- Titre :
- Émission Libre à vous ! diffusée mardi 19 novembre 2019 sur radio Cause Commune
- Intervenant·e·s :
- Emmanuel Revah - Catherine Dufour - Magali Garnero - Romain Pierronnet - Frédéric Couchet - Patrick Cresusot à la régie
- Lieu :
- Radio Cause Commune
- Date :
- 19 novembre 2019
- Durée :
- 1 h 30 min
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Page des références utiles concernant cette émission
- Licence de la transcription :
- Verbatim
- Illustration :
- Bannière radio Libre à vous - Antoine Bardelli ; licence CC BY-SA 2.0 FR ou supérieure ; licence Art Libre 1.3 ou supérieure et General Free Documentation License V1.3 ou supérieure. Logo radio Cause Commune, avec l’accord de Olivier Grieco.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l’April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.
Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Frédéric Couchet : Bonjour à toutes. Bonjour à tous. Vous êtes sur la radio Cause Commune 93.1 en Île-de-France et partout dans le monde sur le site causecommune.fm. La radio dispose également d’une application Cause Commune pour téléphone mobile.
Merci d’être avec nous aujourd’hui pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre. Je suis Frédéric Couchet, le délégué général de l’April.
Nous sommes mardi 19 novembre 2019, nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.
La radio dispose d’un salon web, vous pouvez utiliser votre navigateur web préféré, vous pouvez vous rendre sur le site de la radio, causecommune.fm, cliquer sur « chat » et ainsi nous retrouver sur le salon dédié à l’émission pour interagir en direct avec nous.
Le site web de l’April c’est april.org et vous y retrouverez une page consacrée à l’émission avec les références sur les pauses musicales et toute autre information utile en complément de l’émission.
Nous vous souhaitons une excellente écoute.
Nous allons passer au programme de l’émission du jour.
Nous allons commencer par trois courtes interviews réalisées à l’occasion de l’Ubuntu Party du week-end dernier.
Ensuite ce sera la chronique « Itsik Numérik » d’Emmanuel Revah qui nous fait le plaisir d’être avec nous aujourd’hui.
D’ici une vingtaine de minutes nous aborderons notre sujet principal qui portera sur le livre Ada ou la beauté des nombres avec l’interview de son autrice, Catherine Dufour.
Et en fin d’émission nous aurons l’interview de Romain Pierronnet pour l’événement Le Libre sur la Place qui se déroule à Nancy le 26 novembre 2019.
À la réalisation de l’émission aujourd’hui Patrick Creusot. Bonjour Patrick.
Patrick Creusot : Bonjour tout le monde et bonne émission.
Frédéric Couchet : Place tout de suite au premier sujet.
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Frédéric Couchet : Nous allons commencer par trois courtes interviews réalisées à l’occasion de l’Ubuntu Party qui s’est déroulée à la Cité des sciences et de l’industrie les 16 et 17 novembre 2019. J’ai également fait une présentation sur l’émission, la vidéo devrait être bientôt disponible sur le site ubuntu-party.org et j’ai profité de cette conférence pour faire trois interviews. Nous allons donc les écouter et on se retrouve juste après.
[Virgule de transition]
Interviews réalisées à l’Ubuntu Party de Paris
Frédéric Couchet : Nous sommes en direct de l’Ubuntu Party de Paris, donc le 17 novembre 2019. Je suis avec Tony. Je voudrais savoir pourquoi tu es venu à l’Ubuntu Party aujourd’hui ?
Tony : Je suis venu à l’Ubuntu Party parce que j’ai eu beaucoup de chance : un ami m’a fait découvrir le monde du Libre. Au début je ne jurais que par Windows parce que j’ai été formaté à l’école à l’utilisation de Windows et j’avais peur d’essayer un autre système. Il m’a fait découvrir un autre système qui m’a beaucoup aidé parce que j’ai eu un grave accident de la route. En fait, grâce à ce système-là, je peux utiliser l’informatique parce qu’il est facile d’entretien et beaucoup plus rapide que d’autres systèmes comme Windows où il faut mettre à jour le système ce qui prend beaucoup de temps, mettre à jour les pilotes, les logiciels alors que là tout se fait en une seule phase : vous appuyez sur un bouton pour mettre à jour, éventuellement passer par le terminal pour taper quelques formules, mais si on ne le fait le système fonctionne très bien. Ça m’a rendu un immense service, ça m’a donné une autonomie administrative.
