Framasoft et le libre avec Pouhiou

Transcription

Heiji : On se retrouve avec Pouhiou qui vient en tant que représentant du groupe Framasoft.

Pouhiou : Bonjour.

Heiji : Dis-nous déjà, dans un premier temps, qui tu es ?

Pouhiou : À l’origine j’étais comédien et puis, à un moment donné, l’envie d’écrire a pris le dessus sur l’envie de scène, donc je suis devenu auteur. C’est en tant qu’auteur que j’ai rejoint Framasoft puisque, après avoir publié mon premier roman sur un blog, je l’ai versé dans le domaine public grâce à la licence libre CC01. J’ai contacté Framasoft qui a voulu l’éditer en tant que Framabook2, parce que c’est un des multiples projets de Framasoft, on en reparlera. Et c’est comme ça que j’ai rejoint la bande de Framasoft. Après quelques années de bénévolat, j’ai été embauché, en janvier 2015, en tant que médiateur chez Framasoft. C’est-à-dire que je fais un peu de communication médias-presse, de la communication grand public aussi avec le blog et les réseaux sociaux. Et puis, à l’intérieur de l’association Framasoft, je vais animer certains projets notamment en accueillant des énergies bénévoles et en les dirigeant vers les personnes qui dirigent des projets. Voilà, si toi tu as envie de faire plus de ceci que de cela, je saurai te diriger vers la bonne personne.

Heiji : D’accord. Donc effectivement, tu fais partie de ce groupe Framasoft qui défend un peu le monde libre. Framasoft, dans sa globalité, c’est quoi comme institution ?

Pouhiou : C’est une association 1901 et l’association est là, en gros, pour maintenir les murs de la maison afin que des gens, des contributeurs et des contributrices, viennent y développer des projets. Il y a à la fois une association et une communauté et le but de tout ce monde-là c’est de créer et de maintenir un réseau de projets pour amener du Libre chez monsieur et madame Tout-le-monde. L’idée c’est qu’on ne fait pas énormément de créations de l’esprit libre — de logiciels ou de culture libre — par contre, on essaie de le promouvoir auprès du grand public, de faire ces derniers pas qui manquent souvent entre « j’ai fait mon bon produit – mon logiciel, ma production, mon livre, ma musique » et puis « comment est-ce que je l’amène vers le grand public ? ». Voilà. L’idée c’est de se dire « nous on ne sait pas forcément faire ce que vous faites, mais on peut essayer de l’amener vers les gens ».

Heiji : Effectivement, c’est déjà un énorme travail et le sujet principal de tout ça, c’est le monde libre. Effectivement, quand on parle du monde libre à des gens, à n’importe qui, parfois c’est relativement abstrait. Et pour ceux qui ont été à peu près sensibilisés, imaginons, par exemple, que je parle à quelqu’un de Linux, pour les trois quarts des personnes qui ont pseudo-approché ce sont des lignes de code, encore quelque chose de très austère bien que l’interface graphique existe depuis belle lurette.

Pouhiou : On a déjà un petit souci, c’est qu’on parle souvent de logiciel qui est libre. Or un logiciel, qu’il soit libre ou esclave, ce n’est pas que je m’en fous, c’est que ce n’est même pas possible ! Il n’a pas de jambes auxquelles je peux attacher un petit boulet d’esclave. Tu vois, ça ne marche pas ! En fait, c’est juste une métonymie ; en rhétorique, on appelle ça métonymie. Ce n’est pas le logiciel qui est libre, c’est toi ! C’est-à-dire qu’un logiciel, ou toute autre création de l’esprit, libre, respecte tes libertés fondamentales d’utilisateur.

Heiji : Donc c’est ça l’idée. Le monde actuel est tel que la plupart de ce qui est commercialisé, de ce qui circule, ce sont des choses qui ne sont pas ò constitution, pas à vocation libres.

