Émission Libre à vous ! diffusée mardi 30 janvier 2024 sur radio Cause Commune Sujet principal : Jeux de rôle libres


Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Isabella Vanni : Bonjour à toutes. Bonjour à tous.
Jeux de rôle libres, c’est le sujet principal de l’émission du jour. Avec également au programme la chronique « Les transcriptions qui redonnent le goût de la lecture » de Marie-Odile Morandi sur « Comprendre le numérique », première conférence du triptyque de Louis Derrac, et aussi la chronique « À cœur vaillant, la voix est libre » de Laurent et Lorette Costy sur le thème « Ecballium, cucurbitacine et Firefox ».
Nous allons parler de tout cela dans l’émission du jour.

Soyez les bienvenu·e·s pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission qui vous raconte les libertés informatiques, proposée par l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Je suis Isabella Vanni, coordinatrice vie associative et responsable projets à l’April.

Le site web de l’émission est libreavous.org. Vous pouvez y trouver une page consacrée à l’émission du jour avec tous les liens et références utiles et également les moyens de nous contacter. N’hésitez pas à nous faire des retours ou à nous poser toute question.

Nous sommes mardi 30 janvier 2024, nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.

À la réalisation de l’émission, Magali Garnero, alias Bookynette. Salut Booky.

Magali Garnero : Salut Isa.

Isabella Vanni : Nous vous souhaitons une excellente écoute.

[Jingle]

Chronique « Les transcriptions qui redonnent le goût de la lecture » de Marie-Odile Morandi - « Comprendre le numérique », première conférence du triptyque de Louis Derrac

Isabella Vanni : Les choix, voire les coups de cœur de Marie-Odile Morandi, qui met en valeur des transcriptions dont elle conseille la lecture, c’est la chronique « Les transcriptions qui redonnent le goût de la lecture » de Marie-Odile Morandi, animatrice du groupe Transcriptions de l’April. C’est une chronique écrite par Marie-Odile et mise en voix par Laure-Élise Déniel, bénévole à l’April, qui est aussi la voix des jingles de Libre à vous !.
Le thème du jour : « Comprendre le numérique », première conférence du triptyque de Louis Derrac.

[Virgule sonore]

Marie-Odile Morandi, avec la voix de Laure-Élise Déniel :Bonjour, chers auditeurs et auditrices de l’émission Libre à vous !, de ses podcasts, vous qui fréquentez peut-être aussi le site Libre à lire !

Louis Derrac se présente comme un acteur indépendant et militant de l’éducation au numérique. Il a tenu, en ligne, un cycle de trois conférences, au printemps 2023. Il souhaite, par ce modeste exercice de vulgarisation, dit-il, affirmant qu’il n’est ni expert ni conférencier professionnel, former les citoyens d’une société numérique à un sujet, le numérique, qui, selon lui, est aujourd’hui beaucoup trop mal compris et pas du tout assez politisé, afin d’envisager des pistes pour le faire évoluer à divers niveaux.
La progression est logique : pour transformer le numérique et aller vers autre chose, il faut pouvoir le critiquer, que la critique soit positive ou négative et, pour critiquer le numérique, il faut le comprendre.
Je souhaitais donc présenter ces trois conférences respectivement intitulées « Comprendre le numérique », « Critiquer le numérique », « Transformer le numérique », soulignant que tout ce qui concerne ces conférences est partagé sous licence libre sur le site de Louis Derrac.

Aujourd’hui, la chronique « Les transcriptions qui redonnent le goût de la lecture » portera sur la première conférence « Comprendre le numérique ».

À la base, le mot numérique était un adjectif qui permettait de qualifier tout objet, toute chose qui relevait des nombres. On parle de calcul numérique ; on calcule sur des nombres.
L’adjectif numérique est ensuite devenu un terme technique ; il a fini par qualifier des objets techniques qui diffusent de l’information sous forme de nombres.
Cet adjectif s’est étendu pour parler de choses diverses : économie, société, transformation, dépassant ainsi les questions techniques.
Et, phénomène marquant, en tout cas dans la langue française, cet adjectif s’est substantivé, c’est-à-dire qu’il est devenu le propre sujet. On parle maintenant « du numérique », mais il est très compliqué de dire « le numérique » quand on parle de choses aussi différentes qu’un réseau social comme Facebook, d’une plateforme comme Wikipédia, d’un ordinateur ou d’une intelligence artificielle. Ce numérique est présent à tous les moments de notre vie, si bien que l’on parle parfois de « fait social total ».

Au cours de cette conférence, « Comprendre le numérique », Louis revient de façon détaillée sur l’histoire de l’ordinateur partant de l’énorme supercalculateur de 1945 dont la seule fonction, au départ, était de calculer. Petit à petit, les progrès techniques ont permis une miniaturisation des éléments, accompagnée d’une baisse des coûts, si bien que dans les années 80, les ordinateurs se commercialisent auprès du grand public. L’arrivée de l’iPhone, en 2007, appelé ordiphone par certains, permet de démocratiser et de massifier cet ordinateur, petit par la taille et désormais dans presque toutes les poches.
Aujourd’hui, on se retrouve tous connectés les uns aux autres grâce au réseau Internet avec, à disposition, le Web, opportunité pour toutes et tous de créer du contenu dans tous les domaines – écriture, musique, vidéo – et de le partager, participant ainsi à une augmentation et à une diversification de l’offre culturelle. D’ailleurs, Louis nous demande de voir cette conférence comme une invitation à la curiosité, à la sérendipité, cette manière de naviguer de site en site grâce aux hyperliens caractéristiques du Web.

Le numérique, ce sont des objets proches de nous – smartphones, tablettes, enceintes connectées, routeurs wifi, télés connectées –, mais aussi des câbles sous-marins, des antennes, toutes les infrastructures réseau et les centres de données. À ce sujet, Louis rappelle que le cloud n’existe pas, c’est toujours l’ordinateur de quelqu’un d’autre, donc, bien matériel lui aussi.
Il mentionne les logiciels, systèmes d’exploitation et applications, soulignant que la plupart de nos usages se font désormais par l’intermédiaire du navigateur.
Cet ensemble de révolutions techniques et de technologies auxquelles nous avons un accès pratiquement illimité, partout et tout le temps, a permis une augmentation du pouvoir d’agir individuel, une capacité à publier et à partager de l’information très largement, une capacité aussi à s’organiser collectivement, sans limites spatio-temporelles.
Être équipé, c’est être connecté et, être connecté, c’est être sociabilisé, particulièrement sur les réseaux sociaux.

Les propos d’Aaron Swartz, en 2012, militant des libertés numériques et martyr de cette cause, sont rappelés pour nous questionner : « Tout le monde a un droit de parole, mais qui doit être entendu ? Est-ce que tout le monde mérite d’être entendu de la même façon ? ». En effet, à qui donne-t-on la parole et en fonction de quoi ?

Louis ne manque pas de citer la célèbre expression Liberté, Égalité, Fraternité, notre devise, par laquelle Richard Stallman résumait la philosophie du logiciel libre, et qui fait écho à la non moins célèbre expression de Lawrence Lessig, Code is law, « Le code fait la loi ». Aujourd’hui, quand on utilise un logiciel, quand on est sur une plateforme, on se soumet aux décisions de quelqu’un d’autre, c’est-à-dire les programmeurs et les programmeuses qui ont pensé, conçu et développé ce logiciel. À partir du moment où les logiciels qu’on utilise façonnent autant notre vision du monde, n’est-il pas impensable qu’on n’ait pas plus de liberté sur ce code ?, la liberté de le lire, de le comprendre, certes, pas forcément chacun d’entre nous, mais les développeurs et programmeurs de la communauté du Libre, cette belle image de fraternité.
Le message est clair : il faut vraiment questionner le contrôle démocratique des gens qui font le code, qui programment, parce que ce sont elles et eux qui font aujourd’hui la loi.

Louis fait référence à Isabelle Collet, chère à l’April : « Les personnes qui développent sont essentiellement des hommes blancs, de milieux socioprofessionnels favorisés, donc, logiquement, ils ont développé un numérique non inclusif », ajoutant que ce sont souvent des Américains, avec un système de valeurs américain, forcément ! Le numérique qu’ils ont développé n’est certes pas inclusif, il est biaisé par leur vécu, par leur genre, par leur rapport au monde. Ce n’est donc pas du tout un numérique qui convient à l’entièreté de la population.

En conclusion de cette première conférence, « Comprendre le numérique », Louis rappelle que le numérique est une somme d’inventions techniques qui sont le fruit de leur époque et il insiste : « c’est très matériel ».
Le numérique n’est pas neutre, c’est un objet politique porteur de nombreux enjeux économiques, sociaux et philosophiques, mais aussi des enjeux d’urgence environnementale et de justice sociale prégnants dans nos sociétés. Ces thèmes sont développés dans les conférences suivantes, « Critiquer le numérique » et « Transformer le numérique », dont nous traiterons dans les prochaines chroniques.

N’hésitez pas à lire, voire relire, la transcription de cette première conférence de Louis Derrac. Tous les liens sont à votre disposition sur la page de l’émission d’aujourd’hui et sur le site libreavous.org.

[Virgule sonore]

Isabella Vanni : Il s’agissait, bien entendu, d’une chronique préenregistrée.
Nous allons maintenant faire une pause musicale.

[Virgule musicale]

Isabella Vanni : Après la pause musicale, nous parlerons de jeux de rôle libres, le sujet principal de l’émission d’aujourd’hui.
Pour l’instant, nous allons écouter Hitman’s Lovesong feat Paola Graziano par The Freak Fandango Orchestra. On se retrouve dans environ trois minutes. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : Hitman’s Lovesong feat Paola Graziano par The Freak Fandango Orchestra.

Voix off : Cause Commune, 93.1.

Isabella Vanni : Nous venons d’écouter Hitman’s Lovesong feat Paola Graziano par The Freak Fandango Orchestra, disponible sous licence libre Creative Commons, CC By SA 3.0.
Les pauses musicales d’aujourd’hui ont été choisies par Luk. Merci de nous avoir fait découvrir ce joli morceau.

[Jingle]

Isabella Vanni : Passons maintenant au sujet suivant.