Je viens régulièrement à l’Ubuntu Party pour pouvoir découvrir ce qui se fait de nouveau, apprendre des nouvelles choses et puis j’aimerais un peu m’informer parce que j’aimerais pouvoir trouver une solution pour rendre le système Ubuntu accessible à d’autres genres de handicap comme le handicap visuel, de façon à ce qu’une personne aveugle puisse installer le DVD dans un ordinateur comme monsieur et madame Tout-le-monde et qu’elle puisse directement avoir un système qui soit vocalisé, l’utiliser directement et toujours aussi avec de l’autonomie. Malheureusement, les logiciels qui sont utilisés par les personnes malvoyantes sont coûteux et, au niveau des droits de propriété, ce n’est pas terrible, elles ne font pas ce qu’elles veulent. Il y a des personnes qui réalisent qu’elles ont acheté quelque chose qui fonctionne sur Windows 7, mais qui, malheureusement, ne fonctionne plus sur Windows 10, donc elles sont obligées de repayer. Du coup elles sont extrêmement contraintes ! Ce serait bien que le Libre permette aussi de rendre les choses encore plus accessibles pour les personnes qui en ont le plus besoin, pour acquérir de l’autonomie dans leurs difficultés quotidiennes.
Frédéric Couchet : D’accord. Je ne sais pas ce qu’il en est côté Ubuntu, mais je crois que côté Debian il y a des versions qui sont adaptées pour les personnes souffrant de problèmes visuels. Tu as déjà eu l’occasion d’en tester toi ?
Tony : J’ai regardé sur HandyLinux, mais malheureusement ce sont des versions qui ne sont pas entretenues très longtemps. J’ai essayé de tester, mais ça n’avait pas l’air de bien fonctionner. Pour l’instant, pour tout ce qui est lié au handicap, une version spéciale handicap dans le monde du Libre ça n’existe pas encore et je pense que c’est quelque chose à créer. Malheureusement je ne suis pas programmeur, j’aimerais bien savoir programmer pour pouvoir mettre ma pierre à l’édifice. Ça serait quelque chose à développer pour le démocratiser.
Je pense que pour pouvoir démocratiser les logiciels libres et tout ça, ça serait de s’inspirer un peu de ce qu’a fait Microsoft : ils ont imposé directement Windows dans les ordinateurs à l’école et, du coup, on a été formatés comme ça et ce qui serait bien ce serait de pouvoir récupérer des PC. Par exemple, les entreprises de La Défense ont refilé des PC à des sociétés, j’ai vu un reportage récemment, qui se retrouvaient sur les côtes africaines en train de polluer les terres là-bas. Ça serait bien justement de pouvoir récupérer ces PC-là, d’installer un système libre dessus, Ubuntu ou Debian, et de pouvoir les distribuer à des personnes qui ont de faibles ressources ou qui ont des problèmes de santé ou de handicap. L’informatique c’est difficile, pouvoir démocratiser l’accès à informatique et ça serait une bonne promotion pour le logiciel libre. En fait, s’inspirer de ce qu’a fait Windows à l’école, mais le faire en distribuant les ordinateurs gratuitement ou pour une somme modique et éventuellement assurer une formation à la personne puisque quand on ne connaît ça fait peur, mais une fois qu’on a découvert on y est déjà accroc.
Frédéric Couchet : D’accord. Écoute merci Tony et à la prochaine Ubuntu Party. Au revoir.
Tony : OK. Merci beaucoup. Au revoir.
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Frédéric Couchet : Nous sommes toujours à l’Ubuntu Party du 17 novembre 2019 à la Cité des sciences. Nous sommes avec Charlotte. Charlotte, tu participes aux Ubuntu Party. Pourquoi tu participes ? Qu’est-ce que tu y fais ?
