- Titre :
- Priorité au logiciel libre ? Une lecture politique.
- Intervenant :
- Véronique Bonnet
- Lieu :
- PSESHSF - Choisy-le-Roy
- Date :
- Juillet 2016
- Licence :
- Verbatim
- Durée :
- 56 min 15
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Transcription
C’est bon ? Bien. Eh bien écoutez, je suis Véronique Bonnet. Je suis administratrice de l’April et étant donné le titre Priorité au logiciel libre ? Une lecture politique, vous pensez peut-être que je vais parler du projet de loi « pour une République numérique ». Il se trouve que hier la commission paritaire s’est réunie. Puisque comme ce projet de loi n’a pas été adopté dans les mêmes termes à l’Assemblée nationale et au Sénat, dans ce cas-là l’usage est que sénateurs et députés pour harmoniser, pour voir ce qu’il va rester comme amendements, ce qu’il va devoir compléter… Est-ce qu’il va y avoir des annonces de décrets ? Est-ce qu’on va charger le Conseil d’État de préciser tel terme ou tel terme de la loi ?
Je pense que tous ici, autant que vous êtes vous, avez idée de l’enjeu qui a été celui de la question de la priorité au logiciel libre dans le domaine public. Vous avez certainement entendu parler du partenariat [1]entre l’Assemblée nationale [Éducation nationale - NdC.] et Microsoft, par exemple, ce qui va strictement à l’encontre de ce type de démarche. Il y a eu une consultation en ligne. Les amendements qui sont arrivés en premier, qui ont été les plus plébiscités, aussi bien donc ceux de l’April, que je représente ici, que de la Quadrature, n’ont pas semble-t-il eu des effets décisifs dans la rédaction actuelle de la loi. Parce que plutôt que de parler de priorité au logiciel libre, il est question de l’encourager. Alors évidemment, ce terme n’est pas du tout le même, parce que si on dit encourager, dans ce cas-là il n’y a pas de valeur normative. Peut-être que la teneur qui impose, n’est pas du tout précisée. L’April, pour son 1er avril, a décidé de fonder un groupe de travail de pom-pom gnous [2], puisque encourager c’est aussi bien danser, c’est aussi bien troller le logiciel privateur pour donner idée de ce qui n’est pas lui.
Tel ne sera pas mon propos d’aujourd’hui. Pourquoi ? Alors le sous-titre est, je dirais, plus philosophique. Bon, c’est la discipline qui est la mienne. Pourquoi GNU against GUN ? Je vais essayer de montrer que nous sommes dans une position qui est délicate. Délicate dans les deux sens du terme. Aussi bien nous sommes dans une délicatesse, nous sommes dans un respect. Et peut-être que nous respectons tellement l’utilisateur, l’environnement de l’utilisateur, son autonomie, que nous n’osons pas aller d’une façon intrusive vers ce qui s’oppose à cette autonomie ou ce qui s’oppose à cette liberté qui voudrait être déclinée, par exemple, dans ses quatre libertés, aussi bien d’exécuter, aussi bien d’étudier, de modifier, d’améliorer, de distribuer des copies modifiées, qui sont les quatre libertés du logiciel libre.
Je dirais que nous sommes dans une délicatesse, au sens où on dit aussi qu’on est en délicatesse avec…, parce que du coup notre posture est extrêmement délicate. C’est comme si on passait notre temps à nous excuser de demander pardon, d’une certaine façon. Parce que, comme nous sommes dans un respect et comme nous ne pouvons pas adopter les armes de ceux qui non seulement se permettent dans les circuits marchands d’imposer ce qui s’appelle la vente liée, qu’on appelle aussi la vente forcée… Comme nous ne sommes pas à happer les utilisateurs, à siphonner en permanence leurs données pour en faire une marchandise sonnante et trébuchante, c’est vrai que nous sommes en même temps « en délicatesse », nous sommes dans une posture qui est délicate, parce qu’elle ne peut pas relever de l’artillerie lourde.
Et donc, ce que je vais essayer de montrer aujourd’hui, c’est comment la notion de priorité au logiciel libre, étant donné cette double délicatesse, à la fois nous sommes respectueux et en même temps ceci nous met en position délicate parce que nous ne pouvons pas y aller avec des rouleaux compresseurs comme le font ceux auxquels on s’oppose. Comme nous ne pouvons pas y aller, et là je reprends les termes de Bayart, de Benjamin Bayart, nous sommes un peu dans la posture de ceux qui enverraient des lance-pierre à des chars d’assaut [3], nous sommes à peu près dans cette démarche-là. Délicatesse. Est-ce que ceci signe notre impuissance ? Est-ce que notre respect, la recherche d’être en cohérence avec nous-mêmes, nous barre la route d’une réplique ?
C’est vrai que les métaphores que je vais utiliser sont des métaphores assez guerrières, parce que j’aime bien lire Clausewitz [4] et que de temps en temps, chez Clausewitz, il y a une notion qui intervient d’une façon souveraine, qui est la notion de polarité, de principe polaire, parce que quand vraiment on veut mettre le paquet dans un combat, dans un idéal, c’est vrai que la plupart du temps, si on veut faire le poids face à l’adversaire, on va avoir la tentation d’utiliser ses armes à lui.
