Émission Libre à vous ! diffusée mardi 12 septembre 2023 sur radio Cause Commune


Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Étienne Gonnu : Bonjour à toutes. Bonjour à tous.
Quand on parle de logiciel libre et de collectivités, un enjeu clé est la mutualisation. Nous recevrons aujourd’hui le Syndicat Intercommunal des Technologies de l’Information pour les Villes, SITIV en plus court, un opérateur public de mutualisation qui met en œuvre des compétences et des moyens techniques au service des communes adhérentes ; ce sera le sujet principal de l’émission du jour. Avec également au programme la chronique d’Antanak, « Que libérer d’autre que du logiciel », et aussi une toute nouvelle chronique de Vincent Calame, « Lectures buissonnières », il nous parlera aujourd’hui de politique et de semences. Nous allons parler de tout cela dans l’émission du jour.

Soyez les bienvenu·es pour cette nouvelle saison de Libre à vous !, l’émission qui vous raconte les libertés informatiques, proposée par l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Je suis Étienne Gonnu, chargé de mission affaires publiques pour l’April.

Nous sommes très fiers de démarrer avec vous cette septième saison avec de nouvelles chroniques à découvrir, des musiques libres, bien sûr, et toujours plus de sujets autour de libertés informatiques.
N’hésitez surtout pas à partager avec nous ce qui vous plaît, ou pas, à nous dire si vous aimeriez que nous traitions certains sujets, par exemple, ou à nous poser toute question. Nous sommes à votre écoute. Si nous continuons cette aventure depuis tout ce temps, c’est en bonne partie grâce aux super retours et encouragements de vous, nos auditrices et auditeurs.

Le site web de l’émission est libreavous.org. Vous pouvez y trouver une page consacrée à l’émission du jour avec tous les liens et références utiles et également les moyens de nous contacter.

Nous sommes mardi 12 septembre 2023, nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.

À la réalisation de l’émission, mon collègue Frédéric Couchet et Magali Garrnero dite Bookynette.

Frédéric Couchet : Bonjour à vous.

Magali Garnero : Salut.

Étienne Gonnu : Bienvenue à Bookynette qui se forme à la régie.

[Jingle]

Chronique « Que libérer d’autre que du logiciel », d’Antanak

Étienne Gonnu : « Que libérer d’autre que du logiciel ». Isabelle Carrère et d’autres personnes actives de l’association Antanak se proposent de partager des situations très concrètes et/ou des pensées mises en actes et en pratiques au sein du collectif : le reconditionnement, la baisse des déchets, l’entraide sur les logiciels libres, l’appropriation du numérique par tous et par toutes, etc. J’ai le plaisir de retrouver Isabelle en studio. Salut Isabelle.

Isabelle Carrère : Bonjour.

Étienne Gonnu : J’espère que tu as passé un bel été.

Isabelle Carrère : Oui, mais il est terminé là, ça y est.

Étienne Gonnu : On respire un peu. On t’écoute.

Isabelle Carrère : Enfin !
Merci beaucoup de cet accueil et de cette opportunité que nous avons de continuer avec vous. Pour nous ce n’est pas la septième saison, on en a fait moins, mais quand même, ça commence à compter. Nous sommes plutôt heureux de cela.

Je voulais partager aujourd’hui avec les auditeurs et auditrices une expérience que j’aime bien faire régulièrement et je pense que beaucoup pourraient faire, devraient faire, je pourrais dire, on y gagnerait en communication, en apprentissage respectif de là où on est ! J’aime bien aussi aller titiller ce qui peut s’apparenter, parfois, à des questions de classe, pas de classe au sens des revenus, de l’économie, quoique cela peut jouer aussi. Là, je pensais plutôt aux classes sociales, d’une part, ou aux classes culturelles, d’autre part.

Parce que le numérique se joue, en apparence, des classes, mais je trouve qu’en fait, le numérique suit globalement les fonctionnements de classe de la société occidentale, y compris sur les plateformes des réseaux dits sociaux. Bref ! Ce que Bourdieu et d’autres ont évoqué en parlant de capital culturel, les inégalités de classes, les injustices sociales sont et continuent d’être flagrantes dans les pratiques. Les pratiques de tous les jours et les pratiques numériques n’y échappent pas.

La semaine dernière, j’ai animé un atelier auquel participait une cinquantaine de personnes. J’avais intitulé mon intervention « peut-on choisir ce que l’on fait avec le numérique ? », une énorme et grande question, mais ça ne leur a pas fait trop peur parce qu’elles étaient là. Les personnes présentes avaient été invitées par des associations parisiennes et de Seine-Saint-Denis, qui agissent, disent-elles, pour l’inclusion, l’insertion, l’accompagnement de toutes ces personnes, des tas de termes sur lesquels il y aurait beaucoup à dire. En tout cas, c’était un public vraiment intéressant.

Dans cette intervention,je voulais, j’avais envie, en deux parties distinctes, que l’on puisse travailler avec ces personnes d’une part sur les utilisations des ordinateurs, des téléphones, la navigation sur Internet, les choix des logiciels et des applications, etc., donc, bien sûr, du Libre. D’autre part sur les contraintes et obligations, voire les injonctions d’où qu’elles viennent et quels que soient les sujets concernés, de ce que l’on doit accepter, de fait, et de ce que l’on peut refuser ou bien ou détourner.

On a d’abord échangé sur ce qu’elles savaient, ou pas, de la composition d’un outil, du matériel bien sûr, et aussi de la provenance des matériaux, des matières premières de ces objets. On a même parlé extractivisme, déchets électroniques, etc.
J’ai passé pas mal de temps à des définitions de termes, parce que ça nous paraît toujours important que tout le monde soit sûr de bien parler de la même chose, de bien comprendre les mots, les concepts qui, sinon, sont employés dans tous les sens, sans qu’on soit sûr de ce que l’on est en train de dire.

J’ai été frappée de ce que les personnes présentes, majoritairement des femmes, étaient hyper-lucides sur ce qui faisait que souvent on se laisse porter. Elles ont assez rapidement indiqué, quand je leur ai posé la question, que les empêchements à choisir, y compris sur la question du Libre, venaient de plusieurs éléments. Voilà ce qu’elles ont cité :
le manque de connaissance d’autre chose que Windows, Microsoft ou l’OS d’Apple ;
en deuxième trait, elles ont dit la flemme, la paresse de changer ses habitudes ;
le fait que les logiciels et systèmes de ces grandes structures capitalistes sont très ludiques. Elles parlaient de la belle apparence, en tout cas attirante parce que tablant sur une ergonomie, des couleurs, un design qu’on peut aimer ;
d’autres ont cité le fait de vouloir faire comme les autres, d’appartenir à un groupe ;
et enfin, la phrase que j’ai relevée : « Nous aussi on veut faire comme les riches ! »
Elles ont vraiment décrit les choses ainsi, ce sont leurs mots. Je leur ai répondu : « OK, si vous savez tout cela, si vous pouvez l’exprimer ainsi, lors d’une réunion comme celle-ci, pourquoi continuer ? ». Du coup, on a pu échanger et discuter sur les façons possibles de s’entraider sur chacun des sujets identifiés par elles.

J’ai trouvé qu’elles étaient plutôt puissantes là-dessus, pas de faux-fuyants, mais avec beaucoup de choses non sues ou de réflexes que certaines personnes peuvent avoir, pas tout le monde. Par exemple, pourquoi laisser un wifi tout le temps connecté ? Quelle incidence ça a ? Au-delà des applications alléchantes, quel monde veut, par exemple, un dirigeant d’un Google ou d’un Amazon ? ; même la question ne leur était pas venue, elles ont été surprises que je la leur pose. À quoi participe-t-on en utilisant des applications qui surveillent et pistent ? Mais aussi, une application de type Uber ou Deliveroo, quand on l’utilise, qu’est-ce qu’on fait quand on se fait servir comme cela, par d’autres ? Et pourquoi peut-on ne pas changer de matériel, ordinateur ou téléphone, aussi rapidement et ne pas répondre aux appels dragueurs des compagnies ?

Ce dernier exemple me permet de faire le lien avec autre chose.

Sur la partie reconditionnement, réparations, etc., Antanak a beaucoup de travail. Du coup, j’ai un second petit sujet pour ma chronique, dont on reparlera sans doute le 10 octobre, lors du deuxième mardi du mois d’octobre, mais je voulais l’annoncer dès maintenant. Mais vous, à l’April, vous savez sans doute que les 20, 21 et 22 octobre auront lieu les Journées Nationales de la Réparation, organisées par HOP, Halte à l’Obsolescence Programmée. Je voulais lire un petit texte qu’ils ont écrit pour présenter cette chose et parce que ça me paraît important : « Le constat est sans appel : il est urgent de réduire nos déchets et de limiter l’exploitation des ressources naturelles pour préserver notre environnement. L’obsolescence accélérée des produits repose sur un modèle de société consumériste et productiviste, développé depuis les années 1960 et qui est aujourd’hui devenu insoutenable. L’allongement de la durée de vie de nos produits par la réparation est un outil efficace pour répondre à cette urgence écologique, pour revenir à plus de sobriété et de justice sociale. »

C’est vrai que le recours à la réparation se généralise, on voit de plus en plus la multiplication des initiatives citoyennes dans les Repair Cafés, ce que l’on appelle les Tiers- Lieux, les associations de quartier, les fab labs, les ressourceries, les recycleries, etc., et même dans les grandes enseignes de bricolage ou dans les magasins. Quelques initiatives gouvernementales : la loi AGEC [Loi anti-gaspillage pour une économie circulaire], le bonus réparation, l’indice de réparabilité, etc., et des initiatives du secteur privé qui se multiplient : des services après-vente, des offres de réparation, etc. Cependant, là je cite des chiffres de l’ADEME, même si nous sommes apparemment 81 % à avoir une bonne image de la réparation, seulement 33 % d’entre nous font réparer leurs objets, quels que soient les objets, les ordinateurs sont aussi dans le lot.

