Émission Libre à vous ! diffusée mardi 26 mars 2024 sur radio Cause Commune Sujet principal : Au café libre


Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Étienne Gonnu : Bonjour à toutes. Bonjour à tous dans Libre à vous !. C’est le moment que vous avez choisi pour vous offrir une heure trente d’informations et d’échanges sur les libertés informatiques et également de la musique libre.
Nous vous convions, ce mardi, Au café libre, pour débattre autour de l’actualité du logiciel libre et des libertés informatiques. C’est le sujet principal de l’émission du jour. Également au programme « Une cool AG, besoin d’adhésions et JDLÉ », une chronique de Laurent et Lorette Costy. Et, en fin, une nouvelle pituite de Luk, « l’humanité, c’est surfait »

Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission qui vous raconte les libertés informatiques, proposée par l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Je suis Étienne Gonnu, chargé de mission affaires publiques pour l’April.

Le site web de l’émission est libreavous.org. Vous pouvez y trouver une page consacrée à l’émission du jour avec tous les liens et références utiles et également les moyens de nous contacter. N’hésitez pas à nous faire des retours ou à nous poser toute question.

Nous sommes mardi 26 mars, nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.

À la réalisation de l’émission Julie Chaumard. Salut Julie.

Julie Chaumard : Bonjour. Bonjour à tous.

Étienne Gonnu : Nous vous souhaitons une excellente écoute.

[Jingle]

Chronique « À cœur vaillant, la voie est libre », la chronique de Laurent et Lorette Costy, sur le thème : « Une cool AG, besoin d’adhésions et JDLÉ »

Étienne Gonnu : « À cœur vaillant, la voie est libre » de Laurent et Lorette Costy. Comprendre Internet et ses techniques pour mieux l’utiliser, en particulier avec des logiciels libres et services respectueux des utilisatrices et utilisateurs pour son propre bien être en particulier et celui de la société en général. Laurent Costy est administrateur de l’April et fait cette chronique avec sa fille Lorette.
Au programme aujourd’hui « Une cool AG, besoin d’adhésions et JDLÉ ».

[Virgule sonore]

Laurent Costy : Hello Lorette ! C’était l’AG de l’April pas plus tard qu’il n’y a pas longtemps. Il faut que je te raconte. C’était vraiment chouette ! Et il faut aussi que je te dise que tu nous as manqué.

Lorette Costy : Oh, comme c’est gentil ! Vas-y, raconte ! Vous avez refait le monde ? Vous avez voté ? Vous avez bilanté ?

Laurent Costy : Bah, si tu veux savoir, tu n’avais qu’à venir !

Lorette Costy : Oui, mais, en fait, ça m’intéresse pas !

Laurent Costy : Bon, eh bien je te raconte quand même ! D’abord, le matin de l’AG, on avait organisé des conférences éclairs. Je dis « on », mais c’est une manière de parler. Ce sont surtout les autres.

Lorette Costy : Oh, je viens de retrouver mes paroles d’introduction à l’AG de l’année dernière. Je m’auto-cite, Lorette un an de moins : « L’avantage pour toi, Papa, c’est que quand tu as réussi à t’incruster sur la liste CA, tu peux usurper, avec des chroniques pour Libre à vous ! pendant que les autres compensent tes manques et donnent l’impression que la liste est efficace. »

Laurent Costy : Ma flemmardise ne serait pas récente ?

Lorette Costy : Non, je ne pense pas ! Sinon, j’ai vu le programme des confs éclairs ! Il y avait plein de trucs qui avaient l’air cool : en tout et pour tout, 16 conférences de six minutes, sur une diversité de sujets tous plus alléchants les uns que les autres.

Laurent Costy : J’avais justement prévu de raconter chaque conférence ici, tellement c’était bien, mais six minutes X 16 nous ferait une chronique de 96 minutes, un peu plus que l’émission complète, c’est quelque peu excessif ! On serait obligé, de surcroît, de supprimer toutes les pages de publicité qui n’existent pas, pour tout caser.

Lorette Costy : Ce serait bien dommage, mais il faut raison garder et, d’abord, les gens n’avaient qu’à être là ! Ça ne se fait pas de rater un moment pareil ! L’ensemble des supports de ces confs, sous licence libre, est accessible sur le Wiki de l’April. On vous met le lien sur la page de la chronique.

Laurent Costy : Bien dit, je n’aurais pas fait mieux ! Sinon, l’après-midi, dans la continuité de l’accueil chaleureux que nous a réservé Polytech Sorbonne à Jussieu – qui, en passant, adhère à l’April, faites pareil !, on les remercie à la fois pour l’accueil et l’adhésion –, l’AG a été ouverte par une conférence de Mathilde Saliou qui est journaliste à Next et a écrit le livre Technoféminisme. Comment le numérique aggrave les inégalités. Elle a parlé de diversité de genre et d’inclusivité dans le numérique. C’était très éclairant, surtout pour un homme comme moi engoncé dans son auto-centralité !

Lorette Costy : Intéressant ! Et après, vous avez déroulé les points statutaires ? En tout cas, j’ai lu le rapport d’activité – perso, je trouve qu’il manque un petit rapport moral en amont mais bon, je chipote –, il est juste remarquable, tant sur le fond que sur la forme.

Laurent Costy : Sur la forme, c’est juste un truc de fou : c’est François Poulain, notre trésorier préféré, expert en yourte, qui produit ça. Et, comme tu le disais l’année dernière lors de l’ouverture de l’AG, je te cite, Lorette, un an de moins : « C’est avec LaTeX qu’il fait ça, mais ça se prononce « lateC ». C’est comme la place « Breuil » à Strasbourg. Ça s’écrit « Broglie » mais ça se prononce « Breuil ». Sauf, bien sûr, pour les habitants qui snobent cette sophistication et prononce « Broglie Platz ». Parenthèses extrêmes orientales fermées.

Lorette Costy : C’est vraiment pratique, quand on est à la bourre, de pomper les textes des chroniques précédentes !

Laurent Costy : En plus, elles sont en Creative Commons By SA, on n’a pas besoin de demander à l’auteur !

Lorette Costy : Pratique !
Et sinon, sur le fond, si j’ai bien compris, c’est ce qu’on appelle un travail collaboratif à contribution bénévole et à appui lourd des salarié·es. C’est tout foufou tout ce que fait l’April avec ses moyens quand même limités. Je crois bien que je vais adhérer.

Laurent Costy : Mais voilà une excellente idée ! D’autant qu’après, il y a eu le rapport financier. Et là, c’était un peu moins jovial. Ça fait deux ans de suite qu’on affiche un déficit. Le CA pourrait se mobiliser pour une campagne d’adhésion, mais ça risque quand même d’alourdir encore la charge sur les épaules de mes camarades élu·es et sur les salarié·es. Non, le mieux, c’est que toutes les personnes qui nous écoutent adhèrent ou doublent leur cotisation après cette chronique. [Court silence, NdT]. Tu crois que je suis lourd en insistant comme ça sur les adhésions ?

Lorette Costy : Attends, laisse-moi chercher [Bruit de pages qu’on tourne, NdT]. « Lourdeur, nom féminin », je cite : « Impression de pesanteur pénible » et aussi « Manque de finesse, de vivacité, de délicatesse. Lourdeur d’esprit. » Ah ouais, tu es relou !

Laurent Costy : Justement, après l’AG, une soirée sympa était prévue en rejoignant Césure, Lieu des savoirs inattendus. Eh bien, figure-toi que cette soirée était très sympa. Sauf qu’il y a un truc que je n’ai absolument pas compris. Tout le monde parlait de tarentule, ça m’a fait penser à ça : « Ma tarentule elle est malade, ma tarentule elle est blessée, ma tarentule elle marche pas, qu’est-ce qu’elle a ma tarentule ? – Montre-moi ta tarentule. – La voila ma tarentule – Ta tarentule, elle est foutue ! – Elle est foutue ma tarentule ? – Elle est bousillée ta tarentule. – Tarentule temps de la réparer ? – Non, mais tatrentule amener plus tôt. – Beuheuhahaha ! ». Mais à priori, ça n’avait rien à voir, je n’ai pas vu d’araignées.

Lorette Costy : Tu n’as pas confondu avec « spatule », pour une soirée cuisine ? Bon et le lendemain, pas grasse mat, tu avais April Camp à la FPH, la Fondation pour le Progrès humain. Quel bilan, en trois exemplaires, tires-tu de ce moment dominical qui t’a permis d’éviter la messe ?

Laurent Costy : Trop bien. J’adore éviter la messe, surtout quand je n’y vais jamais, mais j’aurais eu une excuse pour ne pas y aller si j’avais dû m’y rendre. Et surtout, j’adore la FPH. D’ailleurs, je remercie Vincent Calame pour son accueil à chaque fois discret et qui frise l’adorabilité. Et aussi, je m’esbaudis toujours de savoir qu’il y a des toilettes sèches jusqu’au 3e étage de la Fondation pour économiser l’eau. Moi je dis « Respect ».

Lorette Costy : Certes, c’est la classe, mais n’est-on pas un peu loin de notre quota de mots et de vocabulaire du monde libriste, là ?

Laurent Costy : Attends, je regarde le serveur de stats : avec l’expression « monde libriste » que tu viens de prononcer, on est à 0,42 %. Effectivement, ce n’est pas bézef. Mais, justement, on a eu une discussion extrêmement intéressante pendant l’April Camp : paradoxe du logiciel libre émancipateur – posé par Pablo Rauzy la veille, lors des confs éclairs – et logiciel open source.

Lorette Costy : La position de l’April est claire là-dessus. Page 42 du site, on vous mettra le lien : « Le mouvement du logiciel libre est avant tout éthique et philosophique, basé sur le partage de la connaissance et l’entraide, là où le mouvement open source met en avant les logiciels libres pour leurs avantages pratiques. En outre, le terme open source a souvent été utilisé dans un sens erroné pour qualifier des logiciels ne répondant pas aux critères de l’Open Source Initiative. Le terme « logiciel libre » étant donc plus précis et renforçant l’importance des libertés, il est utilisé par l’April. »

Laurent Costy : Oui, moi aussi, bien sûr, je connaissais cette page et son contenu par cœur. Ce qui est intéressant, c’est que ça a permis de clarifier les esprits, car ce n’est pas toujours simple à appréhender, pas pour moi, bien sûr ! Par exemple, si la définition du logiciel libre était plutôt claire dans les esprits, celle de l’open source renvoyait parfois du positif et parfois du négatif par rapport au libre.

Lorette Costy : Il faut dire qu’il y a à boire et à manger, non ?

Laurent Costy : Carrément ! Et je distinguerais deux grandes catégories : il y a d’abord l’open source d’inspiration libriste et il y a aussi l’open source d’aspiration libriste. Pour l’open source d’inspiration, ce sont des gens qui cherchent des voies pour améliorer notre société mais qui, lorsqu’ils attachent une licence libre, au départ, à leur logiciel, la modifient et viennent contredire au moins une des quatre libertés du logiciel libre.

Lorette Costy : Donc, si on simplifie, ils sont plutôt dans la catégorie « bons chasseurs », dans le monde du « il y a des bons chasseurs et des mauvais chasseurs ».

Laurent Costy : Carrément ! Et dans la catégorie open source d’aspiration, on pourrait presque distinguer encore des catégories : une catégorie Microsoft-Google-Dyson, par exemple, qui aspire tout et une catégorie plus subtile OpenTruc-Womanizer qui contribuerait à minima.

