Quentin Duchemin : Comme vous pouvez le voir, nous allons parler de Tout-Doux-Cratie à Picasoftland.
L’idée de la conférence, de la présentation, c’est de présenter un mode de gouvernance qu’on a mis en place à Picasoft, on va expliquer ce que ça fait. C’est une réflexion qui peut être intéressante pour toutes les structures sur la manière d’organiser les règles de fonctionnement de ces structures.
Rémi Uro : Pour commencer, un peu de contexte. Picasoft est un chaton [1]. Chaton, c’est clair pour tout le monde ? OK, parfait, je ne fais pas de rappel là-dessus. Nous sommes un chaton [2] qui existe depuis 2017, on a une trentaine de membres, on a 11 services ouverts — un Mattermost, des pads — le tout sur trois serveurs. C’est une association composée principalement d’étudiants et d’étudiantes, de profs et d’anciens et anciennes de l’UTC, l’Université de technologie de Compiègne. On a vocation à viser la communauté de l’UTC, mais aussi, plus largement, un peu tout le monde.
On a trois grands axes : l’hébergement, la sensibilisation, la formation.
L’hébergement c’est proposer les services dont je parlais tout à l’heure avec tout l’aspect technique pour maintenir ces serveurs, parce que ça ne tourne pas par magie.
L’aspect sensibilisation, c’est organiser des conférences, des ateliers, des émissions de radio aussi et parler des sujets qui nous tiennent à cœur, comme la décentralisation, le Libre en général.
Et aussi, puisqu’on a la chance d’être dans une université et d’avoir des profs qui sont bons en pédagogie, tout un axe formation pour essayer de former aussi bien les étudiants et étudiantes mais aussi le grand public aux outils qu’on utilise, donc pour s’auto-héberger, pour apprendre à se servir de son ordinateur. Dans cet axe-là, on organise au sein des activités pédagogiques d’inter-semestre — à l’UTC, à la fin de chaque semestre, il y a deux semaines consacrées à des cours un petit peu différents des cours habituels. Donc chaque semestre on a entre 20 et 40 étudiants et étudiantes, juste une semaine, et on va parler de comment utiliser Linux, comment prendre en main des méthodes de gestion de versions GNU/Linux, etc., et on va aussi axer sur la liberté et les alternatives aux GAFAM. On participe aussi à UPLOAD et Librecours, vous pourrez aller voir la conférence de Stéphane Crozat, on en parlera un peu plus tard plus en détail.
Quentin Duchemin : Quelques chiffres rapides pour se rendre compte que nous sommes quand même relativement modestes. On a quelques utilisateurs :
sur notre Mattermost [Service de discussion instantanée], 8000 utilisateurs et utilisatrices et un petit million de messages.
Sur notre instance PeerTube où on accueille des associations comme l’association Scenari [3], on a un peu plus d’une centaine de vidéos.
Sur le service de téléversement de fichiers on a quelques milliers de fichiers.
Ça reste relativement local à Compiègne, et c’est le but des chatons. Pour donner une idée, nous sommes globalement une trentaine de membres dans l’association : on définira plus tard la notion de membres, car ce n’est la notion de membre telle qu’on l’entend habituellement, des membres actifs qui vont aller faire des trucs techniques ou de la communication en permanence.
L’association Picasoft a été créée en 2017, association loi 1901. Dès sa création nous nous sommes structurés de manière assez traditionnelle, avec un bureau qui est globalement l’organe décisionnaire, avec une présidence, de la trésorerie et puis éventuellement quelques autres rôles : responsable communication, vice-président, vice-présidente, etc., et un fonctionnement avec une assemblée générale où on réunit l’ensemble des membres tous les six mois. On présente les bilans moraux, les bilans financiers, on les vote, on considère que c’est OK, on élit un nouveau bureau et c’est reparti pour un tour, puisque, à l’UTC, les choses fonctionnent beaucoup par semestre. Donc une organisation somme toute assez classique.
À un moment donné, comme le niveau technique devenait important car on avait de plus en plus d’utilisateurs et d’utilisatrices, on s’est dit que la question de la sécurité rentrait en ligne de mire, puisqu’on a quand même des données qui peuvent être sensibles, celles des gens, des associations, des entreprises qui utilisent nos services pour discuter. Il y a toute cette question de réussir à faire en sorte que nos serveurs soient suffisamment sécurisés pour qu’on ne puisse pas rentrer dedans, que les membres ne puissent pas rentrer dans l’association et faire n’importe quoi. Donc, il y avait un peu cette idée à l’époque qu’il faut que la confiance que nous accordent les utilisateurs soit fondée, donc on va créer ce rôle de responsable technique qui va avoir pour but de bien cadrer les accès à l’infrastructure. Dans les statuts, le responsable technique a toutes les prérogatives autour de la distribution des accès, etc.
Rémi Uro : Mais aussi d’essayer de réfléchir à comment on va faire tourner les services. Sans entrer dans les détails techniques, avant on avait un fonctionnement un peu bordélique où chacun faisait son truc. Avec l’arrivée du responsable technique, il y a eu plus une structuration de comment on gère et on a essayé vraiment de bien encadrer tout ça.
Quentin Duchemin : Et puis voilà. Ça a super bien marché, franchement c’est nickel, on vous conseille la même chose.
Rémi Uro : En vrai, il y a eu des petits problèmes avec cette organisation-là.
Nous pouvons vous raconter une petite histoire qui nous est arrivée.
Un membre du bureau qui était responsable technique - ça aurait pu être n’importe quel autre membre du bureau, le problème aurait été le même - avait une vision, un peu comme disait Quentin : il voulait vraiment cadrer les choses pour augmenter la confiance des utilisateurs et utilisatrices, et ça passait notamment par faire une architecture d’administration du système qui soit très bien cadrée, mais, du coup, très complexe. Prendre en main les outils, pour pouvoir monter en compétences dessus, devenait donc beaucoup plus difficile pour des nouveaux et nouvelles membres et ça allait un petit peu en contradiction avec la vision de certains autres membres qui préféraient avoir un truc ouvert : tu rentres dans l’association et, en deux heures, tu es autonome et tu peux monter de nouveaux services. Donc ça a posé des petites questions.
