Bookynette : … Et je suis devenue dernièrement présidente de l’April, lourde charge, mais un truc passionnant. Khrys, à toi de te présenter.
Khrys : Ton téléphone sonne.
Bookynette : Mais pas du tout ! Jamais je n’oserais faire un truc pareil !
Khrys : Je me suis fait avoir parce que Bookynette m’a dit « tu es la bonne personne », donc je suis là ! Je suis Khrys, je fais le Khrys’presso sur le Framablog [1], je suis présidente de Parinux [2], un GULL [Groupe d’Utilisatrices et Utilisateurs de Logiciels Libres] d’Île-de-France et de FDN [3] , un FAI [Fournisseur d’Accès à Internet] associatif depuis 92.
Bookynette : Tu es présidente depuis 92 ?
Khrys : Non ! Je suis présidente depuis 2019, si mes souvenirs sont bons.
Bookynette : Quand même !
Nous faisons cette conférence parce qu’il y a eu pas mal de problématiques avec le Capitole du Libre, l’année dernière, comme quoi il n’y avait pas assez de femmes, je vois que cette année ce n’est pas du tout le cas, puisqu’ils ont accepté toutes mes conférences, les irresponsables !
Khrys : D’ailleurs, à peu près la moitié de femmes font des présentations, cette année, comme vous avez pu le remarquer.
Bookynette : Je rassure toutes celles qui ont proposé des confs, elles n’ont pas été acceptées parce que vous avez des boobs. Elles ont été acceptées parce que ce que vous proposiez était intéressant. Il n’y a pas forcément de quotas qui ont été mis en place, même si c’est bien qu’il y ait des femmes. J’étais dans une des réunions, on était plus en train de discuter de qui propose quoi, est-ce que c’est intéressant, pas intéressant, et non pas sur le genre des propositions, je tiens à le dire. Il y a des femmes motivées pour parler, plus elles sont motivées, mieux c’est !
Pourquoi ce titre, « Vous êtes la bonne personne », je ne sais pas si vous connaissez les forums ouverts [4] Non ! Ça vous dit rien. En gros, vous êtes invité·e à un événement, vous ne savez pas ce qu’il va se passer et c’est vous qui allez faire le programme. Vous arrivez, vous êtes plusieurs, chacun fait une proposition d’atelier, on négocie à quel horaire on les fait et le programme est vraiment ouvert. On se dit toujours « à tel horaire, c’est telle personne », on fait l’atelier ensemble, s’il n’y a personne, on fait quand même l’atelier, parce que, peut-être, que les gens viendront entre-temps, et tous les gens qui sont là sont les bonnes personnes pour faire cet atelier-là. L’avantage, avec ce principe-là, c’est que les gens qui sont là sont des gens motivés, donc, déjà, le travail est en partie réalisé.
J’ai trouvé ce principe extraordinaire : « Vous êtes la bonne personne ». Je trouve que c’est rassurant, ça donne de la légitimité et c’est ouvert à tout le monde.
Je trouve que cette manière de faire est un excellent exemple, dans le logiciel libre, puisqu’on est ouvert à tout le monde, si ça ne vous intéresse pas, vous êtes libre de partir et d’aller ailleurs.
Voilà pourquoi ça s’appelle « Vous êtes la bonne personne ».
Khrys : C’est un bon principe. On est là peut-être juste parce qu’on avait envie de s’asseoir, on ne savait pas trop quoi faire à cette heure-ci, et puis, si ça commence à nous embêter, on peut s’en aller, il n’y a pas de souci à s’en aller et puis on peut arriver aussi.
Après, on n’a pas beaucoup de temps, on a 25 minutes, à priori, ça devrait aller.
Bookynette : Ce n’est pas une conf habituelle, je n’aime pas les confs où je parle toute seule, c’est plutôt une conf où je vais vous demander de réagir et de participer. Je voulais parler de diversité, mais je vais aussi donner le témoignage des associations qui font des efforts pour mettre en place cette diversité, donc je vais forcément parler de l’April puisque je suis présidente de l’April, Khrys, qui est présidente de FDN, va sûrement nous parler FDN.