Lorette Costy : Bref, si je comprends bien, en tant que libriste et si on regarde aussi avec le prisme progrès social, il ne faut pas oublier que l’open source et Le Libre sont proches et utilisent des licences majoritairement similaires.

Laurent Costy : Parfaitement résumé ! Bon, j’accélère et je te passe le déjeuner avec la très bonne omelette commune initiée par mon camarade de CA, Loïc Dayot, ainsi que la séquence des réflexions autour du numérique acceptable parce que là, présentement, il faut qu’on révise pour la Journée du Libre Éducatif ! On passe en fin de matinée vendredi.

Lorette Costy : C’est vrai ! C’est vendredi 29 mars, dans trois jours ! Ce sont surtout les enseignants et les enseignantes présentes qui devraient réviser, parce qu’on leur prépare une sacrée surprise !

Laurent Costy : Tiens, on va aussi profiter du JDLÉ pour tenter une expérience. Comme on respecte les données de nos p·auditeurs et p·auditrices et que ce n’est pas simple d’évaluer l’auditoire en FM, on a du mal à savoir si les gens écoutent Libre à vous ! et la chronique. Or, là, on va pouvoir tenter une mesure d’audience à l’ancienne. Admire la subtilité du stratagème…

Lorette Costy : Je sais, je sais ! Moi, moi, moi ! On va dire un mot que les fidèles de la chronique reconnaîtront, un mot spécial. Comme ils auront écouté la chronique aujourd’hui, ils sauront qu’il faut répondre un truc, genre taper des pieds ou frapper dans les mains, comme ça, on saura qui écoute !

Laurent Costy : Je pensais à un questionnaire à l’entrée mais bon, si ton stratagème est un peu moins subtil que le mien, on va quand même prendre le tien. Du coup, on choisit quoi comme mot ?

Lorette Costy : Sans hésitation aucune, je pense à prendre « ecballium », le concombre d’âne ! Quand les gens entendront ce mot, ils devront applaudir et siffler pour celles et ceux qui savent le faire — siffler, pas applaudir !

Laurent Costy : Ça ne va pas être évident à placer dans une journée consacrée aux communs numériques dans l’éducation, mais on a bien réussi à le placer dans la chronique, donc, il n’y a pas de raison !

Lorette Costy : Par contre, il faut se donner une grille d’évaluation, c’est obligatoire, maintenant, dans notre société, sinon ça ne fait pas sérieux. Donc, si moins de deux personnes réagissent dans la salle, alors, il faudra se rendre à l’évidence ; tel Matt Damon, on est un peu seul sur Mars. Entre deux et quatre, succès moyen. Plus de quatre et jusqu’à 1000 : succès satisfaisant et agréable.

Laurent Costy : Top là, ça me va ! Et je t’offre un verre pour fêter ça, un Whisky-grenadine. En attendant vendredi, je te fais la bise au silicium de d’hab’, ma puce.

Lorette Costy : Kakou ! Kakou ! Je vais pouvoir faire des châteaux de sable avec tout ce silicium. Bisous, À vendredi !

[Virgule sonore]

Étienne Gonnu : Nous sommes de retour en direct dans Libre à vous !, l’émission qui vous raconte les libertés informatiques.
Nous venons d’entendre « À cœur vaillant la voie est libre » de Laurent et Lorette Costy. Laurent et Lorette interviendront donc vendredi 29 mars dans le cadre de la Journée du Libre Éducatif.
Nous allons à présent faire une petite pause musicale.

[Virgule musicale]

Étienne Gonnu : Après la pause musicale nous vous donnons rendez-vous Au café libre, pour parler de l’actualité autour du logiciel libre.
Avant cela, nous allons écouter Cold Burn par Lemon Knife. On se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : Cold Burn par Lemon Knife

Voix off : Cause Commune, 93.1.

Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter Cold Burn par Lemon Knife, disponible sous licence libre Creative Commons Attribution, CC By.

[Jingle]

Étienne Gonnu : Passons maintenant à notre sujet suivant.

[Virgule musicale]

Au café libre (actualités chaudes, ton relax) : débat autour de l’actualité du logiciel libre et des libertés informatiques

Étienne Gonnu : Nous vous souhaitons la bienvenue Au café libre où on vient papoter sur l’actualité du logiciel libre, dans un moment convivial. Un temps de débat avec notre équipe de libristes de choc, issus d’une rigoureuse sélection pour discuter avec elles et eux et débattre des sujets d’actualités autour du Libre et des libertés informatiques.
Aujourd’hui, avec moi autour de la table, Florence Chabanois, fondatrice de La Place Des Grenouilles, membre core de Tech.Rocks et de Duchess France, et Pierre Beyssac, informaticien libriste de longue date, fondateur d’eriomem.net, un service de stockage de fichiers.
Bonjour à vous deux et merci de vous être joints à moi pour ce temps d’échange.

Pierre Beyssac : Bonjour Étienne. Bonjour à toutes et tous.

Florence Chabanois : Bonjour tout le monde.

Étienne Gonnu : Je dois dire que je suis ravi d’animer ce Au café libre, j’ai dû reporter deux fois, pour différentes raisons, mon animation de ce nouveau format, donc je suis vraiment ravi de partager ce moment avec vous. N’hésitez pas à participer à notre conversation au 09 72 51 55 46 ou sur le salon web dédié à l’émission sur le site causecommune.fm, bouton « chat ».

Canonical fête ses 20 ans

Étienne Gonnu : Pour se mettre en appétit, je vous propose de commencer par une nouvelle positive : Canonical fête ses 20 ans. Canonical, c’est sans doute peu connu, mais le logiciel que cette entreprise a développé et maintient l’est sans doute beaucoup plus, il s’agit d’Ubuntu, une distribution du système d’exploitation GNU/Linux. Gee, l’un de nos chroniqueurs, lui a consacré sa dernière chronique, la semaine dernière, dans Libre à vous ! 203. Il s’est montré critique, parce que rien n’est jamais parfait, que c’est une entreprise qui développe derrière et, parfois, Ubuntu peut être un peu moqué, on va en parler, en tout cas, il disait que l’écosystème du Libre serait très différent sans l’apport de Canonical et d’Ubuntu. On souhaite donc un bel anniversaire à Canonical et longue vie.
Qu’est-ce que cela vous inspire quand vous pensez à Ubuntu ou à Canonical ?

Pierre Beyssac : J’ai une petite anecdote. Ce week-end, j’étais à Liège. J’ai un ordinateur avec Mint, qui est un Linux dérivé d’Ubuntu. Quand j’ouvre l’ordinateur, le logo s’affiche et d’habitude, en général, je n’ai jamais aucune réaction. Et là, pour la première fois de ma vie – ça ne fait pas non plus des années que j’utilise Mint –, un truc complètement inattendu : j’étais dans un bar, une jeune femme, à côté de moi, m’a dit « vous utilisez Mint ! ». J’étais sur les fesses ! En fait, il y a un groupe d’utilisateurs Linux à Liège, qui en fait la promotion, qui s’appelle le Liege Linux Team, lilit.be. Ça montre que les choses avancent parce que c’est la première fois que des gens, que je ne connais pas, remarquent un usage de Linux. Donc, vraiment, les choses ont beaucoup avancé. Je m’en sers parce que c’est facile à utiliser sur un ordi portable et c’est plus facile à installer que Windows. Quand on achète une licence Windows, c’est une galère sans nom à installer, il vaut mieux acheter ce truc-là sur un ordinateur neuf, donc ça pousse, en plus, à acheter des ordinateurs neufs, mais Ubuntu et Mint, super !
On peut effectivement dire qu’il y a des soucis par rapport à l’aspect commercial, bien entendu, on est en droit de se poser des questions, mais, globalement, ça a énormément fait pour la facilité d’usage de Linux et son expansion.

Étienne Gonnu : Juste pour préciser, je parlais de critiques, je me suis un peu embrouillé là-dessus : parfois, certaines personnes peuvent reprocher certaines approches commerciales vis-à-vis d’Ubuntu, la présence ou la facilité d’installation de logiciels, mais c’est une question d’approche, ça reste du strict logiciel libre et Ubuntu est un super système, une très bonne entrée en matière au logiciel libre.

Pierre Beyssac : Et dérivé de Debian, il faut aussi le dire, qui est totalement libre.

Étienne Gonnu : Florence.

Florence Chabanois : Déjà ça m’intéresse, ça fait longtemps que j’ai commencé l’informatique. J’étais sur Mandrake, ça a été mon premier OS non Windows, on va dire. Je n’ai pas gardé très longtemps Mandrake, c’est effectivement Ubuntu qui l’a emporté assez vite. Typiquement, j’avais des espèces de poubelles d’ordinateurs portables qui ramaient pas mal, que j’achetais déjà d’occasion à l’époque, et, clairement, il n’y avait que Ubuntu qui marchait dessus.
C’est vrai qu’en relisant l’article et en voyant la pochette, j’ai voyagé 20 ans en arrière où je collectionnais plein de CD, je les installais partout, donc grande émotion ! Je n’ai pas la partie critique sur Ubuntu parce que, clairement, c’est ça qui m’a ouvert la porte concernant Linux. Je n’aurais jamais pu ou même eu envie de démarrer sur du Gentoo ou des choses comme ça, c’est quand même ce qui l’a popularisé.

Étienne Gonnu : Il me semble qu’une force reconnue d’Ubuntu, c’était de rendre accessible aussi à des personnes qui n’ont pas l’habitude de l’informatique, à une époque où le logiciel libre était peut-être moins performant, j’utilise le terme, soit en termes d’ergonomie, parce que ça prend du temps de développer ça aussi, et Ubuntu était quand même plus facile d’accès pour des personnes qui n’avaient pas ce recul. C’est mon sentiment pour l’époque, je ne suis pas du tout informaticien.

Pierre Beyssac : Oui. Je peux le dire. J’ai aussi un côté béotien au sens où, parfois, j’ai envie juste que ça marche et quand on vient de Windows, on n’est pas trop dépaysé par les interfaces Ubuntu. Les interfaces graphiques, même hors Ubuntu, ont globalement énormément progressé depuis 20 ans.

Étienne Gonnu : Je suis sur une Debian et je ne suis pas du tout perdu.

Pierre Beyssac : Même les fonctions de réglage du système, quand on veut régler les sorties écran, les haut-parleurs, les choses comme ça, ce n’est pas la même chose que Windows, mais on n’est pas dépaysé quand on vient d’un autre système, c’est bien.

Étienne Gonnu : Et puis, comme pour tout, c’est une question d’usage et de pratique.
Si vous ne connaissez pas Ubuntu, si vous n’êtes pas encore sur un système d’exploitation libre, on vous recommande soit d’utiliser Ubuntu, Debian, Mint, ce qui vous plaît. Essayez. L’avantage, c’est qu’on peut passer de l’un à l’autre, on peut aller voir des groupes d’utilisateurs de logiciels libres dans beaucoup de villes de France, on peut les retrouver sur l’agendadulibre.org, pour être aidé et accompagné aussi dans l’installation d’un nouvel outil, d’un nouveau système d’exploitation, parce que ce n’est jamais si simple que ça, même si ça l’est beaucoup plus qu’avant, et, parfois, on peut vouloir être aidé. En tout cas merci à Ubuntu, merci Canonical.

Pierre Beyssac : Peut-être un petit mot, un dernier mot : avec le logiciel libre, il n’y a pas de problème de licence à payer, on peut prendre une clé USB maintenant, on peut installer ce qu’on appelle une image live, on peut essayer un système sans avoir à l’installer. C’est une énorme force, on peut vraiment passer sa vie à tester des systèmes pour voir s’il y en a un qu’on préfère aux autres.