Il est donc temps de lever les freins à la réparation et d’encourager le passage à l’action !

C’est l’occasion de sensibiliser également des élu·es, les citoyens petits, grands, aux enjeux de la réparation en participant à des ateliers manuels, des animations, des conférences, etc. Du coup on réfléchit, à Antanak, à ce qu’on va pouvoir proposer, au-delà de nos murs et de ce que nous faisons d’ores et déjà au quotidien. On se dit qu’on va peut-être faire des ateliers en même temps que d’autres membres, d’autres structures du réseau Refis, on ne sait pas.
En tout cas, c’est un événement qui nous paraît pas mal, 20,21, 22 octobre. On en reparlera le mois prochain.

Étienne Gonnu : Super. Et on partagera les références sur le site, si vous voulez effectivement trouver plus d’informations sur ces Journées de la réparation organisées par Halte à l’Obsolescence Programmée
Merci beaucoup, Isabelle, pour cette belle chronique de rentrée. On se retrouve le 10 octobre, donc à très bientôt.

Isabelle Carrère : Absolument. Merci.

Étienne Gonnu : Belle journée à toi. Nous allons à présent faire une pause musicale.

[Virgule musicale]

Étienne Gonnu : Après la pause musicale nous parlerons de collectivités et de mutualisation.
Nous allons écouter La ville par ZinKaRo. On se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : La ville par ZinKaRo.

Voix off : Cause Commune, 93.1.

Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter La ville par ZinKaRo, disponible sous licence libre Creative Commons Partage dans les mêmes conditions, CC BY SA.

[Jingle]

Étienne Gonnu : Nous allons passer sujet suivant.

[Virgule musicale]

Le SITIV avec Stéphane Vangheluwe, directeur général, et Pierre-Alain Millet, président

Étienne Gonnu : Nous allons poursuivre par notre sujet principal, un échange avec le SITIV, le Syndicat Intercommunal des Technologies de l’Information pour les Villes, un Opérateur Public de Services Numériques de mutualisation qui met en œuvre des compétences et des moyens techniques au service des communes adhérentes.
Je reçois pour cela, à distance, par téléphone, Pierre-Alain Millet, président du SITIV, conseiller de la métropole de Lyon et adjoint au maire de Vénissieux. Bonjour Pierre-Alain, je crois que vous êtes avec nous.

Pierre-Alain Millet : Bonjour.

Étienne Gonnu : Et Stéphane Vangheluwe, directeur du SITIV, membre du bureau de Déclic et membre du CA de l’ADULLACT [Association des Développeurs et Utilisateurs de Logiciels Libres pour les Administrations et les Collectivités Territoriales], dont on attend l’appel, qui devrait nous rejoindre, je l’espère, d’un moment à l’autre.
Comme d’habitude, n’hésitez pas à participer à notre conversation. Vous pouvez nous rejoindre sur le salon web dédié à l’émission, sur le site causecommune.fm, bouton « chat », et si vous avez des questions je les relaierai du mieux que je peux.
Pierre-Alain, vous êtes toujours avec nous ?

Pierre-Alain Millet : Je suis toujours là.

Étienne Gonnu : Je vous ai présenté très sommairement. Vous êtes président du SITIV. Vous pouvez peut-être vous présenter de manière un peu plus complète et nous préciser également quel est votre rapport au logiciel libre, comment vous l’avez découvert et quels liens vous entretenez avec cette question.

Pierre-Alain Millet : En fait je suis informaticien de métier, par ailleurs jeune retraité. J’ai donc travaillé dans l’informatique, dans le développement, puis dans les systèmes d’information en entreprise privée, puis comme enseignant à l’INSA de Lyon. Dans cette longue histoire, j’ai fait comme plein de gens, j’ai essayé de toucher un peu à tout, ouvrir un ordinateur, essayer de comprendre, faire des expériences de Linux et puis essayer de se débarrasser des outils Microsoft, ce qui n’est jamais simple, et surtout, dans mes activités militantes, en essayant d’entraîner autour de moi la vie associative et militante, ce qui n’est pas simple du tout parce que, comme le disait d’ailleurs l’intervenante avant la pause musicale, dans les milieux populaires, des fois ce n’est pas forcément ce qu’on fait le plus vite. La pression marketing des grands éditeurs est très forte.

Étienne Gonnu : Entendu. Vous nous parlez de votre parcours militant par rapport au logiciel libre et ça nous expliquera sans doute aussi, ça éclairera le parcours du SITIV par rapport au logiciel libre.
La régie me fait signe, je crois que Stéphane Vangheluwe nous a rejoints. Bonjour Stéphane, vous êtes bien avec nous ?

Stéphane Vangheluwe : Bonjour. La technique a réussi à me brancher.

Étienne Gonnu : Je vais lever un petit peu le voile. On a eu quelques difficultés, en amont de l’émission, pour bien se coordonner. J’ai le plaisir de recevoir à la fois Stéphane et Pierre-Alain.
Stéphane, je vous ai présenté comme président du SITIV. Vous êtes également membre du bureau de Déclic, que vous pourrez nous présenter rapidement ainsi que membre du CA de l’ADULLACT, vous teniez à le préciser, je le comprends bien. Est-ce que vous souhaitez développer un peu cette présentation et, vous aussi, nous préciser quel lien vous entretenez avec le logiciel libre et comment vous avez découvert cette question ?

Stéphane Vangheluwe : Je suis d’abord un fonctionnaire territorial, dans la fonction publique depuis les années 80, en ayant eu un certain nombre d’expériences privées au milieu de ma carrière. Dès le début de ma carrière, j’ai travaillé dans la mutualisation des systèmes numériques pour le compte des habitants, dans une communauté urbaine à l’époque. Je commence donc à avoir un petit peu de boutique, on va dire, dans l’informatique ou les systèmes d’information des collectivités territoriales.
Le logiciel libre. Dans les années 2000, j’ai la chance de découvrir une jolie région qui est la Drôme, la ville de Romans-sur-Isère où je prends la direction informatique en même temps qu’un certain nombre d’élus démarrent leurs nouveaux mandats et souhaitent développer, politiquement, un certain nombre de solutions libres.
Dès ces années-là, la découverte d’une association importante, l’association ADULLACT, l’association pour le développement des logiciels libres dans les collectivités territoriales. On fait connaissance. Très vite la ville de Romans-sur-Isère devient adhérente. Très vite nous déployons, déjà à l’époque, des solutions de bureautique libres pour la totalité des agents de la collectivité, donc très tôt.
Différents détours dans ma carrière professionnelle pour arriver à la mutualisation de services numériques plus structurés au sein d’opérateurs publics de services numériques. Qu’est-ce que c’est que cette terminologie ? C’est une terminologie pour dire que nous sommes des acteurs publics, nous œuvrons pour le compte de collectivités locales et uniquement sur une seule action, le numérique, et nous sommes là pour opérer la mutualisation de ces services qui demandent de plus en plus de moyens, coûtent de plus en plus cher et surtout, requièrent de plus en plus de compétences technologiques.
Peut-être le dernier élément, l’association Déclic qui est une fédération d’opérateurs publics de services numériques, comme le SITIV, au niveau national. Vous pouvez trouver de l’information sur cette association sur asso-declic.fr. Nous sommes une soixantaine d’opérateurs publics en France. Nous représentons plus de 50 % de la population française, beaucoup plus de 50 % des communes françaises, plutôt des acteurs créés par des agences techniques départementales, des centres de gestion ou même à l’initiative de communes, des syndicats intercommunaux. Nous œuvrons uniquement pour les collectivités territoriales, donc des mairies.

Étienne Gonnu : Entendu. Je crois qu’on retiendra, et je l’ai annoncé en introduction, que le mot clé de notre échange sera « mutualisation », c’est revenu régulièrement dans votre propos, à juste titre.
Vous avez commencé à préciser et à dessiner ce qu’est un syndicat intercommunal ou un Opérateur Public de Services Numériques, un OPSN pour les intimes. Je vous laisserai peut-être compléter, si vous le jugez utile, sur ce qu’est un syndicat intercommunal, mais je pense que c’est déjà clair. Peut-être qu’on peut s’intéresser plus précisément à ce qu’est le SITIV, que ce soit en termes d’historique, quels en sont les membres, où est votre assise territoriale, quelle est sa gouvernance, etc. Qui souhaite ouvrir ce sujet ? Pierre-Alain.