Khrys : Non ! Je suis là juste parce que je suis une meuf et que je suis une présidente !
Bookynette : Je n’ai pas invité toutes les présidentes ! J’ai repéré des gens d’associations que je connais, qui pourraient aussi donner leur avis et j’espère que ceux qui sont un peu timides arriveront à donner leur avis aussi.
Khrys : En termes de quotas, on n’est pas mal quand même ! Nous sommes deux meufs !
Bookynette : En plus, nous avons été accueillies par deux meufs, là-bas ! Après, il y a peut-être d’autres choses en mode diversité dont on pourrait parler, qui ne sont pas que juste le sexe, le genre.
Khrys : Par exemple, en termes de couleur de peau, c’est vrai qu’il n’y a pas énormément de diversité. On pourrait s’interroger sur la diversité aussi sur d’autres critères. Pour l’instant, au niveau femmes, on est pas mal représentées.
Bookynette : Ça tombe bien. Mais non, ne pars pas... Tu as le droit de partir !
C’est vrai que quand on parle diversité, on parle souvent du genre et c’est vrai que si on s’arrête à ça, les femmes, dans le logiciel libre, c’est 6 %, en tout cas, à l’April, c’est 6 % d’adhérentes, ce n’est pas beaucoup, c’est toujours mieux que rien, mais ce n’est pas beaucoup. Si on part sur les bénévoles actives, forcément, il y en a beaucoup plus, j’en veux beaucoup. Donc forcément, ça se remarque.
Après, il n’y a pas que ça comme diversité, et je sais qu’à l’April nous avons tendance à le travailler. Nous sommes en train de refaire les statuts de l’association pour qu’il n’y ait pas juste écrit « un président », mais « un président ou une présidente », on passe en mode écriture inclusive, sans point médian, parce que nous ne sommes pas fans du point médian.
Khrys : Bon courage !
Bookynette : C’est une aventure passionnante. En gros, on a refait un règlement intérieur avec un code de bonne conduite pour que tout le monde puisse se sentir accepté.
[Bienvenue, enchantée, vous êtes les bonnes personnes, prenez place avec nous.]
Donc, à l’April, on a commencé plein de petites choses pour devenir plus inclusifs, quel que soit le genre, etc., pour que les gens viennent à nos événements en se sentant accueillis.
J’avoue que la charte de bonne conduite est quelque chose qui est vraiment à la mode depuis six ou sept ans, il était temps qu’on s’y mette, ça y est, on s’y est mis. On a discuté, ça nous a pris quand même un an. On ne se rend pas compte à quel point ce genre de document est hyper important, doit être travaillé et réfléchi parce que ça a des conséquences et il faut pouvoir assumer ces conséquences. Ça ne sert à rien de dire « il y a quelqu’un pour vous accueillir », si la personne n’est pas prête à accueillir les gens et à écouter les autres.
Khrys : Chez nous, c’est assez rigolo, parce que, on va dire, ça s’est fait un petit peu dans le sens quasiment inverse. Déjà, chez FDN, le problème est assez particulier si on veut avoir, effectivement, une bonne proportion de femmes. On a quand même beaucoup d’adminsys [administrateurs système], ce sont plutôt des postes qui peuvent être, on va dire, assez techniques. Le problème, c’est qu’on a beau vouloir faire de l’inclusion ou de l’inclusivité, il faut aussi qu’il y ait des femmes dans les métiers de l’adminsys et cela ne dépend pas de nous, ça dépend plutôt de toutes les années auparavant, depuis la petite enfance où les filles ne vont pas forcément être dirigées tout à fait vers le même type de métier ou, en tout cas, ne vont pas être encouragées vers le même type de métier. Après, on arrive, si on n’a que des gars prêts à faire de l’adminsys, comment fait-on pour qu’il y ait quand même aussi quelques femmes ?
