Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Frédéric Couchet : Bonjour à toutes. Bonjour à tous dans Libre à vous !. C’est le moment que vous avez choisi pour vous offrir une heure trente d’informations et d’échanges sur les libertés informatiques et également de la musique libre.
Les évolutions majeures dans la gouvernance des logiciels libres, ce sera le sujet principal de l’émission du jour. Avec également au programme, en début d’émission, la chronique de Xavier Berne sur les dépenses publiques et, en fin d’émission, la chronique de Vincent Calame sur la loi de 1901 et les associations.
Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission qui vous raconte les libertés informatiques, proposée par l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Je suis Frédéric Couchet, le délégué général de l’April.
Le site web de l’émission est libreavous.org. Vous pouvez y trouver une page consacrée à l’émission du jour avec tous les liens et références utiles et également les moyens de nous contacter. N’hésitez pas à nous faire des retours ou à nous poser toute question.
Nous sommes mardi 2 avril 2024, nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.
Il est de retour à la réalisation de l’émission après une longue pause, mon collègue Étienne Gonnu. Salut Étienne.
Étienne Gonnu : Salut Fred. Bonne émission.
Frédéric Couchet : Nous vous souhaitons une excellente écoute.
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Chronique de Xavier Berne « Découvrez le droit d’accès aux documents administratifs » sur les dépenses publiques
Frédéric Couchet : Pour commencer, nous allons retrouver Xavier Berne, délégué général de la plateforme associative Ma Dada, pour sa chronique sur le droit d’accès aux documents administratifs. Xavier, de quoi vas-tu nous parler aujourd’hui ?
Xavier Berne : Bonjour. Aujourd’hui, la chronique va prendre un petit peu des airs de « combien ça coûte », parce que nous allons parler d’argent public et, plus particulièrement, de dépenses publiques. Frédéric, as-tu un petit peu une idée des sommes qui peuvent être dépensées chaque année par l’État ?
Frédéric Couchet : Je dirais quelques centaines de milliards d’euros, mais, comme j’ai la réponse sous les yeux, je ne vais pas aller plus loin.
Xavier Berne : OK. Je vois que tu triches un petit peu !
On est donc, effectivement, à plus de 450 milliards d’euros, par exemple, pour l’année 2023, on est donc vraiment sur un très gros volume d’argent. Cet argent permet de financer des routes, des manuels scolaires, des hôpitaux, des aides sociales. Il permet aussi de payer les agents publics qui travaillent dans les commissariats, dans les mairies, etc.
Ce qui est souvent compliqué, quand on a ce montant sous les yeux, c’est de savoir, en gros, derrière, qu’est-ce qui a coûté, combien.
Certes, l’État publie très régulièrement de nombreuses informations sur ses dépenses et les recettes de son budget annuel, on peut retrouver cela sur le site budget.gouv.fr, qui est vraiment très riche, très documenté. Les collectivités territoriales, notamment les mairies, publient aussi des informations. Vous avez peut-être déjà vu cela sous forme de camemberts dans les bulletins municipaux que l’on reçoit souvent en fin d’année. Mais on est rarement très avancé, face à ces données globales, si l’on souhaite, par exemple, savoir combien a coûté le dernier ordinateur acheté pour le secrétariat de la mairie ou s’il y a de grosses différences de salaire entre les différentes personnes qui travaillent au sein d’un même hôpital.
C’est là qu’entre en piste notre super droit d’accès aux documents administratifs !
Pour celles et ceux qui n’ont pas eu la chance de suivre les précédentes chroniques sur ce sujet, je rappelle que le droit d’accès aux documents administratifs, qui est un droit à valeur constitutionnelle, est un droit qui permet, à toute personne, d’aller demander des documents publics auprès des administrations, cela tout à fait gratuitement et sans qu’il soit nécessaire de se justifier sur la raison pour laquelle on souhaite obtenir tel document.
Attention, c’est très important, ce droit ne porte que sur des documents et non pas sur des informations.
Je vais donner un exemple qui devrait permettre de bien saisir la nuance. Vous souhaitez, par exemple, savoir combien coûte, grosso modo, l’action du chef de l’État au Trésor public. N’allez vraiment pas poser cette question direction à l’Élysée. Il faut, en fait, demander les bulletins de salaire du chef de l’État. Il y en a qui l’ont fait, notamment, je crois, des associations. Ça a été un petit peu long, il a fallu saisir le tribunal, mais, finalement, elles ont réussi à obtenir ces documents-là. Vous pouvez aussi demander un petit peu tout ce qui est autour de l’action du chef de l’État, par exemple des factures liées à ses frais professionnels, si on peut les qualifier ainsi, par exemple d’éventuels achats de billets d’avion ou des factures de prestataires comme des fleuristes ou des traiteurs qui, j’imagine, interviennent très régulièrement à l’Élysée.
Je vous ai donné cet exemple pour illustrer les potentialités du droit d’accès, le champ des possibles, mais, pour une information plus complète, sachez que si vous vous penchez sur des dépenses publiques, il y a deux types de documents qui vont pouvoir vous être utiles.
Premièrement, ce sont tous les documents budgétaires. Dans les collectivités territoriales, notamment, il y a souvent un budget prévisionnel, un budget adopté, ensuite, parfois un budget rectificatif. Déjà, sur ces trois nuances de documents, on peut obtenir des informations, souvent en creux, mais qui sont quand même assez intéressantes. Et il y a tous les documents qui entourent ces documents budgétaires, notamment les délibérations, mais aussi les comptes-rendus qui sont très utiles si vous souhaitez comprendre pourquoi les acteurs publics ont décidé telle dépense ou, au contraire, ont renoncé à faire certains achats. Touts ces documents, que je viens de vous citer, sont évidemment des documents administratifs communicables, simplement sur demande. C’était sur la première typologie.
La deuxième typologie, ce sont les documents comptables à proprement parler, qui permettent, cette fois, d’aller vraiment dans le détail des dépenses. Typiquement, c’est le cas des pièces justificatives des dépenses ou titres de dépenses, mais aussi des factures ou même, pourquoi pas aussi, des fiches de paie. On en a parlé tout à l’heure dans le cas du président de la République, les gens sont souvent surpris, mais oui, vous avez le droit d’obtenir les bulletins de salaire des agents publics ! C’est un document administratif communicable. Ceci dit, il faut quand même avoir en tête qu’au nom de la protection de la vie privée des agents, il y a des informations qui sont, bien évidemment, occultées, notamment des éléments personnels comme l’adresse de l’agent, son nom, mais aussi des éléments qui permettraient de révéler une appréciation qui aurait été portée par un supérieur, par exemple s’il a des primes de rendement, elles n’apparaîtront pas sur le document qui vous sera communiqué.
Voilà quelques éléments.
Vous l’aurez compris, si vous êtes un ardent militant du logiciel libre, vous pouvez, par exemple, aller demander à une administration ses factures de matériel informatique ou, plus particulièrement, de logiciels.
En pratique, faire une demande d’accès, c’est quelque chose qui est quand même extrêmement simple, surtout si vous utilisez notre plateforme associative Ma Dada. Il faut juste être très vigilant sur la rédaction de votre demande, sur le périmètre des documents que vous sollicitez. Il est vraiment important de préciser que vous souhaitez, par exemple, connaître les factures en logiciels d’une année en particulier ou, pourquoi pas, les justificatifs d’achats de quelque chose de précis comme l’iPad du maire, si vous avez vu que celui-ci en utilise un à titre professionnel, ou les justificatifs d’achats du logiciel utilisé pour le traitement de texte par les agents de tel ministère, etc.
Une fois que vous aurez envoyé votre demande, si vous en faites une, l’administration dispose, pour rappel, d’un délai d’un mois pour vous répondre et j’espère que vous obtiendrez gain de cause dans ce délai.
Frédéric Couchet : Précisons que si l’administration ne répond pas dans le délai d’un mois, on peut saisir la CADA, la Commission d’accès aux documents administratifs, qui va étudier la demande. Et in fine, comme tu l’as dit tout à l’heure pour les fiches de paie du chef de l’État, on peut aller en justice, si l’administration ne se conforme pas aux avis de la CADA, qui ne sont pas des avis contraignants. C’est ça ?
Xavier Berne : Tout à fait.
Frédéric Couchet : Tout à l’heure tu parlais des dépenses en logiciels, effectivement ça peut être pratique, mais ça peut être un petit peu compliqué et fastidieux de demander toutes les dépenses en logiciels. Je pense qu’il serait bien aussi que l’État, chaque année, publie les dépenses en logiciels et les dépenses en matériels. Si on se souvient bien, il y a quelques années, une parlementaire, Isabelle Attard, avait fait un certain nombre de demandes auprès de plusieurs ministères. Il serait bien soit que la même demande soit faite aujourd’hui par une autre personne du Parlement, soit que l’administration, elle-même, publie les différentes dépenses en logiciels et matériels, ce qui nous permettrait de savoir où passe effectivement l’argent public.
Vas-y Xavier, si tu veux réagir.
Xavier Berne : J’allais en profiter pour tendre une petite perche : sachez que Ma Dada permet aussi de faire des demandes groupées, c’est-à-dire que vous pouvez avoir un seul formulaire de demande, un seul texte. Si vous demandez, par exemple, à connaître les dépenses en logiciels de traitement de texte sur une année, vous pouvez, à partir de Ma Dada, envoyer cette même demande à une multitude d’administrations et tout cela vraiment en quelques clics, c’est extrêmement rapide, si vous voulez, par exemple, l’envoyer à tous les ministères et, pourquoi pas, à toutes les villes de plus de 10 000 habitants, etc. C’est vraiment quelque chose qu’il est possible de faire et n’hésitez pas à vous rapprocher de nous si vous avez besoin qu’on vous explique un petit peu comment faire, comment procéder, nous sommes là et nous serons ravis de vous aider.
Frédéric Couchet : Super. Les personnes peuvent aller sur le site de Ma Dada, madada.fr. On y retrouve notamment un certain nombre de tutoriels et aussi des modèles de demandes. Par exemple, par rapport aux dépenses publiques que tu viens d’évoquer, un modèle de demande existe, que les personnes peuvent reprendre directement pour faciliter les demandes.
Est-ce que tu souhaites ajouter quelque chose ?
Xavier Berne : Non, c’est tout bon. Merci.
Frédéric Couchet : Merci Xavier et au mois prochain pour la prochaine chronique sur l’accès aux documents administratifs. Belle journée à toi.
Xavier Berne : À bientôt. Bonne émission.
Frédéric Couchet : Merci.
Nous allons faire une pause musicale.