Pierre-Alain Millet : Peut-être parce que c’est moi qui ai la plus longue histoire du SITIV.
Le SITIV a commencé comme un centre de calcul, mutualisé justement, entre des communes à l’origine sur la base de couleurs politiques, il faut être clair. Les choses ont évolué et on a élargi progressivement le champ de la mutualisation.
Dans les années 90, c’était un sujet de tension entre le développement de la micro-informatique et l’idée que peut-être tout le monde pouvait en faire, donc chacun faisait de son côté, et puis, très vite, le fait qu’il y avait des enjeux qui poussaient à la mutualisation. C’est la mutualisation qui a gagné dans l’histoire, au fil des années. On est d’ailleurs arrivé à une situation très positive pour tous les acteurs de l’agglomération lyonnaise : la création d’une entente. Au-delà des huit communes du SITIV dont les plus grandes sont Vénissieux et Vaulx-en-Velin, on a construit une entente avec la métropole Grand Lyon, quand même 1 500 000 habitants et la Ville de Lyon pour développer une plateforme commune qui était le résultat d’un appel à projet du plan de relance numérique, un projet significatif qui nous permet aujourd’hui de mutualiser à une très large échelle une plateforme sur les outils collaboratifs – messagerie, bureautique –, basée uniquement sur des logiciels libres.

Étienne Gonnu : Super. Très clair. Stéphane, vous souhaitez compléter ?

Stéphane Vangheluwe : Si je devais compléter et sortir de l’aspect purement local : au vu du nombre de collectivités présentes en France et de leurs différences de taille, de population, de moyens, de richesses, il a semblé important, même à l’État, de favoriser une homogénéité ou une accélération du développement du numérique dans les collectivités de plus petite taille, en essayant de favoriser ce mouvement de la mutualisation. Les enjeux d’accélération des calendriers de la transformation numérique nous obligent à être hyper-réactifs, donc à concentrer nos moyens.

Étienne Gonnu : Très bien.
J’aimerais peut-être qu’on ouvre une très légère parenthèse, je pense que le sujet va intervenir, mais on en parlera plus précisément en fin d’émission. Vous avez précisé votre assise géographique, là où est le cœur de métier du SITIV, on va développer là-dessus, mais vous avez également développé ce que vous appelez une entente avec Lyon et la métropole Grand Lyon, qui sont vraiment des collectivités importantes, qui partagent votre territoire. Il y a un notamment un projet qui s’appelle Territoire Numérique Ouvert, dans lequel on rentrera en détail en fin d’émission, mais comme je pense qu’on va y revenir, que ce sera peut-être évoqué assez régulièrement pendant notre échange, en une minute ou deux, pouvez-vous nous présenter cette entente et ce qu’est ce projet TNO, Territoire Numérique Ouvert ?, je pense que ça pourrait être utile et intéressant. Pierre-Alain, nous vous écoutons.

Pierre-Alain Millet : Je l’évoquais tout à l’heure. L’entente c’est effectivement, à l’origine, un appel à projet France Relance, plan numérique, auquel le SITIV a souhaité être candidat. Comme on avait conscience qu’à l’échelle nationale l’échelle de mutualisation coordonnée par le SITIV, avec huit communes de 100 000 habitants, ce n’était pas énorme, on a cherché à rentrer en contact avec la métropole de Lyon pour être à une échelle de mutualisation bien plus large. On a donc répondu à cet appel à projet pour développer une plateforme, un portail d’outils collaboratifs mis à disposition des agents et des élus de l’ensemble de ces collectivités. On visait, en gros, 30 000 utilisateurs de la messagerie, d’outils collaboratifs, de messagerie instantanée, de bureautique collaborative, etc. Nous avons eu la chance d’être retenus sur un projet de plus de deux millions de financements publics, donc de pouvoir développer très rapidement une plateforme à une grande échelle, avec des conditions de robustesse très élevées, de sécurité très élevées et qui est en cours de déploiement dans l’ensemble des collectivités.
Nous appelons le projet Territoire Numérique Ouvert. Le nom ne précise pas que c’est lyonnais parce que, potentiellement, cette plateforme doit pouvoir être réplicable et même étendue ailleurs. On peut donc accueillir de nouveaux acteurs autour de cette plateforme.

Étienne Gonnu : C’est le but de la mutualisation et c’est aussi tout l’intérêt d’utiliser des logiciels libres que de permettre justement cette multiplication et cet essaimage technique.
Je parle de mutualisation, c’est un peu le cœur du sujet, on l’a dit, lorsqu’on parle d’un syndicat intercommunal comme le SITIV. Il serait sans doute intéressant et utile de s’arrêter un peu sur cette notion : qu’est-ce que la mutualisation et pourquoi cette question est-elle aussi importante quand on parle des pouvoirs publics, des personnes publiques ? Ça englobe énormément d’aspects, la question est très large. Dans un premier temps, de manière un peu concise, comment présentez-vous cette question de la mutualisation et après on va rentrer dans le détail des sujets ? Pourquoi est-ce si important ? Stéphane, allez-y.

Stéphane Vangheluwe : Je vais commencer et je laisserai Pierre-Alain compléter.
Dans notre domaine particulier du numérique, les compétences techniques sont un enjeu de plus en plus important, un enjeu qui est difficilement accessible aux collectivités petites et moyennes. Il devient donc essentiel, pour les collectivités concernées, de pouvoir accéder facilement à toutes ces compétences et en confiance.
Ce qu’attendent nos adhérents, les membres de notre mutualisation, du rôle du SITIV, c’est essentiellement la mise à disposition de ressources humaines qui permettent une mise à disposition sécurisée, facilitée, accélérée des services à la fois aux agents des collectivités territoriales, mais aussi aux citoyens, donc de ne pas se faire distancer, de pouvoir suivre l’accélération permanente de ce mouvement numérique, qu’on peut d’ailleurs contester ou ne pas ne pas contester, le cas échéant.
Peut-être que la mutualisation c’est aussi, et c’est peut-être important de le noter dans le monde du numérique, une mutualisation neutre. Nous sommes des spécialistes du numérique, nous ne faisons pas de politique, nous ne cherchons pas du tout à mutualiser une politique du système d’information, mais bien plutôt des moyens.
Peut-être le dernier élément : la mutualisation c’est compliqué. Ça se fait mieux et ça se fait beaucoup plus facilement avec des structures d’expérience identique, de taille identique.
Ce qui est peut-être original dans ce projet d’entente intercommunale Territoire Numérique Ouvert c’est que c’est la première fois que ça se fait à cette échelle-là, entre une ville de très grande importance, la ville de Lyon, entre une métropole et un syndicat intercommunal de collectivités, un OPSN. Nous sommes donc en train d’essayer d’inventer, avec parfois des difficultés, une gouvernance qui permet de faire agir des gens avec beaucoup de moyens, des gens avec moins de moyens et des gens dont c’est le métier de faire du numérique au quotidien.

Étienne Gonnu : Je vais juste me permettre une remarque avent de laisser Pierre-Alain réagir.
Vous avez dit que c’est neutre, j’entends très bien et je comprends très bien la distinction que vous faites. C’est vrai qu’à l’April on aime beaucoup rappeler que les questions relatives au technique sont éminemment politiques par elles-mêmes et le choix de s’appuyer aussi sur des structures de mutualisation est une vraie question politique, mais je comprends que ce n’est pas la question et la mission spécifique du SITIV qui répond, finalement, aux choix politiques faits par les communes qui adhèrent, si je ne déforme pas votre propos.
Pierre-Alain, je vous laisse réagir à cette question de l’importance de l’enjeu.

Pierre-Alain Millet : Bien évidemment que l’enjeu de la mutualisation est un enjeu politique. Après, concrètement, même si le SITIV a une origine d’une couleur politique, aujourd’hui je fais voter un budget avec des villes de plein de couleurs politiques différentes, qui se mettent d’accord sur le budget du STIV. C’est en sens-là, je pense, que Stéphane disait que le SITIV est un outil neutre politiquement ; c’est d’abord un outil technique et de moyens, mais évidemment que l’enjeu de la mutualisation est politique.
Pour être un peu brutal, peut-être, pour une collectivité locale il n’y a que deux manières de s’affronter à l’enjeu des compétences qui sont mobilisées dans le numérique.
La première c’est de faire appel au privé avec, effectivement, une dépendance très forte à des acteurs privés qui eux, parfois, vont mutualiser à très large échelle. J’ai connu l’infogérance dans le privé, ils vont mutualiser à une large échelle en rendant la collectivité dépendante et avec tous les risques d’interopérabilité. On ne peut pas, non plus, avoir un seul fournisseur privé de tous les services numériques, en réalité on en a plusieurs et les enjeux d’interopérabilité, de choix de normes, vont peser et rendre difficiles l’évolution et la maîtrise des systèmes.
Au contraire, la mutualisation entre acteurs publics joue un rôle qui est effectivement très politique. Elle permet de construire une compétence numérique capable de « rivaliser », entre guillemets, avec les plus gros acteurs privés, rivaliser n’est peut-être pas le mot puisqu’en fait on les utilise, ce sont nos partenaires – évidemment qu’on travaille avec plein d’acteurs privés –, mais on travaille en construisant une capacité de maîtriser les plateformes, les outils, les choix techniques et surtout de les mettre au service de leur déploiement.
J’utilisais un proverbe comme enseignant, je ne sais pas s’il a beaucoup de valeur : il n’y a pas de valeur dans le code, il n’y en a que dans les usages du code. Les usages, les pratiques, le travail concret de l’ensemble des agents des collectivités, c’est ça le véritable enjeu, donc déployer ces plateformes, l’ensemble des services numériques pour qu’ils créent de la valeur dans le travail des agents, dans la relation agents/usagers, ça suppose effectivement de maîtriser ces outils et c’est ce que la mutualisation entre collectivités peut permettre de construire. On a évidemment des compétences, au SITIV, qu’aucune des communes du SITIV ne pourrait acquérir seule et la collaboration avec la métropole, dans l’entente intercommunale, est évidemment un accélérateur de ce point de vue.