En ce qui concerne l’écriture inclusive, c’était très drôle. J’avais connu les statuts de la Fédération FDN [5], la fédération qui regroupe une trentaine de FAI associatifs, ça a été initié par FDN parce qu’on commençait à se trouver trop gros – maintenant nous sommes encore plus gros, c’est un autre problème. Ils avaient écrit leurs statuts en inclusive, donc je me suis dit « on va faire pareil chez FDN », pour moi c’était un non-sujet, c’était vraiment « on va juste réécrire nos statuts en inclusive. » Et on s’est pris un shitstorm pendant plusieurs mois ! On avait vraiment l’impression que c’était le sujet le plus important de la terre, juste parce qu’on allait rendre nos textes plus inclusifs. Et là, je me suis dit « OK, il y a visiblement un problème » et c’est là où je me suis mise à lire de la littérature féministe, je n’étais pas du tout au fait de ces questions-là avant et c’est ce qui m’a amenée à ça.
Après, du coup, on a fait un code de conduite parce que là aussi, sur les listes mails, à un moment ça devenait vraiment très violent et c’est la violence des réactions qui m’a fait comprendre l’importance du sujet.
Bookynette : J’ai vu une main se lever. C’est toi qui as le micro, soit tu tends le micro soit on répète la question.
Public : Bonjour.
Bookynette : Bonjour.
Public : Je voudrais revenir sur la charte de bonne conduite, Khrys y est revenue, c’est évidemment une chose importante. Je voudrais savoir comment vous la faites respecter quand il y a une déviation de cette charte de bonne conduite, des insultes ou bien un comportement déplacé. Comment cette charte se fait-elle respecter ? Comment prenez-vous le sujet quand la personne refuse de respecter la charte ? C’est-à-dire qu’il y a la déviation « merde, j’ai dit un truc qu’il ne fallait pas, pardon je ne recommencerai pas », c’est la première question. La deuxième question c’est comment gérez-vous une personne qui vous dit « fuck you, ta charte je n’en ai rien à foutre, je m’assois dessus. » ? Merci.
Khrys : On lui dit : « fuck you, sors de mon asso. C’est écrit très clairement : si tu ne respectes pas le code de conduite, on peut te virer. Après, ça ne s’est pas encore vraiment posé ; bizarrement, depuis qu’on a un code de conduite, il n’y a plus eu trop de problèmes. Mais, si jamais il commence à y avoir un souci, on dit « attention au code de conduite », et si la personne s’en contrefiche, à ce moment-là, on prend les mesures associées.
Public : Qui fait respecter cette charte ?
Bookynette : Pour l’April, j’ai suivi une formation anti-discrimination, deux jours assez intenses sur la façon de gérer ce genre de situation en tant que présidente. Les événements de l’April sont souvent des apéros au local et je suis celle qui y est toujours – je vais avoir une réputation d’alcoolique ! Non, je ne bois que du jus d’orange.
Khrys : C’est moi l’alcoolique !
Bookynette : OK ! J’ai donc suivi une formation et, dans cette formation, on m’a dit : « La première chose à faire c’est isoler la victime s’il y a une victime. » Il ne faut pas dire « oh, mon Dieu, tu as eu un énorme problème, est-ce que tu pourras réagir ? ». Non, juste isoler et vérifier que tout va bien. La deuxième chose, c’est aller parler discrètement à la personne, à l’agresseur, en disant « ça serait bien que tu ne refasses pas ce que tu as fait » et s’il vous dit fuck, à un moment donné, il faut savoir dire fuck aussi. On n’est pas là pour perdre du temps avec des gens qui n’en ont rien à faire de notre charte de bonne conduite. Si tu ne respectes pas la charte, logiquement tu n’as rien à faire là.