[Virgule musicale]
Frédéric Couchet : Après la pause musicale, nous parlerons des évolutions majeures dans la gouvernance des logiciels libres.
En attendant, nous allons écouter Outrain par Lumpini. On se retrouve dans trois minutes. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
Pause musicale : Outrain par Lumpini.
Voix off : Cause Commune, 93.1.
Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Outrain par Lumpini, disponible sous licence libre Creative Commons Partage dans les mêmes conditions, CC By SA 3.0.
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Frédéric Couchet : Passons au sujet suivant.
[Virgule musicale]
Les évolutions majeures dans la gouvernance des logiciels libres avec Sébastien Dinot et Benjamin Jean
Frédéric Couchet : Nous allons poursuivre par notre sujet principal qui va porter sur les évolutions majeures dans la gouvernance des logiciels libres, avec nos deux invités, Sébastien Dinot qui est à distance, qui se présentera dans quelques instants, et, en face de moi, Benjamin Jean, au studio, qui est à côté de Vincent Calame qui est en train de triturer son micro pour sa chronique de tout à l’heure.
Je précise que vous avez déjà entendu Sébastien Dinot dans l’émission 124, de novembre 2021, sur la libération de code informatique dans le cadre de son activité professionnelle, que vous pouvez retrouver dans sur libreavous.org/124.
N’hésitez pas participez à notre conversation, notamment sur le salon web dédié à l’émission, sur le site causecommune.fm, bouton « chat », salon #libreavous, ou directement sur le site libreavous.org.
On va déjà vérifier que Sébastien est avec nous à distance, je crois que je l’entends. Bonjour Sébastien.
Sébastien Dinot : Bonjour à tous.
Frédéric Couchet : Super. On va commencer par la première question, traditionnelle, de présentation rapide. Sébastien Dinot, qui es-tu ?
Sébastien Dinot : J’évolue dans l’écosystème du logiciel libre depuis 26 ans. Je travaille désormais pour l’équipe Outils de la direction technique de CS Group, une ESN au sein de laquelle j’accompagne les équipes de l’entreprise et leurs clients dans les quatre dimensions – technique, juridique, communautaire et économique – du logiciel libre. J’anime, en outre, l’Open Source Program Office de CS Group, dont j’ai impulsé la création en 2013.
Frédéric Couchet : Petite question de précision, pour les personnes qui nous écoutent, c’est quoi un ESN ou une ESN, excuse-moi ?
Sébastien Dinot : C’est vrai, il faut éviter les acronymes. Désolé je commence mal !
Une ESN, c’est une entreprise de services du numérique, c’est ce qu’on veut on appelait autrefois une société de services en ingénierie informatique, SS2I.
Frédéric Couchet : C’est une société qui propose des services informatiques divers et variés à des entreprises, des collectivités, etc.
Deuxième question, vraiment une phrase, qu’est-ce qu’un OSPO, Open Source Program Office ?
Sébastien Dinot : C’est le comité qui va piloter l’utilisation du logiciel libre dans l’entreprise et les contributions et libérations de code source.
Frédéric Couchet : D’accord, entreprises ou collectivités, on en a déjà parlé.
Sébastien Dinot : Ou collectivités, évidemment.
Frédéric Couchet : On pense, par exemple, à la mairie de Paris, qui a un responsable logiciel libre, Philippe Bareille, que nous aurons sans doute le plaisir de recevoir bientôt dans un sujet consacré, justement, à ces bureaux logiciel libre.
En face de moi Benjamin Jean. Bonjour Benjamin.
Benjamin Jean : Bonjour.
Frédéric Couchet : Même question, petite présentation s’il te plaît.
Benjamin Jean : Benjamin Jean. Je suis le fondateur et dirigeant d’un cabinet qui s’appelle Inno3</
Frédéric Couchet : OK. Je précise aux personnes qui nous écoutent que c’est un peu un défi qu’on s’est lancé, que j’ai lancé à mes invités, parce que le sujet est très vaste, je ne sais pas si on va y arriver, on fera peut-être, éventuellement, une deuxième émission. L’idée, le départ, c’est la lecture d’un article de Sébastien Dinot, qu’il a publié il y a quelques années, sur les évolutions de la gouvernance de projets libres, dans lequel il liste quatre évolutions, selon lui, avec lesquelles on peut ne pas forcément être d’accord et on verra si Benjamin est d’accord ou pas. On s’est dit : on va faire une émission là-dessus, sur la gouvernance d’un projet libre et ses évolutions.
La première question, évidemment, que je pose à tous les deux, on va commencer par Sébastien, honneur à la personne qui est à distance : c’est quoi, en quelques mots, la gouvernance d’un projet libre ?
Sébastien Dinot : C’est simple. Un projet libre, c’est un projet collaboratif et, pour pouvoir s’engager dans un projet collaboratif, on a besoin de connaître les règles et les conditions de l’engagement, ce qu’on appelle, au niveau de la société, la constitution, finalement. La gouvernance, c’est donc ce socle de règles et de principes qui vont gouverner le projet et permettre aux gens d’interagir en précisant les modalités de prise de décision et les personnes impliquées dans ces prises de décision.
Frédéric Couchet : D’accord. Benjamin, est-ce que tu veux compléter cette présentation de la gouvernance ?
Benjamin Jean : Je converge avec ce que dit Sébastien. C’est tout ce qui touche vraiment à la communauté, c’est-à-dire les humains qui sont derrière les projets libres. Ce sont à la fois les prises de décision qui sont formalisées sous forme de règles – Qui peut intégrer la communauté ?, Quand est-ce qu’on en sort ? À quelles conditions ? – et tous les organes qui permettent de prendre des décisions au cas par cas lorsqu’il y a besoin, justement, de revenir à cette subtilité de la prise de décision par des humains.
Frédéric Couchet : D’accord. C’est une sorte de contrat social entre toutes les personnes qui contribuent au projet. Sébastien, j’ai l’impression que tu veux réagir.
Sébastien Dinot : C’est exactement ça. La licence, dont on parle souvent, c’est la dimension juridique du projet et la gouvernance, c’est sa dimension sociale.
Frédéric Couchet : D’accord. Est-ce qu’il est nécessaire d’avoir une gouvernance dans un projet libre ? Est-ce que tous les projets de logiciels libres ont des gouvernances, plus ou moins détaillées ? Benjamin, vas-y. Benjamin Jean.
Benjamin Jean : Je pense que tous les projets ont une gouvernance qui est plus ou moins formalisée, c’est toujours la question de la cathédrale et du bazar [La Cathédrale et le Bazar, Eric Raymond], plus ou moins écrite, mais aussi est prévue pour permettre de résoudre des problèmes qu’on a anticipés. Ensuite, il n’y en a pas de bonne ou de mauvaise, je pense qu’il y a plein de patterns, de modèles, qu’on va retrouver de projet en projet.
Sébastien Dinot : Après, tous les grands projets ont une gouvernance, parce que, dès qu’on commence à collaborer, dès que beaucoup de gens commencent à collaborer, on a besoin de se mettre d’accord sur tout un tas de points. Par contre, il faut bien avoir à l’esprit que tout un tas, je pense même la majorité des projets libres, sont de tout petits projets qui n’ont que peu de contributeurs, donc les auteurs ne s’embarrassent pas, au départ, à établir une gouvernance, alors qu’il faudrait qu’ils le fassent dès le départ. Au début, ce n’est vraiment pas important, c’est accessoire, et c’est quand le projet commence à prendre de l’ampleur qu’on se dit qu’il y a des points qu’il va falloir caler.
Frédéric Couchet : Ça vise donc à créer le cadre de coopération de personnes qui sont de natures très différentes, d’être accueillant et de permettre à chacun et chacune de contribuer, dans les meilleures conditions possibles, à un projet logiciel libre.
Sébastien Dinot : C’est ça. Ça vise à établir de la transparence et de la confiance.
Frédéric Couchet : D’accord. Benjamin.
Benjamin Jean : Je voudrais peut-être ajouter qu’on part du principe que tous les projets libres ont une gouvernance, mais, en fait, il y a des projets pour lesquels il n’y a pas lieu, parce qu’il y a qu’une seule société, derrière, qui édite le projet, ou un seul individu. L’absence de gouvernance peut être vue, justement, comme un risque. Je pense que dans l’utilisation de logiciels libres et open source au sein des organisations, la prise en compte de la dimension communautaire — qui sont les humains et comment sont-ils organisés ? —, c’est important. Donc, dans des marchés publics, lorsque des acheteurs publics veulent contribuer et financer des projets libres, l’un des critères peut être : y a-t-il une communauté derrière et quelle est la gouvernance qui a été organisée, qui permet de matérialiser, en fait, le fonctionnement de la communauté ?
Frédéric Couchet : D’ailleurs, lors de la Journée du Libre Éducatif de vendredi dernier, qui a eu lieu à Créteil, dont les vidéos seront sans doute disponibles bientôt, ce point de taille de communauté a été évoqué et l’actualité, dont on ne parlera pas aujourd’hui, dont on parlera sans doute plus tard, autour, notamment, de certains projets libres, est importante.
On a un peu défini ce qu’est la gouvernance d’un projet libre. Si vous voulez en savoir plus sur un projet en particulier, le projet Orekit dans le domaine spatial, je vous renvoie à l’émission avec Sébastien, c’est l’émission 124 ; sur libreavous.org/124, vous retrouverez le podcast et la transcription et, là, vous aurez des informations plus détaillées sur la gouvernance d’un projet libre particulier.
Maintenant, on va aborder l’article de Sébastien, qu’on a mis en référence sur le site de l’émission du jour, sur libreavous.org/205, parce que c’est la 205e émission, qui s’appelle « Évolution de la gouvernance des projets libres », un article que Sébastien a publié sur son blog et qui a fait pas mal réagir, en tout cas que beaucoup de gens ont lu et, quand je l’ai lu, ça m’a effectivement passionné, dans lequel il évoque, en fait, quatre évolutions. On va essayer de les passer en revue plus ou moins rapidement et plus ou moins dans le détail.
Le format va être très simple. Je vais demander à Sébastien d’introduire chacun de ces points, de façon, si possible, succincte et compréhensible, notamment le premier, parce que ce n’est pas le plus simple, sachant, je le rappelle, que nous sommes écoutés à la fois par des gens qui connaissent un peu nos sujets et par des gens qui ne connaissent pas du tout nos sujets.
Tout à l’heure, tu parlais des aspects licences, licences de logiciel libre, donc de droits d’auteur. La première évolution que tu as vue c’est l’évolution, justement, autour de la gestion juridique des contributions au code logiciel libre. Est-ce que tu peux nous résumer un petit peu ton sentiment là-dessus ? Sébastien.