Étienne Gonnu : Super. On va peut-être se poser la question plus concrètement de comment le SITIV met en œuvre cette mutualisation.
Vous avez parlé d’interopérabilité qui est effectivement une autre notion absolument essentielle, indissociable, à mon sens, de la question de la mutualisation, je vous laisserai peut-être préciser. En somme, l’interopérabilité c’est la capacité des systèmes d’information à pouvoir communiquer sans difficulté entre eux et ça se base sur des normes, des standards ouverts dont on connaît les spécifications techniques. Peut-être que vous pourriez nous apporter votre éclairage sur cette notion d’interopérabilité. Stéphane.

Stéphane Vangheluwe : Peut-être que je vais donner un premier point de vue un peu décalé.
Le premier sujet, l’interopérabilité, c’est un souhait du client, ça n’est pas forcément un souhait du fournisseur qui lui, bien au contraire, va préférer enfermer ses différents clients dans des standards plus ou moins fermés, qui vont permettre de monopoliser le chiffre d’affaires et rendre le client, collectivité territoriale, beaucoup plus captif.

Pierre-Alain Millet : Stéphane, à la décharge du fournisseur privé, il faut dire que c’est aussi une manière de réduire les coûts, parce qu’on sécurise, on réduit quand même des risques, du point de vue de l’acteur privé.

Stéphane Vangheluwe : Je partage et très vite on se rend compte que dans le cadre du public, on est amené à faire des consultations, des appels d’offre pour choisir nos fournisseurs, donc on est fatalement amené à faire jouer le jeu de la concurrence. Pour faire jouer le jeu de la concurrence, il faut garantir la capacité à avoir une interopérabilité entre l’ensemble des systèmes d’information. Pour moi, l’interopérabilité c’est le premier enjeu opérationnel.
Le second, c’est que quand on construit un système d’information, on rajoute progressivement des morceaux, des pièces, des compléments et fatalement, pour rendre tout cela utilisable à la fois par l’habitant ou par l’agent, il faut assurer une certaine cohérence de bout en bout, il faut assurer une certaine dématérialisation de bout en bout, il faut assurer une transversalité. Pour assurer tout cela, chacun d’entre nous a très certainement choisi une stratégie qui doit être au centre et cette stratégie qui doit être au centre, c’est la capacité de l’ensemble des solutions de pouvoir communiquer entre elles, ne serait-ce pour, à la fin, que nous soyons maîtres de nos données, qui est très certainement le pétrole de nos activités, la valeur ajoutée et ce sur quoi nous sommes tous en train de construire la gouvernance à venir de nos collectivités. On parle d’intelligence artificielle, mais dans les collectivités, sans maîtrise de la donnée, on ne pourra rien faire.

Donc pour moi mutualisation, interopérabilité, gouvernance de la donnée, transversalité, sont des sujets qui doivent être gérés tous en même temps. Peut-être que je rajouterais un dernier gros mot qui serait tout simplement « souveraineté ».

Étienne Gonnu : Effectivement qui regroupe, qui est maintenant le terme valise pour intégrer tous ces sujets, la question de la souveraineté numérique qui va varier en fonction de qui parle. Si on parle de maîtrise des systèmes d’information, dans cette idée-là on voit bien comment mutualisation, interopérabilité, transversalité, comme vous l’avez très bien dit, s’intègrent et deviennent des critères essentiels pour garantir cette maîtrise.

Je vais me permettre, et vous n’avez pas dit le contraire, mais je vais préciser. Vous avez parlé d’acteurs privés qui, pour sécuriser cherchent à enfermer, on va dire, leurs clients, du moins cherchent à les contraindre à utiliser un certain standard. On peut quand même rappeler qu’il y a un tissu économique vibrant et très fort d’entreprises qui font du logiciel libre, qui s’appuient sur l’interopérabilité, qui n’utilisent que des standards ouverts. Il y a des modèles économiques basés là-dessus qui sont tout à fait viables, qui fonctionnent, qui répondent du coup aussi aux impératifs pour les pouvoirs publics, à certains impératifs d’intérêt général.

Du coup je parle de logiciel libre, je fais cette transition. On sait qu’au SITIV le logiciel libre fait partie de votre stratégie, c’est pour cela qu’on échange aujourd’hui, d’ailleurs vous avez été récompensé, à ce sujet, dans le cadre du label Territoire Numérique Libre, vous avez obtenu le plus haut niveau, on va y revenir rapidement plus tard. Quelle place occupe, pour vous, le logiciel libre dans l’objectif de mutualisation et d’interopérabilité ? Stéphane.

Stéphane Vangheluwe : Une place stratégique. Tout d’abord, peut-être une petite incartade. Effectivement, éditeur privé n’est pas antagoniste avec respect des standards, bien heureusement, et, de temps en temps, respect de standards ouverts. D’autant plus que, dans certains cas, la réglementation ou les lois nationales imposent un certain nombre de standards. Peut-être que c’est un mouvement dans lequel il faut que l’État français, de plus en plus, se positionne pour légiférer et imposer des réglementations et des standards ouverts, je crois que le législateur est à la manœuvre et qu’il le fait de plus en plus.

Le logiciel libre nous permet d’avoir une relation tout à fait différente dans la gouvernance et dans le tissu économique qui gère ce logiciel libre, qui repose effectivement, pour la plupart, sur la vente de prestations humaines, d’études, de recherche et la coconstruction de solutions pour un plus grand nombre.
La gouvernance des solutions libres n’est pas forcément toujours plus simple, d’autant plus que les modèles sont très variés.
En tout cas, pour ce qui concerne le SITIV, et sur un certain nombre de solutions stratégiques, toutes les solutions qui sont au cœur du processus de dématérialisation des documents, pour une part, toutes les solutions qui sont aujourd’hui au cœur du processus de collaboration avec notre projet de Territoire Numérique Ouvert, mais aussi sur un certain nombre d’outils métiers – et là je peux quand même faire apparaître que malheureusement la concurrence sur les outils métiers des collectivités territoriales n’est pas toujours très présente, que les solutions libres ne sont pas toujours très présentes, il en existe très peu en gestion financière et en gestion des ressources humaines des collectivités territoriales, par exemple –, en tout cas pour le choix du SITIV c’est à chaque fois la meilleure solution qui permettra, en plus, d’avoir une gouvernance dans le long terme, avec une petite préférence pour les solutions libres à partir du moment où leur gouvernance n’est pas compliquée, nous avons opté pour des solutions libres de manière proactive. Ce sont parfois des choix difficiles à expliquer à nos propres adhérents, ce sont des choix volontaires qui ne sont pas toujours simples à mettre en œuvre.

Étienne Gonnu : Vous parlez de choix proactif. C’est important de rappeler que le Conseil d’État, déjà en 2011, validait le fait qu’on peut faire des commandes publiques portant spécifiquement sur un logiciel libre, parce que les qualités intrinsèques du logiciel libre garantissent l’égalité d’accès au marché public en cause, ce qui permet à des collectivités, à des syndicats intercommunaux comme le SITIV, de faire un choix proactif pour utiliser certains logiciels libres parce que ça répond, en fait, au cœur de leur mission.

Stéphane Vangheluwe : Vous pouvez rajouter à cela le fait que l’État, la Direction du numérique, le service de l’État qui s’occupe de coordonner la stratégie numérique au niveau national, en coordination avec les collectivités territoriales, favorise l’utilisation de ces solutions mutualisées, développe un certain nombre de solutions libres à l’initiative de l’État ou de collectivités territoriales. Le catalogue des solutions commence à être vraiment fourni.
Peut-être une petite remarque sur le tissu des PME ou PME à taille un peu plus importante présentes sur ces marchés : il existe, il est présent, il est de plus en plus organisé, il a encore un peu de mal à rivaliser avec les grandes multinationales, je pense que tout le monde en conviendra, mais c’est aussi le rôle de la puissance publique d’aider ce tissu à se mettre en place, à se coordonner et à proposer des solutions dédiées aux collectivités territoriales.

Étienne Gonnu : Très bien.
Avant la pause musicale, je vous propose peut-être de préciser ce que vous entendez par gouvernance et les difficultés potentielles de gouvernance, les questions de gouvernance autour du logiciel libre. C’est vrai qu’on a l’habitude de ces sujets, la réponse paraît évidente, mais je pense qu’elle ne l’est pas forcément pour tout le monde et, si vous souhaitez préciser, je vous invite à le faire.