Je touche du bois, du singe, n’importe quoi, ma tête, parce que, pour l’instant, on n’a pas eu ce genre de problème-là, ou, s’il y a eu des réflexions un peu désobligeantes, il y a eu tout de suite rétractation de la personne et ainsi de suite. Je crois qu’on a la chance d’être avec des gens intelligents, qui réfléchissent, qui ont un esprit critique et, même à l’apéro bien arrosé, en fin de soirée, on n’a pas eu ce genre de problème. Peut-être que la charte y est pour quelque chose ou, peut-être, avons-nous eu de la chance jusqu’à présent.
Khrys : C’est vrai que, pour nous, c’est plutôt en ligne, pour le coup, et c’est toujours difficile pour les choses un peu borderlines, ce qui va être de l’ordre de la blague un peu sexiste. Où mettre la limite ? Dès que je constate un truc, j’ai tendance à dire les choses.
Après, en termes de décision, côté FDN, on essaie, on va dire, de fonctionner de plus en plus à l’horizontale, on est donc passé d’un fonctionnement où il y avait vraiment un bureau. Il y a toujours un bureau, on n’a rien changé dans les textes, mais c’est plus en réunion mensuelle qu’on va essayer de discuter des choses et, éventuellement, si jamais un problème se posait, je pense que c’est en réunion mensuelle qu’on en discuterait.
Ce qui est assez drôle, c’est, qu’en fait, on n’a pas du tout changé, on n’a rien changé dans les textes, on a rien changé dans le fonctionnement, on a juste renommé la réunion qui s’appelait « Réunion buro » et encore, c’était buro avec un « o », qui était ouverte à tout le monde, y compris aux non-adhérents et non-adhérentes, on l’a juste appelée « Réunion mensuelle ». Depuis qu’on l’a appelée réunion mensuelle, il y a beaucoup plus de monde qui participe et, du coup, de gens qui mettent aussi un pied, en tant que bénévoles dans l’asso.
Bookynette : Comme quoi tout monde ne vient pas pour boire !
Khrys : Après, ce sont des réunions en ligne, je ne sais pas ce que les gens font derrière leur clavier !
Tu voulais parler d’autre chose ? Parce que moi je suis là, je suis la bonne personne, mais c’est toi qui as réfléchi à ta conf !
Bookynette : Mon but, c’était plutôt de vous donner la main pour que vous puissiez partager des témoignages où, justement, la diversité a été prise en compte.
Si personne ne se dénonce, j’irai embêter Framasoft [6], parce qu’ils sont venus en groupe, mais si vous avez des témoignages à partager, parfait.
Public : Bonjour. Je m’appelle Jérémy, je représente en partie le PLUG, le Provence Linux User Group [7], à Marseille depuis presque 25 ans. Je n’en suis pas responsable depuis 25 ans, mais depuis bien longtemps quand même. C’est une toute petite structure, une toute petite asso. On a eu quelquefois des histoires de dérive, notamment en ligne, mais ça fait très longtemps qu’on n’en a plus. Depuis quelque temps, on se réunit notamment dans un lieu qui s’appelle La Base Marseille [8], qui fait un très gros travail, justement, sur la bienveillance, l’inclusivité, etc., avec un gros code de conduite et on n’a plus ce genre de problème, peut-être sommes-nous chanceux aussi.
J’ai l’impression, peut-être par hasard, parce que je ne me rends pas compte si on fait vraiment un effort délibéré, qu’on a une certaine diversité, pas trop en termes de genre, il y a vraiment beaucoup d’hommes, mais, parfois, de background social ou d’origine ethnique, etc., et c’est assez agréable parce que ça enrichit vraiment les discussions, les présentations, les points de vue, etc.
C’est un tout petit point de données.
Khrys : Je veux bien rebondir là-dessus. Ce qui est important, dans la diversité, c’est justement la richesse que ça apporte et on ne s’en rend pas toujours compte parce que, en fait, nous sommes vraiment formaté·es avec une certaine vision des choses, de comment ça fonctionne, ce qu’on peut appeler parfois, par exemple dans le cinéma, le male gaze [9], ou, dans la littérature, quasiment tous les bouquins qu’on a pu lire dans notre jeunesse ont été écrits par des hommes, avec une vision quand même assez formatée.