Et, ce qui a vraiment déclenché un blocage, c’est que cette personne a refusé de donner des accès à un membre, alors que le reste de l’association était pour que cette personne ait des accès ; ça fait des histoires, ça a clashé en AG, je vous passe les détails. Mais, du coup, s’est posée cette question-là : d’un côté ce responsable technique — mais ça aurait pu être le responsable financier qui refuse de payer des trucs — donc un membre du bureau qui prend des décisions unilatérales et qui empêche le bon fonctionnement de l’association au sens auquel l’entendaient la plupart des membres.
Quentin Duchemin : Là vient aussi un problème statutaire, puisqu’on avait inscrit dans nos statuts que le responsable technique était le seul capable de donner les accès à l’infrastructure, c’est-à-dire de pouvoir se connecter au serveur et de faire des choses. Donc s’il refusait de le faire, soit on ne respectait pas nos statuts, soit on se soumettait simplement à ça, donc là on voyait bien que cela posait des problèmes. On a commencé à voir émerger un truc qu’on n’avait pas vu avant : le problème d’une organisation un peu bureaucratique et très verticale, qu’on avait souhaitée à la base pour pouvoir sécuriser les données des utilisateurs et augmenter leur confiance et, finalement, qui a fait exploser le fonctionnement interne de l’association.
Rémi Uro : En plus que ce qu’on avait souhaité pour ça, on a surtout été pris par défaut par ce qu’on voyait autour et on ne s’était pas plus posé la question que ça.
Donc on a remarqué des problèmes, notamment la centralisation du pouvoir qui va ralentir les initiatives des membres parce que, si je veux faire un truc, il me faut l’aval du bureau ; un manque de transparence parce que le bureau peut aussi faire des trucs dans son coin sans prévenir les autres. Ça amène des potentiels blocages, ça amène un désengagement des membres qui ne se sentent pas forcément écoutés et qui ne voient pas forcément ce qui se passe.
Donc, il y a un problème. Que fait-on ? On en a parlé, on a organisé un PicaCamp, on s’est retrouvés tous ensemble chez Quentin à boire des bières.
Quentin Duchemin : On n’a pas bu des bières, il était 14 heures, peut-être après !
Rémi Uro : On a passé une grosse après-midi à discuter : que fait-on ? Comment est-ce qu’on essaye de régler ce problème ?
Quentin Duchemin : Un des thèmes, en particulier, qui était un peu au centre de cette discussion, c’était que devait-on garder entre le bazar et la cathédrale. Je ne sais pas si ce terme-là vous dit quelque chose. [4] est un essai d’Eric Raymond qui est paru en 1997. C’est la personne qui a utilisé, je crois, pour la première fois, le terme open source, qu’on n’aime pas trop, mais passons ! On est purement dans le développement logiciel. Il oppose la manière un peu bazar de faire, c’est-à-dire qu’il y a une multitude de développeurs et de développeuses qui vont collaborer, de manière pas forcément cadrée par une personne, donc il y a une grande adaptabilité, une grande flexibilité, avec l’idée que, derrière ça, va émerger un ordre spontané et que tout va bien se passer, c’est génial ! Et, de l’autre côté, la vision un petit peu cathédrale de la chose, avec une ou plusieurs personnes vraiment dépositaires du pouvoir de décision et un petit groupe de développeurs et développeuses qui sont chargés du développement du code ; les gens, à l’extérieur, peuvent donner leur avis, mais bon !, on s’en fout un peu, il y a quand même un organe décisionnaire. Ces deux modes d’organisation ne nous paraissaient pas fonctionnels, pour des raisons qu’on va détailler après.
Rémi Uro : Au même moment, on avait aussi d’autres soucis dans l’association, notamment la question de changer de banque et un autre point de blocage qui était en discussion entre les membres sur la portée politique de l’association. Certains membres voyaient l’association comme entièrement technique, là pour proposer une alternative et héberger des services, point. D’autres étaient plus pour faire de la propagande un peu plus profonde et un peu plus politique. On se posait plein de questions et on s’est rendu compte que le problème c’était le mode de décision. On a donc décidé de changer de mode de décision et qu’il allait en découler la résolution de tous les problèmes.
On a aboli le concept de bureau, on a aboli le concept de cotisation. Avant, les membres devaient cotiser un euro par semaine, je crois, c’était trop ! On a aboli ça. On a donné un pouvoir égal à tous les membres, le tout sur la base de la bienveillance, la gentillesse et le laisser-faire.
Quentin Duchemin : Voilà, c’est notre présentation !
Rémi Uro : On va détailler un peu plus tout ça.
Quentin Duchemin : En ayant observé quelques organisations, j’ai l’impression que c’est classique de se rendre compte du problème de la verticalité, de vouloir passer à une structure horizontale, sans pouvoir centralisé, et cette espèce de mythe de l’horizontalité, que je vais détailler, qui résoudrait tout. En réalité, cela crée d’autres problèmes, cela recrée des structures de pouvoir informel et, dans la refonte de nos statuts, on a essayé de se positionner contre ça.
Je me base en particulier, rétrospectivement, sur une brochure que vous pouvez lire aujourd’hui sur L’infokiosque, La tyrannie de l’absence de structure [5], écrite en 1970 par Joreen Freeman, une activiste du mouvement de libération des femmes étasunien. Ça détaille très bien qu’en réalité, dans une structure de groupe qui se dit informelle et qui se veut horizontale, il y a forcément des normes implicites au sein de ce groupe et du coup ces normes, sur lesquelles reposent les décisions, sont connues de peu de personnes. Elles sont connues, finalement, des personnes qui vont le plus discuter entre elles. En fait, dans ce mode d’organisation, beaucoup de personnes ont l’impression que des choses se passent sans elles, mais sans forcément réussir à identifier pourquoi.
Du coup, l’absence de structure créée deux choses.
D’abord la formation d’une élite informelle. C’est souvent un groupe d’amis qui se connaissent très bien, qui étaient peut-être là à l’origine de l’asso, qui fonctionnent sur des canaux de communication qui peuvent parfois être informels, un petit peu parallèles aux canaux classiques, qui vont discuter entre eux par téléphone, en se voyant autour dans un bar autour d’un café, etc. Ils vont finalement agir, certes de manière décentralisée et sans pouvoir explicite, mais sans le consentement, forcément, des autres membres et surtout, ces membres n’ont pas forcément la connaissance de ce qui se passe dans l’asso. Donc de la même manière qu’on avait, avant, le bureau qui décide, on a là une sorte de bureau informel qui, assez souvent, émerge.