Sébastien Dinot : Oui, parce que dans la dimension juridique il y a, en fait, deux éléments.
D’un côté, il y a la licence du code et, de l’autre, la titularité des droits patrimoniaux. C’est-à-dire que lorsque je contribue à une œuvre portée par un tiers, à qui appartiennent, in fine, les droits patrimoniaux ? Si on ne fait rien, ils me restent acquis, mais, peut-être que par le biais d’un document, je vais dire que je les cède au projet. Et puis de manière intermédiaire, si je les garde, OK je les garde, mais, du coup, si on ne prévoit rien, eh bien je suis maître à bord et les gens ne peuvent rien faire. Il faut donc que j’affirme que je contribue sous la licence du projet et que je suis d’accord pour diverses choses.
C’est la façon de gérer ce qu’on va pouvoir faire du code et qui va décider de ce qu’on va faire du code.
Frédéric Couchet : Benjamin, toi qui es juriste, est-ce que tu veux rajouter quelque chose déjà sur cette introduction, sur l’introduction que vient de faire Sébastien sur la titularité des droits ? Sur le fait que quand on produit du code logiciel libre, cela s’intègre dans du droit d’auteur, il y a donc une titularité des droits qu’il faut traiter, et qui dépend, par exemple, de si on travaille pour une structure, etc.
Benjamin Jean : Il y a la question de la propriété intellectuelle, titularité, tout ce qui vient d’être évoqué à l’instant par Sébastien, et il y a la question de responsabilité des projets, parce que l’idée d’un projet libre ou open source, c’est de pouvoir réutiliser ce qui a été développé par d’autres. C’est souvent là que des projets communautaires se mettaient un peu à risque. En fait, ils acceptaient possiblement n’importe quelle contribution. En le faisant, ils étaient très ouverts, c’était très bien, mais, en même temps, ils prenaient beaucoup de risques qu’ils n’étaient pas capables d’assumer.
À l’inverse, il y a des entreprises ou d’autres projets communautaires qui n’acceptaient pas de contribution parce qu’ils ne voulaient pas prendre ces risques.
L’un des points qu’on va évoquer juste après, c’est comment répondre, comment essayer de cadrer un peu, de limiter ce risque de la réutilisation de ce qui a été développé par d’autres, vraiment en termes de risques, au-delà la propriété intellectuelle.
Frédéric Couchet : Sébastien.
Sébastien Dinot : Dans ce que dit Benjamin, ce qui est intéressant, c’est qu’il y a, effectivement, un risque autour de ça et le risque qu’il évoque n’est pas le seul.
Typiquement si on prend l’acteur historique, la Free Software Foundation, le premier acteur constitué on va dire, elle exige le transfert des droits patrimoniaux pour être le seul possesseur des droits patrimoniaux. Comme cela, si quelqu’un veut attaquer le projet, ce qui est un risque, il ne va pas trouver le maillon faible de la chaîne, l’attaquer et, du coup, couler le projet en attaquant le maillon qui ne peut pas se défendre. La seule entité qu’il puisse attaquer c’est la Free Software Foundation qui détient tous les droits patrimoniaux et elle, elle part du principe qu’elle a les moyens juridiques, humains et financiers de se défendre. C’était donc aussi un moyen de protéger les projets.
Frédéric Couchet : Précisons que la Free Software Foundation c’est la Fondation pour le logiciel libre, une fondation créée formellement en 1985, si je me souviens bien, notamment dans le cadre du projet GNU qui est un projet de création d’un système d’exploitation libre. Donc, dans le cas de cette fondation, il y a ce qu’on appelle un transfert des droits d’auteur – j’ai un peu de mal à parler devant deux experts juridiques –, notamment de la titularité, qui permet effectivement à la fondation, s’il y a un souci, de défendre ses droits parce que les droits initiaux des autres personnes qui ont développé lui ont été transférés. C’est bien ça ?
Sébastien Dinot : C’est ça.
Frédéric Couchet : OK. Dans ton article, tu commences justement par cette partie-là, l’aspect juridique, en disant que la plupart des projets libres ont très peu, voire pas de personnes qui contribuent, donc les personnes ne perdent pas une précieuse énergie à en structurer le fonctionnement et à le sécuriser sur le plan juridique. Peux-tu nous faire très rapidement un point sur la façon dont a été mise en place la sécurisation pour les structures qui voulaient le faire et où on en est aujourd’hui ? Tout à l’heure, Benjamin a commencé à employer un terme technique qui est Developer Certificate of Origin. Où en était-on avant et où en est-on maintenant ? Sébastien.
Sébastien Dinot : On ne peut pas adresser le problème de manière globale, il s’adresse projet par projet.
En fait, aujourd’hui, tu as des projets qui se créent, qui n’en sont même pas encore à se poser la question de la gestion des contributions. Et puis, il y a des projets qui existent depuis 25 ans, qui sont très matures sur le sujet et qui ont même connu l’épreuve du feu.
Par contre, il y a trois moyens de gérer. À partir du moment où on commence à vouloir gérer la titularité des droits sur les contributions, il y a trois stratégies :
il y a celle dont je parlais tout à l’heure qui est le copyright assignment, donc le transfert des droits patrimoniaux à l’entité qui porte le projet. Donc, en plus de ma contribution, je vais céder mes droits à l’entité qui porte le projet, je n’ai plus aucun droit sur ma contribution ;
est venue, ensuite, une approche qui, historiquement, a plutôt été portée par un autre acteur du Libre, la Fondation Apache, qui a dit « chaque contributeur va garder ses droits, parce que, finalement, la cession, c’est clivant, ça pose des problèmes, les gens ne sont pas d’accord », par contre les gens vont signer un accord de contribution qui sécurise le projet. Dans la pratique, cet accord de contribution prend souvent la forme de deux documents : un qui est adressé au contributeur, dans lequel il stipule qu’il est l’auteur de la contribution, qu’il est d’accord pour verser cette contribution au projet, sous la licence du projet ; il a pris un certain nombre de précautions ; le second document s’adresse à son employeur ; il indique qu’il est au courant de cette contribution et qu’il l’accepte. Quand le projet reçoit ces deux documents, il est sécurisé sur plan juridique, il sait qu’il peut intégrer ce code sans problème, donc il l’intègre.
Pendant longtemps, ces deux modes existaient, hormis dans le cas très particulier du noyau Linux où, là, ils n’ont pas voulu s’embêter avec un accord aussi formel, ils ont décidé d’utiliser une forme très simplifiée qu’on appelle le Developer Certificate of Origin, un certificat d’origine du développeur, pour le dire en français, qu’on appelle DCO. Pendant des années, le noyau Linux a quasiment été le seul projet à utiliser ce DCO. Puis, finalement, d’autres projets se sont dit « ce n’est pas mal, parce que les autres modes de contribution nous posent des problèmes, on va donc adopter le DCO. » De plus en plus de projets, à mon sens, adoptent le DCO.
Frédéric Couchet : Que pense le juriste, Benjamin Jean, de ces évolutions, et puis, au final, de ce certificat d’origine du développement, DCO ?
Benjamin Jean : Je n’ai pas d’éléments, de chiffres sur l’évolution, je ne saurais pas dire, aujourd’hui.
Frédéric Couchet : Sur l’aspect juridique.
Benjamin Jean : Sur cette partie-là, je pense effectivement que le noyau Linux est un projet qui, dès le début, était parti sur le principe qu’il n’y avait pas de cession de droits, donc, globalement, chaque contributeur au projet détient ses propres droits de propriété intellectuelle. L’avantage de ce modèle-là, c’est que les droits sont complètement dispersés et personne ne peut faire un usage du noyau Linux autre que selon la licence du noyau. C’est un avantage, on divise les forces, mais, en faisant comme ça, finalement on est sûr qu’il n’y a pas de réappropriation par l’un ou par l’autre, ce qui est toujours le danger un peu craint par tout le monde.
En revanche, ils ont vu qu’il y avait un risque – je reviens à la question la responsabilité – lié au fait d’utiliser, d’intégrer dans le projet des contributions qui ont été développées par des personnes qui ne connaissaient pas et qui, même si parfois elles étaient de bonne volonté, ne comprenaient pas non plus tous les enjeux. Pour moi, le DCO sert à ça, c’est vraiment cette idée de « on accepte votre contribution, mais, à minima, on vous demande de comprendre les enjeux sous-jacents : si vous n’êtes pas le seul auteur d’avoir obtenu les autorisations. »
La valeur juridique d’un DCO est moindre que celle d’un contrat type CLA [Contributor License Agreement] ou CA [Copyright Assignment], mais elle a l’avantage de limiter, de réduire les risques.
Je pense qu’il y a effectivement plein de projets qui ne savaient pas trop comment adresser ce sujet. Parfois, pour limiter les risques, ils faisaient signer un CLA ou CA, les accords qu’évoquait tout à l’heure Sébastien, soit des cessions exclusives, soit des cessions non-exclusives de droits. En fait, ce n’était pas la bonne solution : ils avaient un problème, ils n’avaient pas l’outil pour résoudre ce problème-là. Ce DCO est un outil qui permet, au moins, d’écrire les choses et de faire en sorte que les gens comprennent ce à quoi ils consentent, c’est plus de cet ordre-là.
Frédéric Couchet : Je vais préciser, pour les gens qui nous écoutent : on parle du noyau Linux, on ne va pas entrer dans les détails, c’est un noyau de système d’exploitation. Sachez que vous utilisez forcément ce noyau quelque part, parce que, en fait, il est présent sur Internet, il est présent dans les machines Android, il est maintenant souvent présent sur vos voitures, etc., c’est quelque chose qui est, aujourd’hui, supporté et développé par des industriels, etc., c’est donc un très gros projet.
J’avais une question. Si je comprends bien, le but de ce DCO, de ce certificat d’origine de développement, c’est de faciliter les contributions pour des gens qui n’ont pas envie de se prendre la tête avec de la paperasse. En fait, quand on veut développer un logiciel libre ou qu’on veut contribuer, peut-être qu’on n’a pas envie de faire plein de paperasses, signer un papier, l’envoyer à une fondation, etc. Est-ce que le but, c’est vraiment de faciliter la contribution, avec le risque de limiter, quand même, la garantie peut-être ? Sébastien.
