Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Étienne Gonnu : Bonjour à toutes. Bonjour à tous.
Solidaires Informatique, un syndicat qui représente les travailleurs et les travailleuses des métiers de l’informatique, c’est le sujet principal de l’émission du jour. Nous recevrons également KPTN pour nous parler de son nouvel album, Flammes, et nous réécouterons une chronique sur des « Mesures à la portée des gouvernements pour promouvoir le logiciel libre ». Voilà le programme de l’émission du jour.
Vous êtes sur la radio Cause Commune, la voix des possibles, 93.1 FM et en DAB+ en Île-de-France et partout dans le monde sur le site causecommune.fm.
Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Je suis Étienne Gonnu, chargé de mission affaires publiques pour l’April.
Le site web de l’April est april.org, vous pouvez y trouver une page consacrée à cette émission avec tous les liens et références utiles et également les moyens de nous contacter. N’hésitez pas à nous faire des retours ou nous poser toute question.
Nous sommes le mardi 2 mars 2021, nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.
À la réalisation de l’émission Adrien Bourmault pour sa première réalisation en solo. Salut Adrien.
Adrien Bourmault : Salut.
Étienne Gonnu : Si vous souhaitez réagir, poser une question pendant ce direct, n’hésitez pas à vous connecter sur le salon web de la radio. Pour cela rendez-vous sur le site de la radio, causecommune.fm, cliquez sur « chat » et retrouvez-nous sur le salon dédié à l’émission. Vous pouvez aussi participer à nos échanges en appelant le 09 72 51 55 46. Vous retrouverez ce numéro sur le site de la radio.
Nous vous souhaitons une excellente écoute.
Tout de suite place à notre premier sujet.
[Virgule musicale]
Interview de l’artiste KPTN, dont le nouvel album Flammes est disponible sous licence Creative Commons By SA version 4.0
Étienne Gonnu : J’ai le plaisir d’avoir au téléphone Clément Oudot, aussi connu sous le nom de scène KPTN, pour nous parler de son nouvel album Flammes, disponible sous licence Creative Commons Partage dans les mêmes condition, CC By-SA 4.0.
Salut Clément.
Clément Oudot : Salut.
Étienne Gonnu : Ou devrais-je donc dire KPTN. Flammes était assez destiné comme nom d’album, j’imagine ?
Clément Oudot : Il y a un petit jeu de mots sur le nom de l’album et dans les textes des chansons, pour ceux qui les écouteront, vous verrez que ça joue beaucoup avec la langue française. Je vous invite à lire les paroles et à essayer de trouver tous les petits jeux de mots qui peuvent s’y cacher.
Étienne Gonnu : Oui. C’est vrai que tu joues beaucoup avec les mots. Je vais d’ores et déjà préciser que tu as un site avec une page dédiée à cet album. Pour chacune des chansons, si on clique sur l’image, on a accès à la page de la chanson avec les paroles entières.
Du coup Flammes, à part la référence, pour ceux qui ne l’avaient pas saisie, à la série d’animation japonaise Capitaine Flam, est-ce que ça a un autre sens ou c’était vraiment pour le plaisir de ce jeu de mots ?
Clément Oudot : C’est avant tout pour le plaisir du jeu de mots. Capitaine Flam renvoie un peu à ma génération, je suis des années 80, et c’est un premier album, pour moi c’est une illumination, c’est le début de quelque chose. On peut aussi voir la flamme comme cette étincelle pour démarrer quelque chose.
Étienne Gonnu : Très bien. On s’y attendait un peu, mais c’est joliment dit !
KPTN c’est juste toi ? C’est un groupe ?
Clément Oudot : KPTN c’est juste moi, mais j’ai eu la chance de me faire aider par des amis, parce que tout seul je n’aurais jamais réussi à faire tout ça. J’ai été bien entouré. Corentin Saux et Stanislas Blaineau ont été les maîtres d’œuvre de cet album, ils m’ont aidé à tout enregistrer et à mettre tout ça en musique. Je les remercie. Je n’ai pas été tout seul dans cette aventure.
Étienne Gonnu : Si on écoute ta musique, tu chantes. Tu joues aussi d’un instrument ?
Clément Oudot : Sur cet album je suis auteur-compositeur-interprète, comme on dit, je fais toutes les guitares, également de la mandoline sur une chanson, et bien entendu j’interprète, je chante. Stan est bassiste. Toute la basse est une vraie basse, avec un vrai musicien derrière. Le reste – de l’orgue, de la batterie – a été fait en musique assistée par ordinateur par Corentin.
Étienne Gonnu : La musique assistée par ordinateur est un sujet qui nous tient à cœur, c’est dans le back-office, on va dire, de l’émission.
Ça fait combien de temps que tu fais de la musique ? Tu dis que c’est ton premier album, mais on a déjà eu le plaisir de diffuser un morceau que tu avais réalisé, on va dire que tu n’en es pas à ton coup d’essai.
Clément Oudot : Non. Tout petit j’ai fait de la musique classique. À l’adolescence, j’ai pris la guitare et commencé à faire des chansons et 25 ans après j’ai abouti à cet album. Ça faisait un moment que j’écrivais des chansons qui étaient un peu dans ma tête, pas beaucoup diffusées. Il y a 2 ans je me suis dit « il faut que je fasse un disque », donc c’est la concrétisation de tout ça. Mais ça fait donc très longtemps que je fais de la musique et que j’écris des chansons.
Étienne Gonnu : Tu devances ma prochaine question : tu as donc mis 2 ans à réaliser cet album ?
Clément Oudot : Oui. Vous n’êtes pas sans savoir que l’année dernière il y a eu des conditions qui ont un peu changé. Même sans ça, c’est vraiment pour moi un hobby, donc j’ai pris le temps, et les gens qui l’ont fait avec moi l’ont fait également de manière totalement bénévole, donc cela prend forcément plus de temps qu’un professionnel qui pourrait y consacrer plusieurs semaines d’affilée. Ça a été fait au fur et à mesure, toutes les chansons ont été enregistrées à des jours différents.
Étienne Gonnu : Tu dis que tu n’es pas musicien professionnel. Je pense que ça peut intéresser des gens et finalement qu’on connaisse ta musique puisque, ce n’est pas anodin, tu es informaticien, par ailleurs libriste même. Peux-tu te présenter en quelques mots ?
Clément Oudot : Tout à fait. Effectivement, je suis plutôt quelqu’un de technique. Je travaille chez Worteks, une société de services en logiciel libre, je suis contributeur de projets libres comme LemonLDAP::NG, LDAP Tool Box, tout ce qui concerne les annuaires et le SSO single sign-on. La plupart du temps je m’exprime plutôt sur des sujets un peu plus sérieux et un peu plus techniques. J’ai quand même une passion et un vrai désir de faire du Libre dans la partie technique, donc quand j’ai fait de la musique j’ai trouvé assez naturel d’en faire aussi de façon libre, c’est aussi pour ça que j’ai choisi la licence Creative Commons.
Étienne Gonnu : À nouveau tu devances ma prochaine question. J’allais justement te demander pourquoi tu diffuses ta musique sous licence libre, tu as déjà commencé à y répondre, et pourquoi le choix particulier d’une licence qu’on dit de type copyleft, la Creative Commons By-SA qui permet la réutilisation, la modification, la diffusion et le partage de ta musique pour toute utilisation, y compris commerciale, à condition de te créditer, d’indiquer la licence, d’indiquer si des modifications ont été effectuées. Du coup on peut faire un remix, il faut le diffuser dans les mêmes conditions, c’est-à-dire avec la même licence.
Clément Oudot : J’ai fait ce choix d’une manière un peu simple. Comme je l’ai dit, pour moi c’est un hobby, donc je n’avais pas d’enjeu par rapport à la monétisation de ce travail, je n’ai pas besoin de ça pour vivre, donc c’est plus facile pour moi, en tant qu’amateur, de faire ce choix-là, que peut-être pour des professionnels. Après, il y a vraiment une conviction de dire que ce que l’on produit doit pouvoir être librement diffusé, c’est une première chose, et librement réutilisé. Je crois beaucoup à l’écosystème du Libre, que ça soit dans le logiciel comme dans la culture, donc c’est vraiment par conviction personnelle que j’ai voulu faire ça. Je serais plutôt ravi que des gens trouvent ce que je fais assez bon pour être repris dans d’autres contextes, pour l’instant ce n’est pas le cas, mais peut-être qu’un jour ça le sera !
Étienne Gonnu : Pour le clin d’œil, Fred nous dit sur le salon web de l’émission qu’il boit justement son café dans un mug Worteks.
Tu as parlé de tes engagements, tu es engagé pour les libertés informatiques. D’ailleurs, on sent dans ton album un engagement au sens politique plus large : l’égalité hommes-femmes, l’écologie aussi me paraît assez présente dans tes chansons. C’est important pour toi d’exprimer ces convictions dans ta musique ?
Clément Oudot : Oui, ça fait un peu Miss France de dire qu’on est contre la guerre, pour l’écologie ; ça ne fait jamais de mal de le redire. D’autre part, j’ai essayé de traiter ces sujets-là, qui me tiennent bien sûr à cœur, de façon un peu décalée, avec ces calembours. C’est une façon de s’exprimer sur ces choses-là.
La chanson sur l’écologie s’appelle Le musée d’air contemporain . J’ai imaginé que dans quelques années – j’espère le plus loin possible – les enfants iraient dans un musée pour voir ce que c’était de l’air pur, de l’eau, etc., donc imaginer un peu cette dystopie. Cette chanson a été faite comme ça. Il y a plein d’autres façons de traiter ces sujets-là, des sujets parfois graves, j’ai d’ailleurs eu des remarques. Une chanson sur le suicide, une chanson sur l’alcoolisme, qui ne sont pas des sujets simples, mais que j’essaie de traiter de manière un peu décalée. J’espère que c’est réussi.
Étienne Gonnu : Je trouve en tout cas. D’ailleurs Le musée d’air contemporain est une des chansons que l’on va diffuser parce que les trois pauses musicales seront des morceaux tirés de ton album. Avant qu’on ne se quitte, le premier morceau que nous allons écouter dans quelques instants, À toi de jouer, est un duo, tu me le disais avant l’émission, sur le thème de l’égalité hommes-femmes. Peux-tu nous décrire ce titre en quelques mots et notamment nous dire comment s’est mis en place ce duo ?