Stéphane Vangheluwe : Dans les environnements logiciel libre, peut-être en termes de gouvernance opérationnelle, pas de gouvernance politique, on se retrouve, en fonction des solutions libres, avec des modèles qui sont :
un logiciel libre a été créé à l’initiative d’un éditeur privé qui a donc une économie à gérer autour de cette solution libre, qui propose des services ;
ensuite, assez souvent, on trouve des modèles où il y a une forme de cogestion d’acteurs privés ;
on peut trouver des modèles où le logiciel est complètement libre avec des acteurs qui coproduisent de façon plus ou moins gratuite, plus ou moins volontaire sur ces projets.
En fait, les modèles sont vraiment très différents dans la capacité à influer sur la stratégie d’évolution, la roadmap du produit proposé.

Étienne Gonnu : Je pense que vous avez mis le doigt sur la question centrale. Je vous ai posé une question difficile. Je comprends le point de vue d’un opérateur comme le SITIV. Cette pluralité, cette multiplicité des profils des communautés qui existent autour des logiciels libres peut effectivement être une difficulté lorsqu’on fait ce choix volontaire du logiciel libre dans la manière dont les décisions sont prises.
Pierre-Alain, je crois que vous souhaitiez réagir avant qu’on fasse la pause musicale.

Pierre-Alain Millet : J’entends ces difficultés. Dans le cas d’un syndicat intercommunal qui est au service de communes, donc les communes restent maître d’ouvrage de leur stratégie numérique et de leurs choix. On travaille pour favoriser la mutualisation.
Aujourd’hui, si le SITIV a clairement fait le choix du logiciel libre, qu’il le développe partout où il peut, notamment dans ses infrastructures, on n’a jamais dit à nos communes « dorénavant nous ne ferons plus que du logiciel libre ». Sur chaque projet, notamment sur certains projets métiers où il y a peu, il n’y a pas d’acteurs, il n’y a pas de solutions en logiciel libre, ce n’est évidemment pas possible.
De manière générale, on travaille avec les communes et c’est bien l’expression des attentes et des besoins d’abord métiers qui construit la décision de mutualisation. Le Libre vient après en disant « dans les critères d’évaluation des offres, il y a des offres libres ».
Le point de départ reste quand même la réponse aux besoins métiers qui sont portés par les communes. Dans ce contexte, le SITIV n’est pas le décideur seul, il est le décideur qui coordonne la décision commune des communes.

Étienne Gonnu : Très bien, ça me paraît clair. Justement, après la pause musicale, on va parler plus concrètement des services, des usages que vous proposez aux collectivités membres.
Je vous propose de faire une pause musicale. Restez bien en ligne avec nous, Stéphane, Pierre-Alain, on se retrouve juste après dans à peu près trois minutes. Nous allons écouter You’ll Never Walk Alone par RMSTM. On se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : You’ll Never Walk Alone par RMSTM.

Voix off : Cause Commune, 93.1.

Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter You’ll Never Walk Alone par RMSTM, disponible sous licence libre Creative Commons Attribution, CC BY.
Merci encore au site Au bout du fil pour cette belle découverte, d’ailleurs je vous invite à découvrir la présentation de l’artiste et du morceau sur leur site. Vous trouverez, comme d’habitude, le lien sur la page de l’émission. Je vous en lis un extrait, je cite : « Qui se cache derrière ce mystérieux pseudonyme RMSTM ? L’auteur de You’ll Never Walk Alone s’appelle Thomas Chary, il vient d’Annecy. Pour lui, la musique n’est pas un métier mais une passion. […] You’ll Never Walk Alone est une musique tellement originale, tellement unique, qu’il me semble difficile de la classer dans un style musical. Quoi qu’il en soit, on ne peut que reconnaître qu’elle est fortement inspirée de l’univers de la musique country. On retrouve la guitare acoustique, la voix grave et profonde des chanteurs de country et surtout, la thématique de la conquête de l’Ouest et de la ruée vers l’or. »

[Jingle]

Étienne Gonnu : Je suis Étienne Gonnu de l’April et nous discutons avec Stéphane Vangheluwe et Pierre-Alain Millet, respectivement directeur et président du SITIV, le Syndicat Intercommunal des Technologies de l’Information pour les Villes, un Opérateur Public de Services Numériques de mutualisation qui met en œuvre des compétences et des moyens techniques au service des communes adhérentes.
N’hésitez pas à participer à notre conversation en vous connectant sur le salon web dédié à l’émission, sur site causecommune.fm, bouton « chat ».

D’ailleurs, comme le titre de la chanson l’évoque, You’ll Never Walk Alone, les communes qui mutualisent n’avancent pas seules sur le chemin… J’aurais dû préparer cette métaphore en avance, en tout cas je pense que vous avez l’idée.
On a parlé de cet enjeu de la mutualisation, de pourquoi le SITIV s’appuie sur le logiciel libre dans cette perspective. Je pense qu’il serait intéressant de regarder un peu plus concrètement ce que le SITIV offre en termes de mutualisation aux communes adhérentes, en termes de compétences, de logiciels, de services, les questions d’hébergement. C’est un sujet qui est assez vaste. Vous avez, peut-être, des exemples précis qui vous semblent emblématiques, nous serons ravis de les entendre. Stéphane, peut-être, puisque vous êtes directeur du SITIV.

Stéphane Vangheluwe : Première remarque : le catalogue des services proposés par le SITIV, comme le disait Pierre-Alain tout à l’heure, est en permanence coconstruit avec les adhérents. Ce sont les demandes des adhérents qui permettent d’alimenter régulièrement et d’enrichir ce catalogue des services.
On peut dire aussi qu’une des vocations du SITIV c’est d’être à l’écoute du phénomène de transformation et d’anticiper les demandes, donc de se préparer à répondre à des demandes qui n’ont pas encore émergé de ces mêmes adhérents.
Concrètement parlant, le budget du SITIV est une première façon de lire ce qu’est le catalogue de services. C’est un budget de ressources humaines, donc de mise à disposition de spécialistes. Qui sont ces spécialistes ? Des ingénieurs systèmes qui gèrent l’hébergement de l’ensemble des services fournis ; des ingénieurs sécurité, responsables de la sécurité des systèmes d’information, donc pour la partie purement technique ; toute une partie de services d’accompagnement, donc là des chefs de projet, des gens qui font du support et qui assistent en permanence les agents des collectivités et/ou leurs élus, mais également des agents qui gèrent des actions de formation, de transfert de compétences.
Ces mêmes agents sont là également pour accompagner en permanence l’amélioration du dispositif, c’est peut-être ce qui nous distingue le plus du secteur privé : nous ne sommes pas là pour répondre à des commandes, mais bien pour conduire, vérifier, améliorer, orienter, compléter notre catalogue de services.
Cela sur la partie purement humaine.

Si je rentre un petit peu plus dans le catalogue de services opérationnels, la première chose que nous demandent nos collectivités ce sont bien des services pour permettre à leurs organisations de vivre, donc des services métiers, verticaux, répondre aux métiers des collectivités locales : la compta, la paye, le cimetière, l’état-civil, les élections, l’enfance, la voirie, etc., donc tous les domaines métiers. Ceux que nos collectivités locales abordent sont nombreux et ils ont besoin, assez souvent, d’être accompagnés par un système d’information.
De nombreux métiers ont beaucoup besoin d’interopérabilité, de cohérence à travers tout ça, surtout quand on va chercher à cacher cette complexité auprès du citoyen. Un des gros enjeux du SITIV, c’est donc de mettre à disposition et de réfléchir à la mise à disposition, auprès du citoyen, de l’ensemble de ces services.

Vous avez compris des systèmes internes, des systèmes externes à vocation du citoyen, on va parler de gestion de la relation au citoyen, c’est un gros mot pour dire que nos collectivités s’organisent pour avoir des centres d’appel qui permettent d’avoir une vision simplifiée de l’ensemble des services rendus par les collectivités, et qui ne sont pas que numériques, heureusement, auprès de ces agents. On parle de démocratie participative ; on parle de vote électronique ; toute la partie qui va nous amener également à améliorer et fluidifier la transmission de l’information, donc le gros mot qui parle de dématérialiser la circulation de l’information à l’intérieur même de la collectivité, voire à l’extérieur. On va parler d’échanges avec l’État, d’échanges avec les différentes structures de l’État qui sont obligatoirement sécurisés ; on va parler de parapheur électronique, on va parler de coffre-fort électronique, on va parler d’archivage électronique. J’oublie le gros pavé qui concerne aujourd’hui la collaboration en ligne et qui fait l’objet d’un projet, chez nous, depuis plus de trois ans, donc Territoire Numérique Ouvert, la collaboration entre les agents et les élus de façon dématérialisée et en ligne.
Peut-être une anecdote sur le sujet, c’est plus qu’un sujet d’actualité. Le Covid est passé par là et, en quelques semaines, il a fallu continuer à faire travailler les équipes sans qu’elles soient présentes au bureau. Ce sont des habitudes qui se sont pérennisées, qui se sont organisées, qui ont aussi besoin de temps en temps d’allier des aspects purement humains et là c’est peut-être Pierre-Alain qui fera là un retour sur ce sujet-là. Il n’est pas question de supprimer tous les accueils ni même la présence humaine.

Donc de l’hébergement, du réseau, de la sécurité, des services numériques et, au-dessus de tout cela, pour que tout cela fonctionne, des gens, des hommes, des chefs de projet, des ingénieurs, des spécialistes qui animent et qui coordonnent. Voilà, si je devais résumer l’offre du SITIV.