Pouhiou : Pas libres. On appelle ça « propriétaire » quand on est poli et, chez nous, on appelle ça même « privateur » parce que ça nous prive de nos libertés fondamentales. Si je télécharge une application sur un iPhone et que je ne peux pas prendre cette application et la mettre sur mon iPad, je ne suis pas libre de l’utiliser comme je veux. Si je n’ai pas le code source, la recette de cuisine du logiciel derrière mon Gmail, je ne suis pas libre d’étudier le logiciel comme je veux. Si je ne peux pas modifier mon navigateur pour qu’il m’écrive en violet plutôt qu’en noir, je n’ai pas la possibilité de modifier le logiciel comme je veux. Et si je ne peux pas redistribuer le roman que j’ai acheté sur fnac.com avec plein de DRM [Digital rights management], je ne suis pas libre donc de diffuser mon e-book comme je veux. Voilà ! ce sont les quatre libertés. Je te les ai faites !

Heiji : Le problème étant, et tu vas me dire comment tu appréhendes cet aspect-là, c’est que, pour ceux qui sont bien sensibilisés qui sont passés à l’étape supérieure, le Libre c’est aussi symbole de contrainte. Par exemple quelqu’un qui est sous Windows, qui passe par Chrome et qui utilise des logiciels comme Microsoft Word et cie, verra quelqu’un qui est sous Linux, qui écrit avec LibreOffice3 et qui fait ses activités, comme quelque chose de très limitant parce qu’il y a des compatibilités qui ne sont pas là. Certains logiciels comme Microsoft Word pour les installer sous Linux, on peut toujours essayer de les gruger avec Wine4, mais…

Pouhiou : C’est compliqué ! Ce dont il faut bien se rendre compte c’est que l’incompatibilité vient justement du côté propriétaire. Ils font tout pour que tu restes chez eux, quitte à t’enfermer. Alors que, en général, si tu utilises LibreOffice, les formats de fichier que tu vas avoir ce sont des formats de fichier que tu pourras utiliser sur tous les autres logiciels, que ce soit Word de la suite Microsoft, que ce soit Writer de chez Apple. C’est un format de texte ouvert, c’est-à-dire que tout le monde peut utiliser ce format dans son logiciel, ce qui n’est pas du tout le cas du format .docx, par exemple, utilisé par Word de Microsoft. Donc l’incompatibilité vient de leur part à eux.
Après, il faut bien se rendre compte que le Libre, clairement, a encore cette image de ligne de code, incompatible, difficile, alors que pas du tout. Ça n’est plus le cas. Je ne dis pas que tout est rose et tout est meilleur, ne me fais pas dire ce que je n’ai pas dit. Moi qui suis un gros noob qui ne broke pas une ligne de code dans ma vie, eh bien j’utilise du Libre tous les jours et sans aucun souci. Vous en utilisez tous les jours sans même le savoir quand vous utilisez par exemple VLC5, quand vous utilisez Wikipédia, quand vous utilisez Firefox6, la liste est longue ! Il faut bien se rendre compte aussi qu’entre 75 et 80 % des sites Web sur lesquels nous allons sont sur des serveurs, des ordinateurs en permanence branchés au Net, qui tournent sous GNU/Linux. Il y a du Libre partout dans nos vies, mais on ne s’en rend pas forcément compte.

Heiji : Il y a aussi l’aspect de la synergie quand on a un soft. Je prends l’exemple de Google Drive et de tout ce qui lui est associé. Si le Libre a une synergie avec le reste du Libre, les logiciels propriétaires ont quand même une certaine synergie entre eux.

Pouhiou : Sauf que, imagine que tu utilises Apple avec ton e-mail Apple, ton calendrier Apple, ton iCloud pour tes photos, tes documents, etc., le jour où tu veux arrêter Apple et passer à Google ou à Microsoft – passer de Charybde en Scylla – eh bien tu perds tout et c’est l’enfer sur terre ! Tout simplement ! Tandis que passer du Libre à n’importe quoi d’autre, c’est possible. C’est la grande différence. Après, le Libre a encore du travail à faire sur la synergie mais ce sont des choses qui arrivent. Aujourd’hui, même pour auto-héberger ses données, pas pour aller chez les services des autres mais pour les mettre chez soi, il y a des solutions « tout en main » qui commencent à émerger comme YunoHost7 ou Cozy Cloud8 et qui sont hyper-efficaces. Du coup, tes données ne sont pas espionnées par quiconque, elles sont juste chez toi, dans ta maison, branchées à ta box internet.