La thèse de Joreen Freeman est que la formation de ces élites est inévitable. Pire encore ! Le fait qu’une élite informelle continue de propager le mythe de l’absence de structure rend très difficile de mettre des bâtons dans les roues de cette structure de pouvoir puisqu’elle est censée ne pas exister. Et on sait très bien que les structures de pouvoir qui sont implicites, qui se disent pas, sont les plus difficiles à remettre en question.
Donc, premier problème, formation d’une élite informelle.
Deuxième problème. L’absence de structure crée souvent un système de star qui répond à un besoin de société qu’on voit un peu partout, y compris dans les groupes militants : écouter un groupe cohérent, avoir une personne qui va porter les propos du groupe ou de la structure, mais ne pas avoir un ensemble de personnes, avec leur individualité propre, qui va constituer le groupe.
Il y a beaucoup de structures qui se battent contre ça. Je ne sais pas si vous avez un petit peu suivi chez Framasoft [6], mais Pyg [Pierre-Yves Gosset] se bat contre le fait d’être considéré comme le directeur de Framasoft, qui prend toutes les décisions et est le référent ultime. Pouhiou se bat contre le fait d’être considéré comme le directeur de PeerTube [7], mais beaucoup de gens ont besoin de la création de ces stars.
Donc, dans un groupe qui est sans structure et sans porte-parole, en tout cas désigné pour telle ou telle chose à un moment donné, eh bien des porte-paroles émergent qui, de la même manière que les élites informelles, peuvent être difficilement remis en question du fait qu’ils n’ont pas été désignés. Donc ce sont des pouvoirs qui se prennent, mais qui sont difficilement révocables et qui vont finir par créer des frustrations et du désengagement de la part des membres.
Ça crée effectivement, en général, des sortes de tensions internes dans les groupes horizontaux, notamment militants, parce que personne n’est dupe. D’un côté on a les élites, mais qui n’ont pas forcément de mauvaises intentions, qui ne se rendent parfois même pas compte qu’elles sont des élites, qui vont se cacher derrière le drapeau anti-élite et absence de structure : « regardez, on est horizontal, on n’a pas de chef, etc. », mais elles existent, donc ça crée un certain nombre de tensions.
L’autrice de La tyrannie de l’absence de structure propose sept principes pour essayer de créer une structure qui soit démocratique, donc pas verticale, mais qui évite les écueils de l’absence de structure. Ces principes sont détaillés.
Le premier, c’est la délégation démocratique d’un pouvoir qui est limité, pour des tâches qui sont délimitées, à des personnes compétentes. Typiquement pour nous, on va en parler, ça pourrait être le fait de donner à des personnes l’accès administrateur-système à des machines.
Ces personnes sont responsables devant tous les autres membres et leur pouvoir peut être révoqué à n’importe quel moment.
Troisième chose : le pouvoir doit être dispersé entre un grand nombre de personnes afin d’éviter les monopoles. C’est quand même le but de l’horizontalité à la base.
Quatrième chose : si ces personnes ont du pouvoir, il doit y avoir une rotation qui s’opère assez souvent ; pas trop souvent pour qu’elles puissent avoir le temps de se former, mais pas trop longuement pour éviter les monopoles.
Cinquième chose, c’est donner le pouvoir par compétence et non par sympathie, donc favoriser aussi une formation préalable de ces personnes plutôt qu’un apprentissage sur le tas.
Qu’est-ce que nécessite le fait de pouvoir former les gens préalablement ? C’est d’avoir l’information. Et c’est ça, en fait, le cœur de ce qu’on va présenter après avec la Tout-Doux-Cratie : l’information doit être diffusée au plus grand nombre. Et on se rend bien compte que c’est aussi un problème en général dans les structures militantes, associatives, etc., on ne sait pas où trouver l’information. Beaucoup de gens se sentent illégitimes du fait de ne pas avoir accès à cette information et de pouvoir l’utiliser. Donc diffuser l’information à tout le monde, à l’extérieur et à l’intérieur, avec cette idée que l’information, finalement, c’est le pouvoir.
Et enfin, un accès égalitaire aux ressources pour toutes et tous, sachant que les compétences et les connaissances sont considérées comme des ressources.
Donc ces sept principes, dans des parts différentes, sont globalement au cœur de ce qu’on a essayé de faire avec la Tout-Doux-Cratie.
Les principes fondateurs de la Tout-Doux-Cratie
Rémi Uro : On a essayé de faire un système avec des principes fondateurs en s’inspirant de tout ça. Pour la petite histoire on a lu tout ça à posteriori, ce sont des réflexions qu’on a eues de façon beaucoup moins structurée pendant ce PicaCamp dont on parlait tout à l’heure. Du coup, on voit qu’on s’en est beaucoup inspiré et voir à posteriori permet de mieux comprendre les raisonnements qu’on a pu avoir.
Les principes fondateurs de ce système qu’on appelle la Tout-Doux-Cratie, un mélange entre to do, à faire, et « tout doux », la douceur, c’est faire et laisser faire ; permettre à chacun et chacune d’agir ; se préoccuper des opinions des autres, ce qui implique, comme disait Quentin, d’informer et de s’informer parce que, si on se fout de ce qui se passe autour, ça n’aide pas, donc il faut aussi s’informer ; et rechercher le consensus dans le compromis et la bienveillance. Ça implique quelques obligations : s’informer, informer les autres mais aussi donner son avis.
Pour être membre, il ne faut pas forcément agir, par contre il faut participer, c’est-à-dire donner son avis, il faut discuter. Actuellement, sur les 30 membres qu’on a, il y en a peut-être une dizaine qui fait vraiment des trucs, qui s’occupe des machines, qui fait des conférences et des ateliers ; par contre il y a une trentaine de personnes qui vont discuter à chaque fois sur les sujets et c’est ce qui nous semble le plus important dans dans ce système-là.
Quentin Duchenmin : Si, demain, vous voulez devenir membre de Picasoft, vous avez juste à en faire la demande et vous êtes membre de Picasoft. Vos seules obligations seront effectivement d’aller chercher l’information sur un canal qui est donné — il y a toute une structure qui fait qu’on sait où aller chercher l’information — et donner votre avis quand il vous est demandé.
Rémi Uro : Concrètement la façon dont ça se passe ? Nous sommes sur Mattermost, on a découpé l’espace de chat en différents canaux. On a un canal « asso » dans lequel on discute et, à côté, on a un canal « tout-doux-cratie » dans lequel on vote sur différents types d’actions.