Étienne Gonnu : Merci. J’avais en tête que la question était très vaste et je pense que vous avez fait une synthèse très complète. On voit à quel point ce périmètre de mutualisation est très important et également très divers.
Pierre-Alain, je vous laisse la parole, en plus Stéphane vous a sollicité pour compléter son propos.

Pierre-Alain Millet : C’était un appel un peu facile ! Bien évidemment, il y a un enjeu citoyen : le numérique ne doit pas être un outil d’exclusion, un outil de division des habitants, il doit être le contraire. On a une formule, une « numérique inclusif », qui est une expression qui est un peu ambiguë, on ne voit pas bien dans quoi il faut inclure et qui il faut inclure. En tout cas, on sait qu’on ne veut pas exclure et, de ce point de vue, la réalité sociale, humaine, c’est que les usagers du service public ont besoin de rencontrer des agents, ils ont besoin d’être reçus, ils ont besoin d’être écoutés et, quand on habite dans une grande ville populaire, on ressent fortement la réalité de la fracture numérique et c’est un vrai défi. Effectivement, beaucoup d’administrations françaises, beaucoup de services publics, ont massivement dématérialisé à tel point qu’un inscrit à Pôle emploi, qui n’est pas capable de fournir les pièces justificatives d’une situation, est vite en difficulté. D’ailleurs les collectivités locales déploient des services d’accompagnement, on dit parfois d’écrivains numériques, pour aider les usagers. C’est un vrai défi et, au-delà de la grande diversité des métiers et des services que le SITIV apporte, qui continueront à évoluer, peut-être qu’un jour on parlera de téléphonie avec plus beaucoup de différence entre les réseaux IP et la téléphonie, peut-être qu’un jour on parlera d’objets connectés, etc., il y a donc plein d’autres sujets qui peuvent se développer en fonction des souhaits de mutualisation des villes ; effectivement, peut-être que sur le plan de cette stratégie, cette dimension d’un numérique pour tous – je préfère ça à inclusif – et évidemment d’un numérique sécurisé. On connaît tous les risques qui sont liés au numérique et je pense que c’est d’ailleurs presque le premier enjeu du SITIV d’alerter tous les acteurs, les collectivités, les élus, les agents et les usagers, sur les risques auxquels on peut être confronté, donc à la nécessité de bonnes pratiques. S’il y a, bien sûr, des enjeux technologiques de compétences dans la sécurité, le premier des enjeux c’est quand même que les usagers soient attentifs, c’est le grand classique du mot de passe écrit sur un Post-it collé sur l’écran.
Le dernier point, c’est effectivement un numérique souverain, ça a été dit. C’est là que le choix du logiciel libre arrive parce qu’on a besoin d’assurer le public, les usagers, les agents et les élus que dans nos applications il n’y ait ni rentes scandaleuses, ni portes dérobées. De ce point de vue, l’ouverture du code source est évidemment un enjeu du Libre.

Étienne Gonnu : Parfaitement. Je vois que le temps avance. En plus, Stéphane, vous avez à nouveau évoqué, dans les exemples de vos actions, ce projet de TNO, Territoire Numérique Ouvert. J’aimerais vous laisser le temps d’en parler parce que ce projet est très intéressant et ambitieux. Je trouve assez emblématique que le SITIV, et pas que le SITIV, contribue à ce projet. Est-ce que vous voulez entrer un peu plus dans le détail de l’importance de ce projet, en rappeler un peu aussi l’historique ? On rappellera que c’est un projet conduit notamment avec Lyon et le Grand Lyon. Je le redis parce que j’avais eu notamment le plaisir de recevoir un représentant et une représentante de ces deux collectivités, on avait échangé sur leurs pratiques par rapport au logiciel libre dans le Libre à vous ! 162, donc libreavous.org#162, si vous souhaitez retrouver le podcast de cette émission.
Qui souhaite reprendre la parole sur ce projet TNO, Territoire Numérique Ouvert ? Stéphane.

Stéphane Vangheluwe : Je vais commencer, j’étais à la genèse de ce projet auquel nous croyions assez peu au départ et qui a eu la chance d’émerger. Vous vous souvenez du contexte du plan France Relance : l’État souhaite mettre de l’argent dans l’économie à destination des prestataires du privé, donc de l’économie, et dans l’ensemble des objectifs à atteindre, un objectif de création de communs numériques ou d’amélioration des systèmes d’information numériques des collectivités territoriales. Un appel à projet est lancé par l’État avec deux organismes, la Direction interministérielle du numérique et l’Agence nationale pour la cohésion territoriale, avec beaucoup d’argent en jeu et des délais très courts pour y répondre.
Le SITIV était, à ce moment-là, bien présent et en cours de réflexion sur plein de sujets différents, avec l’aide d’un certain nombre de partenaires de l’association Déclic que je dois remercier parce que nous avons été fortement soutenus sur ce projet par l’association Déclic. L’idée c’était d’essayer de repérer ce dont manquent les collectivités territoriales. Le sujet du bureau virtuel, dématérialisé, libre, souverain, collaboratif, sécurisé et toute une série de mots de ce type-là est apparu et nous avons construit, à partir d’une expérience pragmatique, opérationnelle : qu’est-ce que nous n’avons pas et qu’aimerions-nous avoir ? On a constaté qu’on avait un certain nombre de solutions de dématérialisation, un certain nombre de solutions de gestion d’identité, un certain nombre de solutions de collaboration et toutes celles-là étaient fortement appuyées déjà sur un socle libre à l’époque et que nous aurions aimé travailler sur deux axes : l’extension importante de ce socle pour qu’il y ait beaucoup plus d’agents et d’élus du territoire, et non plus simplement du SITIV, pouvant accéder à ce dispositif et en mesure de collaborer ; le deuxième axe était comment pouvons-nous rendre tout cela beaucoup plus facile pour l’agent des collectivités territoriales, beaucoup plus interopérable, beaucoup plus ergonomique ; et enfin, peut-être le troisième axe, qui était présent dès le départ : comment pouvons-nous faire bénéficier de ce projet un maximum de collectivités sur le territoire, mais aussi, pourquoi pas, en dehors du territoire et au niveau national.
Très vite le projet a été soutenu par nos partenaires de la ville de Lyon et de la métropole, ce projet n’aurait pas pu être retenu sans leur soutien.
Le travail on va dire de construction de la cohérence du projet a commencé très rapidement, il a pris du temps : quels outils ? Sur quel modèle de gouvernance entre ces trois collectivités territoriales ? Sur quel modèle de conventionnement ? Sur quel modèle de financement ? Sur quel modèle technique : qu’est-ce qu’on partage et qu’est-ce qu’on ne partage pas ? On a eu vraiment la chance d’une cohérence globale de nos visions et vraiment la volonté forte de nos élus d’arriver, d’atteindre l’objectif.
Il y a maintenant deux ans que le projet est en route et on a la chance de toujours travailler ensemble et d’arriver aux premières mises en production à l’échelle des 30 000 utilisateurs.
Je vais laisser Pierre-Alain compléter ce début de présentation.

Pierre-Alain Millet : Peut-être avec un élément quand même. Je pense utile de remercier la vice-présidente de la métropole, Émeline Beaume, qui a permis que ce projet se réalise. Bien évidemment la métropole, grande collectivité, pouvait éventuellement considérer qu’elle pouvait réaliser tous ces projets par elle-même. Le fait qu’elle choisisse de le faire avec d’autres est un choix qui n’était pas évident. Je la remercie très sincèrement.
Et peut-être donner un point de vue, comme ça, d’un élu, autour de cette idée que porte le portail, d’une entente fiable de territoire, d’une identité de territoire sécurisé.
Je suis élu dans une commune, à la métropole, je participe à un certain nombre de structures publiques émanant de ces collectivités et il y a des systèmes d’information un peu partout, je suis donc authentifié de différentes manières à différents endroits. Quand je vais arrêter mes activités, dans les grosses collectivités, la métropole, la commune, mon compte va évidemment être géré, désactivé, etc., mais ce n’est pas si simple partout ailleurs. Être sûr qu’une personne authentifiée, interagissant avec un système d‘information, soit bien la bonne personne, lui simplifier la vie pour qu’elle ne soit pas amenée à se reconnecter à chaque fois avec des comptes différents, gérés de façons différentes, c’est un vrai sujet. C’est un vrai sujet à la fois de sécurité, d’ergonomie aussi, de favoriser les usages. De ce point de vue, ce projet qui permet progressivement d’intégrer l’ensemble des applications dans un portail avec une authentification sécurisée unique, à l’échelle d’un territoire potentiellement, donc associant d’autres acteurs que chacune des collectivités, c’est un vrai défi et potentiellement il y a vraiment un enjeu important de ce point de vue-là.

Étienne Gonnu : Très bien. Sans trop rentrer dans les détails, parce que je pense que c’est le piège, après, de partir dans des considérations techniques, mais, pour les gens que ça intéresse, peut-être donner quelques illustrations de choix de logiciels ou de choix de solutions que vous avez pu retenir dans le cadre de ce Territoire Numérique Ouvert. Je pense que ça peut intéresser une bonne partie de notre auditorat.