Heiji : Effectivement, c’est très intéressant. Il faudrait que je regarde ça.

Pouhiou : Ça se développe et ce n’est pas encore totalement mûr, mais ce n’est déjà pas mal !

Heiji : Un aspect fondamental ce sont les droits, du coup, effectivement, c’est basé sur les droits d’auteur. Ceux qui vendent du propriétaire vendent des choses et se font de l’argent sur cette vente. Du fait que ce n’est pas partageable, ils font de l’argent à chaque vente de leur produit. Couramment encore une fois, quand on parle du Libre, se pose le problème qu’on peut le vendre peut-être une fois à quelqu’un, puis ce quelqu’un, s’il le partage aux autres, eh bien il n’y a plus d’argent qui rentre.

Pouhiou : Comment est-ce qu’on nourrit les créateur de contenu ?

Heiji : Souvent le Libre est présenté comme privant le créateur de contenu de son revenu.

Pouhiou : Alors qu’en fait, je pense que le Libre est un modèle économique beaucoup plus performant à l’ère du numérique que le propriétaire. D’ailleurs, on s’en est rendu compte parce que le modèle économique dont tu parles, l’accès à la vente – je te vends mon Windows ou mon Microsoft Office – ça n’est quasiment plus le cas aujourd’hui. Ça n’est quasiment plus ce qui se passe aujourd’hui chez les géants du Web, on en reparlera ensuite.
Le modèle du Libre est simple. Le logiciel, ou mes romans par exemple, en effet ils sont libres : tu peux les télécharger gratuitement, tu peux les diffuser, tu peux les vendre si tu veux, parfois, ça dépend des objets libres. Tu peux le faire avec Wikipédia sans problème : tu peux prendre des articles Wikipédia, en faire un livre et le vendre ; tu as le droit, il n’y a pas de problème tant que ton livre reste sous la même licence que Wikipédia. Bref ! Mais le modèle économique n’est pas là. Le modèle économique est ailleurs. Il y a des entreprises qui font beaucoup d’argent avec le Libre : Canonical, Red Hat, il y en a plein. Et comment font-elles ? Elles vont te vendre de la formation aux outils libres, parvce que quitte à se faire former autant se faire former par les gens qui ont fait le logiciel ! Elles vont te vendre des services : si tu as besoin d’une fonctionnalité en plus sur tel logiciel, tu vas préférer que ce soit l’équipe de développement originelle qui la développe et tu vas préférer payer à elle. Tout un tas de choses comme ça. Dans la culture, il y a l’économie du don. Très honnêtement, juste avec mes bouquins, je touche beaucoup plus de dons que si je les vendais sous droit d’auteur. C’est tellement évident pour un petit auteur pas connu, c’est totalement gagnant. Tu peux aussi vendre des choses autour. Du coup, on va t’acheter des livres plus pour soutenir ta démarche en tant qu’auteur ; vendre du livre dédicacé où il y a un petit plus. Comme tu laisses ton œuvre au public, tu peux aussi proposer des démarches un peu plus participatives comme j’ai pu faire, que ce soit du financement participatif donc un crowdfunding ou que ce soit dire aux gens : « Pour écrire mon prochain livre, invitez-moi chez vous. Je viens avec mon sac à dos. J’irai écrire chez vous ». J’ai fait un petit tour de France comme ça.

Heiji : Et dans son statut, où se situe Framasoft par rapport à tout ce gloubiboulga. Dans ce gloubiboulga il y a effectivement les grosses entreprises : Google, Microsoft, Amazon, Facebook et Apple. De l’autre côté on a présenté tous les Libres. On a un petit peu deux côtés d’une pièce, deux grosses phases. Où se situe Framasoft entre ces deux grosses phases ? Framasoft, si je suis ce que tu as présenté, est une sorte de palier entre les deux, quelque chose qui invitrait, qui aiderait ceux qui veulent faire le dernier pas ?