Or, ce que je vais essayer de montrer c’est comment, dans la démarche du projet GNU, il y a quelque chose qui n’est pas de l’ordre de l’artillerie lourde qui n’est pas de l’ordre de l’intrusion, de la violence faite à l’utilisateur, mais quelque chose qui est absolu et qui prévaut sur le caractère relatif, intéressé, affairiste. Les activistes que nous sommes, nous ne sommes pas des affairistes et ceci, je crois, fait toute la différence.
Je vais commencer par un préalable, parce que je vais quand même dire quelque chose, quelques mots de ce projet de loi pour une République qui a occupé donc hier, et c’était le commencement et ça va se poursuivre demain. Il va y avoir, donc, une harmonisation de ce qui a été voté par l’Assemblée et de ce qui a été voté par le Sénat.
Alors d’une façon scandaleuse, si j’essaie de résumer ce qu’il en est du projet de loi pour une République numérique, en gros il y a deux volets. C’est-à-dire il y a un volet, le titre et le titre 3, qui essaient de faire toute la lumière sur ce que les citoyens ont besoin de connaître, c’est-à-dire les algorithmes qui régissent leur vie, et là il faut qu’il y ait une transparence. Il ne faut pas que nos existences soient vouées à des instances de décision qui sont de plus en plus numérisées et qui sont de plus en plus opaques. Ça je dirais que c’est le premier volet du projet de loi pour une République numérique.
Il y en un autre, c’est le titre 3 qui là, respecte, qui fait toute l’ombre. Les deux premiers points font toute la lumière parce qu’il y a de procédures qui ont besoin d’être transparentes dans une démocratie. Le point 2, le titre 2, il fait, je dirais, toute l’obscurité, ou du moins il devrait faire toute l’obscurité, c’est-à-dire séparer nettement ce qui relève de la vie publique et de la vie privée. Or il y a une porosité de plus en plus dangereuse entre la vie publique et la vie privée.
Je vais donner un exemple, parce que encore une fois ce n’est pas mon objet d’aujourd’hui, je vais vous monter donc comment dans le titre premier qui est La circulation des données et du savoir – Économie de la donnée – Ouverture de l’accès aux données publiques, c’est sur quoi je vais parler, comme il y a de plus en plus de processus informatisés, qui régissent nos existences aussi bien fiscales, aussi bien scolaires, aussi bien citoyennes, alors ce projet de loi, par le titre ronflant qui est le sien, laissait espérer que la transparence serait faite.
J’attire votre attention sur l’article 9 ter qui a beaucoup préoccupé l’April, par exemple. Là on parle des services de l’État qui « encouragent l’utilisation des logiciels libres », donc pas priorité mais encouragement. Là c’est la version qui est adoptée par l’Assemblée nationale. Voici la version qui a été adoptée par le Sénat, qui est très semblable. Ce que souhaiterait l’April, et ceci reste ouvert. Ce qui est complètement fermé c’est la priorité au logiciel libre. Terminé ! Parce que comme les deux assemblées ont voté l’encouragement, ça veut dire qu’il ne peut plus être question de priorité. Par contre, si on parle d’un encouragement, ce à quoi l’April souhaiterait encourager, donc nos élus, c’est que dans cet article 9 ter se trouve un renvoi à un décret, décret qui serait fait par le Conseil d’État et qui pourrait rendre beaucoup plus normatif, beaucoup plus contraignant, et en tout cas donner un contenu, parce que sinon le Conseil constitutionnel va dire que ça ne peut pas être validé étant donné le caractère tout à fait flou. Là on est dans le flou conceptuel, encourager c’est quoi ? Exemple, ce que souhaiterait l’April, c’est qu’il y ait dans cet article 9 ter quelque chose qui soit un renvoi à décret. Décret qui serait formulé par le Conseil d’État qui pourrait donc donner du poids à ce qui n’en a pas. Parce que là on est dans le léger, on est dans le tout et n’importe quoi. Encore une fois on est dans le pom-pom gnous. Tant que la priorité a été écartée, on veut au moins donner corps à ce qui s’appelle encouragement.
Deuxième exemple. Ce fameux article premier bis qui est nouveau. Voici la version adoptée par l’Assemblée nationale. Ça c’est une avancée qui est très importante parce que maintenant le code source est considéré comme document administratif communicable. Il y a une instance qui s’appelle la CADA qui, lorsqu’un citoyen n’obtient pas gain de cause, intervient. Donc ça s’est passé. Vous avez entendu parler d’Etalab, de ce qui s’est passé chez Mozilla concernant le code source du calcul des impôts. Là, dans la loi, est désormais inscrite la notion de code source qui fait partie des documents administratifs communicables.
Alors c’est la version du Sénat, donc la version de l’article premier bis. Il se trouve que là, une exception intervient. Pourquoi ? Parce qu’on se demande ce qui se passe lorsqu’on est dans un secteur exposé à la concurrence. Or, peut-être que tous les secteurs sont exposés à la concurrence. Peut-être qu’on vit dans un monde qui est dans une tension perpétuelle, dans un rapport de rivalité qui est extrêmement fort. Et donc, ce que souhaiterait l’April, c’est que soit abrogée cette exception, parce que, de toutes façons, cette exception est déjà prise en compte par d’autres textes. Vous voyez bien que là, l’exception risque de neutraliser en grande partie cette avancée considérable qui fait du code source un document administratif qui est communicable.
