Luc : Décryptualié. Semaine 36. Salut Manu.
Manu : Salut Luc. Bienvenue. Bon retour de vacances.
Luc : Hé oui. On n’a pas commencé au tout début septembre, on s’est donné une petite semaine. On est de retour et on s’est dit qu’on allait parler un petit peu de la revue de presse et après faire une petite rétrospective de ce qui nous a marqué cet été.
Manu : Un pot-pourri.
Luc : Revue de presse de la semaine, de la rentrée.
Le Monde Informatique, « Les grands acteurs IT ont l’open source intéressé », un article Matt Asay.
Manu : Je te dirais qu’il y en a un autre sur Siècle digital, « Cloud : Microsoft fait un pas vers l’open source… pas vers le logiciel libre » [1]. Je trouve que c’est intéressant parce que les journalistes se rendent compte que les entreprises sont intéressées et qu’elles font de l’open source, pas du Libre, ce n’est pas la philosophie qui va les pousser à contribuer.
Luc : Ce n’est pas la liberté de l’utilisateur qui les intéresse !
Manu : Non, clairement. C’est bien de le mettre en avant.
Luc : Numerama, « La France va ouvrir le code source de FranceConnect, qui sert à se connecter aux services publics », un article Julien Lausson.
Manu : Plutôt bien, une bonne nouvelle, c’est de l’innovation de l’État, tous les logiciels de l’État devraient être du logiciel libre, en tout cas c’est mon opinion, mais ce n’est pas le cas. Là ils font quand même un pas dans la bonne direction, avec beaucoup la politique d’open data que la France met pas en avant.
Luc : On peut imaginer plein de choses avec cette ouverture, notamment qu’il y ait des systèmes dits de SSO [single sign-on], ce système qui permet de se connecter avec un seul compte sur plein de sites différents, ce que fait FranceConnect. FranceConnect permet de faire ça, je ne suis pas sûr qu’il soit intéressé, et potentiellement qu’un autre système se mette en place et que les gens passent moins par des trucs type Facebook ou Google, etc., qu’on puisse avoir un système d’identification qui soit indépendant des GAFAM.
ouest-france.fr, « Les logiciels libres peuvent-ils concurrencer les GAFAM ? », un article de la rédaction.
Manu : Qui met en avant le Libre, les services qui vont autour, les services de Framasoft [2] notamment. Plutôt sympa et il rappelle que Jean Castex, un homme politique de premier plan en France.
Luc : Je ne le connais pas !
Manu : Parle du logiciel libre et le met en avant. C’est plutôt sympa, il y a une petite description de Frama, c’est plutôt pas mal.
Luc : Silicon, « Open Source : un puissant moteur pour l’économie européenne », un article d’Ariane Beky.
Manu : Une liste d’articles, il y en a d’autres, des articles que j’ai mis en secondaire, qui parlent effectivement de tout un rapport qui est sorti par l’Europe et qui met en avant l’impact économique du logiciel libre, de l’open source qui a l’air d’être considérable. En gros, un milliard d’investissements dans le logiciel libre aurait comme impact entre 65 et 95 milliards d’euros, donc c’est considérable, c’est une démultiplication des investissements qui est plutôt intéressante. Ils encouragent à poursuivre et à augmenter encore plus, donc plutôt très positif.
Luc : C’est quand même une belle revue de presse parce qu’il y a plein de trucs hyper-positifs qui remontent sur le logiciel libre et ça fait plutôt plaisir de revenir dans ces circonstances.
Ce dernier article est pour moi vraiment intéressant dans sa dimension économique au sens macroéconomique et pas juste de « est-ce qu’on va faire du bénéfice ? ». Cette réflexion-là est essentielle pour moi, c’est bien qu’elle se mène.
Manu : On peut terminer pour faire la symétrie des revues de presse de l’année dernière. En juin on parlait beaucoup d’Audacity, je ne sais pas si tu te souviens.
Luc : Logiciel libre de traitement de son que j’utilise pour nettoyer le fichier et préparer le podcast, qui a été revendu a un éditeur, Muse, un éditeur russe qui s’est empressé d’en faire une espèce de truc bâtard, toujours libre mais avec des trucs de surveillance des utilisateurs, etc., donc open source mais pas très libre.
