- Titre :
- Priorité au logiciel libre : combats et perspectives pour changer le monde
- Intervenants :
- Rémi Boulle - Étienne Gonnu
- Lieu :
- Capitole du Libre - Toulouse
- Date :
- Novembre 2016
- Durée :
- 57 min 58
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- Diaporama-présentation ODP
- Licence de la transcription :
- Verbatim
Présentation
Depuis 20 ans l’April est animée par une ambition : « logiciel libre, société libre » . À l’occasion de cet anniversaire, nous nous proposons de dresser un un bilan qui nous donnera des perspectives pour les combats futurs.
"Toutes les libertés dépendent de la liberté informatique, elle n’est pas plus importante que les autres libertés fondamentales mais, au fur et à mesure que les pratiques de la vie basculent sur l’ordinateur, on en aura besoin pour défendre les autres libertés". À l’occasion des 20 ans de l’April, on dressera un bilan qui nous donnera des perspectives pour les combats futurs. Menottes numériques (DRM), vente forcée, brevets logiciels, interopérabilité, surveillance généralisée... Autant de thèmes sur lesquels l’informatique libre apporte des solutions. Après un point sur les dossiers en cours au niveau national et européen, nous tenterons de voir comment l’informatique libre bouleverse les représentations usuelles sur la société, le droit, le citoyen. Nous conclurons en essayant de voir de quelles manières le libre peut changer...le monde ! Le XXIème siècle sera celui du libre ou ne sera pas.
Transcription
Rémi : Eh bien merci. Merci d’être venus. C’est vrai qu’on a l’impression d’être, sous le soleil, là, sous le feu des projecteurs. Oui l’April [1] ça fait 20 ans, une aventure très longue et très dense. Moi ça ne fait pas 20 ans qui j’y suis. On ne va pas vous présenter tous les 20 ans parce que ça va être beaucoup trop long, il faudrait rester très tard ce soir. Mais on aura quand même, en parlant de ce soir, une petite surprise pour vous. D’abord on va se présenter. Qui sommes-nous ? Moi je suis Rémi Boulle, je suis vice-président de l’April et, dans la vraie vie, je suis aussi professeur de mathématiques, même si parfois je ne le dis pas trop puisque j’ai souvent des retours un petit peu négatifs sur le métier. Et ensuite voici Étienne.
Étienne : Enchanté. Étienne. Moi je suis un des trois permanents de l’April. Je suis arrivé en janvier de cette année. J’ai une formation de juriste, je ne suis pas du tout technicien, et je m’occupe des missions : je suis chargé de missions affaires publiques pour l’April.
Rémi : Alors l’April, qui sommes-nous ? C’est une association qui est structurée autour de nos trois permanents donc Étienne, Frédéric Couchet et Isabella. Nous avons 4 000 adhérents, je ne vais pas rentrer dans les détails, mais essentiellement, ce sont des adhérents personnes physiques, des individuels, comme vous peut-être dans la salle, voire sûrement, et aussi beaucoup de collectivités, des personnes morales : la mairie de Toulouse était adhérente ; nous avons eu la région PACA ; la ville de Paris ; parfois des départements d’université, aussi, qui nous soutiennent. Et nous avons surtout beaucoup de bénévoles très actifs.
Étienne : Et moi, dans le cadre de mon travail, le fait qu’on a autant d’adhérents, autant de profils d’adhérents, ça nous donne un poids, une crédibilité politique qui est indispensable. Donc adhérez !
Rémi : Alors qu’est-ce qui nous motive nous, à l’April, depuis longtemps, et qu’est-ce qui motive aussi beaucoup de gens ici présents ? C’est le logiciel libre pour une société libre. Parce que pour nous, c’est un des piliers fondateurs : si on souhaite avoir une société réellement libre, ça passe par du logiciel libre. Tu parlais tout à l’heure de la devise de la République.
Étienne : Oui. Richard Stallman aime bien cette image, que moi je trouve très pertinente aussi. Il dit que le logiciel libre incarne la devise républicaine, c’est-à-dire liberté, égalité, fraternité. Liberté de tous les membres : on respecte leurs droits, leur liberté en tant qu’utilisateurs. Égalité, je pense que ça reflète bien cette idée de fonctionnement horizontal, on est tous sur un pied d’égalité, on travaille ensemble et c’est ce qui se traduit, ensuite, dans la fraternité, cette idée de collaboration, de partage, donc des idées très positives. Et moi j’aime bien compléter avec cette idée : en droit on dit souvent : « La liberté des uns s’arrête où commence celle des autres ». Moi je lui préfère : « La liberté des uns passe par celle des autres ». Je trouve que ça aussi ça reflète vraiment, à mon sens, l’esprit du logiciel libre.
Rémi : Pour continuer sur cette idée de liberté, effectivement, la liberté informatique, ça peut sembler secondaire. Il y a d’autres causes, dans le monde, qui sont certainement tout aussi voire plus nobles. Mais à l’heure où tout devrait être plus ou moins numérique – parfois on entend digital comme expression – la liberté informatique sert, en quelque sorte, de socle pour les autres libertés qui s’appuient sur elle. Donc pour nous c’est vraiment crucial, au sein de l’April, c’est pour ça que nous avons une action politique très forte. Avant tout, nous sommes un groupe de défense et de promotion du logiciel libre. J’aimerais, puisqu’on parle beaucoup de logiciel libre, parfois en discutant en aparté on s’aperçoit que les personnes présentes n’ont pas toutes une connaissance fine de ce qu’est un logiciel libre, donc je vais passer rapidement sur une définition du logiciel libre.
Là, c’est la première des libertés. D’après vous ça serait laquelle celle-ci [projection d’une représentation du Discobole, NdT] ? Pour voir, je fais un contrôle de connaissances. Ce serait la liberté 0, 1, 2, 4, 5, 6 ? Non ! C’est la liberté 0, ici, c’est la liberté d’exécuter, de lancer un programme, ce qui peut sembler totalement anodin, mais il faut savoir qu’il y avait certains contrats de licence de logiciels privateurs qui interdisaient d’utiliser le logiciel pour certains usages, notamment pour dire du mal de l’éditeur en question. Certains logiciels sont interdits d’utilisation dans des pays soumis à embargo. Donc ce n’est pas si anodin que ça cette liberté d’exécuter le programme.
Il y a aussi la liberté d’étudier le fonctionnement. Alors là, qui étudie ? Par exemple, est-ce que toi tu étudies le code source d’un logiciel, Étienne ?
Étienne : Non pas tout ! Moi je ne suis pas du tout informaticien, comme je te disais. Mais cette liberté, même si je ne l’exerce pas moi-même, elle n’en est pas moins indispensable, pour moi. Parce que ça veut dire que d’autres, dans la communauté, des gens peut-être que je connaîtrai, en qui je pourrai avoir confiance, l’ont et pourront vérifier le fonctionnement du logiciel. Donc ce n’est pas seulement une liberté d’informaticiens, c’est une liberté indispensable pour tous, pour tous ceux qui utilisent l’informatique donc, finalement, quasiment tous les citoyens.
Rémi : Par exemple, ça peut aussi faire référence au scandale de l’affaire Volkswagen, j’y reviens, où la liberté d’accéder au code source, de l’étudier, n’était pas assurée et on était juste priés de faire confiance au constructeur et on va être encore priés pendant longtemps, si ça ne change pas, de faire confiance au constructeur. Et on le fera sauf si, bien sûr, on prend une action un peu militante.
Il y a aussi la liberté de modifier le programme pour tout usage. Là encore, ça s’adresse à toute personne qui a des connaissances techniques satisfaisantes pour ce faire. Mais ça ne veut pas dire que tout le monde peut modifier et faire n’importe quoi. Puisqu’un logiciel, il y a quand même une certaine gouvernance derrière : dans un projet libre, vous ne pouvez pas récupérer le code source de, je ne sais, de Firefox, par exemple, le modifier et dire : « Voilà, c’est Firefox ». Non ! Vous pouvez le renommer comme vous le souhaitez et effectivement le distribuer, mais ça ne serait pas intégré automatiquement à des logiciels comme Firefox ou d’autres. Donc c’est à prendre avec des relatives pincettes, ça ne se fait n’importe comment ; ce n’est pas tout à fait le bazar non plus.