Pourquoi est-ce que je dirais ces combats, qui sont un peu des combats d’aménagement, ne sont pas tout à fait étonnants ? Parce que dès sa délibération de fin 2015, déjà le Conseil d’État avait dit à quel point le contenu du projet de loi était sans commune mesure, ne se donnait pas les moyens du titre qui était le sien. Parce que si on veut en effet honorer la notion de République qui, comme son nom l’indique, est un commun qui est agencement, une sorte de régulation des existences. Donc il y a besoin à la fois de rendre transparents les processus d’agencement et de laisser opaque la dimension privée. Très tôt le Conseil d’État, avant même que ces textes soient examinés en séance dans les deux assemblées, avait dit à quel point cette démarche lui paraissait irréaliste étant donné l’absence d’ambition des contenus.
Ce que je vais faire, je vais maintenant essayer d’expliciter ce que j’ai appelé GNU against GUN. Pourquoi sommes-nous, libristes, dans cette position extrêmement délicate qui consiste, puisque nous sommes aussi délicats au sens de respectueux, à ne pas vouloir faire de « rentre dedans », ne pas utiliser les mêmes rapports intrusifs, la même forme dissymétrique de celle qui est manifestée par les GAFAM qui sont en position dominante ? Tout simplement, alors c’est peut-être un résumé de cet argumentaire qui va être le mien, il me semble que l’informatique privatrice s’impose : des choses écrites en tout petit, des clauses qu’on ne peut même pas lire, parce que si on veut pouvoir regarder telle vidéo, alors il faut accepter les conditions. C’est comme si on nous demandait de livrer absolument tout ce qui nous concerne, puisque par avance on s’engage, on prend acte, sans même le savoir, que les photos qu’on va poster ne seront plus notre propriété et autres choses de ce genre.
Il me semble qu’il faudrait très fortement dissocier l’informatique privatrice qui s’impose, qui nous happe, qui est dans une sorte d’attente de ce qui va être lâché par nous, dont elle va éventuellement pouvoir s’emparer, alors que l’informatique libre se propose. C’est-à-dire que l’utilisateur peut dire non, l’utilisateur peut choisir. Jamais on n’aura vu des logiciels du projet GNU être dans un rapport clandestin, dans une forme invasive. Ceci est complètement exclu. Donc vous voyez bien que cette dissymétrie-là, entre une informatique qui y va carrément, sans prendre de gants, et une informatique délicate, dans les deux sens du terme, va faire que peut-être cette informatique libre va être dans un rapport défavorable ou va être toujours en train d’avoir le dessous, alors que l’informatique privatrice aura le dessus. Tout simplement parce que l’informatique libre ne peut pas utiliser les mêmes outils violents, intrusifs et clandestins que l’informatique privatrice.
On pourrait dire d’une autre façon. On pourrait dire que l’informatique privatrice y va à coups de lobbying, étant donné le trésor de guerre qui est le sien. Et à côté, les fonds souverains ne sont pas grand-chose parce qu’elle peut, sans sourciller, racheter tel procédé ou tel autre. Alors que l’informatique libre est du côté de l’advocacy, c’est-à-dire du plaidoyer, c’est-à-dire de l’exposé pacifique, de l’exposé qui peut-être sera extrêmement cohérent, mais qui n’aura pas avec lui la force de frappe ou la puissance qui est celle de l’informatique privatrice. Et donc la question pourrait être : « que faire ? »
Vous avez entendu parler des quatre dangers de l’informatique privatrice. Vous voyez bien que comme elle y va à coups de brevets logiciels, à coups de DRM ou encore à coups de vente forcée. Cette informatique qu’on appelle déloyale, parce qu’effectivement là tous les coups sont permis, va être d’une pointure telle que peut-être jamais, celle qui essaie d’être loyale, celle qui essaie de mettre l’humain au centre, va être disqualifiée avant même qu’elle ait ouvert la bouche. Pourquoi ? Parce que son plaidoyer va être un argumentaire délicat qui va mettre les formes, qui va essayer de se donner le droit de dire ce qu’il dit. Alors il y aura de l’humour. Et j’ai eu une grande émotion lors de l’exposé précédent : il va y avoir de l’inventivité et vos exposés, cet après-midi, ont manifesté des formes extrêmement créatrices de manières de se présenter et d’avancer. Mais peut-être que jamais il n’y aura de possibilité de lutter contre ces démarches-là.
Comme j’ai tout à l’heure utilisé une métaphore de Benjamin Bayart, nous sommes un petit peu comme des gentils face à des chars d’assaut. Alors là vous avez carrément le premier char d’assaut qui a été dessiné de l’histoire de l’humanité, c’est-à-dire celui de Léonard de Vinci, qui a été réalisé. Alors attention, parce que si vous regardez le panorama, ça va aller très mal pour vous. Surtout que là, c’est le panorama d’un château de la Renaissance, j’en dirai quelques mots tout à l’heure. Vous avez ici ce char d’assaut qui est maintenant au Clos Lucé, qui a fait un petit peu le tour des différents châteaux de la Loire et qui permet à, métaphore bien sûr, à l’informatique déloyale de s’avancer en étant certaine, à chaque fois, d’éviter les égratignures que nos tentatives d’opposition pourront éventuellement lui faire.