Stéphane Vangheluwe : Si on le fait par grandes missions de ce projet, quatre grandes missions :
une première mission d’hébergement, avec un choix original même dans l’hébergement de stockage en solution libre de type S3, donc stockage mode objet avec une solution qui s’appelle OpenIO, une société française, du Nord de la France qui a été rachetée par OVH il y a quelque temps ;
sur la partie gestion de l’identité, on a fait confiance à un acteur qui a travaillé avec la Gendarmerie nationale pour développer l’identité et le portail de la Gendarmerie nationale, qui a conçu une solution qui s’appelle LemonLdapNG. Peut-être, en complément de ce que présentait Pierre-Alain tout à l’heure sur l’identité, avec la volonté de réussir à faire quelque chose qui ressemble au processus AgentConnect qui est le processus d’identité sécurisé que tous les agents des ministères ont à leur disposition pour rentrer dans le système d’information et que les ministères ont réussi à faire de façon centralisée. Malheureusement, le dispositif n’existe ni pour les élus, ni pour les agents des collectivités territoriales. J’en profite pour dire qu’on soutient le fait de demander à l’État de nous aider à créer ce dispositif qui serait un AgentConnect territorial ;
en termes de messagerie électronique collaborative, qui est la troisième mission, on est parti sur un acteur qui n’est malheureusement pas un acteur français, mais qui est fortement présent sur le marché du Libre, qui s’appelle Zimbra ;
en termes de collaboration en ligne, on a eu à faire à un système de visio que tout le monde connaît, qui s’appelle Jitsi, à un système de partage de documents en ligne autour des outils Nextcloud et OnlyOffice pour l’édition en ligne ;
peut-être un acteur qu’il faut mettre en avant, qui est acteur original de la région lyonnaise, qui s’appelle Watcha, qui propose quelque chose d’assez original : intégrer dans une seule interface graphique, donc de rendre les choses plus faciles pour l’utilisateur, la visio Jitsi, le partage de documents Nextcloud et de la messagerie instantanée Matrix, tout cela autour d’une solution unique s’appelant Watcha ;
et puis une solution de gestion de formation en ligne, également avec un acteur régional qui s’appelle Chamilo.
J’allais dire le dernier acteur que je vais lister, qui nous permet de mettre de l’interopérabilité à travers tous ces systèmes – première interopérabilité l’identité commune dans tous ces systèmes, deuxième interopérabilité, la capacité à intégrer toutes ces solutions avec des solutions de dématérialisation – c’est l’éditeur Libriciel, très connu dans les collectivités territoriales, qui fait du parapheur, de l’archivage électronique et du service de télétransmission pour les collectivités territoriales.
Voilà en gros le schéma.

Étienne Gonnu : Très complet. Vous avez cité de nombreuses solutions, de nombreux logiciels, on les listera, vous pourrez retrouver les liens vers ces références sur la page de l’émission.
Le temps file, c’est passionnant, malheureusement nous sommes à la radio, nous sommes donc contraints par l’horaire. J’aimerais quand même laisser à chacun une minute, deux minutes au maximum, si vous pouvez tenir en une minute ce serait super pour nous préciser chacun quels sont les points essentiels que vous souhaitez que les personnes retiennent de cet échange. Stéphane, puisque vous avez la parole, vous pouvez rester sur votre lancée.

Stéphane Vangheluwe : Je vais plaider pour la mutualisation. La mutualisation n’est pas un dispositif encore aujourd’hui naturel dans les collectivités territoriales pour le numérique. Je disais tout à l’heure 60 structures fédérées à travers une fédération qui s’appelle Déclic, mais seulement 60 structures alors qu’il y a plus de 100 départements en France.
Si vous êtes un élu, que vous m’entendez, que vous êtes persuadé que la mutualisation permet d’accélérer la numération et la modernisation de votre collectivité, œuvrez pour découvrir l’acteur local, sinon pour favoriser sa création. La mutualisation peut avoir de nombreuses formes, ce n’est pas forcément une structure départementale, ce n’est pas forcément un syndicat intercommunal ; toute forme de mutualisation a du sens et doit être poussée à son extrême, il faut vraiment réussir à mutualiser à une échelle large.
La gouvernance de notre politique numérique est liée à notre capacité à passer à une échelle suffisamment importante et seule la mutualisation permet d’atteindre cette échelle. C’est là où cette mutualisation a un sens politique important, en dehors d’avoir un sens économique important.
Mutualisation, mutualisation, mutualisation.
Peut-être un sujet qu’on n’a pas abordé et que je vais aborder en cinq secondes : la transformation numérique ne se fera pas sans les agents des collectivités territoriales. La formation n’est pas suffisante, la formation et l’implication de ces agents en leur donnant du sens sur leurs missions et les amenant à accompagner la numérisation plutôt qu’à la subir. Beaucoup de formation, encore et toujours plus.

Étienne Gonnu : Vous avez bien fait de prendre le temps de le mentionner. C’est vrai que c’est un point que nous n’avons pas mentionné. Je vois le temps avancer, vous avez bien fait de prendre ce temps. Je pense que cette question de l’implication des agents, en fait de partir notamment des personnes qui mettent en œuvre les services publics, puisque nous parlons de cela, est absolument essentielle. Vous avez bien fait de le repréciser.
Je me permets de passer la parole à Pierre-Alain pour un propos conclusif également.

Pierre-Alain Millet : En prenant un peu de recul et quand même un mot un peu politique.
L’enjeu du logiciel libre, pour les collectivités, par rapport aux enjeux du numérique et aux risques associés, parce qu’il y a beaucoup d’intérêts, évidemment, sur la transition numérique, mais il y a aussi beaucoup de risques, beaucoup d’inquiétudes. C’est vrai que quand on voit un certain nombre de choses, quand on voit le développement de l’intelligence artificielle et de ce qui se dit sur le fait qu’on va trouver des choses qui vont être plus efficaces, sur tous les sujets, que l’humain, quand on écoute un directeur du développement de Google, le célèbre Ray Kurzweil, qui parle de « chimpanzés du futur » en parlant de ceux qui n’accepteront pas d’être augmentés numériquement, tous ces enjeux des risques liés au numérique créent la possibilité de fractures importantes dans la société. Donc la maîtrise par le logiciel libre, mutualisé, des collectivités locales de ce déploiement du numérique au service des agents et des usagers est évidemment essentielle, y compris d’ailleurs pour démontrer la capacité citoyenne à maîtriser l’ensemble de ces outils.

Étienne Gonnu : Merci. Très belle conclusion.
Un grand merci à Stéphane Vangheluwe, directeur du SITIV, à Pierre-Alain Millet, président du SITIV, le Syndicat Intercommunal des Technologies de l’Information pour les Villes. Merci pour les actions du SITIV, pour son engagement pour le logiciel libre. On ne l’a pas redit, mais vous avez gagné le label Territoire Numérique Libre, vous étiez au niveau 3 en 2021, vous avez atteint le niveau 5 un an plus tard, témoignant ainsi votre forte progression, la réalité de votre engagement pour les libertés informatiques.
Un grand merci à vous deux. Je vous souhaite une excellente fin de journée.

Stéphane Vangheluwe : Merci beaucoup.

Pierre-Alain Millet : Bonne journée

Étienne Gonnu : Je vous propose de passer directement à notre sujet suivant.

[Virgule musicale]

Chronique « Lectures buissonnières » de Vincent Calame - Semences : une histoire politique, partie 1

Étienne Gonnu : Vincent Calame s’est installé avec moi en studio. Vincent, est-ce que tu as passé un bel été ?

Vincent Calame : Oui, tout à fait.

Étienne Gonnu : Super. Vincent, ça fait déjà plusieurs saisons, puisque nous entrons maintenant dans la septième saison de Libre à vous !, que tu nous proposes des chroniques. D’abord une chronique qui s’appelait « Jouons collectif » dans laquelle tu partageais avec nous de choses vues, entendues, vécues autour de l’usage des logiciels libres au sein des collectifs, que ce soit associations, mouvements, équipes en tous genres. La saison dernière tu nous as proposé une chronique sur la « Sobriété numérique ». Pour cette nouvelle et septième saison de Libre à vous !, tu nous proposes une nouvelle chronique.

Vincent Calame : Oui, tout à fait. Son nom c’est « Lectures buissonnières ». L’idée en est simple, il s’agit de vous faire partager la lecture d’ouvrages de toutes sortes : essais en sciences sociales, livres d’histoire, manifestes, thèses, mais aussi, pourquoi pas, œuvres de fiction, sans axe prédéfini quant aux thèmes abordés, avec comme seul clause dans le cahier des charges : faire le lien, à un moment ou un autre de la chronique, entre le thème de l’ouvrage et le sujet qui nous intéresse à cette antenne, à savoir le Libre.

Bon, comme le Libre touche tous les aspects de la société, l’éventail de lectures possibles est très large. Nous ne risquons donc pas d’épuiser de si tôt le propos et, bien sûr, toute suggestion de lecture est la bienvenue. Je précise dès maintenant que je vous parlerai de sujets dont je ne suis nullement spécialiste. Je peux très bien vous sortir des énormités, soit que j’ai mal lu ou mal compris, hypothèse très probable, soit que l’ouvrage lui-même défende des thèses controversées. Que les auditrices et auditeurs n’hésitent pas à me les signaler, je corrigerai le tir au cours d’une chronique suivante. Mais bon, si on ne parlait que des sujets qu’on maîtrise parfaitement, les discussions s’assécheraient très vite !