Charlotte : Pourquoi je participe ? Par habitude ! Ça fait deux ans que j’y participe et je fais des trucs avec le groupe Ubuntu depuis un petit moment. En fait, ce qui m’intéresse c’est que c’est la façon la plus facile de parler avec le grand public parce que Ubuntu c’est un système d’exploitation, c’est très facile à montrer sur un ordinateur. On montre : « Cet ordinateur que tu vois fonctionne avec un logiciel libre. » Et là-dessus : « Oui, mais qu’est-ce que c’est qu’un logiciel libre ? » et là-dessus on enchaîne, on parle de Gimp, de tous les autres logiciels qui existent. « Qu’est-ce que tu fais ? – Tu fais de la musique, il y a Audacity, etc. »
Donc l’Ubuntu Party c’est une bonne excuse pour parler au grand public comme je viens de dire.
Il y a des gens qui viennent qui ne connaissent pas du tout Ubuntu.
Il y a des gens qui sont un peu à l’étape supérieure, qui veulent qu’on les aide à installer Ubuntu, donc c’est tout à fait possible et c’est un grand succès.
Après il y a les gens qui connaissent déjà, qui sont habitués, et pour eux il y a des conférences ou des ateliers s’ils veulent apprendre plus de choses. Dans les conférences, il y a par exemple une conférence sur l’asso FDN et ça c’est valable pour les gens qui connaissent déjà un peu ; ils sont beaucoup intéressés par ça. C’est un mélange de plusieurs types de public, ce qui est assez intéressant.
Frédéric Couchet : D’accord. Tu fais aussi les images de communication de l’Ubuntu Party ? Non ?
Charlotte : Oui et ça me fait très plaisir. Effectivement, il y a tous les trucs à faire quand il y a un évènement : les affiches, les images pour les réseaux sociaux, la signalétique une fois à l’intérieur et, comme c’est mon taf, c’est bien, je suis utile là-dessus, enfin j’espère. Donc effectivement c’est un peu mon taf, mon travail attitré à l’Ubuntu Party.
Frédéric Couchet : D’accord. Merci Charlotte et à la prochaine Ubuntu Party.
Charlotte : Merci beaucoup.
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Frédéric Couchet : Maintenant nous sommes avec Tr4sK, l’un des organisateurs de l‘Ubuntu Party de 2019 à la Cité des sciences. Bonjour Tr4sK, est-ce que tu peux nous faire un petit retour sur cette édition de novembre 2019 ?
Tr4sK : Bonjour Frédéric. Ça c’est très bien passé. C’était une très bonne Ubuntu Party. On a eu des super conférences sur FDN, sur les opérateurs Internet, sur la blockchain, que j’ai bien aimées, et des ateliers sur comment se libérer des GAFAM, comment installer un bon Ad Blocker et un petit peu d’explications sur comment gérer les cookies et quoi faire avec ses cookies sur un ordinateur.
Frédéric Couchet : Donc pour ne pas être tracé, pour bloquer les pubs.
Tr4sK : Exactement.
Frédéric Couchet : Le principe de l’Ubuntu Party c’est aussi la fête d’installation, donc les gens viennent avec un ordinateur, se font installer Ubuntu ?
Tr4sK : C’est ça, on a fait, je crois, une quarantaine d’installations hier, peut-être 80, 40 je crois, donc on doit être à une centaine sur deux jours, ce qui est plutôt pas mal. C’est 100 nouveaux ubunteros cette année, pour cette édition. On en a deux par an, ça nous fait 200 ubunteros en plus par an.
Frédéric Couchet : En tout cas c’est une action qui fonctionne et encore maintenant parce que j’ai croisé quelqu’un, une dame qui demandait : « Est-ce que je peux venir avec ma tablette ? » Typiquement elle viendra soit à la prochaine Ubuntu Party soit au Premier samedi du Libre qui a lieu aussi à La Villette.
Tr4sK : Exactement.
Frédéric Couchet : Là c’est le rangement, donc content de l’édition de novembre 2019 ?
Tr4sK : Content.
Frédéric Couchet : Fatigué ?
Tr4sK : Fatigué.
Frédéric Couchet : OK. On va te laisser te reposer. À bientôt.
Tr4sK : Il faut ranger. Merci. Merci d’être venu.