Et ensuite, la liberté suivante, c’est ici. Eh bien vous reconnaissez ce tableau, c’est la Cène, on peut partager : liberté de donner une copie de ce logiciel, de le partager, d’aider ses voisins, aider ses amis ou ses ennemis parfois, et ce tableau il est intéressant parce qu’il y a un personnage que tout le monde connaît ici. Je ne sais plus où il est, je crois que c’est là, vous voyez là ? Est-ce que c’est lui ? Comment il s’appelle celui-ci, vous voyez ou pas ? C’est Judas ! Oui, alors là c’est pour l’aspect polémique, excusez-moi ! Qui est le Judas dans le logiciel libre ? Comme on a envie de passer une soirée agréable avec nos amis et partenaires de longue date, moi je dirais, on est entre nous, on peut parler de l’open source ici, de l’approche exclusivement open source du logiciel libre. Bon c’est pour la polémique ! On a aussi des grands groupes industriels ou, des fois, des plus petits groupes, qui utilisent sans vraiment contribuer, sans réciprocité à des projets libres, ça arrive, ou qui sont simplement utilisateurs, consommateurs de logiciels libres. On ne peut pas les blâmer, ils ont tout à fait le droit, ils sont libres de le faire, mais néanmoins, il est bon qu’à terme ils contribuent au pot commun, en fait. Et parfois, l’histoire montre qu’ils sont obligés de contribuer puisqu’ils n’ont pas les moyens, ni les compétences, de maintenir le projet qu’ils consomment. Donc certains grands groupes se sont aperçus peu à peu qu’il fallait certes utiliser, mais en même temps faire remonter, parfois, des améliorations à ce fameux pot commun.
Notre action, au niveau de l’April, pour assurer ces libertés pour une autre société libre, elle s’articule sur différents axes et je vais vous montrer un peu nos réalisations. Donc on a un groupe de travail qui est orienté vraiment vers le grand public et les sympathisants. C’est le groupe de travail Sensibilisation qui est ouvert à tous, tout le monde peut contribuer en fonction de son temps, et voici quelques réalisations qui sont intéressantes, que vous pourrez retrouver sur notre stand, qu’il y a dans le village des associations.
Donc voici notre premier flyer [2] ici que vous pouvez aussi télécharger sur Internet, modifier – c’est une licence libre – vous pouvez l’adapter – c’est fait pour, c’est du partage – et ça c’est un travail qui est le fruit de beaucoup de bénévoles qui ont contribué, peut-être certains simplement pour modifier ce texte-là ; un autre a fait les icônes ici ; un autre a eu simplement l’idée générale du projet et ça a donné ce document-là qui est assez, je trouve, de grande qualité pour présenter de façon claire le logiciel libre. Donc là encore à récupérer sur le stand April, sans problème, on vous l’offre.
Autre document, c’est sur [3] qui est un dossier chaud de l’April. Un dossier chaud, un peu, de la société en général, surtout à l’heure de l’open data, de l’ouverture des données publiques, c’est important d’avoir des formats ouverts. Donc autre document encore, du groupe Sensibilisation, fait par un graphiste qui s’appelle Antoine Bardelli, je le remercie ici publiquement, qui est militant April de longue date, qui ne fait pas ça à plein temps, mais de temps en temps, il se fait un peu la main sur des logiciels libres. Donc tout ça c’est fait exclusivement avec des logiciels libres, ce qui, pour un graphiste, est finalement assez rare de nos jours et mérite d’être souligné.
Autre réalisation, donc Catalogue Libre. Donc 26 logiciels [4], libres à utiliser. Et donc là, c’est un Guide spécial associations, qui est un FramabookGuide Libre Association
, qui a été réalisé avec le soutien du Crédit mutuel et que l’on diffuse auprès des associations, souvent celles en rapport avec l’économie sociale et solidaire qui souhaitent avoir une démarche un petit peu cohérente : tout simplement mettre en cohérence leurs actions avec leur utilisation des systèmes informatiques.
Et enfin une autre réalisation c’est l’Expolibre [5], que vous verrez aussi sur le stand April ou à proximité. Ce sont des panneaux que vous pouvez télécharger, imprimer. Nous avons une Expolibre ici, nous la prêtons, nous l’envoyons sur demande, d’assez grand format, quand même.
Étienne : Là-dessus, moi je pense, on en parlait, c’est un très beau projet collaboratif aussi, parce que des gens se sont proposés pour la traduire : on a une traduction en anglais, ça c’était le plus évident. Je crois qu’on a une proposition en cours pour la traduire en espéranto. Des gens viennent la télécharger, l’impriment pour eux-mêmes puis l’exposent ailleurs et c’est une très belle réussite, moi je trouve. Et encore une fois, je crois que c’est Antoine Bardelli qui a participé à celui-là, donc moi aussi je voulais le remercier, c’est l’occasion.
Rémi : Très belle ressource qui, j’espère, fera à terme un peu le tour du monde. Donc c’est un ensemble de sept panneaux que vous retrouverez sur le site : Expolibre [6]. Là c’était vraiment pour la partie de nos actions de sensibilisation.
Vous pouvez aussi les récupérer sur le site EnVenteLibre [7], si vous ne voulez pas les imprimer par vous-même ou autre. C’est une plateforme utilisée par plusieurs associations dont Framabook, Debian, etc., pour un peu tout ce qui est goodies. Donc nous on diffuse toutes les ressources que vous venez de voir, on vous les envoie à coût de production, d’ailleurs, par lots de 20 ou plus.
Bien. Maintenant, là, nous avons vu l’aspect action orientée sensibilisation, qui est importante. Moi, quand il m’arrive de me déplacer dans des salons ou des événements, très souvent je retrouve les ressources de l’April sur d’autres stands, c’est tant mieux, ça se diffuse. Et on a une grosse action qui est orientée politique, parce que nous on adore la politique, on trouve que c’est une activité qui est très noble la politique, mais la politique au sens « vie de la cité ». C’est vraiment agir pour modifier un peu la société, pour modifier ce qu’on a dit, pompeusement peut-être, le monde.
Donc comment se décline un peu notre action politique et quelles sont, un petit peu, nos réalisations ? Eh bien là, on va dire qu’il y a en a une où on a contribué pas mal. Est-ce que vous reconnaissez cette jolie image ? C’est la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Vous voyez, on part quand même avec quelque chose de consistant. J’attire votre attention sur l’article 11, ici, qui parle de liberté de communication.
Je vais faire un peu un parallèle avec l’informatique. Un des droits les plus précieux de l’homme, je ne vais pas vous faire la lecture vous l’avez, c’est d’écrire, d’imprimer librement, de communiquer librement. Donc, pour que cette liberté s’exerce, il faut que les personnes en face puissent aussi recevoir le message librement, sans contraintes, sans menaces ou sans barrières, qu’elles soient parfois juridiques, politiques ou simplement techniques. Au niveau de la France, ça fait penser à cette idée de format ouvert, puisque pour communiquer, exprimer librement ses idées, il faut que le message soit transmis dans un format ouvert. Là, si vous me comprenez quand je parle, j’espère en tout cas, je parle peut-être un petit peu vite, c’est qu’on a le format qui est ouvert de la langue française, on arrive à se comprendre.
Là, nous avons une tentative par la loi française, la loi de confiance dans l’économie numérique, de définir ce qu’est un format ouvert, avec l’article 4 [8]. Je vous laisse le lire tranquillement, qu’est-ce que c’est qu’un standard ouvert, et après on fera un petit commentaire et vous nous donnerez votre sentiment sur cet article-là, qui est fondateur, qui est utilisé par beaucoup de structures pour dire que nous on fait des formats ouverts.
Je vais parler quand même. Ici, vous voyez, on retrouve les mots clefs : interconnexion, interopérable, donc ça c’est bien, c’est un gros mot, mais qui ne devrait plus l’être de nos jours, à l’heure de l’open data. On veut des spécificités techniques, publiques et sans restriction d’accès ni de mise en œuvre. Qu’est-ce que vous en pensez ? Je ne vous vois pas tous. On peut faire un système de vote. Si vous pensez que cette définition-là est mauvaise, levez la main s’il vous plaît ? Vous avez le droit de ne pas avoir d’avis. Je vois trois/quatre personnes, peut-être au fond, qui pensent que c’est une bonne définition. Il y en a certains, je leur dirai après, qu’il fallait qu’ils lèvent la main. Et qui n’a pas vraiment d’avis, pour qui c’est un peu trop technique ? Donc là, ils sont un peu plus majoritaires, les sans avis, ce que je comprends bien.
