Pierre Garzon, maire : Je passe la parole à Madame Malika Kacimi concernant l’adhésion à l’association April [1], de promotion et de défense du logiciel libre.
Malika Kacimi, adjointe : Merci Monsieur le Maire.
Cette délibération s’inscrit dans la feuille de route numérique pour la ville dans sa dimension informatique durable et logiciel libre.
Face à l’hégémonie des GAFAM [Google (Alphabet), Apple, Facebook (Meta), Amazon et Microsoft] et à leur conception capitaliste et commerciale des technologies informatiques, leur collecte massive de données personnelles ensuite revendues à usage commercial, leur intrusion dans la vie privée de chacun mais également dans la vie publique, notamment la sphère politique influençable, tout en organisant leur optimisation fiscale, il existe une autre voie. Cette voie c’est celle du logiciel libre, notamment, dont la liberté s’organise autour de quatre principes :
- le principe de liberté d’utilisation,
- la liberté de copie, de partage, de redistribution,
- la liberté d’étude pour en comprendre le fonctionnement,
- la liberté de modification du logiciel pour l’adapter à ses besoins.
Notre municipalité s’est engagée dans cette voie pour garantir les libertés, faire respecter la souveraineté numérique et la gestion respectueuse des données personnelles ; elle s’est engagée vers un numérique responsable. D’ores et déjà nous utilisons, sans le savoir, des dizaines de logiciels libres, tant au sein de l’administration qu’en termes de participation citoyenne, par exemple.
L’adhésion à l’association nationale April, qui fait référence dans la promotion et la défense du logiciel libre, est proposée au conseil et constitue un engagement visible de notre motivation et implication en faveur de la démarche libre. Merci.
Pierre Garzon, maire : Merci. Monsieur Antonin Cois.
Antonin Cois, adjoint : Je voulais prendre quelques petites minutes au nom du groupe communistes et citoyens pour appuyer ce que vient de dire ma collègue Malika Kacimi. Dire que je suis frappé de constater à quel point, depuis les débuts de l’informatique et d’Internet, on a vécu des vrais moments de révolution et de retournement de nos imaginaires collectifs. Pour le dire à grands traits, jusqu’au tournant des années 2000, le discours dominant présentait d’abord Internet pour son formidable potentiel en matière de liberté, de créativité, en matière d’intelligence collective, de renforcement de la participation citoyenne. Avec le tournant des années 2020, on a découvert le formidable potentiel du numérique et d’Internet en matière de surveillance généralisée, en matière de destruction des écosystèmes, d’enfermement algorithmique, de diffusion des fausses nouvelles, de concentration des pouvoirs aux mains de quelques GAFAM, d’exclusion des populations et de renforcement des inégalités.
Une partie de ces problématiques trouve son origine dans le seul développement exponentiel du numérique avec ses conséquences humaines et climatiques ; une autre trouve son origine dans l’envers du logiciel libre, c’est-à-dire dans le logiciel propriétaire.
Il faut savoir là-dessus – et je le dis parce que souvent on a l’impression que quand on parle numérique ça va être technique, en fait on est sur des sujets extrêmement politiques – qu’aux débuts de l’informatique, si le matériel a toujours été propriétaire, le logiciel, lui, était d’abord libre, c’est-à-dire qu’il était conçu comme un bien commun, il était géré par ses développeurs et par toutes celles et ceux qui pouvaient être amenés à le devenir, un peu comme aujourd’hui on voit, par exemple, Wikipédia. Et tout ça a été vrai jusqu’à un jour de 1976 où un certain Bill Gates, qu’on connaît, a décidé que c’était quand même dommage de laisser un tel potentiel de profit en dehors du marché et du capitalisme.
Et presque 50 ans plus tard, la plupart d’entre nous utilisons le numérique dans tous les aspects de nos vies : on l’utilise pour échanger avec nos amis, pour organiser une manifestation, une fête, pour prendre un billet pour un spectacle, pour un train, pour inscrire nos enfants à l’université. La plupart d’entre nous sommes envahis par des logiciels privateurs, c’est-à-dire sur lesquels on n’a aucun moyen de connaître le code source, Malika le rappelait à l’instant, le code source est la recette de fabrication, et pour lesquels on est obligés de croire sur parole la bonne volonté des entreprises qui le possèdent.