Frédéric Couchet : Merci à toi.
[Virgule de transition]
Frédéric Couchet : Vous avez écouté trois courtes interviews réalisées dimanche 17 novembre 2019 à la Cité des sciences et de l’industrie dans le cadre de l’Ubuntu Party. Il y a eu pas mal de conférences et d’ateliers. On me signale que les vidéos sont en train d’être téléchargées et seront disponibles assez rapidement. L’adresse c’est « videos » avec un « s » point ubuntu tiret paris point org, videos.ubuntu-paris.org. On mettra évidemment les références sur le site de l’April et sur le site de Cause commune. Je voulais aussi préciser que Charlotte qui était interviewée, qui est bénévole dans les Ubuntu Party, anime avec Olive chaque lundi l’émission Dissonances sur Cause commune de 12 heures à 13 heures 30 ; ça parle de musique, d’histoire, de science, de politique ; ils animent aussi avec André qui parle souvent de musique. Je vous encourage à écouter sur Cause Commune FM 93.1.
On va passer au sujet suivant.
[Virgule musicale]
Chronique « Itsik Numérik » d’Emmanuel Revah sur Stallman was right
Frédéric Couchet : Nous allons poursuivre avec la chronique « Itsik Numérik » d’Emmanuel Revah. On a initié en septembre le principe de chroniques courtes, prises de position, peut-être coups de gueule et Emmanuel nous fait le plaisir d’être présent aujourd’hui en studio.
Dans cette chronique tu veux, je crois, faire un petit peu un coup de gueule sur le Libre, c’est bien ça ?
Emmanuel Revah : Ouais, un petit peu, le Libre ne va pas toujours très bien.
Frédéric Couchet : OK. On t’écoute.
Emmanuel Revah : Il existe un forum sur Reddit, ou un sous-reddit, qui s’appelle Stallman was right, en français « Stallman avait raison ». Non, je ne vais pas parler d’Epstein, tout ça. Sur ce forum, on voit passer des tas d’articles et des critiques contre les médias sociaux centralisés, Google et ces assistants virtuels que les gens installent dans leur salon afin de participer, malgré eux, à une panoptique 2.0.
L’autre jour, je suis tombé sur un post qui parlait d’une de ces télévisions modernes que les gens peuvent s’acheter de manière totalement volontaire. Quelqu’un a découvert et dénonce que sa télé intègre des publicités : son télécran affiche des pubs directement dans le menu de l’appareil ! Clairement Samsung est allé trop loin cette fois ! Trop de publicité ! La publicité ça gêne, ça distrait et ça prend de la place, en gros, c’est une nuisance visible, donc inacceptable.
Je dis ça parce que dans cette discussion toute la partie espionnage et manipulation semble être au moins secondaire.
La solution préconisée par la majorité des intervenants — et je rappelle qu’on est sur un forum qui s’appelle « Stallman avait raison » — c’est d’installer divers types de bloqueurs de pub ! Mais oui, continuez à acheter des Smart TV et ensuite achetez un autre ordinateur, genre un Raspberry Pi sur lequel il faut installer un résolveur DNS pour filtrer les noms de domaines des publicitaires. Il faudrait donc allumer un ordinateur de plus, juste parce qu’on ne peut pas installer un bloqueur de pub, comme uBlock Origin, sur les télés intelligentes ? C’est vrai, on ne peut rien installer sur ces télés ordinateurs sans la permission du fabricant.
Le truc qui me désespère vraiment, c’est quand tu arrives sur le forum et que tu dis juste : « N’achetez pas de Smart TV » et problème résolu, on te répond des trucs du genre : « Ce n’est pas possible. Presque toutes les télés modernes sont des Smart TV. » Le bon vieil argument de Margaret Thatcher : « il n’y a pas d’alternative ».
