Raphaël Grably : Que ce soit pour les arnaques en ligne, la pornographie ou le cyber-harcèlement le gouvernement veut sécuriser Internet. C’est l’idée de la nouvelle loi sur le numérique qui est actuellement débattue à l’Assemblée nationale avec, au passage, des débats qui ont débordé sur des thèmes assez sensibles comme l’anonymat en ligne. Mais, finalement, qu’est-ce que ce texte va vraiment changer ?
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Bonjour Éric Bothorel.
Éric Bothorel : Bonjour Raphaël.
Raphaël Grably : Tu es député – je dis « tu » parce qu’on échange assez régulièrement –, tu es député de la 5e circonscription des Côtes-d’Armor, député Renaissance, donc de la majorité. On va dire que tu es très porté sur les sujets numériques, tu connais très bien ces sujets, c’est donc pour cela que je tenais à t’avoir dans Métadonnées avec ce texte qui arrive cette semaine à l’Assemblée nationale [1]. Il était déjà en commission, il arrive en séance publique, il a beaucoup fait parler parce que ça touche à des thèmes qui sont entrés dans l’actualité, on va en parler, le cyber-harcèlement avec le bannissement des réseaux sociaux, la pornographie en ligne, on en parle beaucoup aussi. D’abord, je voulais commencer par ce qui n’est pas dans le texte, mais ce qui est proposé dans des amendements et ce qui a, peut-être, fait le plus réagir : « la fin », entre guillemets, de l’anonymat en ligne, proposée par des députés, notamment, il faut le dire, quasiment tous les députés Renaissance sauf toi. Donc cette volonté de rattacher notre identité, notre vraie identité aux réseaux sociaux, et ce n’est pas un amendement que tu vas défendre.
Éric Bothorel : Ce n’est certainement pas un amendement que je vais défendre, ce n’est même pas un concept que je vais défendre parce que je pense qu’il part d’un préambule qui est biaisé, qui est faux. Je m’explique : le rapporteur général, Paul Midy, qui est à la tête de cet amendement, qui vise à certifier les comptes des réseaux sociaux, part du principe que, finalement, il y aurait un monde quasi-idéal qui est celui de la vraie vie où tous les criminels et les délictueux seraient identifiés et poursuivis en justice, ce qui ne serait pas le cas sur les réseaux sociaux. Il y aurait donc un déséquilibre dans le parallélisme des formes entre la capacité de commettre des crimes et des délits dans la vraie vie et la capacité qu’ont les forces de police à élucider les affaires. C’est déjà un biais en soi. Le taux d’élucidation des cambriolages, par exemple, est assez stable depuis des années : il est entre 8 et 12 %.
Raphaël Grably : Pas grand-chose non plus. Il n’y a pas de réseaux sociaux, mais bon !
Éric Bothorel : Ça veut dire qu’il y a 90 % des affaires qu’on n’arrive pas à élucider, je t’épargne les vols à l’arraché, les ceci, les cela.
Donc dans la vraie vie, déjà, il y a un certain nombre d’infractions, de crimes, de délits qu’on n’arrive pas à élucider. Il y a des cold cases et ça ne crée pas un drame national. On n’a pas un sentiment d’insécurité, en tout cas qui se nourrit de ça chaque jour en se disant « ce n’est pas possible, on ne peut pas retrouver ceux qui m’ont cambriolé ».
Donc, déjà, le préambule est faux pour prolonger la suite qui consisterait à dire, puisqu’on a quelque chose qui donne un sentiment d’impunité, qu’on peut avoir dans la vraie vie par ailleurs, que je conteste déjà à la base, il faut mettre fin à l’anonymat.
D’abord il n’y a pas d’anonymat. J’étais hier chez Pharos [2] avec deux éminences grises du Net, puisque j’étais avec Stéphane Bortzmeyer et Pierre Beyssac, à qui on a ouvert les portes de Pharos et de THESEE [3]. Je ne veux pas trop rentrer dans les détails de ce qui a été échangé sur les aspects techniques, mais ce que je peux retenir de la parole des flics ou des gendarmes qu’on a rencontrés là-bas, c’est qu’en gros, ils citaient une affaire dans laquelle les gens mettent en œuvre des technologies pour essayer de se soustraire à la capacité qu’on a de les identifier, il ne faut pas désespérer que les flics et les gendarmes aient des moyens pour contourner tout cela. Et le vrai sujet, le vrai enjeu pour eux, c’est la coopération des plateformes et le DSA [Digital Services Act] apporte ça.