Étienne Gonnu : Bien sûr. Et c’est aussi une bonne raison pour aller dans des événements libres. Il y a souvent des stands, etc., il suffit de regarder qui sont les personnes présentes qui peuvent proposer des démonstrations de leur système d’exploitation ; c’est une manière de voir si l’ergonomie convient, si ça répond aux besoins d’usage, etc. Ces systèmes de clé USB sont effectivement un bon exemple.
À nouveau, joyeux anniversaire à Canonical et longue vie à Ubuntu.
Je propose de passer notre sujet suivant.

[Clochette]

Le temps de parole des femmes dans les médias

Étienne Gonnu : J’avais vu Fred utiliser cette clochette, je suis ravi de pouvoir l’utiliser à mon tour.

Pierre Beyssac : N’est-ce pas la clochette de Bookynette ?

Étienne Gonnu : Je ne connais pas son histoire, je sais qu’elle est jaune April.

Pierre Beyssac : Clochette libre partagée.

Étienne Gonnu : Pour le sujet suivant, je vous propose, puisqu’on est au mois de mars, mois de mars, bien sûr, c’est l’arrivée du printemps, mais c’est aussi une autre date très importante, le 8 mars, à savoir la Journée internationale des droits des femmes.
Florence nous a signalé un récent rapport de l’Arcom [Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique] qui pointe que si la place des femmes augmente dans les médias, leur temps de parole, lui, est plutôt à la baisse : 34 % en 2023 contre 36 % en 2022, donc légère baisse, mais aussi et surtout une disproportion quand même très importante. Pourquoi en parle-t-on Au café libre ? Bien sûr, le sujet est important, mais aussi parce qu’il existe un outil dont tu souhaitais parler, un logiciel libre sous licence MIT, qui permet de mesurer ce temps de parole.

Florence Chabanois : C’est un logiciel qui s’appelle InaSpeechSegmenter. En réalité, c’est l’outil que l’Arcom utilise chaque année pour mesurer le temps de parole sur les différents médias, que ce soit audiovisuel ou radio, qui a permis de donner à voir qu’on avait un petit peu baissé sur la partie temps de parole, quand bien même le nombre de femmes avait progressé. Il permet de voir aussi la répartition en fonction des secteurs d’activité. On voit typiquement que, sur la politique, c’est le sujet sur lequel, pour la sixième année de suite, les femmes ont le moins de temps de parole, avec 32 % d’invitées.
Ça prend n’importe quel fichier audio. Si vous enregistrez vos réunions, une pratique que de plus en plus pour que les personnes puissent regarder plus tard, à partir du moment où l’encodeur c’est du FFmpeg, en entrée, vous passez ça sur ce logiciel qui est en Python et ça ressort des statistiques, donc super pratique pour avoir des données factuelles sur le temps de parole.

Pierre Beyssac : J’ai une petite question : ça identifie si la voix est une voix de femme ou d’homme ?

Florence Chabanois : Absolument.

Pierre Beyssac : Donc, pour les gens qui ont des voix atypiques, ça peut quand même se tromper.

Florence Chabanois : Oui. Comme pour tout outil, ce sont des tendances. Déjà, on ne parle que des hommes et des femmes, on ne parle pas de tout ce qui est transgenre, non-binaire. On va vraiment avoir un aperçu grosse maille des tendances. Cela dit, les écarts sont suffisamment criants pour que ça fasse le travail.

Pierre Beyssac : Ça donne déjà une idée. Il vaut mieux avoir un chiffre approximatif que pas du tout.

Florence Chabanois : Clairement.

Étienne Gonnu : Tu as parlé d’encodage FFmpeg, je pense que tout le monde n’est pas forcément familier du terme et, après, j’aurais une question.

Florence Chabanois : Je ne vais pas trop rentrer dans les détails, c’est un encodeur, à la limite, testez. Prenez-le, en ligne de commande, vous passez en paramètre… Je sens que je me noie dans les données techniques.

Pierre Beyssac : Je peux en donner peut-être deux/trois.

Étienne Gonnu : En gros, on peut dire que l’encodage, c’est passer dans un certain format les formats de vidéo ou d’audio.

Florence Chabanois : Oui absolument, il y a MP4, MP3, je ne sais pas si ça passe, mais ça doit passer, c’est du FFmpeg.

Pierre Beyssac : Si, ça passe, en audio, en vidéo, ça décode et ça encode à nouveau.

Florence Chabanois : Je ne sais pas quel format n’est pas en FFmpeg, en réalité, aujourd’hui.

Pierre Beyssac : Il doit y en avoir, peut-être des formats propriétaires, justement. Comme c’est un outil libre et que ça exploite un maximum de formats, je crois que tout ce qui est à peu près libre est dedans.

Florence Chabanois : On a tendance à essayer en vrai.

Pierre Beyssac : En fait, c’est utilisé pratiquement par tous les sites de vidéo quand on uploade une vidéo sur un site quelconque, à priori même chez Google, YouTube ou autre, il doit y avoir du FFmpeg derrière, et aussi sur des logiciels type PeerTube, ça permet de convertir les résolutions, les formats, de couper des morceaux, c’est extraordinaire. Je crois que l’un des auteurs est Fabrice Bellard, un Français, gourou du Libre et, derrière, il y a sûrement des gens de VideoLAN. Il y a une forte influence française derrière.

Étienne Gonnu : VideoLAN développe le logiciel que, je pense, quasiment tout le monde connaît qui est VLC, ce logiciel de lecteur média, avec son petit cône orange, un logiciel libre effectivement extrêmement connu, extrêmement utilisé. On les avait reçus dans Libre à vous ! il y a quelque temps, vous cherchez en utilisant le moteur de recherche du site.
Tu as mentionné PeerTube. Je précise qu’exceptionnellement, comme lors du dernier Au café libre, nous sommes effectivement en ce moment sur PeerTube, il y a sans doute un encodage du son.

Pierre Beyssac : Bonjour PeerTube.

Étienne Gonnu : Je comprends du logiciel, tel que tu le décris, que c’est pour traiter une grande masse de données, en fait ça va aspirer beaucoup de données, ou est-ce aussi un logiciel qu’on va pouvoir utiliser, tu as dit réunion, mais je pense aussi, par exemple, dans un meeting politique, une petite réunion ? C’est un logiciel qu’on peut utiliser ? Du coup, humainement, peut-être qu’on pourrait repréciser homme, femme.

Florence Chabanois : Complètement. Là, par exemple, l’enregistrement de PeerTube, il y aura, de toute façon, un fichier, on peut extraire le fichier avant de le téléverser sur la plateforme. Du coup, en lançant le script Python qui est développé par l’Inria [Institut national de recherche en informatique et en automatique], ça permettra après d’avoir la statistique : aurai-je parlé un tiers du temps vu que nous sommes trois ? Je ne sais pas, on verra. En tout cas, ça permet de s’affranchir de tout ce qui est biais, d’avoir des données concrètes, j’aime bien.

Étienne Gonnu : Effectivement, la question du temps de parole des femmes et de l’équilibre des temps de parole n’est pas une question de logiciel libre, c’est une question qui concerne tout le monde. Par contre, c’est intéressant : on voit comment des outils peuvent venir répondre et il nous faut aussi ces métriques. Dans Libre à vous !, nous sommes assez attentifs, nous essayons de faire un effort actif pour avoir une participation de femmes aussi proche possible que celle des hommes, vu qu’on s’inscrit dans un système qui est inégalitaire de fait, on fait au mieux. On mesure, on ne peut pas avancer à l’aveugle et c’est pour cela que c’est important d’avoir ce genre d’outil. Donc, si on est dans des collectifs qui veulent avoir cette vigilance, est-ce que c’est un outil qu’on peut assez facilement récupérer et installer pour son usage ?

Florence Chabanois : Oui, complètement. En même temps que je t’entends parler, l’outil que j’aime bien, c’est Jitsi Meet si on parle de visioconférence : on a les statistiques en temps réel du temps de parole de chaque participante et participant. Du coup, c’est un super outil d’auto-modération en temps réel, plutôt qu’attendre d’avoir terminé la réunion et regarder après coup « on est bien, on n’est pas bien » ; ça permet de voir de façon criante où on en est.

Pierre Beyssac : C’est génial comme système ! Ça permet de voir où on en est.

Étienne Gonnu : Je précise que Jitsi est un logiciel libre de visioconférence. Je ne connaissais pas cette fonction très intéressante.

Florence Chabanois : Elle est top. Elle marche très bien.

Étienne Gonnu : Utilisez-la. N’hésitez pas à vous appuyer sur les outils libres qui existent, il y a des logiciels libres qui peuvent répondre à ces enjeux et ce genre d’outil permet de répondre à cette question importante de la mesure du temps de parole.
Je vous propose d’avancer dans nos sujets.

[Clochette]

« La neutralité sur Wikipedia ? La question du deadname des personnes trans relance le débat

Étienne Gonnu : On ne change pas complètement de thématique.
Dans la chronique précédente, a été évoquée Mathilde Saliou qui est intervenue à l’AG de l’April, récemment, pour proposer une conférence « Comment rendre le numérique plus inclusif ». Elle a récemment publié un article, le 14 mars sur Next : « La neutralité sur Wikipédia ? La question du deadname des personnes trans relance le débat », c’est le titre de l’article. Les deadnames, moribonds en français, sont les prénoms qui ont été assignés aux personnes trans à leur naissance, donc avant leur transition, un prénom qu’ils ou elles ont décidé d’abandonner pour en choisir un qui correspond mieux à leur identité de genre.
Il y a beaucoup de débats au sein de Wikipédia autour cette question : faut-il mentionner ce nom dans les articles Wikipédia ?
Je trouve ce débat très intéressant pour beaucoup de raisons ; c’est un débat compliqué, qui pose des questions vraiment fondamentales sur la façon dont fonctionne Wikipédia. Je trouve que c’est quand même le rôle, la fonction sociale et politique de Wikipédia, qui est un des plus importants projets de la culture libre, je pense qu’on peut même dire un des projets humains les plus importants de ces dernières années et c’est ce qui ressort de l’article de Mathilde Saliou : qu’est-ce que la neutralité ? Est-ce qu’une telle encyclopédie doit assumer de prendre en compte les évolutions de la société ? Je trouve que l’impact de l’objet qu’est Wikipédia est intrinsèquement politique.
Je ne sais pas ce que vous inspire ce débat. Florence.

Florence Chabanois : Dans les arguments de Wikipédia, c’est justement qu’ils voulent être neutres et ne pas rentrer dans des problématiques militantes.
Déjà, je pense que c’est facile d’avoir cette posture quand est parmi les dominants.
J’ai trouvé assez intéressant, dans la démarche, qu’ils parlent un peu de leur prise de décision : comment ils décident, ensemble, d’une façon de faire par rapport à une autre. Du coup, une espèce de questionnaire, un sondage, a tourné sur cela, pour que, au moins les personnes concernées puissent s’exprimer. Il y a une problématique de vie privée, le fait que les personnes trans, en tout cas celles qui avaient été interrogées, ne souhaitaient pas faire apparaître leur deadname parce que c’est rattaché à trop de souffrance et qu’on devrait respecter ça, sachant que dans les règles de la fondation il y a « ne pas nuire aux personnes dont on dresse les biographies ». Du coup, une des personnes, par rapport à cette façon de prendre les avis et de prendre des décisions à travers des sondages, disait que, sur ce sondage, il y avait énormément d’avis polarisés. Il y a eu deux fois, seulement, où c’était très polarisé, c’était sur ce sondage et sur l’écriture inclusive.
En tout cas, je remarque en tant que femme, pour le coup, que ce sont des sujets où la majorité des contributeurs sont des contributeurs hommes et les sondages qui « posent problème », entre guillemets, concernent des minorités de gens. C’est là où on voit qu’on a plus de mal à changer nos habitudes, notre statu quo, et à prendre en compte les problématiques d’une partie de la population dans laquelle on se reconnaît pas.
Après, je ne suis pas une personne trans. Pour moi, à partir du moment où ça génère de la souffrance, il n’y a pas de débat. Je crois qu’une des décisions c’était de dire que si la personne n’avait pas encore transitionné et qu’elle avait déjà une page Wikipédia, on gardait, on faisait mention du deadname quelque part, mais pas forcément mis en avant.
C’est vrai que cette question n’est pas évidente. Ma préconisation serait quand même de se mettre à la place des personnes qui sont concernées.