Pouhiou : C’est ça l’idée. Ce qui nous dérange, ce n’est pas tant qu’ils se fassent du fric d’un côté ou de l’autre ; il y a beaucoup de fric à se faire dans le milieu du Libre, il y a des entreprises et des fondations florissantes, je tiens vraiment à le dire, mais ce n’est pas une question de fric. Ce qui nous dérange, c’est qu’ils se fassent du fric sur le dos de nos libertés. L’idée des libristes, c’est que l’humain soit maître de la machine et non l’inverse. C’est ce qui se passe quand tu ne peux pas gérer toi-même ton iPhone, ton Windows ou ton Gmail. Quand tu ne peux pas maîtriser ça, eh bien tu n’es pas maître de ta machine. C’est aussi simple que ça ! C’est vraiment ça qui nous intéresse. L’idée, chez Framasoft, c’est d’être une porte d’entrée en disant : « Viens, gouttes-y. Viens, on est bien ! ». On n’a pas des tonnes d’argent. Framasoft vit à 90 % de dons. On a à peu près 2000 donateurs et donatrices, ce qui nous permet de servir un million de visites par mois sur l’ensemble de nos sites. Ce n’est quand même pas mal pour juste 2000 donateurs et donatrices. On vit principalement de dons et ces dons permettent des services. On ne juge pas les gens. Typiquement, Framapack9 te permet de choisir des logiciels libres que tu aimerais installer sur ton Windows, de générer un petit fichier exécutable qui va automatiquement télécharger les dernières versions et te les installer. Ça c’est pour les « windowsiens » et les « windowsiennes ». Tu arrives et tu dis : « Je suis sous Windows et je veux y rester ». On te dit : « Ce n’est pas grave, mais goutte à Firefox, à LibreOffice, à VLC, à Audacity10, à de choses comme ça, et tu vas voir, au bout d’un moment, tu vas venir à Linux ». On le sait qu’on prend goût à la liberté !

Heiji : Pour l’instant, on a parlé du fait qu’ils se font de l’argent sur notre dos, sur nos libertés, mais est-ce que c’est le seul danger ?

Pouhiou : Malheureusement, non ! Les cinq grands méchants, enfin les grands géants du Web, GAFAM.

Heiji : Les grands méchants, certains ont déjà fait des coups par derrière, mais c’est plus hétéroclite que ça ; ce n’est pas manichéen quand même.

Pouhiou : Non, le modèle du Web vers lequel ils se tournent n’est pas manichéen. Quand je disais tout à l’heure que la vente de Windows, c’est fini. Regarde, Windows 10 est gratuit ! Quasiment tout le monde l’a eu gratuitement.

Heiji : Ceux qu’ils ont piraté ont de grosses restrictions.

Pouhiou : Vu que tu as déjà de la vente forcée, c’est-à-dire que dès que tu achètes un PC PC qui n’est pas Apple tu as Windows qui t’es vendu derrière. Et si tu avais un Windows 7, 8 ou 8.1, tu passais direct à 10 gratuitement. Avant tu étais obligé d’acheter [la nouvelle version, NdT]. Pourquoi Microsoft fait-il ça ? Parce qu’ils ont changé de modèle économique ! Ils ne vendent plus le logiciel. Aujourd’hui, ils veulent que le Windows t’offre une expérience utilisateur la plus proche de toi. Et pour ça, il leur faut bien te connaître. C’est pour ça que Windows récupère des tonnes et des tonnes d’informations sur toi, sur ce que tu fais, où tu navigues, quels logiciels tu utilises, quand, comment, etc., et les envoie à Microsoft. Il a fallu quand même que la CNIL fasse un guide d’utilisation de Windows 10 pour expliquer aux gens comment protéger leurs données. C’est incroyable ! L’idée c’est de récupérer tes données, de faire du profilage publicitaire parce qu’aujourd’hui l’argent vient des régies publicitaires. Aujourd’hui, ça n’est plus toi le client. Ça n’est plus toi qui achètes un produit et qui peux avoir des exigences. Regarde Google, c’est la première capitalisation boursière au monde, ou la deuxième puisqu’ils se tirent la bourre avec Apple régulièrement, mais l’entreprise la plus riche du monde. Et, on est bien d’accord, tu ne paies rien de ce que tu utilises chez Google ! D’où vient l’argent ? Pareil ! Il vient des profils publicitaires qu’ils vendent à des régies publicitaires, donc tu n’es pas leur client, tu es leur produit : « si c’est gratuit, c’est toi le produit ».