Au travers de ce texte on aurait pu valoriser ce qu’apporte le DSA en matière de responsabilisation des plateformes, une façon, finalement, de les contraindre avec la nomination d’un représentant légal. Ça a été longtemps réclamé. Je pense à Richard Malka qui en parlait lorsqu’on l’avait rencontré.
Raphaël Grably : Il n’y a toujours pas de représentant légal avec le DSA.
Éric Bothorel : Il y a la nécessité d’avoir un représentant légal dans un des pays.
Raphaël Grably : Il n’y en a pas en France. Il y a ce qu’on appelle un point de contact.
Éric Bothorel : C’est un sujet qui va permettre, malgré tout, de responsabiliser les plateformes.
Raphaël Grably : Par contre, effectivement, quand on échange avec les policiers de cybermalveillance ou de Pharos, etc., c’est vrai qu’ils nous disent que les plateformes, finalement, ne coopèrent pas trop mal.
Je voulais revenir sur la proposition qu’ils font parce que, technologiquement, ce n’est pas totalement inintéressant. Ils proposent de créer une sorte de base de données où chaque personne serait rattachée à un numéro et, une fois qu’on s’inscrit au réseau social, ce réseau social a notre numéro, c’est pour cela qu’ils parlent de plaque d’immatriculation, donc la plateforme n’a pas notre nom – si on met son nom sur Twitter, de toute façon ils auront notre nom –, ce qui permet ensuite aux autorités, quand il y a un problème, de demander ce numéro et ensuite aux autorités de faire le matching, le rapprochement. Encore une fois, c’est d’ailleurs ce qu’on se disait, encore faut-il que la plateforme accepte de donner ce numéro au même titre qu’aujourd’hui elle donne l’adresse IP. J’ai un peu de mal à voir la différence que ça ferait.
Éric Bothorel : Tout l’enjeu c’est effectivement ce que tu viens de pointer, c’est le sujet de la coopération. À la limite, qu’on détienne ou non l’information ! Aujourd’hui on a des données de connexion par les fournisseurs d’accès à Internet, on a les adresses IP soit par les FAI, soit les fournisseurs de plateformes. On a déjà les informations qui permettent de localiser.
Raphaël Grably : Même avec les VPN [Virtual Private Network], si on utilise des VPN, des choses comme ça ?
Éric Bothorel : Il y a des VPN qui collaborent avec la police.
Raphaël Grably : Il y a aussi des VPN qui collaborent avec la police.
Éric Bothorel : Il faut nommer les choses. Dans le monde, il y a de multiples intermédiaires qui séparent l’utilisateur de l’accès à l’information : il y a évidemment ceux qui fournissent, il y a ceux qui permettent la navigation, il y a ceux qui, éventuellement, tronquent les adresses IP, je pense à Cloudflare par exemple. Il y a une myriade d’acteurs vers lesquels on peut se tourner, le cas échéant, quand on a besoin des informations sur quelqu’un qui est présumé auteur d’un acte, et il y a des plateformes qui collaborent plus que d’autres.
En définitive, le sujet qui est porté par le rapporteur général, Paul Midy, ne réglera pas le problème. Plus on va aller vers ça, plus les gens vont se réfugier vers des réseaux qui sont des réseaux de seconde zone, mainstream, etc. On l’a vu en 2015 quand on a déplateformisé les djihadistes qui avaient occupé Telegram, ils sont partis sur d’autres réseaux sociaux. Aujourd’hui où l’extrême-droite s’exprime-t-elle ? Elle s’exprime sur Gab, elle s’exprime sur VK, elle s’exprime sur MYM.
Raphaël Grably : Qui eux, pour le coup, ne collaboreraient pas avec les autorités en cas de publication illégale.
Éric Bothorel : Imagine un seul instant que Gab !
Raphaël Grably : Tu crains les effets de bord finalement.
Éric Bothorel : Je crains les effets de bord, je crains ce que ça peut représenter comme entorse à des principes fondamentaux de l’Internet et puis je fais une comparaison que le ministre a aussi empruntée : très massivement, les gens vont sur Internet ou sur les réseaux sociaux pour s’informer. On ne demande pas une carte d’identité quand on va au kiosque pour acheter un journal. Donc je pense que même le Conseil constitutionnel pourrait dire qu’il y a une rupture, qu’il y a une atteinte aux libertés fondamentales que sont le droit à l’accès à l’information, parce que vous mettez une contrainte qui n’a pas lieu d’être.