Presque 50 ans plus tard, le numérique est presque entièrement possédé par des entreprises privées de plus en plus grosses, de plus en plus fortes. Les Google, les Amazon, les Facebook, les Microsoft ont dépassé récemment, pour la plupart d’entre eux, les 1000 milliards d’euros de capitalisation boursière. Pour vous donner un exemple, Total, dont on parle beaucoup ces derniers jours, 150 milliards ! Google, 1000 milliards ! Ces groupes gigantesques ont forcément un pouvoir majeur, y compris maintenant un pouvoir géopolitique et ce n’est pas autrement qu’il faut interpréter la décision encore récente d’un pays comme le Danemark de nommer un ambassadeur auprès des GAFAM. Ça a des conséquences démocratiques qui sont majeures, comme lorsque les algorithmes, c’est-à-dire le code source de Facebook ou de YouTube, favorisent au final les théories du complot sans que personne ne puisse rien y faire.
Si Facebook ou YouTube étaient libres, nous – État, collectivités, citoyens – pourrions mobiliser des développeurs pour en supprimer les effets pervers. Richard Stallman [2], initiateur historique du mouvement du logiciel libre, le disait en 2004 : « La liberté informatique n’est pas plus importante que les autres libertés fondamentales, mais, au fur et à mesure que les pratiques de la vie basculent sur ordinateur, on en aura besoin pour maintenir les autres libertés. ». Du coup, défendre les logiciels libres, c’est défendre une autre informatique qui s’inscrit dans le giron des biens communs, finalement au cœur d’une remise en cause des rapports de production et de propriété capitaliste. C’est refuser une informatique privatrice et aliénante et défendre, à contrario, une informatique du progrès social.
Dans notre ville, Malika le rappelait, ça a des impacts concrets. Nous sommes engagés, avec notre DSI [Directeur des Services Informatiques], dans la mise en œuvre et le développement des logiciels libres. La plateforme participative jeparticipe.villejuif.f [3] – j’invite tous les citoyens de Villejuif à participer en lien avec les conseils citoyens – est basée sur le logiciel libre Decidim [4]. Je pense au déploiement de GNU/Linux [5] dans nos écoles, je pense à la mise en place des logiciels de web conférence qu’on utilise sur la base du logiciel libre BigBlueButton [6] et à l’existence de beaucoup de logiciels métiers qui sont utilisés tous les jours par nos agents.
Pour toutes ces raisons, l’adhésion à l’April, l’association pour la promotion et la défense du logiciel libre, est importante et cohérente ; on en soutient pleinement la démarche.
Pierre Garzon, maire : Merci. Madame Christel Esclangon.
Christel Esclangon, conseillère municipale : Pour aller dans le même sens, nous sommes assez d’accord avec ça. La promotion des logiciels libres est effectivement vraiment très importante pour la collectivité. Ça va aussi dans le sens de la protection des collectivités. Je ne vais pas revenir sur ce que vous avez dit parce que c’était assez complet, simplement dire que c’est aussi un enjeu de sécurité numérique puisque l’on voit – je crois que vous ne l’avez pas abordé – de plus en plus de piratages d’administrations publiques, dont les hôpitaux qui ont été attaqués. Aller vers l’utilisation de logiciels libres nous rendra certainement un petit peu moins assujettis à ces enjeux de sécurité et puis, évidemment, un enjeu de dépendance par rapport aux États-Unis. Pour l’instant, au niveau de la diplomatie, ils sont considérés comme nos alliés, mais imaginons que ça pourrait changer un jour, dans un monde un peu compliqué comme le nôtre, et là on se retrouverait vraiment dans des situations très complexes, avec une dépendance américaine terrible par rapport au numérique.
Notre groupe est pour cette adhésion à l’association April et, à ce titre, soutient la politique menée en ce sens.
Pierre Garzon, maire : Merci. Pas d’autre intervention. C’est un vote favorable, je ne sais pas, à l’unanimité en commission ? Non ? Une abstention. De toute façon on va voter. Qui est contre ? Qui s’abstient ? C’est donc adopté à l’unanimité.