Heiji : C’est compréhensible. Il y a peut-être un problème que l’on peut aussi soulever qui est l’impact qu’ils peuvent avoir du fait de leur monopole. Par exemple, dans un article paru récemment sur Presse-citron en l’occurrence que j’ai vu relié à d’autres endroits, que Google ferait pression maintenant sur les constructeurs de produits avec un système de notation, de placement des marques, pour les inciter à faire les mises à jour. S’ils ne font pas suffisamment bien les mises à jour, s’ils ne donnent pas suffisamment de services Google, ils seront mal notés, ils baisseront dans le classement. Et effectivement, au vu de la puissance de Google, ça peut être une énorme « force de frappe x, entre guillemets.

Pouhiou : On a des milliers d’exemples. On a un compte Twitter qui s’appelle @degooglisons pour « Dégooglisons Internet » où, chaque jour, on publie des articles comme ça. Le plus frappant : Facebook a fait une expérience sociale sans prévenir ses utilisateurs en prenant deux groupes tests, je crois que c’était sur des centaines de milliers de personnes. Tu sais ils ont un algorithme qui fait remonter sur le mur ce que Facebook choisi. Sur un groupe ils ont dit « on ne va faire remonter que des infos plutôt positives » : j’ai eu un bébé, je suis heureuse, je suis en vacances, et, sur un autre groupe, que des infos plutôt négatives, pour voir si tes statuts, tes infos, tes photos changeaient au fil du temps, si tu étais dans un des deux groupes. Ils se sont rendu compte que oui, ils avaient le pouvoir de rendre les gens plutôt heureux ou de rendre les gens plutôt déprimés et que les gens plutôt heureux étaient plus réactifs à la publicité, cliquaient plus et achetaient plus. Ils se sont permis de faire une expérience psychologique sur des centaines de milliers de personnes. C’est gravissime !

Heiji : C’est gravissime d’autant qu’elles n’ont pas été prévenus, enfin, pas réellement, puisqu’on peut toujours parler des conditions générales de vente, les trucs que personne ne lit.

Pouhiou : C’est ça. Il y a toujours les fameuses conditions générales d’utilisation, chez Facebook comme chez les autres. Le comique Eddie Izzard disait que Apple pourrait mettre l’intégralité de Mein Kampf dans les CGU de iTunes, on cliquerait quand même sur « je suis d’accord » ! C’est une blague affreuse. Un point Godwin pour moi. Gagné !, mais c’est la réalité. On a fait un test. Je te livre une info en exclu, nous n’avons pas encore les chiffres de nos statistiques. Pour le 1er avril, du 1er avril au 15 avril chez Framasoft, on a changé nos conditions générales d’utilisation des services Framasoft en rajoutant un dernier alinéa où nous disions que toute personne qui utilisait nos services nous cédait gracieusement son âme. Personne, en 15 jours, ne nous l’a dit ! On avait juste envie de faire la blague, évidemment. Il faut encore qu’on fasse un article pour remercier les personnes qui nous ont cédé gracieusement leur âme. On va donner le chiffre, je ne peux pas te dire encore combien.

Heiji : Il faut juste voir comment ça se revend !