Comment ça, pas d’alternative ? Déjà, est-ce que l’achat d’un tel appareil est obligatoire ? Est-ce qu’une télé est vitale ? En plus, une télé qui vous espionne, qui utilise votre connexion internet pour télécharger la propagande consumériste, à vous encombrer le menu du réglage de la luminosité d’une machine qui veut juste la fin de nos libertés ? Excusez-moi Frédéric, il faut que j’envoie un petit texto à HADOPI : « Chère HADOPI, je me dois de vous informer que je partage ma connexion avec Samsung, Google et Facebook. Par conséquent, je gère que dalle ! »
Il y en a qui conseillent carrément d’acheter une Smart télé et après de démonter la chose pour ensuite déconnecter les modules Wifi et Bluetooth de l’intérieur. Bien sûr ! Le conseil c’est de débourser la plus grosse partie d’un SMIC dans une télé espion et de commencer la relation en lui montrant le côté sombre d’un fer à souder. Non mais sérieux ! Il ne faut pas dire ça aux gens. Il ne faut pas dire aux gens de prendre le risque de casser leur truc tout neuf, qui sent encore l’odeur de l’usine de la souffrance ! En plus, si jamais par chance ton truc tombe en panne avant la fin de la garantie, tu auras l’air fin ! Il ne te restera plus qu’à te racheter le même dans sa version dernier cri édition indémontable ou, comme on dit, Apple.
Pendant ce temps, on parle de DOH, ou DNS via HTTPS, c’est-à-dire du DNS qui passe par le web. C’est censé aider à contourner la censure et à cacher les requêtes DNS du FAI, du fournisseur d’accès à Internet. En gros, le truc qui permet à des logiciels de résoudre des noms de domaine en contournant les filtres de DNS classiques. Tu sais, le truc qu’on nous a conseillé d’installer sur un Raspberry Pi pour essayer d’éviter de recevoir la publicité en premier lieu.
On peut parier très vite qu’après une bonne mise à jour forcée du système d’exploitation de l’humanité, la télé pub va passer à ce système et le petit ordi qui tente en vain de protéger le peu d’espace privé qui nous reste va simplement ramasser de la poussière en clignotant de temps en temps.
La Smart TV contournera les filtres DNS sans problème. Si la Smart TV veut t’afficher des pubs, eh bien elle le fera, rien ne l’empêche de le faire, comme avec les DRM. En gros, on pourra vous obliger à connecter l’espion diffuseur de publicité à Internet pour qu’elle puisse fonctionner comme prévu sinon, pas de chocolat !
Toute cette histoire est une bonne métaphore pour un truc horrible qu’on entend trop, trop souvent, même chez des libristes : « Il n’y a pas d’alternative. On n’a pas d’alternative. »
Il n’y a pas d’alternative, je dois utiliser Gmail pour travailler avec les gens.
Il n’y a pas d’alternative, si je n’ai pas de smartphone, je ne pourrai pas savoir l’heure.
On n’a pas d’alternative pour sauver l’environnement, les droits des humains et toutes les autres choses que l’humanité ne mérite même plus trop … on doit absolument poster des images sur une plateforme qui censure de plus en plus ouvertement dans l’objectif est de conquérir les marchés qui se trouvent sous des régimes autoritaires et, au passage, nous habituer de plus en plus à la censure.
Il est temps pour nous d’arrêter de faire des compromis, l’invasion du capitalisme de surveillance est allée bien trop loin et depuis bien trop longtemps. On perd notre énergie avec des rustines qui ne servent, finalement, qu’à soutenir la surveillance permanente. Ces rustines sont de plus en plus complexes, de plus en plus réservées à des personnes ayant des compétences avancées et surtout du temps à perdre.
Il est temps d’arrêter les compromis. N’achetons pas de smartphone, n’achetons pas de Smart TV, arrêtons de soutenir les médias sociaux centralisés et, de manière générale, les GAFAM qui ont pour objectif de devenir les gouvernements 2,0, sinon, tous nos efforts jusqu’ici, seront compromis.
Je vais terminer juste avec une phrase que j’adore, qui est plutôt le titre d’une chanson de Gil Scott-Heron qui dit : The Revolution Will Not Be Televised, en français « La Révolution ne sera pas télévisée ».