[Virgule musicale]

Jeux de rôle libres, avec Amaury Bouchard, Sébastien Célerin de XII Singes et Ludovic Schurr. Échange mené par Luk

Isabella Vanni : Nous allons poursuivre par notre sujet principal qui porte aujourd’hui sur les jeux de rôle libres.
N’hésitez pas participez à notre conversation au 09 72 51 55 46 ou sur le salon web dédié à l’émission, sur le site causecommune.fm, bouton « chat ».
Ce sujet a été préparé et sera animé par Luk.
Avant de laisser la parole que j’ai une annonce importante à faire. Comme ailleurs, la domination masculine est un problème dans le monde informatique et dans les communautés libristes. Pour ne pas entretenir ce statu quo, l’équipe éditoriale de Libre à vous !, dont je fais partie, a une politique explicite, inscrite dans sa charte éditoriale, visant à favoriser l’intervention, donc la valorisation des femmes présentes dans le monde du Libre. Cela veut dire, concrètement, prendre le temps de chercher des femmes compétentes sur un sujet et les encourager à intervenir, le cas échéant.
Lors de la préparation de cette émission, j’étais convaincue d’avoir demandé à Luk de trouver au moins une personne femme à inviter pour parler des jeux de rôle libres. Je me suis rendu compte seulement il y a quelques jours, donc trop tard, que j’avais oublié de lui transmettre cette consigne. Je souhaite présenter mes excuses pour cette erreur auprès de notre public.
Passons maintenant au sujet principal de l’émission d’aujourd’hui : jeux de rôle libres. À toi la parole Luk. Salut.

Luk : Merci et bonjour.
Nous allons parler aujourd’hui de jeux drôles et de licences libres. Avant de présenter nos invités, je vais cadrer un petit peu le sujet.
Nous parlons de jeux de rôle sur table ou jeux de rôle papier crayon, c’est-à-dire une activité ludique qui se déroule autour d’une table avec un meneur de jeu, des joueurs, des dés la plupart du temps, et ce genre de choses. Le jeu de rôles est édité, il y a donc des auteurs qui vont écrire des jeux de rôle, les publier et certains d’entre eux vont faire le choix de les publier sous licence libre et, parfois, sous des licences pas tout à fait libres. C’est de cela dont nous allons parler aujourd’hui.
Autour de la table, nous avons Sébastien Célerin qui est éditeur de jeux de rôle, sa maison d’édition s’appelle XII Singes. For The Story est une autre activité d’édition dont il va nous parler un peu plus en détail.
Nous avons également Amaury Bouchard qui tient le site rolis.net. Ce site propose beaucoup de choses, notamment une bibliothèque de jeux rôle sous licence libre et sous licence libre moins libre, en tout cas de jeux de rôle légalement téléchargeables gratuitement, des scénarios multijoueurs sous licence libre qu’il édite lui-même, pour lesquels il va chercher des auteurs et également un magazine papier qui s’appelle Rolis Mag et un logiciel de rédaction de scénarios multijoueurs.

Amaury Bouchard : Tout à fait.

Luk : Nous avons également Ludovic Schurr, alias Xyrop, qui est juriste spécialiste dans le droit et les stratégies open source, rôliste, évidemment, et blogueur.
Merci à vous trois d’être venus aujourd’hui pour parler de tout cela.
Je voulais commencer par un petit panorama : qu’est-ce qui existe dans le domaine du jeu de rôle et des licences libres ?
Amaury, j’ai regardé ton site et j’ai trouvé 71 jeux dans ton annuaire de jeux de rôle libres et j’en ai vu à peu près 14 — il y a des doubles licences donc c’est difficile de compter —, mais j’en ai compté une bonne quinzaine sous licence réellement libre.

Amaury Bouchard : Oui, il y a quand même une majorité de jeux qui sont sous licence de libre diffusion, souvent du Creative Commons qui interdit soit la modification soit la commercialisation.
Il y a deux grands exemples de l’utilisation des licences libres. Ça a commencé avec l’informatique, c’est là d’où viennent les licences libres, et le deuxième grand exemple, ce sont les jeux de rôle.
En France, on a commencé avec SimulacreS, qui a été édité avec une licence plus ou moins libre à une époque où personne ne savait que ça existait. Ensuite, Donjons et Dragons est arrivé, qui a popularisé la notion de licence libre.

Luk : SimulacreS, ça devait être fin des années 90. C’est ça ?

Amaury Bouchard : Fin des années 80, début 90.

Luk : Encore plus tôt que ce que je pensais.

Amaury Bouchard : Porté par le magazine Casus Belli. En tout cas, ça a commencé, on pourrait dire petitement, mais, l’air de rien, ça a eu un gros impact en France. Le fait que Donjons et Dragons soit passé à une licence libre a popularisé la notion auprès des rôlistes et c’est cela qui est intéressant parce que les licences libres s’adaptent extrêmement bien à ce qu’est le jeu de rôle, c’est-à-dire qu’à la base, quand on fait du jeu de rôle, on prend des œuvres, on les modifie, on les adapte, c’est polymorphe et ça convient extrêmement bien aux licences libres ; les deux matchent très bien ensemble.

Luk : Tu as cité Donjons et Dragons qui a une licence spécifique, on va revenir en détail dessus.
Sébastien, tu as publié et tu publies des jeux de rôle et des jeux sous licence libre ou moins libre.

Sébastien Célerin : En fait, quand je rencontre un auteur, nous avons une discussion sur ce qu’il souhaite faire. C’est vrai que le métier d’éditeur c’est de mettre en page, d’illustrer, de commercialiser, de diffuser et de faire la promotion. Des auteurs disent qu’ils souhaitent absolument que vous vous occupiez de tout, ils sont dans une relation de confiance ou ils sont dans un parti pris parce que ce qu’ils cherchent c’est l’édition. Et vous en avez qui vous disent « j’aimerais aussi que l’œuvre reste accessible de telle ou telle manière », donc on adapte les contrats.
Par exemple, sur les jeux de société inspirés du jeu de rôle, puisqu’il n’y a pas de meneur de jeu sur ce qu’on publie chez For The Story, en fait l’œuvre est une série de questions et des énoncés qui sont sur des cartes. Ces jeux sont d’abord proposés sur une interface de navigation sur un site web, c’est d’ailleurs comme ça que moi, en tant qu’éditeur, je les trouve. Et quand on en fait un produit, c’est-à-dire qu’on met le texte sur les cartes, on les illustre, on choisit des moyens de production, on met en boîte, en fait on laisse l’œuvre sur le site, gratuitement à l’usage, comme c’était au départ, parce que c’est la volonté des auteurs qui sont dans cette mouvance-là. Par ailleurs, comme souvent dans le jeu, quand on fait ce genre de chose, ça a aussi une vertu pour l’éditeur. Je pense que si vous essayez via ce biais-là, et que ça vous plaît, si l’incarnation produite par l’éditeur vous plaît, vous irez, si elle ne vous plaît pas, vous continuerez à partager votre passion pour ce jeu et le bouche-à-oreille fera le reste.

Luk : On entend souvent une objection par rapport aux licences libres disant « si tout le monde peut le reprendre, le modifier, même le republier, alors je peux me faire dépouiller à n’importe quel moment. » Toi, en tant qu’éditeur, cela ne te pose pas de cas de conscience ?

Sébastien Célerin : En fait, la question n’est pas tellement si cela me pose un cas de conscience en tant qu’éditeur, parce que, de toute façon, je dis souvent que l’esprit du droit français c’est que l’éditeur travaille pour l’auteur. Le but de relation avec l’auteur c’est de trouver la forme adéquate pour lui faire rencontrer un public par rapport à ce qu’est l’image de ma société. Si lui, après, a des ambitions autres sur d’autres supports, même sur des supports similaires et qu’il veut d’autres débouchés, eh bien j’ai envie de dire que si je n’ai pas envie de m’associer à cette démarche-là, il ne faut pas que je lui propose un contrat. C’est donc assez simple.
Ensuite — tout le monde va revenir dessus—, Le jeu de rôle est une activité de cocréation, c’est-à-dire qu’on prend un jeu, on y joue et très rapidement, dès les premières minutes en fait, on est amené à prendre des décisions, à avoir des arbitrages sur le déroulement de la partie parce que ce sont des jeux autogérés. Donc, en fin de compte, on est dans la création, dans la cocréation, dans la transformation immédiatement. Je pense que les gens qui ont choisi ce loisir-là sont, peut-être, plus ouverts, plus sensibles à cette démarche-là que les autres, même s’il y en a qui tiennent absolument à avoir des contrats très rigoureux, qui leur donnent beaucoup de gages sans qu’ils voient qu’ils leur donnent aussi beaucoup d’obligations.
Je pense que nous sommes une communauté qui, de toute façon dès le départ, a le goût du partage, ne vit que pour ça.

Luk : Ludovic, tu voulais réagir.

Ludovic Schurr : Je voulais réagir sur un point : cette question basée sur le fait de se faire dépouiller, déposséder en tant qu’éditeur, en tant qu’auteur, de ce qu’on a écrit. Il y a quand même un aspect important dans le jeu de rôle. Pour ceux qui nous écoutent et qui sont plutôt des libristes, qui sont, je pense, plus habitués aux logiciels qu’aux jeux de rôle, j’aimerais juste faire un point rapidement.
Le logiciel et jeu de rôle c’est un peu la même chose. Ce sont deux œuvres protégées par le droit d’auteur, sur lesquelles il peut y avoir des licences, et qui proposent une mécanique, des algorithmiques qui sont, par elles-mêmes, non protégeables – sauf aux États-unis avec des brevets, et on en reparlera, peut-être –, qui peuvent donc être protégées par l’auteur par des licences. Il n’y a pas de dépossession du jeu de rôle puisque, à partir du moment où on met une licence libre, en tout cas une licence un peu permissive qui permet de réutiliser le jeu de rôle, celui-ci va pouvoir être exploité par d’autres, d’autres éditeurs, d’autres auteurs. Ce qui va constituer une barrière à cette reprise c’est l’existence, ou pas, d’un SRD [System Reference Document], d’un document de référence du système numérique. C’est-à-dire que si j’ai fait un jeu de rôle sur papier, avec une licence, mais qu’il n’existe aucune version physique, la barrière à l’entrée, pour recréer le jeu, va être de reprendre de texte, parce que je reprendrai le texte selon les conditions de la licence, et, pour cela, il faut que je le réécrive à la main ou que je fasse un OCR [Optical Character Recognition] et que je corrige tout. C’est un peu de travail ; il y a une barrière matérielle à l’entrée.

Luk : D’accord. Aujourd’hui, pour vous, est-ce que le jeu de rôle sous licence libre est quelque chose qui vit vraiment, est un domaine qui a un peu son mouvement propre au sein du jeu de rôle ou est-ce que c’est quelque chose qui reste anecdotique ?

Amaury Bouchard : De ma vision, c’est souvent quelque chose de vu comme opportuniste. On va sûrement reparler du cas de Donjons et Dragons. Des initiatives sont prises, des auteurs comprennent les licences libres et mettent leurs œuvres sous licence libre, qui, parfois par chance, voient leurs œuvres qui intéresse d’autres personnes, soit les règles, soit la philosophie. Par exemple, les jeux Powered By The Apocalypse, ce ne sont pas des règles, ce n’est pas un système générique, en tout cas beaucoup de jeux se sont inspirés d’un même système et, quand ça marche, on voit qu’il y a une communauté, ça fait parler. Donc cela fait des jeux qui, initialement peut-être, étaient sur une niche et qui se sont fait connaître grâce à la communauté que ça a générée, mais on ne le sait jamais à l’avance.
Sur la question tu posais juste avant, comment faire en sorte que les auteurs n’aient pas peur de se faire déposséder ou qu’un auteur ou un éditeur n’ait pas peur de vendre moins de livres de jeux de rôle parce que d’autres personnes pourront réutiliser soit ses règles soit son système complet ou même son univers ? Quand j’en parle avec des auteurs, je les pousse à ne pas mettre que le système, ne pas juste faire un SRD, mais vraiment essayer de mettre plus de choses sous licence libre. Si tu n’as pas juste une communauté de joueurs mais que tu as aussi une communauté de créateurs qui va enrichir ton jeu, enrichir ton univers, l’idée ce n’est pas de vouloir avoir toutes les parts de gâteau pour toi, c’est d’avoir un gâteau plus gros et c’est souvent un argument que les gens peuvent finir par comprendre.