Étienne Gonnu : Je précise. Je crois qu’un des aspects de la décision, je ne suis pas non plus ce qui se passe dans le détail, ça reste ouvert, on peut donc aller regarder, jeter un œil. Effectivement, si la personne était connue et avait une fiche Wikipédia avant, il y a un intérêt quelque part. L’exemple pris par Mathilde Saliou, c’était les sœurs Wachowski qui ont notamment produit des films très connus, comme Matrix, en tant qu’hommes et elles ont transitionné par la suite. La question ne paraît pas forcément plus tranchée, mais des éléments matériels permettent peut-être de justifier la présence de ce nom : sous quel nom a été publiée une œuvre. En tout cas, ça fait partie des éléments.
Pierre.

Pierre Beyssac : Merci pour vous vos retours. J’ai essayé de regarder un petit peu le sujet. J’ai vu passer cette actu et le sujet est effectivement extrêmement complexe, je n’ai pas eu le temps de creuser autant que vous.
Le sujet des biographies sur Wikipédia est déjà un sujet très sensible parce qu’on veut éviter que les personnes citées mettent n’importe quoi, fassent leur auto-promo.

Étienne Gonnu : Précisons : dans les règles de Wikipédia, on ne peut pas participer à l’écriture de sa propre biographie, ce n’est pas de l’autobiographie.

Pierre Beyssac : On peut, mais on marche sur des œufs parce que, évidemment, il ne s’agit pas de faire son propre panégyrique, c’est déjà un souci. Après, il y a le côté histoire, il y a une sorte de côté mémoire de Wikipédia qu’on ne souhaite pas forcément vouloir altérer et il y a effectivement une demande très forte dans la communauté trans sur le deadname, si ça s’appelle deadname ce n’est pas pour rien, ça évoque le fait qu’on veut faire disparaître son ancienne identité et c’est aussi à entendre, avec, en plus, les règles de Wikipédia pour éviter les abus. C’est un site extrêmement visible et influent. En matière de Libre, je crois que Wikipédia est effectivement le site internet le plus visible, en tout cas en audience ; en France, il n’y a pas de site libre plus visible que Wikipédia, même face à tous les autres qui ont une importance majeure, au niveau législation, en termes de défense des intérêts de la culture libre.
Je ne sais pas, je suis perplexe parce que je ne vois pas quelle peut être la meilleure solution. Tant mieux si la communauté Wikipédia arrive à trouver une solution. Peut-être qu’on pourrait imaginer que suivant les pages et suivant les personnes concernées, on cite, ou pas, le deadname. J’imagine qu’il n’y a pas forcément, non plus, une homogénéité totale des personnes trans en la matière. Comme c’est un sujet très délicat pour tout le monde, j’avoue que je n’ai pas d’avis très tranché.

Étienne Gonnu : Je pense qu’il faut aussi accepter que ce n’est pas à nous d’avoir des réponses, d’autant qu’aucun de nous, ici, n’est concerné par cette question. Ce qui est important, à mon sens, c’est aussi la réponse du Libre de manière générale, ce n’est pas tant forcément dans les solutions retenues, c’est comment on atteint ces solutions.
Je vous invite à réécouter l’émission 21, qui date déjà de 2019, mais ça n’a pas changé. On avait reçu les personnes qui gèrent Wikipédia et qui expliquent comment fonctionnent les prises de décision, la création d’articles, qui peut contribuer, comme on contribue. En fait, quand on met des bases transparentes et à peu près claires sur la façon de prendre des décisions, c’est aussi cela qui rend les décisions acceptables et les décisions peuvent évoluer, on peut changer. Tout en acceptant un biais que tu as très bien mentionné : les contributeurs – je n’ai pas le chiffre en tête, je l’ai vu passer, je ne l’ai pas noté, j’aurais dû –, sont principalement des hommes, c’est le fruit d’une société patriarcale dans laquelle nous sommes, ce sont plutôt les hommes qui sont éduqués à utiliser l’informatique, qui sont à l’aise avec, etc., donc ça a aussi des impacts sur qui contribue et comment on atteint les décisions. C’est clair que c’est d’une complexité énorme. Je trouve intéressant aussi cette question : qu’est-ce que la neutralité dans Wikipédia ? Est-ce que ça doit être une encyclopédie factuelle et c’est quoi le factuel, ça reste politique ? Ou est-ce qu’il faut que Wikipédia ait aussi un rôle de participation à l’émancipation quelque part, donc être vecteur de progrès social ? Mais comment faire ? C’est vrai que ce sont des questions complexes.
On avance ou juste un dernier mot.

Florence Chabanois : Pour moi sur la neutralité, dans la mesure où on choisit, ou pas, de mettre une information.

Pierre Beyssac : Un mot aussi sur l’égalité des temps de parole : Wikipédia cherche à rééquilibrer, il y a aussi un problème sur Wikipédia au niveau des biographiess, il y a plus de biographie d’hommes célèbres que de femmes célèbres et Wikipédia cherche…

Étienne Gonnu : Wikimedia, pas Wikipédia. Je l’avais mis dans mes notes et, justement, avant d’avancer on va en parler, je vais laisser Florence en parler, je pense que tu parles des Sans pagEs.

Florence Chabanois : Pas forcément.

Étienne Gonnu : Je pense qu’on peut évoquer Les sans pagEs, on l’a déjà évoqué dans l’émission, c’est intéressant aussi.

Florence Chabanois : À ma connaissance, justement, ils ne sont pas contre, il n’y a pas eu d’efforts.
Les sans pagEs est une association qui va rédiger des biographies de femmes pour augmenter la visibilité et les contributions des femmes dans la vie, dans la société. Il y a vraiment des écritures, réécritures entre clans. Du coup, ce n’est pas si évident de réécrire plusieurs fois les mêmes articles. Est-ce que c’est légitime, est-ce que ça ne l’est pas ? Est-ce que, quand on est femme de quelqu’un, on aura le droit d’avoir sa propre page Wikipédia ? Alors que, sinon, il faut apporter plus de preuves et là, les biais sexistes de la société n’épargnent pas les contributEURS et les décidEURS, j’insiste sur le « EURS », de Wikipédia.
Je vous invite vraiment à rejoindre l’association, c’est complètement ouvert, il y a régulièrement des ateliers, d’une demi-journée il me semble, justement pour apprendre à contribuer sur Wikipédia. On apprend déjà plein de choses sur des histoires qui sont méconnues et, d’un point de vue technique, je ne sais pas si c’est un frein, mais c’est possible que cela en soit un. Après, je pense que les femmes – je suis vraiment d’un gros cynisme aujourd’hui – ont moins de temps personnel. En réalité, elles passent deux fois plus de temps sur les tâches ménagères, elles s’occupent aussi de leurs proches, du coup, forcément, c’est moins de temps pour contribuer sur autre chose.

Étienne Gonnu : N’est-ce pas cela qu’on appellerait un problème systémique ?

Florence Chabanois : Il y a plein de facteurs.

Pierre Beyssac : À fortiori, Wikipédia ayant cherché à se protéger avec des procédures assez complexes, c’est très chronophage, ce n’est pas comme il y a 20 ans, il ne suffit d’aller modifier une page et ça passe ! On peut se faire retoquer, d’ailleurs il y a même des gens qui passent leur vie à écrémer Wikipédia de ce qu’ils estiment ne pas être de valeur encyclopédique. L’été dernier, des associations de Linuxiens ont vu leurs pages potentiellement disparaître et quelqu’un voulait dégager toute une série de pages sur le logiciel libre. C’est donc très difficile d’avoir des biographies nouvelles sur Wikipédia, il y en a même pas mal qui sont détruites au fil du temps.

Étienne Gonnu : Tout à fait. C’est pour cela aussi que je trouve intéressant l’objet des Sans pagEs. On peut aussi s’organiser pour aller contribuer à Wikipédia : est-ce que ça doit venir de Wikipédia ou est-ce que d’autres associations peuvent se regrouper, s’organiser pour contribuer à Wikipédia ? Je ne vois pas de problème à passer par cela et j’invite tout le monde à aller contribuer à Wikipédia, notamment les femmes, si elles ont effectivement le temps ; c’est ouvert, il faut le rappeler. Ça peut effectivemnet faciliter de passer par des organisations et des associations comme Les sans pagEs qu’on vous invite chaudement à soutenir et à rejoindre si vous le pouvez.

Avant d’avancer je pense qu’on va on va s’offrir une petite pause musicale.
Nous allons écouter Stormdans par Ceili Mos. On se retrouve juste après dans Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : Stormdans par Ceili Mos

Voix off : Cause Commune, 93.1.

Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter Stormdans par Ceili Mos, disponible sous licence libre Creative Commons Attribution, CC By.

[Jingle]

Étienne Gonnu : Nous voilà de retour Au café libre.
Je suis Étienne Gonnu de l’April et nous discutons des actualités du Libre avec Florence et Pierre.
N’hésitez pas à participer à notre conversation 09 72 51 55 46 ou sur le salon web dédié à l’émission sur le site causecommune.fm bouton « chat ». Vous pouvez aussi nous suivre, exceptionnellement, via la chaîne Peertube, je pense que vous pouvez trouver le lien sur le site causecommune.fm.

Des entreprises françaises saisissent le Conseil d’État contre l’hébergement de données de santé chez Microsoft, pourtant approuvé par la CNIL

Étienne Gonnu : Le sujet suivant, que je vous propose d’aborder, concerne l’audience devant le Conseil d’État contre la délibération de la CNIL pour autoriser l’hébergement chez Microsoft du Health Data Hub, sujet long dans le titre, qu’on avait déjà évoqué, notamment dans le dernier Au café libre du 20 février, la délibération de la CNIL qui autorise donc l’hébergement chez Microsoft pour ce Health Data Hub, une plateforme destinée à centraliser des données de santé pour faire de la recherche dessus.
Pourquoi évoquer à nouveau ce sujet ? Parce qu’un groupement d’entreprises et d’associations a saisi le Conseil d’État contre ce projet dit EMC2. L’audience a eu lieu la semaine dernière, on attend le délibéré qui, je pense, devrait arriver dans les jours à venir.
Alors, pas forcément revenir dans les grandes longueurs sur ce débat qui a déjà eu lieu, mais ni Florence ni Pierre n’aviez participé, donc, si vous avez des choses à dire sur ce sujet, sur cette délibération de la CNIL avant même l’audience devant le Conseil d’État, sentez-vous, bien sûr, libres de le faire. Je trouve déjà intéressant de rappeler que le recours juridique reste une modalité d’action face à des choses qu’on va considérer comme étant problématiques.
Je ne sais pas si vous avez des choses à dire, déjà sur ce projet et sur cette audience dont on attend le résultat assez impatiemment.