Pour revenir là-dessus, sur cet article 4, pour nous, eh bien ce n’est pas tout à fait une bonne définition d’un format ouvert. Pour vous préciser l’enjeu derrière les formats ouverts, c’est simplement, on va dire, la liberté, pour un citoyen, d’accéder aux données produites par l’État ou des organismes publics. Donc c’est important d’utiliser, pour ça, un standard ouvert ; de ne pas obliger les citoyens à utiliser tel ou tel logiciel parce que sinon, ils ne pourront pas accomplir telle ou telle formalité administrative ; sinon ils ne pourront pas récupérer des données de leur commune, des données électorales, par exemple, donc c’est important d’avoir un format ouvert.
Le problème ici, en fait, puisqu’on combat un peu cette définition, c’est que des bruits de couloir nous disent qu’elle a été validée, plus ou moins, par une firme américaine du nom de Microsoft, mais ce ne sont que des bruits de couloir, pour qu’elle puisse arriver dans la loi. Parce que cette définition-là n’est pas vraiment satisfaisante. Elle ne prend pas en compte le point clef de la gouvernance du format. Je vais y revenir un petit peu juste après. Pour ça, qu’est-ce qu’on attend, nous, pour un vrai format ouvert ? C’est un format où la gouvernance, savoir qui pilote le format, n’est pas dépendant d’une entreprise ou d’un groupe d’intérêt. C’est dépendant d’un consortium, de personnes qui n’ont pas d’intérêt direct dans ce format-là. C’est comme quand on définit une langue, quelque part : la langue française « est gouvernée » entre guillemets par l’Académie française, pas par un éditeur de dictionnaire ou autre qui entend promouvoir tel ou tel langage.
Nous avons fait une action un petit peu concrète au niveau l’April. On s’est dit on va agir au niveau des politiques cette fois-ci, mais dans un secteur clef et limité qui est celui de l’Éducation nationale. Et donc, on a lancé un appel [9] où on a demandé à la ministre, au ministère, d’imposer, tout simplement, puisqu’on pense que là, au bout d’un moment, il faut du courage politique, il faut imposer l’utilisation des formats ouverts – c’est-à-dire typiquement les formats produits par des logiciels comme LibreOffice ou OpenOffice ou d’autres – dans les échanges numériques dans les établissements scolaires : pour les élèves, entre élèves et enseignants, avec leurs administrations. Donc c’est un appel sous forme de pétition et on est plutôt contents du résultat, pas du résultat final, mais de la mobilisation qui s’en est suivie, puisqu’on a eu énormément de soutiens d’enseignants, d’individus, mais aussi et surtout, même si on ne le voit pas ici, ça devrait être là en fait, de la plupart des syndicats de l’enseignement. Donc ça, ça nous a permis d’établir des ponts, de mettre dans leur agenda, peut-être dans leurs revendications futures, cette problématique des formats et peut-être, pourquoi pas, plus tard, la problématique des logiciels libres.
Donc c’est par ce genre d’action, qui est menée par des bénévoles, qu’on arrive peu à peu à essayer de changer les choses au niveau de l’État, du gouvernement, d’une certaine façon de fonctionner. Voilà. On n’est pas seuls là-dessus, dans ce combat-là, mais là c’était une belle réussite puisque, après, on a pu avoir une définition dans ce document-là, qui est petit peu technique, qui s’appelle le référentiel général d’interopérabilité [10]. C’est un document qui est censé s’appliquer à toutes les administrations. Nous, on a vraiment poussé pour des formats ouverts. Donc je prends l’exemple du format ici ODFODF - Open Document Format for Office Applications qui est produit par LibreOffice, fichier texte, et dans ce document qui est produit par la Direction des services informatiques de l’État, on voit bien que le format ODF ici est recommandé. Et tu disais tout à l’heure, Étienne, que avant, le format ici qui est produit par la suite Microsoft Office lui, il y était, en fait.
Étienne : Tout à fait. En fait ça c’est le RGI mais v2, c’est-à-dire qui est passé, de tête, en avril, qui est passé en avril. Dans la version 1 qui date de, ça je devrais le savoir, mais on va dire 2009, il faut que je vérifie, il faudra que je vérifie, il était mis au même niveau le format OOXML. D’ailleurs après tous les débats, à priori il devait être déclassé, et puis finalement, la version finale, il était mis au même niveau que le format ODF. Donc on voit, finalement, qu’il y a quand même derrière, tu parlais de bruits de couloir, de certaines mains invisibles qui peuvent avoir des effets et là ce qui est très important dans cette v2 — alors ce document ce n’est pas le document magique — mais le fait que ce soit aussi clairement et sans ambiguïté dit qu’il y a un problème de gouvernance, qu’il y a un problème de complexité, de manque d’ouverture, ce sont des éléments très forts et c’est important que ce soit dit officiellement. Donc ce déclassement est symboliquement important.
Rémi : D’ailleurs, c’est même à se demander, comme tu le soulignes, si les rédacteurs de ce document-là n’ont pas laissé exprès Office Open XML, remarquez le choix du nom, c’est très joliment choisi, pour semer la confusion, d’accord. Ils l’ont laissé exprès, à mon avis, pour justement montrer : « On en a assez de votre lobbying, laissez-nous tranquilles. Nous sommes des agents de l’État, on œuvre pour ce que l’on pense être l’intérêt général, donc on laisse mention de votre format, mais pour mieux, effectivement, si on lit bien entre les lignes, pour vraiment le déconseiller. » Parfois, c’est bien, c’est du langage étatique, on arrive à mettre simplement un format en observation pour, en fait, le déconseiller brutalement.
Donc une définition de « format ouvert » c‘était celle juste avant ici, qui a été proposée par la Commission européenne, projet en suspens pour l’instant. Donc c’est clair : il faut qu’il y ait une organisation à but non lucratif qui pilote ce format-là et pas un éditeur. D’accord ? Ou un consortium.
Étienne : Tu parlais de LibreOffice, il y a The Document Foundation] [11], organisation à but non lucratif, c’est fait de manière assez transparente et donc, du coup, on peut avoir confiance dans le format ODF, c’est fait de manière ouverte et loyale.
Rémi : Et la norme, en plus, est beaucoup plus claire. Donc c’est un sujet technique qui montre, en fait, que petit à petit on arrive à avoir des avancées. Qui dit format ouvert dit aussi faciliter le traitement par d’autres personnes, d’autres groupes de citoyens qui peuvent traiter plus facilement ces fichiers-là. Voilà un peu, pour prendre vraiment un exemple. Il y en a plein d’autres. On va parler un petit peu aussi, maintenant, des dossiers chauds de l’April, passés et à venir.
Étienne : Plutôt aborder. Je vais essayer de ne pas trop creuser dans les détails parce qu’on pourrait passer beaucoup de temps et je risque d’aller dans un effet tunnel, parce que je passe du temps dessus ; je vais essayer de ne pas aller trop dans les détails,vous m’interrogerez ensuite, bien sûr. Je vais poser trois gros dossiers : donc le projet de loi numérique en premier. Celui-là c’était le premier gros de l’année. Je vous ai dit, je suis arrivé en janvier, donc j’ai directement démarré sur ce projet-là. Ce qui est intéressant sur ce projet de loi numérique, c’est qu’il a commencé, c’était une nouveauté, une première, par une consultation publique. Je ne sais pas si vous en aviez entendu parler, si vous aviez suivi.
Rémi : Est-ce que certains parmi vous ont contribué à la fabrique de la loi pour proposer des articles de loi puisque c’était la démarche, en fait, qui est plutôt saine. Peut-être ? Ou peut-être voté pour des futurs ? Oui. OK. Ah quand même, merci. Ou qui ont peut-être voté pour des articles proposés par d’autres ? Oui ?