Luk : Sébastien, peut-être.

Sébastien Célerin : Je pense qu’il y a des démarches de création qui sont très différentes. Vous avez des gens qui ont une œuvre qui leur est très personnelle, que ce soit un système de jeu, que ce soit un univers ou même, parfois, des réflexions sur le dispositif. Tu le disais en introduction : c’est vrai que traditionnellement, dans les origines du jeu de rôle, il y a un meneur de jeu qui arrive avec ses règles, ses propositions de scénariser, les autres ont des personnages et, dans le dialogue, une fiction se construit. Mais, aujourd’hui, il y a des jeux de rôle où il n’y a pas de meneur de jeu, il y a des jeux de rôle où on n’est pas forcément des personnages, où on a de grands concepts dans un monde ou dans un type de fiction.
Tous ces gens-là, en fait, n’ont pas la même relation à leurs testeurs, à leurs premiers lecteurs et à leur public futur. C’est vrai que quand vous êtes dans une logique de cocréation, assez rapidement il y a des bonnes idées qui ne viennent pas de vous et ces licences libres permettent aussi de rassurer les contributeurs extérieurs du fait qu’il ne va pas y avoir de querelles entre eux sur ce qu’ils font ensemble.
Je pense que ça peut exister de cette manière et que ça n’empêche pas un contrat d’édition. Encore une fois, dans le contrat d’édition, les auteurs disent à un éditeur « on vous cède le droit de faire de cette œuvre un objet physique ou un objet incarné, reconnu par le monde économique, commercial, dans un périmètre donné » et ils en attendent à la fois une belle incarnation – maquette, illustration –, mais aussi une mise sur le marché par rapport à des points de vente. Donc, l’œuvre peut très bien être en Creative Commons et ils peuvent très bien céder les droits à un éditeur, ils peuvent céder les droits pour un territoire, pour un périmètre différent, ils peuvent garder certains droits pour certains supports. Ces démarches sont donc très diverses en fait.

Luk : Très bien. Merci.
On a une question sur le scandale avec Wizard of the Coast et mon plan est extrêmement bien fait parce que c’était un peu le sujet que je voulais aborder maintenant. On a évoqué Donjons et Dragons qui est le jeu de rôle écrasant dans le domaine du jeu de rôle, en termes de pratiques, de ventes, etc. On pourrait faire une émission entière là-dessus parce qu’il y a eu toute une affaire.
Ludovic, est-ce que tu peux nous parler un peu de toute cette histoire, dans un temps bref, ce qui est donc un défi à la mesure de ton talent ?

Ludovic Schurr : C’est un véritable défi, car il y a tellement à dire sur le scandale Wizard of the Coast/Hasbro, un scandale lié à Donjons et Dragons, qui va faire sourire beaucoup de libristes qui connaissent bien les problématiques du, on va dire le mot, freemium.
On a vu rapidement le panorama des jeux de rôle. Amaury l’a souligné, il encourage les auteurs à faire une libération totale, à utiliser les Creative Commons et, idéalement, pas forcément une Creative Commons qui n’est pas libre. On le sait les Creative Commons Non Commercial ou les Creative Commons Sans Modification ne sont pas des licences libres, ce sont des licences de libre diffusion, mais pas des licences vraiment libres au sens de la Free Software Foundation.
Je le donne en mille, Wizard of the Coast, en 2000, a choisi la licence OGL [Open Game License qui est une licence freemium, qui utilise des mécanismes de copyleft en même temps qu’elle les fusionne avec des mécanismes clairement de licence privatrice – pardon j’ai utilisé un terme stallmanien –, de licence propriétaire – Richard ne va pas aimer non plus –, on va dire de licence non libre qui va donc, globalement, faire une distinction entre ce qui relève de l’identité du produit, en clair les choses liées au monde de Donjons et Dragons, les royaumes oubliés, les noms des personnages, et ce qui est plus générique des univers d’heroic fantasy et ce qui concerne les règles. Les règles ne sont pas protégées par le droit d’auteur en tant qu’elles sont une algorithmique de règles de gestion, mais elles sont protégées par le droit d’auteur à partir du moment où elles sont matérialisées sous une forme particulière.
Pourquoi Wizard a-t-elle fait cela en 2000 ? Wizard a fait cela parce qu’elle avait racheté TSR [Tactical Studies Rules puis TSR Hobbies], ancien éditeur de Donjons et Dragons, et son objectif était d’avoir une pénétration du marché extrêmement forte. On voit bien que lorsqu’on crée un logiciel libre, dans le monde informatique, il y a une pénétration très forte.
Cette mécanique de freemium, de freemiumisation de Donjons et Dragons, a très bien fonctionné. Il y avait, globalement, un système en trois étapes, trois étages de la fusée : n’importe quel éditeur ou auteur pouvait récupérer le système de règles et créer quelque chose dessus ; s’il voulait avoir un peu plus de règles, un peu plus d’éléments venant de Donjons et Dragons, il devait passer un peu sous les fourches caudines de Wizard of the Coast, ce qui voulait dire redonner une partie de ses bénéfices et de ses revenus à Wizard of the Coast, voire, s’il voulait avoir le tampon Donjons et Dragons, il devait payer plus.
Le scandale dont on va parler vient juste après.

Luk : Je suppose qu’il devait payer plus et, en plus de cela, qu’il ne pouvait pas mettre n’importe quoi dans son jeu, il fallait que ça reste dans les limites du raisonnable pour vendre et avoir un produit avec une image.

Ludovic Schurr : Exactement. Que se passe-t-il ? Wizard of the Coast a longtemps parié sur le fait que, comme ils n’ont pas tout mis en licence libre, ils ont tout mis en licence copyleft, aucun éditeur ne se lancerait dans le travail qui consiste à compléter tous les bouts qui manquent. Or, je ne sais plus à quelle date, 2006 je crois, Wizard of the Coast se fait racheter par Hasbro [Hassenfeld Brothers] et il y a une prolifération d’éléments.

Sébastien Célerin : C’est en 1996, désolé, je te coupe. La licence OGL est sortie en 2000, avec DD v3.

Ludovic Schurr : Il y a une version 3.5, parce que Wizard of the Coast veut virer la prolifération des suppléments de mauvaise qualité. Ils font donc une nouvelle version, ils font un fork de leur propre partie libre du système les libristes qui nous écoutent sauront de quoi il s’agit –, et ce fork aboutit à ce que la communauté va les suivre. Cela prouve que quelqu’un peut faire un fork de Donjons et Dragons, même si là c’était Wizard of the Coast, un fork du système et la communauté va suivre si c’est mieux-disant technique. Pareil, ça va beaucoup parler aux gens qui connaissent le monde du logiciel.
Que se passe-t-il maintenant, il y a un an ? Wizard of the Coast est revenu, a fait une version 4 de Donjons et Dragons dont nous ne parlerons pas, qui était sous une licence complètement propriétaire, qui n’a pas du tout marché, peut-être pour cette raison-là, et qui a poussé beaucoup de gens vers le fork qui avait fonctionné : un éditeur, Paizo, a fait ce fork très fort et très complet de Donjons et Dragons 3.5 et ça a poussé les gens vers Paizo.
C’est pour reprendre le contrôle et également pour prendre en compte des éléments qui n’existaient pas au moment où Donjons et Dragons 3 et 3.5 sont sortis que sont la monétisation des vidéos de parties sur Internet, sur des plateformes de vidéo. On voit de plus en plus de contenus monétisables basés sur Donjons et Dragons, des gens qui sont en train de jouer à Donjons et Dragons. À titre personnel, je ne vois pas l’intérêt, mais il y a des gens à qui ça rapporte de l’argent, et puis il y a des versions de Donjons et Dragons, des jeux vidéo et ainsi de suite.
Pour faire cela, une nouvelle licence, la OGL 1.1, est sortie, a vraiment déclenché un tollé puisqu’elle avait deux particularités : déjà, elle était limitée complètement aux œuvres dérivées textuelles et illustratives, on oublie donc la partie vidéo, jeux vidéo, parties en ligne, et surtout, elle mettait non plus une distinction sur ce qui est copyleft ou pas copyleft, elle mettait une distinction entre commercial et non-commercial. Et, globalement, à peu près tout était commercial, ce qui fait que dès qu’il y avait le moindre début de commencement de centimes de revenus, on passait dans le domaine commercial. On n’avait pas forcément à payer à Wizard of the Coast, en revanche les droits de toute œuvre dérivée de Donjons et Dragons étaient automatiquement cédés, de manière non exclusive, mais quand même concédés à Wizard of the Coast, qui pouvait donc contrôler les revenus – il y avait aussi une clause de contrôle des revenus –, des éventuels forks, des éventuels éditeurs ou auteurs qui voudraient faire une version de Donjons et Dragons, contrôler l’essor de leurs ventes et puis aussi, tout simplement, contrôler le contenu, le reprendre, l’intégrer à nouveau dans Donjons et Dragons et étouffer dans l’œuf tout concurrent potentiel. C’était vraiment la licence anti-Paizo. Ça fait un tollé, ils ont énormément rétropédalé, mais le mal était fait.

Luk : Il y a donc vraiment une logique hégémonique dans cette évolution.
À l’époque, quand il y avait eu l’OGL, au début, mon sentiment c’est que déjà il y avait un peu cette volonté d’écraser tout ce qu’il y avait autour. Sébastien, est-ce que tu valides mon hypothèse ?