Étienne Gonnu : Comme je disais en introduction de l’émission, on se veut une émission vivante, qui passe aussi par les contributions de nos auditeurs et auditrices.
Quel est le premier ouvrage dont tu vas nous parler ?

Vincent Calame : Pour ouvrir le bal de ces chroniques, je me propose de vous présenter le livre Semences : une histoire politique de Christophe Bonneuil et Frédéric Thomas, paru en 2012 aux éditions Charles Léopold Mayer, autrement appelées les ECLM, et disponible gratuitement sur le site des ECLM. Vous pouvez aussi vous le procurer chez votre libraire préféré. Vous retrouverez le lien vers l’ouvrage sur le site de l’émission.
Les deux auteurs sont deux chercheurs et cet ouvrage est la réécriture à destination d’un plus large public de leur ouvrage plus académique intitulé Gènes, pouvoir et profits. Recherche publique et régimes de production des savoirs de Mendel aux OGM, paru aux éditions Quae.

Étienne Gonnu : Avant d’entrer dans le vif du sujet, tu peux peut-être aborder dès maintenant le lien entre semences et logiciel libre.

Vincent Calame : Effectivement et je vais faire, pour cela, une petite digression ; je sens qu’il y aura souvent des digressions dans cette chronique. Les auditrices et auditeurs fidèles de cette émission ont déjà entendu parler de la notion de « communs numériques », d’ailleurs, un de nos intervenants a également utilisé ce terme. C’est un joli terme qui permet de regrouper à la fois les logiciels libres et les ressources libres, comme Wikipédia, tout en mettant en avant l’aspect communautaire de ces projets. Pour approfondir la question, je vous renvoie notamment à l’émission Libre à vous ! n°144, du 17 mai 2022, qui avait les communs numériques comme sujet principal.

Cette notion de communs numériques ne vient pas de nulle part, mais d’un mouvement plus vaste de renaissance des communs depuis une vingtaine d’années, grâce, en particulier, aux travaux d’Elinor Ostrom, économiste récompensée en 2009 par un prix Nobel. Cependant, il y a une différence de taille entre les communs numériques et les biens communs traditionnels tels qu’étudiés par Elinor Ostrom. En effet, la question centrale des biens communs traditionnels, c’est celle du partage d’une ressource rare : débit d’un fleuve, temps de pâturage dans des prairies, prélèvements de bois dans une forêt. Ce sont des biens qui se divisent en se partageant : l’eau pompée ne peut irriguer qu’un seul champ. Au contraire, les communs numériques sont des biens qui se multiplient en se partageant : si j’installe un logiciel libre sur ton ordinateur, je ne suis pas obligé de le supprimer sur le mien. Du fait de cette différence énorme, les comparaisons entre biens communs ne sont pas forcément pertinentes.

C’est là que les semences, notre sujet, entrent en scène. Sélectionnées de génération en génération par l’humanité depuis la révolution agricole du Néolithique, il y a des milliers d’années, elles sont considérées, à juste titre, comme un commun, mais ce n’est pas une ressource rare, car la nature est prolifique. Ouvrez une citrouille et vous verrez que le nombre de graines est bien supérieur à ce qui vous est nécessaire pour en replanter la saison suivante. Si la citrouille est belle et particulièrement adaptée à votre sol et à votre climat, vous pouvez largement faire profiter vos voisins de vos talents de sélectionneur en partageant vos graines sans être lésé.

Autrement dit, pour reprendre ma classification précédente, les semences sont aussi des biens qui se multiplient en se partageant, tout comme les communs numériques. Du coup, la comparaison ne semble, à priori, plus beaucoup plus pertinente.
Il est de toute façon intellectuellement séduisant d’établir des parallèles entre, d’un côté, les communs numériques, les communs d’apparition la plus récente dans l’histoire de l’humanité et, de l’autre côté, ce qui constitue un des trésors les plus anciens de l’humanité, les semences.

L’heure tourne et je n’ai pas encore abordé l’ouvrage lui-même. Je vous propose de le faire dans ma chronique suivante, le mois prochain. Sans déflorer le sujet, vous verrez que sur les questions de privatisation, de brevets, de prise de pouvoir par les multinationales, il y a beaucoup de choses dans l’histoire des semences qui font écho aux défis qu’affronte le logiciel libre.

Étienne Gonnu : Quel suspense pour la deuxième partie de ta nouvelle chronique !
Merci beaucoup, Vincent. On se retrouve, comme tu l’as dit, en octobre, pour les plus impatients et impatientes, nous partagerons la date de la partie 2 de ta chronique 2 dès qu’elle sera fixée.

Vincent Calame : Merci.

Étienne Gonnu : Je te souhaite une belle fin de journée Vincent.
Nous approchons de la fin de l’émission, nous allons terminer par quelques annonces.

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Quoi de Libre ? Actualités et annonces concernant l’April et le monde du Libre

Étienne Gonnu : Vous faites quoi ce soir ? Si vous vous êtes toujours demandé comment nous traitions les podcasts de Libre à vous !, nous vous en ouvrons les coulisses. Ce soir, de 21 heures à 22 heures 30, nous vous proposons une visioconférence pour échanger avec Samuel Aubert, membre de l’équipe podcast de Libre à vous !. Il va montrer comment il édite, avec le logiciel libre Ardour, une émission pour la transformer en podcast diffusable en ligne. L’échange devrait être disponible plus tard sous format vidéo.

L’April participe de nouveau à la Fête de l’Huma, la Fête de l’Humanité, qui aura lieu les 15, 16 et 17 septembre 2023. Nous tiendrons un stand dans l’espace numérique Yann Le Pollotec qui sera situé dans le tout nouvel scientifique. Dans cet espace numérique nous défendrons un numérique de liberté et de solidarité en dehors de l’emprise des GAFAM.

Vous connaissez Debian ? Bien sûr, vous connaissez Debian, un des plus importants systèmes d’exploitation en ligne qui fait, entre autres, tourner les serveurs et les ordinateurs de l’équipe salariée de l’April et de l’April en général. Figurez-vous que Debian fête ses 30 ans ! L’April est fière d’accueillir dans ses locaux un apéro pour célébrer ce bel anniversaire. Il aura lieu le vendredi 22 septembre 2023, à partir de 19 heures, dans les locaux de l’April, dans le 14e arrondissement de Paris. Il est ouvert à toute personne, utilisatrice ou non de Debian, occasion de découvrir ce système d’exploitation libre et la communauté de personnes qui le fait vivre.

Si, malheureusement, vous n’êtes pas disponible le 22 septembre, vous pouvez vous rattraper le 29. Vendredi 29 septembre l’April organise son apéro mensuel, toujours dans son local. Tout le monde y est le bienvenu. Début des festivités à 19 heures.

Comme d’habitude, je vous invite à consulter le site de l’Agenda du Libre, agendadublibre.org, pour trouver des évènements en lien avec les logiciels libres et la culture libre près de chez vous ainsi qu’un annuaire des associations locales qui font vivre les libertés informatiques.

Notre émission se termine.

Je remercie les personnes qui ont participé à l’émission : Isabelle Carrère pour Antanak, Stéphane Vangheluwe et Pierre-Alain Millet du SITIV, ainsi que Vincent Calame pour sa nouvelle chronique.
Aux manettes de la régie aujourd’hui, Frédéric Couchet accompagné par Booky en formation régie.
Merci également aux personnes qui s’occupent de la post-production des podcasts : Samuel Aubert, que vous pourrez d’ailleurs retrouver ce soir, Élodie Déniel-Girodon, Lang1, Julien Osman, bénévoles à l’April, et Olivier Grieco, le directeur d’antenne de la radio.
Merci aux personnes qui découpent le podcast complet en podcasts individuels par sujet : Quentin Gibeaux, bénévole de l’April, et mon collègue Frédéric Couchet

Vous retrouverez sur notre site web, libereavous.org, toutes les références utiles ainsi que le site de la radio, causecommune.fm. N’hésitez à nous faire des retours pour indiquer ce qui vous a plu mais aussi des points d’amélioration. Vous pouvez nous poser toute question et nous y répondrons directement ou lors d’une prochaine émission. Toutes vos remarques et questions sont les bienvenues à l’adresse contact chez libreavous.org.
Si vous préférez nous parler, vous pouvez nous laisser un message sur le répondeur de la radio, pour réagir à l’un des sujets de l’émission, partager un témoignage, partager vos idées, vos suggestions, vos encouragements ou pour nous poser une question. Le numéro du répondeur est le 09 72 51 55 46.

Nous vous remercions d’avoir écouté l’émission. Si vous avez aimé émission, n’hésitez pas à en parler le plus possible autour de vous et à faire connaître également la radio Cause Commune, la voix des possibles.

La prochaine émission aura lieu en direct mardi 19 septembre à 15 heures 30. Notre sujet principal portera sur les systèmes numériques et la justice sociale.

Nous vous souhaitons de passer une belle fin de journée. On se retrouve en direct mardi 19 septembre et d’ici là, portez-vous bien.

Générique de fin d’émission : Wesh Tone par Realaze.