Étienne : Bien sûr, en soi ça reste politique, mais je pense que c’est quand même une démarche intéressante. Malheureusement, c’était basé sur un logiciel non libre, on n’est pas toujours parfait ! Ce qui était très intéressant dans cette consultation publique c’est que la société civile s’en est quand même vraiment saisi. Je crois qu’il y a eu, je ne sais plus, quelques milliers de contributions et quelques dizaines de milliers de personnes qui sont intervenues pour voter, proposer des commentaires, donc ça c’est quand même quelque chose à remarquer. Et surtout, nous on a fait deux propositions qui sont arrivées, plus ou moins, dans la loi qui a été promulguée le 7 octobre, dans la loi numérique.
On a soulevé la proposition d’inscrire les codes sources en tant que documents administratifs communicables. Parce que dans la loi française, les documents administratifs, il y a quelques exceptions, il y a des exceptions qui existent et c’est normal, en soi, doivent être communiqués à quiconque en fait la demande. Donc le but là, l’enjeu, c’était d’inscrire les codes sources, directement, comme étant des documents administratifs communicables.
L’autre enjeu et peut-être le premier, c’était celui d’inscrire dans la loi la priorité au logiciel libre. Alors priorité au logiciel libre, qu’est-ce que ça veut dire finalement ? C’est juste de dire que les administrations, quand elles acquièrent un logiciel, quand elles veulent faire évoluer leur système d’information, elles doivent raisonner ce choix et elles doivent donner priorité au logiciel libre. C’est-à-dire que si elles n’utilisent pas du logiciel libre, elles doivent justifier pourquoi. Donc en fait, finalement, c’est juste de dire que les 4 libertés sont des atouts, sont nécessaires et importantes, pour plein de raisons, pour les administrations, en termes de maîtrise, en termes d’indépendance, en termes de souveraineté numérique – ça c’est un terme qui a été beaucoup utilisé pendant le projet de loi – et finalement c’est juste ça. Et c’est un terme qui n’est pas agressif dans le sens où ce n’est pas du jour au lendemain passer au libre. Il y a quand même cette idée d’accompagnement au changement.
Ça, c’est quelque chose qui était notre principale ambition. Malheureusement, à la fin, on a eu juste un simple encouragement. La différence est importante : déjà parce que donner priorité c’est ce qu’on appelle normatif, ça a une valeur juridique. Encourager, ça n’en a pas ! C’est-à-dire qu’on incite les administrations, donc du coup elles font bien ce qu’elles veulent ! Et franchement, c’était notre but de passer par la loi. La loi ne fait pas tout, bien sûr, mais elle a un rôle indispensable d’impulsion : elle donne signal politique ; elle montre une direction. Donner une priorité ça veut dire quelque chose de ce point de vue-là. Encourager c’est très mou et, finalement, ça montre une très faible ambition et une absence de courage politique dans cette direction-là.
Rémi : C’est un peu une victoire à la Pyrrhus, d’ailleurs non, d’avoir simplement les encouragements.
Étienne : Oui, tout à fait. Parce que dire : « On a mis l’encouragement au logiciel libre », la prochaine loi qui passe on essaye d’imposer la priorité, bien sûr on va nous dire : « Attendez, on vous a déjà mis encouragement, c’est bon ! On l’a déjà fait ; c’est coché ; c’est réglé ; on s’est occupés de ce problème, on passe à la suite ! » Donc ça, c’est en grosse demi-teinte !
Rémi : Oui, d’ailleurs lors de la commission parlementaire d’examen en commission de cette loi-là, de l’aveu même du rapporteur, il avait dit clairement : « Encouragement, ça n’a aucune portée normative, donc on peut le mettre. » Voilà !
Étienne : Voilà, exactement. De ce point de vue-là c’était un peu frustrant.
Je me rends compte que j’ai oublié quand même un aspect important sur l’article 2. Ça a été inscrit donc, les codes sources, comme documents administratifs communicables, ça c’est une vraie avancée. Malheureusement, ils nous ont rajouté une petite exception, parce qu’il ne faut pas aller trop vite en termes de liberté, non plus ! S’il y a un risque pour la sécurité des systèmes d’information, eh bien du coup, les administrations peuvent le dire, elles peuvent appeler cet argument-là, pour se passer de communiquer le code source. Donc on va dire c’est un blanc-seing, c’est très facile à invoquer, impossible à contrôler de savoir « vous nous avancez ça, c’est très complexe ! » C’est de dire qu’il y avait déjà des exceptions, par exemple sûreté l’État, risque pour des personnes. Bon, eh bien dans ces cas-là, l’exception fonctionne. Donc bon ! Voilà. Encore une fois une timide avancée, mais une avancée quand même.
Donc il y a quand même des points positifs à retenir. Des débats très riches, longs : 45 minutes à l’Assemblée nationale, 1 heure 10 au Sénat sur simplement ce point-là. C’est très long dans des débats parlementaires, portés à la fois par des élus de droite comme de gauche. De gauche, c’est plus classique ; de droite, c’est quand même une avancée. Une vraie reconnaissance. C’est-à-dire que même au Sénat, c’était assez fascinant ce débat-là, ils se passaient la balle, presque, pour vanter les mérites du logiciel libre. C’est dommage qu’ils aient simplement choisi d’encourager plutôt que donner la priorité, mais il y a une avancée. C’est quelque chose qu’il faut vraiment retenir, c’est qu’il y a une avancée sur la compréhension des enjeux du logiciel libre, de la nécessité de s’équiper en logiciels libres.
Rémi : Là c’est aussi le résultat, on ne va pas s’attribuer tous les lauriers de ces victoires ou demi-victoires, ça dépend, puisqu’on n’est pas seuls à agir là-dessus, mais c’est bien un exemple qui illustre le travail de fond que nos permanents peuvent mener, ou nos bénévoles, en contactant des élus, en agissant à leur niveau. C’est que le premier coup, dans la loi numérique, ces articles-là n’étaient pas présents. Le gouvernement les avait retirés, il me semble ?
Étienne : Tout à fait. Il ne les avait pas retirés. On les avait proposés parce que la consultation publique n’était pas impérative : on proposait, le gouvernement disposait. Pourquoi pas s’il y a un débat autour ! Et on peut leur reconnaître le mérite de répondre. Ils ont répondu à chacune des propositions. Les arguments utilisés étaient un peu faciles, on va dire, mais c’est un autre sujet. Donc ils ne les avaient pas mis et c’est par des amendements, c’est en poussant, c’est-à-dire que des députés, puis des sénateurs, ont récupéré ça, ils ont été convaincus de cette nécessité, ils les ont remis dans la loi. Mais ça traduit, ce n’est pas seulement de l’action sur cette loi-là, c’est toute l’action qui est menée depuis 20 ans et qui arrive aussi. Voilà, c’est du combat de longue haleine et on avance et on a quand même des signes qu’on avance et ça c’est important. Oui !
Rémi : Il y avait aussi le projet de loi refondation de l’école de la République il y a quelques années, où on a pu faire glisser, pas seuls encore, la référence au logiciel libre et aux formats ouverts dans la loi. Donc, petit à petit, on arrive à influer vraiment sur le cours de la société à ce niveau modeste, mais néanmoins important. Ici on voit un document dont tu es l’auteur et tu ne voulais pas que je le mette au début. C’est ça ?
Étienne : On peut voir mes qualités de graphiste ! Là l’idée, c’était sur le code source, c’était de communiquer, de donner un document, un argumentaire aux parlementaires pour expliquer un petit peu le côté fantasme de la sécurité par l’obscurité. Ce n’est pas parce que c’est une boîte noire que c’est plus sûr, au contraire. Il faut dire que les parlementaires reçoivent énormément de documentation pour les pousser, pour leur proposer des arguments, des amendements. Donc c’était essayer de faire un truc qui rende ça un peu plus lisible. Moi j’ai fait cette magnifique infographie [12] et en deux jours…
Rémi : C’était pour pousser l’article 2 d’ailleurs, dont on vient de parler.
Étienne : Tout à fait. Malheureusement, l’exception de sécurité a quand même été rajoutée, mais on a eu le retour positif. Ce n’est pas ça qu’on a envoyé, mais en deux, trois/quatre jours, notamment par le bénévole graphiste Antoine Bardelli, mais aussi par tout un travail de relecture de bénévoles, on est arrivé à quelque chose de beaucoup plus abouti et on a eu des retours très positifs des parlementaires. De mon point de vue de permanent, c’était très intéressant de travailler de cette manière-là aussi, avec des bénévoles.