Sébastien Dinot : Oui, c’est exactement ça. C’est introduire de la fluidité dans le processus, sachant que la signature des CLA et CA, les accords de contribution classiques, se heurte souvent à la méconnaissance des entreprises et quand un employé va dire « j’ai besoin que vous me signiez cet accord », tout de suite ça part vers le service juridique qui ne comprend pas d’où vient ce document, à quoi il correspond, il faut qu’il étudie le sujet et ça va introduire beaucoup d’inertie. Même si, au final, la hiérarchie est d’accord, le service juridique donne son feu vert et tout ça, on va parfois attendre des semaines, voire des mois, pour obtenir l’accord, ce qui n’est pas compatible avec la temporalité d’un projet libre qui évolue au quotidien.
Frédéric Couchet : Ça me fait venir une question, du moins une demande de précision à Benjamin. Beaucoup de gens l’ignorent sans doute : quand on travaille pour une structure, que ce soit une entreprise ou une collectivité, il y a un transfert automatique de titularité des droits patrimoniaux de la personne qui développe à l’entreprise, à la collectivité ou à l’association, en tout cas en France, par défaut.
Benjamin Jean : À l’employeur.
Frédéric Couchet : À l’employeur, effectivement, le juriste, direct ! Ça suppose que si on veut contribuer sur un projet logiciel libre, même sur son temps libre, il faut s’assurer de prouver que c’est sur son temps libre et si c’est sur son temps de travail, il faut l’autorisation de l’employeur. C’est, en fait, ce qu’impliquent ces mécanismes.
Benjamin Jean : C’est pour cela que dans le contrat dont parlait Sébastien, CLA ou CA, à chaque fois il y a deux versions : une version employé, une version employeur. Souvent, ce sont quasiment les mêmes textes et, en faisant signer les deux, l’employé et l’employeur, on est sûr que tous les droits sont bien cédés au projet.
Je rajouterais que, pour moi, il y a effectivement cette idée qu’on va fluidifier, mais il y a quand même plein de projets qui, auparavant, n’avaient qu’une licence libre. Typiquement, le noyau Linux, c’était uniquement la licence GPL [GNU General Public License ] et ça suffisait.
Frédéric Couchet : En plus la version 2, une version précise.
Benjamin Jean : Ça simplifie vraiment ! Donc, une seule licence et ça leur suffisait.
Avec le DCO, c’était « il y a un risque ». Il faut voir aussi que le noyau Linux est utilisé partout, par tout type d’acteurs, de plus en plus d’industriels, il y a donc des enjeux juridiques et métiers qui sont compris, qui sont gérés de mieux en mieux. Je pense que ça a été une réponse pour sécuriser, donc pour faciliter l’emploi de noyau Linux dans n’importe quel type de matériel embarqué. On a de plus en plus d’usages industriels de l’open source, on veut donc que les enjeux juridiques soient de mieux en mieux traités et, pour moi, c’est aussi ce qui explique la tendance.
Peut-être, en complément de cela, un autre projet auquel je pense montre cette idée-là, c’est le projet Reuse Software de la Free Software Foundation Europe, une autre fondation européenne, qui a juste donné des recommandations dans la manière d’appliquer les mentions légales, les licences qu’on impose : où est-ce qu’on met le fichier licence dans le logiciel, avec le logiciel qu’on partage, quels types une mention on indique et ainsi de suite ? Et, pareil, ce sont des choses qui norment de plus en plus, avec les avantages et inconvénients de cette normalisation, mais qui permettent de faciliter l’usage par n’importe quel type d’acteur, notamment les industriels.
Frédéric Couchet : D’accord. Sébastien, est-ce que tu veux réagir là-dessus avant qu’on enchaîne sur le deuxième point ?
Sébastien Dinot : Non, Benjamin a dit l’essentiel. Juste une petite précision : pas plus que Benjamin j’ai des statistiques précises, par contre, ce dont je peux attester, c’est que beaucoup de projets d’envergure, je pense, par exemple, à GitLab ou carrément à Red Hat qui a une approche globale pour tous ses projets, ont basculé historiquement d’accords formels de contribution à un DCO. Ils ont abandonné les CLA au profit de DCO et je trouve que c’est vraiment un signe important.
Frédéric Couchet : On ne va pas rentrer dans le détail sur ce qu’est GitLab, Red Hat. Sur ce premier point, on voit que ce certificat d’origine du développement prend de plus en plus d’envergure, en tout cas selon vous, vous étiez plus ou moins assez d’accord.
On va enchaîner sur le deuxième point. Vous avez parlé de licences. Dans le monde du logiciel libre, il y a différents types de licences, qui ont des implications totalement différentes. Il y a ce qu’on appelle les licences permissives et, Sébastien, il y a ce que tu appelles les licences diffusives. Dans ton deuxième point, tu dis qu’il y a une popularité croissante des licences permissives au détriment des licences diffusives. Bien entendu, ma première question : qu’est-ce qu’une licence permissive ? Qu’est-ce qu’une licence diffusive ? Sébastien Dinot.
Sébastien Dinot : C’est moi que tu vas stresser, parce que Benjamin nous écoute !
C’est simple. En fait, il y a des centaines de licences, d’ailleurs, les ennemis du Libre se servent parfois de cette caractéristique comme d’un oripeau pour dire « regardez, c’est atroce ! Le libre c’est complexe ! ». En fait, quand on aborde le problème sereinement, on s’aperçoit que ces centaines de licences peuvent, finalement, être réduites à trois catégories qui permettent de savoir assez facilement ce qu’on va pouvoir faire, ce qu’on a l’obligation de faire, ce qu’on ne pourra pas faire.
En fait, il y a trois cas de figure.
Quand vous décidez de faire un logiciel libre, vous écrivez donc un logiciel, vous le publiez, vous dites « il est sous licence libre ». OK, super. Un tiers décide de prendre votre logiciel libre, d’en faire une version différente qui, elle, va être propriétaire. Quelle peut être votre réaction par rapport à cet événement ?
- Vous pouvez décider de vous en moquer. Vous faites du Libre, si lui ne veut pas faire du Libre, tant pis pour lui, il fait ce qu’il veut.
- À contrario, vous pouvez vous dire « je suis dans une logique de pot commun qui doit s’enrichir, donc si vous utilisez mon logiciel, vous l’améliorez, je veux que votre version soit sous la même licence que mon logiciel ».
- Et puis, vous avez une position médiane, qui s’applique essentiellement à ce qu’on appelle les bibliothèques. Les bibliothèques, c’est un ensemble de fonctions prêtes à l’emploi pour une application : pour ne pas réécrire n fois les mêmes choses, on va regrouper les fonctions utiles et courantes dans ce qu’on appelle une bibliothèque et chaque application va utiliser cette bibliothèque. La position médiane consiste à dire « si vous faites une version améliorée de ma bibliothèque, votre version doit être sous la même licence que la mienne. Par contre, si vous faites une application qui utilise ma bibliothèque, ce n’est pas mon travail, c’est le vôtre, et c’est à vous de choisir la licence. »
On a donc trois types de licence :
- les licences permissives qui disent « faites ce que vous voulez, je m’en fiche » ;
- à l’opposé, nous avons les licences fortement diffusives qui sont celles du pot commun qui ne peut que grossir ;
- et, au milieu, nous avons les licences faiblement diffusives, qui sont ce que j’ai expliqué à propos des bibliothèques et des applications.
Frédéric Couchet : Ça me paraît assez clair. On va demander au juriste, en face de nous, déjà s’il est d’accord avec ça et aussi ce qu’il en pense, avant de voir la popularité de ces différents types de licences.
Benjamin Jean : Je suis d’accord. Après, c’est vrai que les termes que chacun utilise, pour décrire ces différentes catégories de licences, ne sont pas forcément les mêmes.
Frédéric Couchet : Quels termes utilises-tu pour les licences que Sébastien appelle diffusives ?
Benjamin Jean : Pour tout ce qui est licence copyleft, j’utilise surtout « à réciprocité ».
Frédéric Couchet : Peut-être rappeler, parce que là tu viens de dire copyleft. D’où vient ce terme ?
Benjamin Jean : Cette notion de licence copyleft, c’est un jeu de mots, copyright/copyleft. C’est aussi cette idée d’abandonner le copyright et d’utiliser le copyright peut-être d’une manière contraire de l’idée avec lequel il est apparu.
L’idée du copyleft, c’est ce principe : je partage, mais je demande à ce que chaque personne qui vient modifier, réutiliser mon projet, partage à son tour, c’est, ensuite, le distinguo que Sébastien rappelait, je parle plus de licence à réciprocité :
- soit on est dans une réciprocité large, toute évolution qui sera faite sur mon code doit être diffusée selon les mêmes termes, c’est très contraignant, mais, cela dit, vous pouvez ne pas utiliser mon logiciel ;
- soit on est sous une licence à réciprocité faible : seulement les modifications qui sont faites au code lui-même doivent être reversées selon les mêmes les mêmes termes, mais toute amélioration qui serait dans des plugins, dans des applications tierces qui utiliseraient mon propre programme, peuvent être sous d’autres licences.
Ce sont donc deux manières de penser cette logique de réciprocité.
Frédéric Couchet : Dans le monde du logiciel libre, je ne sais pas si c’est une opposition, en tout cas cette façon de voir, qui est très différente entre les licences permissives et les licences diffusives ou à réciprocité, en fonction de la façon dont on les appelle, c’est historique, c’est depuis très longtemps, il n’y a rien de nouveau. Par contre, visiblement, en tout cas selon Sébastien, toi je ne sais pas, il y a eu une évolution par rapport à la popularité de ces licences. Est-ce que cette évolution est réelle ? À quoi serait-elle liée ? Sébastien, selon toi : quelle est cette évolution ? Est-ce qu’il y a un historique ? Une licence qui diminue, une autre qui prend de l’ampleur, une famille de licences ?
Sébastien Dinot : Quand j’ai commencé dans le Libre, je me souviens que le projet GNU, le projet qui est porté par la Free Software Foundation, dont on parlait au début, était quand même prédominant et, dans mon quotidien, j’utilisais beaucoup d’outils qui étaient issus du projet GNU. La Free Software Foundation est dans l’optique d’avoir un pot commun qui ne fait que croître. Elle a donc publié une licence fortement diffusive, très connue, qui s’appelle la GNU GPL, puis une faiblement diffusive qui s’appelle la LGPL, donc Lesser GPL. Ils n’ont que ces types de licence. Je me souviens qu’au quotidien, dans mon environnement, j’avais essentiellement des projets sous licence GNU GPL ou LGPL [GNU Lesser General Public License]. Et puis, au fil du temps, j’ai vu apparaître des projets, poussés par d’autres entités, qui étaient sous des licences permissives. Historiquement, bien sûr, il y a tous les projets de la sphère Apache, mais j’ai vu de plus en plus de projets émerger avec des licences permissives et, même dans les outils que j’utilisais au quotidien, dans mon environnement, je me suis aperçu que des outils historiques étaient remplacés ou étaient concurrencés par de nouveaux outils qui étaient sous ces licences permissives.