Sébastien Célerin : Il faut revenir un peu en amont sur ce cas-là. En fait, dans l’histoire, plusieurs entreprises ont produit, contrôlé, maîtrisé Donjons et Dragons. Dans éditions précédentes, il y a eu des querelles entre les propriétaires de l’entreprise, les éditeurs du jeu, les éditeurs de certaines versions du jeu. Ces querelles sont passées dans le domaine public. Le jeu de rôle étant une activité de bavardage, le bavardage ne s’arrête pas à la table de jeu et, très vite, les choses filtrent. Le jeu drôle est un milieu où on a eu des leaks avant même que le mot existe. Il y avait donc, dans la communauté, et même chez les gens qui étaient amenés à proposer des contenus d’heroic fantaisy cette idée que, de toute façon, dès qu’on commence à toucher de près ou de loin à ce qui ressemble à Donjons et Dragons, les propriétaires de ce jeu nous attaquent et nous font des procès avec le droit américain. Par exemple, ils disent « nous sommes basés à Seattle, vous devrez venir à Seattle pour vous défendre et mous allons organiser la procédure de sorte que vous choisirez pas à quel moment vous devrez venir. Vous recevrez régulièrement des injonctions pour produire une documentation et, en fait, ça va vous générer des frais d’avocat qui font que c’est perdu d’avance. »
Quand Wizard of the Coast prend le contrôle de Donjons et Dragons, ils ont cette idée que c’est préjudiciable, qu’il faut mettre un terme à tout cela et qu’il faut envoyer un signal très fort sur le fait que c’est du passé et plus personne ne se comportera comme ça avec un fan. En même temps, ils sont un peu dans le creux de la vague, ce qui fait qu’une autre entreprise, aussi florissante que Wizard of the Coast dans le jeu spécialisé, peut se payer Donjons et Dragons, alors que c’est le gros succès du jeu de rôle et de la littérature interactive imprimée, dans le monde anglo-saxon. C’est donc bien que cette entreprise avait des difficultés et qu’elle était achetable. Leur objectif c’est de se dire « il faut qu’on pérennise à nouveau ce loisir », parce que les gens de Wizard of the Coast, y compris Magic, viennent aussi de là, donc ils ont une relation affective qui est de se dire « rendons à Donjons et Dragons sa gloire passée et faisons en sorte que ce qui nous colle aux baskets disparaisse, créons une opportunité pour que tout le monde ait envie de nous aider. » C’est en cela que l’idée de licence libre va arriver parce que ça paraît être le bon outil pour se remettre bien copain avec tout le monde, mais en ayant une arrière-pensée : à ce moment-là, Wizard of the Coast sait déjà qu’ils sont en négociation pour vendre leur entreprise à un géant du jouet, ils ne savent pas encore qui, donc ils ont aussi le souci de s’assurer que, d’une certaine manière, Donjons et Dragons sera protégé par ses prochains propriétaires et que leurs liens avec la communauté resteront parce que c’est cela qui les préoccupe aussi beaucoup.
Je pense qu’il y a eu des intérêts, des objectifs pas forcément faciles à concilier. Après, ce sont des hommes comme les autres, les directions changent, les gens en responsabilité bougent, il y a des maladresses et puis, à un moment donné, Donjons et Dragons devient extrêmement fort, sous un nouveau propriétaire, au point que dans le contrôle de gestion il arrive à un niveau où ce sont d’autres gens du groupe qui regardent et qui trouvent que s’il y a eu cet effet de levier, on doit pouvoir monétiser encore plus fort et leur licence, qui n’est pas libre, ne leur permet pas, en fait. Pendant ce temps-là les phénomènes digitaux se sont beaucoup développés et, effectivement, il y a des gens qui brassent des millions de vues, qui monnayent leur audience, font de la publicité, des produits dérivés avec leurs dérivés de dérivés de cette licence et les propriétaires de Donjons et Dragons se demandent « comment se fait-il qu’on ne touche pas notre part ? ».

Luk : Tout à fait, Amaury, tu voulais réagir.

Amaury Bouchard : Pour compléter un petit peu, déjà en donnant des informations que j’ai glanées. Quand TSR éditait Donjons et Dragons avec Advanced Dungeons and Dragons, il y avait une gamme qui était pléthorique, avec plein d’univers et énormément de livres qui se cannibalisaient entre eux : il n’y a pas plus de joueurs, mais les joueurs achetaient les livres, donc ça coûtait très cher à maintenir. La réflexion a été de se dire « ce qu’on veut vendre c’est le triptyque guide du joueur, guide du maître et bestiaire monstrueux qui est ce qui nous rapporte de l’argent. Par contre, un jeu comme Donjons et Dragons doit avoir des univers, faisons en sorte que ce soit les autres qui prennent le risque financier d’éditer les univers et tout le monde sera content ». C’est effectivement ce qui s’est passé et ça a très bien marché. N’empêche que le redémarrage du jeu de rôle dans les années 2000, là où dans les années 90 ça c’était quand même cassé la gueule, aussi bien aux États-Unis qu’en Europe, a eu lieu grâce à ça. On peut dire que c’est un peu artificiel, mais c’est quand même grâce à ça.
Je reproche qu’ils aient créé une licence qui s’appelle Open Game License, qui semble dire que c’est une licence libre faite pour les jeux en général, alors que c’est vraiment fait très spécifiquement pour les besoins de Donjons et Dragons. Si on fait une avance rapide, Hasbro, qui avait racheté Wizard of the Coast, a eu des problèmes financiers, a quand même licencié 1000 personnes, à une vache près, il y a un an, donc, forcément, on peut imaginer que des financiers sont entrés dans la boucle, sûrement. Et, comme ça a été dit, on se rend compte que c’est surtout Paizo, le gros, qui a réussi à tirer les marrons du feu et ils ont dû se dire « l’argent qu’il gagne, c’est de l’argent qui devrait nous revenir, donc on va changer les choses. »

Luk : C’est le mécanisme de merdification. Je ne sais pas si vous connaissez, c’est un sujet de Cory Doctorow.
Ludovic, veux-tu dire quelque chose ? On va bientôt faire une pause musicale, mais si tu veux, rapidement.

Ludovic Schurr : J’entends bien, je partage complètement les points de vue de mes compagnons. Le point que j’aimerais préciser c’est qu’une erreur a été faite, je pense, à un moment, par un juriste quelque part en écrivant la licence OGL 1.0a, qui a vécu plusieurs versions, qui est liée au droit américain. Est-ce une erreur ou pas ? C’est une grande question.
Sébastien a raison : on voit bien que les gens qui ont créé Donjons et Dragons troisième édition, 3.5, quand ils ont créé la licence OGL, ont dit « l’important c’est qu’elle soit perpétuelle, que les gens puissent continuer de le freeser ». Qu’est-ce qui le prouve ? Un article, l’article 9 de la licence OGL, dit que dans le cas de la mise à jour de la licence, Wizard of the Coast et ses agents désignés peuvent publier des versions de mise à jour de cette licence et on peut utiliser n’importe quelle version de cette licence pour copier, modifier, distribuer tout contenu de jeu ouvert, distribué à l’origine sous n’importe quelle version de cette licence. Ça veut dire que, théoriquement, que la licence OGL soit en version 2, version 3, version 99 ou version 2055, de toute manière n’importe qui peut prendre n’importe quoi. C’est un juriste de Hasbro qui est revenu en arrière, qui a déclenché le scandale, en disant « il y a un mot important, c’est version « autorisée » de la licence. On va dés-autoriser la licence pour éviter cette compatibilité ascendante et descendante de toutes les licences et de tous les contenus entre eux et, en faisant ça, on va pouvoir imposer une nouvelle licence ». On a vu que ça n’a pas fonctionné.

Luk : Très bien. On ne l’a pas mentionné : aux États-Unis beaucoup d’argent circule dans le jeu de rôle, ce qui n’est pas le cas en France, donc, évidemment, les enjeux ne sont pas les mêmes.
On va faire une petite pause musicale. Vous allez souffrir parce que le titre de la chanson est en allemand et ça fait très longtemps que je n’ai pas parlé allemand.
Nous allons écouter Die gro​ß​e Liebe, le grand amour, par Die Leere im Kern deiner Hoffnung, sous licence CC By SA 3.0.

Pause musicale : Die gro​ß​e Liebe par Die Leere im Kern deiner Hoffnung.

Voix off : Cause Commune, 93.1.

Isabella Vanni : Nous venons d’écouter, c’est Luk qui va le dire.

Luk : Tu ne veux pas essayer ? Tant pis ! Die gro​ß​e Liebe par Die Leere im Kern deiner Hoffnung — désolé pour les germanophones —, disponible sous licence libre Creative Commons By SA 3.0.
Nous sommes sur Cause Commune, ce que je n’ai pas mentionné tout à l’heure.

[Jingle]

Luk : Nous sommes de retour. Mag et Isabella, en régie, me disent qu’il y a pas mal de réactions sur Internet, le sujet plaît, donc très bien, ça fait plaisir.
On a parlé de l’OGL, sujet interminable. Le bilan qu’on peut en faire c’est que c’est plus un sujet de gros sous qu’un sujet de jeux de rôle. La question que je me pose, qu’on a survolée, en tout cas qu’on commencé à évoquer tout à l’heure c’est : qu’est-ce qui peut motiver un auteur et un éditeur – Sébastien, tu t’es déjà prononcé là-dessus – à publier sous licence libre plutôt que sous une autre licence ? Amaury, toi qui publies du jeu de rôle sous licence libre, peut-être as-tu une opinion là-dessus ?

Amaury Bouchard : Oui. Il y a déjà le concept très connu de « nous sommes des nains sur les épaules de géants ». De manière générale, dans le domaine de la création, on ne crée pas ex nihilo quelque chose d’absolument original, qui ne sort que de son cerveau, donc, forcément, on réutilise des concepts, des idées qui sont venues avant nous. Si on a un tant soit peu d’humilité, on se dit que des gens vont peut-être pouvoir se hisser sur nos épaules, deviendront eux-mêmes des géants et nous monterons sur leurs épaules, en retour. Et, quand on a ça en tête, on se dit que le but c’est de créer, de créer tous ensemble, de faire en sorte que ce soit utile. Dans le cadre du jeu, « utile » c’est quelque chose qui est agréable à jouer, qui fait qu’on a envie d’y jouer ; les créateurs de jeux de rôle ne sont pas des gens qui veulent créer quelque chose de très beau qui reste juste dans leur coin, ils ont envie de le partager, c’est l’essence-même de notre activité. Je pense que le point de départ c’est ça : on a envie de partager. Comme le disait Sébastien tout à l’heure, de fait, dans le jeu de rôle, les gens sont naturellement ouverts, parce que c’est l’essence même de notre loisir. Et quoi de mieux que les licences libres où on dit, factuellement, « allez-y, prenez, améliorez l’œuvre, partagez-la, diffusez-la, corrigez-la, étoffez-la, traduisez-la, vous avez le droit.
Par le passé, tout un tas d’éditeurs – on pourrait revenir sur TSR, on vient d’en parler beaucoup – cherchaient même à tuer les productions faites par les fans, dans leurs univers, donc très crispés sur leurs créations. Sauf qu’on se rend compte maintenant, avec à peu près 25 ans de recul, que ce n’est pas la bonne manière de faire vivre notre loisir, même sous un angle purement économique.