Rémi : Ça a été bien repris. Ça a bien expliqué, même auprès des citoyens qui suivent cette actualité-là, ça a permis de bien comprendre, un petit peu, les enjeux de pourquoi une administration doit ouvrir son code source. Depuis il y a eu, je pense que vous avez peut-être entendu parler de ça, l’ouverture du code de la calculatrice des impôts, qui est quand même un gros morceau, c’est le projet OpenFisca et récemment, le logiciel APB. Vous connaissez ? Certains, les étudiants, doivent connaître ici, Admission Post-Bac, qui est un algorithme qui affecte les étudiants selon leurs vœux avec une formule magique. Il y a un algorithme qui tourne derrière, un logiciel, et ce code-là a été libéré. Donc ce sont des petites victoires qui arrivent peu à peu, qui amènent à plus de transparence de l’État envers ses citoyens.
Étienne : Ça c’est donc un autre gros dossier de l’année. C’est plutôt le dossier du moment, donc un peu l’histoire de belle amitié entre Microsoft et l’État français qui s’est exprimée. Alors récemment, c’est le dernier en date, mais ce n’est pas officiel, ce sont des bruits comme quoi aussi la Culture, Microsoft allait avoir un beau partenariat avec le ministère de la Culture.
Rémi : C’est une amitié un petit peu cachée, quand même, puisque ça se fait derrière un mur.
Étienne : Il ne faut pas trop le dire.
Rémi : Ce n’est pas non plus public à ce point-là.
Étienne : Ils ne sont pas du même quartier, donc voilà. Roméo et Juliette peut-être, oui !
Rémi : Sauf que ça devient public dans des partenariats comme celui-ci. Qui est-ce qui a entendu parler de ce partenariat qui est assez spécifique éducation ? Beaucoup plus, d’accord ! OK, vous êtes au courant.
Étienne : Oui, c’est vrai qu’il a fait du bruit celui-ci. Déjà en novembre, il est passé fin novembre 2015. Donc on a appris notre ministre de l’Éducation nationale, Najat Vallaud-Belkacem, tout sourire, annonce en grandes pompes qu’un partenariat a été signé avec Microsoft [13]. Ce partenariat, on a appris très récemment que c’était un contrat de mécénat. En somme c’est Microsoft qui très généreusement, par pur altruisme, offre, nous dit-on, pour 13 millions d’euros de valeur de formation et de matériel à l’Éducation nationale qui n’aura plus qu’à se servir. Alors bien sûr, il n’y a pas d’obligation.
Rémi : Enfin pas d’obligation ! Les retours que nous avons dans les établissements scolaires – puisque ce package de partenariat comprend une offre de formation à destination des enseignants, des décideurs de niveau 1 et 2 de l’Éducation nationale, c’est-à-dire des responsables académiques voire des chefs d’établissement – donc il y a un volet formation qui arrive déjà dans les établissements scolaires avec parfois, pour certains enseignants, l’obligation d’y assister. Avec toujours un habillage pédagogique, bien sûr, puisqu’on va pas être formés à Powerpoint ou au cloud Microsoft, mais on va être formés à faire une présentation interactive pour ses cours ou favoriser le travail collaboratif, ce qui est très intéressant en soi. C’est un débat pédagogique, je ne vais pas y rentrer, mais à chaque fois c’est bien sûr avec les outils Microsoft qui après, de toutes façons, vont être achetés par les établissements scolaires, c’est-à-dire par la région ou le département puisque ce sont eux les financeurs avec vos impôts, finalement, les impôts de la collectivité. Argent qui va, après, peut-être, circuler via des paradis fiscaux. Voilà un peu le chemin, en fait !
Étienne : Là-dessus, je pense que vous êtes tous à peu près convaincus de la problématique qu’il y a derrière, on peut penser déjà les problèmes de données personnelles, parce qu’on nous a parlé d’une charte qui expliquerait comment Microsoft protégerait les données personnelles des élèves. On attend toujours. Si un élève n’a pas Windows chez lui, bon, comment ça se passe ? Il va sûrement être invité à le faire. Je crois qu’Issy-les-Moulineaux, je me rappelle maintenant, alors le siège de Microsoft est installé à Issy-les-Moulineaux, offre aux familles parents d’élèves et donc aux familles une belle licence Microsoft pour une année. Donc on voit quand même que l’enjeu de captation, dès le plus jeune âge, dans le bel environnement Windows est présent !
Rémi : Avec des formats fermés derrière, rappelons-le. Autre dossier, ici, c’est le dossier Open Bar.
Étienne : Voilà, Open Bar. Vous avez vu, peut-être, Cash Investigation qui est passé, sur ce sujet-là.
Rémi : D’accord ! Ça aussi, c’est OK !
Étienne : Quelques-uns. Alors ce n’est pas un sujet récent, mais Cash Investigation, je pense que la plupart doivent connaître, c’est ce journal d’investigation sur France 2, qui est grand public, qui a une certaine notoriété, donc ça a donné une visibilité à ce sujet-là. Alors qu’est-ce que c’est l’Open Bar. L’Open Bar, ça a commencé en 2007/2008. C’est un accord cadre.
Rémi : C’est open comme dans open source ? Ou libre ?
Étienne : Non, non. Servez-vous. Prenez, prenez du Microsoft !
Rémi : Ah oui, d’accord. Ça n’a rien de open.
Étienne : Voilà. Le nom officiel c’est accord cadre. Accord cadre, c’est un style de marché public, en somme, je ne suis pas expert, mais en somme, c’est de dire que Microsoft, sur une période de quatre ans, offre toute sa gamme de produits au ministère de la Défense et le ministère de la Défense, au besoin, va venir acheter les produits nécessaires. Donc en 2007/2008, le ministère de la Défense souhaite renouveler son système d’information, acquérir de nouveaux logiciels et quatre pistes sont envisagées. Je ne les ai pas toutes en tête, mais une de ces pistes c’était cet Open Bar. Ils ont rassemblé un groupe d’experts, de neuf experts militaires sur ces sujets-là, qui s’est sérieusement penché sur la question. En est ressorti, parmi ses conclusions, donc sur les quatre hypothèses, trois étaient avec des réflexions plus positives/négatives. L’accord Open Bar était largement, unilatéralement rejeté comme une mauvaise solution ; ils parlaient de risques de dépendance voire d’accoutumance à Microsoft ; les enjeux de souveraineté, les enjeux de surveillance aussi beaucoup. C’était sans ambiguïté ce rejet-là. C’est celui-là qui a été retenu. Après il y a une sortie, dire que c’était partial, enfin bon !
Donc nous, ça nous a forcément un peu titillés. Alors pas forcément, donc il a été passé en 2008, pour 2008 à 2013. En 2013, il a été renouvelé, donc c’est à ce moment-là où on a commencé à surtout en prendre conscience. On a fait notamment des demandes CADA, j’en parlerai tout à l’heure, donc des demandes d’accès aux documents administratifs. On a fait en direction du ministère de la Défense. On a reçu des documents, la plupart étant assez caviardés, bien sûr. Donc ça a commencé à faire du bruit à cette période-là : Le Canard enchaîné en a parlé, il me semble ; une émission Le Vinvinteur. On a fait un récapitulatif au moment de Cash Investigation de tous les éléments qu’on avait [14], donc n’hésitez pas à aller sur le site et, en dix minutes, Le Vinvinteur vous fait un super récapitulatifLe Vinvinteur 25 - L’armée accro à Microsoft ?, super dynamique, très agréable à regarder. Donc je vous le recommande si vous voulez vous faire une idée rapide de ce sujet. Et là, la période, bien sûr Cash Investigation nous a donné une opportunité de re communiquer là-dessus, mais surtout on se pose la question du contrat pour 2013/2017, qu’est-ce qui va se passer ? Est-ce qu’on va encore reconduire ce sujet ?