Pouhiou : C’est ça ! Ce sont des expériences qui ont été faites ailleurs. Un groupe scientifique avait mis un wi-fi gratuit en plein milieu de Londres. Si tu acceptais le wi-fi gratuit, pareil, tu acceptais de donner ton premier né à ce groupe de scientifiques. Personne ne l’a lu ! Donc bien sûr que nous ne lisons pas les conditions générales d’utilisation et pourtant ce sont des contrats que nous signons numériquement avec ces entreprises et qui leur confient nos vies numériques, à chaque fois.
Il faut bien se rendre compte de deux choses. Un cloud, c’est l’ordinateur de quelqu’un d’autre. C’est un ordinateur qui appartient à Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft. Le cloud c’est l’ordinateur de quelqu’un d’autre et, quand tu confies tes données, tu fais confiance à quelqu’un. En quel point as-tu confiance en une entreprise dont le seul but est de revendre une partie de ta vie numérique pour des raisons publicitaires et qui permet, du coup, à des agences gouvernementales de les forcer à te donner ta vie numérique ? Voilà le danger des enjeux de la centralisation du Web.

Heiji : Effectivement, c’est compréhemsible. Framasoft propose des sensibilisations. J’ai vu qu’il y avait des conférences. Elle est active, comme ça, à différents niveaux. Vous proposez également des exécutables, quelques tutoriels pour initier au passage au Libre puisque, même si c’est devenu beaucoup plus simple aujourd’hui que ça ne l’était il y a dix ans, le fait est que, quand on vient d’un monde Windows, il faut quand même s’habituer.

Pouhiou : Juste quand on change de logiciel ! Quand les gens sont passés de Outlook, Gmail ou Outlook.com à Thunderbird, il a fallu se réhabituer. De toutes façons, on sait très bien que nul logiciel ou nul service en ligne n’est éternel. Qui se rappelle de Myspace, de Yahoo ou de Caramail ?

Heiji : MSN [Microsoft Network].

Pouhiou : MSN aussi, c’est vrai que MSN c’est fini, qui se souvient de ça ! Aucun service n’est éternel, donc votre Gmail mourra, c’est juste une certitude, il suffit d’attendre une échelle de temps assez longue, tout simplement. Rien n’est éternel.
Souvent, il faut des tutoriels pour s‘habituer à un nouveau logiciel, donc on propose ça.
Notre idée, c’est une grande campagne qui a commencé depuis octobre 2014 qui s’appelle « Dégooglisons Internet 11 », où on essaie de sensibiliser les gens aux enjeux de la centralisation du Web : le vol de nos données et de nos vies numériques, la surveillance gouvernementale. Il y a aussi le frein à l’innovation qui est absolument affreux. Ça concerne plus les startups et les entrepreneurs mais aujourd’hui, dès qu’une startup a un peu de succès, elle se fait automatiquement avaler par un GAFAM : Waze qui est un GPS communautaire où l’on s’indique où sont les flics, où sont les bouchons, etc., a été racheté par Google ; Instagram appartient à Facebook ; YouTube c’est Google. Microsoft a racheté Minecraft ; ils vont s’en servir pour rentrer dans les écoles avec Minecraft Education. L’Oculus Rift12 qui devait être un jour de l’open hardware et de l’open source a été racheté par Facebook. Ces sont des choses que l’on sait plus ou moins. Facebook qui te propose Facebook Messenger pour les mobiles Android et iPhone, a aussi racheté WhatsApp, comme ça, tu dis « moi, Messenger de Facebook, je n’ai pas envie de me faire espionner, vais chez WhatsApp ! » Raté ! Ce sont les mêmes. Des choses que l’on sait moins, c’est que, par exemple, Google qui fabrique entre autres les Google Cars, les voitures sans chauffeur — oui, elles arrivent — est aussi l’actionnaire principal de Uber. Est-ce que l’on sent, en mettant ces deux informations en corrélation, qu’il est possible qu’un jour les chauffeurs Uber, comme les taxis, l’aient dans l’os assez profond ?

Heiji : Ils ne sont pas près de s’en sortir, effectivement. Ça va râler.