Luk : Ça me fait penser à pas mal de choses, sur le long terme et en dehors du domaine du jeu de rôle, dans le monde imaginaire en général. Au début des années 2000 je m’intéressais à pas mal à Star Trek. Il y a eu très tôt des sites internet sur Star Trek dans l’histoire d’Internet, de l’Internet grand public. Au début des années 2000, le panorama s’est vraiment appauvri et tout le monde faisait des liens vers le site de Star Trek, jusqu’au jour où ils ont compris qu’ils avaient besoin d’une communauté active mais, en même temps, il ne faut pas que ça aille trop loin non plus.
Un projet qui s’appelle Axanar, une sorte de fanfiction d’un type qui vit à Hollywood et qui a réussi à lever, je ne sais plus, un ou deux millions de dollars en financement participatif en faisant une sorte de pilote de la série qu’il voulait faire. Il faisait du Star Trek ancienne mode à l’époque où il y avait de nouvelles séries qui ne plaisaient pas aux fans. Les ayants droit de Star Trek ont dit : « C’est super, mais tu vas te calmer. Déjà, ton pilote c’est une œuvre en soi et tu n’as pas peur d’en faire plus de deux de 20 minutes ». Ils ont donc besoin d’avoir des fans qui fassent vivre les licences et on a plein d’autres domaines, on a le cosplay, on a tout le fanart, etc., mais pas trop et pas trop sérieux.
Du coup, aujourd’hui pour moi, dans le jeu de rôle, il y a un peu cette question de dire que, par définition, tu vas lui faire du mal. C’est-à-dire qu’un auteur va écrire un jeu de rôle avec une idée de comment le jouer et, à partir du moment où le manuel va être dans les mains de joueurs et de meneurs, ils vont en faire ce qu’ils veulent, à commencer par des choses qui ne correspondent absolument pas à ce que l’auteur aurait voulu. Je pense au droit moral en droit d’auteur. Finalement, dans le jeu de rôle, le droit moral n’est-il pas caduc par définition ? Ludovic.

Ludovic Schurr : Ça c’est pour le juriste. Luk a dit « droit moral », tout de suite ça aiguillonne !
Pour ceux qui ne sont pas forcément très au fait du droit d’auteur, il faut juste faire un petit un petit cadrage très rapide.
Il y a deux volets au droit d’auteur en France, et le logiciel comme le jeu drôle, sont soumis à ces deux droits d’auteur : le droit moral et droit patrimonial.
Le droit patrimonial ce sont tous les droits – je ne vais pas les énumérer parce que, d’une part, je vais me planter et, en plus, ils sont sur n’importe quel site web – qui permettent d’exploiter commercialement une œuvre.
Le droit moral, c’est tout ce qui correspond aux droits de l’auteur, la personne physique, sur son œuvre, ce qui permet de lui donner la paternité, c’est d’ailleurs la paternité, le droit à l’intégrité de l’œuvre, le droit au respect de l’œuvre, c’est le droit de retrait si jamais il a envie de considérer que non, le monde n’est pas prêt pour découvrir son œuvre.
Est-ce qu’il y a une atteinte au droit moral ? Ça dépend en fait. À partir du moment où vous êtes en train de lire un livre d’Alexandre Dumas dans l’intimité de vos toilettes, qu’Alexandre Dumas a dit « non, mes ouvrages, Le Comte de Monte-Cristo ne se lit pas aux toilettes, il se lit uniquement dans un salon avec une bonne pipe ou un bon cigare, dans le confort d’un fauteuil Chesterfield », mais vous avez, vous, choisi de le lire aux toilettes. Peut-être le lisez-vous dans des conditions qui ne sont pas celles choisies par l’auteur, mais vous avez acheté le support, le livre, même si l’œuvre c’est ce qui est écrit sur le livre, vous avez acheté le support et vous pouvez en faire ce que vous voulez, y compris détruire ce livre. Ce qui vous est interdit de faire c’est porter atteinte au lien entre Alexandre Dumas et Le Comte de Monte-Cristo, vous ne pouvez pas dire, publiquement, que ce n’est pas l’auteur, qu’Alexandre Dumas n’est pas l’auteur du Comte de Monte-Cristo, vous ne pouvez pas, non plus, vous prétendre auteur du Comte de Monte-Cristo, vous ne pouvez pas le faire.
Dans l’intimité du cercle de la famille, vous pouvez faire ce que vous voulez avec un jeu de rôle, même s’il est incomplet ; par définition, un jeu drôle est incomplet : une fois où vous avez fait quelque chose en tant qu’auteur, il manque quelque chose de très important, à savoir les joueurs et le meneur de jeu s’il y en a un, pour raconter l’histoire que vous avez voulue, dont vous avez écrit la trame.
Là où ça devient compliqué c’est, en revanche, quand vous êtes dans un club où l’inscription est payante parce que vous faites partie d’une association, c’est lorsque vous êtes dans une convention où l’entrée est payante, c’est lorsque vous êtes sur Internet et que vous vous allez monétiser les vues de votre vidéo basée sur un jeu de rôle qui est basé sur quelque chose qui a été écrit par l’auteur et édité par un éditeur. À ce moment-là, vous allez faire ce qu’on appelle une œuvre dérivée. Pour la plupart des libristes parmi nous, ce n’est pas grave, tu n’as qu’à respecter la licence GNU GPL, car il n’y en a pas d’autre – excusez-moi, j’ai eu un instant d’intégrisme, mais c’est fugace, ça va passer. N’importe quelle personne normalement constituée sait qu’il y a une licence qui va s’appliquer pour faire une œuvre dérivée. L’œuvre dérivée sera potentiellement soumise à la licence, sauf, bien sûr, si c’est une licence permissive, on peut refermer, évidemment, l’œuvre dérivée.
Pour un jeu de rôle, c’est plus compliqué. Si le jeu de rôle est sous une licence par définition non libre — j’ai donné l’exemple de l’OGL qui a des mécanismes copyleft mais qui reste une licence freemium —, qui appartient à un éditeur qui veut des gros sous, à savoir Wizard of the Coast dont on a parlé tout à l’heure, ça pose une difficulté. Quand vous allez filmer votre partie et la diffuser sur Internet, vous allez faire une œuvre dérivée, vous allez monétiser une œuvre dérivée de quelque chose qui est préexistant. Évidemment que ça va être compliqué, pour le titulaire des droits, de venir vous solliciter et vous demander de l’argent, mais ce n’est pas impossible.

Luk : Et si on n’est pas que dans le domaine de l’argent, on peut imaginer faire des misères à un univers. J’ai des souvenirs de lycéen. J’avais un copain qui était un grand fan de l’Appel de Cthulhu et, quand il était au collège, ses joueurs mettaient un canon de 75 à l’arrière d’un camion, ils allaient dans les marais tuer des profonds en mode boucherie.
Sébastien, toi qui as vu, je pense, beaucoup d’auteurs de jeux de rôle, aurais-tu des cas ou des idées d’auteurs qui souffriraient de voir leurs jeux maltraités, détournés ?

Sébastien Célerin : Je ne sais pas s’ils en souffrent. Très tôt, je leur dis quelque chose qui fait qu’ils n’ont pas tellement envie de se confier. On a souvent des discussions quand on édite un jeu sur : est-ce que la règle est bien claire ? Est-ce que l’énoncé est pertinent ? Est-ce qu’on simplifie ? Est-ce qu’on a bien mis l’exemple ? Est-ce que vraiment, indépendamment de l’application, l’esprit est compris ? Il y a toujours un moment où ces discussions deviennent très aiguës parce que ça fait déjà pas mal de temps qu’on est sur le sujet. Et, quand je dis à l’auteur « tu sais, en fait, quelle que soit la décision qu’on prenne, il y a quand même une chose qui est incontestable, c’est que ni toi ni moi ne serons là lorsque ce sera joué. Demande-toi combien de fois tu as joué à des jeux tels qu’ils sont écrits. » Souvent ils me répondent « aucun, évidemment, sinon je n’aurais pas fait le mien. » D’accord ! Tout est dit.
Et dans le jeu de rôle, quasiment depuis le début, il y a des chapitres entiers, voire des livres entiers. Ce deuxième livre de Donjons et Dragons, dont on parlait auparavant, n’est rien d’autre qu’un manuel qui pourrait se résumer ainsi : comment allez-vous hacker le jeu, créer vos créatures, créer vos classes, modifier, etc. ? Donc de toute façon, déjà dès le départ il y avait ce côté de « jouez comme vous voulez ! »
Il y a eu un moment où le jeu de rôle était un système de règles qu’on veut simulationniste où on veut pouvoir tout jouer, tout faire dans un monde donné. Aujourd’hui, ça s’atténue petit à petit, de plus en plus les jeux de rôles deviennent « dans cet univers-là, vous jouerez ces gens-là qui ont ce but-là et les règles qu’on a faites sont pour simuler ce regard, cet angle dans cet univers ». On commence même à avoir des univers qui ont plusieurs modes de jeu en fonction de qui on joue et des enjeux auxquels on se confronte.br/>
Malgré tout, ça ne change rien, c’est un loisir qui repose sur la conversation. Aux États-Unis, quelqu’un avait dit : « En fait, il faut jouer pour voir ce qui va se passer. » Quel que soit le jeu auquel vous jouez, qu’il soit très simulationniste ou pas, la réalité c’est ça : quelqu’un va prendre la parole, quelqu’un d’autre va lui répondre et quelques heures plus tard, quand on va arrêter, tout le monde va se dire « je n’aurais jamais imaginé, quand la conversation a commencé tout à l’heure, que ça nous emmènerait là en termes de cocréation ». Et c’est parce qu’on a cette sensation qu’on y revient.

Luk : Oui. Tout à fait.

Sébastien Célerin : Si je peux me permettre, sur le sujet des freins à l’utilisation des licences libres. Quand j’en parle avec d’autres auteurs et que j’essaye de mettre en avant l’intérêt des licences libres à mes yeux, les deux freins qui nous sont exprimés, la plupart du temps, sont soit philosophiques soit commerciaux. Philosophiques, c’est « je n’ai pas envie que mon système, même si c’est juste le mécanisme du jeu – on ne parle pas de l’univers – soit utilisé pour un jeu fondamentalement raciste ou qui prône des valeurs qui ne sont pas les miennes. ». L’autre ensemble de rejet c’est « je ne voudrais pas que quelqu’un puisse reprendre mon jeu, le vendre dans une édition de qualité dégueulasse et en vende plein. »
Pour le deuxième cas, ma réponse est « si quelqu’un montre que ton jeu peut être vendu dans un format différent, ça peut t’amener, toi aussi, à revoir la manière dont tu vas commercialiser ton jeu et ouvrir une nouvelle ligne de production, soit tu peux te dire que les gens qui vont acheter la version cheap de ton jeu ne l’auraient de toute façon pas achetée dans l’édition que tu as faite, qui coûte cinq fois plus cher », donc ça ne cannibalise pas forcément, et c’est valable jusqu’à un certain point, évidemment.
Sur le premier argument, il y a un côté très concret : penses-tu que quelqu’un qui voudrait faire un jeu qui ne respecte pas tes valeurs va vouloir, à tout prix, utiliser tes règles ? Ne penses-tu pas que ça va se savoir dans le milieu et que ce jeu, de toute façon, a peu de chances d’être joué ? Combien y a-t-il réellement, sur le marché du jeu de rôle, des jeux qui ont rencontré un succès et qui prônaient, de manière très claire, des valeurs qui ne sont pas des valeurs assez partagées, assez consensuelles ?
Il y a quand même une différence entre la théorie et la pratique et on se rend compte, en pratique, que les vrais freins sont, je trouve, assez peu réels.

