faire une bonne somme !
Manu : Oui, il y a de quoi faire et surtout, on avait abordé ça, le réseau social qui est en train d’être déployé par Donald Trump est basé sur Mastodon [1] une sorte de Twitter dans l’idée mais beaucoup plus avancé, notamment décentralisé, et puis c’est du code libre, ça change tout.
Luc : Rappelons que nous sommes sur Mastodon [@echarp chez pouet.chapril.org et @lfievet2 chez pouet.chapril.org].
Manu : C’est vraiment un bon outil. Ils ont eu la bonne idée de le reprendre, mais ils n’avaient pas bien regardé les licences, c’est la licence AGPL [2]. Ils ont changé un petit peu leur fusil d’épaule, ils ont mis le code source. Ils n’ont pas mis le code source de leur instance, qui serait modifié, ils ont remis le code source officiel de Mastodon, donc c’est déjà une étape. On peut espérer, avec le temps, que s’il y a des modifications qu’ils ont faites de leur côté, et c’est vraisemblable, qu’ils les mettent aussi, que tout le monde puisse y jeter un œil.
Luc : Ou alors, s’ils continuent à ne pas respecter les licences, on peut peut-être se dire que les libristes arriveront à prendre une part de ce milliard de dollars parce qu’ils pourront faire des procédures qui dureront dix ans pour faire valoir leurs droits, aux États-Unis ça marche un peu différemment. En tout cas c’est quand même assez impressionnant. Si c’est sur les marché ça veut dire qu’ils attendent que ce soit rentable, je suppose, et qu’ils puissent en gagner de l’argent derrière. On verra ce que ça donne, on ne peut qu’espérer qu’ils se plantent allègrement comme ils se sont plantés sur toutes les tentatives de réseau social qui ont été faites avant.
Manu : Peut-être qu’ils vont se planter, je suis effectivement d’accord avec toi, mais on peut espérer qu’ils développent et qu’ils améliorent Mastodon d’une manière ou d’une autre. Après tout, il y a peut-être des informaticiens de talent qui travaillent pour eux et qui vont améliorer le logiciel, ça peut être sympa.
Luc : Dernier article. Acteurs Publics, « En difficulté, le DSI de l’État va quitter son poste », un article d’Émile Marzolf.
Manu : C’est un sujet difficile, parce que là, dans l’État il y a une direction informatique qui essaye de faire un gros travail d’organisation on va dire. C’est une direction interministérielle. Dans le passé il y avait quelqu’un, Henri Verdier [3], qu’on appréciait beaucoup à l’April, qui a fait des choses très intéressantes. Il a eu un successeur, celui qui est en place maintenant.
Luc : Nadi Bou Hanna.
Manu : Pourquoi pas, on ne le connaissait pas forcément bien. Il semblerait qu’il va partir de son poste un petit peu sous l’opprobre des journalistes, au minimum, parce qu’il y a pas mal d’articles qui sont sortis sur lui et qui parlent d’un management brutal où il aurait vraiment créé des problèmes avec ses troupes, des burn out, des gens qui se barrent, qui claquent la porte. On ne connaît pas les détails.
Luc : Sachant que dans ces services-là il y a pas mal de gens qui ne sont pas fonctionnaires, qui peuvent être sous contrat privé avec des CDD de trois ans comme l’État peut en faire. Également des prestataires qui ne sont pas des contrats de travail mais des contrats de service. Dans les articles qui remontent à quelques années, 2018/2019, on avait déjà des signes, on a retrouvé des articles qui parlaient de la difficulté dans l’organisation. Il était notamment accusé d’avoir modifié les organisations sans avoir consulté personne, également d’avoir une vue à court terme, de manquer de vision.
Manu : C’est bizarre mais de ce que l’on voit, je ne trouve pas ça pire, ce n’est pas si terrible que ça, surtout quand on compare avec d’autres méthodes de management dont on a pu entendre parler ou qu’on a pu vivre nous-mêmes. On ne connaît pas les détails, encore une fois, mais ce n’est pas si terrible !
Luc : On a quand même quelques retours dans ce qui lui est reproché. En tout cas, s’il part aujourd’hui c’est qu’il n’a pas su calmer les esprits. Toute la presse est d’accord pour dire qu’il part parce que ça ne se passe pas bien. C’est ce qui nous a amenés à en faire notre sujet de la semaine, on ne l’a pas annoncé. Notre idée c’était justement de parler un petit peu de management et de tous ces sujets-là. Le management c’est toujours compliqué, c’est un domaine qui est multidimensionnel. Dans ce cas-là, de ce qu’on a pu en lire, il y avait des rivalités entre Mounir Mahjoubi qui était secrétaire d’État au Numérique et Henri Verdier et que, en 2018, Henri Verdier a été débarqué. Certaines personnes disent que Mounir Mahjoubi voulait mettre quelqu’un à lui à la place, ce qui est possible, on ne sait pas si c’est vrai ou pas.