Pierre Beyssac : De ce que j’ai vu, c’est un sujet assez technique au niveau de l’audience. J’ai vu l’avis de la CNIL qui était mi-figue mi-raisin, c’était assez bizarre : la CNIL n’était pas vraiment pour, mais elle disait qu’elle ne pouvait pas être vraiment contre non plus.

Étienne Gonnu : Elle regrettait, c’est peut-être discutable. Elle trouvait que le projet n’était pas une bonne idée, c’est mon interprétation, mais elle manquait de bases légales, en fait, pour vraiment le refuser entièrement. Après, tout cela est très politique aussi.

Pierre Beyssac : C’était aussi un peu humiliant pour l’écosystème français, parce que la CNIL a dit, en gros, « mettre ça chez Microsoft, ce n’est pas top, mais on n’a pas l’équivalent, il n’y a pas de remplacement ». Il y a eu une grosse discussion là-dessus. En fait, c’est toujours le même sujet : les gros fournisseurs de cloud, type Microsoft, apportent des facilités. Être souverain, c’est un effort, c’est-à-dire que oui, si on ne veut pas prendre la solution qui semble la plus simple, on va devoir faire un effort. On n’est jamais souverain complètement gratuitement, ça prend un effort de travail, d’argent, de temps à y passer, ça dépend. On peut aussi se retrouver coincé sur des plateformes, comme on le voit, on en parlera peut-être plutôt à la fin, avec les affaires de licence Broadcom ou d’autres cas, comme on l’a vu aussi avec Oracle. Ça a l’air facile, mais, à un moment, quand le fournisseur dit « je multiplie mes tarifs par 10 », on peut pleurer après. C’est la question de la souveraineté. Accessoirement, il y a eu un document interne, qui a été libéré par l’association de Xavier Berne, qui a été évoqué dans une émission précédente, à laquelle participe Xavier Berne.

Étienne Gonnu : Ma Dada.

Pierre Beyssac : Qui a obtenu, sur la demande d’un journaliste, Émile Marzolf, le document de comparaison des différentes solutions, qui a été largement anonymisé pour éviter que des réponses de nature « confidentiel business » soient exposées. Manque de pot, il suffisait d’enlever les pavés noirs dans le document pour voir les critères du document initial. Tout le monde s’est rué dessus pour voir un petit peu quels étaient les critères qui avaient été pris en compte et les réponses des fournisseurs.
J’ai vu passer ça ce matin, c’est tout frais, les sociétés concernées, qui s’estiment lésées par la décision, veulent monter jusqu’au niveau européen, elles suivent donc les différents niveaux de procédure en justice pour arriver jusqu’au niveau européen, pour défendre notre souveraineté.

Étienne Gonnu : Florence.

Florence Chabanois : Que dire de plus ! Il y a ce côté « on n’a pas trouvé mieux », du coup, on laisse ces données de santé pendant trois ans ! Aujourd’hui, on a quand même régulièrement des fuites de données sur beaucoup d’organismes d’État, donc je ne sais pas, les données sont peut-être libres maintenant !
En tout cas, je trouve bien de savoir que des recours sont possibles pour peu qu’on se donne vraiment les moyens.
Ce que j’ai bien aimé aussi, que je n’avais pas forcément en tête, c’est qu’à la base, c’était Microsoft qui était utilisé sans avoir fait d’appel d’offres, ce qu’on est censé faire. Du coup, on voit clairement le côté pied dans la porte. Je n’ai pas vu la partie caviardée, du coup, à quel point les différentes solutions d’hébergement des données ont vraiment été mises en balance, mais là ça va quand même être un giga hub de données sensibles. Je pense qu’on devrait montrer l’exemple et respecter la confiance de nos concitoyens et concitoyennes pour vraiment proposer une solution qui tienne la route.
Maintenant, je ne sais pas si ça va marcher, je ne sais pas non plus quelle est l’urgence de ce projet.

Pierre Beyssac : De ce que j’ai compris, c’est du stockage de données à destination recherche, pour faire de la recherche sur de grandes quantités de données, anonymisées normalement, faire de la recherche épidémiologique, tout un tas de choses, avoir une sorte d’entrepôt de données, comme on disait autrefois, pour permettre des activités de recherche, pour faire avancer la science, tout simplement.

Étienne Gonnu : Je trouve que cette temporalité, cette idée d’urgence fait peut-être aussi partie, un petit peu, des germes du mal de ce projet. Il y a une commande politique : il fallait cette grande plateforme, etc., qui permettrait de faire des super trucs, un truc très centralisé. Donc, déjà aussi, dans l’infrastructure, dans les choix infrastructurels, des choses étaient posées. En fait, dans la manière dont la commande politique et dans l’urgence dans laquelle cette commande politique a été faite – y avait-il urgence à avoir une plateforme ?, c’est encore un autre sujet complètement lié – faisait que fondamentalement, dans la manière dont ça a été commandé, peut-être, effectivement, qu’il n’y avait que Microsoft vraiment en mesure. Ça veut dire qu’ils n’ont pas intégré la question de comment faire sur des bases à peu près souveraines, idéalement sur du Libre, mais, au moins, déjà, sur des choses qui ne soient pas dépendantes d’un droit moins-disant sur les données personnelles. C’est aussi intégré, et je pense que tu l’as très bien dit, « on est dépendant des politiques tarifaires, etc. ». Un rapport parlementaire, publié en janvier, parle d’un « piège Microsoft » dans lequel on pourrait tomber exactement pour ces raisons-là. C’est-à-dire qu’on crée de l’adhérence et des choix, des décisions commerciales sont prises par l’entreprise éditrice, dans ce cas-là Microsoft, soit basculer sur du cloud exclusivement, soit d’augmenter ses prix, donc comment fait-on ?
Il faut donc arrêter d’être passif. C’est de l’investissement, c’est la décision politique un peu de long terme, un peu de réflexion et, ce qu’on appelle de nos vœux, c’est une priorité au logiciel libre, mais au moins, déjà, arrêter d’être passif vis-à-vis de ces situations.

Florence Chabanois : Il n’y a pas que ça. Il y a aussi les egress fees qui font que quand on sort les données et qu’on veut changer de provider, ça coûte très cher pour le coup. Cela aussi est un lock-in auquel on se soumet en confiant nos données à Microsoft.

Étienne Gonnu : Lock-in, expression anglaise pour dire enfermement, on est coincé dans…

Pierre Beyssac : Je ne sais pas à quel stade on en est au niveau législatif, c’est peut-être, d’ailleurs, dans la loi SREN [sécuriser et réguler l’espace numérique], il y a une disposition pour interdire les facturations des transferts de données sortantes.

Florence Chabanois : C’est effectivement en projet.

Pierre Beyssac : D’ailleurs, je crois que Google l’a déjà mis en œuvre, ils ont déjà annulé, ils ont fait une annonce il y a quelques mois.

Étienne Gonnu : Peux-tu repréciser ?

Pierre Beyssac : En fait, ce que disait Florence, quand tu veux transférer tes données parce que tu veux changer de fournisseur, le transfert des données étant évidemment payant en entrée comme en sortie, tu vas payer pour faire sortir tes données, si tu n’en as pas de copie ailleurs. Ça a été considéré comme une forme d’entrave à la concurrence, pas au sens littéral, mais quasi littéral. La loi SREN, qui est en train d’être finalisée, a une disposition là-dessus pour interdire ce genre de facturation, pour, justement, éviter, en tout cas réduire l’effet de verrouillage des fournisseurs.

Étienne Gonnu : OK. À suivre donc.

[Clochette]

La Commission européenne prise en flag de non-respect de ses propres règles

Étienne Gonnu : On va passer au sujet suivant qui est, en fait, la stricte continuité, on ne change pas tant que ça, il y a un dénominateur commun : la Commission européenne a été prise en flag de non-respect de ses propres règles, du fait de son usage des services de Microsoft 365. Plus précisément, l’EDPS, l’ European Data Protection Supervisor, qui est en charge de s’assurer du respect du règlement général sur les données par les institutions européennes, a donné à la Commission européenne jusqu’au 9 décembre pour suspendre tous les flux de données vers Microsoft, y compris de ses sociétés affiliées et de ses sous-traitants non européens, résultant de l’utilisation de Microsoft 365.
Que dire de la Commission qui, en plus, se veut quand même assez exemplaire puis très insistante sur le fait d’une juste application du RGPD. Même au niveau de la Commission européenne, on est dans ces situations, qui est, je pense, un héritage, un passif assez lourd de lock-in, d’adhérence vis-à-vis de Microsoft.

Pierre Beyssac : C’est difficile de sortir de la drogue !

Étienne Gonnu : En fait, on pourrait dresser exactement le même constat que celui qu’on a fait sur les questions vis-à-vis du Health Data Hub. En France, on a une situation très similaire au ministère du Travail qui a une dérogation par rapport à ce qu’on appelle la directive « cloud au centre » pour continuer d’utiliser des solutions Microsoft, parce que, faute d’alternatives, c’est toujours cette question de l’alternative, mais cette alternative ne va pas venir non plus de nulle part !
L’April a fait une demande CADA, une demande d’accès aux documents administratifs, ce qu’aide notamment à faire le site Ma Dada qu’a fondé Xavier Berne. On l’a fait pour avoir des infos sur les groupes de travaux. Il y a visiblement des groupes de travaux, en tout cas, il y a des études ou des échanges menés au sein des différents ministères, avec, notamment, la DINUM, la Direction interministérielle du numérique, avec l’ANSSI qui est l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information, avec, visiblement, la Direction du numérique du ministère du Travail qui doivent réfléchir, au moins avoir une vision sur les alternatives qui existent et c’est ce qui permettrait de justifier, finalement, de continuer à utiliser Microsoft. On essaie de faire un peu de lumière là-dessus pour savoir si des études sérieuses sont menées et dans quel ordre, dans quelle mesure ces études sont menées.

Florence Chabanois : Petite précision sur la Commission. Concernant Microsoft, j’étais assez étonnée. Après que la France a accepté de confier ses données de santé à Microsoft, du coup ça fait comme un désaveu. En lisant dans les petites lignes, je ne sais pas ce que vous en avez pensé, ma compréhension, c’est surtout que ça peut facilement – facilement, façon de parler – se corriger et que c’était surtout sur des sujets de forme, que ce n’était pas tant Microsoft, en soi, qui posait problème, mais le fait que ce n’a pas été cadré : quelles données personnelles étaient confiées à Microsoft, comment c’était géré en termes de règles de sécurité, etc. Du coup, je suis assez curieuse de la suite pour voir si c’était histoire de montrer que, quand même, il y avait une attention à ça et que ça va être assez vite régularisé. Ou si l’intention c’était vraiment de dire que ça pose problème parce que Microsoft est américain et c’est hébergé aux États-Unis. Donc, quand même à suivre.

Étienne Gonnu : Il y a des débats. En France, il y a ce qu’on appelle SecNumCloud, une sorte de certification, qui semble dire qu’on peut utiliser Microsoft, mais avec des conditions très strictes d’hébergement, etc., en plus ça peut faire débat, donc, à voir comment, effectivement, ça se traduira au niveau européen.
Je rappelle l’EDPS, que j’ai mentionné, cette entité censée être indépendante par rapport à la Commission, je pense que je ne l’ai pas redit et c’est effectivement important. À voir avec quel sérieux ça va être pris. Je pense qu’il y avait un peu des deux : une partie parce que ça partait aux États-Unis et effectivement ce que tu disais, ce cadrage, j’avais aussi à peu près cette lecture.
Pierre.