On a défini deux types d’actions : les actions ordinaires qui sont des choses réversibles, qui n’engagent pas la responsabilité de l’asso, qui ne coûtent pas cher, les actions vraiment ordinaires. Chaque membre peut se lancer à condition de prévenir l’asso. Et il y a la possibilité d’un verrou non bloquant, c’est-à-dire que n’importe quel membre peut dire « pause, je ne suis pas sûr pur ça, venez, on en parle ». Ça ne bloque pas l’action, mais ça veut dire « OK, on en parle » et, pendant un certain temps, on va voir si on continue l’action ou pas. Si plus de 50% des membres proposent d’arrêter l’action, eh bien on arrête.
Quentin Duchenmin : L’idée, avec ce fonctionnement-là, c’était d’essayer de renverser le fonctionnement du veto qui pose énormément de problèmes dans beaucoup de structures militantes où, finalement, le veto c’est du pouvoir et parfois on a tendance à abuser de ce pouvoir, surtout quand les règles du jeu le permettent. Donc si demain je dis « j’aimerais bien lancer une émission de radio sur tel thème » et que quelqu’un me dit « non, je trouve que ce n’est pas trop dans les objectifs de l’asso », le problème c’est que ça va être à moi, qui déjà avais la bonne volonté de vouloir lancer quelque chose au nom de l’asso, de prouver, d’aller chercher la confirmation d’au moins la moitié des membres. Ça rajoute une charge mentale compliquée, de l’énergie en plus, juste pour pouvoir mener une action qui pourtant s’inscrit dans la logique de l’association.
Cette espèce de renversement qui consiste à dire que c’est la personne qui n’est pas d’accord — alors qu’on a discuté avant, on a essayé de faire émerger un consensus, on a informé avant — qui va avoir un travail supplémentaire, qui avoir la charge de montrer qu’en fait ça ne correspond pas aux objectifs de l’association, donc de ramener 50% de gens qui sont contre pour bien montrer ça. C’est un peu la logique qui est derrière, on pourra y revenir après si vous voulez.
Rémi Uro : L’autre type d’actions ce sont les actions extraordinaires qui sont des actions irréversibles, des actions chères, des actions sensibles, qui engagent la responsabilité de l’asso, des choses qu’on n’a pas l’habitude de faire et où on veut une validation de l’asso avant. Pareil, chaque membre peut proposer. Par contre, s’il y a un vote bloquant à priori, ça veut dire que l’action ne peut être menée qu’à partir de dix jours après, ou avant si 50% de membres se proposent pour faire l’action. Pour ces actions-là, la charge de justifier est plus à la personne qui veut l’avancer, puisque, effectivement, ce sont des choses un petit peu extraordinaires, comme le nom l’indique, il ne s’agit pas de fluidifier les choses qu’on fait d’habitude, il s’agit de quelque chose qu’on ne fait pas d’habitude et de demander si l’asso est d’accord. Si, au bout de dix jours, la plupart des membres de l’asso n’a pas dit « on n’est pas d’accord », alors c’est que l’asso est d’accord et on le fait.
Quentin Duchenmin : Notez bien que ça a quand même une implication forte, on en reparlera après : si jamais, moi, demain, je lance une action extraordinaire et que je récolte juste cinq vieux votes pour, mais que personne ne se prononce contre, si personne ne dit non, au bout de dix jours je mène l’action, quand bien même c’est une action qui engagerait l’image de l’association. On verra un petit peu après.
Rémi Uro : Comme on disait tout à l’heure, il n’y a plus de bureau. Par contre, pour des raisons légales, on a besoin de représentation administrative et financière, et on a choisi aussi de garder une personne en charge de la technique. En charge ne veut pas dire que c’est la personne qui gère, ça veut dire que ce sont les personnes qui vont organiser la gestion. Typiquement, la personne qui est représentante au conseil administratif va organiser la rédaction du bilan, l’organisation des AG. Ça ne veut pas dire que c’est à elle de le faire, mais, à un moment, elle va dire « il faudrait faire ça, qui veut bien le faire ? »
Quentin Duchemin : C’est aussi la personne qui doit lever la main quand on dit « président-présidente ».
Rémi Uro : C’est la personne qui doit aller en prison, par exemple.
Ces personnes n’ont aucun pouvoir de décision, mais des prérogatives, typiquement aller en prison !
Quentin Duchemin : En fait ces personnes doivent exécuter, c’est-à-dire que si le conseil, donc les membres, prennent une décision, parce qu’il faut bien quelqu’un, à un moment, qui donne les accès aux machines, il faut bien quelqu’un qui donne les mots de passe, la personne a été mandatée pour le faire, elle en a le pouvoir et elle obéit, elle est au service de l’ensemble des membres dont elle-même fait partie.
Rémi Uro : Par contre, comme elle peut aller en prison, elle a quand même le droit de démissionner avant. Cette personne a le droit de dire : « OK, je ne suis pas d’accord avec ça, je pose ma démission, on fera l’action après l’élection d’un nouveau bureau, parce que je ne veux pas prendre la responsabilité de le faire ».
Quentin Duchemin : Du coup, ces personnes n’ont pas plus de pouvoir bloquant que quelqu’un d’autre, sinon ce droit de retrait. C’est simple : on ne va pas engager la responsabilité pénale de gens, comme ça, sur un coup de tête.
Rémi Uro : Comme on a dit tout à l’heure, est membre qui en fait la demande donc n’importe qui. Vous arrivez, vous dites : « Je veux être membre de Picasoft. — OK, pas de souci, tu es membre de Picasoft. Au bout de dix jours, tu auras le droit de voter. » On a mis un délai de dix jours pour pouvoir voter parce que ça évite d’avoir 20 personnes qui se pointent à une AG, qui disent « hé !, nous sommes tous membres de Picasoft et nous prenons le pouvoir ».
Ce délai-là est aussi réductible par une action extraordinaire. Dans 90% des cas, quand un nouveau membre arrive, la première chose qu’on fait, c’est mettre un message pour dire « action extraordinaire : on propose d’annuler le délai de dix jours avant de pouvoir voter », et la personne devient membre une fois que les gens ont voté. Ça permet d’éviter que les gens aient besoin de se sentir légitimes pour rejoindre l’asso. La seule légitimité pour rejoindre l’asso, c’est de dire que vous voulez rejoindre l’asso.