Pour moi, un des sujets importants dans les questions de management, c’est qu’on peut avoir un projet logiciel et on peut avoir des stratégies variables, multidimensionnelles, avec plein d’acteurs. Quand on parle d’une organisation on dit souvent « l’État ceci ou telle entreprise cela ». Or aucun de ces acteurs n’est un monolithe, derrière ce sont des individus qui ont tous leurs stratégies à l’intérieur. C’est, pour moi, un des premiers points difficiles dans les questions de management : est-ce que tous ces gens qui bossent ensemble vont dans le même sens ou est-ce qu’ils ont chacun leurs agendas respectifs et leurs objectifs propres qui ne vont pas nécessairement dans une même direction ?
Manu : Sachant que ça s’articule avec une culture d’entreprise et une culture du groupe dans lequel on est en train d’agir. Souvent ça découle, d’une manière ou d’une autre, du chef. J’ai cru constater ça dans les endroits où j’étais. En fonction de cette culture qui vient souvent du haut pour aller vers le bas, on peut vraiment avoir différents styles qui vont s’appliquer. Il y a un style qui est un peu amusant ou qui est peut-être une absence de style, que toi, je crois, tu rencontres, c’est le style des gestionnaires financiers qui sont juste là pour organiser que les chiffres soient bons.
Luc : C’est quelque chose que j’ai connu par le passé, dont on entend souvent parler, mais c’est toujours assez impressionnant de le voir en vrai au final, dans une entreprise cotée en bourse avec un actionnaire qui veut revendre ses actions, c’était le contexte dans lequel j’étais, avec un patron qui, en gros, a été mis en place pour mener l’opération. Toute la partie métier ce n’est pas sa mission, il n’est pas là pour ça. Les gens qui le payent grassement sont les actionnaires et veulent faire du bénéfice à la revente, donc on a un système. Comme l’argent est le moteur et la mesure de toute chose on sait qu’à chaque fois qu’il y a des opérations les gens vont toucher des bonus avec l’espoir qu’ils restent, qu’ils fassent leur boulot, etc. Mais le côté intégré où tu as un objectif qui consiste, par exemple, à faire un très bon logiciel pour le vendre, se perd finalement en chemin parce qu’il y a toute une série d’indicateurs ou de sous-objectifs de gens qui jouent leur partie contre les autres et qui peuvent complètement faire perdre l’objectif principal.
Pour moi, c’est une chose qu’il y a bien souvent dans le logiciel libre, pas obligatoirement à tous les coups. Une chose que je trouve forte dans le logiciel libre, dans beaucoup de projets, c’est que le seul objectif c’est de faire un bon logiciel. Or une entreprise va avoir des objectifs de marketing, de capture de clients, de communication, essayer de faire la nique aux concurrents, essayer de prendre des parts, des choses comme ça, c’est pour ça qu’on se retrouve souvent avec des choses qui deviennent compliquées parce qu’il faut collecter les données des clients et pas juste leur faire fonctionner le logiciel. Il faut s’assurer que leurs fichiers soient bien dans notre cloud à nous et pas chez eux ou ailleurs. Donc on va se débrouiller pour ne pas leur faciliter la vie. On va faire des fonctions un peu tordues pour s’assurer que les gens aient le comportement qu’on voudrait.
Tout ça fait qu’au final on va favoriser ce genre de choses qui ne va nulle part ou un peu contradictoire et on va se perdre un peu, ou beaucoup, en chemin.
Manu : Ceci dit, tu parles des équipes qui font du logiciel libre, mais, dans une certaine mesure, il y a beaucoup de ces équipes qui semblent ne pas avoir de management. Il y a des équipes qui vont faire des logiciels libres, Gimp [4] par hasard, eh bien c’est qui le chef ?
Luc : Il n’y a pas de chef, il y a Jehan [Pagès] qu’on a interviewé ici, qui est devenu mainteneur de Gimp depuis quelques mois maintenant. C’est effectivement un projet qui ne fonctionne qu’avec des bénévoles, avec des gens qui font ce qu’ils ont envie de faire. Eux n’ont pas du tout cette logique de parts de marché. Quand quelqu’un vient leur dire « Photoshop est mieux que votre logiciel », ils disent « eh bien utilise Photoshop ! ». Leur plaisir c‘est de faire un logiciel qu’ils aiment, c’est le faire le meilleur logiciel qu’ils ont en tête et aussi de prendre du plaisir à développer les parties qui les intéressent. Dans l’interface de Gimp, si on peut avoir une vision critique de la chose, il y a effectivement des choses qui sont un petit peu incohérentes. On a deux types d’actions qui sont très similaires mais dont le fonctionnement n’est pas proche, ce n’est pas très pratique à l’apprentissage du logiciel. Il y a aussi une partie positive, Gimp reste un logiciel assez incroyable, qui fait énormément de choses avec des moyens extrêmement modestes, personne n’est payé et on arrive à faire des trucs spectaculaires.