Clément Oudot : Il y a une histoire un peu particulière sur cette chanson. Je travaille dans le logiciel libre, dans un lieu de coworking qui s’appelle La Cordée. Beaucoup d’entre nous font du télétravail. Dans ce lieu de coworking j’ai rencontré pas mal de gens, dont des personnes qui faisaient de la musique, qui m’ont aidé à faire cet album, et un groupe qui s’appelle 7Fridays [SevenFriday], qui chante en anglais. Ils m’ont demandé de leur écrire une chanson en français sur le thème du féminisme, quelque chose d’assez compliqué pour moi, n’étant pas une femme, je me demandais ce que j’allais bien pouvoir dire, ce que j’allais pouvoir apporter là-dessus. J’ai décidé de créer une chanson qui parle un peu de l’égalité hommes-femmes. Ils n’ont pas pu la mettre sur leur album, au final cette chanson que j’ai écrite pour eux, on l’a enregistrée en duo et elle est arrivée sur mon album. Comme ça on a pu publier cette chanson.
Étienne Gonnu : Super, belle histoire. Nous allons écouter ce morceau.
KPTN, Clément, je te remercie d’avoir passé ce temps avec nous.
Clément Oudot : Merci pour votre invitation.
Étienne Gonnu : Avec plaisir. Au plaisir d’échanger à nouveau. Bonne fin de journée.
Clément Oudot : Merci. Au revoir.
Étienne Gonnu : Nous allons justement faire une pause musicale.
[Virgule musicale]
Étienne Gonnu : Nous allons écouter À toi de jouer par KPTN. On se retrouve juste après. Je vous souhaite une belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
Pause musicale : À toi de jouer par KPTN.
Voix off : Cause Commune, 93.1.
Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter À toi de jouer par KPTN, disponible sous licence libre Creative Commons, Partage dans les mêmes conditions, CC By SA. Vous retrouverez les références sur causecommune.fm et sur april.org.
Vous écoutez l’émission Libre à vous ! sur radio Cause Commune, la voix des possibles, 93.1 FM et en DAB+ en Île-de-France, partout dans le monde sur le site causecommune.fm.
Je suis Étienne Gonnu de l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Passons maintenant à notre sujet suivant.
[Virgule musicale]
Échange avec Solidaires Informatique, syndicat membre de l’Union syndicale Solidaires, qui syndique les travailleuses et travailleurs des métiers de l’informatique, du conseil et du jeu vidéo
Étienne Gonnu : Nous allons poursuivre par notre sujet principal, le syndicalisme dans les métiers de l’informatique et plus précisément Solidaires informatique, un syndicat des travailleuses et travailleurs des métiers de l’informatique, du conseil et du jeu vidéo avec Nadine Stéphant qui doit être avec nous au téléphone. Bonjour Nadine.
Nadine Stéphant : Bonjour Étienne.
Étienne Gonnu : Super. Et Thomas qui est présent avec nous en studio. Tous les deux vous êtes adhérente et adhérent de Solidaires Informatique.
Je rappelle à nos auditrices et auditeurs qu’ils peuvent participer à notre conversation au 09 72 51 55 46 ou sur le salon web dédié à l’émission, sur le site causecommune.fm, bouton « chat ».
Bonjour Nadine, Bonjour Thomas.
Une question sans doute très classique pour commencer, est-ce que vous pourriez vous présenter s’il vous plaît. Honneur à Nadine qui est par téléphone.
Nadine Stéphant : Je suis Nadine Stéphant. Je suis membre du bureau national de Solidaires Informatique. Je suis engagée syndicalement maintenant depuis 12 ans, dont une grande partie à Solidaires Informatique. J’ai par ailleurs des mandats en entreprise, au CSE [Comité social et économique] je suis déléguée syndicale et je suis également défenseure syndicale depuis un an environ.
Juste pour dire un petit peu les conditions de mon engagement à Solidaires Informatique, je suis arrivée par conviction ancienne et des constats de nécessité au vu des conditions sociales dans l’entreprise qui ne s’étaient pas traduits jusqu’àlors par un engagement formel syndical. J’y suis venue comme ça en voulant mettre en action mes convictions. Je suis salariée d’une grosse structure SS2I, donc société de services informatiques. Je dis ce terme-là volontairement, c’est l’ancien nom que tout le monde connaît, qu’on appelle maintenant ESN, entreprise de services numériques, et je travaille plus précisément dans une filiale software RH. Voilà.
Étienne Gonnu : OK. Merci. Thomas.
Thomas : Salut. Je suis syndiqué depuis trois/quatre ans maintenant. Je suis aussi libriste depuis un peu plus longtemps, sous Linux. Et pareil, je suis dans une SS2I, une société de services, où je suis développeur ; je viens de quitter le monde du développement pour passer du côté agile de la force, c’est-à-dire être un peu plus dans l’organisation des projets et des développeuses et développeurs dans l’informatique.
Étienne Gonnu : OK. Une question que j’aime bien poser en introduction et je pense que du coup, Thomas, tu vas être parfaitement indiqué pour y répondre, qu’est-ce que ça évoque pour toi quand on parle de logiciel libre ? Si tu parles de logiciel libre, qu’est-ce que ça t’évoque, comment tu le présentes aux gens ?
Thomas : Ça dépend à qui je parle. Pour répondre à ta question : qu’est-ce que ça m’évoque ? Pour moi c’est le refus de la propriété et des brevets qui est un point hyper-important. On en parlera peut-être tout à l’heure, mais Solidaires est un syndicat qui se veut engagé, qui se veut militant, politique, et un des problèmes qu’on trouve, je pense, dans nos sociétés, c’est qu’on met de la propriété privée et des brevets partout. Et passer au logiciel libre, c’est justement refuser cette propriété privée qui est abusive et ça permet de faire avancer la technique, la science et les connaissances de manière générale. Voilà pourquoi je suis libriste. Il y a des raisons politiques et des raisons techniques, je pense que pour les deux c’est hyper-important.
Étienne Gonnu : Bien sûr. Nadine est-ce que tu souhaiterais compléter ?
Nadine Stéphant : Non, pas vraiment. Je pense tout à fait que Thomas est plus compétent que moi sur le sujet. Juste pour une précision par rapport à notre syndicat qui, en fait, dans son congrès 2020, avait présenté une motion pour le logiciel libre. Comme disait Thomas, ça fait en effet partie des enjeux et des points importants pour notre syndicat que de revendiquer le logiciel libre.
Thomas : Je crois même que c’était un peu avant 2020. Mais bon !, il faudrait qu’on regarde les dates, ça fait quelques années.
Nadine Stéphant : En tout cas, c’est récent.
Étienne Gonnu : L’important c‘est l’objet. On va y revenir parce qu’on va évoquer, bien sûr, le rapport qu’a Solidaires Informatique avec le logiciel libre tant dans ses pratiques que dans ses revendications. Peut-être que ça peut être intéressant d’aborder de manière générale déjà ce qu’est un syndicat. C’est vrai que c’est un terme qu’on entend souvent dans le langage courant, dont on entend régulièrement parler, et ce n’est pas forcément clair pour tout le monde ce qu’est un syndicat, quel est son rôle. Qu’est-ce qu’un syndicat, Nadine Stéphant ?
Nadine Stéphant : Déjà, sans parler précisément de Solidaires Informatique, un syndicat est un regroupement de travailleurs et de travailleuses, ça peut être assez large cette notion de travailleurs et travailleuses, on pourra en reparler peut-être plus précisément après, qui organise la défense de ses intérêts. Si on rentre plus particulièrement dans le cas de Solidaires Informatique – je ne sais pas si on veut orienter vraiment dans le détail pour l’instant la réponse – si je dois préciser un peu, Solidaires Informatique c’est un syndicat de l’Union syndicale Solidaires. Cette notion d’union syndicale est aussi importante puisqu’elle fédère un ensemble de syndicats, de syndicats de branche — quand je dis de branche, en fait ça veut dire de secteurs professionnels — et de syndicats locaux aussi puisqu’on est organisés de cette façon-là, y compris à Solidaires informatique donc à un niveau plus fin. Donc Solidaires Informatique est adhérent à cette Union syndicale.
On existe à peu près depuis 2011, l’Union syndicale Solidaires a été créée en 1981. Donc c’est vraiment le regroupement des travailleurs et des travailleuses, pour nous, en l’occurrence, de l’informatique, et plus particulièrement, pour ce qui est de notre secteur, ça touche à la fois l’informatique en général, mais aussi des cabinets de conseil, des jeux vidéo.
Étienne Gonnu : Je crois que Thomas souhaite compléter.
Thomas : Concrètement, c’est vrai que défendre les intérêts c’est exactement ce qu’a dit Nadine, ça veut dire quoi « nos intérêts de travailleurs » ? Il y a évidemment la question des salaires, mais il y a un peu plus. Il y a la question des retraites qui n’est pas liée à notre entreprise mais qui est liée au niveau national. Il y a des combats un petit peu comme ça. Ça peut être aussi le temps de travail : est-ce qu’on fait des heures supplémentaires, est-ce qu’on ne fait pas d’heures supplémentaires.
Après il y a d’autres choses qu’on fait dans un syndicat : on réfléchit, on pense, on est un groupe dans lequel on imagine un futur meilleur et on s’organise pour pouvoir obtenir de nouveaux droits. Les nouveaux droits ça peut être tout simplement avoir une machine à café gratuite jusqu’à, effectivement, des trucs beaucoup plus sérieux comme avoir un vrai système de retraite qui nous servira dans le long terme.
Il y a d’autres trucs un peu cachés. J’ai découvert ça en étant syndiqué. Il y a des fois un côté un peu psy sur les bords : il y a untel qui s’est fait engueuler par le patron et c’est aussi le rôle du syndiqué je crois, Nadine tu me reprendras, d’aller voir, d’aller discuter, d’aller rassurer, d’aller dire qu’on va la ou le défendre quand il y a des soucis x ou y dans le monde de l’entreprise, parce que, je ne vous l’apprends pas, le monde de l’entreprise n’est pas toujours parfait et parfaitement rose, donc on a un rôle à jouer. Et, comme l’a dit Nadine, les syndicats sont souvent élus ou dans des conseils représentatifs au sein des entreprises, notamment le CSE, le Comité social et économique, où on doit porter la parole des syndiqués et des salariés de manière générale auprès de la direction pour justement faire un peu le dialogue et réussir à obtenir des droits qu’ont demandés, que demandent les salariés. On fait un peu le porte-parole des salariés.