On va donner quelques exemples pour mettre des choses derrière ces actions.
Quentin Duchemin : On se laisse un quart d’heure maximum sur les exemples pour avoir le temps des questions.
Rémi Uro : Quelques exemples d’actions ordinaires et d’actions extraordinaires.
Activer le live sur PeerTube. C’est un bouton à cliquer, ça n’est pas grave. Ça peut juste faire chier quelqu’un pour x raisons ou parce qu’on n’avait pas pensé au fait que ça prend de la bande passante, on pourra le virer après. C’est une action ordinaire, ça ne coûte rien. Je préviens que je le fais et tant que personne n’exprime son opposition et qu’on en discute, ça se fait. Pareil si ça rentre en collision avec une autre instance.
Une action extraordinaire ça peut être de modifier le règlement intérieur, on fait une modif qui a quand même un impact sur l’asso, donc on ne veut pas que ça puisse être fait comme ça, en claquant des doigts.
On a défini, dans le règlement intérieur d’ailleurs, une limite de 50 euros : on ne peut pas dépasser plus de 50 euros pour une opération ordinaire. Si on dépasse 50 euros, c’est une action extraordinaire. Par exemple, adhérer à une autre asso à hauteur de 60 euros, ça va passer par une action extraordinaire, parce que c’est quand même une somme considérée comme étant suffisamment importante.
Quentin Duchemin : Voyons maintenant, non pas quelques controverses, en tout cas des choses qui ont posé des questions et mis à l’épreuve le fonctionnement de la Tout-Doux-Cratie. C’est sûr que quand on est tous entre potes, on monte des services, c’est super sympa, tout le monde est super d’accord. Évidemment, le système marche bien, mais un autre système aurait fonctionné aussi. Donc quelques exemples.
Rémi Uro : Par exemple, en juin, il y a quelques mois, on a reçu une demande assez étrange venant du ministère de l’Intérieur d’un pays étranger nous demandant des données concernant Lufi, notre service de partage de fichiers. On a reçu un mail disant : « On a besoin de savoir qui a envoyé ce truc-là, qui a cliqué dessus ». C’était un peu chelou comme demande, je ne vais pas rentrer dans les détails, mais, du coup, ça a mené à des discussions sensibles, surtout qu’ils nous ont envoyé un argumentaire, à côté, un peu chelou aussi.
Quentin Duchemin : Pour mettre dans le contexte, on parlait de trucs du style menaces de mort, des gens qui auraient utilisé nos services pour menacer la vie d’autres personnes, donc quelque chose quand même d’assez sensible et qu’on n’avait jamais eu à gérer.
Rémi Uro : Donc on se trouve face à ça, et on se dit « qu’est ce qu’on fait ? Est-ce qu’on file les données, parce que la demande semble légitime ? Est-ce qu’on ne file pas parce que ça n’est pas notre rôle et ils n’ont qu’à voir avec la police française ?, mais, du coup, ça prend plus de temps et ça met potentiellement dans la merde les personnes qui sont menacées. Donc discussions un peu sensibles avec des données sensibles, parce qu’il y a des données personnelles, parce qu’il y a l’argumentaire du ministère de l’Intérieur qui n’est pas super agréable à lire non plus. On n’avait pas forcément envie de balancer tout ça à la gueule de l’asso et on n’avait pas envie que tout ça reste dans les archives de l’asso, avec tous les détails.
Un petit groupe s’est composé pour discuter de ces questions-là et il a proposé à l’asso de se mandater pour gérer ces questions et prendre une décision. L’asso a juste eu à dire « OK, on accepte que les membres qui veulent gérer gèrent, qu’ils prennent une décision, et que l’asso n’ait pas à prendre de décision sur des choses qu’elle ne connaît pas et qu’elle n’a pas envie de savoir. On va déléguer tout ce travail-là à un petit groupe. »
Quentin Duchemin : Au début les discussions étaient un peu compliquées. C’était très difficile de s’informer, de prendre connaissance de l’ensemble du dossier, de toutes les implications, etc. Des gens trouvaient que c’était une bonne idée de filer les données, d’autres trouvaient que c’était une mauvaise idée. Si on avait commencé directement par une action extraordinaire en mode « on file les données », on aurait eu du mal à faire émerger un consensus. Comme l’idée de la Tout-Doux-Cratie c’est aussi d’essayer de favoriser la discussion et la recherche du consensus plutôt que finalement le vote et le vote contre.
Juste un petit aparté : en Tout-Doux-Cratie, le vote contre est vraiment considéré comme quelque chose qui se fait en dernière instance. Ce n’est pas le vote contre comme on le voit habituellement, c’est vraiment comme une intention de veto, c’est vraiment hors de question et, au final, dans toutes les décisions qui ont été prises en Tout-Doux-Cratie, aucune n’a été rejetée, parce que le fait de mettre au vote quelque chose se fait à la fin, une fois qu’on a réussi à faire émerger le consensus et que tout le monde a été suffisamment informé. Donc en général, tout simplement, personne ne va vouloir organiser un contre-vote du fait des règles du jeu qu’on a mises en place. Donc là, la solution qui a été trouvée a été de mandater les gens qui étaient prêts à s’investir et en qui on avait confiance pour prendre une décision. La décision a été finalement de ne pas filer les données, parce qu’il fallait passer par les autorités françaises et qu’on n’avait pas à prendre cette responsabilité, notamment du fait que la demande émane d’un pays autoritaire.
Rémi Uro : Un autre exemple qui nous a bien fait réfléchir, très récemment : un membre voulait se présenter au concours de la Reine du muguet. C’est un concours de beauté bien sexiste, organisé par la ville de Compiègne.
Quentin Duchemin : Nul à chier, objectivement.
Rémi Uro : Les seules conditions pour se présenter c’était...
Public : D’être une femme de moins de 23 ans ?
Rémi Uro : Non, justement, être une femme n’était pas précisé, c’était ça l’astuce. Avoir moins de 23 ans, être célibataire et ne jamais avoir tourné dans un porno.
Quentin Duchemin : Bonne ambiance, bonne idée du niveau du truc !