Luk : OK. Très bien.
Sans aucune transition, un sujet qu’on avait évoqué. Par rapport au contexte dans lequel on évolue, le jeu de rôle a changé, malgré tout, on parlait tout à l’heure de l’actual play [partie filmée], les gens qui jouent sur Internet. Avant, effectivement, le jeu de rôle, sauf convention, c’était dans le cercle privé ; en convention, c’était public, mais il y avait quand même un public très limité, la plupart du temps ce sont des gens qui jouent dans une salle, dans un lieu public. Aujourd’hui, il a effectivement cette dimension Internet où ça devient l’interprétation d’une œuvre, publique. Il y a maintenant des logiciels d’aide : on continue à jouer sur table, en parlant, mais on va projeter sur des télévisions des plans, utiliser des logiciels d’aide, des choses comme ça, ça évolue pas mal, et il y a les fameuses IA générative dont tout le monde parle actuellement.
Voyez-vous à l’horizon un changement avec ce genre de technologie ou d’autres, d’ailleurs, auxquelles je n’aurais pas pensé ? Sébastien.

Sébastien Célerin : Oui, pour une raison simple. Un certain nombre de sujets qu’on aborde depuis le début de notre entretien sont, en fait, déjà liés à des mutations techniques et technologiques. Pour reprendre l’histoire de Donjons et Dragons, avant que Wizard of the Coast rachète la société, ce qui fait qu’ils étaient très agressifs sur beaucoup de démarches de passionnés qui créent leurs univers et leurs scénarios, c’est parce qu’il y avait une prolifération des photocopieurs dans beaucoup d’environnements professionnels et que, donc, reproduire un livre n’était plus l’apanage d’un donneur d’ordre et d’un imprimeur.
Aujourd’hui, ce qui suscite l’appétit des nouveaux propriétaires, c’est de constater qu’il y a des gens qui achètent des campagnes officielles, qui les jouent avec des amis et qui se filment. Si, en plus, ces gens-là sont vraiment des acteurs, voire ont des réseaux dans l’audiovisuel, ils vont se retrouver dans une situation où non seulement ils vont monnayer leur audience, mais ils vont faire leurs propres dérivées de leurs propres œuvres premières audiovisuelles et il va y avoir une discussion pour savoir qui est dérivé de quoi, comment et pourquoi, etc. : « on a joué avec vos règles, mais c’est mon personnage, je l’ai créé. — D’ailleurs, on a joué dans ton monde et c’est toi qui l’a créé.— D’ailleurs, c’est untel qui a décidé la carte et tout cela n’est pas la propriété de Wizard. »
Donc, aujourd’hui, oui il va y avoir de nouvelles mutations, ne serait-ce que parce qu’une nouvelle génération d’auteurs émerge et une autre viendra qui ne se sera pas dit « pour publier un jeu de rôle, il faut produire un manuscrit, l’envoyer à un éditeur de livres pour qu’il l’imprime ». Elle va se dire « je vais faire un site ou je vais faire un fichier très lourd ou je vais faire un fichier Evernote, parce que, pour avoir une lecture tabulaire, c’est quand même vachement plus pratique », ou même va se saisir de solutions no-code et va dire « je te fais un livre applicatif comme ça, vite fait, je le mets en ligne, y compris sur une plateforme avec un flux de rémunération, donc, je n’ai pas besoin de l’éditeur. »
Il faut comprendre que le métier d’éditeur ce n’est pas que ça, ce n’est pas seulement concrétiser la forme.
Donc oui, il va y avoir d’autres mutations.
Et, par rapport aux IA, je vais prendre le risque de parler de ça, je pense que quoi qu’on dise, on sera la proie des quolibets. Je me souviens du moment où Photoshop se développe vraiment et des gens commencent à dessiner et à peindre avec Photoshop. On nous expliquait que « non, moi je n’achèterai pas de jeu de rôle dont la couverture aura été faite sous Photoshop, en peinture digitale, parce que de l’illustration ce n’est pas ça. » Aujourd’hui, il n’y a pas beaucoup de jeux de rôle qui sont illustrés par de vraies illustrations. Je vais même aller plus loin que ça, de par la dimension du marché, beaucoup de jeux de rôle ne sont même pas édités avec des vraies illustrations digitales, mais, plutôt, avec du speed painting, ce que n’accepterait même pas un concepteur dans un studio indépendant de jeux vidéo.
Les choses évoluent, il y a des innovations technologiques, il y a des contraintes de dimension de marché, qui font que la forme va changer et que tout cela va être intégré.

Luk : Ludovic.

Ludovic Schurr : On parle d’IA, il faut quand même cadrer un petit peu dans le droit, je pense que c’est toujours important. Rappeler le droit de l’IA.
J’entends souvent dire que, pour l’IA, il y a un vide juridique. Pour l’instant, en quelques années de droit, on m’en a beaucoup parlé, mais je ne l’ai jamais rencontré, je ne l’ai vu jamais vu. Peut-être qu’il y a un trou juridique quelque part dans l’espace, mais, pour l’instant je ne l’ai jamais vu. Pour l’IA il n’y a pas de vide juridique.
L’IA c’est quoi ? C’est le fait de prendre des œuvres préexistantes, qui peuvent avoir des licences, ou pas, le fait de les utiliser pour entraîner un réseau neuronal et, ensuite, demander au réseau neuronal, qui est un logiciel, de faire un output génératif.
Le fait de prendre des œuvres existantes et d’entraîner un réseau neuronal avec des œuvres préexistantes, c’est faire une exploitation de l’œuvre préexistante. Pour ça, il y a besoin d’un truc vachement important qui s’appelle le droit patrimonial : le droit de représenter au public, déjà, et, de manière générale, le droit de reproduire l’œuvre, le droit de s’en servir. Il faut, globalement, les droits de l’auteur.
Pour des œuvres qui sont en Creative Commons Attribution, même en Creative Commons tout court, zéro, ça ne pose évidemment aucune difficulté. Idem pour des œuvres qui sont sous une licence BSD [Berkeley Software Distribution License], MIT, puisqu’on a des gens qui aiment le logiciel et qui nous écoutent, ça ne posera jamais aucune difficulté.
En revanche, pour des œuvres propriétaires ou des œuvres qui sont sous des licences GNU GPL – il n’y a pas de licence GPL, il n’y a qu’une licence GNU GPL, il faut le rappeler –, clairement, à ce moment-là, les obligations de réciprocité de la licence doivent s’appliquer, devraient s’appliquer à ce qui est généré par l’IA. Quelle que soit la manière dont l’IA va traiter par son réseau, va s’entraîner en fait, faire un output à partir de l’input, il y a cet output à partir de l’input ; s’il n’y avait pas eu l’input, il n’y aurait pas eu l’output ; s’il n’y avait pas eu cette entrée, il n’y aurait pas cette sortie. Donc, cette sortie est une œuvre dérivée de l’entrée.
Comme il y a des milliers, des dizaines de milliers, des centaines de milliers, des millions, des milliards d’œuvres qui sont en entrée, on se retrouve avec une sortie qui est une œuvre dérivée de milliards d’œuvres en entrée. Pour moi, il n’y a pas de dilution des droits, il y a juste un problème d’exploitation.
Des décisions de jurisprudence, aux États-Unis, nous disent que l’IA ne peut pas être auteur, il ne peut pas y avoir de lien entre une personne physique auteur et une œuvre créée par une IA. Évidemment, puisqu’une IA c’est un logiciel et un logiciel n’a pas de personnalité morale, ce n’est pas une personne. À la rigueur on peut imaginer – et, à titre personnel, je ne suis pas tout à fait d’accord avec cette approche – que quelqu’un qui a une super idée pour faire un prompt puisse avoir un lien ténu avec une œuvre utilisée. Maintenant, même ChatGPT est capable de faire des images sans prompt ! On peut donc mettre de côté ce savoir-faire du prompt qui pouvait être vaguement justifiable. Il ne peut plus y avoir de lien entre la personne qui demande une image générée et cette image. Ces images générées sont donc sans auteur.
Pour moi, elles s’intègrent dans un processus de création, à condition qu’elles aient été créées de manière légitime, à savoir qu’il n’y ait pas de droits d’auteur lésés à l’entrée ; si l’entrée est légitime, à ce moment-là, la sortie est légitime et elles s’inscrivent dans un processus de création pour inspirer l’illustrateur, pour inspirer le photographe, pour aider à faire un mood board, par exemple, pour aider à créer de nouvelles choses, pour aider à représenter un élément qui pourrait être intégré dans une œuvre plus large, mais qui, cette fois-ci, sera faite à la main, avec ou sans Photoshop ou par collage, peu importe. Ça va s’intégrer. L’IA est maintenant incontournable, on ne va pas pouvoir faire sans, c’est juste une question d’adaptation.

Luk : Dans les jeux de rôle, ou ailleurs, la problématique est la même : ça va devenir un outil et les conditions juridiques dans lesquelles on va pouvoir produire ces éléments est un problème pour tout le monde, au final.
Amaury, tout à l’heure tu as parlé de licences libres, de l’intérêt que ça pouvait avoir. On a beaucoup parlé du point de vue des auteurs. Est-ce que les joueurs, les rôlistes qui achètent des jeux de rôle, devraient exiger des licences libres, en tout cas favoriser des licences libres dans leurs choix de jeux de rôle ?

Amaury Bouchard : Je pense que quand on est un tant soit peu éduqué sur les licences libres, ce qu’elles sont, ce qu’elles apportent, je dirais évidemment. Pour moi ça coule de source, c’est ce que je disais au début sur le fait que ça va complètement dans la manière dont on pratique le jeu de rôle à la base.

Luk : En te posant la question, je ne prends pas trop de risques !