Comment j’explique ce mouvement ? En tant que militant du Libre, ces licences faiblement et fortement diffusives ou à forte réciprocité me conviennent parfaitement. Pour les entreprises, c’est un peu plus problématique parce que, d’une part, elles veulent bien utiliser du Libre, mais pas forcément publier, en retour, le code source de leurs applications et puis il y a une tragédie avec les licences fortement diffusives : elles sont exigeantes. Elles sont exigeantes parce qu’elles sont très contraignantes, donc, très vite, elles deviennent incompatibles entre elles. Ce que je trouve tragique, c’est qu’on a des licences diffusives qui sont plus facilement compatibles avec des licences propriétaires qu’entre elles et cela entraîne une complexité juridique. On a vu apparaître des composants qui étaient à peu près équivalents, mais dans ce que j’appelle des îlots juridiques, en fait, il y avait un outil qui était plutôt dans l’îlot juridique GPL, un autre outil qui était plutôt dans l’îlot juridique Eclipse Public License, un autre qui était ailleurs. On a une donc duplication d’efforts et il y a une complexité à prendre en compte : je ne peux pas utiliser ce logiciel parce qu’il ne va pas être compatible.
Du point de vue du développeur qui veut assembler des composants pour en faire quelque chose d’autre, les licences permissives sont, de ce côté-là, beaucoup plus faciles parce qu’elles sont beaucoup plus accommodantes. Selon moi, c’est ce qui fait que de plus en plus d’acteurs choisissent les licences permissives.
Frédéric Couchet : D’accord. On va demander son point de vue Benjamin, qui, on le rappelle, est fondateur et président d’un cabinet de conseil spécialiste des modèles ouverts. Je suppose qu’il a une clientèle qui se pose ces questions-là et, au quotidien, dans le concret, doit traiter effectivement des projets logiciels libres à base de licences permissives, à réciprocité avec ta formulation.
De ton point de vue, avec ta vision de cabinet de conseil, comment vois-tu les évolutions récentes ? Comment les expliques-tu ? Déjà, est-ce que tu es d’accord avec cette évolution décrite par Sébastien ?
Benjamin Jean : Je ne l’aurais pas présentée comme cela.
Je sens que la manière dont on développe un logiciel aujourd’hui n’a plus grand-chose à voir avec la manière dont on développait des logiciels il y a 20 ans. On est beaucoup plus dans une modularité ou une granularité très fine : on développe des petits logiciels qui vont venir compléter d’autres logiciels ou frameworks, des ensembles de logiciels préexistants. Dans cette logique-là, on a un intérêt très fort à être réutilisé par un ensemble plus large, donc, effectivement, on est plus sur des licences qui sont des licences permissives, dans la majorité des cas. Auparavant, on était plus dans des applications qui fonctionnaient presque en standalone, c’est-à-dire une application tout-en-un : on l’installait, elle fonctionnait, on l’avait développée et on contrôlait tout le code.
Néanmoins, il y a encore des logiciels qui fonctionnent comme ça, qui sont assez, j’allais dire monolithiques, pas forcément, mais qui sont assez importants pour avoir une réflexion du même type et pour lesquels on peut toujours, en tout cas ça nous arrive fréquemment, avoir ces réflexions quant à l’usage d’une licence à réciprocité, étendue ou pas. Dans ce cas-là, la situation que je vois, c’est qu’aujourd’hui, en termes de licence, c’est quand même beaucoup plus facile. Avant, lorsqu’on utilisait des licences très contraignantes, il y avait des risques, on n’en a pas parlé, on ne va peut-être pas rentrer dans le sujet, d’incompatibilité, c’est-à-dire que les licences, entre elles, se contredisaient et, en fait, on ne pouvait pas faire ce qu’on voulait, voire on empêchait les autres personnes de réutiliser son code, ce qu’on ne veut pas quand on fait de l’open source.
Ces situations d’incompatibilité ont été majoritairement levées. Quasiment toutes les licences copyleft, à réciprocité, ont évolué dans une version 2, une version 3, pour intégrer les dispositifs de compatibilité, donc, maintenant, on peut le faire. Je fais très simple, je ne rentre pas dans les détails.
Frédéric Couchet : Tout à l’heure, quand je faisais référence au fait que le noyau Linux est sous une version 2 de la GNU GPL. La GNU GPL est à la version 3 et on peut imaginer qu’il y aura, dans les années à venir, une nouvelle version pour tenir compte de l’évolution technique et juridique.
Benjamin Jean : Complètement. D’ailleurs, dans la version 3 de la GPL, il y a une compatibilité simplifiée qui plaît à Linus Torvalds et au projet Linux, sauf qu’il y avait d’autres évolutions qui ne lui plaisaient pas, c’est la raison pour laquelle ils sont restés bloqués, pour l’instant, sur la v2.
D’un point de vue purement réflexion des projets quant au choix de la licence, j’ai vu des situations dans lesquelles des industriels ou des collectivités, même dernièrement, ont favorisé des logiques copyleft, donc à réciprocité, parce que, pour eux, c’était une manière de s’assurer que tout ce qu’ils avaient fait serait effectivement la base d’un commun, donc on partage, mais on attend aussi, de toutes les personnes qui vont réutiliser, améliorer et redistribuer le code, qu’elles participent à l’effort commun. J’ai même vu des acteurs qui, chez eux, interdisent, par pratique, l’utilisation de tout logiciel ou composant sous licence GPL ou Affero GPL, des licences très contraignantes, et qui se sont vus dans une situation un peu différente, se disant « quand c’est nous qui choisissons, on a plutôt envie que les autres soient contraints ». Ce n’est pas un grain très fin qui va faire que ce grain ne sera pas utilisé, que les gens iront plutôt sur l’utilisation d’un autre, c’est un logiciel qui est complet et, en fait, ça a du sens de mettre une licence très contraignante.
Pour finir, l’un des enjeux que je vois, qui n’est pas tout à fait celui qu’on vient d’évoquer, mais qui est de plus en plus présent, prégnant, c’est la sortie de la définition de l’open source. Un certain nombre de projets d’éditeurs de logiciels libres, open source, changent leur licence open source pour une licence dite Fair Source. Je trouve que c’est, aujourd’hui, une évolution qui est très proche des enjeux de gouvernance qu’on a évoqués parce que, en fait, une seule personne est en capacité de sortir du projet soit parce qu’elle a la titularité des droits soit parce qu’elle est le contributeur principal et elle peut choisir de détourner complètement le projet de ses objectifs.
Je trouve que ce nouveau type de licence est un élément intéressant à mettre sur la table. Il est de plus en plus présent, il sort de l’open source, et il pose des vraies difficultés, après, au quotidien, parce que ce sont vraiment deux écoles différentes entre les tenants des logiciels libres, open source, et surtout des sociétés qui considèrent qu’elles peuvent faire presque de l’open source, ça a la même apparence, ça y ressemble, mais ce n’est pas la même chose.
Frédéric Couchet : C’est peut-être pour cela qu’il faut préférer le terme logiciel libre qui est beaucoup plus strict. Mais bon !
Veux-tu réagir, Sébastien, avant qu’on aborde le troisième point. Le temps passe super vite, ce que vous expliquez est passionnant. Très vite, Sébastien.
Sébastien Dinot : Je suis d’accord avec tout ce que vient de dire Benjamin. Ça ne me semble pas contradictoire avec ce que je disais. Il est vrai que si on est sur des applications monolithiques, qui se suffisent à elles-mêmes, la problématique de la diffusivité est marginale. C’est à partir du moment où on a des composants, qu’on commence à intégrer beaucoup de composants, grosso modo, qu’on est en présence d’un Lego, qu’on prend plein de briques pour construire le mur qu’on est en train construire ou la grue qu’on est en train de construire, que là se pose le problème de la compatibilité.
Frédéric Couchet : D’accord. On va passer au troisième point. On va essayer de tenir le défi et de tout faire. Aux personnes habituées à nous écouter, on ne fait pas de pause musicale, on va continuer comme ça. Le troisième point, c’est la poussée démocratique dans les gouvernances. En introduction, on a rappelé que la gouvernance d’un projet, c’est le fait de faire connaître, à toute personne s’intéressant au projet, les conditions de collaboration et d’engagement. Donc troisième point.
Sébastien, dans ton article, tu vois un recul des modèles historiques de gouvernance, méritocratie et dictateur/dictatrice bienveillant à vie, au profit d’un modèle démocratique instaurant une plus grande fluidité temporelle des pouvoirs. Est-ce que tu peux nous présenter ton point de vue en quelques instants ?
Sébastien Dinot : Oui, c’est simple. Il y a presque autant de gouvernances que de projets, mais, quand on les analyse, elles diffèrent essentiellement par des détails, des choix de vocabulaire ou autre, des règles particulières, mais, dans l’esprit, il y a deux modèles dominants.
Il y a un modèle dit dictateur bienveillant, à vie. C’est une personne, comme le nom l’indique, qui concentre tous les pouvoirs et, in fine, qui décide de tout, on va dire. Vous vous doutez que c’est un modèle clivant, peu de gens aiment les dictateurs. Pour que ça fonctionne dans un projet collaboratif, il faut que la personne fasse preuve d’un certain nombre de qualités humaines, qu’on rencontre rarement chez une même personne.
Les projets pilotés de cette manière-là ont tendance à être clivants et à provoquer des discordes. Du coup, on va assister ce qu’on appelle des forks, c’est-à-dire qu’une partie des contributeurs va dire « puisque j’ai le droit d’utiliser le code source, je prends une copie du code source et je vais en faire un projet plus consensuel ailleurs, qui va plus dans mon sens », ce qui est regrettable pour tout le monde, parce que c’est une dissipation des efforts.
À côté de ça, on a un autre modèle historique qui est la méritocratie, qui, comparé au BDFL [Benevolent Dictator For Life], semble vraiment vertueux parce que, grosso modo, ça consiste à confier le pouvoir aux gens, déjà à le distribuer entre plusieurs personnes, à octroyer du pouvoir aux personnes en fonction de leur implication, de leur mérite dans le projet. On se dit « ça, au moins, c’est sain ! On a des gens qui sont méritants, qui sont devenus des personnes qui comptent pour le projet. » Oui, comme ça, ça a l’air effectivement sympa. Le seul problème c’est que la méritocratie résiste mal à l’usure du temps, parce que, finalement, on ne remet jamais en cause le pouvoir des gens. On connaît tous des projets, par exemple l’ancien serveur X, où des gens qui, à un instant donné, ne font plus rien pour le projet, sont vraiment passifs, et entendent bien imposer leurs vues au sein des comités, alors qu’ils ne font plus rien. Alors qu’on n’écoute pas vraiment les jeunes développeurs qui sont très actifs, qui font que le projet continue à vivre, parce qu’on considère que ce sont de jeunes égos.