Alors on peut en rajouter pour penser cette dissymétrie. Là c’est le premier rouleau compresseur de l’inventeur du rouleau compresseur, donc c’est au milieu du 19e siècle. Vous avez aussi bien la moissonneuse-batteuse. Quand on regarde les manières de prospecter de l’informatique privatrice, on se sent une sorte de frêle fétu de paille puisque, de toutes façons, si on veut écouter les sirènes de l’informatique privatrice, de nous, il ne restera pas grand-chose.
Cette informatique s’avance avec ses gros sabots. Pourquoi ces sabots-là ? Non seulement parce que la licence est libre, non seulement ce sont les gros sabots de Wikipédia, mais parce que j’aime à faire le lien entre ces gros sabots-là et ce tableau qui est un tableau de Magritte qui s’appelle Le modèle rouge. Alors je vous raconte l’histoire épouvantable, le conte de fées épouvantable qui mène à ces souliers qui sont en même temps des pieds dont on ne sait plus bien s’ils sont faits de chair ou de cuir. On dit que ce qui a inspiré Magritte c’est qu’il y a des souliers enchantés. Si on chausse ces souliers qui sont ensorcelés, on va danser, on va danser encore, sans jamais pouvoir arrêter la danse, et les pieds vont se trouver en sang et les danseurs, du fait du sortilège, ne peuvent plus être maîtres de leurs mouvements.
J’aime assez à me représenter l’utilisateur de l’informatique privatrice chaussant des logiciels qui, par les portes dérobées, accomplissent, sans même qu’il le sache, à son insu, des procédés qui siphonnent, qui confisquent, qui mettent de côté des données qui pourraient servir. Il me semble, et ça je ne le fais plus jamais depuis alors seulement trois ans, il me semble qu’utiliser ce type de logiciels c’est être un petit peu dans la posture du danseur qui a chaussé ce qui a permis, selon lui, telle aisance du pas, telle élégance du saut, et qui, en réalité, est en train de manger, sans qu’il le sache, quelque chose de lui, quelque chose de sa chair. Il paye de sa personne.
Que faire ? Alors évidemment on pourrait en rire. Vous avez ici un tableau du 17e siècle de Van Sandart. J’ai trouvé que c’était plus digne, pour cet après-midi, que certaines petites chansons destinées aux enfants dans lesquelles on dit que bien sûr, d’habitude ce sont les chasseurs qui tuent les lapins, sauf que de temps en temps, peut-être, ce sont les lapins, ceux qui sont dans la délicatesse d’une posture dissymétrique, qui essaient de s’en prendre à ce qui leur tire dessus.
Je vais mimer devant lui la posture du malheureux libriste. Je n’ai pas voulu faire à Walt Disney le cadeau. Vous savez que c’est à cause de lui, de Disney, que l’accession au domaine publique est passée à 70 ans. Absolument pas question de projeter ici un lapin qui serait le sien. Là c’est un lapin de la tapisserie de La Dame à la Licorne, qui est au musée de Cluny, sur les cinq sens. Vous avez une dame qui met à sa narine une fleur et en même temps on a l’impression que les animaux autour d’elle écoutent, sentent, sont dans un rapport à l’univers extrêmement sensible et doux.
Je vais mimer le libriste qui, évidemment par définition, ne veut pas utiliser les rapports intrusifs qui sont ceux de l’informatique déloyale. Ça pourrait donner quelque chose comme : « I’m a little rabbit ! I’m a little rabbit ! I’m a little rabbit ! Ou encore. Ça c’est un bébé gnou, c’est sur le site de la FSF, c’est de Étienne Savasa, comme le gnou que vous connaissez. Peut-être qu’on peut essayer aussi avec le gnou. Ça peut donner I’m a little gnou ! I’m a little gnou ! I’m a little gnou ! »
Vous voyez bien que pour exorciser le caractère très violent - et Clausewitz dirait que le principe de polarité imposerait au petit lapin et au petit gnou de s’armer un peu, quand même - ce serait la moindre des choses.
Donc il semblerait que le droit soit un moyen de faire intervenir quelque chose qui s’oppose au droit du plus fort. Merci beaucoup Nicolas de m’avoir signalé, donc il me reste trente minutes. Il me semble que nous pouvons tenter quelque chose comme une démarche, qui ne serait pas du tout une démarche qui serait la course à avoir plus de muscles, être mieux armé, être davantage blindé, se désensibiliser, essayer d’adopter des postures plus guerrières. Il me semble que là on ferait contresens.