Rémi Uro : Donc un membre du sexe masculin voulait se présenter pour aller troller et voir la tête des gens de la mairie en le voyant arriver dans sa petite robe pour le concours de la Reine du muguet. Mais problème : il devait être proposé à ce concours-là par une organisation compiègnoise, donc soit une asso soit une entreprise. Il a demandé à Picasoft l’investiture pour se présenter au concours de la Reine du muguet. Concrètement, dans l’asso, tout le monde était ultra chaud pour que ça se passe, par contre ce n’est franchement pas l’objectif de Picasoft.
On a pas mal discuté : « Nous sommes chauds, oui, mais Picasoft n’a rien à voir avec ça. En plus, ça peut potentiellement détériorer un petit peu nos contacts avec la mairie, même si on n’en a pas des masses ». Ce n’était pas évident comme décision. Au bout de dix jours personne n’avait voté contre, quelques personnes avaient voté pour ; concrètement on avait sept votes pour, sept votes blancs et une quinzaine de personnes qui ne s’étaient pas exprimées, mais il y avait eu une grosse discussion en amont. Du coup est-ce que c’est un dysfonctionnement Quentin ?
Quentin Duchemin : Beaucoup de gens ont dit : « Voilà une des limites de la Tout-Doux-Cratie. On est sur un truc un petit peu sensible. Les gens ne s’expriment pas. La force du verrou bloquant pour une action extraordinaire, c’est dix jours : au bout de dix jours, le truc est accepté, ça engage quelque part l’image de l’association. Est-ce un dysfonctionnement de la Tout-Doux-Cratie ? »
Ce qui a été fait pour essayer de démêler un peu ce qui s’est passé, c’est d’aller demander aux personnes qui n’avaient pas voté pourquoi elles n’avaient pas voté : parce qu’elles n’étaient pas au courant ? Parce qu’elles n’étaient pas sûres ? Parce qu’elles étaient contre mais qu’elles n’osaient pas s’exprimer publiquement à propos de ça ? Ce qui est ressorti de la plupart des retours des membres, c’est que les personnes n’étaient pas totalement sûres que ça corresponde aux objectifs de l’asso, je voulais voir où allaient mener les discussions, mais, en attendant, j’étais dans une sorte de suspension de jugement, c’est-à-dire que je ne voulais pas bloquer l’action, mais je ne voulais pas, pour autant, la valider non plus.
Je trouve que c’est plutôt un exemple de bon fonctionnement de la Tout-Doux-Cratie, au sens où c’est un consensus mou qui a émergé, certes, mais ce n’était pas juste de l’indifférence ; les gens avaient fait le choix de ne pas voter, donc il n’y avait pas réellement de votes contre.
Rémi Uro : Surtout qu’il y a eu beaucoup de discussions avant, pendant les dix jours et, à la fin des dix jours, la discussion était encore en suspens, dans le sens où « ouais, on a tous envie, mais on ne sait pas trop. »
Quentin Duchemin : Au final des gens se sont dit que c’était peut-être un dysfonctionnement de la Tout-Doux-Cratie, mais nous, au regard des objectifs, des statuts qu’on a refaits, on s’est dit que c’était plus une fonctionnalité qu’un bug que ça se passe comme ça, au sens où on a posé d’emblée — et c’est questionnable, on pourra peut-être en discuter après — préférer la fluidité au blocage, préférer prendre un petit risque que ne pas permettre certaines actions parce qu’on n’est pas totalement sûr. Là, si on avait dit « si au bout de dix jours, pour les actions extraordinaires, on n’a pas réuni 50% pour, on annule l’action », nous serions bien embêtés parce que nous n’aurions jamais eu les 50% pour. On aurait peut-être eu pas mal de blancs. Donc, au final, pourquoi n’aurait-on pas mené cette action alors que personne n’était fondamentalement contre ? C’est une position assez forte dont on peut discuter, mais on trouve qu’elle fonctionne bien.
Rémi Uro : Ce qui s’est passé, à la fin, c’est que le membre en question, voyant qu’il n’y n’avait pas de consensus, même si techniquement l’asso était pour — d’après les statuts, manifestement la demande était acceptée —, il voyait bien que tout le monde n’était pas ultra-chaud donc il a décidé lui-même de ne pas le faire, parce que ça rentre aussi dans la recherche du consensus dans la bienveillance et la gentillesse. Du coup, c’était juste normal de ne pas le faire, voyant qu’il n’y avait pas de consensus fort. Même s’il aurait pu, théoriquement, le faire, ça n’est pas passé parce que ça n’avait pas de raison de passer, parce qu’il y avait eu des discussions, etc.
Quentin Duchemin : Au final, une des choses qu’on veut défendre aujourd’hui, on en reparlera un tout petit peu sur la dernière slide qui vient après, c’est qu’en général les gens sont quand même de bonne volonté. Si les règles du jeu sont là pour favoriser l’émergence du débat, structurer les discussions et favoriser le consensus, eh bien on va rarement se retrouver avec des situations où il faut absolument un cadre extrêmement clair. Cette annulation n’était pas prévue par les statuts, mais le membre a annulé son action tout simplement parce que c’était du bon sens et qu’on a l’habitude de fonctionner comme ça.
Quelques limites
Pour terminer, quelques limites parce que ça marche bien, mais on n’a pas non plus inventé le système parfait, ce serait trop beau.
Une première limite, ce sont les membres fantômes. Vu qu’avoir le statut de membre ne coûte littéralement rien, on a des membres fantômes, des gens qui sont dans le canal, qui sont considérés comme membres mais qui ne participent plus, parce qu’ils ont oublié de changer leur adresse, parce qu’ils sont partis en vacances, etc., et ça a amené des moments difficiles. Dans tous les cas, tant que personne n’est contre, les actions sont quand même validées, ça n’a jamais bloqué mais ça ralentit à mort parce qu’on est quand même obligé d’attendre dix jours alors que tout le monde est d’accord. Se pose la question de comment faire pour éviter ça ? Depuis deux semestres, on a décidé qu’à la fin du semestre on regarde qui n’a pas voté depuis longtemps et on lui envoie un message : « Est-ce que tu es encore là ou pas ? Si tu ne réponds pas avant x temps, on te vire du canal. Si tu veux revenir, n’hésite pas à le dire, naturellement ». Ça permet de fluidifier et d’éviter de se retrouver dans la situation où tous les membres actifs sont d’accord, mais il y a tellement de membres fantômes qu’on est obligé d’attendre dix jours à chaque fois et c’est chiant.