Le fait est que d’autres personnes, ne serait-ce que parce qu’elles ont été éduquées, élevées autrement, peuvent apporter une autre façon de voir les choses. Par exemple, on aime bien LA personne, le capitaine de navire, l’idole, la personne représentative, la personne qu’on va inviter à chaque fois pour faire la conférence.
Si on pouvait passer à autre chose ! Et l’idée n’est pas de faire la même chose avec une nana, l’idée, au contraire, c’est d’essayer de diversifier, d’avoir plusieurs personnes, que le nom soit moins important que le message transmis. Et faire aussi un petit peu confiance aux gens, parce que, souvent, on va inviter toujours la même personne parce qu’on sait qu’elle sait bien parler, du coup, on ne va même pas tester les autres et puis, si jamais on teste une autre personne, dès qu’elle va se planter, dès qu’elle va faire une mauvaise conf, c’est fini !
C’est un petit peu ça qu’il faut essayer de déconstruire et c’est ce que peut apporter la diversité.
Bookynette : Typiquement, une conférence Framasoft qui va être donnée pendant le Capitole du Libre, vous ne verrez ni Pyg, Pierre-Yves Gosset, ni Pouhiou. Je sais que vous les adorez, je sais qu’ils parlent super bien, eh bien ce n’est pas eux qui feront la conf, c’est Booteille, qui est là, et Maiwann, parce que c’est important que le message ne soit pas toujours transmis par les mêmes personnes, même si elles le font très bien.
Je rebondis sur le fait que s’il y a beaucoup de diversité, eh bien c’est une richesse : plus on est nombreux, plus il y a de points de vue différents, plus il y a des apports différents, puis il y a des motivations différentes, mieux on avance et plus c’est enrichi. J’essaye de trouver des exemples plus concrets : on avance mieux à plusieurs et c’est mieux si tout le monde n’a pas exactement les mêmes idées. S’il y a des arguments qui peuvent se confronter, ça fait progresser le débat. Si je parle de sobriété numérique juste avec les gens de l’April – je fais ma pub, tant pis –, c’est merveilleux, on est tous d’accord ! Si j’en parle avec d’autres gens, avec Gaël Duval et Agnès Crepet ce soir, le discours va être beaucoup plus ouvert, on ne va pas parler que de logiciels libres, on va parler de matériel, on va parler de soft. Plus on est nombreux, plus on est différents, mieux on va avoir d’informations qui vont être échangées.
J’avais vu un doigt se lever.
Public : Oui, je voudrais quand même éviter de mobiliser la parole !
Bookynette : Tu es la bonne personne !
Public : N’hésitez pas à transmettre le micro à d’autres personnes si vous voyez d’autres mains, surtout je ne veux pas monopoliser.
Bookynette : Promis !
Public : Je n’ai pas précisé d’où je viens. Je travaille dans une entreprise, donc mes questions sont très orientées entreprise et pas association. C’est plus difficile de virer les gens dans une entreprise que dans une association, en tout cas de leur montrer la porte.
Ma question suivante, c’est sur l’embauche. Il y a des problématiques sur la façon de faire venir des personnes d’horizons différents, c’est une chose commune avec les associations, mais, après, il faut les conserver ! J’ai essayé de lancer la notion, j’ai dit le mot maudit qui est « discrimination positive » et, évidemment, ça n’a pas marché. L’argument qu’on me retourne et que j’ai du mal à démonter c’est : pourquoi est-ce qu’on embaucherait une personne moins bonne à ce poste juste parce qu’elle est noire, gay ou femme ? Je vois bien vous avez très envie de réagir. Je termine ma question si vous voulez bien. J’ai beau dire que ce n’est pas forcément une personne moins bonne, c’est juste qu’elle peut, peut-être, avoir moins d’expérience ou être moins à l’aise en entretien, mais c’est vraiment quelque chose qui ne passe pas. Est-ce que j’ai besoin de préciser que dans ma boîte il y a 20 mecs et 5 femmes ?