La méritocratie crée donc des systèmes de caste, d’oligarchie, qui ont déplu à pas mal de personnes.
Ces dernières années, on a vu arriver un troisième modèle, qui, je trouve, émerge vraiment, de manière assez massive, dans les nouveaux projets, qui est une approche plus démocratique, les Américains disent libérale, où on va, comme je l’ai indiqué dans mon article, organiser une fluidité temporelle des pouvoirs, en organisant des élections, des mandats à durée préétablie.
Frédéric, toi qui es un fin connaisseur du Libre, tu vas me dire « et Debian ? ». Eh bien justement, pendant longtemps Debian était l’exception avec son contrat social, ça faisait même sourire beaucoup de gens. Quelque part, Debian a montré la voie et, aujourd’hui, finalement, on voit de plus en plus de projets qui adoptent ce type de fonctionnement.
Frédéric Couchet : D’accord. Donc un fonctionnement plus démocratique qui donne le pouvoir à ceux qui font actuellement plutôt qu’aux personnes qui étaient là depuis longtemps et qui s’accrochent au pouvoir. Benjamin, que penses-tu de ces évolutions ? Quel est ton point de vue ?
Benjamin Jean : Je réfléchis en même temps. En phase. Je pense que c’est aussi parce que le numérique prend une part de plus en plus importante dans notre quotidien, que les utilisateurs des logiciels souhaitent aussi prendre part aux projets qu’ils utilisent, notamment pour intégrer leur gouvernance. Je pense aussi que ça amène à repenser le rôle et la fonction des différents projets, notamment des questions sur la diversité, sur les genres, sur plein d’enjeux qu’on n’avait pas auparavant.
Frédéric Couchet : Par exemple l’ajout de codes de conduite dans les projets ou dans les fondations, ce qui est relativement récent, ça date de quelques années, mais ça reste récent.
Benjamin Jean : Ça reste récent. C’est justement cette évolution des communautés pour prendre en compte la dimension sociale qui est autour d’elles, qui leur demande aussi de se transformer, parce que des développeurs qui travaillent ensemble, ne travaillent pas de la même manière si on met en face d’eux des designers, des juristes ou d’autres acteurs qui veulent aussi pouvoir contribuer notamment à cette phase du projet et c’est un peu plus douloureux, en tout cas tout le monde apprend sur le tas.
C’est une réflexion qui me venait et j’en profite, ce n’est pas un aparté, c’est un peu sur ce sujet-là. La semaine prochaine on organise à l’ENSCI [École nationale supérieure de création industrielle], une école de design à Paris, un colloque qui s’appelle « Design et droit au service des communautés », qui vise justement à essayer de trouver les jonctions, les points d’intersection entre les pratiques et les acteurs du design, les pratiques et les acteurs du droit, et celles des communautés pour comprendre, finalement, comment mieux s’interfacer. Ce sont des acteurs qui peuvent s’apporter mutuellement, mais qui ont des vraies difficultés ne serait-ce qu’à échanger et à produire ensemble. Produire du code c’est bien, mais si on peut produire quelque chose qui est utilisé, qui répond à nos besoins profonds, c’est encore mieux.
Frédéric Couchet : Par rapport à ça, j’ai une question. Benjamin, est-ce que tu penses que ces évolutions, notamment vers plus, entre guillemets, de « démocratie » dans les fondations, ça vient aussi et surtout de la part des « jeunes » qui arrivent, jeunes entre guillemets, que ce soit des développeurs et des développeuses, des personnes qui font du design, qui ont envie, quelque part, de dire aux anciens : « Laissez la place, votre mode de fonctionnement, dictateur bienveillant à vie, ne nous convient pas. » ? Est-ce qu’on sent une poussée, quelque part, à ce niveau-là ?
Benjamin Jean : Je pense que c’est effectivement générationnel. Ce n’est pas que le fait que ces nouveaux entrent ; la société évolue et je trouve que c’est une bonne chose.
Frédéric Couchet : Est-ce qu’il y a des fondations ou des projets qui l’acceptent plus facilement ? Et, à contrario, est-ce qu’il y a des fondations qui s’accrochent à leur fonctionnement ancien ? Sébastien.
Sébastien Dinot : Oui. On va empiéter sur le point suivant.
Frédéric Couchet : On enchaîne, c’est très bien.
Sébastien Dinot : Typiquement la fondation NumFOCUS, une fondation qui promeut, à la base, la recherche ouverte et l’informatique scientifique, qui prend sous son ombrelle tout un tas de projets en lien direct ou indirect avec la recherche et l’informatique scientifique, préconise, promeut le modèle démocratique sans toutefois l’imposer. Par contre, pour rebondir sur ce que vous disiez tout à l’heure, elle va imposer un code de conduite, la preuve que le projet est ouvert, bienveillant, accueillant, inclusif, donc tout un tas d’exigences dont vous parliez, qu’évoquait Benjamin par rapport aux attentes de la société, sur la base de communautés beaucoup plus larges.
Frédéric Couchet : D’accord. Je vois que le temps file. Ça nous permet d’enchaîner sur le quatrième point de ton article : l’émergence de nouvelles fondations qui incarnent les changements qu’on vient un petit peu d’évoquer et, par conséquent, une perte d’influence d’acteurs historiques tels que les structures qu’on a déjà citées comme la Free Software Foundation, la Fondation pour le logiciel libre, la Fondation Apache qui couvre un certain nombre de logiciels libres ; quelles sont ces nouvelles fondations ? Tu as commencé à les évoquer avec NumFOCUS. Qu’ont-elles de particulier ?
Sébastien Dinot : Ma vision très personnelle de la chose, mon interprétation, j’identifie trois générations de fondations :
la première a été essentielle au mouvement, on va dire qu’elle a théorisé, qu’elle a formalisé le Libre, elle a permis la construction du Libre en tant qu’écosystème, elle l’a incarné. Mais ce faisant, focalisée sur le Libre en tant qu’objet, elle ne s’est absolument pas intéressée aux acteurs, aux gens, aux structures, aux entités qui, au quotidien, faisaient le Libre. Et cela ne plaisait pas aux entreprises qui entendaient bien avoir un retour sur leur investissement soit des services soit un droit à la parole, des choses comme ça. Dans cette première, j’ai mis la Free Software Foundation, la Fondation Apache, l’Open Source Initiative ;
puis on a vu apparaître, plus tard, une seconde génération de fondations qui s’adressaient plus aux entreprises et qui, en échange d’une cotisation qui, souvent, n’a rien de symbolique, proposent des services aux entreprises ; ça peut être de l’hébergement, de l’accompagnement juridique, de l’accompagnement marketing, tout un tas de services. Parmi ces fondations, j’identifie la Linux Foundation, la Fondation Eclipse, OW2, des choses comme ça. Ce sont des fondations qui sont, finalement, très orientées business.
On avait donc une première génération orientée concept, une seconde orientée business, mais, derrière, les communautés d’individus ne se retrouvent ni dans l’une ni dans l’autre.
On a donc vu apparaître une troisième génération de fondations plus focalisées sur les communautés, même si, ne nous y trompons pas, en veillant au bon fonctionnement et à l’épanouissement des communautés, l’objectif de ces fondations est bien, in fine, derrière, d’assurer la bonne marche et le succès des projets, mais ces fondations se focalisent sur les communautés et ça donne des positionnements radicalement différents. Par exemple ces fondations, typiquement NumFOCUS, dont je parlais, qui est, pour moi, vraiment emblématique de ce mouvement, même si on a un certain nombre d’autres, elle n’exige pas des cotisations élevées de ses membres mais, à contrario, elle va plutôt leur proposer de l’argent, notamment pour les entreprises américaines, qui peuvent se faire défiscaliser ou même financer des projets ; elle va avoir, en retour, des exigences sur le fonctionnement ouvert et inclusif du projet, notamment quand elle finance, elle veut une place au sein du comité de pilotage du projet pour avoir un droit de regard sur tous les aspects et vérifier que l’usage qui est fait de l’argent est sain et que le projet fonctionne sainement.
Je vais laisser un peu la parole à Benjamin, mais c’est ça.
Frédéric Couchet : OK. Benjamin Jean, ta réaction là-dessus, ton avis ?
Benjamin Jean : Je pense que les premières fondations, qui ont été évoquées par Sébastien, font aussi face au poids de leur histoire et c’est dur de maintenir, dans le temps, des projets comme le sont ces fondations-là. Ce qui peut être effectivement reproché, c’est qu’elles sont moins actives maintenant, moins suivies, moins entendues, notamment par les plus jeunes générations. Le contre-exemple, c’est quand même l’Open Source Initiative qui, à l’ère de l’intelligence artificielle, essaye de remettre un peu les enjeux éthiques sur le devant de la scène au travers, notamment, du rôle qu’elle a sur la labellisation, la certification des licences et je trouve ça intéressant, parce qu’on n’entendait plus trop parler de l’Open Source Initiative.
Frédéric Couchet : À quoi l’attribues-tu ? Est-ce que c’est le renouvellement des forces vives au sein de l’Open Source Initiative, si on la compare à la Fondation pour le logiciel libre, dans laquelle il n’y a pas de renouvellement des forces vives ? Est-ce que c’est lié à cela ou à autre chose ?
Benjamin Jean : Je pense qu’il y avait un besoin et qu’ils ont utilisé ce véhicule, ça sert à ça une fondation ou une structure : il y avait un besoin, ils ont utilisé ce véhicule pour le couvrir et c’était plus facile de le faire dans l’Open Source Initiative que, par exemple, dans la FSF. Après, je n’ai pas une connaissance suffisante, je ne connais pas mal d’acteurs qui sont dans l’OSI, je vois la facilité que ça a été. pour eux. de résoudre dans ce contexte-là.
Il y a ces fondations avec des rôles qui varient en fonction du temps. Il y a ensuite, effectivement, les fondations parapluies qui vont donner une infrastructure juridique qui peut être nécessaire à des projets. On n’a peut-être pas trop expliqué cela, on a parlé de la gouvernance, de la manière dont cela se structure.
Frédéric Couchet : Explique ce qu’est une fondation parapluie, s’il te plaît.
Benjamin Jean : Une fondation parapluie, c’est une structure, généralement de type associatif, c’est plus complexe aux US où il y a plein de types de fondations, qui peut être l’hôte fiscal, en fait la structure juridique qui va venir appuyer des projets libres et open source et qui, au-delà de ça, va opérer plein de services.
