- Titre :
- Priorité au logiciel libre dans le secteur public
- Intervenante :
- Jeanne Tadeusz
- Lieu :
- Paris Open Source Summit 2015
- Date :
- Novembre 2015
- Durée :
- 10 min 30
- Pour visionner la vidéo : Priorité au logiciel libre dans le domaine public
Transcription
Bonsoir à tous et merci d’être présents pour cette petite discussion sur la question de la priorité au logiciel libre dans le secteur public. Je m’appelle Jeanne Tadeusz et je suis responsable des affaires publiques à l’April, qui est une association de promotion et de défense du logiciel libre, donc qui s’occupe, justement, de promouvoir, notamment, cette priorité au logiciel libre, à la fois pour les individus, et aussi pour l’ensemble des collectivités publiques et des administrations.
Pourquoi parler de priorité au logiciel libre ?
On va commencer par des fondamentaux. Le logiciel libre, comme choix politique, tout d’abord. C’est une citation qui est très connue, de Richard Stallman, mais qu’il est toujours bien de rappeler, je pense, qui est qu’on peut expliquer la base philosophique du logiciel libre en trois mots : liberté, égalité, fraternité. Liberté parce que les utilisateurs sont libres. Égalité parce qu’ils disposent tous des mêmes libertés, et fraternité parce que nous encourageons chacun à coopérer dans la communauté. Donc voilà. Finalement, logiciel libre ça correspond aux valeurs fondamentales de l’État, du gouvernement, et rien qu’à ce titre, je pense que c’est important de les rappeler parce qu’il y a une coordination immédiate et réelle. Et finalement, les libertés du logiciel libre, ça correspond aussi aux objectifs, aux valeurs, et aux nécessités, aussi, du secteur public. Que ce soit la liberté d’usage, elle est essentielle parce que la liberté d’usage ça permet d’avoir un ensemble des acteurs publics qui peuvent utiliser un logiciel libre. Ça permet aussi de ne pas avoir de restrictions dans les échanges entre les citoyens et leur administration, ce qui est important, parce que si, par exemple, l’administration exige de vous que vous achetiez un logiciel particulier, simplement pour pouvoir, par exemple, faire votre déclaration d’impôts, et je prends cet exemple, parce que ce n’est pas quelque chose de purement théorique, c’est ce qui a pu se passer, notamment, en Allemagne à une époque, simplement vous ne pouvez plus communiquer avec l’administration, ou alors vous devez payer pour le faire, ce qui, bien évidemment, n’est pas du tout compatible avec les objectifs, avec la raison d’être même d’un gouvernement, finalement, et d’une administration.
Liberté d’étude, dans un deuxième temps. Liberté d’étude, je pense que c’est une question particulièrement sensible ces derniers jours, parce que c’est une question, simplement, de savoir ce que fait le logiciel ; c’est une question de pouvoir vérifier qu’il ne fait bien que ce qu’on pense qu’il fait. Donc, tout simplement, pour une administration, pour des secteurs sensibles comme peuvent être la défense, la sécurité, c’est de s’assurer qu’on n’a pas de back doors, on n’a pas de problèmes particuliers.
Liberté de modification aussi. Simplement parce que l’État, parce que le secteur public en général c’est un secteur qui a une taille importante, donc de pouvoir avoir des logiciels qui correspondent précisément à leurs besoins c’est quelque chose de concrètement hyper important.
Enfin liberté de redistribution, à la fois pour l’aspect communication avec les usagers. Ça peut être aussi pour, dans les différentes administrations, pour les logiques de coopération ou autres, ça devient quelque chose d’extrêmement important.
Donc voilà, finalement, les libertés du logiciel libre. Utiliser du logiciel libre, c’est quelque chose qui fait sens pour le secteur public, que ce soit par les avantages que ça donne, que ce soit par les possibilités, aussi, que ça offre, notamment dans les échanges entre les citoyens et le secteur public.
Un dernier avantage, aussi, qui n’est pas mentionné ici, ce sont les questions de pérennité, simplement parce que l’ensemble du secteur public a des problématiques particulièrement importantes en termes de durée de conservation des données, d’archivage et ainsi de suite, et donc, à ce titre, c’est d’autant plus fondamental d’utiliser du logiciel libre, parce que c’est la certitude de pouvoir le réutiliser, même si l’entreprise ferme, par exemple.
Où est-ce qu’on en est, aujourd’hui quand on parle de priorité au logiciel libre dans le secteur public, après ces rappels un peu théoriques, un peu politiques et éthiques, mais néanmoins essentiels ?
2012, je pense que tout le monde s’en souvient, c’était un premier signal, un premier signal politique qui était fort. C’était la circulaire [1]. signée par le Premier ministre en faveur du logiciel libre dans le secteur public. Donc ça a été un premier signal. Il y a eu, par contre, en 2012/2013, des occasions manquées, que ce soit, notamment les signatures des différents contrats dits Open Bar entre Microsoft et le ministère de la Défense, qui, très clairement, mettaient du tout Microsoft sans appel d’offres, ni mise en concurrence, et donc réduisaient, finalement, à la fois la place du logiciel libre et simplement l’opportunité, pour le logiciel libre, dans tout ce qui était ministère de la Défense, qui a été d’ailleurs étendu depuis, on l’a appris récemment, dans l’enceinte des ministères sociaux, avec les problèmes que ça implique. On a à la fois une annonce politique, en 2012, avec la circulaire signée par le Premier ministre de l’époque, Jean-Marc Ayrault, mais aussi des reculs, très clairement, avec l’Open Bar.