Manu : Ils avaient même interdit l’usage du logiciel aux moins de 13 ans, c’était un peu choquant. Finalement, en juillet, ils ont rétropédalé, en tout cas c’est ce qu’ils ont officiellement annoncé, maintenant les enfants ont le droit de l’utiliser à nouveau. Il semblerait qu’on peut désactiver la récolte de données. Ils assurent que ces récoltes de données ne sont là que pour améliorer le logiciel, qu’il n’y a pas d’autres usages et de buts cachés derrière ça.
Luc : En tout cas, c’est une belle illustration de la raison pour laquelle le Libre c’est important et qu’un projet peut finalement basculer assez facilement.
Manu : Une mauvaise nouvelle en juillet.
Luc : Oui, très mauvaise nouvelle qui est le décès de Philippe Aigrain [3].
Manu : Les biens communs, fondateur de La Quadrature du Net [4].
Luc : Un des cofondateurs de La Quadrature du Net, effectivement, un universitaire, un chercheur en informatique qui était pro-logiciel libre, qui s’est également beaucoup investi lors de la DADVSI [Loi relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information] qui était la loi préalable à la loi Hadopi [Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet]. On a commencé à discuter de tous ces systèmes foireux qu’on a en place. Il avait notamment écrit un livre [Libres Savoirs : les biens communs de la connaissance] dans lequel il propose un système : on aurait pu télécharger à volonté sur Internet avec des systèmes de comptage, de surveillance de qui téléchargeait quoi, ce qui n’est pas un problème à partir du moment où ce n’est pas interdit donc on peut faire des statistiques. On aurait payé une taxe et on aurait distribué, selon une clef à décider, en tout cas faire une cagnotte, redistribuer tout l’argent collecté et permettre à tout le monde d’accéder à toute la culture.
Manu : Ce qui existe de fait dans les radios, ce sont des mécanismes un peu semblables. C’est un licence commune ? Licence globale, c’est le terme.
Luc : C’est le terme qu’on utilisait à l’époque. Il y a plein de débats là-dessus, des tas de gens, y compris des artistes libristes, n’y sont pas favorables. En tout cas Philippe Aigrain avait fait un gros travail à l’époque.
Manu : Plein d’autres nouvelles sont arrivées, pas des trucs majeurs, mais quand même, je trouve que des sujets sont passés cet été.
Luc : Oui. Il y a eu pas mal de choses. Il y a eu une grosse affaire, en tout cas une affaire qui a beaucoup fait parler qui est Pegasus [5].
Manu : Pegasus, le cheval ailé.
Luc : C’est ça. Également le logiciel de surveillance produit par une boîte israélienne. Ça a fait beaucoup fait parler. Pour moi ce n’est pas une nouvelle qui révolutionne tout, c’est vraiment du logiciel qui permet d’attaquer des cibles précises, ce qui nécessite beaucoup de moyens, donc c’est intéressant de savoir comment ça marche. En tout cas, pour moi ce n’est pas une surprise de me dire que différents services secrets sont prêts à mettre beaucoup d’argent sur la table pour réussir à espionner une personne en particulier.
Manu : C’est toujours bien de le savoir. J’aime bien avoir des fuites d’informations pour qu’on soit un petit peu au courant de ce qui se passe.
Luc : Le truc que j’ai noté c’est qu’il y a eu une sorte de petite campagne où Amazon s’en est pris plein la gueule, ce qui m’a fait plaisir.
Manu : C’est en rapport avec le fait qu’il est allé faire du tourisme spatial ? C’est ça ?
Luc : C’est un petit peu ça, déjà que je trouve ça pas tellement de bon goût.
Manu : Surtout les remerciements. J’ai trouvé très bizarres les allusions au fait que ce sont les employés et les consommateurs, les acheteurs d’Amazon, qui ont contribué à son vol.
Luc : Oui, il est riche et il n’est pas riche par hasard ! Les gens achètent des trucs chez Amazon, il fait trimer ses employés comme des misérables et, forcément, il devient riche. Donc il y a toute une série d’affaires qui sont sorties les unes derrière les autres.