La Fondation Linux, qui est de loin la plus grosse, je pense fois 100 derrière la Fondation Eclipse, va proposer aussi l’organisation d’événements, de webinaires, plein de choses qui font que c’est une bonne porte d’entrée pour les acteurs qui rentrent dans l’open source ou le logiciel libre et c’est presque un succès garanti, Sébastien l’a dit, pour peu qu’on y mette l’argent, parce que ce sont des coûts très élevés pour rentrer, en millions, et ça leur permet d’avoir une influence très forte.
Ces fondations assurent ce rôle de structure, on a besoin d’une structure juridique, elles vont l’apporter, et tout le rôle d’animation de la communauté, que les gens ne savent pas forcément faire, qu’ils vont retrouver dans ces fondations.
Parfois, on n’a pas besoin de s’appuyer sur ces grosses fondations, on va avoir des petites fondations, des structures associatives qui vont permettre aussi d’héberger des projets. Je pensais à OSGeo, tout ce qui est géomatique, qui est très bon dans son domaine, pareil, qui est donné comme exemple. Ils sont très bons dans leur domaine et, pareil, ils vont sélectionner les projets, les porter ; je trouve que ça a une vraie utilité d’un point de vue de l’écosystème. Ils répondent à leur mission, je pense que c’est une association, je n’ai plus la structure type exacte, en allant chercher les projets, en les accompagnant.
À l’inverse, typiquement la Fondation Linux, pour la citer, c’est le plus gros succès d’un point de vue fondation industrielle open source, mais, d’un point de vue de la gouvernance, c’est quand même déporter les choix de tous les acteurs sur le territoire américain. Globalement, des réunions sont organisées en fonction des horaires, qui prennent à peu près en compte les horaires des autres pays, mais à peu près. Il y a énormément d’informel qui se passe en plus du formel, et les acteurs européens – la Chine c’est un peu différent, ils ont leur propre structure – sont souvent un peu mis de côté, au fur et à mesure.
Je constate que ces grandes structures parapluie sont aussi un risque parce que c’est facilitant, mais c’est une perte de contrôle de la gouvernance du projet, et on ne l’a pas forcément suffisamment tête parce qu’on voit juste la dimension « on est capable de payer, donc ça va être très facile ».
En fait, le rôle de ces fondations qui marchent bien, pour moi c’est plus d’assurer un poids politique d’un point de vue vraiment influence à l’échelle internationale des acteurs qui en font partie. La Fondation Eclipse est maintenant européenne, mais on n’a pas de force aussi importante en Europe et pareil pour la Chine, elle travaille là-dessus. Je ne vais pas trop compliquer la session d’aujourd’hui avec tous ces sujets-là, mais, au-delà de la question de l’organisation des hommes et des femmes qui participent au projet, la dimension géopolitique des structures juridiques qui les portent derrière est un sujet énorme. L’Europe s’en rend un petit peu compte, mais pas trop. Henri Verdier, l’ambassadeur pour le Numérique, lors de la présidence de l’Union européenne, avait porté ce sujet d’une fondation, plus orientée communs numériques, mais on se rapproche de tout ce qu’on a évoqué jusqu’à maintenant ; on voit que ça vient tout doucement, là où des budgets colossaux sont consacrés outre-Atlantique et en Asie, parce qu’ils ont vu l’intérêt que ça avait.
Frédéric Couchet : On consacrera à nouveau une émission à ce sujet-là et peut-être qu’on fera un focus sur une des fondations, notamment une fondation basée en Europe, The Document Foundation qui est derrière LibreOffice et le format ouvert, OpenDocument.
Il est presque 40. Ton voisin, Benjamin Jean, est sur les rails de sa chronique.
Je vais demander à chacun, sur les deux dernières minutes qui restent, je sais que c’est un peu compliqué, soit de résumer un peu votre présentation, ce qui est impossible, soit de dire des choses que vous avez envie de répéter ou que vous avez oublié de dire. On va commencer par Sébastien. Sébastien, tu as deux minutes maximum, s’il te plaît.
Sébastien Dinot : Je dirais simplement que tout ce qu’on vient d’évoquer montre que l’écosystème du logiciel libre est vraiment très vivant et cherche, parfois à tâtons, à toujours améliorer son fonctionnement et on retrouve un peu la logique du code dans son organisation. C’est très intéressant à suivre. Il faut étudier ça de près, au quotidien, pour ne pas trop se laisser distancer et ne pas être surpris, parfois, de voir émerger de nouveaux modes d’organisation, ce qui n’est pas toujours évident quand on est, depuis un quart de siècle dans le Libre, comme moi, et qu’on croit tout savoir !
Frédéric Couchet : Merci Sébastien, en plus tu as fait court. Benjamin Jean.
Benjamin Jean : J’avais envie de partager, ce que j’aurais pu faire au cours de l’émission, je n’y ai pas pensé, la référence à un travail qu’on a réalisé avec plein d’autres acteurs qui nous ont aidés pour ce faire, qui s’appelle Commons Model Canvas. En fait, on a cherché à matérialiser, à représenter graphiquement notamment, un peu tous les concepts sous-jacents à l’organisation d’une communauté, aux réflexions économiques autour des modèles économiques des projets libres, mais aussi des modèles d’affaires des acteurs qui participent aux projets. On a mis tout cela sous forme de canevas que chacun peut prendre, remplir, triturer, tout est diffusé en ligne sous licence libre en français et en anglais.
Frédéric Couchet : Tu m’enverras le lien, on mettra la référence sur la page de l’émission.
Benjamin Jean : Ça peut être une bonne manière, pour les personnes qui s’intéressent à ces sujets, de rentrer en plein dedans, de s’immerger et de nous faire des retours, parce que ça se veut participatif, on a commencé à itérer, on a déjà plusieurs versions. C’était aussi, pour nous, une manière de partager ce qu’on faisait, plus largement que sur les missions qu’on mène et ça nous intéresse d’avoir des retours.
Frédéric Couchet : Très bien ! J’espère que les personnes qui nous ont écoutés ont été aussi enchantées que moi. J’ai appris plein de choses. Comme on a dit, c’était un peu un défi. Je vous renvoie à l’article de Sébastien qu’on a mis sur le site de l’émission, sur libreavous.org/205. Plein de sujets différents ont été abordés. On refera d’autres émissions, notamment sans doute l’une avec un focus sur l’une des fondations, la fondation qui gère notamment le projet LibreOffice, et on aura sans doute l’occasion de faire des focus sur des points particuliers, notamment sur les aspects juridiques. Peut-être que d’ici quelques semaines ou quelques mois on fera une émission, par exemple sur la condamnation d’Orange suite à un non-respect d’une des licences diffusives ou à réciprocité ; Orange a été condamnée récemment pour n’avoir pas respecté les règles du jeu. Je pense donc qu’on reviendra sur ce sujet-là dans quelques semaines ou dans quelques mois, le temps de savoir si, par exemple, Orange fait appel, pour savoir où on en est juridiquement.
En tout cas, c’était passionnant. Nos invités étaient Sébastien Dinot, expert logiciel libre équipe Outils, Open Source Program Officer, en gros responsable logiciel libre dans l’entreprise de services numériques CS Group, et Benjamin Jean qui est fondateur et président d’Inno3, un cabinet de conseil spécialiste des modèles ouverts.
Je vous remercie tous les deux. Je vous souhaite une belle fin de journée et à bientôt.
Benjamin Jean : Merci.
Sébastien Dinot : Merci. Bonne journée à tous.
Frédéric Couchet : Merci Sébastien.
On va faire une courte pause musicale.
[Virgule musicale]
Frédéric Couchet : Nous allons écouter La fin de Saint Valéry par Ehma. On se retrouve dans deux minutes. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
Pause musicale : La fin de Saint Valéry par Ehma.
Voix off : Cause Commune, 93.1.
Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter La fin de Saint Valéry par Ehma, disponible sous licence libre Art Libre.
[Jingle]
Frédéric Couchet : Nous allons passer au sujet suivant.
[Virgule musicale]
Chronique « Lectures buissonnières » de Vincent Calame sur les libertés associatives – La loi de 1901 et les associations
Frédéric Couchet : Vincent Calame, informaticien libriste et bénévole à l’April, nous propose des chroniques « Lectures buissonnières » ou comment parler du Libre par des chemins détournés en partageant la lecture d’ouvrages divers et variés.
Le thème du jour, la loi de 1901 et les associations.
Bonjour Vincent.
Vincent Calame : Bonjour.
Je ne vais pas permettre à nos auditrices et auditeurs de souffler, parce que je vais aussi leur parler de juridique. Pourquoi ? Pour rappel, j’avais commencé, en janvier, la présentation de l’ouvrage Une histoire des libertés associatives de Jean-Baptiste Jobard, aux Éditions Charles Léopold Mayer, dont l’objectif est d’éclairer les luttes actuelles à la lumière de l’histoire longue du mouvement. Nous en étions restés à la révolution de 1848, une occasion manquée du triomphe de l’associationnisme. Passons le Second Empire, qui n’apporte rien de nouveau dans la répression des associations, et abordons la Troisième République qui est riche en légalisation : en 1884 reconnaissance des syndicats ; en 1898, celle des mutuelles ; et, bien sûr, en 1901, celle que nous connaissons tous, la loi sur les associations.
En 20 ans, les libertés progressent en France, France métropolitaine s’entend, car, dans la même période, la France se taille le deuxième empire colonial de la planète derrière le Royaume-Uni. Ce n’est pas le moindre des paradoxes de cette période. Je ferme ici cette parenthèse qui m’éloignerait du sujet, mais il est toujours bon de rappeler que tout n’est pas rose dans notre beau roman national.
Revenons donc à notre loi de 1901. J’ai dit que nous la connaissions tous, mais est-ce vraiment le cas ? Jean-Baptiste Jobard ne s’étend pas sur l’histoire de cette loi, mais il nous dit ceci, je cite : « Soulignons l’immense intérêt du « laconisme législatif » de Waldeck-Rousseau, l’auteur de la loi, en 1901 : sa loi est facile à lire et elle offre simplement un cadre à des pratiques qui sont largement à inventer. »
Je vous propose de répondre à l’invitation de Jean-Baptiste Jobard et de nous plonger dans la loi, ce qui, au passage, me permet de remplir à peu de frais ma chronique avec quelques copier-coller. Vous trouverez le texte de la loi sur le site de Légifrance. La loi ne fait plus qu’une vingtaine d’articles, beaucoup ont été abrogés. Les trois articles fondamentaux sont les articles 1, 2 et 5. Je vais les lire, les voici avec des coupes.