Wikipédia serait un autre exemple, encore plus spectaculaire, avec des gens qui ne sont pas payés pour faire le boulot.
Manu : Il se faut se méfier avec Wikipédia, parce que, parfois, ils peuvent être payés, mais ils ne le disent pas forcément. À la limite c’est de la corruption, il y a eu des cas.
Luc : Effectivement il y a des gens qui vont être payés par des entreprises ou des politiciens pour essayer de tordre le contenu de Wikipédia puisque c’est devenu une référence. Et là il y a des guerres d’édition. C’est un management encore un peu différent. Le fait que les gens ne soient pas d’accord et que ce soit une zone de conflit – même s’il y a des règles ça reste une zone de conflits – est intégré dans l’institution elle-même et les gens doivent négocier par de la confrontation aux faits. C’est un petit peu comme dans une forme démocratique sauf qu’on n’est pas n’est pas avec des chambres de représentants, des choses comme ça. C’est un management non centralisé.
Manu : Je suis sûr qu’en creusant un peu on peut découvrir des structures qui sont non visibles facilement de l’extérieur. Même dans Wikipédia, tu le sais, je le sais, il y a des comités, il y a des formes de groupes au-dessus, qui vont pouvoir, dans les cas les pires, intervenir.
Luc : Des administrateurs. Oui. Il y a des administrateurs. J’ai contribué à Wikipédia il y a très longtemps, au début des années 2000. De fait, j’ai vu un type avec qui j’ai contribué régulièrement claquer la porte en disant « les administrateurs ont trop de pouvoir, je ne crois pas à ce projet », et c’était début des années 2000. Donc je pense que oui, il y a matière à contester, après le monde n’est jamais parfait !
Manu : Le plus grand manager de tous, dans le monde du logiciel libre ? Je vais voir si tes yeux s’écarquillent ou si que tu sais qui j’ai en tête.
Luc : Linus Torvalds [5].
Manu : Quelque part. Il dit lui-même, à quel point c’est vrai ?, qu’il n’est plus un codeur, en tout cas c’est ce qu’il met en avant, et il n’est là que pour organiser des troupeaux de chats, il est dresseur de chats, comme on le sait c’est très difficile. Gérer des développeurs, des équipes de développeurs qui sont répartis dans le monde entier, qui sont des milliers, certains sont payés d’autres sont bénévoles – je crois que la plupart sont payés maintenant, en tout cas plus de la moitié. Derrière il y a des boîtes, il y a des enjeux, comme tu disais, qui sont divers et variés, il faut parfois répondre à des actionnaires ou à d’autres institutions. Linus Torvalds c‘est le grand dictateur bénévole au-dessus de cette pile, donc c’est lui qui impose un petit peu sa vision du projet. Qu’est-ce que tu en dis ?
Luc : Il a été largement décrié, il a même fait son mea-culpa sur un certain nombre de choses, il était accusé d’être brutal, d’insulter les gens, etc. Après c’est aussi le problème de ces projets qui appartiennent à un leader historique et c’est embêtant parce que le jour où cette personne disparaît pour une raison ou pour une autre qu’est-ce qui se passe derrière ?
Ça me fait penser à un projet comme Debian [6] qui est très connu pour son système de gestion, il y a des institutions, beaucoup d’institutions, beaucoup des règles, des votes, des représentations, une sélection drastique des gens qui rentrent dans le projet, etc., avec vraiment cette idée d’avoir une gouvernance. Je pense aussi à Blender [7] où on a également un animateur du projet qui l’a emmené très loin.
Cette question de management est très importante — on peut peut-être dire gouvernance, ce sera moins un anglicisme. On peut effectivement aller dans un sens ou dans un autre, on peut insuffler des ambiances très différentes. Dans le monde propriétaire Amazon est notamment connu pour mettre tout le monde en compétition, il y a des ambiances absolument dégueulasses au sein des équipes, y compris chez les hauts-cadres.
Il n’y a pas de management ou de gouvernance propre au Libre, il y en a plein qui peuvent être radicalement différentes. Si on a une entreprise qui fait du Libre, même déjà entre plusieurs entreprises du Libre ça ne va pas être du tout de la même façon de faire que par rapport à un projet comme Gimp.
Manu : Le logiciel libre n’a pas un management dédié, certes, mais on peut dire qu’il y a quand même des petites méthodes genre agile [8]. Ça mériterait qu’on en parle et qu’on fasse une émission à part entière, je trouve que c’est super pertinent.
Luc : Pour moi la méthode et le management sont relativement distincts.
On s’arrête là. On se retrouve en 2022.
Manu : C’est ça. Je te souhaite de bonnes fêtes. Repose-toi bien et à 2022.
Luc : Bonnes fêtes à tout le monde.
Manu : Salut.