Je vais rappeler, c’est trivial, qu’il y a, si on pense la priorité comme résultante de la force, pas directement en un sens juridique, en un sens physique, si on pense la priorité comme résultante de la force, nécessairement la priorité est celle de celui qui, ce jour-là, a eu le dessus, soit parce qu’il est allé jusqu’au bout de son énergie, soit parce qu’il a été le plus rusé, soit parce qu’il a été surprenant et l’autre s’est laissé avoir. Je vais rappeler, et c’est trivial, que si on pense la priorité, on pense le plus souvent la priorité en un sens énergétique, au sens de celui qui arrive à faire plier l’autre. Sauf que, il y a, et là c’est l’histoire du droit, des décisions qui sont des décisions politiques et là je parle vraiment de la politique au sens de la tentative de régler les rapports entre les existences, d’essayer d’éviter les chocs, essayer d’éviter les comportements les plus improbables, c’est vrai qu’il y a dans le droit, qui l’impose à celui qui est le plus fort, la tentative de donner une chance à celui qui n’est pas le plus fort. C’est-à-dire la tentative d’arrêter celui qui a une telle suprématie qu’il peut aller trop loin, qu’il peut aller jusqu’au bout. J’ai parlé tout à l’heure de moissonneuse-batteuse, de rouleau compresseur ou de char d’assaut. Il y a dans le droit, depuis par exemple le code d’Hammourabi, il y a quelque chose qui s’appelle « je m’interpose moi, le roi, et celui qui ira jusqu’au bout de sa force, celui-là devra répondre de ce qu’il a fait ». Il y a des choses comme ça.
Apparemment la priorité au logiciel libre, ce qui concerne la priorité au logiciel libre, tel n’en a pas décidé pour l’instant le législateur. J’ai dit où en était la commission paritaire. Mais ce que je vais essayer de montrer c’est que même s’il n’y a pas de priorité juridique, qu’il y ait priorité juridique ou non, je vais essayer, en tout cas c’est ma conviction et c’est ce qui fait que j’essaye d’avancer et j’essaye de ne pas tous les jours savoir que je suis en posture de petit gnou ou de petit lapin ou de proie, il me semble que nous pouvons en tout cas montrer que dans l’informatique libre il y a quelque chose comme un absolu, il y a quelque chose comme une forme de « je dois », comme une forme de respect qui prévaut sur les calculs marchands du « si je veux envahir tel marché, alors je vais racheter tel logiciel. Si je veux couper l’herbe sous le pied de celui qui veut donner au domaine public tel usage, alors il faut que je contourne la difficulté de cette façon-là », il me semble qu’on peut opposer ensemble, ce qui relève de l’absolu, qui toujours, et là on est n’est plus rapport de force, on est dans une autre dimension, il semble que toujours l’absolu prévaut sur le relatif. C’est ce que je vais essayer de montrer.
Ma première démarche, donc c’est trivial d’abord. J’ai fait exprès, alors vous allez dire pourquoi est-ce qu’elle a choisi la version en anglais du Gorgias de Platon ? Parce que là on voit très bien, donc c’est un texte de Platon qui s’appelle le Gorgias, là il y a un très vieux, vous avez sa canne, il a du mal à tenir debout. Vous avez un très vieux philosophe qui est Socrate. Il n’en peut plus. On sait que là Platon le représente, il est au bout du rouleau, c’est la fin de sa vie, il n’a plus beaucoup d’énergie, d’ailleurs il le manifeste dans le dialogue. Et en face vous avez un jeune, vous avez Calliclès, vous avez les dents qui rayent le parquet, il est athlète, c’est le plus beau d’Athènes. On a l’impression qu’absolument tous les espoirs lui sont permis. Athènes va être bientôt à ses pieds. Et vous avez pourtant celui-là, le plus fort, Calliclès, qui défend le droit du plus fort, qui envie Socrate, qui envie à Socrate le pouvoir de la vérité. Il n’a qu’une envie, de démontrer que le plus fort a le droit d’être le plus fort.
Et là, bien sûr il se contredit, parce que plus fort ! S’il a besoin que de sa force pour avoir le droit d’être le plus fort il n’a pas besoin de légitimer sa position. Et là qu’est-ce qu’il se passe ? Vous avez Socrate qui est en difficulté. Vous avez Socrate qui a en face de lui quelqu’un qui, de toutes façons, ne l’écoute pas. Et que va faire Socrate ? Eh bien progressivement utiliser les armes de l’adversaire, il essaie de l’intimider. Calliclès essaye de séduire Socrate, il essaie de faire peur à Socrate : si tu ne dis pas comme moi, je vais te casser la figure.
Progressivement vous avez Socrate qui utilise le ton, qui utilise le langage de Calliclès, qui lui demande de se laisser de persuader. Et progressivement vous avez Socrate même, qui utilise des faux-semblants, qui utilise la sophistique pour être fort sur Calliclès. C’est un dialogue qui tourne mal.
Exemple, ça c’est toujours dans le Gorgias, vous avez un moment où on dit que « l’orateur est en état de parler contre tous et sur toute chose ; en sorte qu’il sera plus propre que personne à persuader en un instant la multitude sur tel sujet qui lui plaira. » Vous avez un moment où Socrate, tout philosophe qu’il est, il rêve d’être un rhéteur pour fasciner Calliclès. Il a envie de réduire cette dissymétrie, il a envie de réduire ce rapport de force.
Là on a parlé de force, on pourrait aussi bien parler de celui qui arrive en premier : Not the best, but the first. Ça a été un certain temps l’un des adages des écoles de commerce. : il ne faut pas être le meilleur, on n’en a rien à faire, not the best, but the first. Ce qui est important c’est d’arriver en premier, parce que si tu arrives en premier, si tu es le premier à enclore un champ qui est à tout le monde, alors tout le monde sera tellement sidéré, stupéfait que personne n’osera rien faire.