On a quand même eu le passage de la priorité au logiciel libre dans la loi, qui était une très belle chose. Ça c’était en 2013. Donc on a eu, à la fois, une occasion manquée qui était le projet de loi sur la refondation de l’école de la République où la priorité au logiciel libre, finalement, a été retoquée. Mais une deuxième chance qui elle, est passée, avec le projet de loi Enseignement supérieur et Recherche, qui donnait, effectivement, la priorité au logiciel libre. Alors, certes, pour une partie extrêmement limitée, c’est simplement la priorité au logiciel libre pour le service public numérique de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, mais, néanmoins, une possibilité qui a été mise en place, et un premier pas.
On a quand même eu des évolutions. Après, il ne faut pas oublier qu’au niveau international, la priorité au logiciel libre a été, quand même, mise en place dans différents pays. L’exemple le plus fort, en termes législatifs, c’est certainement l’Italie, où la priorité au logiciel libre a, très clairement, aujourd’hui, été inscrite dans la loi, avec des progrès qui sont faits au quotidien. Alors ça n’a pas forcément fait des gros titres. C’est peut-être dommage parce qu’ils ont une démarche qui est progressive. Pour des raisons aussi de coûts, il ne faut pas se leurrer, c’est aussi pour ça qu’ils le choisissent, mais avec une vraie démarche en faveur du logiciel libre et des standards ouverts, avec une Agence numérique qui est chargée de le mettre en place, notamment dans le cadre des marchés publics. Aujourd’hui, il y a un certain nombre de ministères, dont le ministère de la Défense, qui ont décidé de passer, progressivement, au logiciel libre. Pour l’instant ils font la bureautique, mais la suite viendra après. Donc voilà, on a quand même, globalement, des progrès vers une priorité au logiciel libre qui existent dans différents pays.
Aujourd’hui, où est-ce qu’on en est ? Malheureusement, en France, il y a eu quand même une grande déception, qui a été la consultation dite « République numérique », donc l’avant-projet de loi qui avait été soumis, par le gouvernement, au grand public. Il faut voir que la priorité au logiciel libre c’était trois des dix propositions les plus soutenues. Le gouvernement a répondu en disant que ce n’était pas l’objet de la loi, alors même que c’est dans la loi Enseignement supérieur et Recherche, que c’est l’objet de la loi, en Italie notamment, et que, par contre, il ferait des actions de promotion et de défense, de promotion du logiciel libre. Par contre, sur ces actions précisément, concrètement, on n’a pas vraiment d’informations concrètes, donc on attend de voir. Et quand on voit des textes et des projets comme l’Open Bar qui continuent d’être renouvelés [2], et, au contraire, qui se développent, ça reste plutôt inquiétant. Très clairement là-dessus, la priorité au logiciel libre, elle n’est pas encore là aujourd’hui !
Cependant, on a quand même un signal positif, aujourd’hui, et qui est particulièrement important. C’est au niveau du Parlement européen. C’est tout nouveau, ça a été voté il y a quelques jours. Il y a eu un nouveau rapport, notamment sur les questions de surveillance, qui a été voté, donc un rapport de l’eurodéputé Claude Moraes. On en a surtout, dans les communautés du logiciel libre, d’Internet ouvert, etc, entendu parler pour le recul sur la définition de la neutralité du Net, mais, malgré tout, il y aussi une priorité au logiciel libre qui a été mise en place dans ce texte, et qui est très claire dans les termes employés. C’est-à-dire qu’il dit que, dans le cadre des marchés publics, il devrait y avoir un critère logiciel libre, et donc, le logiciel libre, finalement, on devrait justifier pourquoi on n’en utilise pas, pour lutter, notamment, contre la surveillance internationale. Il faut voir que c’est un rapport qui reste non contraignant, donc on va voir ce que va en faire, ensuite, la Commission européenne, mais on a quand même, clairement, cette volonté de plus en plus forte, et cette fois-ci, et c’est nouveau, au niveau européen qui est en faveur du logiciel libre.
Donc voilà. On peut regretter que le gouvernement français ne suive pas un tel appel, et parle d’initiatives plutôt que vraiment d’actions réglementaires et politiques sur le sujet. Très clairement, les actes législatifs, aujourd’hui, ça ne va pas forcément être simple vu la situation politique actuelle, le projet « République numérique » également. Mais on peut, en tout cas, appeler et souhaiter que si ce projet de loi est déposé, comme ça avait été prévu au départ, dans les prochaines semaines et soit examiné par le Parlement, et qu’on ait, enfin, une vraie priorité au logiciel libre dans le secteur public qui soit mise en place, idéalement, par la législation, mais, à tout le moins, par des modes réglementaires et par des actes concrets.
Je vous remercie de votre attention.
Applaudissements