Donc c’était aussi l’opportunité. On a fait deux demandes par rapport à ça. On s’est saisi, on avait voulu traduire ça de deux manières. La première, donc Marc Mossé [15] en haut à gauche, directeur des affaires publiques de Microsoft France, a annoncé dans sa grande générosité, il nous a révélé un petit scoop : Microsoft aura un accord secret de sécurité avec l’État français. En somme, s’il y a une faille de sécurité détectée par Microsoft, elle la communiquera à l’État français. Nous on se dit que, peut-être, ce ne serait pas mal que ce soit public, qu’on sache quel est le périmètre de cet accord, qu’est-ce que Microsoft est obligée de faire, dans quels délais. Et puis, dans la mesure où, de toutes façons, le code source n’est pas communiqué ou on n’est pas sûr que ce soit celui à jour qui soit communiqué, on se base un peu sur la bonne foi de Microsoft qui, d’ailleurs, a des liens avec la NSA, mais c’est un autre sujet encore.
Rémi : Donc c’est ça ? Si Microsoft voit une faille de sécurité sur un des produits utilisés par le ministère de la Défense d’un pays qui a l’arme atomique, il s’engage à le signaler à l’État français. C’est ça ?
Étienne : Voilà !
Rémi : D’accord. S’il ne le fait pas, personne ne le sait. On est d’accord ?
Étienne : Oui, oui, c’est pertinent ! C’est pertinent comme accord ! Et surtout, Microsoft communique ses failles de sécurité dans les meilleurs délais à l’État français, que fait l’État français ces failles de sécurité ? Il les communique ? Il les rend publiques pour qu’elles soient le plus rapidement possible réglées, pour protéger, peut-être aussi, la vie privée des citoyens français et autres, d’ailleurs ? Ou il les garde pour son propre usage ? On ne sait pas, on aimerait bien que ce soit public.
En bas à droite, autre point d’action. On va demander une commission d’enquête. Donc ce monsieur c’est le vice-amiral en charge de la cybersécurité, Arnaud Coustillière [16], qui a été interviewé à l’occasion. Pour ceux qui ont vu l’émission, il était d’une légèreté ! Il est passé en cinq minutes, il n’en avait pas grand-chose à faire. Il a littéralement dit : « Je m’en fous de ce débat, c’est un débat dépassé ! » Pour le vice-amiral de la cybersécurité, c’est un peu fort ! Donc on aimerait qu’une commission d’enquête parlementaire soit réunie parce que d’une, c’est l’avantage, c’est que quelqu’un qui est convoqué à témoigner n’a pas le choix. Il est obligé d’aller témoigner, il prête serment. Ça permettrait de faire la lumière. Donc on saisit, on prend contact avec des parlementaires pour voir si ça serait réalisable. On va essayer de faire ce qu’on peut par rapport à ça. Dossier à suivre. Voilà. Sans transition réelle, autre sujet.
Rémi : Autre dossier important, depuis longtemps.
Étienne : Autre dossier important, les DRM de manière générale, ça c’est quand même un des quatre dangers pour le logiciel libre et, de manière générale, pour les libertés informatiques. Donc c’est un sujet chaud, parce que la directive sur les droits d’auteur devrait être révisée bientôt. Pour information, celle actuelle date de 2001, donc ce n’est pas tout frais ; par rapport aux évolutions qu’il y a eu ces quinze dernières années, on peut se dire qu’elle n’est pas tout à fait à jour.
Si j’ai mis des guillemets autour de révision c’est parce qu’elle est très loin de ce qu’on aurait pu espérer. Déjà parce que, il y a un an, Julia Reda, est-ce que ça parle à certains d’entre vous ? Julia Reda a fait un très bon rapport : elle est parlementaire européenne, du Parti Pirate. Le Parlement, enfin la Commission européenne lui a demandé, et c’est dans la procédure, ils demandent à un parlementaire de rédiger un rapport sur un projet de directive. Donc elle a proposé un rapport sur la révision du droit d’auteur, qui est très bien fait. Et cette révision, c’est le contraire. Moi je pense que ça ressemble à des rustines. Ils ont mis une petite surcouche de règles rétrogrades pour bien, encore une fois, adapter la protection des sociétés de gestion collective et des systèmes de rente aux nouvelles réalités de 2016. Par exemple, en généralisant le robot copyright, je ne sais pas si vous voyez ce que sont les robots copyright. Ce n’est pas directement en rapport avec le logiciel libre, mais c’est quand même un grave problème. Le Content ID c’est l’exemple type : vous allez sur YouTube, c’est un robot qui va automatiquement détecter les infractions au droit d’auteur. Les infractions au droit d’auteur, c’est extrêmement compliqué, ça demande une vraie finesse que seul un humain peut faire. C’est-à-dire que comment programmer un ordinateur à comprendre ce qu’est la parodie ou du plagiat, faire la différence, on ne peut pas faire ça avec du simple code, enfin il me semble ! Donc c’est un vrai problème et, en ce qui concerne les DRM, ils ont bien pris soin de rappeler que le DRM est sacré, ce qu’on appelle la sacralisation des DRM. Tout le monde voit ce que c’est des DRM ? Est-ce qu’il y a des gens qui ne voient pas ce que c’est ?
Rémi : Peut-être un exemple de DRM ? DRM ça veut dire digital rights management, c’est un système qui gère les droits d’auteur d’une ressource donnée. Ça peut être, par exemple, un fichier musical. On prend l’exemple d’un fichier, on ne va pas prendre au format mp3 avec des DRM, je crois qu’il doit y en avoir, de toutes façons, je ne suis pas utilisateur de fichiers avec DRM, donc certains avec DRM, par exemple des fichiers musicaux, vous ne pouvez les écouter que sur un type d’appareil précis. Vous ne pouvez pas, par exemple, le prêter ce fichier ou le copier pour l’utiliser sur un autre appareil. Vous ne pouvez pas le prêter à vos enfants, à vos amis, ce n’est pas possible la copie dans ce cas-là. Donc c’est vraiment lié à l’appareil, tant que vous êtes à jour de vos droits.
On le voit aussi sur certaines liseuses numériques avec des livres numériques. Alors peut-être que la table ronde qu’il y a eu sur les livres numériques ça a été abordé ce problème, je pense que oui, dans un événement comme celui-ci je suis à peu près certain, où, là encore, on a le cas de 1984 et de Amazon. Vous avez entendu parler de cette affaire peut-être ? Donc là, c’est vraiment révélateur, il ne fallait vraiment pas que ça tombe sur ce livre-là ! À croire que c’est fait exprès ! Donc sur les liseuses type Kindle de la marque Amazon, où on ne peut lire que des fichiers dans une sorte de format HTML, donc certains ont acheté 1984, que je ne présente plus, légalement. Mais un dispositif, un DRM, a considéré qu’après les droits n’étaient pas remplis, donc le fichier s’est effacé automatiquement de l’ensemble de vos liseuses, en fait. C’est-à-dire que sur votre propre matériel il y a quelqu’un qui vient et hop, il efface le fichier parce qu’il ne respecte pas les droits. Donc ça, c’est quand même une grosse intrusion dans la vie privée.
Étienne : C’est une belle, une belle ! Une efficace illustration on va dire, plutôt ! Cette directive rappelle donc que les DRM, dont tu viens d’expliquer le sens, sont sacralisés. C’est-à-dire qu’il est interdit, par la loi, de les contourner, de les mettre à mal, de les détruire. Il faut respecter ces logiciels. Je pense qu’il serait difficile qu’il s’agisse de DRM en logiciel libre. Non ? Je pense que…
Rémi : Un DRM libre ? Est-ce que vous pensez que ça serait une bonne idée d’avoir un DRM libre, finalement ? Puisque si un DRM, c’est un programme qui scanne les droits d’auteur, si on est à jour, d’après vous, est-ce que ce serait une bonne idée ? Ce n’est pas une question piège, hein ? Ça dépend pour qui. Oui, voilà ! Donc un DRM libre, quand même, ça contredirait clairement, enfin à mon avis, à notre avis, l’aspect philosophique et politique défendu par le logiciel libre.