Quand on parle de rapport de force, on peut aussi bien parler de rapport de séduction ou de rapport de ruse, parce que celui qui arrive en premier ! Je sais qu’il y a des mathématiciens ici présents. Là c’est le fameux paradoxe : est-ce que la tortue part en premier lorsqu’elle se bat contre Achille, ah oui, là vous avez a tortue, là vous avez Achille. Qu’est-ce qui se passe si Achille a la courtoisie de laisser partir en premier la tortue ? Est-ce qu’il peut la rattraper ? Effectivement, il va s’élancer. Mais le temps où il rattrape la tortue, la tortue a encore avancé, etc. Vous voyez ce dont on parle, ce qu’on décrit là en termes de rapports de force, on peut aussi bien le décrire en termes de ruse, en termes de séduction. Parce que toujours, quand on parle des GAFAM, il est question du dernier coup d’untel qui a trouvé en effet prudent d’éviter tel ennui à venir ou telle menace sur sa suprématie, en achetant, il a mis le prix qu’il fallait, telle création de celui-là qui lui a cédé. Et du coup, il est toujours le premier. Il est toujours en posture de domination.
La question : pourquoi ici la Nef des fous ? Parce que je vais parler d’une difficulté qui a surgi concernant le droit de panorama. Si vous êtes de fréquents utilisateurs de Wikipédia, de Wikimédia, vous savez que la dernière qui a été inventée, alors toujours « dans ce champ est à tous, mais si je l’enclos le premier alors il est à moi », vous savez que la France est en train de se laisser piéger, concernant le droit au panorama, par de nouvelles enclosures. Si vous prenez la photo du copain devant tel monument, alors attention, comme vous avez pris le monument, qui pourtant est dans le domaine public, vous pourrez avoir des comptes à rendre. Peut-être que tel moteur aura telle taxe à payer. Bon vous-même risquez d’avoir à vous expliquer de votre geste, et autres choses de ce genre.
Là j’ai fait exprès de me référer à un usage du droit de panorama. C’était au Moyen Âge. Au Moyen Âge, on soigne les fous, à l’époque on ne dit pas les aliénés. On parle de la folie non pas comme déraison, non pas comme aliénation, mais comme autre manière de fonctionner. On installe donc ceux qui sont dans ce mode-là de conscience, sur une nef, ça c’est la Nef des fous de Jérôme Bosch. Et qu’est-ce qui se passe ? Vous avez le navire qui circule et le dépaysement, la succession très étrange, le ravissement qui est constitué par les paysages successifs, finissent par stimuler le rapport à l’espace, finissent par articuler autrement le rapport au monde, et là vous avez des formes très intéressantes d’usage de la culture. Alors peut-être que bientôt il y aura une propriété privée du langage, on ne sait pas, en tout cas on va vers une propriété privée du panorama et des paysages, ce qui fait dire à Foucault que le bateau c’est une des formes les plus thérapeutiques qui soit, au Moyen Âge, puisque la succession des paysages rencontrés fait que celui qui a à chaque fois à se repositionner, à se reconfigurer, va stimuler en lui-même tel lien avec le monde, tel lien avec les autres, qui s’était trouvé à un certain moment fragilisé ou défaillant.
J’en ai fini avec ma partie triviale. Vous avez entendu parler donc de priorité du plus fort, du plus rusé, de celui qui s’y prend en premier. Que fait le droit ? Que propose le droit ? Vous avez ici la stèle, c’est au Louvre, la stèle du code d’Hammourabi : œil pour œil, dent pour dent, etc. Souvent on dit « le code d’Hammourabi c’est épouvantable, vraiment Babylone a inventé la pire cruauté. » Attention. ! C’est, au départ, un code de régulation, avant ce n’est pas œil pour œil, dent pour dent. C’est « si tu as fait du mal à l’œil du malabar qui est là et qui a la force de t’ôter la vie, alors il le fera ». C’est, au début, une démarche de régulation. C’est-à-dire c’est seulement l’œil. Celui qui a blessé l’œil, on va seulement lui prendre l’œil et pas la vie. Ou encore, rassurez-vous, il ne va y avoir que deux occurrences parce que j’arrive à l’essentiel, c’est-à-dire au caractère absolu de l’informatique libre.
Là c’est Athéna, c’est la déesse de la sagesse grecque. Que fait Athéna ? Parce que avant l’Aréopage, il y a ce qu’on appelle la vengeance judicatoire. C’est-à-dire que lorsqu’un être a été tué dans une lignée, nécessairement, il faut, d’une façon symétrique tuer, sinon il y a souillure, sinon il y a les Érinyes qui s’y mettent. Il faut, pour purifier la souillure, se livrer au crime inverse. Et du coup, les familles athéniennes sont décimées, et du coup Athènes ne peut pas se défendre contre ses ennemis extérieurs. Donc vous avez Athéna qui invente l’Aréopage, potion divine pour une priorisation. Ici on donne la priorité à la possibilité pour Athènes de se défendre contre ses ennemis extérieurs. C’est-à-dire que l’Aréopage va évidemment juger les crimes de sang, va évidemment sanctionner les crimes de sang, mais sans pour autant mettre à mort celui qui a tué quelqu’un. Parce qu’il faut qu’il y ait encore des forces vives dans la cité.