Étienne Gonnu : D’ailleurs je pense que c’est une notion importante. Je vais te passer la parole Nadine. Simplement Thomas mentionnait les élections et je crois que les syndicats ont vocation à avoir un fonctionnement démocratique pour représenter de manière démocratique l’ensemble des travailleuses et des travailleurs. Thomas opine de la tête. Je pose naïvement la question. Est-ce que vous pouvez compléter là-dessus ? Nadine tu souhaitais réagir par ailleurs.
Nadine Stéphant : Oui, je voulais compléter un petit peu ce que disait Thomas. En effet, on va bien au-delà d’une activité de porte-parole de salarié·es, c’est-à-dire qu’on représente l’intérêt de la profession de façon générale. Ce n’est pas seulement être l’intermédiaire ou un peu le tampon entre les salarié·es et l’employeur, mais c’est bien s’assurer que les droits des salarié·es tels qu’ils sont édictés par la loi, par des accords, etc., sont bien respectés et assurer notre rôle de syndicat en les faisant respecter s’ils ne le sont pas et en négociant également, comme disait Thomas tout à l’heure, des avancées sociales.
Je voulais juste intervenir, en fait, sur le positionnement peut-être très particulier de Solidaires Informatique et de l’Union syndicale Solidaires. On est au-delà de la défense des intérêts des salarié·es sur le plan social, on est aussi très présents, et c’est très important pour nous, sur des enjeux sociétaux. C’est-à-dire, en fait, des actions en termes par exemple de lutte contre le sexisme, de les luttes féministes, de luttes contre le racisme, l’écologie, enfin un certain nombre de sujets d’éthique et sociétaux qui sont également très importants pour nous.
Étienne Gonnu : Ça faisait partie des sujets que j’aurais aimés justement qu’on aborde, on peut les aborder tout de suite d’ailleurs. Si on va sur le site de Solidaires Informatique, ça se voit notamment dans les différentes prises de position politiques. D’ailleurs, dans le bandeau, vous parlez d’engagement anti-raciste, anti-sexiste, pro-féministe, etc. Vous n’êtes pas strictement, c’est ce que tu disais, dans la représentation des travailleuses et des travailleurs, mais dans un engagement politique plus large, si je résume à gros traits ton propos.
Nadine Stéphant : Tout à fait.
Étienne Gonnu : Un aspect qui me paraissait intéressant c’est cette notion de travailleuses, travailleurs du numérique qui est mise en avant, il me semble, sur le site, que tu as commencé à évoquer Nadine. Qu’est-ce que vous représentez ? Strictement les salarié·es ? Que les travailleurs et travailleuses ? Et je vais joindre une question que m’a posée un membre de l’April en amont de l’émission et je pense qu’elle est en lien, qui aimerait savoir si votre syndicat fait des actions par exemple pour les personnes en recherche d’emploi. En gros, est-ce que les personnes au chômage sont des travailleuses et travailleurs ? Thomas.
Thomas : Pour les personnes en recherche d’emploi, je sais que de temps en temps il y a des CV qui passent, qu’on peut essayer de faire, mais ce n’est pas notre activité principale. En revanche, on syndique les retraités de l’informatique, très clairement.
Étienne Gonnu : Nadine, tu souhaites compléter ?
Nadine Stéphant : Oui, tout à fait, ce que dit Thomas est vrai, on syndique les retraité·es. On s’est aussi posé beaucoup de questions sur l’évolution du travail dans la société au sens large, à savoir notamment le développement, qu’on déplore, mais qu’on ne peut que constater, de l’auto-entrepreneuriat et de toute cette forme de travail qui fait perdre aux gens une certaine protection sociale. Comme on dit « travailleurs et travailleuses » [dans nos statuts] — on ne dit pas « salariés et salariées » — ce sont aussi des auto-entrepreneurs et auto-entrepreneuses qu’on syndique, sous réserve qu’ils ne soient pas eux-mêmes employeurs, des sous-traitants.
C’est vrai que sur la question des chômeurs, on a malheureusement des adhérent·es qui deviennent chômeurs et chômeuses et ils continuent souvent, pour beaucoup d’entre eux, à être adhérents parce qu’on aménage justement l’adhésion de telle sorte qu’elle n’ait pas de coût ou quasiment pas de coût pour eux, mais on n’a pas de démarche spécifique, comme tu le demandais Étienne, envers les chômeurs et chômeuses. Juste pour finir là-dessus, je pense que ça tient aussi au fait que pendant longtemps, c’est peut-être de moins en moins vrai, le secteur de l’informatique était tellement florissant que perdre son emploi n’était absolument pas une difficulté ou quasiment. Depuis quelques années maintenant ça devient un vrai problème, notamment pour les populations plus âgées, mais c’est vrai que ce n’est pas dans nos axes d’action pour l’instant [de syndiquer spécifiquement les chômeurs et chômeuses, Note de l’intervenante].
Étienne Gonnu : C’est intéressant. Effectivement les syndicats évoluent aussi dans la réalité des contextes sociaux dans lesquels ils se situent selon le secteur.
Thomas j’ai l’impression que tu souhaites réagir ou compléter.
Thomas : Nadine a dit l’essentiel. Effectivement, dans notre profession, il y a un truc qui est spécifique, c’est qu’on a emploi qui est quand même assez fort, notamment chez les jeunes. En revanche, passé la barrière des 45/50 ans, il y a des salariés qui se font mettre au placard et il faut en parler parce que les gens de mon âge ne voient absolument pas le truc arriver. Quand tu as 55 ans, que tu es expert en Cobol, un langage de programmation qui était très utilisé dans les années 70/80 et qui, aujourd’hui, commence un petit peu à être moins demandé, eh bien il y a de la répression sur les vieux de salariés qui arrivent en fin de carrière, ont un gros salaire et ne sont plus hyper-utiles sur le marché de l’emploi. Il y a vraiment des scandales qui se vivent là-dessus où des salariés de l’informatique se font virer de manière malpropre.
Étienne Gonnu : Entendu. Je vais relayer deux questions qui rentrent dans ce sujet, qui sont sur le salon web de la radio. Marie-Odile demande si vous défendez également les travailleurs et travailleuses du clic ; elle fait référence aux travaux du chercheur Antonio Casilli. Laurent demande si vous êtes impliqué, de manière ou d’une autre, dans les luttes contre les grosses plateformes telle Uber.
Nadine Stéphant : Je ne sais pas si Thomas veut répondre.
Thomas : Sur le clic on essaye. On a fait venir des experts justement pour nous parler un petit peu de ce sujet-là. C’est très difficile de syndiquer ces gens-là parce qu’ils sont justement derrière des plateformes ; je pense à Amazon Turck et ce genre de choses. C’est très difficile de les contacter, on ne sait pas qui ils sont, on ne sait pas comment ils travaillent. Ce sont des gens qui ne viennent pas frapper à notre porte, souvent, d’ailleurs, ce sont des gens qui n’habitent pas en France, qui habitent en Inde ou ce genre de choses. On aimerait bien faire quelque chose là-dessus. Si vous avez des contacts, si jamais vous-même êtes travailleuse ou travailleur du clic n’hésitez pas à nous contacter parce qu’il y a vraiment un boulevard qui s’ouvre là-dessus et une exploitation horrible qui est en train d’avancer. C’est vrai qu’un syndicat, en général, ça commence quand il y a deux personnes dans une même entreprise qui se parlent à la machine à la café. Quand chacun est derrière son PC à distance, dans des pays éloignés, on ne sait pas encore comment faire. Je pense qu’on a une marge de progression à faire là-dessus.
Enfin les grosses plateformes, sur Uber je ne crois pas qu’on ait de syndiqués chez eux, ni dans les VTC de manière générale. Après, est-ce qu’on est pour ces plateformes-là ? Non, parce que c’est évidemment de l’exploitation des travailleurs. On n’aime pas, enfin !, on pense que ce n’est pas le meilleur contrat que d’être auto-entrepreneur et on le voit. Il y a des auto-entrepreneurs dans l’informatique. On en a parlé et depuis quelque temps on a changé notre règlement intérieur pour justement syndiquer des auto-entrepreneurs qui étaient considérés comme des « patrons », entre guillemets, alors que socialement ce n’est pas exactement ça. Nadine.
Nadine Stéphant : Pareil, je n’ai pas forcément beaucoup de choses à rajouter. C’est vrai que Thomas connaît particulièrement le sujet des travailleurs et travailleuses du clic parce qu’il est lui-même adhérent de cette section territoriale qui est Solidaires Informatique Île-de-France. Ça avait été un sujet de réflexion apporté par l’un de nos adhérents. C’est vrai que ce sont des réflexions qu’on mène mais qui, pour l’instant, comme disait Thomas, n’aboutissent pas.
Pour l’auto-entrepreneuriat, en effet nos statuts ont évolué récemment justement pour syndiquer les travailleurs et travailleuses de plateformes et des auto-entrepreneurs/auto-entrepreneuses sous réserve, comme je disais tout à l’heure, qu’ils ne soient pas eux-mêmes des employeurs.
Étienne Gonnu : Entendu. Tu parlais de la distance, du fait de se retrouver dans une même entreprise et d’échanger pour pouvoir commencer à se syndiquer. On voit bien aussi que ce n’est peut-être pas complètement anodin que certaines grandes entreprises capitalistes fassent en sorte, justement, que les personnes ne puissent pas se retrouver que ce soit en les mettant à distance ou en passant par des statuts comme l’auto-entreprenariat.
Du coup ça amène une question. Vous êtes engagés de manière générale, on va dire, sur les métiers de l’informatique, vous avez déjà expliqué que ça se décline sous différentes manières. Je vais parler de secteur, est-ce que c’est un secteur qui est fortement syndiqué, peu syndiqué ?, c’est ce qu’il m’avait semblé comprendre. Comment vous l’expliquez ? Est-ce que ça évolue ? Thomas.
Thomas : Nadine, tu veux commencer.
Nadine Stéphant : Peu importe. Je réagis un peu par rapport à ça puisqu’il y a plein de sujets là-dedans, en effet. Je voulais juste rebondir sur le travail, je voulais juste parler de télétravail un peu rapidement à moins qu’on y revienne un peu plus loin.
Étienne Gonnu : On pourra y revenir, mais je t’en prie.