Khrys : C’est très drôle. Ma vision des choses est que, pour l’instant, il y a une discrimination positive, depuis plusieurs siècles, en faveur des hommes. D’accord ? Combien de fois a-t-on vu des tables rondes ou des conférences avec des mecs, et on se demande pourquoi ils sont là ! Ils n’ont rien à apporter, ce qu’ils disent est nul, mais ce n’est pas grave, ils sont là ! Ce serait la même chose avec une nana, on dirait « elle a été prise parce que c’est une nana et elle n’a rien à dire ! ». De fait, on a une discrimination positive en faveur des mecs. Du coup, ça nous amène un peu à la question des quotas. Longtemps j’étais contre ce truc-là, mais finalement, comme le dit Isabelle Collet [10], c’est une mesure de rattrapage contre, justement, cette discrimination positive qu’on a tout le temps en faveur des mecs, je dis mecs, mais c’est mecs, cis, blancs, CSP+, bref !, tout le truc qui va avec !
Quand tu disais que vous êtes je ne sais pas combien de mecs par rapport au nombre de nanas, le problème, aussi, c’est que ce sont souvent les mecs qui font partie du jury. Comme eux ont leur façon de voir les choses, même s’ils ne s’en rendent pas compte, ils ont un biais qui va leur faire favoriser les gars, parce que les gars ont plus tendance à parler comme eux, à réagir comme eux, que des nanas.
Bookynette : Je voudrais te répondre côté entreprises, parce que j’ai pas mal de témoignages.
Il y a une petite annonce. Si, déjà, elle est inclusive, c’est bien, il y a un effort.
Après, mes potes informaticiennes vont se dire « je ne peux pas postuler parce que je ne réponds pas à tous les points ». Donc, déjà, elles se censurent elles-mêmes.
Public : On a travaillé sur les annonces.
Bookynette : Même si l’annonce est inclusive, on se fait soi-même de l’auto-censure parce qu’on ne répond pas aux points.
Khrys : C’est aussi de la censure sociale, il n’y a pas que l’auto-censure. Nous avons été formées.
Bookynette : Nous avons été formées à ne pas être les meilleures et, si on n’est pas les meilleures, on ne postule pas et c’est tragique, alors que des potes me disent « ne t’inquiète pas, j’apprendrai sur le tas ! ».
Je crois que c’est aussi un travail qu’on doit faire sur soi ! Tout le monde doit travailler sur soi-même, on doit toujours tous s’améliorer pour pencher vers ça.
À mes potes, je dis « ce n’est pas grave, vas-y, postule, même si tu as l’air moins bonne, tu ne l’es pas forcément, il y a l’entretien. »
Khrys : Certes, mais on nous dit « on ne te ratera pas si tu es une fille », parce que, justement, on attend très souvent les filles au tournant.
Bookynette : Donc, il faut qu’il y ait plus de filles.
Khrys : Il faut qu’il y ait plus de filles dans les jurys, dans les machins. Pour cela, selon moi le quota ce n’est pas mal parce que ça impose, c’est une façon d’initier, un peu, un cercle vertueux. À partir du moment où on devient le même nombre de filles que de gars, là, effectivement, on peut commencer à travailler.
Bookynette : On peut même montrer le bon exemple. Dans les conférences d’informatique où il n’y avait que des mecs, quand il y avait de rares filles dans la salle, elles étaient toute seules. Maintenant, s’il y a des femmes qui viennent donner des conférences, du coup on montre que les femmes aussi ont leur place. Donc, plus il y aura de conférencières, plus il y aura de femmes qui viendront dans la communauté et qui feront de l’informatique. Plus il y aura d’emblèmes féminins, plus il y aura de jeunes filles qui pourront s’identifier à ces emblèmes-là.