Amaury Bouchard : C’est sûr ! Je me rends compte qu’une très faible part de rôlistes savent ce que sont les licences libres et, souvent, ce sont plutôt ceux qui sont informaticiens ou informaticiennes à la base, comme moi, il n’y a pas de miracle ! Sinon, globalement, les gens ne sont pas éduqués sur le sujet, on ne peut pas leur en vouloir, pour beaucoup ça peut sembler être juste une marotte de gens bizarres comme nous. Du coup, les gens font souvent n’importe quoi. Tout à l’heure, je donnais l’exemple en disant que quand on crée sous licence libre, on dit aux gens « prenez, allez-y, enrichissez, traduisez, etc. », mais on voit des traductions de jeux complètement illégales parce que les gens pensent qu’on est dans un univers qui est sympa, les gens sont cool, allez, hop !, je le diffuse sur Internet. Mais non ! En fait, on ne peut pas le faire !
À une époque, je faisais des jeux de société que je mettais sous licence libre – pour le coup, il n’y a vraiment pas beaucoup de jeux de société sous licence libre ! Pour moi, une des raisons, c’était pour dire que c’est un moyen d’espérer que ça puisse se diffuser, que des traductions se fassent sans que j’aie besoin d’être derrière et de maîtriser le truc.
Chez les joueurs, ce ne serait pas mal qu’on réussisse à expliquer un peu plus ce que sont les licences libres. Des gens ont entendu parler une fois de la licence OGL et, du coup, pensent que tous les jeux sont libres. Il y a même un créateur de jeux à qui je parlais de licence lire et qui me disait « oui, mon jeu est sous licence libre », alors qu’en fait il n’y a pas de licence… Bon ! Il n’a pas tout à fait compris le concept. Bref !

Luk : OK. Très bien.
Un sujet me tient à cœur, celui du financement participatif. Sébastien, je sais que tu as beaucoup recours au financement participatif, mais c’est plutôt de la prévente de ce que j’en sais.

Sébastien Célerin : En fait, aujourd’hui, il y a plusieurs initiatives de relations commerciales participatives.
Historiquement, il y a effectivement le financement participatif : je vous expose mon projet, vous me donnez de l’argent et il y a une forme de contribution et ça nourrit le projet. Dans le domaine du jeu, sur les plateformes qui faisaient ça, c’est plutôt devenu, petit à petit, des précommandes participatives. C’est vrai que chez XII Singes on a plutôt recours au modèle de précommande participative. On va sur une plateforme où c’est clairement la mode, c’est le modèle, juridiquement c’est bien de la vente, ce n’est pas du financement, ce n’est pas que vous avez une contrepartie, vous achetez effectivement quelque chose, donc, légalement, on est dans la relation du droit du commerce. On a souscrit à ça parce que, depuis une quinzaine d’années, les jeux de société se développent beaucoup, touchent un public de plus en plus large, mais le jeu de rôle reste quand même quelque chose, j’ai envie de dire, d’experts, en fait une pratique très avancée parce que ça demande de la préparation, ça peut être chronophage, ça demande souvent qu’il y ait un arbitre. Bref !, il y a des prérequis à la pratique qui font que, par rapport au marché, c’est comme ça, il faut plutôt être plus expérimenté.
Du coup, comme les magasins achètent pour revendre, ils ont de moins en moins de place à consacrer aux jeux de rôle. Et ça devenait vraiment compliqué de s’assurer que la rencontre se fasse. Autant la littérature ou le disque, d’une certaine manière, c’est un marché de l’offre, c’est-à-dire que vous proposez la diffusion, c’est mis en distribution, les gens passent dans les rayons, se servent et toute la chaîne est rémunérée sur le prix final, en fait le monde du jeu ce n’est pas ça : nos clients ne sont pas les gens qui jouent et qui achètent en magasin, ce sont les gens qui les achètent pour les revendre. On a donc un intermédiaire très fort qui, lui, prend le risque financier. Alors qu’il avait de moins en moins envie d’en mettre en rayon de par les personnes qui viennent dans ses magasins, il fallait donc trouver un moyen de garder le lien avec le client final, parce que ce n’est pas l’éditeur qui va changer toute la chaîne de valeur.
Après, ces projets-là sont avec des tickets d’entrée, des paliers qui sont très différents en fonction des ambitions artistiques, de l’audience, du type de jeu, du type d’univers. On a beaucoup parlé de Donjons et Dragons, certains se disent peut-être parce qu’il est très connu, parce que c’est le premier, parce que ça fait 50 ans cette année. Oui, aussi parce que si vous faites de l’héroic fantaisy, vous avez l’assurance d’avoir un très grand nombre de personnes que ça intéresse. Sauf que quand vous êtes éditeur, vous avez aussi envie de publier autre chose, et il y a des sujets pour lesquels ce n’est pas forcément évident. Vous aurez beau faire tous les efforts personnels de marketing que vous voudrez, non, il faut aller parler directement au lecteur, même au revendeur qui est censé être expert parce qu’il voit passer tout le monde, pour qu’il se rende compte qu’il y a un potentiel et de quelle nature il est.

Luk : On va bientôt s’arrêter, on fera un petit mot de la fin après la chronique de Laurent et Lorette Costy. On va écouter un morceau de Sebkha-Chott, un groupe qui fait de la musique sous licence libre et qui a recours au financement participatif, qui paye son temps de travail avec le financement participatif et, évidemment, on ne sait pas ce que va donner la musique tant qu’on l’a pas entendue.
Est-ce que tu penses qu’une formule de ce type-là serait faisable en jeu de rôle ? Si tu arrivais en disant « on va sortir jeu de rôle, pour l’instant je n’ai rien à vous montrer, mettez des sous sur la table et vous verrez bien ce que ça donne, mais ce sera sous licence libre. » Est-ce que tu penses que c’est jouable ?

Sébastien Célerin : Je pense que ça peut fonctionner si la personne qui porte le projet a déjà une forme de notoriété, soit parce qu’elle a déjà publié, soit parce qu’elle a une communauté. Ou alors qu’elle a des arguments pour se positionner dans le genre ou qu’elle annonce l’incarnation d’une promesse et tout le monde se dit « personne n’a eu cette idée-là ! ». Au tout début des opérations de participatif, franchement c’était beaucoup ça, on ne savait pas grand-chose. Aujourd’hui, c’est beaucoup moins le cas. On a plutôt régressé en fait.

Amaury Bouchard : De nos jours ça arrive encore. Des éditeurs connus peuvent porter des projets, mais on a souvent, au début de la campagne, juste quelques artworks, quelques illustrations et ça donne envie.

Sébastien Célerin : Pour que ça marche, il faut montrer plus que ça.

Luk : Donc, au final, le nerf de la guerre c’est la notoriété.

Sébastien Célerin : C’est la notoriété et c’est montrer que c’est suffisamment avancé. L’enjeu, aujourd’hui, c’est le délai entre le moment où l’opération se termine et le moment où on livre. Il y a eu énormément d’abus par des porteurs de projets qui ne savaient pas ce qu’ils faisaient. La crise sanitaire, les confinements, les difficultés sur les matières premières et l’énergie ont amplifié les retards de livraison, donc, aujourd’hui, il y a une très grosse défiance. Et puis, en ce moment, il y a une actualité de gens qui mettent la clé sous la porte sans livrer, donc, c’est compliqué.

Luk : On va se retrouver après la pause et la chronique pour faire un petit mot de la fin pour vous trois.
Je vous remercie déjà de votre participation.
On va écouter Free Software song par Sebkha-Chott sous licence CC By SA 3.0.

Pause musicale : Free Software song par Sebkha-Chott.

Voix off : Cause Commune, 93.1.

Isabella Vanni : Nous venons d’écouter Free Software song par Sebkha-Chott sous licence Creative Commons Attribution, CC By 3.0.
Je remercie Luk d’avoir préparé et animé ce sujet et les personnes invitées aujourd’hui.

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Isabella Vanni : Je suis Isabella de l’April. Nous allons passer au sujet suivant.

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Chronique « À cœur vaillant, la voie est libre » de Laurent et Lorette Costy sur le thème « Ecballium, Cucurbitacine et Firefox »

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Laurent Costy : Lorette, j’ai appelé Étienne, le parrain de ton frère : c’est un Auvergnat d’origine, mais il est au Zimbabwe en ce moment. Je lui ai dit : « J’ai mangé un aligot ce midi – parce que j’avais mangé un aligot le midi – et toi, tu as mangé quoi ? », et il m’a répondu « du crocodile ». Je lui ai répondu que, là-bas, ça s’appelait de l’aligotore et que c’était caïman la même chose. Je me suis trouvé assez désopilant sur le coup.

Lorette Costy : Papa, ce n’est toujours pas le podcast sur la cuisine qu’on enregistre aujourd’hui. Et, pendant que tu mets de l’atome de fromage dans la purée, je me renseigne pour apporter des réponses que nous avions promises dans la chronique 20.

Laurent Costy : On avait parlé de quoi, déjà ? De from’and pif ? Ces moments légendaires et conviviaux de l’April où le vin méticuleusement choisi converge avec le fromage parfaitement affiné, sur une table adossée à un mur sur lequel est accroché un magnifique poster illustrant les quatre libertés du logiciel libre ?

Lorette Costy : Presque. On se posait la question des extensions utiles sur le navigateur Firefox et de leur éventuelle redondance avec la configuration par défaut. Comme ce navigateur, précieux pour nos libertés numériques, s’améliore régulièrement et qu’il intègre nativement des fonctions de protection de notre vie privée, la question doit se reposer de temps en temps.

Laurent Costy : Ça y est, ça me revient ! On s’était promis de contacter Christophe Villeneuve, alias Hello Sector One. Comme il est contributeur de la Fondation Mozilla, représentant de la Fondation et animateur de la communauté, on s’était dit qu’il raconterait sans doute moins de bêtises que nous !

Lorette Costy : Ça, ce n’est pas trop difficile ! Oui, il a eu la gentillesse de bien vouloir nous répondre ! Une de nos premières questions portait sur les cookies tiers, ceux qui n’ont rien à voir directement avec le site qu’on consulte et qui pistent nos comportements. Il confirme : ça fait déjà plusieurs versions que Mozilla Firefox les bloque nativement.

Laurent Costy : C’est l’occasion de parler des tentatives de Google pour continuer à dominer la publicité sur Internet et de résumer l’article de Clubic sur le sujet, article que j’ai découvert dans cette incroyable Revue de presse de l’April, produite chaque semaine par Echarp. Merci à lui ! C’est d’autant plus précieux avec l’hiver qui approche.

Lorette Costy : L’article parle des règles que Google veut faire évoluer concernant l’utilisation des extensions du navigateur Chrome. Ces règles pourraient impacter l’efficacité des bloqueurs de publicité actuels. Évidemment, Google prétend vouloir protéger la vie privée, mais il s’agit surtout de limiter les capacités des bloqueurs de pubs proposés par des structures externes, pour consolider son propre modèle économique et augmenter encore son profit.

Laurent Costy : Et c’est là que Firefox a une position particulière : les navigateurs Chrome, Edge ou Brave s’appuient sur Chromium et son moteur de rendu Blink, adopté en 2013, au détriment de WebKit, WebKit que Firefox continue d’utiliser et de développer. Google, Microsoft et Brave Software ajoutent leur propre couche et des fonctionnalités plus ou moins bien, surtout moins, pour développer leurs navigateurs respectifs Chrome, Edge et Brave. Firefox, lui, n’est pas dépendant de Chromium et garde donc une relative liberté quant au développement des extensions.