Nadine Stéphant : Tu évoquais le fait que les sociétés organisent la mise à distance des travailleurs/travailleuses justement pour éviter cette fédération de forces, pour défendre ses intérêts. C’est un sujet de fond sur lequel il faudra aussi qu’on réfléchisse très sérieusement parce que le télétravail qui était fait jusqu’ici, de ce que je vois, de ce que je constate, le télétravail était un problème culturel des entreprises par manque de confiance envers leurs salarié·es. Du fait du confinement, de la pandémie, il est devenu très massif dans nos secteurs et les employeurs voient tout l’intérêt, tout le bénéfice qu’ils auraient à ce mode de fonctionnement en mettant, bien sûr, en œuvre tout ce qui leur permet de se sécuriser et de s’assurer, mais qui empêche les gens de communiquer entre eux, qui permet de faire des économies, etc. Donc c’est un gros sujet de réflexion.
Par contre, pour revenir sur la syndicalisation du secteur, comme dans toutes les entreprises, comme dans tous les secteurs, la syndicalisation est forcément un peu difficile. Elle est parfois plus difficile dans le secteur de l’informatique parce que, justement, les gens sont beaucoup à distance. Je pense que ce n’est pas forcément pire qu’ailleurs, mais c’est quelquefois difficile aussi parce que ça a été une population relativement bien traitée au niveau salarial pendant de nombreuses années, avec des statuts de cadre même si leur métier ce n’est pas forcément d’être cadre. Ça a créé quelquefois une population un peu confortable, qui s’est un peu éloignée du syndicalisme, mais que je pense voir revenir, notamment un peu avec les plus jeunes, qui souffrent plus, malheureusement, des conditions actuelles.
Étienne Gonnu : Thomas, tu souhaites régir ?
Thomas : Elle a dit l’essentiel. Je pense effectivement, je le vois dans mon entreprise, on a la trentaine, on est dans la start-up nation, tout va bien dans le meilleur des mondes, regardez on a un baby-foot, c’est formidable ! Du coup, les gens ne se posent pas la question de pourquoi se syndiquer : mon salaire est à peu près correct, j’ai un baby-foot et le café est gratuit ! Ça, ça marche deux ans, trois ans, quatre ans et puis, à un moment il y a des coups de pression qui commencent à arriver, il y a des objectifs un peu chiffrés qui commencent à arriver et il y a un peu de pression. Je pense qu’un des points qu’on a à gérer en tant que syndicat c’est la maladie. Sur notre travail il y a peu d’accidents du travail, par contre il y a du burn-out dans le milieu des ingénieurs et des SS2I, du coup, là on commence un petit peu à se syndiquer. Après, les gens qu’on arrive à syndiquer ce sont les gens qui sont assez ouverts politiquement, assez engagés, notamment les libristes qui, j’ai l’impression, vont se syndiquer un peu plus que les autres. C’est sûr que quand un gros salaire, enfin un salaire de cadre moyen, les gens ne comprennent pas l’intérêt, ils ont l’impression d’être dans une classe qui fait d’eux des gens bien et la société les met en avant, etc.
Il faut un peu de temps. Effectivement les très jeunes et, je pense, les très vieux sont plus fragiles sur ces questions-là et en général, par cette fragilité, ils viennent effectivement voir les syndicats pour avoir un peu d’aide.
Un dernier point. Je pense aussi que les écoles d’ingénieurs sont des milieux qui sont très peu politisés, où ça éveille peu les réflexions politiques et syndicales. Du coup effectivement, quand ils arrivent en entreprise, eh bien ils n’ont pas ces réflexes-là.
Étienne Gonnu : Entendu. Nadine.
Nadine Stéphant : Juste pour avoir, peut-être, un panorama un peu plus exhaustif, je voudrais revenir sur le secteur du jeu vidéo qui est un peu atypique dans ce milieu-là et qui fait aussi partie de notre champ de syndicalisation. Globalement, ce qu’on entend dire et ce qu’on constate, c’est que nos camarades salarié·es du jeu vidéo sont beaucoup moins bien traité·es, même si ça s’est beaucoup dégradé dans les services, etc., mais le jeu vidéo comme, en plus, c’est sur des activités entre guillemets « plaisir », où les gens investissent aussi beaucoup cette activité parce qu’ils sont vraiment passionnés, il y a vraiment des conditions particulièrement mauvaises et, de ce côté-là, peut-être que la syndicalisation sera plus forte assez rapidement.
Thomas : Tout à fait. Je suis hyper d’accord avec ce que dit Nadine, tout ce que je viens de dire à l’instant n’est pas vrai pour le jeu vidéo. La tension sur le marché de l’emploi pour le jeu vidéo n’est pas du tout pareille, il y a beaucoup de gens qui veulent travailler dans le milieu du jeu vidéo, du coup, les employeurs en profitent pour faire baisser les salaires, imposer des charges, imposer ce qu’on appelle le crunch qui est un moment où on pressurise les travailleurs juste avant le lancement d’un jeu vidéo et ça crée des problèmes très graves. Du coup, en ce moment, j’ai effectivement l’impression qu’on a de plus en plus de syndiqués qui viennent du milieu du jeu vidéo parce qu’ils se rendent compte de l’exploitation et des problèmes qu’il y a dans leur boîte.
Étienne Gonnu : On a vu, je n’ai pas les infos en tête et on pourra les mettre dans les références. On a eu récemment des exemples réguliers de scandales dans des grandes productions de jeux vidéo.
Thomas : Typiquement on est, comment dire, responsables, on a mis des choses en place. Un des grands boss, j’ai oublié le nom, de cette entreprise française très connue.
Nadine Stéphant : Ubisoft et Quantic Dream.
Thomas : Ubisoft, voilà. Un des boss de Ubisoft a quitté l’entreprise, officiellement pour faire du jardinage. Nous on considère que c’est parce qu’il y a des vraies questions de sexisme qui se sont passées au sein de l’entreprise. On a fait une campagne, on a expliqué les choses, on a recueilli des témoignages, ça s’est passé même juridiquement, du coup les choses commencent un petit peu à bouger sur la question du sexisme dans le milieu du jeu vidéo qui est un énorme problème. La section syndicale de chez Ubisoft a fait un travail exemplaire là-dessus.
Étienne Gonnu : C’est vrai que vous êtes organisés en différentes sections qui représentent différentes entreprises, différents types de secteurs, Ubisoft, j’ai toute la liste, on peut la retrouver effectivement sur le site.
Avant qu’on fasse une pause musicale, on a clairement compris, en tout cas j’ai compris que les syndicats sont des organisations politiques, qu’elles mènent un combat politique. Quelle est la différence, justement, avec un parti politique ?
Thomas : On ne se présente pas aux élections. Si on revient à la Charte d’Amiens qui est un texte qui a voté en 1911 [1912] dont on se revendique un petit peu, l’objectif c’est l’autogestion, par les syndicats, des entreprises. C’est notre objectif final. On ne veut pas gagner les élections, on veut que les syndiqués gèrent les entreprises en autogestion. Bon ! Je crois que ça ne va pas arriver demain, on se bat tous les jours pour. Du coup, ça veut dire changer la vie des salariés et changer le monde, mais ça ne veut pas dire s’inscrire dans un schéma politique traditionnel, on ne veut pas aller aux élections, on ne veut pas se présenter, on ne veut pas rentrer dans le jeu de la République, ce n’est pas ça notre objectif.
Étienne Gonnu : Nadine, tu souhaites compléter ?
Nadine Stéphant : Je pense que c’est très clair. Les propos de Thomas sont très clairs et posent bien le cadre d’intervention du syndicat.
Thomas : Peut-être, pour repréciser, on a quand même des avis sur le monde et sur les politiques qui sont en train d’être menées. Quand le gouvernement nous propose une réforme des retraites, évidemment on n’est pas d’accord parce que c’est un désavantage pour les salariés et, du coup, on n’hésite pas à critiquer le gouvernement là-dessus, on n’hésite pas à faire des manifs, des grèves, justement pour exprimer notre mécontentement et faire en sorte qu’il écoute les gens et pas ses intérêts.
Étienne Gonnu : C’est très clair. D’ailleurs, le texte de la Charte d’Amiens est un texte intéressant à lire, qui n’est pas non plus particulièrement long, et qui précise bien l’organisation entre partis politiques et syndicats. J’invite tout le monde à le lire.
Nadine Stéphant : Tout à fait.
Thomas : Je crois qu’il est écrit qu’on refuse d’incorporer à l’intérieur du syndicat les problèmes ou les questionnements des partis politiques et des sectes, sous-entendu la religion, je crois que c’est ça, c’est un peu daté.
Nadine Stéphant : C’est fondateur. Tout à fait.
Thomas : C’est fondateur.
Étienne Gonnu : Super.
Je vous propose qu’on fasse une petite pause musicale pour s’aérer les méninges. Nous allons écouter, comme nous l’avons dit, Le musée d’air contemporain , le deuxième morceau proposé par KPTN. On se retrouve dans trois minutes. Une belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
Pause musicale : Le musée d’air contemporain par KPTN.
Voix off : Cause Commune, 93.1.
Deuxième partie
Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter Le musée d’air contemporain par KPTN, disponible sous licence libre Creative Commons Partage dans les mêmes conditions, CC By SA. Vous retrouverez les références sur le site de l’April, april.org.
Vous écoutez Libre à vous ! sur radio Cause Commune, la voix des possibles, 93.1 FM et en DAB+ en Île-de-France, partout dans le monde sur le site causecommune.fm.
Je suis Étienne Gonnu, en charge des affaires publiques pour l’April, et nous discutons avec Nadine Stéphant et Thomas de Solidaires Informatique, un syndicat de travailleuses et de travailleurs des métiers de l’informatique, du conseil et du jeu vidéo.
N’hésitez pas à participer à notre conversation sur le salon web dédié à l’émission, sur le site causecommune.fm, bouton « chat ».
Dans la première partie de notre échange on a commencé à évoquer la question du logiciel libre, de l’usage du logiciel libre dans vote syndicat. C’est vrai qu’on est une émission qui se consacre notamment aux libertés informatiques et ce sujet nous intéresse au premier chef.
En gros, je pense qu’il serait intéressant de voir déjà quelle est la place du logiciel libre dans vos pratiques et dans vos revendications en tant que sujet politique. Peut-être première question, avant de rentrer spécifiquement dans le logiciel libre, comment êtes-vous organisés au point de vue système informatique ? À Solidaires Informatique vous êtes autonomes ? Il y a un système informatique de Solidaires en général ? Comment ça s’organise ?