Une autre limite, dont Quentin a déjà parlé, c’est la difficulté de s’opposer : un vote contre c’est engageant, c’est conflictuel. Une fois qu’une action est lancée, voter contre c’est quelque chose de fort, c’est quelque chose qui peut être mal vu par la personne en face si on n’a pas bien discuté avant.
Quentin Duchemin : Ça implique aussi d’organiser un contre-vote, c’est en ce sens que c’est engageant.
Rémi Uro : On essaye toujours de discuter en amont, on ne s’est jamais retrouvé dans cette situation-là, en tout cas on n’est pas au courant de gens qui auraient aimé voter contre et qui ne l’ont pas fait pour ces raisons-là, mais c’est quand même quelque chose qui pourrait arriver. C’est pour ça que je pense que c’est important d’avoir des discussions en amont.
Quentin Duchemin : Un dernier cas-limite qu’on pourrait imaginer, c’est effectivement la possibilité de gros putsch : 20 personnes arrivent dans l’asso, font la demande pour devenir membres, attendent les dix jours réglementaires. Comme elles sont en majorité, on ne peut pas vraiment faire d’action extraordinaire pour les exclure, c’est un peu compliqué. Et au bout de dix jours, hop !, elles convoquent une assemblée générale extraordinaire et elles dissolvent l’asso. C’est un vrai truc qui pourrait arriver : si vous ne nous aimez pas trop, vous pouvez monter ça en partant de la salle, il n’y a pas de problème.
Du coup, on pourrait imaginer que nous allons chercher plein d’autres membres, on essaye de les faire venir et de faire tout un combat ! Voilà ! Vous imaginez que c’est une situation qui est peu probable, mais qu’on a finalement fait le choix d’accepter. C’est-à-dire que oui, elle peut se produire. C’est un peu ce que je voulais dire tout à l’heure, sans bien réussir à m’exprimer : si on essaye de faire des statuts pour empêcher ça, on va se retrouver avec des statuts qui sont extrêmement rigoureux, on va recréer quelque chose de vertical, on va se retrouver avec des blocages et des verrous. Du coup, notre pari c’est finalement d’avoir ce système où on informe tout le monde, où les gens s’informent, où on discute, où on recherche le consensus, etc. Ça permet de restaurer une confiance entre les membres, plutôt que, comme on a tendance à faire traditionnellement quand on a peur que ce genre de choses arrive, de supprimer la confiance et de la remplacer par un ensemble de règles qui garantissent que ça ne peut pas arriver. Je pense à des systèmes, même si c’est un peu hors sujet, comme la Blockchain où on est dans cette idée qu’on ne fait confiance à personne et où on va garantir, de façon cryptographique, que personne ne peut arnaquer personne, etc. Du coup, on se retrouve avec des trucs qui sont un petit peu compliqués en matière de gouvernance, d’action collective et de militantisme.
[Applaudissements]
Questions du public
Rémi Uro : Il nous reste un quart d’heure, si vous voulez discuter un petit peu sur une question.
Public : Merci, c’était passionnant. J’aimerais juste revenir sur les questions de diffusion de l’info. Vous avez parlé de Mattermost, mais comment est-ce possible d’impliquer tout le monde de façon instantanée, vu que tout le monde n’est pas super disponible. Est-ce-que vous avez d’autre canaux de diffusion d’information peut-être plus pérennes ?
Autre question : est-ce que vous avez parfois des micro-décisions à prendre, qui sont infra-ordinaires ? Comment faites-vous ? Pouvez-vous dire : « là c’est une décision technique, on le fait », pour pouvoir faire avancer les choses.
Rémi Uro : Je réponds à ta deuxième question, je répondrai à la première après. Pour les actions ordinaires, basiques, tout ce que ça implique c’est de prévenir l’asso. Tu préviens l’asso et tu agis, tu n’attends pas de validation. C’est arrivé il n’y a pas longtemps, Quentin voulait faire un truc technique, il a juste dit « je fais ça » et il l’a fait.
Quentin Duchemin : Ça rejoint un peu ta première question : comment les gens vont-ils être au courant de ça, parce qu’on ne va pas être sur tous les canaux de Mattermost et lire absolument tout. C’est pour ça qu’on a ce canal « tout-doux-cratie », dédié aux actions ordinaires et extraordinaires, où on mentionne à chaque fois à l’ensemble des membres qui sont dedans et qui vont recevoir un mail. En général c’est une espèce de synthèse : « Je souhaite faire ça » ou « j’ai fait ça ». Dans ce mail tu as des liens qui mettent du contexte pour pouvoir t’informer. Si, à ce moment-là, tu as envie de creuser un petit peu le sujet, tu peux aller sur les canaux dédiés et regarder. Si jamais tu sens que ce n’est pas vraiment de ta compétence technique, tu essaies de faire confiance à d’autres gens, peut-être que tu vas voter comme eux, ou alors, tout simplement, tu t’abstiens, mais en t’abstenant tu ne bloques pas le processus, puisque même les actions extraordinaires seront validées au bout de dix jours. Si tu n’es pas compétent tu ne vas pas bloquer et tu vas laisser l’action se faire au bout de dix jours, ce qu’on suppose être le délai raisonnable pour que les gens n’aient plus la tête sous l’eau et aient le temps de s’informer si nécessaire.
Rémi Uro : C’est le canal de « tout-doux-cratie ». Tous les messages ont cette forme : il y a cette action-là, un truc envoie des mails à tout le monde, et les gens qui veulent participer à la discussion viennent sur le canal « asso ». Toutes les décisions pour lesquelles les gens ont besoin d’être au courant passent par là, les gens reçoivent des mails, des notifications, etc.
[En référence à une conversation Mattermost projetée : « bonne ambiance, radiation et tout... ». Rires du public]
Public : Tu as parlé du wiki Quentin ?
Quentin Duchemin : On a effectivement un très gros wiki, wiki.picasoft.net [8], où, à la fois côté technique et ailleurs, on a vraiment essayé de faire en sorte que n’importe qui puisse rejoindre l’asso, se former, comment se former à l’aide du wiki et comment trouver les informations. Tous nos fonctionnements en termes de communication, d’organisation d’événements ou de techniques sont détaillés la-dessus, c’est une ressource importante pour nous sinon, sur Mattermost, c’est impossible.