Pierre Beyssac : SecNumCloud est un peu plus qu’un label marketing, c’est un label marketing parce que c’est un argument de vente, mais c’est aussi une obligation d’audit et de certification des systèmes au niveau sécurité et, en fait, à peu près n’importe quelle entreprise, même américaine, peut répondre à cette obligation. Avoir la certification coûte très cher, donc, évidemment, il faut avoir une certaine masse critique pour que ça ait un intérêt pour ses clients. Un petit hébergeur n’aura pas les moyens de respecter cette obligation. Là encore, ça favorise plutôt les GAFAM, pour eux ce sont trois cacahuètes à dépenser. Ça peut donc être contre-productif, ça peut ne pas forcément avoir l’effet souhaité.
Par ailleurs, de ce que j’ai compris, il y a quand même eu des engagements du projet EMC2 qui ont été cités dans les différents débats. À terme, peut-être pas 2024, mais 2025, 6, 7, on ne sait pas trop, pour réimporter ça sur du cloud plus souverain.

Étienne Gonnu : Entendu. Je vais me corriger. Fred me fait remarquer une erreur de ma part : Xavier Berne n’a pas fondé Ma Dada, il a été embauché pour y travailler, ce n’est pas la même chose.
On a parlé du projet EMC2 et du Health Data Hub. Je veux citer le travail d’une association qui s’appelle InterHop, qui avait beaucoup milité au tout début de ce projet Health Data Hub pour faire valoir une autre approche, basée notamment sur du logiciel libre. D’ailleurs, il me semble qu’ils proposent des services pour les professionnels de santé avec des logiciels libres. Je tenais donc à saluer leur travail, je mettrai la référence sur notre site.
Je vous propose d’avancer si vous voulez bien.

[Clochette]

Techsoup : instrument d’influence des Big Tech américaines

Étienne Gonnu : Nouveau sujet, même si Microsoft sera toujours dans les parages. Une tribune de l’April alerte sur Techsoup, un instrument d’influence des Big Tech américains.
À nouveau un sujet un peu complexe, mais je pense qu’on peut quand même l’évoquer.
Pour résumer, Techsoup se présente comme un réseau international, sans but lucratif, d’organisations non gouvernementales, qui fournit un soutien technique et des outils technologiques à d’autres ONG ; sur le papier, c’est très bien. Par contre, quand on commence à regarder la liste des partenaires et les fonctionnements, parmi les partenaires, je peux citer Microsoft, Amazon ou encore Cisco. Ce côté de vitrine permet peut-être aussi de l’optimisation fiscale, on peut le penser, en tout cas des questions se posent. Le problème étant que cette puissante machine Techsoup contribue en France, à travers le programme Solidatech sur lequel elle s’appuie, Solidatech est français, à consolider la place d’un numérique dominant, avec un code source fermé, donc à rendre une souveraineté, qu’on a déjà mentionnée, impossible en France au niveau des associations, ne serait-ce qu’en proposant aux associations bénéficiaires des licences pour des logiciels privateurs à des prix cassés. Cela consolide donc la situation de dépendance aux GAFAM – Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft – et souvent au détriment des usagers de ces associations, notamment en ce qui concerne les données personnelles. Pour donner un chiffre, Solidatech occupe une place très importante en France, ils ont notamment 40 000 organisations bénéficiaires en décembre 2023.
Solidatech propose un catalogue de logiciels au bénéfice d’associations à des prix battant toute concurrence et propose notamment des licences Microsoft et d’autres, et c’est cela qui nous pose problème.
Je vous invite donc à découvrir cette tribune. L’April a des propositions qui visent à avoir plus de transparence et, in fine, à inscrire une véritable priorité au logiciel libre et d’accompagnement pour les associations qui ont des vrais besoins informatiques et dont le souci principal ce ne sont les outils qu’elles utilisent, mais il y a quand même des enjeux qui vont les traverser, notamment celle des données personnelles de leurs usagers.
Je ne sais pas si c’est une tribune dans laquelle vous avez eu le temps de vous plonger, un sujet que vous avez pu un peu étudier. Déjà, que vous évoque cette question ?

Florence Chabanois : Je me sens toujours tiraillée sur ça. Visiblement, ce n’est pas le cas de Microsoft, mais il y a pas mal de licences gratuites pour les associations, notamment, il me semble, la suite Google, Slack aussi. Je ne connaissais pas Soliddatech avant de venir. Déjà, avec le Libre, on a parfois cette vision du moins bien, on va dire, parce que c’est gratuit et que ça ne traite pas de données personnelles. Souvent – enfin, je ne sais pas, je ne vais pas me mouiller –, en tout cas, on va dire que ce ne sont pas les mêmes fonctionnalités, ça peut créer un fossé entre les deux.
En même temps, je trouve effectivement super malin de faire ces propositions financières, parce que, clairement, en termes de domination du marché, on couvre tout : les entreprises, les associations, les écoles. Du coup, je me demande ce que ça génère, derrière, en termes d’achat, si on donne une valeur marchande pour que ce soit à peu près honnête, peut-être pour valoriser les données personnelles qui circulent et de proposer des alternatives libres, de les rendre visibles, ça peut aider. En même temps, c’est vrai que ça ne me paraît pas suffisant, je me dis qu’il faudrait surtout plus de subventions pour le Libre, pour l’aider, pour le rendre obligatoire dans les administrations.

Étienne Gonnu : Pour rebondir, pour clarifier. Tu as évoqué des propositions. Le but n’est pas d’empêcher les associations de fonctionner, il y a effectivement différents niveaux.
Solidatech, par exemple, bénéficie d’un agrément d’utilité sociale, ce qui donne des bénéfices notamment en termes d’avantages fiscaux, ce sont donc des leviers et ce genre d’outil, comme Solidatech, devient un levier pour pousser vers une certaine informatique, alors qu’on pourrait imaginer des manières d’en faire, au contraire, des leviers pour bénéficier, pour pousser une informatique libre au bénéfice de tout le monde, avoir plus de transparence sur les tarifs. C’est moins cher, mais que représente, finalement, cette part de coût restant sur les licences ? Après, c’est gratuit à un moment x, une fois qu’on est captif – on en revient aux questions de ce piège Microsoft –, dans quelques années, qu’en sera-t-il ? On pourrait afficher des solutions libres et dire « OK, vous avez des besoins, là tout de suite. Vous êtes sur Microsoft. On ne va pas vous obliger à passer du jour au lendemain, à changer — Microsoft ou autre —, mais il y a des solutions libres, alternatives », encore faut-il le savoir, parce qu’on n’a pas toujours le temps d’aller regarder ce qui existe d’autre.
Pierre.

Pierre Beyssac : C’est ce que j’allais dire. Je n’ai pas regardé les détails de l’initiative Techsoup, mais, de ce que je comprends, il n’y a pas de solutions libres proposées dedans, c’est uniquement du GAFAM. C’est le système « première dose gratuite » !

Étienne Gonnu : Je ne maîtrise pas assez le sujet, notamment sur Techsoup, pour te répondre par l’affirmative, mais oui.

Pierre Beyssac : On pourrait peut-être déjà diluer un peu la chose en mettant une offre libre là-dedans. Si le truc a été monté dans un but commercial, ça s’assemble. Tel que tu le présentes, ça semble effectivement avoir été monté dans un but d’entrisme commercial, ce sont les méthodes classiques pour diffuser de la technologie et augmenter son adoption, on sait comment ça marche et il faut trouver des fournisseurs, au moins des plateformes plus indépendantes. À côté, qu’on propose au moins des solutions libres, c’est la moindre des choses ! Après, peut-être même que des solutions libres, s’il faut en arriver là. D’ailleurs, c’est le cas de certaines initiatives. Il y a souvent, effectivement, un cloisonnement entre les deux. De mon point de vue personnel, les GAFAM ne seraient pas là, ou plus là, s’il n’y avait pas de Libre : MacOS tourne sur du Libre, Microsoft Azure, c’est essentiellement du Libre sinon c’était invendable, Google tourne sur du Libre, Facebook tourne sur du Libre, Amazon tourne sur du Libre.

Étienne Gonnu : Android est basé dessus. En fait, il n’y a pas d’informatique moderne sans le logiciel libre.

Pierre Beyssac : Après, on peut essayer de monétiser des solutions par là-dessus, on peut réintroduire un effet de lock-in au niveau supérieur, c’est toujours la même problématique décalée d’un cran, en fait.

Étienne Gonnu : J’aimerais bien avoir votre avis, votre regard. Je vais citer Laurent Costy, dont on a écouté la chronique en début d’émission, qui a été le principal rédacteur de cette tribune. Par ses expériences professionnelles et ses engagements militants, il a une très bonne lecture des enjeux au niveau des associations. Il a notamment conduit le groupe Libre Association au sein de l’April, pour promouvoir les logiciels libres auprès des associations. Je vais en profiter pour citer également Framasoft qui, bien sûr, fait un travail phénoménal en proposant des outils à travers différents collectifs, notamment le Collectif CHATONS [Collectif des Hébergeurs Alternatifs, Transparents, Ouverts, Neutres et Solidaires], et également un projet Emancip’Asso, bref, fermeture de la parenthèse. Une des recommandations que Laurent a envisagée, que je trouve intéressante, c’est de flécher une partie des amendes européennes qui sanctionnent ce qu’on appelle les Big Tech, les GAFAM, vers des structures qui, au contraire, vont réellement contribuer au bien commun.
Effectivement, les GAFAM ont d’énormes moyens de capacité de financer des outils pour que ce soient, quelque part, des outils très alléchants et très performants sur certains besoins, au détriment d’autres choses. En fait, il faut aussi investir dans les communs informationnels, financièrement, par de la ressource humaine, etc. Peut-être que ce fléchage serait une manière de rééquilibrer un petit peu les choses. On en revient à la question des sous, de l’investissement.

Florence Chabanois : Carrément !

Étienne Gonnu : On avance.

[Clochette]

Projet de loi SREN [visant à sécuriser et réguler l’espace numérique]

Étienne Gonnu : Autre sujet qu’on avait déjà évoqué, mais il y a une actualité chaude dessus, que Pierre avait commencé à évoquer, je parle du projet de loi SREN, sécuriser et réguler l’espace numérique. On avait parlé de ce projet de loi dans l’émission 189, en octobre dernier, avec la Quadrature du Net, Mozilla et Act Up-Paris, un échange très intéressant que je vous recommande d’écouter, si ce sujet vous intéresse.
Pour rappel, ce projet de loi était très vaste, couvrait beaucoup de choses, mais il prévoyait notamment la création d’un filtrage contre les arnaques en ligne, qui a failli être une obligation de censure portée sur les épaules des navigateurs web, ainsi que l’obligation de la mise en place d’un système de vérification d’âge pour les sites pornographiques.
Le gouvernement s’est fait taper sur les doigts assez vertement par la Commission européenne pour avoir marché sur les plates-bandes du droit européen. Ce projet de loi passe aujourd’hui en commission mixte paritaire pour aboutir à une version finale du texte, en principe respectueuse du droit européen. On verra dans quelle mesure ils ont revu leur copie. Ça passe aujourd’hui en commission mixte paritaire, je pense qu’on verra assez rapidement les résultats de tout cela.
On a déjà débattu, mais si vous souhaitez en dire un mot.

Pierre Beyssac : Deux mots. Il y a encore des problèmes dans ce projet de loi. La commission mixte paritaire aujourd’hui est à huis clos !