Thomas : Les syndicats sont indépendants les uns des autres, c’est à-dire que Solidaires Informatique a ses propres a ses propres systèmes et les autres Solidaires, Sud Rail ou d’autres, ont leur propre truc. Au sein de Solidaires Informatique, on a un serveur à nous, qui est sur NextCloud ; on a un agenda partagé. On a aussi un Jitsi qui nous permet de faire de la vidéoconférence. On était sur Teamspeak avant, on est tous contents d’être passés sur Jitsi, quasiment. Notre blog est géré par WordPress et on travaille encore beaucoup, on en parlait tout à l’heure, sur mailing-liste ; en fait l’essentiel de nos échanges est sur mailing-liste.
Après, quand on doit faire des points, au syndicat on fait des points mensuels qu’on appelle des conseils syndicaux, on les fait par Jitsi, on échange, on prend les décisions qu’on a à prendre.
Étienne Gonnu : C’est spécifique à la période ou ça a toujours été le cas ?
Thomas : Ce que je veux dire c’est qu’avant on faisait nos réunions entre midi et deux sur Teamspeak qui est d’ailleurs un logiciel un peu de gamers, open source, qui permet de faire des conférences audio à plusieurs. Du coup on a continué la pratique. On se voit ensuite en groupes parce qu’il y a des gens dans toute la France, donc on ne peut pas ramener tous les gens à Paris ou même ailleurs tous les mois, ce n’est pas possible, et il faut qu’on prenne les décisions rapidement. Du coup Jitsi c’est tous les mois, ça permet aux gens de toute la France de se connecter.
Après, les Parisiens se voient entre eux en physique parce qu’on a un local rue de la Grange-aux-Belles, pareil une fois par mois à peu près.
Étienne Gonnu : OK.
Nadine Stéphant : Juste pour préciser parce que c’est vrai que ce n’est pas toujours aussi vertueux que ça. La question se pose, en effet, de mettre en adéquation ses valeurs au quotidien et d’utiliser des outils. Ce que disait Thomas est tout à fait juste et, par exemple, les outils qu’on utilise pour les réunions, les compte-rendus, sont des outils du Libre au maximum, au niveau du bureau, du conseil syndical, etc. Quelquefois, au niveau des sections d’entreprises, c’est un peu plus compliqué. Ce n’est pas toujours centralisé non plus, mais c’est un sujet qui revient en permanence dans les discussions, dans les débats, les outils utilisés pour rédiger des tracts, etc.
Thomas : Effectivement, chaque entreprise a ses pratiques locales et, des fois, ne respecte pas toujours à 100 %. Nous-mêmes, des fois, on utilise des trucs de chez Google. Effectivement, au niveau parisien, au niveau national, on est 100 % en Libre. C’est un truc qui a été voté, acté, comme un outil de développement et d’axe il y a quelques années.
Étienne Gonnu : OK. Du coup, c’est une décision politique.
Thomas : Oui, c’est une décision politique. À un congrès on a dit « pour cette année nos résolutions : on fait du Libre et on arrête avec le logiciel propriétaire. »
Étienne Gonnu : Qui dit décision politique dit débat. Est-ce qu’il a fallu quand même un peu convaincre ? Est-ce que ça été naturel ? Dans ce secteur c’est peut-être un sujet qui est plus connu, on va dire, dans lequel les personnes sont un peu plus habituées à entendre parler de logiciel libre. Est-ce qu’il a fallu convaincre durement ou est-ce que ça s’est facilement ?
Thomas : Je suis arrivé après, donc je laisse Nadine répondre.
Nadine Stéphant : Je pense que c’est un peu en fil rouge dans le syndicat et c’est rappelé régulièrement. Pour autant, c’est vrai que tous les travailleurs et travailleuses de l’informatique ne sont pas forcément des techos [Surnom des technicien⋅nes, NdT] purs, donc ce ne sont pas forcément des pratiques si courantes. Par exemple on a des gens du conseil, on a des gens du progiciel, on a des gens d’un peu partout, donc tout le monde n’est pas forcément un adepte des outils. Donc ce sont sans arrêt des choses qui reviennent en pointillés, en permanence, mais ça reste un progrès permanent, nécessaire.
Thomas : C’est vrai, Nadine a raison. On a aussi des gens qui sont un peu dans le hardware, qui sont dans les machines. Il y a des gens qui rangent des câbles. On n’est pas tous des ingénieurs.
Étienne Gonnu : Avant ça, une question de Laurent sur le webchat : cette décision d’orientation avait-elle fait l’objet d’un vote ?
Thomas : Oui.
Nadine Stéphant : Oui, en congrès, tout à fait.
Étienne Gonnu : En congrès. D’accord.
Thomas : Peut-être une précision sur Solidaires, tout est voté, tout est démocratique, il n’y a pas de chef qui décide pour le monde ; ce n’est pas trop le genre du syndicat.
Nadine Stéphant : Oui, c’est une structure horizontale, qui, en effet, est censée prendre ses décisions de façon large, comme dit Thomas. Il y a des exécutifs et des choses comme ça, mais la décision se fait au niveau du conseil syndical, selon les statuts de Solidaires Informatique, et le conseil syndical, en fait, prend des décisions par des mandats qui sont donnés par les sections d’entreprises et les sections territoriales, donc sous cette forme-là.
Étienne Gonnu : Du coup une question que je me posais : qui s’occupe concrètement des systèmes, du serveur, etc. ? Ce sont des salariés ? Ce sont des mandats menés par des adhérents ou adhérentes ?
Thomas : Ce sont ceux qui sont motivés et qui ont un peu de temps.
Étienne Gonnu : D’accord.
Nadine Stéphant : Oui, c’est ça. Les gens du bureau font beaucoup.
Thomas : En ce moment c’est Yannis et ça a été Manu pendant longtemps.
Nadine Stéphant : Ce sont souvent des gens qui sont au bureau, qui viennent au bureau et qui prennent un peu en charge cette action-là.
Étienne Gonnu : J’imagine que là-dessus il y a pas mal de compétences. Il me semble que dans beaucoup d’organisations il peut y avoir des problématiques si tout le système repose sur une seule personne qui serait la seule avec les compétences et les connaissances pour accéder aux serveurs. J’imagine qu’il n’y a pas forcément ce problème-là, c’est surtout une question de motivation.
Nadine Stéphant : C’est pluriel quand même.
Thomas : C’est une question de motivation et de temps.
Étienne Gonnu : La gestion du temps est aussi le nerf de la guerre. Très bien.
Vous avez parlé du congrès avec une décision qui a été prise et qui donne un poids politique et effectivement c’est très important.
On parlait d’engagement politique. Il y a des combats sur les libertés informatiques en général qui sont un peu au cœur des sujets d’actualité. Il y a des communiqués sur votre site. Je vous laisse un peu carte blanche parce qu’il y a différents sujets. On a vu vos engagements. On a pu voir une prise de position dans le cadre de la campagne Technopolice de La Quadrature du Net notamment contre la loi sécurité globale ; contre Amazon. Je crois, en plus, qu’aux États-Unis ils sont en train d’essayer de monter un syndicat dans un entrepôt, dans l’Alabama, et on voit qu’il se mène une campagne d’Amazon anti-syndicale et c’est effectivement un combat très intéressant et qui me semble important. Vous avez pris position contre StopCovid. Voilà ! Des positions importantes qui sortent, finalement, de la seule représentation de l’intérêt direct, on va dire, des travailleuses et des travailleurs de votre secteur, mais qui sont des positons politiques.
Est-ce qu’il y a un de ces sujets sur lequel vous voudriez intervenir ? Nadine.
Nadine Stéphant : Je voudrais intervenir là-dessus. Comme on le disait tout à l’heure, en début d’émission, on parlait des enjeux sociétaux qui sont très importants pour Solidaires Informatique. Bien sûr, on reste un syndicat de travailleurs et de travailleuses, avec la défense des intérêts des salarié·es, il ne faut pas l’oublier, on n’est pas en train de se disperser uniquement sur des sujets sociétaux, mais on parle aussi de la société dans laquelle on veut vivre et travailler. Ces aspects-là nécessitent qu’on ait de vraies interrogations au niveau du syndicat. Tu évoquais notamment, Étienne, la création de ce syndicat chez Google. On voit justement que ce syndicat-là s’est constitué — et c’est peut-être un champ de développement du syndicalisme, développement au sens syndicalisation des travailleurs et travailleuses —, s’est créé beaucoup sur des notions éthiques. J’en veux pour preuve que les gens qui ont lancé ce syndicat disent clairement qu’ils ont bâti Google, mais que ce n’est pas la société pour laquelle ils veulent travailler. C’est donc un syndicat qui souhaite, en fait, se positionner aussi beaucoup sur des problèmes éthiques et pas seulement sur des salaires et des conditions de travail. Nous aussi nous sommes dans ces enjeux-là.
Je prends juste l’exemple d’Amazon, quand on s’oppose et qu’on a des adhérents locaux qui agissent en ce sens pour travailler à l’opposition à l’implantation d’entrepôts d’Amazon, on est vraiment dans ces interrogations-là : quelles sont les conséquences de la numérisation sur la vie des gens et qu’est-ce que nous, syndicats de l’informatique, devons poser comme questions par rapport à notre microcosme et aux conséquences qu’il a ?
Étienne Gonnu : Thomas.
Thomas : J’ajouterais aussi qu’on a aussi la « prétention », entre guillemets, de vouloir faire de l’éducation populaire et on prend des positions politiques sur StopCovid, sur des questions éthiques et tout. On ramène aussi de la réflexion, du débat, de la discussion dans l’entreprise, parmi les salariés, parmi les gens qui, dans la boîte, ne s’intéressent peut-être moins ou pas aux questions politiques. Du coup, on a la prétention de dire qu’un syndicat c’est aussi un lieu pour réfléchir, pour se poser des questions, pour s’imaginer un monde meilleur.
Il y a des fois où ça touche évidemment, ce qu’on disait tout à l’heure sur les retraites, nos problèmes directs, mais des fois c’est plus loin, c’est plus large, comme avec des applications comme StopCovid où, effectivement, on n’est pas directement sur des questions de travail.