Moi j’aime bien les quotas. J’ai l’impression qu’on donne la parole à des gens à qui, sinon, on n’aurait pas donné la parole. C’est vrai que c’est toujours un peu dérangeant de se demander « est-ce que je suis là parce que j’ai des choses intéressantes à dire ou est-ce que je suis là parce que je fais partie du quota ? ».
Khrys : C’est aussi un petit peu une manière de déconstruire le système, parce que le système, pour l’instant, c’est celui qui va parler le plus, qui se met le plus en avant, qui va arriver en avant.
Quand tu commences à faire des quotas ou des tirages au sort. Typiquement, à la Fédération FDN, il y a un truc que j’ai adoré quand on a refait les nouveaux statuts. Oon se disait « OK, on peut avoir une gouvernance où tout le monde est à peu près au même niveau, mais il faut quand même déclarer des gens à la préfecture ! Eh bien on les tire au sort ! ». Voilà, on tire au sort ces gens-là. En fait, ils sont punis, leur seul pouvoir c’est de pouvoir démissionner si jamais ils ne sont pas d’accord avec ce que fait l’asso, mais c’est tout !
Bookynette : Je vois des gens qui prennent des notes à ton idée !
Khrys : Plein de gens veulent parler, malheureusement on est à une minute.
Bookynette : Par contre, on peut quand même continuer.
Khrys : Venez-là si vous voulez continuer. On peut continuer à discuter après.
Bookynette : On peut quand même continuer à discuter si vous venez sur nos stands, April, Framasoft ou FDN.
Public : Bonjour. Je suis dans une société où on fait aussi de l’open source, nous sommes 25. Contrairement à mademoiselle, nous sommes moitié fille, moitié garçon dans les équipes techniques, aussi, et dans toute la société en général. Ce n’est pas vraiment le cas à la direction, ils essayent de faire des efforts, ce n’est pas qu’ils ne veulent pas, ce sont les filles qui ne veulent pas.
Bookynette : C’est compliqué de recruter des femmes.
Public : On a d’autres priorités. Après, ça ne veut pas dire que les mecs ne s’occupent pas de leurs enfants, ça n’a rien à voir, c’est comme ça. On ne se sent pas légitimes, je pense qu’il y a beaucoup de ça aussi, pour aller dans la direction.
J’ai fait plusieurs sociétés. Ce que j’ai constaté quand j’ai commencé à travailler, je travaillais avec des personnes en offshore, il y avait 8 personnes, sur ces 8 personnes il y avait 6 filles, des Roumaines. Il y a beaucoup plus de filles en filière informatique en Roumanie, elles sont 50 %.
Bookynette : Comme quoi c’est possible !
Public : Je suis allée dans mon école en début d’année, ça ne fait qu’un an que je suis sortie, il y a moins de filles que quand j’y étais. Déjà nous n’étions pas beaucoup, maintenant c’est vraiment faible : nous étions 4 filles pour 60, maintenant elles sont 2 filles pour environ 50 ! Voilà !
Public : Pour les filières ingénieur agro, c’est moitié filles, moitié garçons, on a un problème de garçons dans ces écoles d’ingénieurs. Il y a moins ce problème en ce qui concerne l’université. Il y a un gros problème qui vient de nos écoles d’ingénieurs qui ont été créées par Napoléon, qui portent une idéologie très néfaste.
Khrys : Je suis vraiment désolée, en fait c’est fini. Il y a des confs derrière, c’est bien la preuve qu’on aurait dû faire plus long.
Bookynette : On aurait dû faire plus long. Je crois qu’il y a une table ronde demain, organisée par l’équipe du Capitole du Libre, sur la diversité au Capitole du Libre. Si vous voulez qu’on continue ce débat demain, ce sera avec plaisir.
Khrys : Merci d’être venu·es. Vous étiez la bonne personne !
Bookynette : Merci.
[Applaudissements]