« Article 1 : L’association est la convention par laquelle deux ou plusieurs personnes mettent en commun, d’une façon permanente, leurs connaissances ou leur activité dans un but autre que de partager des bénéfices. »
« Article 2 : Les associations de personnes pourront se former librement sans autorisation ni déclaration préalable, mais elles ne jouiront de la capacité juridique que si elles se sont conformées aux dispositions de l’article 5. »
« Article 5 : Toute association qui voudra obtenir la capacité juridique prévue par l’article 6 devra être rendue publique par les soins de ses fondateurs. […] La déclaration préalable fera connaître le titre et l’objet de l’association, […] les noms, professions et domiciles et nationalités de ceux qui, à un titre quelconque, sont chargés de son administration.
[…]
Les associations sont tenues de faire connaître, dans les trois mois, tous les changements survenus dans leur administration, ainsi que toutes les modifications apportées à leurs statuts. »
Et voilà, c’est tout ! Il y a aussi l’article 6 qui évoque le financement des associations, les articles 10 à 12 sur la déclaration d’utilité publique, mais, pour le principal, tout est là, dans ce que je viens de vous lire.
N’avez-vous pas remarqué quelque chose ? À aucun moment, on ne parle de président, de trésorier, de bureau, ni même de conseil d’administration ou de représentant légal. On parle juste de « ceux qui, à un titre quelconque, sont chargés de l’administration [de l’association] ».
Tous ces titres, auxquels nous sommes habitués pour peu qu’on soit adhérent de deux ou trois associations, ne sont pas des obligations de la loi. Ce sont simplement des usages établis par habitude, par les modèles de statuts proposés dont on n’ose pas s’éloigner. C’est aussi une conséquence de la frilosité des banques, des administrations ou des bailleurs, qui ne veulent voir qu’une seule tête et un seul représentant légal.
Il y a donc une grande marge de manœuvre dans l’élaboration des statuts. Je sais que c’est une réflexion qui traverse de nombreuses associations en ce moment.
À la dernière AG de l’April, la présidente a évoqué un projet de réécriture des statuts de l’April, justement. Je ne suis pas dans le secret des dieux et je ne sais pas s’il s’agit d’un simple toilettage ou d’une refonte plus en profondeur, en tout cas, lâchez-vous, la loi vous l’autorise !
Frédéric Couchet : Est-ce que tu prends le prétexte d’une chronique pour essayer d’en savoir plus en public ?
Vincent Calame : Oui, tout à fait, je profite du direct ! Vous ne pourrez pas me lâcher, je vais vous retenir !
Pour continuer sur l’AG de l’April, on plaisante chaque année sur la présence d’une seule liste pour le conseil d’administration, qui est élue, évidemment à plus de 99 % des voix, un score soviétique !
Revenons au bel article 1 de la loi de 1901 : « L’association est la convention par laquelle deux ou plusieurs personnes mettent en commun, d’une façon permanente, leurs connaissances ou leur activité dans un but autre que de partager des bénéfices. » C’est une belle définition de dire que l’association est tout simplement une « mise en commun de connaissance et d’activité. »
Finalement, quand on y pense, ce serait plutôt la présence de deux listes, à l’élection, qui serait inquiétante pour l’April ou pour toute autre association. Cela voudrait dire qu’il y a des enjeux de pouvoir, un trésor de guerre à accaparer, une notoriété à détourner pour son propre prestige ou que sais-je encore. Sur quelle base choisir, pour un bénévole comme moi, s’il y avait deux listes ? Il faudrait choisir un camp plutôt qu’un autre ? Que devient la « mise en commun » ? Je crois que j’irai tout simplement bénévoler ailleurs, car, comme le rappelle l’article 4, « Tout membre d’une association peut s’en retirer en tout temps ».
Alors, longue vie à la liste unique du CA de l’April et bon chantier de refonte des statuts, pour en remettre une couche ! Si vous comptez tout remettre à plat, faites quand même appel à un juriste, on ne sait jamais…
Frédéric Couchet : Le problème, Vincent, c’est que je ne sais pas où trouver un juriste, il n’y en a pas autour de cette table, par exemple ! Si, il y a Benjamin Jean en face de nous !
En fait, il n’y a aucun secret sur la révision des statuts de l’April. Il y a deux raisons principales :
la dernière modification des statuts de l’April date de 2005, la première version, c’est 1996. Beaucoup de termes, tout simplement, sont genrés, parce que, comme beaucoup d’associations, on a repris des statuts types avec un président, un trésorier, un secrétaire ; aujourd’hui, on a une présidente, au niveau des membres du conseil d’administration, il y a des hommes, il y a des femmes. Il y a donc une question de rendre les statuts inclusifs pour que toute personne, quel que soit son genre, puisse s’y reconnaître ;
la deuxième chose, comme je le disais, c’est que la dernière version des statuts date de 2005. Des choses qui étaient faisables en 2005, ne sont plus d’actualité aujourd’hui, dans le mode de fonctionnement, on va donc en profiter aussi pour toiletter un petit peu cette partie-là.
Comme c’est un travail important, ça va prendre quelques semaines ou quelques mois, une assemblée générale extraordinaire sera organisée pour modifier les statuts, probablement au second semestre 2024, en tout ça on l’espère.
Il n’y a donc aucun secret là-dessus, pas besoin donc d’être dans le secret des dieux et des déesses, mais tu as bien fait de poser la question.
Tu en as donc fini avec la lecture de ce livre ou pas encore ?
Vincent Calame : Non. J’en suis à 1901 et, comme c’est sur l’histoire, j’aborderai ensuite la période plus récente.
Frédéric Couchet : D’accord. La prochaine chronique de Vincent, sans doute le mois prochain, nous sommes en avril, donc en mai 2024, ce sera la poursuite de la lecture de ce livre Une histoire des libertés associatives de Jean-Baptiste Jobard, à moins que l’actualité te pousse, comme parfois, à faire un pas de côté pour aborder un autre sujet.
C’était la chronique « Lectures buissonnières » de Vincent Calame.
Merci Vincent et belle fin de journée.
Nous approchons de la fin de l’émission. Nous allons terminer par quelques annonces.
[Virgule musicale]
Quoi de Libre ? Actualités et annonces concernant l’April et le monde du Libre
Frédéric Couchet : Cause Commune vous propose un rendez-vous convivial, chaque premier vendredi du mois, à partir de 19 heures 30, dans les locaux de la radio à Paris, au 22 rue Bernard Dimey, dans le 18e arrondissement. C’est une réunion radio ouverte, donc ouverte au public, avec apéro participatif à la clé. L’occasion de découvrir le studio, de rencontrer les personnes qui animent les émissions. La prochaine soirée-rencontre aura lieu vendredi 5 avril 2024 à partir de 19 heures 30, c’est vendredi qui vient, et je serai normalement présent. Je vous rappelle l’adresse : 22 rue Bernard Dimey dans le 18e arrondissement. Normalement, comme chaque premier vendredi, il y a une émission spéciale entre 20 heures et 21 heures, avec des personnes qui participent aux différentes émissions de Cause Commune, mais, à l’heure actuelle, je ne connais pas la thématique de l’émission du 5 avril.
Dans les rendez-vous habituels, chaque premier samedi du mois, de 14 heures à 18 heures, des bénévoles passionnés de logiciels libres se retrouvent au Carrefour numérique2 de la Cité des sciences et de l’industrie, à Paris, pour une fête d’installation de logiciels libres ainsi que des ateliers et des conférences. Le prochain rendez-vous, qui s’appelle Premier Samedi du Libre, aura lieu samedi 6 avril 2024, à la Cité des sciences et de l’industrie, Paris 19e, de 14 heures à 18vheures.
Le Libre en Fête, ce sont des événements de découverte du logiciel libre partout en France. Dans le cadre du Libre en Fête, 96 événements ont été référencés. On remercie toutes les structures organisatrices de ces événements. On remercie et on félicite aussi ma collègue Isabella Vanni qui anime ce projet Libre en Fête. Le Libre en Fête se poursuit jusqu’au dimanche 7 avril 2024, il reste donc encore quelques événements que vous pouvez retrouver sur le site libre-en-fete.net.
Je vous invite à consulter le site de l’Agenda du Libre, agendadulibre.org, pour trouver des événements en lien avec les logiciels libres ou la culture libre près de chez vous.
Notre émission se termine.
Je remercie les personnes qui ont participé à l’émission du jour : Xavier Berne, Sébastien Dinot, Benjamin Jean, Vincent Calame.
Aux manettes de la régie aujourd’hui, Étienne Gonnu.
Merci également aux personnes qui s’occupent de la post-production des podcasts : Samuel Aubert, Élodie Déniel-Girodon, Lang1, Julien Osman, bénévoles à l’April, et Olivier Grieco, le directeur d’antenne de la radio.
Merci également à Quentin Gibeaux, bénévole à l’April, qui découpe les podcasts complets en podcasts individuels par sujet.
Vous retrouverez sur notre site web, libreavous.org, toutes les références utiles, ainsi que sur le site de la radio, causecommune.fm. N’hésitez pas à nous faire des retours pour indiquer ce qui vous a plu, mais aussi des points d’amélioration. Vous pouvez également nous poser toute question et nous y répondrons directement lors d’une prochaine émission.
Toutes vos remarques et questions sont les bienvenues à l’adresse contact chez libreavous.org.
Si vous préférez nous parler, après tout c’est de la radio, vous pouvez nous laisser un message sur le répondeur de la radio, pour réagir à l’un des sujets de l’émission, pour partager un témoignage, vos idées, vos suggestions, vos encouragements ou pour nous poser une question. Le numéro du répondeur est le 09 72 51 55 46.
Nous vous remercions d’avoir écouté l’émission du jour.
Si vous aimez cette émission, n’hésitez pas à en parler le plus possible autour de vous. Faites connaître également la radio Cause Commune, la voix des possibles.
Il n’y aura pas d’émission la semaine prochaine, mardi 9 avril, car le studio sera en travaux pour qu’on ait une superbe nouvelle table, une nouvelle disposition.
On se retrouvera en direct mardi 16 avril 2024 à 15 heures 30. Notre sujet principal portera sur la ville de Boé, qui se trouve dans le Sud-ouest de la France, et sa politique sur le logiciel libre. L’émission du 16 avril sera animée par mon collègue Étienne Gonnu qui est actuellement en régie.
Nous vous souhaitons de passer une belle fin de journée. On se retrouve en direct mardi 16 avril et d’ici là, portez-vous bien.
Générique de fin d’émission : Wesh Tone par Realaze.