En fait on veut ce débat, on veut qu’il y ait de la réflexion, on veut que les gens se positionnent et on préfère des gens qui nous disent « vous dites n’importe quoi, on n’est pas d’accord » plutôt que des gens qui se taisent ou qui se cachent les yeux.
Étienne Gonnu : Tu parlais des écoles d’ingénieurs qui est un espace peu politisé et, en fait, ça m’évoque que les entreprises sont finalement des endroits où on passe beaucoup de temps, où on agit socialement à travers son travail. En fait, il y a tout un intérêt et c’est extrêmement important d’en refaire collectivement un espace politique puisque ça a des impacts importants, écologiques, dans les rapports interhumains, que ce soit sur la question hommes/femmes, sur les problèmes de racisme, etc. Donc c’est très important. En plus, on le voit chez Amazon qui est une sorte de temple de l’exploitation, qui utilise, en plus, des logiciels où le logiciel devient un pur outil de contrôle du travail. Nadine, je te passe la parole.
Nadine Stéphant : Tout à fait. Je veux bien compléter là-dessus parce que ce que tu dis est super intéressant. Il faut aussi que nous fassions notre autocritique de ce que produisent nos métiers. Nous sommes acteurs de ces outils-là, donc il faut que nous nous interrogions et que les adhérent·es s’interrogent sur les conséquences de tous ces actes-là et sur ce travail qu’on produit.
À cet égard, pour donner un exemple concret à Solidaires sur le congrès que nous allons avoir au mois de mars, il y a un débat-conférence qui va se mener sur le capitalisme de surveillance. Clairement, on est acteurs d’un certain nombre d’outils qui peuvent amener à ce mode de fonctionnement, pas parce que l’outil fait la société, parce qu’il y a des gens derrière qui ont des enjeux à mettre en place ces outils, à surveiller, etc., pire à gouverner, donc c’est important aussi que la réflexion se mène au sein du syndicat sur ces aspects-là.
Thomas : Clairement. Je peux parler d’un exemple concret. Quand je suis arrivé dans mon entreprise, nous on donnait un ordinateur et on nous disait « tiens, prends-le, fais ce que tu veux, installe l’OS, le système d’exploitation, l’operating system » ; les gens installaient ce qu’ils voulaient. Suite à des rachats et des politiques un peu différentes, on nous a dit « en fait, maintenant vous n’avez plus vraiment le droit de choisir votre OS. On laisse ceux qui sont sous Linux parce qu’on ne veut pas se fâcher avec une partie des travailleurs, par contre on vous oblige à installer plein de logiciels de surveillance de Microsoft dans votre ordinateur, etc., le MDM [Mobile Device Management] pour ne pas le citer ». Ça a choqué énormément de développeurs, parce que ta machine, ton PC, c’est ton outil de travail, c’est ce avec quoi tu travailles. Du jour au lendemain on t’oblige à avoir des logiciels que tu ne connais pas, que tu ne maîtrises pas, qui permettent de surveiller tout ce que tu fais, qui permettent aussi d’avoir un accès à distance. Ils te disent toujours que c’est pour des raisons de sécurité, « c’est pour votre bien qu’on met une prison à l’intérieur de votre ordinateur », et c’est hyper-problématique. Du coup, nous en tant que syndicat, on a peu gueulé à l’époque, malheureusement on n’a pas toujours obtenu gain de cause. On ne veut pas de ces logiciels-là, qui sont des logiciels privateurs, dont ne peut pas voir les codes sources. On espionne les salariés au sein des entreprises.
Étienne Gonnu : Tout à fait. En plus c’est quelque chose d’important quand on défend le logiciel libre, cette idée qu’il ne faut pas être contrôlé par sa machine. Le logiciel privateur nous contrôle, avec le logiciel libre c’est nous contrôlons notre ordinateur. Si on parle d’outils de travail, les logiciels peuvent être, sont un des outils de travail qui peuvent être présents, tout l’enjeu est de savoir si on a la maîtrise de cet outil de travail logiciel ou si, finalement, cet outil sert à nous contrôler et à contrôler la manière dont on travaille. Il me semble important, de manière générale, de permettre aux personnes qui travaillent, qui sont les plus à même de connaître leurs besoins, de déterminer la meilleure manière pour elles d’accomplir leur travail, leur tâche ou leur mission de service public dans le cas du secteur public.
Là où je veux en venir, en gros, ce n’est pas que pour les informaticiens. Il ne faut pas que être informaticien pour que ce soit intéressant d’avoir du logiciel libre. Effectivement, tout le monde n’a pas forcément les connaissances pour bidouiller un logiciel. Par contre, tout le monde a intérêt à ce que ce soit des logiciels libres pour pouvoir définir ses besoins, pour pouvoir contribuer par d’autres manières et pouvoir avoir une vie de travail dont on a la maîtrise.
Thomas : Tout à fait. J’ai l’exemple d’une de mes copines qui bossait au RH d’une grosse société. Un jour elle a eu un différend avec son patron, elle a compris que son patron organisait des trucs un peu frauduleux. Elle a commencé un tout petit peu à parler, du jour au lendemain son ordinateur a été bloqué, elle n’y avait plus accès. Et pourquoi ? Parce que dans son ordinateur il y avait des logiciels qui contrôlaient, la sécurité du groupe avait fait des trucs qui permettaient de contrôler tous les PC à distance. Du jour au lendemain bloquée, plus de mails, plus rien. Voilà ! Il y a des logiciels qui contrôlent l’outil de travail des personnes et ce sont des enjeux de pouvoir.
Étienne Gonnu : Nadine, tu souhaites réagir ?
Nadine Stéphant : Non pas particulièrement. Je pense que plein de choses essentielles ont été dites.
Étienne Gonnu : J’ai parlé d’Amazon. Effectivement, au sein de Google, il y a eu des actions syndicales. Il y a eu une affaire assez intéressante récemment. Tu as parlé des personnes qui, chez Google, qui commençaient à souhaiter que ça se passe d’une autre manière. Chez Google il y a eu deux licenciements assez retentissants de personnes qui travaillaient notamment sur l’éthique de l’intelligence artificielle. Peut-être que ce n’est pas quelque chose que vous avez suivi ; si c’est un sujet que vous avez suivi j’aimerais votre regard, sinon on avance.
Thomas : Désolé, je ne vais pas m’exprimer là-dessus.
Étienne Gonnu : Bien sûr. On n’en avait pas parlé avant. Nadine.
Nadine Stéphant : Je crois que la création de ce syndicat est en effet venue en effet de désaccords fondamentaux sur des problématiques éthiques en fait.
Thomas : En un mot, c’est vrai que la question de l’éthique, notamment quand on travaille dans des sociétés de services où on est envoyé en mission chez d’autres prestataires, chez d’autres services, souvent, en tout cas pour moi, des grosses entreprises du CAC 40. C’est très compliqué quand tu es syndiqué de savoir où mettre ton éthique. Si je devais refuser toutes les sociétés qui ne sont pas éthiques, je ne sais plus où je travaillerais. C’est toujours un peu la question qu’on se pose : est-ce que je m’interdis d’aller bosser dans telle ou telle entreprise et, du coup, je risque aussi d’avoir un petit peu des retours me disant « on te paye pour travailler pour d’autres entreprises. Tu n’y vas pas, comment ça se fait ? »
Nadine Stéphant : Si je peux permettre là-dessus, je pense que ça peut justement faire partie des missions des représentants syndicaux, enfin des délégué·es et des élu·es au CSE et autres représentant·es du personnel dans l’entreprise. On peut tout à fait imaginer qu’un salarié ou une salariée ait une grosse problématique pour aller travailler dans un secteur pour lequel il ou elle considère que ça heurte ses valeurs fondamentales. C’est compliqué dans nos secteurs parce qu’un refus de mission clairement affirmé peut être une cause de licenciement, c’est ce que prévoit la convention collective en tout cas. Mais ce sont des actions sur lesquelles les syndicalistes peuvent intervenir, c’est-à-dire permettre à un salarié ou une salariée qui serait en incapacité d’intervenir dans une entreprise parce que ce client a des valeurs totalement opposées aux siennes, puisse tout à fait être soutenu·e en interne dans l’entreprise.
Étienne Gonnu : Oui. Merci.
Je vais juste préciser parce qu’on a évoqué différentes choses, beaucoup de choses ont été dites, on a une page sur laquelle on listera les liens. On a notamment parlé de ce cas de harcèlement sexiste et sexuel au sein d’Ubisoft, on a retrouvé des liens qu’on partagera pour les personnes qui veulent creuser. Laurent partage avec nous le cas d’une entreprise qui utilisait la suite Office 365 de Microsoft en tour de contrôle pour contrôler le temps de travail. Donc il y a des exemples très concrets, des impacts très concrets de ces situations.
On arrive bientôt à la fin de notre échange. Il y avait une question sur le salon. On va revenir à une action très concrète, un petit peu à une actualité : est-ce que vous avez prévu des actions spécifiques pour la journée du 8 mars, qui est, on le rappelle, la journée pour les droits des femmes.
Nadine Stéphant : Traditionnellement Solidaires agit en ce sens. Il y a des manifestations, il y a des actions. Je ne cacherais pas que Solidaires Informatique doit aussi se positionner un peu clairement là-dessus. C’est vrai qu’on est en pleine préparation de congrès. On communiquera forcément sur cette journée, on a déjà commencé à le faire. C’est un sujet important. À mon sens, et c’est une position personnelle, dans les syndicats en général et dans le nôtre aussi il faut réfléchir à ça, on ne traite souvent pas suffisamment ce sujet-là, notamment parce que la féminisation des syndicats pose aussi problème et pas seulement dans les entreprises dans lesquelles on est, mais aussi au sein du syndicat.
Il faut quand même noter que notre secteur d’activité professionnelles est moins féminisé que dans les années 80, donc il y a un vrai problème. Il ne faut pas se leurrer, maintenant toutes les entreprises appellent, sous couvert d’éthique, à ce que les femmes rejoignent le secteur informatique, mais c’est tout simplement parce qu’elles manquent de ressources et qu’elles ont besoin de « chair fraîche ».
Syndicalement, je pense que c’est un sujet qu’on ne traite pas suffisamment et sur lequel on commence aussi à réfléchir de façon un peu plus importante parce qu’on a aussi un gros travail à faire de notre côté.
Thomas : Tout à fait en ligne avec Nadine.