Raphaël Grably : Première question, pourquoi est-ce que tu n’arrives pas à le dire : tous les députés Renaissance ont signé cet amendement.
Éric Bothorel : Je sais qu’il y a des députés Renaissance qui sont en train de retirer leur signature.
Raphaël Grably : D’accord. J’imagine que tu leur dis. Pourquoi est-ce que tu n’arrives pas à les convaincre ? C’est purement politique ?
Éric Bothorel : Non. Je pense que dans l’air du temps il y a un côté émotionnel.
Raphaël Grably : Donc c’est politique !
Éric Bothorel : Tous les arguments qu’on peut à avancer ne résistent pas à l’idée que oui, il y a nécessité de faire plus pour tenter d’identifier les auteurs. Tout le monde a conscience qu’on arrive déjà à faire des choses, mais il y a une part qui n’est pas résolue.
Je dois le dire aussi : je pense qu’en tant que député on a un biais sur l’appréciation qu’on porte sur ce qui se passe sur les réseaux sociaux parce que nous-mêmes nous sommes des victimes d’un certain nombre d’attaques. La plupart du temps, les gens qui sont sur un Meta ou d’autres choses, quand ils n’ont pas envie d’être emmerdés ils se mettent en mode privé, ils ont des échanges avec des gens qu’ils connaissent vraiment et c’est ça le quotidien des gens qui sont sur les réseaux sociaux. Je pense que ce que l’on vit, l’intensité avec laquelle il peut y avoir des attaques, c’est le lot de ceux qui ont une responsabilité publique ou qui ont décidé d’avoir une exposition publique.
Et oui, pour le coup, on a du mal à convaincre certains députés parce qu’ils sont eux-mêmes victimes d’un certain nombre d’attaques, parfois ils ont déposé plainte, parfois on leur a dit « on n’arrive pas à identifier l’auteur », oui ça arrive. C’est aussi parce que, probablement, on manque de temps, on manque de moyens et on pourrait multiplier par dix les effectifs de Pharos, on pourrait multiplier par dix les cyber-patrouilleurs et nous avons augmenté le nombre de cyber-patrouilleurs et nous avons augmenté les effectifs de Pharos, aujourd’hui ils sont près de 50 pour travailler 24 h/24, sept jours sur sept, on ne finirait pas de vider la baignoire de tout ce que le monde est capable de régurgiter comme conneries.
Raphaël Grably : On va passer ensuite à un autre sujet, mais je précise que cet amendement est assez particulier puisqu’à la fois il est porté par quasiment tout le groupe Renaissance, sauf toi et à priori d’autres, mais il n’est pas soutenu par le gouvernement. Tu dis que ça pourrait ne pas passer le Conseil constitutionnel si c’était adopté. À priori, ça pourrait aussi ne pas passer à Bruxelles, Jean-Noël Barrot a dit : « De toute façon on ne peut pas le soutenir puisque c’est incompatible avec le droit européen » qui, en fait, gère ces plateformes européennes et ce n’est pas au niveau national que ça se fait.
Éric Bothorel : Et ça ne passera probablement pas l’Assemblée nationale puisque les autres groupes politiques ont déjà exprimé qu’ils étaient plutôt pour un choix défavorable.
Raphaël Grably : Effectivement. J’ai voulu qu’on en parle parce que, comme tu le dis, ça ne passera probablement pas dans le texte, mais c’est un sujet qui est tellement clivant, on l’a vu, ça a tellement fait réagir, je trouvais que c’était intéressant quand même de le mentionner. On ne va pas se mentir, ça va revenir, on sait que ça va revenir parce que ça revient tout le temps !
Éric Bothorel : Oui, mais je serai encore là, parmi d’autres, encore.
Raphaël Grably : Un autre sujet assez emblématique, dont on parle aussi beaucoup, c’est le porno en ligne et l’accès au porno des plus jeunes. Là, contrairement à l’anonymat, il y a un consensus. Je pense que tout le monde est d’accord pour dire qu’il faut protéger les plus jeunes de l’accès au porno. Il y a donc une volonté, dans ce projet de loi, de donner des pouvoirs à l’Arcom [Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique], anciennement CSA [Conseil supérieur de l’audiovisuel] [Le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) et la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (Hadopi) sont devenus l’Arcom, NdT], de bloquer les sites pornos, tous les sites pornos qui ne demanderaient pas une vérification d’âge, mais une vraie vérification, pas le « j’ai 18 ans, OK, je clique et j’accède aux contenus pornos ». Non ! Une vraie vérification d’âge. Problème, aujourd’hui il n’y a pas de solution technique qui soit déployée largement, qui soit sécurisée. Comment porte-t-on un projet de loi en sachant qu’il sera difficilement applicable ? Tout le monde soutient l’idée, mais il faut bien admettre,malheureusement, qu’on a du mal à comprendre comment ça va s’appliquer.