Étienne : La liberté 0, c’est-à-dire, la liberté d’usage. À partir du moment où on commence à les réprimer, les interdire. Donc elle rappelle qu’il est un interdit de contourner les DRM. Je ne vais pas en parler plus que ça. Si ça vous intéresse l’Electronic Frontier Foundation [17] aborde bien le sujet. Aux États-Unis, l’Office des droits d’auteur commence à réfléchir à assouplir les exceptions qui permettent de contourner les DRM, notamment à fin d’interopérabilité. Ça va dans le bon sens. Maintenant on reste dans cette logique, le DRM c’est la protection du droit d’auteur. C’est un vrai problème pour le logiciel libre.
Rémi : Autre dossier chaud qui aussi, pour l’April, est un des dangers [changement de diapositive, NdT].
Étienne : Eh bien oui, le brevet logiciel qui est peut-être philosophiquement, du moins je pense, un des plus gros, le plus gros danger pour le logiciel libre, ou presque. C’est un débat. D’ailleurs est-ce que brevet et logiciel c’est compatible ?
Rémi : D’après vous, petit sondage éclair. Vous savez tous ce qu’est un brevet, patent chez nos amis d’outre-Atlantique. Est-ce qu’on peut breveter un logiciel ? On entend souvent que des universités, pour être efficaces, ou des entreprises, pour être créatrices de richesse, doivent produire des brevets. Est-ce que, selon vous, on peut breveter un logiciel, ou pas ? Sous condition ? Il faut donc qu’il y a ait le critère d’originalité de rempli. Après d’autres, les autres dans la salle, je voulais dire intervenants, oui, finalement vous êtes aussi intervenants. Ah oui ! Il y a l’aspect technique, mécanique, où c’est un système physique qui agit sur quelque chose. En fait, le sujet est assez complexe. C’est qu’un brevet sur un logiciel, en Europe, ça n’existe pas pour l’instant. Sauf qu’il y a un office européen qui s’appelle l’OEB, Office européen des brevets, qui en délivre quand même, alors qu’ils n’ont pas vraiment de valeur légale d’après les textes de la Commission européenne.
Étienne : Mais c’est interdit explicitement même, en fait, de breveter des logiciels.
Rémi : C’est interdit en fait. Donc, peu à peu, ça risque d’arriver chez nous. On va commencer à breveter des logiciels. Il y avait même un projet de brevet unitaire européen.
Étienne : Ce projet de brevet unitaire européen ne concernait pas uniquement les brevets logiciels, mais, en gros, c’était d’avoir une cour centrale pour délivrer les brevets. Alors ce qu’il y a, c’est qu’à la fois ça les délivre, ça se finance en délivrant les brevets logiciels, donc finalement ils ont plutôt intérêt à en délivrer un maximum, enfin les brevets en général, ils ont intérêt à en délivrer un maximum pour avoir un maximum de financements. Ils voulaient créer une cour pour tout gérer. Comme ils ont une tendance, une politique clairement favorable aux brevets logiciels, c’était une vraie menace et c’était un des effets, je perds le terme, secondaires bénéfiques du Brexit. Alors, sans rentrer dans les détails, c’était un traité international basé, entre autres, sur l’Union européenne. Donc le fait que l’Angleterre quitte l’Union européenne met un coup d’arrêt, parce que, en tant que traité international, du moins celui-ci, devait être fait de manière unanime. L’Angleterre étant partie membre, puisqu’elle sort du traité, ça annule le traité. Dans ces lignes-là. En fait, ils avaient construit un château de cartes qui était légalement extrêmement bancale, ça a été dit par beaucoup de personnes dont l’April, par beaucoup d’associations dont l’April, par des personnes également. Ils ont construit un château de cartes. Brexit ! Et le château de cartes s’écroule ! Juste aussi pour reprendre sur le brevet logiciel, en fait, là où ce serait incompatible, tu me parlais de libre parcours des idées.
Rémi : Oui. Pas plus tard, je crois que c’était que c’était hier, en fait l’INPI, l’Institut national de la propriété intellectuelle, je ne suis pas sûr de la date, cette semaine, a organisé une sorte de formation, puisque c’est important la propriété intellectuelle, apparemment, et puis bon c’est un peu leur modèle économique et, dans la même phrase, ils ont réussi la prouesse de mettre priorité intellectuelle et algorithme. Comme si on pouvait mettre de la PI, de la propriété intellectuelle, sur un algorithme et, à terme, breveter un algorithme. On voit que la pression est toujours très forte de ces organismes qui sont pilotés par d’autres personnes, toujours, pour, peu à peu, arriver à breveter un algorithme. Et ça c’est un danger, je pense, pour une société libre. Donc je vais reboucler sur ce qu’on disait au début puisque les idées, je crois même que c’est constitutionnel ou c’est la Déclaration des droits de l’homme, les idées sont de libre parcours. Et un algorithme c’est une idée. Donc si on commence à breveter un algorithme, on se retrouve à breveter un raisonnement, donc à interdire à d’autres de le réutiliser, donc ça bloque vraiment toute la chaîne de progrès intellectuel et social qu’on peut connaître depuis, on va dire j’espère, la Préhistoire et j’espère que ça ne va pas s’arrêter. Donc c’est pour ça que nous, garder cette liberté, un peu dans tous les sens, cette liberté des algorithmes qui touche aussi à la liberté des citoyens, c’est important, ça renforce un peu notre champ d’action qui est de donner la priorité au logiciel libre. C’est un engagement qui est très fort. Mais voilà, ce qu’on essaie de porter depuis 20 ans.
Étienne : Priorité au logiciel libre, dans les instituons bien sûr, mais aussi dans notre vie quotidienne à chacun, d’ailleurs parce que plus on est nombreux à recourir, donner priorité au logiciel libre, plus l’informatique qu’on partage maintenant tous sera libre et on va tous dans la même direction.
Rémi : Pour fêter ça on vous convie tous ce soir, puisque nous fêtons ces 20 ans dans différentes villes de France, lors de différents événements. Donc ce soir, après le buffet, vous viendrez, on vous convie à venir déguster le gâteau d’anniversaire des 20 ans de l’April. Voilà. On a terminé. Si vous voulez plus d’informations, vous avez notre site internet. Vous pouvez nous contacter par mail, donc notre délégué général, Étienne qui est ici et moi-même. Si vous avez des questions nous sommes à votre disposition.
Applaudissements
Organisateur : Merci beaucoup. Pour les questions, toujours le même principe : vous levez la main on vous fait passer le micro. Et c’est parti pour une première question !
Public : Bonjour ! J’ai une question par rapport à la consultation qu’il y a eue, par rapport à la République numérique. Donc j’ai participé, j’ai voté. Il me semble qu’il y avait, par rapport au logiciel libre, 97 ou 98 % qui étaient pour le fait que les logiciels libres soient promulgués. Vous avez des nouvelles par rapport au fait que vous avez été purement snobés par le ministère ? Parce que, du coup, c’est bien beau de dire que oui, bon, on a encouragé, voilà. Mais est-ce que, quand même, il y a eu un retour par rapport au fait que les gens s’étaient massivement engagés positivement par rapport au logiciel libre ? Moi j’ai adoré le concept de la consultation, mais, en gros, on nous a consulté et puis, après, on nous a dit : « Bon, eh bien c’était cool, on vous a bien écoutés, mais on ne va pas le faire ».