Étienne Gonnu : Je parlais de la campagne anti-syndicale d’Amazon montée contre ce projet. Selon vous, est-ce qu’Amazon a raison d’avoir peur de ce qui se passe dans cet entrepôt, de la syndicalisation de ses travailleurs et travailleuses.
Thomas : Ils ont toujours raison d’avoir peur des syndiqués. Le but d’un syndicat c’est justement de s’organiser pour défendre des intérêts. Les intérêts de la direction d’Amazon ne sont pas ceux des salariés. Donc oui, ils ont raison d’avoir peur, j’espère qu’on va leur prouver et que, justement, ce syndicat pourra faire des trucs intéressants.
Nadine Stéphant : Si je peux compléter, je pense que oui, tout ce qui rend visibles les oppositions, la contestation d’un modèle de société ; il y a aura des retours de bâtons, ils mettront certainement en œuvre tout ce qui faut. Il faut noter que, par exemple, nos camarades de SUD Commerces et Services, qui sont implantés chez Amazon, ont quand même eu des actions fortes pour défendre les salarié·es pendant la période pandémie puisqu’ils ont agi pour les conditions de travail des salarié·s et la justice a donné raison au syndicat en l’espèce. On voit bien la façon délétère qu’a eue Amazon de réagir en arrêtant tous ses entrepôts alors que la décision de justice ne le demandait absolument pas, tout ça justement pour porter préjudice à l’image des syndicats. Bien sûr que, quelque part, ils ne sont pas complètement indifférents à la présence de syndicats, bien évidemment.
Thomas : Peut-être un message qu’on peut lancer : syndiquez-vous, même si vous avez l’impression que ça ne sert à rien, même si vous avez l’impression que vous ne pourrez jamais obtenir tout ce que vous voulez. Peut-être qu’à la fin on n’aura pas renversé le capitalisme et toute l’exploitation du monde. En vrai, juste dire de temps en temps « il y a des gens qui ne sont pas tout à fait d’accord avec vous », ça fait déjà changer énormément de lignes. En tout cas, moi je le vois dans mon entreprise. Juste le fait qu’il y ait des syndicats, qu’on soit là et, sans forcément entrer dans des batailles ou des bagarres, juste montrer qu’il y a des gens que ça intéresse et qui ne vont peut-être pas être d’accord, eh bien au minimum du minimum ça permet une réflexion. Quand il n’y a personne qui s’oppose, il n’y a pas de réflexion.
Nadine Stéphant : J’appuie les propos de Thomas, je vais même au-delà. Dans l’exemple de SUD Commerces et Services, peut-être que si SUD Commerces et Services n’avait pas agi et qu’une décision de justice n’était pas tombée, il y aurait peut-être des gens, du fait des conditions sanitaires déplorables qu’il y avait chez Amazon, qui seraient morts aujourd’hui, des gens qui auraient eu des problèmes de santé. Donc clairement oui, les syndicats gagnent aussi des batailles. Se syndiquer, ce n’est pas inutile ! Qu’il y ait des syndicats dans les entreprises ce n’est pas inutile, bien au contraire.
Étienne Gonnu : De toute façon, je pense que ce n’est pas dans le monde du logiciel libre qu’on a besoin de convaincre de la force du collectif et de l’importance de faire communauté.
Nadine Stéphant : Bien sûr !
Étienne Gonnu : On arrive sur la fin de notre échange. Je voudrais quand même laisser le temps à chacun de conclure. Est-ce qu’il y a un point sur lequel vous voudriez revenir pour insister un peu, un sujet que nous n’avons pas abordé mais qui vous tenait à cœur ? En fait, ce que vous voulez. Thomas.
Thomas : J’avais noté et j’ai oublié d’en parler tout à l’heure quand tu as posé la question à quoi sert un syndicat. En fait, souvent les gens viennent nous voir parce qu’ils ont des points légaux techniques. Les syndicalistes, en général, connaissent un tout petit peu le droit du travail parce que souvent ils ont eu des formations, ils ont des jours prévus pour se former sur les questions de droit du travail. Et surtout, le fait que quand on est syndiqué, on met de l’argent dans une caisse commune. Avec cette caisse commune, en tout cas on a ça à Solidaires Informatique, on peut accéder à des conseils d’avocats spécialistes en droit du travail qui sont des experts, hyper-formés, hyper-calés, et qui connaissent bien mieux le doit du travail que n’importe qui dans l’entreprise. Du coup se syndiquer, c’est un peu un truc pratico-pratique, c’est avoir des réponses juridiques quand on en a besoin.
L’argent qu’on reçoit dans le syndicat sert aussi à constituer des caisses de grève. On en met un peu de côté tous les mois, le jour où il y a un problème le syndicat peut aider les copains qui veulent faire grève ou qui veulent un peu taper du poing sur la table. C’est une arme hyper-forte et hyper-intéressante. Comme on a la chance, à Solidaires Informatique, d’être un peu « riches », entre guillemets, parce que, effectivement, le milieu de l’informatique n’est pas un milieu qui se met en grève trop souvent et aussi qu’on a des salaires un peu plus hauts que la moyenne des Français, on a un peu de sous et, du coup, on donne un peu à des associations, d’ailleurs des associations libristes, et à d’autres salariés qui en ont besoin. Bref !, on a fait un petit don à d’autres gens qui sont en galère. La solidarité s’organise aussi par l’argent. C’est ce que je voulais dire.
Étienne Gonnu : Nadine.
Nadine Stéphant : Je voudrais peut-être intervenir sur deux points.
C’est vrai que la période actuelle a quand même été néfaste à un certain nombre de travailleurs et travailleuses, notamment avec des fins de contrat abusives, des fins de période d’essai abusives, etc. Je ne sais pas si ça a un lien direct, mais en tout cas, sur cette période, on a quand même noté une progression des adhésions, preuve s’il en est que les conditions qui se durcissent dans le secteur informatique amènent aussi des gens à se reposer des questions.
En message un peu de motivation, je dirais aussi que quelquefois, se syndiquer dans l’entreprise, c’est monter en compétences sur un certain nombre de sujets qui concernent nos droits, et s’engager syndicalement c’est aussi trouver beaucoup de motivation au fait de défendre les intérêts des autres et apprendre énormément.
Voilà les messages que je voulais passer.
Thomas : Et puis c’est sympa ! Juste un dernier mot, c’est sympa aussi, on se fait des copains, c’est con. Il y a aussi une convivialité qui est forte dans le syndicat et, quand ça se passe mal au boulot, le fait de revoir les copains c’est toujours super sympa.
Étienne Gonnu : Je pense que la convivialité c’est hyper-important. Comme on dit, je crois aussi que la lutte doit être heureuse pour produire ses effets.
Thomas : La lutte doit être heureuse, exactement.
Étienne Gonnu : La lutte joyeuse !
Un grand merci à tous les deux, ça a été un vrai plaisir d’avoir cet échange avec vous, donc Nadine Stéphant et Thomas de Solidaires Informatique.
Je vais vous souhaiter une très bonne fin de journée. Bon courage et force à vous.
Thomas : Merci
Nadine Stéphant : Merci beaucoup.
Étienne Gonnu : Nous allons faire à présent une pause musicale.
[Virgule musicale]
Étienne Gonnu : Nous allons écouter le dernier des trois morceaux sélectionnés pour nous par KPTN de son nouvel album, Flammes, il s’agit de Grève angélique. On se retrouve juste après. Je vous souhaite une belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
Pause musicale : Grève angélique par KPTN.
Voix off : Cause Commune, 93.1.
Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter Grève angélique par KPTN, disponible sous licence Creative Commons Partage dans les mêmes conditions, CC By SA. Vous retrouverez les références sur le site de l’April, april.org.
On remarque effectivement qu’à la fin les anges n’obtiennent pas gain de cause, mais, comme le faisait remarquer Thomas avant l’émission, ils ne sont pas syndiqués !
Thomas : Avec le syndicat Solidaires, ils auraient obtenu leurs revendications !
Étienne Gonnu : Tout est dit !
Thomas : Je rigole, évidemment !
Étienne Gonnu : Vous écoutez l’émission Libre à vous ! sur radio Cause Commune, la voix des possibles, 93.1 FM et en DAB+ en Île-de-France, partout dans le monde sur le site causecommune.fm.
Je suis Étienne Gonnu de l’April.
Nous allons passer à notre dernier sujet.
[Virgule musicale]
Chronique « Partager est bon » de Véronique Bonnet, professeur de philosophie, présidente de l’April, sur le thème « Mesures à la portée des gouvernements pour promouvoir le logiciel libre »
Étienne Gonnu : Nous allons poursuivre avec la rediffusion d’une chronique « Partager est bon » de Véronique Bonnet, professeur de philosophie et présidente de l’April. Une chronique sur les « Mesures à la portée des gouvernements pour promouvoir le logiciel libre », enregistrée en mars 2020 par mon collègue Frédéric Couchet. Je précise qu’à l’époque Véronique était alors vice-présidente de l’association.
On se retrouve dans une dizaine de minutes, toujours en direct sur causecommune.fm, la voix des possibles.
[Virgule sonore]
Frédéric Couchet : Une lecture d’informations et de mise en perspective de la philosophie GNU, c’est la chronique « Partager est bon » de Véronique Bonnet, professeur de philosophie et vice-présidente de l’April. Le sujet du jour : « Mesures à la portée des gouvernements pour promouvoir le logiciel libre et pourquoi c’est leur devoir de le faire ».
Véronique, on t’écoute.
Véronique Bonnet : Fred, effectivement il faut prendre son souffle pour lire ce titre qui est quasiment un titre à la Alexandre Dumas. Si j’avais à faire un commentaire de ce titre très long, je dirais qu’il y a de la part de Richard Stallman, l’auteur de ce texte, la volonté de démontrer que si les gouvernements ayant à leur portée des mesures ne les mettent pas en œuvre, alors il y a une faute morale. C’est-à-dire que les gouvernements ont le devoir d’adopter ces mesures si elles sont nécessaires dans le cadre du respect et des citoyens et des gouvernements eux-mêmes. Un gouvernement qui se respecte mettra en œuvre ces mesures.
Ce texte, par conséquent, est beaucoup plus qu’un texte éthique, parce que éthique veut dire simplement avantageux, intéressant, qui obtient le maximum de gains avec un minimum de pertes, ça n’est pas de cela dont il s’agit. Il s’agit d’un texte moral. Je dis bien moral et non pas moralisateur, c’est-à-dire que ce texte ne fait pas la leçon. Il est moral au sens où il rappelle que prendre des décisions pour d’autres humains impose des devoirs. Il s’agit de tout faire pour ne pas les nier comme humains, il faut les respecter.