Éric Bothorel : Je suis partisan du fait que quand on est législateur et qu’on écrit de droit, on ne rentre pas dans les détails techniques de la mise en œuvre de telle ou telle solution. Je vais faire un parallèle avec le filtre anti-arnaque.
Raphaël Grably : On va parler après du filtre anti-arnaque,
Éric Bothorel : On peut faire un parallèle entre les deux, entre le filtre anti-arnaque et un mécanisme qui permette le contrôle de la majorité de la personne qui se présente sur un site.
Ce n’est pas du ressort du droit d’aller expliquer qu’il faut que ce soit une extension dans le navigateur, désactivable par l’utilisateur, etc. En tout cas, il ne me semble pas que ce soit le cas, parce que ce que nous avons à fixer ce sont les grands principes. Ensuite, derrière, c’est soit à des autorités soit à l’écosystème de se démerder avec la nécessité de se conformer à ce principe.
Raphaël Grably : Je te contredis sur un point. Le grand principe a été fixé en 2020, puisque les sites pornos doivent, en théorie, déjà vérifier l’âge et, en fait, ce texte, justement, va préciser techniquement, en fait va dire à l’Arcom, par délégation, de préciser la mise en place. C’est donc un peu l’inverse finalement. On avait déjà le grand principe et là, ce texte vise justement à préciser le référentiel technique.
Éric Bothorel : Il a été demandé dans un texte, tu l’as rappelé, en 2020. On sait ce qu’il s’est produit.
Raphaël Grably : Rien !
Éric Bothorel : Il s’est produit ce qui se passe dans une grande démocratie, c’est-à-dire l’activation de contre-pouvoirs ou de recours.
Raphaël Grably : Je parle pour l’utilisateur : rien !
Éric Bothorel : Pour l’utilisateur. Mais notre pays est ainsi fait : une fois que la loi est faite, une fois que le décret est publié, les uns et les autres ont encore des arguments ou des astuces soit pour tenter de retarder la mise en œuvre, soit pour la contester. Et c’est tant mieux ! Ce sont les caractéristiques des grandes démocraties et nous en sommes une. Le sujet du porno, en tout cas de l’application du contrôle d’âge par les plateformes du porno en est une illustration puisque, du coup, on a quasiment épuisé, on est au bout du film ou presque.
Raphaël Grably : Tu penses que l’Arcom va réussir à trouver un référentiel technique ? En plus, il y a la question du double anonymat, c’est une exigence de la CNIL : il faut à la fois qu’on puisse se connecter à un site porno sans que ce site porno sache qui on est, on doit donc donner une sorte de certificat numérique de majorité, tout en faisant attention à ce que l’institution – sa banque, son assurance – qui est au courant qu’on est majeur, transmette un document pour certifier sa majorité, mais ne sache pas où on va. Évidemment, on n’a pas envie de dire sur quel site porno on va.
Éric Bothorel : Il y a des choses qui ressemblent à des pops ou des grandes orientations qui permettent d’imaginer que c’est tout à fait faisable aujourd’hui. Il y a des entreprises françaises.
Raphaël Grably : C’est faisable, mais tu penses que l’Arcom va arriver à imposer un référentiel technique là où aucun pays dans le monde n’a réussi ?
Éric Bothorel : Il est arrivé qu’en France on fasse des choses que les autres pays avaient refusé de faire. J’ai en tête des sujets comme le bannissement, ou pas, de Huawei ; j’ai en tête la fiscalité du numérique, un truc purement français qui a été porté ensuite à l’échelon européen pour devenir ce qu’il est devenu. On a parfois insufflé des éléments qui sont devenus des éléments constitutifs de décisions, de règlements ou de directives européennes.
Là-dessus, je crois qu’il y a d’abord une nécessité de et ensuite il y a suffisamment d’intelligence en France pour qu’on arrive à mettre en œuvre quelque chose qui fonctionne..