Étienne Gonnu : C’est le gros problème des commissions mixtes paritaires.

Pierre Beyssac : C’est toujours le cas. De ce que j’ai compris, ce sont sept députés et sept sénateurs, c’est donc vraiment un petit comité, et, une fois que ça sort de la commission mixte paritaire, ça doit être voté en bloc par le Sénat et l’Assemblée, c’est-à-dire que ce n’est plus le moment de discuter. En gros, on ne peut pas voter contre, on ne peut pas amender, donc c’est « tu prends tel quel sinon tu vas te faire engueuler ! »
On ne sait pas trop ce qu’il va y avoir dedans au final, il y a quand même énormément de dispositions très problématiques qui vont subsister sur la vérification généralisée de l’âge en ligne, potentiellement sur tous les réseaux sociaux, pour protéger les mineurs, mais ça veut dire que pour vérifier l’âge, il faut le demander également aux majeurs. On ne peut pas connaître l’âge de quelqu’un en ne demandant qu’à ceux qui sont en mesure d’être interdits, donc ça pose beaucoup de problèmes. Le rapporteur Paul Midy, par coïncidence totale, a publié hier une tribune dans laquelle il repart sur son cheval de bataille d’interdire l’anonymat en ligne. Un truc qui a déjà été retoqué en octobre/novembre, le débat a déjà eu lieu au Parlement. Apparemment, il essaie de lancer un rideau de fumée pour qu’on ne parle pas des sujets, parce que le sujet n’est plus à l’ordre du jour, ça a été complètement enlevé de cette loi, mais ça évite de parler des sujets plus embêtants qui, eux, subsistent dans cette loi, qui sont tout à fait liés à l’anonymat en ligne. Il y a donc un jeu médiatique là-dessus, disons pour détourner l’attention, qui est assez intéressant à observer et un peu ennuyeux.

Étienne Gonnu : Florence, ça t’inspire des choses ?

Florence Chabanois : J’attends la suite, on va voir. C’est évidemment un bras de fer, c’est une danse, c’est toujours la même chose : contrôler, contrôler, contrôler, sous couvert de sécurité et de protection, mais après qu’est-ce qu’on en fait ? Comme l’a dit Pierre, les données ne se trient pas comme ça. On collecte tout le monde. Quand on voudra contrôler certaines choses qui ne seront pas OK, on ne peut pas prédire aujourd’hui ce qui sera fait des données qui sont collectées, ce sera trop tard ; une fois que les données sont parties, elles sont parties.

Étienne Gonnu : Je pense que ce projet de loi, comme tant d’autres malheureusement, est un bon exemple d’une approche très solutionniste : utiliser les outils technologiques pour répondre à des problèmes politiques complexes. C’était, par exemple, le cas de l’accès des mineurs aux sites pornographiques. Je pense que c’est très bien de vouloir se poser la question de comment faire en sorte que des gamins n’accèdent pas à des contenus qui ne sont pas adaptés à leur âge, mais, justement, jeter comme ça des outils, des solutions en disant « la technique va s’en occuper », je pense que c’est un petit peu prendre le problème par le mauvais bout, sur une problématique qui, par ailleurs, peut être complexe.

Pierre Beyssac : C’est une mauvaise politique parce qu’on vend du rêve. On pose la question aux gens, on leur demande s’ils veulent qu’on évite que les mineurs accèdent à la pornographie, mais, évidemment, on ne leur explique pas les implications sur la vie tout le monde. Donc oui, littéralement, on vend du rêve.

Étienne Gonnu : Il nous reste au maximum six/sept minutes. Vous aviez chacun évoqué un sujet, je pense que la sortie de scaphandre 1.0 était plutôt un point bonus, je ne sais pas à quel point c’est un sujet que tu aimerais mentionner rapidement. Tu as parlé de Redis qui change de licence et de Broadcom. Tu pourrais parler des problématiques liées à des licences de logiciels. J’avais encore noté deux sujets, je ne sais pas s’il y en a un qui a votre préférence : d’un côté, on a Elon Musk, encore lui, qui lance la bagarre des IA en promettant une intelligence artificielle en accès libre, ça aussi ça pose des questions. Et puis, en soi le sujet n’est pas intéressant, mais ça a fait beaucoup de bruit et ça pose quand même des questions, c’est la tribune de l’ancienne ministre Najat Vallaud-Belkacem : rationner Internet à trois gigaoctets par semaine. Est-ce qu’un de ces deux sujets vous attire plus que l’autre ?

Pierre Beyssac : Les deux m’attirent, choisissez.

Florence Chabanois : On va éviter Elon Musk, je trouve qu’on parle trop de lui.

Étienne Gonnu : On peut effectivement ne pas faire de pub supplémentaire à Elon Musk, on en dormira sans doute mieux

Tribune de Najat Vallaud-Belkacem qui propose de « rationner Internet » en limitant le nombre de gigas à utiliser quotidiennement

Étienne Gonnu : Parlons un petit peu de cette tribune qui a fait couler beaucoup d’encre. En soi, je trouve que la proposition paraît d’une banalité assez confondante quand on suit ces sujets : rationner me paraît sur-simplifier les problématiques.
Avez-vous vu cette tribune qui a bien tourné sur les plateaux, mais ce n’est pas n’importe qui, une ancienne ministre, cadre du parti socialiste, je pense qu’elle a effectivement des entrées pour faire parler d’elle ?

Pierre Beyssac : Elle jouait sur du velours parce que c’est la corde sensible côté médiatique : il suffit de taper sur le numérique pour être directement invité à la télévision. Elle a fait plusieurs émissions, il y a eu plusieurs reprises à la radio. Najat Vallaud-Belkacem s’est placée en lanceuse d’alerte, mais c’est un débat récurrent depuis dix ans. Il y a des rapports sénatoriaux, des rapports parlementaires divers, des réflexions scientifiques là-dessus qui paraissent littéralement trois fois par an, ça n’arrête pas. Des spécialistes s’en occupent. Là, elle a un petit peu tout mélangé, tout un tas de sujets — le sexisme, le harcèlement, la pollution —, avec une mesure simple qu’elle voudrait voir appliquer, je pense qu’elle sait que ce n’est pas du tout applicable. Il y a eu un gros buzz. Je pense que c’est une bonne communicante. Par coïncidence, on a appris, aujourd’hui, qu’elle était sur la short list pour être nommée directrice de Sciences Po, il y a peut-être un rapport entre les deux, elle a voulu se remettre un petit peu sur le devant de la scène. Il y a beaucoup de choses à dire là-dessus, mais je pense qu’il faut recadrer le débat pour essayer de faire un petit peu la part des choses et avoir des approches plus circonstanciées sur les problèmes qui existent.

Étienne Gonnu : Florence.

Florence Chabanois : Moi aussi, j’ai trouvé la proposition incongrue, on va dire. Après, j’avoue que j’ai tellement entendu d’échos un peu brutaux et violents à son encontre que c’est un peu brouillé, sachant, j’en parlais tout à l’heure, le peu de femmes politiques qu’on entend. Énormément de bêtises sont dites par des hommes politiques et on ne leur dit absolument rien alors que c’est juste dramatique, même si on parle de la Covid qui a réellement généré des morts. C’est pour cela que je ne suis jamais très à l’aise d’attaquer les personnes. Par contre, sur le contenu, ce n’était pas terrible.
Du coup, si je me mets du côté positif, j’ai quand même trouvé la démarche intéressante. Je suis dans ce « délire-là », entre guillemets, je pense qu’on peut consommer moins et le fait de mesurer c’est quelque chose qui peut aider. Aujourd’hui, on a ce sentiment d’infinité de tout et le numérique donne une abstraction très grande à tout ce qu’on consomme, alors que rien n’est gratuit, et ce n’est parce qu’on ne le voit pas que, derrière, il n’y a pas des datacenters, des câbles, des océans qu’on pollue, donc rien n’est gratuit. Ce côté « ayons conscience que ce qu’on regarde sur Netflix, par exemple, ou France Télévisions génère comme pollution », je trouve que c’est intéressant. Ça m’a fait me poser la question « combien je consomme, en ce moment, en gigas ? ». Personnellement, je n’en ai aucune idée, parce que tout est à portée de mon pouce. Même pour nos enfants, tout ce qui est haut débit, bas débit, est devenu très abstrait. Aujourd’hui, les limites planétaires ne sont quand même pas si infinies que ça et, en ça, je trouve que la question était plutôt intéressante, même si les solutions sont un peu hasardeuses, dans la mesure où c’est la production qui concentre la majorité de la pollution sur les considérations écologiques. Mais, finalement, tout se rejoint : si on consomme moins, on produit moins, etc.
Ma réponse est un peu en biais, parce que j’ai entendu trop de choses.

Pierre Beyssac : Je ne suis pas contre l’idée de sobriété quand elle est utile, c’est-à-dire qu’on sache quel est l’impact de nos actions de sobriété. Ça peut être une question de moindre pollution et ça peut être des questions personnelles : ne pas se noyer dans des interactions inutiles sur des réseaux sociaux.
Je pense qu’il faut essayer de comprendre. Je pense qu’on place trop souvent sous l’aspect environnemental des choses qui n’ont pas à l’être, qui sont beaucoup plus anodines, et ça fait oublier les autres enjeux.
Sur les histoires de harcèlement, qu’on réduise nos usages d’Internet, pourquoi pas, pour avoir un usage raisonnable. Je pense que ça doit être une démarche personnelle.
Quand ça a vraiment un impact environnemental, si c’est prouvé, on peut discuter : si l’intérêt environnemental de réduire notre consommation est prouvé, d’accord, faisons-le. Pour moi, c’est beaucoup plus subtil que l’image qui en est donnée dans des tribunes comme celle-là, parce que c’est vraiment ça qui est mis en avant. Ce n’est pas cela qui a été mis en avant par l’autrice d’ailleurs, c’est ça qui est intéressant, mais c’est une des choses qui ont beaucoup aidé la tribune à buzzer et je pense que ce n’est pas le problème principal à soulever en fait.

Florence Chabanois : Tu veux dire la partie harcèlement ?

Pierre Beyssac : non, la partie pollution. Beaucoup de gens ont repris le truc en disant « elle a raison, il faut réduire la pollution, etc. ». J’ai eu l’occasion de l’expliquer par ailleurs, j’ai beaucoup réfléchi à ces sujets. Il y a un résultat de l’Arcep par exemple, l’Autorité de régulation des postes et télécommunications, qui s’occupe notamment de l’impact du numérique et qui a fait remarquer que notre box consomme la même quantité de courant, à 95 % près, qu’elle soit totalement inutilisée ou qu’elle soit utilisée à 100 %. En fait, l’impact du volume de données est extrêmement faible.
Après, évidemment, ça n’empêche pas de réfléchir à nos usages, on sait qu’il vaut mieux ne pas changer le matériel pour un oui ou pour un non, ne pas jeter des téléphones encore parfaitement utilisables ou des PC, on sait que cela a un gros impact. Réduire la quantité de données qu’on consomme, c’est beaucoup moins évident, parce que, pratiquement, tous les équipements qui fonctionnent sur Internet consomment la même chose, à peu de choses près, qu’on ne s’en serve pas ou qu’on s’en serve à fond, avec un bémol quand même, c’est que tout ce qui est gros calcul, typiquement IA ou éventuellement compression de vidéos, il a un certain nombre de choses qui consomment du temps de calcul plus que du réseau et, là, on peut effectivement avoir un peu d’impact.
Ce sont des sujets très complexes d’ingénierie et je trouve que c’est trop simplifié dans l’exposition médiatique qui en est faite. On se retrouve à faire des actions de type Digital CleanUp Day où on va nettoyer nos boîtes aux lettres de courriels ou détruire des fichiers, ce qui est un peu à côté de la plaque. Quand on voit les quantités de données économisées et qu’on sait ce qu’on peut stocker sur un disque qui consomme l’équivalent d’une ampoule électrique, on voit qu’on fait beaucoup d’efforts pour des impacts extrêmement réduits.