Bien sûr il peut y avoir des bénéfices politiques – effectivement, peut-être qu’un gouvernement exemplaire reste au pouvoir plus longtemps –, mais il ne s’agit pas simplement d’un texte au sens d’une manière de faire pour persister. Il s’agit essentiellement d’une tâche que le gouvernement va donner à lui-même. Je cite, c’est dit dans l’introduction : « La mission de l’État est d’organiser la société avec pour objectif la liberté et le bien-être de la population. » Certes, l’État doit aussi veiller à sa souveraineté et à sa sécurité. Il doit aussi faire des économies, privilégier et dynamiser l’industrie locale des services logiciels. » Certes. On le voit, l’argumentaire est aussi stratégique, il est aussi économique, mais il est d’abord humaniste, comme le montre d’ailleurs la chronologie des points évoqués.
Richard Stallman part de la notion d’éducation. Autrement dit il pose que l’État, dans ses relations avec le public, doit avoir en vue une souveraineté, une souveraineté informatique, une souveraineté écologique c’est-à-dire qu’il faut éviter ce qu’on appelle le gaspillage, le caractère non-recyclable de certains choix logiciels, il y a bien des considérations d’optimisation ; il va évoquer la neutralité technologique des États pour d’ailleurs inviter à les dépasser.
Quelle teneur de ce qui est proposé pour l’éducation ? Pour la philosophie GNU, il s’agit de n’enseigner que le logiciel libre. Bien sûr il y a un bénéfice secondaire qui n’est pas mince, à savoir que ceci garantit l’avenir politique d’une nation, mais au-delà de ce bénéfice secondaire, il y a surtout le devenir autonome des individus. Voilà ce qui est indiqué : « Enseigner un programme non libre revient à enseigner la dépendance ce qui est contraire à la mission de l’école. »
Parti de ce foyer qu’est l’émancipation, il y a un deuxième point qui examine cette fois les relations de l’État avec le public. On évoque des politiques publiques qui sont souvent cruciales. En effet, lorsqu’on utilise le logiciel libre, il y a des conséquences pour les individus et pour les organisations. Donc il est très important de ne pas obliger les particuliers à utiliser un programme non libre, sinon ça veut dire qu’il y a une rupture d’égalité devant le service public.
Il se trouve que j’ai eu l’occasion d’en parler au Défenseur actuel des droits qui est très sensible à cette question de l’équité des citoyens devant l’État.
Frédéric Couchet : Précisons qu’il s’agit de Jacques Toubon.
Véronique Bonnet : Absolument, il s’agit de Jacques Toubon.
D’où la proposition de ne distribuer que du logiciel libre y compris lorsqu’il s’agit de logiciels utilisés à l’école.
Récemment, il a été question dans différentes tribunes de matériel distribué, déjà prédéterminé pour aller vers du logiciel non libre. Il a été question aussi de sites web de l’État. Il serait fondamental d’y accéder seulement avec des logiciels libres. Je donne un exemple : il se trouve que comme enseignante on m’a proposé d’utiliser un programme qui est Educ’ARTE. Educ’ARTE propose aux enseignants, pour leurs classes, de disposer d’émissions éducatives. Or, expérience amère, malheureuse, il se trouve qu’avec Educ’ARTE il faut utiliser Flash, ce à quoi je n’ai pas pu me résoudre. Donc j’ai écrit à Educ’ARTE et mon courrier est en attente de réponse.
Pourquoi, par conséquent, proposer des formats et des protocoles libres, non seulement les protocoles de communication mais aussi les liseuses qui interviennent dans les bibliothèques, dans les établissements scolaires. Elles sont encore à libérer, il y a beaucoup de travail à faire pour y parvenir puisqu’il s’agit de libérer les ordinateurs des licences. Mais là encore, lorsque ce point est évoqué dans le texte, c’est la plupart du temps la vente liée qui prévaut. Ce n’est pas simplement une question d’argent. Cette contrainte d’imposer d’utiliser des ordinateurs avec des licences est inique et, en plus, certains dispositifs empêchent le recyclage, le reconditionnement des ordinateurs de seconde main et, en ce sens, l’État doit se mobiliser pour parler d’indice de réparabilité, pour parler de recyclage et de cohérence écologique.
Le point qui est examiné ensuite est celui de la souveraineté informatique. Il est précisé que l’État doit garder la main sur ce qui le concerne, sinon il est subordonné à des entités privées. Migrer vers le logiciel libre est un ainsi un axe fort. À cette même antenne il a été question de la migration de la Gendarmerie nationale vers le logiciel libre, ce qui permet donc de développer des solutions informatiques tout à fait cohérentes lorsqu’un État est un État qui s’impose le devoir de respecter ses citoyens.
D’où, deuxième point, il se trouve que la souveraineté informatique est traitée doublement : il y a dans ce texte une préconisation du contrôle de l’État sur les tâches qui sont de son ressort, c’est-à-dire que l’État doit contrôler ses ordinateurs et maîtriser, si l’ordinateur n’est pas portable, le lien qui permet son utilisation. Il faut influencer, par conséquent, le développement du logiciel libre, ne surtout pas encourager le logiciel non libre. Il y a parfois des contrats étonnants qui sont passés entre les États et les GAFA !
J’ai déjà parlé tout à l’heure du gaspillage. Vous avez le rappel, en fin de texte, que les ordinateurs, pour ne pas être mis au rebut, doivent pouvoir être débloqués et surtout ne pas être verrouillés par des dispositifs qui rendraient impossible l’installation d’un logiciel libre.
Le dernier point est tout à fait inspirant pour le professeur de philosophie que je suis, puisque, dans ce texte, on parle bien de neutralité technologique, mais on dépasse aussi cette expression. Je cite, il est dit que « l’État ne doit pas imposer de préférence arbitraire sur des choix techniques », mais pour autant, il ne doit pas être neutre au sens d’indifférent. L’État ne peut pas être indifférent. Je cite : « Seuls ceux qui désirent mettre un pays sous leur joug pourraient suggérer que son gouvernement soit "neutre" en ce qui concerne sa souveraineté et la liberté de ses citoyens. » Il y a des formes de neutralité qui sont des formes de refus de se pencher moralement sur le respect des citoyens. Autrement dit, et là je me réfère à deux expressions d’Alexis de Tocqueville dans De la démocratie en Amérique, il y a, pour les gouvernements, des résistances honnêtes et des rébellions légitimes et, par exemple, l’April peut en être le vecteur.
Frédéric Couchet : Merci Véronique. Je vais préciser que la Gendarmerie nationale, pour les gens qui veulent écouter le podcast, c’est l’émission du 3 septembre 2019, l’émission 34, et pour la partie gaspillage-recyclage, nous avons consacré une émission à la loi anti-gaspillage le 7 janvier 2020, c’est l’émission 48. Vous pouvez les retrouver sur april.org ou sur causecommune.fm.
C’était la chronique « Partager est bon » de Véronique Bonnet, professeur de philosophie et vice-présidente de l’April.
Véronique, je te souhaite une belle fin de journée.
Véronique Bonnet : Très belle journée à toi Fred.
[Virgule sonore]
Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter la chronique « Partager est bon » de Véronique Bonnet sur les « Mesures à la portée des gouvernements pour promouvoir le logiciel libre », enregistrée en mars 2020. Vous retrouverez les références sur la page consacrée à l’émission sur april.org.
Nous approchons de la fin de l’émission et nous allons terminer par quelques annonces.
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Quoi de Libre ? Actualités et annonces concernant l’April et le monde du Libre
Étienne Gonnu : Le prochain April Camp aura lieu les samedi 6 et dimanche 7 mars 2021 en distanciel. Tout le monde, membre ou pas de l’association peut participer à l’April Camp en fonction de son temps disponible, de ses compétences, de ses envies. Ce sont des gens qui se retrouvent pour échanger ensemble sur leurs envies, leurs actions, etc. Tout le monde est donc le bienvenu.
Une campagne au niveau européen que je trouve intéressante, Reclaim Your Face, « Reprenez possession de votre visage ». C’est une campagne à laquelle participent notamment La Quadrature du Net et EDRI qui est une association importante de défense des libertés informatiques au niveau européen, avec une pétition pour exhorter, je cite, « la Commission européenne à réglementer strictement l’utilisation des technologies biométriques afin d’éviter toute atteinte injustifiée aux droits fondamentaux. » La page de la campagne est reclaimyourface.eu ; on mettra bien sûr la référence sur le site de l’April.
Une nouvelle réunion du groupe Sensibilisation de l’April toujours le jeudi, donc ce jeudi 4 mars, de 17 h 30 à 19 h 30, toujours à distance, toujours ouverte à toutes et à tous, membres ou pas de l’April. Il sera notamment question de La Boussole du Libre, un outil pour orienter les personnes souhaitant reprendre le contrôle de leur informatique.
D’autres événements sont à retrouver sur l’Agenda du Libre, comme d’habitude.
Vous retrouvez bien sûr les liens sur la page consacrée à l’émission, sur april.org.
Notre émission se termine.
Je vais remercier, bien sûr, les personnes qui ont participé à l’émission : KPTN alias Clément Oudot, Nadine Stéphant, Thomas, Véronique Bonnet, Frédéric Couchet.
Aux manettes de la régie aujourd’hui Adrien Bourmault pour sa première réalisation sans faute à la régie.
Merci également à l’équipe qui s’occupe de la post-production des podcasts : Samuel Aubert, Élodie Déniel-Girodon, Olivier Humbert, Lang1, Sylvain Kuntzmann, bénévole à l’April, Olivier Grieco, le directeur d’antenne de la radio.
Merci également à Quentin Gibeaux, bénévole à l’April, qui découpe le podcast complet en podcasts individuels par sujet.
Vous retrouverez toutes les références utiles sur le site de l’association.
Vos remarques et questions sont les bienvenues à l’adresse contact chez libreavous.org.
La prochaine émission aura lieu le mardi 9 mars 2021 à 15 heures 30. Notre sujet principal sera QGIS, un logiciel libre de système d’information géographique. D’ici là, portez-vous bien.
Générique de fin d’émission : Wesh Tone par Realaze.