La première affaire qui est sortie c’est un employé modèle, le type super motivé, aux États-Unis, qui s’est fait virer par SMS. En fait, on a découvert que c’est non pas une IA, comme on lit dans les articles parce qu’on n’est pas à ce niveau-là, mais un système automatique qui, selon une série de critères, dit « il a raté sa livraison, paf !, je le vire ». En l’occurrence il est arrivé trop tôt, c‘était dans une résidence fermée, il ne pouvait pas entrer, il n’était pas en tort, mais il n’a jamais réussi à joindre qui que ce soit, il a été viré. Dans la foulée il y a eu des enquêtes, ils ont commencé un peu à fouiller. Il y a des gens qui avaient bossé sur ces systèmes-là qui ont dit « quand on a développé, on savait que des gens seraient virés pour rien, mais on a considéré que c’était moins cher de virer des gens de temps en temps plutôt que de payer des humains à faire un travail qualitatif. »
Il y a d’autres affaires qui sont sorties, qui ne sont pas liées à l’informatique, notamment sur le fait que dans les entrepôts d’Amazon le taux d’accidents du travail est de 80 % supérieur à celui de la moyenne américaine. Ce qui montre que derrière ils broient des humains pour de vrai.
Il y a des affaires sur l’organisation des tournées. Ce sont des prestataires qui font les tournées pour livrer les colis, mais c’est un algorithme de chez Amazon qui leur dit comment faire. Notamment, ce qu’il fait, quand il y a plusieurs livraisons à faire dans le même quartier, il donne comme consigne d’arrêter le véhicule et d’aller livrer à pied. Sauf que ça peut se faire dans une rue où il y a deux fois deux voies qui passent et les livreurs doivent traverser avec des bagnoles qui foncent à toute vitesse et des gros paquets dans les bras, donc c’est super dangereux.
Manu : En plus, ils sont surveillés par un algorithme qui va les virer !
Luc : S’ils vont trop lentement, ils se font dégager.
Il y a également une affaire assez fabuleuse qui est que des managers de chez Amazon ont avoué qu’ils embauchaient des gens uniquement pour les virer.
Manu : Parce qu’il y a un taux de turnover obligatoire ?
Luc : C’est ça. L’idéologie Amazon dit « on a toujours x % de gens qui sont des tire-au-flanc, donc on vire x % de gens. Comme ces managers doivent le faire, ils embauchent des gens uniquement pour les virer.
Le dernier point qui est sorti – ça en fait pas mal, mais j’aime bien taper sur Amazon : aux États-Unis toujours, des managers d’entrepôts Amazon disent qu’ils commencent à craindre de ne plus avoir personne à embaucher parce qu’ils crament tellement vite les gens qu’au bout de dix ans tout le monde y est passé et ils se demandent qui ils vont embaucher maintenant.
Manu : Ça doit se passer au niveau des bassins d’emploi dans lesquels ils sont implantés et dans un basin d’emplois, oui, il y a un potentiel de candidats qui est limité à moment donné. Donc ils sont arrivés au bout.
Luc : C’est ça, donc c’était une belle série sur Amazon.
Manu : Apple a fait pas mal parler de lui aussi.
Luc : Oui. Ce que j’ai trouvé intéressant, c’est qu’ils sont en train de se positionner comme défenseurs des données personnelles, de la vie privée. Ils prennent vraiment des positions fortes au niveau de leur image là-dessus.
Manu : Ce n’est pas la première fois. On a souvent parlé de la cage dorée dans laquelle les consommateurs Apple sont.
Luc : Effectivement. Mais là ils mettent vraiment l’accent dessus avec de la communication grand public, donc c’est doublement intéressant. D’une part des tas de gens ont dit qu’Apple est moins pire que les autres en disant qu’ils vendent du matériel donc ils n’ont pas besoin d’espionner les gens, ce qui est peut-être vrai. Après ça reste un GAFAM sous loi américaine. Ce que je trouve intéressant aussi c’est qu’ils aient fait le choix d’en faire un axe de communication au grand public, ce qui laisse entendre qu’ils ont estimé que le grand public commence à se soucier de ça. Rien que pour ça je trouve que c’est une info intéressante.
Manu : Ça les met bien en opposition à Facebook et à Google dont le business modèle est basé sur la publicité et le traçage individuel des comportements.
Luc : Mais si, en même temps, les clients s’en foutent, ce n’est pas un axe intéressant pour eux, ils ne vont pas en parler. Or ils considèrent que le public ne s’en fout pas. Ce qui est intéressant aussi pour nous et je pense qu’il va falloir affûter nos arguments quand on dit « non, Apple est là pour nous sauver ». De fait ils ont créé un petit scandale.
Manu : Parce qu’ils veulent s’assurer que les contenus sont propres, surtout ceux qu’ils hébergent.