Lorette Costy : Si je comprends bien, il va pouvoir, plus facilement que les autres navigateurs basés sur Chromium, intégrer à sa manière les nouvelles règles que Google veut imposer et pourra proposer des extensions qui seront plus efficaces dans le blocage des publicités !

Laurent Costy : C’est effectivement ça qui se joue ! Bref, on ne le dira jamais assis, donc, je me lève : ne faites pas confiance aux GAFAM ! Pour preuve, une citation des cofondateurs de Google, Larry Page et Serguey Brin, qui, en 1998, s’inquiétaient des incitations perverses de la publicité dans leur article fondateur. Je te laisse la lire, tu as un talent certain pour ça !

Lorette Costy : Merci. Je cite : « Les objectifs du modèle économique de la publicité ne correspondent pas systématiquement à une offre de qualité pour les utilisateurs de la recherche en ligne. […] Nous pensons que les moteurs de recherche financés par la publicité seront intrinsèquement biaisés en faveur des annonceurs et répondront moins bien aux besoins des consommateurs. »

Laurent Costy : Hou là ! Et conclusion, quand il y a beaucoup de pognon, ce n’est pas bon ! Mais revenons à Hello Sector One. Par exemple, outre le blocage des cookies tiers, l’extension uBlock Origin bloque aussi les publicités. Même s’il y a une redondance sur la gestion de ces cookies par rapport aux fonctionnalités actives par défaut sur Firefox, elle est précieuse pour lutter contre l’affichage intempestif. Donc, on l’installe.

Lorette Costy : On avait aussi parlé de Privacy Badger et de Ghostery dans la chronique de l’émission 112. Du coup, il dit quoi Hello Sector One ? Il faut ou il ne faut pas ?

Laurent Costy : Ces deux extensions bloquent aussi, chacune, les cookies tiers. Si on met les trois, ça va faire, ceinture, bretelles, airbag et casque de vélo avec la cotte de mailles, mais elles ne font pas que ça, évidemment. Dans mes recherches, je suis tombé sur une page de ghostery.com qui compare Ghostery et Privacy Badger : ils disent que la combinaison de Privacy Badger et µBlock Origin équivaut à Ghostery. Bon, ça sent un peu le parti pris, mais chacun et chacune choisira selon ses convictions.

Lorette Costy : Il y a aussi l’extension Flagfox qui affiche un petit drapeau indicatif aux couleurs d’une nation au bout de la barre d’adresse. Même si, parfois, l’extension peut se tromper, ça reste un bon moyen d’être alerté sur le probable pays dans lequel le serveur, qui contient vos données, se trouve.

Laurent Costy : Oui, je l’ai activé sur Firefox. J’ai aussi voulu le mettre en place sur Chromium que j’utilise de temps en temps, quand je soupçonne une incompatibilité sous Firefox, pour tenter d’isoler des paramètres liés aux extensions. Sauf que cette extension n’existe pas sous Chromium ! Ça veut dire que la communauté autour de Chromium n’a pas encore choisi de développer une telle extension !

Lorette Costy : On a vu que Chromium sert de base pour des projets open source comme Brave et pour des navigateurs propriétaires comme Vivaldi Browser, Google Chrome, le moteur de recherche russe Yandex Browser, Opera ou encore Microsoft Edge. Tu me confirmes, vraiment, que Chromium est bien un logiciel libre ?

Laurent Costy : Si on en croit la page Wikipédia du projet, je cite : « Chromium est un navigateur web libre développé par l’organisation Chromium Project créée par Google en 2008. ». Là où j’atteins un peu mes limites c’est quand, sur des forums, des personnes recommandent d’utiliser Iridium, un projet de navigateur allemand basé sur Chromium à la place de Chromium. En tant que libriste, utiliser Chromium à la place de Chrome est logique puisque le code source de Chrome n’est pas accessible mais, entre Iridium et Chromium, il y a sans doute des subtilités que je ne sais pas voir.

Lorette Costy : Les deux noms finissent par « ium ». Étrange coïncidence quand on sait que l’ecballium, également appelé concombre d’âne ou cornichon explosif, plante herbacée, vivace, originaire du bassin méditerranéen et de la famille des cucurbitacées, finit aussi en « ium » ! Mais, pour en revenir à Chromium et Iridium, le mystère reste entier d’épaississement. Il te faudra peut-être demander à tes alliés, Papa !

Laurent Costy : Dis donc, on apprend des trucs : la particularité de l’ecballium réside dans son fruit qui ressemble à un petit concombre. Lorsqu’il arrive à maturité, il éclate sous l’effet de la pression interne, projetant ainsi ses graines à plusieurs mètres de distance. Ce mécanisme permet une dissémination efficace et rapide des graines dans l’environnement. L’ecballium possède également des propriétés médicinales, notamment grâce à sa teneur en cucurbitacine, aux effets anti-inflammatoires et analgésiques.

Lorette Costy : Comme d’habitude, quand vous placerez ce sujet dans les conversations à Noël, n’oubliez pas de dire où vous l’avez appris, de faire, au passage, un don en soutien à la radio Cause Commune qui en a besoin – vous pourrez voir lien pour cela – et d’adhérer à l’April si ce n’est pas encore fait. Ce sera tout !

Laurent Costy : Bonne idée pour les alliés, je demanderai à Stéphane Bortzmeyer qui continue gentiment à relire cette chronique dont le niveau technique reste pourtant bien bas. Ça fera peut-être une réponse à apporter pour les prochaines chroniques. On ne promet rien !
Comme la chronique doit durer 10 minutes max et non pas 42 heures, on va être obligé de renvoyer les personnes qui nous écoutent vers la page des extensions recommandées par l’équipe de Firefox pour préserver au mieux sa vie privée.

Lorette Costy : À retenir peut-être deux choses avant de conclure :
d’abord, Firefox mobile est désormais compatible avec toutes les extensions qui existaient pour Firefox sur ordinateur. Et bim !, µBlock Origin et Privacy Badger sur mon tel ;
Hello Sector One nous a également parlé des conteneurs. Ce n’est pas forcément récent comme implémentation dans Firefox, mais ça améliore aussi la préservation de la vie privée lors de la navigation.

Laurent Costy : En quelques mots, il s’agit d’organiser ses navigations pour empêcher des collectes entre différents sites internet. Vous pouvez utiliser les propositions par défaut, comme « Personnel, Professionnel, Achats en ligne, Bancaire », etc., ou définir des « univers de navigation » vous-même pour empêcher les passages d’informations et le partage de cookies entre les sites. Il existait déjà la possibilité de créer des profils sous Firefox, mais cette extension simplifie les choses.

Lorette Costy : Bon, il va falloir qu’on arrête de parler de Firefox, papa, sinon, les gens vont penser qu’on travaille bénévolement pour Mozilla et non pas bénévolement pour l’April ! Ils pourraient croire qu’on touche notre non-salaire de la part de Mozilla, justement, alors que c’est bien l’April qui nous non-verse notre non-salaire de bénévoles !

Laurent Costy : Juste remarque que cette remarque-là ! C’est important de ne pas mélanger les genres. On pourrait nous accuser de conflit d’intérêt à promouvoir des causes et des trucs bien. Avec tout ça, on n’a pas parlé de la manière dont la transition numérique avance dans ton association. On se promet de prendre la température à la prochaine chronique ?

Lorette Costy : C’est noté. En attendant, je vais parcourir le calendrier de l’Avent des jeux que proposait Mozilla en 2018 et le calendrier de l’Avent des extensions de 2020. La bise Papa Pril !

Laurent Costy : La bise à toi chasseuse d’ecballium et collecteuse de cucurbitacine pour les rhumatismes de ton petit papa vieillissant !

[Virgule sonore]

Isabella Vanni : C’était une nouvelle chronique du duo Laurent et Lorette Costy, la chronique « À cœur vaillant la voix est libre ».

Je laisse le mot de la fin à nos amis sur le plateau.

Luk : Merci de nous laisser une petite minute. On va commencer par Amaury.

Amaury Bouchard : Très vite. Si vous êtes créateur de jeux de rôle, mettez vos jeux sous licence libre, sous une vraie licence libre, pas la licence OGL, il en existe plein. Et si vous êtes joueur, parlez-en autour de vous et faites pression sur les gens que vous connaissez pour qu’ils consomment des jeux sous licence libre.

Luk : Ludovic.

Ludovic Schurr : Merci beaucoup d’avoir fait un rappel, ce n’est pas souvent à la radio. Qu’est-ce que je peux dire à part fin ? Merci beaucoup de nous avons avoir écoutés. Respectez bien le droit, surtout les licences libres. N’oubliez pas qu’il n’existe pas d’autres voies que celle de liberté logicielle et de la liberté du jeu de rôle.

Luk : Sébastien.

Sébastien Célerin : Le jeu de rôle c’est le meilleur jeu du monde, donc jouez-y, jouez-y davantage !

Luk : Très bien. Merci à vous trois. Personnellement, j’ai trouvé ça passionnant et merci pour l’invitation à l’émission.

Isabella Vanni : Merci à vous.

Quoi de Libre ? Actualités et annonces concernant l’April et le monde du Libre

Isabella Vanni : Notre émission se termine.

Je remercie les personnes qui ont participé à l’émission d’aujourd’hui : Luk, Amaury Bouchard, Sébastien Célerin, Ludovic Schurr.
Aux manettes de la régie aujourd’hui, Magali Garnero.
Merci également aux personnes qui s’occupent de la post-production des podcasts : Samuel Aubert, Élodie Déniel-Girodon, Lang1, Julien Osman, bénévoles à l’April, et Olivier Grieco, le directeur d’antenne de la radio.
Merci aussi aux personnes qui découpent les podcasts complets des émissions en podcasts individuels par sujet : Quentin Gibeaux, bénévole à l’April, et mon collègue Frédéric Couchet.

Vous retrouverez sur notre site web, libreavous.org, toutes les références utiles, ainsi que sur le site de la radio, causecommune.fm.

N’hésitez à nous faire des retours pour indiquer ce qui vous a plu, mais aussi des points d’amélioration. Vous pouvez également nous poser toute question et nous y répondrons directement ou lors d’une prochaine émission. Toutes vos remarques et questions sont les bienvenues à l’adresse contact chez libreavous.org
Si vous préférez nous parler, vous pouvez nous laisser un message sur le répondeur de la radio, pour réagir à l’un des sujets de l’émission, pour partager un témoignage, vos idées, vos suggestions, vos encouragements ou pour nous poser une question. Le numéro du répondeur : 09 72 51 55 46.

Nous vous remercions d’avoir écouté l’émission.
Si vous avez aimé cette émission, n’hésitez pas à en parler le plus possible autour de vous et à faire également connaître la radio Cause Commune, la voix de possibles.

La prochaine émission aura lieu en direct mardi 6 février 2024 à 15 heures 30.
Nous vous souhaitons de passer une belle fin de journée et on se retrouve en direct mardi 6 février 2024. D’ici là, portez-vous bien.

Générique de fin d’émission :Wesh Tone par Realaze.