Alors pourquoi est-ce que j’ai parlé d’Hammourabi, d’Athéna ? Parce que la plupart du temps, dans les codes anciens, on a besoin d’une divinité tutélaire, on a besoin de faire référence à une transcendance. Or mon propos, c’est de vous montrer aujourd’hui, c’est de montrer aujourd’hui que l’informatique libre n’a pas besoin de gourou, l’informatique libre n’a pas besoin de protection tutélaire. Certes, et je sais qu’il va venir dans deux jours, lorsqu’il arrive à Richard Stallman de jouer à Saint IGNUcius, c’est une façon de troller les figures tutélaires. C’est une façon de bien dire que dans l’informatique libre il y a une forme de densité qui dispense allégrement de toute caution théologique, de toute caution transcendante. Bon, lorsqu’il le fait, avec le talent que vous connaissez, il se délecte. C’est-à-dire qu’il est, bien sûr, dans la caricature de ce de quoi les autres ont besoin et dont le projet GNU lui, se passe, parce que le projet GNU a en lui suffisamment de densité et d’exigence morale pour s’imposer sans avoir besoin d’une référence à un au-delà, fut-ce l’église d’Emacs.
J’en viens, et je garde du temps pour vos questions. J’en viens à mon dernier point. Pourquoi y a-t-il dans l’informatique libre quelque chose qui relève d’un absolu ? Et là on ne parle même plus de priorité, on ne parle même plus de premier, de ruser, de séduire, de trouver telle parade, d’être dans un système polaire au sens où l’entend Clausewitz, le grand stratège, le grand polémologue. Tout simplement parce que, quand vous relisez le tout début du projet GNU, ce qu’on appelle donc le GNU Manifesto [5], que vous trouvez sur les pages de la FSF, quand vous regardez le lexique, quand vous regardez le vocabulaire qui est utilisé par Richard Stallman, « la règle de réciprocité exige, exige de moi, exige que je partage les programmes que j’ai appréciés avec les personnes qui apprécient ces mêmes programmes. Les éditeurs de logiciels, cherchant à diviser pour régner, obtiennent des utilisateurs qu’ils renoncent à tout partage. Je refuse de rompre de cette manière la solidarité qui me lie aux autres utilisateurs. »
Vous avez des termes qui sont des termes qui sont absolument sans réplique. Là on n’est pas dans la polarité. On est dans une forme d’exigence, de loi donnée à soi par soi, qui a une telle densité existentielle, qui a une forme qui est tellement dans une exigence autonome. Si je suis utilisateur alors je ne peux pas tolérer que cet utilisateur-là, lui, soit piégé par des DRM. Je ne peux pas supporter, si j’ai le droit d’utiliser le travail de mes collègues, parce qu’au début ce sont des universitaires qui essayaient de mettre au pot commun des créations, parce que la notion de propriété intellectuelle est effectivement une forme d’illusion, une forme de faux-semblant au sens où l’entend Platon… Vous avez donc dans le lexique, alors voilà il y a seulement trois diapos et ensuite je ferai appel à vos questions. « Je me sentirais coupable de signer un accord de non-divulgation ». Autrement dit la référence à la volonté, attention pas au caprice, la volonté en tant qu’elle donne à elle-même la tâche d’accomplir ce qui est juste, est une forme d’absolu à côté desquels tous les stratagèmes, tous les arrangements, tous les petits accommodements entre amis de l’informatique privatrice, ne fait pas le poids. « Afin de pouvoir, j’ai décidé de constituer un ensemble de logiciels. J’ai démissionné. » Pourquoi est-ce qu’il démissionne ? Pourquoi est-ce qu’il met en péril sa possibilité même d’assurer son existence ? Parce que s’il ne le fait pas, il y a le risque en effet que via le MIT qui l’emploie, alors telle brevetabilité advienne, dont il ne veut absolument pas.
Je me suis permis, voilà, si j’avais à résumer ma conférence, je dirais : « L’informatique privatrice, c’est du brutal. » Bon je pense que vous avez retrouvé. Vous vouliez la référence. J’ai besoin de la préciser ? Tontons flingueurs. L’informatique privatrice c’est du brutal. Je dirais : « L’informatique libre c’est du lourd. » Lourd au sens de dense, au sens d’exigeant et au sens de digne. Ce qui veut dire que même si actuellement la priorité au logiciel libre n’est pas inscrite dans la loi, si au moins on peut essayer de faire en sorte que l’encouragement qui a été adopté par les deux assemblées puisse être assorti aussi bien de renvoi à décret pour l’article 9 ter et pour l’article qui concerne le code source qu’on en finisse avec les restrictions ridicules, il me semble que nous avons pour nous, le caractère dense de l’informatique libre qui peut prévaloir quoi qu’elle fasse [inaudible].
Applaudissements
- Organisateur :
- Il reste cinq minutes de questions. Si vous avez des questions vous n’oubliez pas qu’il y a un micro pour ceux qui sont sur Internet. Pas de questions ?
- Public :
- Bonsoir. Merci. La question que je me pose par rapport à la transcendance et tout ça. C’est bien gentil, on échange du code, on partage, on a des principes, mais il y a quand même des gens qui les ont institués, ces principes. Les licences, elles ont été établies. Donc on est dans un domaine où beaucoup de choses sont possibles grâce à un cadre, un cadre juridique en fait, comment dire, qui a été imaginé. Est-ce qu’il n’y a pas là une forme de protection, pour le moins, et éventuellement même de transcendance ?