Étienne Gonnu : Le temps file, je ne sais pas si tu voulais réagir encore ou si c’était bon de ton côté.

Florence Chabanois : Je pense qu’on peut en parler pendant une semaine. Il y a effectivement des ordres de grandeur à prendre en compte.

Pierre Beyssac : Je peux en parler des heures comme vous pouvez le constater.

Étienne Gonnu : On peut rappeler que le droit à la connexion est aussi un droit extrêmement important dans la société. Que ce soit socialement ou, même, dans nos relations avec les administrations, on a besoin de ces connexions, donc ce n’est pas anodin de vouloir le limiter sans réflexion assez sérieuse.
En tout cas, fin de notre Café libre.
Grand merci à Florence Chabanois, Grenouilles, membre core de Tech. Rocks et de Duchess France, et à Pierre Beyssac, informaticien libriste de longue date, fondateur d’eriomem.net, un service de stockage de fichiers. Merci beaucoup à vous deux.

Pierre Beyssac : J’ai arrêté l’activité de stockage, je précise.

Étienne Gonnu : On corrigera dans les annonces.

Pierre Beyssac : Merci beaucoup.

Étienne Gonnu : Merci à vous deux. Je vous souhaite une belle fin de journée et on va passer notre dernier sujet sans pause musicale.

[Virgule musicale]

Chronique « La pituite de Luk » – « L’humanité, c’est surfait »

Étienne Gonnu : Nous allons poursuivre avec une nouvelle pituite de Luk, une chronique rafraîchissante au bon goût exemplaire qui éveille l’esprit et développe la libido.
Aujourd’hui, Luk nous explique que « L’humanité, c’est surfait ».

[Virgule sonore]

Luk : Le mois dernier, j’ai parlé de la façon dont les bombasses sont en train de se faire grand remplacer par des IA génératives. Je vais continuer dans cette veine-là, parce qu’il y a de la matière. Ma conclusion était que la nature même de la bombasse, lisse et inaccessible, porte déjà une bonne part d’artificialité. Ce n’est donc pas si étonnant qu’on puisse préférer une bombasse virtuelle à une faite de silicone et d’os.

On pourrait croire que les IA génératives disruptent notre réalité par tous les orifices, mais ça fait longtemps que la tendance est en marche. Les Japonais ont une grosse longueur d’avance en la matière. La déshumanisation des relations y est un business établit. On peut, par exemple, louer des amis ou de la famille, suivre des artistes musicaux virtuels, ou faire sa vie avec une fiancée virtuelle elle aussi. Enfin, sa vie… Il faut pour s’en assurer bien lire les CGU [Conditions générales d’utilisation] du service.
En 2019, un certain Akihiko Kondo, qui rentre dans la catégorie des « fictoromantiques », avait annoncé son mariage avec un produit dérivé d’une chanteuse virtuelle nommée Hastume Miku. La femme d’Akihiko était commercialisée sous forme d’un hologramme dans une petite boîte connectée. Il est désormais veuf, en quelque sorte, puisque son FAI, Fournisseur d’Amour Inconditionnel, a coupé les serveurs auxquels la boiboite était connectée. Mais, s’il surmonte son chagrin, il pourra retenter sa chance avec les nouveaux services qui pullulent en Chine notamment. Le phénomène semble y connaître un succès fulgurant chez les hommes comme chez les femmes. Les adeptes de ces applications vantent une relation où l’autre est toujours disponible, toujours tourné vers soi et avec qui on peut avoir des discussions qu’on n’arrive pas à avoir avec d’autres. Tout cela fleure bon le narcissisme forcené et peut-être que tout ce qu’on lit sur la Chine et ses enfants rois, générés par la célèbre politique du lardon unique, fait effectivement la différence.

Ce n’est certainement pas un monopole asiatique que de se mirer à l’infini dans ces miroirs amplificateurs de vanité que nous offrent toutes ces applis !

Le code qui fait tourner l’humanité est foncièrement bugué. Le narcissisme le plus débridé génère une récursivité infinie. Dès lors qu’elle est publique, la gratification narcissique et son shoot de dopamine alimentent une boucle de renforcement. Les concepteurs de réseaux sociaux ont sciemment exploité cette faille pour rendre leurs services addictifs. Allez, je fais une prédiction facile : dans peu de temps, on pourra s’abonner à des IA répliquant des gens célèbres qui coacheront leurs utilisateurs.

Une chose est certaine, c’est que ces relations virtuelles alimentées par des IA vont littéralement atomiser ce qui restait de vie privée à leurs utilisateurs et, par ricochet, à leurs proches. Le fichage extensif des réseaux sociaux, que nous connaissons, sera probablement considéré comme grossier et primitif face à ce que pourra faire un de ces confidents virtuels à qui on dit tout ce qu’on ne peut pas dire à ses proches.

Pour ceux qui ont encore l’ambition de nouer une relation qui ne soit pas illusoire, les choses se compliquent. Des études montrent que dans le monde occidental, un fossé s’est creusé entre les hommes et les femmes de moins de 30 ans. Les jeunes femmes sont plus souvent progressistes, les jeunes hommes plus souvent conservateurs que par le passé. Les deux ont bien du mal à se rejoindre.
Considérant les liens malsains qui relient les incels et l’extrême droite, on peut anticiper que ce hiatus ne débouche sur rien de bon pour les jeunes femmes. Et puis, Boxing-Macron a parlé de réarmement démographique. Les utérus sont désormais des ressources stratégiques qu’il faudra mobiliser quoi qu’il en coûte. Merci à la jeune génération de déverser leur progéniture dans nos casernes.

J’ai pas mal dérivé depuis le point de départ qu’étaient les bombasses. C’est donc le moment de ressortir Taylor Swift dont j’avais parlé la dernière fois. Elle a, aux US, un succès phénoménal, elle est milliardaire, certes, mais elle a aussi une influence considérable sur la population. Des sondages estiment qu’elle pourrait même faire basculer l’élection présidentielle du côté du vieillard sénile actuellement en poste au détriment du vieillard sénile et fou qui veut revenir.

Dans ce pays, le droit à l’avortement a été remis en cause. On y envoie désormais des femmes en prison pour 40 et quelques années grâce, notamment, aux données rachetées aux GAFAM. Une bombasse comme Taylor Swift, qui démontre tant d’autonomie et d’influence, déplaît. C’est donc assez naturellement, qu’elle fait l’objet de détournements pornographiques massifs, encore une fois grâce aux IA génératives. Tellement massifs que même le réseau du délinquant financier toxicomane d’extrême droite le plus célèbre du monde a décidé de bloquer les recherches relatives à Taylor Swift. Pour la protéger sans doute, mais, incidemment, la voilà donc partiellement invisibilisée sur Twitter.
Même si notre époque ressemble à un entonnoir nous concentrant vers diverses catastrophes, la violence et l’asservissement ont toujours été une des façons de fonctionner privilégiée d’Homo sapiens. Le respect mutuel et l’écoute n’est qu’une stratégie évolutionniste parmi d’autres et, sans doute, pas celle qui a le vent en poupe actuellement.

Alors peut-être qu’une illusion bien faite et qui ne serait pas contrôlée par autrui, avec une fiancée virtuelle qui resterait à la cuisine, une bombasse qui se contenterait du luxe modéré d’un studio de célibataire ou un amant qui ferait oublier que, même entourés, nous sommes foncièrement seuls, est finalement un moindre mal. Parce que l’humain, c’est très surfait !

[Virgule sonore]

Étienne Gonnu : De retour en direct dans <em, l’émission qui vous raconte les libertés informatiques.
C’était la pituite de Luk.

Nous approchons de la fin de l’émission. Nous allons terminer par quelques annonces.

[Virgule musicale]

Quoi de Libre ? Actualités et annonces concernant l’April et le monde du Libre

Étienne Gonnu : Initiée et coordonnée par l’April, l’initiative Libre en Fête revient pour la 23e année consécutive. Pour accompagner l’arrivée du printemps, des événements de découverte du logiciel libre et de la culture libre sont proposés par plusieurs organisations partout en France autour du 20 mars. L’édition 2024 du Libre en Fête a lieu du samedi 9 mars au dimanche 7 avril. Tous les événements à retrouver sur agendadulibre.org.

Sinon, que faites-vous vendredi 29 mars ? Si vous êtes en région parisienne, n’hésitez pas à passer nous voir au local de l’April, dans le 14e arrondissement de Paris, pour un temps convivial de rencontre. Tout le monde est bienvenu, membre ou pas, à partir de 19 heures.

Le 29 mars, toujours en région parisienne, c’est la Journée du Libre Éducatif avec, notamment, une chronique en direct de Laurent et lorette Costy à 11 heures 45. Événement, je le précise, réservé aux enseignants, enseignantes et agents de la région académique Île-de-France. Si c’est votre cas, n’hésitez pas à y passer, et si vous avez bien écouté la chronique de Laurent et Lorette, pensez à applaudir à l’évocation du terme « ecballium », ça leur fera plaisir.

Je vous invite à consulter le site de l’Agenda du Libre, agendadulibre.org, pour trouver des évènements en lien avec le logiciel libre ou la culture libre près de chez vous.

Notre émission se termine.

Je remercie les personnes qui ont participé à l’émission : Laurent et lorette Costy, Florence Chabanois, Pierre Beyssac, l’incroyable Luk.
Aux manettes de la régie aujourd’hui, Julie Chaumard.
Merci également aux personnes qui s’occupent de la post-production des podcasts : Samuel Aubert, Élodie Déniel-Girodon, Lang1, Julien Osman, bénévoles à l’April, et Olivier Grieco, le directeur d’antenne de la radio.
Merci aussi aux personnes qui découpent les podcasts complets des émissions en podcasts individuels par sujet : Quentin Gibeaux, bénévole à l’April, et mon collègue Frédéric Couchet.

Vous retrouverez sur notre site web, libreavous.org, toutes les références utiles, ainsi que sur le site de la radio, causecommune.fm. N’hésitez pas à nous faire des retours pour indiquer ce qui vous a plu, mais aussi des points d’amélioration. Vous pouvez également nous poser toute question et nous y répondrons en direct ou lors d’une prochaine émission.
Toutes vos remarques et questions sont les bienvenues à l’adresse contact chez libreavous.org. Si vous préférez nous parler, vous pouvez nous laisser un message sur le répondeur de la radio, pour réagir à l’un des sujets de l’émission, pour partager un témoignage, vos idées, vos suggestions, vos encouragements ou pour nous poser une question. Le numéro du répondeur est le 09 72 51 55 46.

Nous vous remercions d’avoir écouté l’émission.

Si vous avez aimé cette émission, n’hésitez pas à en parler le plus possible autour de vous et à faire également connaître la radio Cause Commune, la voix des possibles.

La prochaine émission aura lieu en direct mardi 2 avril à 15 heures 30. Notre sujet principal portera sur les évolutions majeures dans la gouvernance des logiciels libres.

Nous vous souhaitons de passer une belle fin de journée. On se retrouve en direct mardi 2 avril et d’ici là, portez-vous bien.

Générique de fin d’émission : Wesh Tone par Realaze.