Les plateformes vont peut-être réfuter que ce n’est pas le bon dispositif. J’ai rencontré les gens de chez Dorcel l’autre jour qui m’ont dit avoir testé auprès de 70 000 utilisateurs différentes technologies pour contrôler la majorité, d’ailleurs certains privilégient plutôt la carte bancaire, sauf que la carte bancaire peut être délivrée à un mineur.
Raphaël Grably : À 16 ans, il me semble.
Éric Bothorel : Il y a des choses qui paraissent être plus sympas, plus pratiques d’un point de vue expérience utilisateur, mais qui, par ailleurs, ne cochent pas toutes les cases. Il y a un travail à faire et l’Arcom va demander à ce que ce soit fait.
Raphaël Grably : Tu me parlais des effets de bord sur les djihadistes qui sont partis sur d’autres messageries, etc. Dans ce texte, il y a quand même quelque chose qu’il faut prendre en compte, c’est le nombre de sites pornos. Imaginons : on arrive à convaincre les grands – Pornhub, Redtube, Tukif, etc., tous les sites qui sont actuellement visés par l’Arcom –, les dix gros sites pornos, on arrive à les convaincre de mettre cette vérification d’âge, sauf qu’il y en a un million derrière qui sont disponibles. Là aussi, ne va-t-on pas avoir aussi un effet de bord où, finalement, ceux qui veulent consulter du porno et qui n’ont pas l’âge, ou qui ont l’âge mais qui n’ont pas envie de donner leur carte d’identité même à une plateforme tierce, vont aller vers d’autres sites pornos qui sont beaucoup moins regardants et qui vont peut-être aussi être moins regardants sur les vidéos qu’ils diffusent ?
Éric Bothorel : C’est l’articulation qui est prévue dans le texte : ceux qui se conforment pourront opérer et ceux qui ne se conformeront pas auront le risque d’être bloqués, auront un ordre de blocage par l’Arcom.
Raphaël Grably : L’Arcom va pouvoir bloquer 300 000, 500 000 ? Je ne sais pas combien il y en a ?
Éric Bothorel : En fait, ce qui est visé ce sont les plus grosses plateformes et les pure players, on va les appeler ainsi, le terme n’est pas forcément approprié, mais c’est ce qu’on a vu sur une excellente chaîne publique la semaine dernière avec d’ailleurs quelques dérives autour des contenus pornographiques qui ne sont pas tous très respectueux : pas de consentement, pas de machin, pas de truc.
Raphaël Grably : Malheureusement, il y a encore bien pire.
Éric Bothorel : Oui, bien sûr, mais dans tous les domaines il y a pire. Il y a des gens qui vont sur Gore pour voir machin, pour voir des trucs que les terroristes adorent exhiber par exemple.
On sait bien qu’à chaque fois qu’on crée un endroit qui est hyper-régulé, on va peut-être donner une chance à des endroits qui le sont moins. À chaque fois qu’on crée, j’allais dire, un enfer fiscal à un endroit, ça donne toujours un peu plus de vie à un paradis fiscal ailleurs. Pour autant, il ne faut jamais désespérer de lutter contre la criminalité autour de la fiscalité. C’est à peu près la même chose sur la régulation. Oui, bien sûr, il faut continuer de réguler les réseaux mainstream, parce que, majoritairement, c’est là que les gens vont, et il ne faut pas être totalement ignorant du fait que plus on va rendre la vie compliquée pour les obsédés des choses les plus radicales, quel que soit le registre dans lequel ils s’expriment, ils trouveront bien un espace sur Internet pour le trouver.
Raphaël Grably : On parlait du passage au niveau européen, de ce truc-là justement. Est-ce que là tu n’as pas peur, aussi, que ce point de la loi soit retoqué au niveau européen ? Ça me fait penser au texte sur la majorité numérique qui a été adopté avant l’été, à 15 ans : quand le décret sera publié, à partir de la publication du décret, sous deux ans, tous les réseaux sociaux devront vérifier l’âge de tous les internautes français qui sont inscrits, donc 40 millions de Français. J’ai eu des petites infos selon lesquelles – tu dis peut-être qu’elles sont fausses – il y a déjà eu une lettre [4]de Bruxelles qui a été envoyée à ce sujet-là. Est-ce que tout ce sujet-là, sur la majorité numérique et sur le contrôle d’âge, ne va pas être retoqué à Bruxelles ?
Éric Bothorel : Je crois que je n’avais déjà pas voté la loi de Marcangeli [5] pour la raison que je pensais que c’était inapplicable de devoir contrôler.