- Véronique :
- Inaudible.
- Public :
- Certaines personnes n’ont pas fait l’effort, en fait, de comprendre que Richard Stallman se moquait d’une certaine manière de cette espèce d’effet de gourou, comme on voyait avec Steve Jobs, et que lui, le personnage qu’il joue, est une sorte de satyre, de caricature de cette situation aujourd’hui. Ah tout est dû à un seul homme. Tout est fait par un seul homme, et il faut acheter ses produits vite, vite, très cher, quoi ! C’est tout quoi ! C’est clairement !
- Véronique :
- Je disais qu’on peut à loisir fabriquer tous les adages sacrés qu’on voudra, l’informatique libre n’en a pas besoin et je pense que c’est pour ça qu’on se sent si bien en elle, me semble-t-il. Oui.
- Public :
- En même temps, même si Stallman n’est qu’un contributeur du logiciel libre parmi tous les autres, au niveau d’un point de vue extérieur, c’est quand même celui, c’est un peu le symbole. Il représente quand même…
- Véronique :
- Inaudible.
- Public :
- Mais il représente quand même, pour le grand public qui est habitué justement à avoir un gourou, il représente quand même une figure qui peut être comparable à celle des gourous du logiciel propriétaire.
- Véronique :
- J’aime bien, si je peux me permettre. Je crois que je vois l’anti-gourou. Parce que, étant donné l’exigence sans pareille de l’informatique libre, ce n’est pas rien de dire : « Sois maître à bord. Aie le courage de faire de tes doigts et de ta réflexion quelque chose que tu choisiras. » Et ça ce n’est pas simple. Il me semble que quand on a cette énergie-là, cette énergie est sans rapport avec toute l’énergie de tous les Calliclès du monde. Parce je crois qu’il est en notre pouvoir de donner à nous-même des chemins que nous élaborons pour nous-même d’une façon absolument singulière et absolument inventive. Alors que l’informatique privatrice c’est « tu te laisses guider, tu délègues. Sois dans des chemins qui sont préétablis pour toi et, de toutes façons, tu ne pourras pas en sortir ». Il me semble que c’est ça la différence.
- Lionel Maurel :
- Bonjour. Je m’appelle Lionel Maurel, je suis au CA de La Quadrature et je voudrais juste vous raconter une petite anecdote liée à la loi numérique. Je vous la fais rapidement. Juste avant que la loi passe en CMP, La Quadrature, avec d’autres organisations qui sont dans un organisme qui s’appelle l’Observatoire des libertés et du numérique dans lequel il y a le Syndicat de la magistrature, l’Ordre des avocats, la Ligue des droits de l’Homme, a fait une déclaration sur la loi numérique qui s’appelle « République Numérique : déception 2.0 », dans laquelle toutes ces organisations ont dit qu’elles étaient extrêmement déçues non seulement des résultats de cette loi, mais aussi du processus. C’est-à-dire ce processus consultatif qui a conduit, en fait, la société civile à beaucoup s’impliquer, à pousser des propositions comme celle de la priorité au logiciel libre, les propositions sur les Communs, les propositions sur la liberté de panorama et au final cette loi a complètement écarté ces aspects-là et les a ignorés.
Donc on fait cette déclaration et quelque temps plus tard on reçoit un petit DM sur Twitter d’Axelle Lemaire, qui nous écrit un petit mot et qui nous dit : « Je suis extrêmement déçue par La Quadrature. Vous mettez en avant, arbitrairement, des sujets alors que ma loi contient plein d’avancées positives. La crise de la politique n’est pas finie ». Et je ne sais pas si vous voyez : « La crise de la politique n’est pas finie ». Donc elle nous accuse, en fait, nous, d’être la source de la crise de la politique et d’avoir choisi arbitrairement des sujets alors que ce sont des sujets qui sont tous arrivés en tête de la consultation en termes de voix. C’est-à-dire que vous tous, vous avez voté sur cette plate-forme pour pousser ces sujets-là. Et elle va à la radio après, elle fait une interview, et elle déclare. On lui demande : « Qu’est-ce que vous pensez de cette déclaration de La Quadrature et d’autres organisations ? Elle dit : Le Syndicat de la magistrature et La Quadrature du Net sont des lobbies comme les autres. » Et si vous voulez, c’est extrêmement grave qu’elle puisse dire quelque chose comme ça, parce que le Syndicat de la magistrature ce n’est pas un lobby comme les autres. Et La Quadrature du Net et l’April, par exemple aussi, ne sont pas des lobbies comme les autres. On ne peut pas mettre sur le même plan l’influence que peut avoir un Microsoft avec ses moyens et ses moyens d’influence sur le Parlement et sur le gouvernement, et ce qu’on fait en tant que citoyens et ce que fait quelque chose comme le Syndicat de la magistrature.
Moi j’ai trouvé très éclairant tout ce que tu as pu dire, mais en fait il faut voir que ce qui est arrivé au logiciel libre a traduit aussi un très gros malaise dans la démocratie et une incapacité du politique à distinguer entre les priorités aussi et les ordres de valeur entre lui et autres. Donc merci pour ta présentation.
Véronique : Merci à vous
Applaudissements
[footnotes /]