Luc : Oui. Ils ont mis en place un système de surveillance anti-pédopornographie, comme les autres, ce ne sont pas les premiers, qui va surveiller tout ce qu’il y a dans les messages, dans les fichiers, etc. C’est donc un petit peu incompatible avec l’idée de bien défendre les données personnelles.
Manu : Ce ne seront pas les premiers, ce ne seront pas les derniers. ProtonMail [6], en Suisse, s’est retrouvé face à ce genre de dilemme.
Luc : Oui. La justice suisse a demandé des comptes. Ils ont dit « c’est la loi, on obéit, »
Manu : Et pourtant c’est une boîte, une organisation qui propose de faire du mail libre et hyper-privé, donc tout chiffré, tout bien, et qui refuse, d’habitude, de répondre aux demandes des institutions, mais là ils ont répondu aux demandes des institutions suisses.
Luc : Il y a un autre truc que j’ai trouvé fabuleux et sans doute plus de long terme. En Australie, une intelligence artificielle a réussi, au tribunal, à obtenir le statut d’inventeur ; avec les IA ont peut brasser plein de données, on arrive de sortir des trucs qui sont nouveaux. Des gens ont fait des procès, c’est passé en appel et en mettant une grosse pression le tribunal a dit : « Oui, d’accord, la paternité de l’invention est attribuée à l’IA ». Pour moi, ça change énormément de choses.
Manu : Ça me fait beaucoup penser à ce qu’on avait vu mais sur le droit d’auteur où il y avait des photos d’un singe qui étaient, en fait, des auto-portraits.
Luc : Un selfie.
Manu : En plus le singe était magnifique sur la photo et le photographe, celui qui possédait l’appareil, qui l’avait réglé, réclamait, c’était sa photo à lui, c’était son droit d’auteur. Non, il y a plein de gens qui ont réclamé pour attribuer le droit d’auteur au singe.
Luc : Pour moi c’est un peu différent parce que là c’est une IA avec des gens qui l’ont créée, donc ce n’est même pas un être vivant. Je pense que le statut d’un singe, d’un être vivant, c’est relativement clair dans le droit. On peut dire que c’est lui l’auteur. Là on parle d’un système automatique qui n’a aucune conscience et qui, du coup, devient auteur, sachant que dans le droit d’auteur on est censé avoir un droit moral. Du coup, c’est quoi la moralité d’une IA ?, sachant que ce sont des gens qui l’ont codée, ce sont des gens qui l’ont nourrie. Ça peut mener très loin. On n’a pas le temps de s’étendre dessus mais pour moi c’est un truc incroyable.
Manu : Sans s’étendre dessus, ça n’empêche qu’une IA peut avoir aujourd’hui une existence sous la forme d’une personne morale. Je sais que tu penses que les IA ont déjà pris le contrôle et que Apple, Facebook, Google sont des IA.
Luc : Là tu fais des cross-over. C’est ma théorie du complot qu’il y a dans ma pituite, ce n’est pas le même univers, mais je vais peut-être en reparler prochainement.
Après il y a eu des failles de sécurité dans tous les sens avec des tas de données qui ont fuité un peu partout.
Il y a eu un truc, notamment en Afghanistan, au moment où l’Afghanistan était en train de s’effondrer et où les Talibans étaient en train de revenir à grande vitesse. Des tas d’Afghans se sont précipités pour essayer d’effacer leurs traces sur Internet parce qu’ils ont fait tout plein de choses qui ne sont pas autorisées et ils se sont dit « il ne faut pas que ça se voit, il ne faut pas qu’ils me retrouvent. »
Manu : C’est le même problème avec les jeunes adolescents qui débarquent sur le marché du travail, qui se rendent compte que les tweets qu’ils avaient échangés avec leurs potes, qui sont publics, étaient idiots. C’est juste qu’en Afghanistan, tu risques ta vie.
Luc : Oui, c’est exactement ça.
Peut-être que d’ici à la semaine prochaine on aura rétabli la peine de mort dans le milieu professionnel. D’ici là je pense qu’on est un peu plus tranquille pour nos éléments compromettants sur Internet.
Manu : Il y a toujours une solution pour la vie privée, ça avait été recommandé par je ne sais plus quel dirigeant de GAFAM, c’était de changer de nom quand on devenait adulte, comme ça il n’y a pas de problème.
Luc : C’est ça. De toute façon la vie privée c’est pour les loosers.
Manu : Sur ce, je te dis à la semaine prochaine et j’espère que tout va aller pour le mieux.
Luc : Salut ! Bonne semaine.