Étienne : Alors, je pense qu’il y a plusieurs aspects. Déjà, ce qui était positif et utile là-dedans, parce qu’il faut quand même regarder ce qui est utile, nous, cette consultation, pendant qu’on échangeait avec les parlementaires – parce qu’il y a des parlementaires qui étaient déjà convaincus, il y en a qui hésitent – et d’arriver et de montrer l’engouement qu’il y a eu autour du logiciel libre dans la consultation publique, ça nous a beaucoup aidé à faire porter le message. Par rapport au gouvernement, non, on n’a pas vraiment eu de retours par rapport à ça. Axelle Lemaire, [sourire de Rémi] oui, moi j’aime bien Axelle Lemaire, donc je ne vais pas lui casser de sucre sur le dos. Il y a eu un petit manque de transparence là-dessus, notamment ce qu’ils ont répondu. On peut au moins leur accorder ça, ils ont répondu à chacune des propositions. Moi, après, ça ne me choque pas en soi qu’ils ne prennent pas toutes les propositions de la consultation pour les mettre dans le projet de loi. Il faut qu’ils expliquent et qu’ils soient transparents sur la raison pour laquelle ils refusent. Surtout que, au-delà, vous dites 98 %, il faut quand même dire, les gens qui participaient étaient déjà convaincus, mais il y a eu beaucoup de soutiens. C’est plus, peut-être, le nombre, il y a eu beaucoup de personnes, je crois que c’était dans le top 10, il y avait deux ou trois propositions pour le logiciel libre, donc ça c’est positif aussi. Mais dans leur réponse ils nous parlent d’une note juridique qui dirait que ce ne serait pas compatible avec les règles du marché public. Il y a énormément d’argumentaire, il y a déjà eu des jurisprudences qui montrent que c’est le cas. On a insisté pour essayer d’avoir cette note. Et c’est un mail. On a réussi à mettre les mains dessus de manière officieuse. Mais voilà, finalement ça tient assez peu la route. Leur argumentaire est construit en biais, donc ils ne répondent pas directement à la question. C’est vrai que ce point de vue-là, non, on n’a pas eu de retours du gouvernement, mais ça a quand même été un acte positif. Moi je pense qu’elle a été utile, cette consultation, même si elle aurait pu être beaucoup plus positive en termes de retour. Surtout à la fin, quand on parle co construction législative avec les citoyens, on se moque un peu de nous ! Voilà.
Organisateur : Levez bien haut, autrement je ne vous verrai pas. Apparemment il n’y a pas d’autres questions.
Public : J’ai deux petites questions. Je vais en faire une d’abord et puis on va voir pour la suite. La première question c’est, dans votre présentation, vous avez parlé beaucoup de formats ouverts, d’interopérabilité. Donc moi, ce sont des choses qui, bien sûr, me parlent énormément et, ces derniers temps, ce que j’observe et que je trouve extrêmement frustrant, c’est le manque d’interopérabilité au niveau des protocoles réseau. Donc voilà. Je pense notamment, l’exemple vraiment typique, ce sont les applications de messagerie instantanée où la situation – je ne suis pas le seul dans la salle à le constater – c’est catastrophique, quoi !
On a Snapchat, on a WhatsApp, on a, je n’ai même plus les noms, Mattermost qui est clone open source de Slack, voilà, on a Slack qui sont donc tous propriétaires. Aucun n’est fédéré, c’est-à-dire jusqu’à présent, quand on envoie des mails, par exemple, quand on est hébergé chez Orange, mettons, on peut envoyer des mails à d’autres personnes qui ne sont pas chez Orange. On peut envoyer des mails à des gens qui sont sur Gmail, ça ne pose pas de problèmes, c’est ce qu’on appelle un protocole fédéré, c’est-à-dire qu’on peut être plusieurs acteurs à héberger des solutions de communication et on est capables de se parler entre nous parce qu’on s’est mis d’accord sur les protocoles.
Sur le chat, à une époque, c’était comme ça, il y avait IRC d’abord et puis, ensuite, XMPP et là maintenant c’est la foire, c’est terrible quoi ! Ce que je trouve terrible c’est que, même sur les solutions qui se veulent open source, puisqu’on en a deux qui sont Mattermost et RocketChat, ils sont, eux aussi, en train de développer leurs protocoles pas fédérés. Alors ils font des espèces de bridges qui marchent plus ou moins bien avec IRC et XMPP. Du coup, je voulais savoir ce que vous en pensez, parce qu’on a des enjeux d’interopérabilité qui se présentent sur des nouvelles problématiques qu’on n’avait pas avant, au final.
Rémi : Eh bien là l’histoire risque de se répéter. C’est, à mon avis, je ne suis pas vraiment spécialiste là-dessus parce que je ne suis pas développeur, c’est darwinien comme schéma : c’est la survie. Qui va rester le plus puissant ? Il y a juste à espérer que le plus puissant ne soit pas un acteur qui veuille, après, maintenir une position dominante, un contrôle total. Donc il y a à espérer que, justement, l’exemple des formats de texte qu’on rencontre en bureautique, même si la bureautique c’est peut-être en voie de, plus ou moins, disparition, serve d’école et que les principaux acteurs se structurent dans une sorte de fondation, se mettent autour d’une table. C’est peut-être utopique, ça l’est sûrement, sinon on ne serait pas là finalement, donc ils se mettent autour d’une table pour définir un format ouvert avec une gouvernance claire et dire : « Voilà, nous, un, deux, trois, quatre ou cinq acteurs on va utiliser ce format-là et travailler ensemble », sans forcément accoucher d’une documentation haute comme ceci en partant du sol et qui est incompréhensible. Donc c’est juste un vœu pieux.
Public : On n’a plus qu’à espérer, quoi !
Rémi : L’histoire peut se répéter.
Public : Je finis par une dernière question, peut-être, à moins qu’il y ait quelqu’un qui veuille intervenir dans la salle. Une dernière question du coup. Ah ! Il y a une question, super. Vas-y alors !
Public : Je me demandais, en fait, si tout était étouffé à chaque fois au niveau du gouvernement. Donc s’il y avait des projets qui étaient quand même menés. Il y a dix ans, j e sais qu’il y avait Spip, il y avait Spip Agora qui était à priori pour les administrations et tout ça. Est-ce que, je veux dire…
Rémi : Des projets de développement menés par l’État ?
Public : Des budgets, en fait, ou des choses qui sont reprises ou des tentatives, quand même, d’essayer de remettre des projets comme ça qui soient financés par l’État.
Rémi : Par l’État. Oui ça existe dans le secteur de l’éducation il y une suite qui s’appelle EOLE - Ensemble Ouvert Libre Évolutif, qui est un ensemble de logiciels libres pour les réseaux des établissements scolaires. Donc ça existe, il y a un service qui tourne, il y a un petit modèle économique autour qui fonctionne. Le produit est de qualité et très bien utilisé. Mais le souci, comme d’habitude, c’est que l’État a un problème de latéralisation cérébrale : c’est que sa main gauche ne sait pas ce que fait sa main droite. Donc parfois on peut avoir des services avec des fonctionnaires qui produisent le logiciel libre. Leur modèle, à voir, mais on va dire que c’est du logiciel libre, et dans le même temps, au ministère signe des accords qui vont a contrario, quelque part, tirer le tapis sous le pied des développeurs qui font des logiciels libres pour l’État. Donc ça arrive ça, oui.
Étienne : Ce n’est pas directement sur des développements de logiciels, mais je pense que ça va dans le même sens que ta question. Il y a une circulaire en 2012, circulaire du Premier ministre, qui a fait pas mal de bruit dans le monde du logiciel libre, la circulaire du Premier ministre Jean-Marc Ayrault « du bon usage du logiciel libre dans les administrations ». Il faut savoir que Frédéric Couchet, qui est délégué général de l’April, ça fait 20 ans qu’il est dans ce militantisme donc il connaît beaucoup de monde, notamment dans les services qui ont fait ça, il n’a pas été tenu au courant. Ils ont décidé de le faire dans le plus grand secret pour être sûrs de ne pas se faire court-circuiter en route. Dans le Cash Investigation on le voit, la gendarmerie c’est un bel exemple, aussi, de recours au logiciel libre. Il y a un document où ils disent : « Avançons discrètement parce qu’on ne voudrait pas que Microsoft vienne nous mettre des bâtons dans les roues dans ce développement-là. » On voit aussi à quel point c’est noyauté certaines institutions. Donc il y a des choses qui se font mais ça demande un peu de stratégie.
Rémi : Et puis les gens se connaissent très bien. Il nous arrive de prendre rendez-vous avec des conseillers techniques au ministère, parfois on le fait, et très souvent il y a d’autres personnes qui viennent avant nous, on va dire, et plus régulièrement que nous. Donc nous on y passe à peu près, on va dire, une fois par an, quand il y a des nouveaux on essaye d’aller les rencontrer, mais il y a d’autres personnes qui ont leurs entrées. Disons que nous, on cherche les vestiaires, mais d’autres n’ont pas besoin de les chercher. Ils connaissent très bien les locaux, ils sont présents régulièrement. D’où l’intérêt, pour certains, s’ils veulent faire avancer des idées ou des circulaires dans l’intérêt général, d’avancer un petit peu cachés. C’est pour ça que des fois ce n’est pas forcément public, parce que, parfois, il n’y a pas intérêt à trop diffuser !