Raphaël Grably : Tu avais voté contre, tu ne la soutenais pas, alors que ça tu le soutiens.
Éric Bothorel : Je le soutiens parce que, à un moment donné, il faut prendre des décisions et celle-ci me paraît, cette fois, proportionnée.
Raphaël Grably : Tu penses que ça peut passer l’échelon européen ?
Éric Bothorel : L’Europe c’est compliqué. Sur plein de sujets, sur le net <em
Raphaël Grably : C’est quoi le code parental ? C’est au niveau de la box.
Éric Bothorel : C’est dans les box. À un moment donné, je pense que l’État ne peut pas tout et qu’il y a des choses qui se passent dans la cellule familiale.
Raphaël Grably : Plutôt que la box, c’est référencer, en fait, tous les sites, toutes les adresses de sites, ce qui est déjà un peu plus réaliste peut-être que, à chaque fois, devoir le faire.
Éric Bothorel : Ils savent le faire du côté des fournisseurs d’accès à Internet et je pense que ça permet de responsabiliser aussi la cellule familiale.
Raphaël Grably : En fait, remonter à la source. Si on met le blocage le plus tôt à la source peut-être…
Éric Bothorel : Et pas tout débarrasser vers l’État en disant « ce n’est pas mon problème », alors qu’en vrai il y a des choses qui se passent au niveau la cellule familiale sur la façon dont on aborde les choses.
Raphaël Grably : Je vais venir sur un autre point, je sais qu’il te tient à cœur. On parlait de protection, alors là ce n’est plus la protection des mineurs seulement, mais la protection des consommateurs, c’est le filtre anti-arnaque, une mesure qui a d’ailleurs été évoquée même par Emmanuel Macron, que tu portes depuis quelque temps, notamment le fait d’obliger les navigateurs à mettre une page, un avertissement, quand on arrive sur un site frauduleux, notamment pour lutter contre l’hameçonnage quand on reçoit ces mails, ces SMS pour qu’on clique. Explique-nous comment ça fonctionnerait très concrètement.
Éric Bothorel : Avant d’expliquer comment ça va fonctionner concrètement, je vais dire quel est l’enjeu de ce truc, parce que ça rejoint la question précédente sur : est-ce qu’il faut détailler comment ça marche.
Le vrai sujet, aujourd’hui, c’est l’agilité avec laquelle on détecte, après la prime aux victimes, une URL de compromission ou une URL de fraude et comment on prévient le suivant.
Ce qui fait qu’aujourd’hui les attaquants ont de l’avance, c’est qu’on met beaucoup de temps à réagir après le moment où on a identifié qu’ils utilisaient une URL pour aller chercher de la donnée, des cartes bancaires, des machins, etc., et c’est juste insupportable. Celui qui ouvre sa boîte mail une fois par semaine, qui clique sur un truc à la con qui lui demande d’aller sur le faux site ameli mais ne s’en rend pas compte, etc. Ce n’est pas normal qu’une semaine après, alors qu’il y probablement aura eu une, dix, 20, 50 ou 200 victimes, qu’on n’ait pas prévenu que ce site était…
Raphaël Grably : Tu prônes un outil collaboratif. Si je suis victime, je vois qu’il y a un site frauduleux, je vais signaler son URL.
Éric Bothorel : En fait, le dispositif du filtre anti-arnaque, c’est l’agilité avec laquelle on va multiplier la détection par de multiples capteurs des adresses, un peu ce qui existe déjà sur Signal Spam, par exemple, qui est une application de messagerie.
Raphaël Grably : Il y a une appli que j’utilise beaucoup contre le démarchage illégal, c’est un peu le même style, sur Orange téléphone où on signale les numéros. C’est vrai que c’est efficace. Finalement, quand on s’y met tous, il y en a bien qui aura signalé le numéro. Là, tu penses qu’il faut que ça fonctionne de façon collaborative pour signaler une adresse frauduleuse.
Éric Bothorel : Ça serait formidable que ce soit, en plus, collaboratif. L’idée d’origine c’était ça : gagner du temps et réduire le temps entre l’identification d’un site de compromission et le moment où on peut finalement, par l’intermédiaire du navigateur ou du fournisseur d’accès à Internet, envoyer un message à l’utilisateur pour lui dire « vous savez, si vous allez plus loin dans votre navigation, vous prenez le risque d’être compromis ». Il y a 33 700 aussi, quitte à faire de la publicité sur les dispositifs s’agissant des démarches téléphoniques, des spams ou du phishing.