Public : Une question complémentaire par rapport au délai de dix jours : comment gérez-vous l’équilibre entre le fait qu’il doit être assez court - car il faut être impliqué régulièrement pour pouvoir suivre - et en même temps un peu long, dans le sens où ça peut bloquer l’énergie bénévole de partir sur quelque chose, mais qu’il faut attendre dix jours ? Comment gérez-vous l’équilibre entre les deux ?
Quentin Duchemin : On n’était pas loin de jeter un D20 et voir ce qui sort. On a considéré que dix jours ce n’est ni trop ni pas assez, mais c’est vrai que c’est discutable.
Rémi Uro : Dix jours c’est pour les actions extraordinaires qui vont pouvoir attendre parce qu’elles sont extraordinaires. Ou alors, si c’est vraiment urgent, tu peux envoyer des mails à tout le monde disant « SVP, c’est urgent ».
Public : Par rapport à la circulation de l’information dans une association, je crois beaucoup aux infographies et cartographies type carte mentale. Par rapport au choix de dix jours, j’ai en tête la monnaie libre [Ğ1, NdT] et le système de toile de confiance par rapport à l’entrée de nouveaux membres, il y a peut-être des choses à revoir là-dedans ; j’entends bien la critique concernant la complexification des statuts et du process.
Sinon par rapport à la gestion des membres, vous appelez ça des membre fantômes, je pense que ça peut être géré comme on gère les membres dans la monnaie libre Ğ1, où un système logarithmique fait que si tu n’as pas voté depuis mille ans, il y a un logarithme descendant pour atténuer ton compte membre, et dès que tu te remets à voter, tu reviens à 100 %. Peut-être que le mail que vous envoyez pour dire « coucou, vous êtes encore là ? » peut se faire sous forme de bot, un bot de type « réactive ton compte à 100% ».
Rémi Uro : Ça pourrait. Est-ce que ça serait souhaitable, dans le sens où on est une trentaine, on se connaît, contrairement à la toile de confiance, qui est quand même un peu plus grosse et où tout le monde ne se connaît pas ? On est une trentaine, on se connaît. Nous sommes une association, donc des gens qui s’associent pour faire des choses ensemble. Je pense qu’il est plus important de garder du lien et de prendre le temps d’envoyer un mail même pour prendre des nouvelles des gens. Je pense que c’est plus adapté, en tout cas à une petite structure, de garder les choses simples et manuelles, plutôt que d’avoir un truc plus lourd. On a beaucoup réfléchi quand on a eu ces discussions-là : on a réfléchi à comment la toile de confiance était faite, à comment gérer ce genre de choses. On s’est dit que c’était plus simple de ne pas s’embêter.
Quentin Duchemin : En deux mots aussi. C’est vrai que mettre des outils comme ça c’est quand même assez complexe à développer, on n’a pas automatisé, donc ce qu’on a trouvé c’est que les membres peuvent se mettre en vacances. On a ce mode vacances où, en fait, eux-mêmes choisissent de disparaître, leur vote n’est plus comptabilisé et ensuite ils peuvent se réactiver, revenir. Ça nous paraissait être le compromis le plus simple.
Pour l’entrée des nouveaux membres, on a choisi de faire en sorte qu’elle soit complètement libre et pas cooptée, c’était aussi un choix qui a structuré les statuts et la manière d’avoir ces dix jours de délai, etc. Pour l’instant on a constaté que ça marche pas trop mal et que, justement, les gens se sentent légitimes du fait qu’on leur dise « venez, informez-vous et votez, c’est la seule chose que vous avez à faire et vous êtes les bienvenus chez nous. »
Public : Tu as parlé d’information qui circulent au sein des membres de l’association. Vous avez aussi dit que vous avez beaucoup d’utilisateurs, qui ne sont pas membres à priori. Comment faites-vous circuler l’information vis-à-vis de ces personnes-là, si vous souhaitez faire descendre cette information ?
Quentin Duchemin : Nous ne sommes pas très bons là-dessus parce que, par essence, le fait qu’on propose des services où on ne traque pas les gens et où on ne peut pas les contacter, en fait, bien souvent, on ne sait pas qui sont nos utilisateurs et utilisatrices. Il y a ce Mattermost qui est public, que les gens peuvent rejoindre, on peut trouver nos coordonnées sur les sites, etc., on reçoit régulièrement des questions auxquelles on répond. Il est vrai qu’on a pas de moyens, on a un blog, mais on n’a pas d’espace de discussion avec l’ensemble de nos utilisateurs et utilisatrices où on puisse faire circuler cette information.
Rémi Uro : On a le canal général sur Mattermost avec 100 personnes. Et du coup, on fait attention quand on fait des mises à jour parce ça risque de casser. C’est vrai qu’on n’est pas très bon sur ces questions.
Public : Encore une question : sur la bienveillance comment faites-vous pour la gérer, parce que dans la messagerie, on sait que le ton ne passe pas et c’est très facile de mal se comprendre, on a pas les visages. Les AG sont peut-être faites en vrai, mais tous les six mois ça ne suffit peut-être pas pour régler toutes les questions.
Quentin Duchemin : C’est une question complexe, je pense que je n’aurai pas de réponse tout à fait satisfaisante. Je crois que les règles du jeu structurent beaucoup les comportements des joueurs et des joueuses, ce qui fait que, quand les membres arrivent, ils sont supposés avoir lu les statuts et pris connaissance de comment la Tout-Doux-Cratie fonctionne. De manière générale, le climat actuel est bienveillant et les discussions se font d’une manière qui n’est pas conflictuelle. C’est un peu bateau comme réponse, mais j’ai l’impression qu’en arrivant là-dedans, tu as moins de chance d’avoir de la conflictualité comme tu aurais dans des fils Twitter ou je ne sais pas trop quoi, où les règles du jeu t’encouragent à réagir de manière très manichéenne, etc.
Rémi Uro : Un autre aspect là-dessus, par texte c’est plus compliqué et parfois juste dire « je suis désolé, je sais que mon message va te paraître violent, mais il n’est vraiment pas violent et je ne le pense pas comme ça », ça permet de calmer un peu la tension.
On va peut-être conclure ? Si tu as une question rapide ?
Public : L’attribution et la révocation des droits sur les serveurs et l’accès aux données personnelles, est-ce que c’est une action ordinaire ou extraordinaire ?
Rémi Uro : C’est extraordinaire.
Quentin Duchemin : Merci beaucoup. On peut continuer la discussion au stand Picasoft au 2e étage. En tout cas merci pour votre temps.