Pouhiou : Amazon qui, jusqu’à janvier 2015, hébergeait tous les fichiers que vous mettiez dans votre Dropbox – maintenant Dropbox a ses propres serveurs, mais avant c’était sur Amazon Web Services – est l’actionnaire principal de Airbnb et de Twitter. Le sait-on ? Ils ont un peu arrêté de racheter ; maintenant, ils essaient juste d’être actionnaire majoritaire, principal ou important, dans les entreprises.

Heiji : J’avais vu ça avec l’histoire Patrick Drahi et le groupe Vivendi qui sont officiellement deux entités, mais qui sont actionnaires l’un de l’autre.

Pouhiou : Oui. C’est comme Google qui a arrêté de s’appeler Google pour s’appeler Alphabet. C’était juste pour monter en bourse et éviter certains procès antitrust, de monopole. Ils ont changé de nom pour devenir Alphabet. Dans Alphabet il y a Google qui reste tout ce qui est Web et, à l’extérieur de Google mais dans Alphabet, il y a tout ce qui est « Projets X » donc les Google Glass, les trucs comme ça un peu bizarres, les Google Cars. Il y a aussi tout ce qui est Google Finances, tout ce qui est Google Santé avec Calico, tout ce qui est ADN. Il y a aussi tout ce qui est robotique même s’ils sont en train de revendre Boston Dynamics mais c’est Amazon qui va probablement l’acheter, un tout cas ils étaient intéressés aux dernières nouvelles. Donc il y a un frein à l’innovation et une concentration de tout. Quand Google a ton agenda, ton e-mail, ton téléphone, ton machin, ton truc, plus des banques ADN, plus de la santé – ils vont faire des consultations santé en ligne – plus de la robotique, est-ce qu’en 2028 Google devient Skynet ? On n’a pas envie de faire peur aux gens mais, à un moment donné, quel pouvoir va-t-on leur laisser avec nos données ?

Heiji : On peut toujours garder une alternative. C’est également une des choses sur lesquelles je me suis attristé, je vais juste faire le point sur cette actu avant qu’on commence à cloturer. Bien que Microsoft fasse partie des gros là, actuellement, ils essaient de se battent sur tous les marchés avec les autres, enfin se battre !, ils se partagent le marché. Sur le marché mobile c’était une alternative relativement franche au niveau de l’expérience utilisateur de Google et d’Apple — ils sont différents, c’est sûr —, mais au fur et à mesure des mises à jour…

Pouhiou : On est sensiblement sur les mêmes interfaces utilisateur.

Heiji : le même feeling. Le fait est que Google et Apple ont tellement un gros monopole que Microsoft est obligé d’arrêter. Ils continuent l’entretien, mais ils sont obligés d’arrêter la production de téléphones et bien que ce soit un des gros acteurs, je le redis, ça supprime une alternative, justement.

Pouhiou : Parce qu’ils étaient en perte de vitesse sur ce marché. Attends le Ubuntu Phone13 et là tu auras quelque chose de vraiment différent et qui respectera peut-être un peu plus tes libertés.

Heiji : À ce que j’ai vu, ceux qui sont passés étaient un peu chers.

Pouhiou : Ils sont encore en période de maturation. Comme tout OS, à moment donné, il faut maturer la chose, c’est encore en période de maturation, mais pense que ça ne va pas trop tarder, d’ici un ou deux ans ça pourrait arriver. J’ai juste sorti ma boule de madame Irma, donc ce que je viens de dire ne compte pas ! Mais oui, clairement tu as raison. Il faut des alternatives à ces choses-là, c’est pour ça qu’on a fait la campagne « Dégooglisons internet ». C’est pour montrer que le Libre propose des alternatives respectueuses, éthiques, solidaires, décentralisées et décentralisables, ça c’est hyper-important. Donc on a sorti plein de Framachins ! Je peux te citer Framadate qui remplace Doodle, Framadrop qui est une alternative à WeTransfer mais qui, en plus de WeTransfer, te propose du chiffrement, c’est-à-dire que quand tu balances des fichiers sur nos serveurs, on ne sait pas ce qu’il y a : c’est chiffré de bout en bout par les navigateurs, tu n’as rien à faire. De quoi je peux te parler ?

Heiji : Tout ce qui commence par Frama… Framadate, Framabord, Framabin, Framasphere, Framateam, Framabag… [Tous les services sont disponibles sur le site de Framasoft14, NdT].

Pouhiou : Framabee [n’existe plus depuis, NdT] est très intéressant, c’est notre moteur de recherche. Tu peux aussi aller sur ton tonton-roger.org [n’existe plus non plus, NdT] parce qu’on a de l’humour, si tu as une demande à faire, demande à tonton Roger ! Framabee est un moteur de recherche qui utilise Google pour toi. Il utilise Google si tu le souhaites et Bing et Yahoo. En fait, Framabee est un métamoteur qui anonymise tes requêtes, donc Google ne t’espionne pas puisque c’est notre serveur qui envoie la demande pour toi. Ça te sort de la bulle de filtres de Google qui est quand même assez confortable. Par exemple j’habite à Toulouse, si je cherche « opticien » chez Google, il va me donner des opticiens toulousains parce qu’il voit que je suis sur Toulouse. Sur Framabee, il faut que je tape « opticien Toulouse » pour avoir le même résultat, sinon ça ne marchera pas. Je suis sorti de la bulle de filtres.
Ce qui est hyper-intéressant avec tout ce projet « Dégooglisons Internet », c’est qu’on propose des alternatives qui sont différentes, qui parfois ne sont pas aussi bien mais c’est à toi de mettre le curseur entre ce que tu souhaites entre ton confort et ta liberté. C’est toujours à toi de faire le choix. Est-ce que tu restes dans des choses plutôt « enfermantes » mais en conscience ? Et si, déjà, tu le fais en conscience, tu vas avoir des comportements beaucoup plus sains. Ou est-ce que tu vas essayer de te mettre à des choses peut-être plus libres, plus éthiques, qui te correspondent plus ?

Heiji : Nous allons pouvoir arrêter là. C’était très intéressant. On sent que tu défends le Libre et que tu aimes ton sujet.

Pouhiou : Nous sommes des petits. Les GAFAM - Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft - ce sont Monsanto et Leclerc alors que nous sommes des AMAP (Association pour le maintien d’une agriculture paysanne). On n’a pas leur budget marketing. On n’a pas leur budget pour employer des milliers de personnes à très haut salaire, mais on a des chatons, tout simplement. On a des chatons, on a de l’humour et c’est vraiment le côté humain du numérique. Je pense que c’est vraiment ce qui rassemble tous les libristes, ce côté hyper-chaud, hyper-humain. Il faut venir voir dans des conventions, sur des stands et tu verras que ce sont des gens qui déconnent, qui sont hyper-ouverts et ça fait vraiment du bien.

Heiji : N’hésitez pas, pour ceux qui regarderont cette vidéo, à aller voir le site de Framasoft. Il sera fourni en description et sur la vidéo avec le petit logo Framasoft. Il n’y a pas de chaîne YouTube ?

Pouhiou : Framasoft a une chaîne YouTube qui existe, qui n’est pas en activité depuis des années. On a un Framatube où on met uniquement les vidéos de libristes, framatube.org, mais il y aura peut-être un Framatube ouvert au grand public, c’est prévu dans le « Dégooglisons Internet », en 2017 et qui devrait être assez amusant. Je n’en dis pas plus. On en parle après tous les deux…

Média d’origine

Titre :

Framasoft et le libre avec Pouhiou

Personne⋅s :
- Heiji - Pouhiou
Lieu :

Chaîne YouTube Centre-Actu, Parlons-en !

Date :
Durée :

31 min

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Licence :
Verbatim
Crédits des visuels :

Logo de Framasoft par JosephK inspiré de la mascotte historique de LL. de Mars - Licence Creative Commons By-SA 2.0

Avertissement : Transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant⋅e⋅s mais rendant le discours fluide. Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.