Frédéric Couchet : Merci Emmanuel. J’ai quand même envie de te poser une petite question : tu y crois vraiment que les gens seront capables de prendre ces décisions, de faire ces choix
Emmanuel Revah : Je ne sais pas s’ils seront capables, mais c’est peut-être quelque chose qu’on doit faire si on veut rester libre, si on veut ne pas se sentir obligé d’avoir des smartphones, des Smart TV, tous ces appareils-là. À un moment donné, c’est peut-être à nous de faire ces choix qui ne sont pas toujours évidents, peut-être, mais qu’il faut faire.
Frédéric Couchet : Vu que tu es sur place on va en profiter un petit peu comme on a un petit peu de temps devant nous : tu es informaticien. Est-ce que tu te définis comme informaticien ? Peut-être ou peut-être pas d’ailleurs.
Emmanuel Revah : Je dois me définir à un moment donné parce qu’on me pose toujours des questions et je commence à me définir en tant qu’informaticien militant.
Frédéric Couchet : D’accord. Ton activité professionnelle principale aujourd’hui c’est de faire de l’informatique libre ? C’est ça ?
Emmanuel Revah : C’est ça.
Frédéric Couchet : Avec un public cible, c’est quoi ? C’est le grand public, ce sont les entreprises, ce sont les collectivités ?
Emmanuel Revah : C’est plutôt le grand public, l’associatif éventuellement et quelques entreprises un peu éthiques. Maintenant je suis en Normandie. Je travaille avec une association qui fait la promotion de l’agriculture biologique, donc je leur développe des outils, je leur installe des ordinateurs sous système libre, je leur propose des solutions de travail libres. J’essaye aussi de faire un petit peu des conférences ou des choses comme ça, de faire de la sensibilisation ; j’ai pu faire deux/trois interventions dans les médiathèques autour de Granville et un tout petit peu à Rennes.
Frédéric Couchet : D’accord. Le nom de ton activité professionnelle c’est Hoga.
Emmanuel Revah : C’est ça.
Frédéric Couchet : Hoga, le site web c’est quoi ?
Emmanuel Revah : H, o, g, a point fr
Frédéric Couchet : Point fr. J’ai l’impression que ton activité est à la fois professionnelle mais aussi militante. Je suppose que quand tu vas voir les gens ou les gens avec qui tu discutes, tu leur parles aussi de ce dont tu viens de nous parler dans cette chronique. Comment ils réagissent ? Est-ce que ces personnes te demandent s’il y a des alternatives ? Est-ce que ces personnes t’expliquent qu’en fait elles ne peuvent pas se passer de Facebook pour être en relation avec leurs amis, avec leur famille ? Comment ça se passe ?
Emmanuel Revah : Il y a deux choses. Il y a en effet d’un côté les gens qui disent qu’ils ont besoin de Facebook et ce genre de choses-là. Dans ces cas-là, ce qui est bien c’est que je vis dans un coin où je n’ai pas besoin de beaucoup d’argent, je n’habite pas à Paris, c’est fini tout ça, donc j’ai aussi la possibilité de dire aux gens « si vous voulez installer un ordinateur sous Windows avec Skype et machin et machin », eh bien je ne suis pas obligé de le faire. Ça c’est vraiment la liberté que je me suis prise, c’est d’avoir le choix de ne pas faire des choses que je ne veux pas.
Quand les gens me disent : « J’ai besoin de Facebook, j’ai besoin de ça », je leur dis : « Très bien, faites sans moi » et évidemment on me demande toujours des alternatives. Je peux parler de Framasphère et Mastodon qui peuvent remplacer une partie des fonctionnalités de Facebook. J’essaie aussi d’être honnête, de dire sur Mastodon il n’y a pas autant de personnes que sur Twitter. En revanche sur Mastodon, les gens qui sont là sont peut-être plus ouverts à des propositions éthiques et originales, etc., ce n’est pas une plateforme commerciale. Donc on lâche quelque chose et on gagne autre chose.
Frédéric Couchet : D’accord. On va préciser que Mastodon est un réseau décentralisé de microblogage, des messages courts même s’ils sont plus longs que sur Twitter. Ça fait écho : j’étais récemment à un forum sur les médias associatifs, médias indépendants et associatifs, qui parlaient un peu de leur dépendance à Facebook, aux outils Google, etc., et une des personnes intervenantes, je ne sais plus du tout de quel média elle était, a cité Mastodon et justement peut-être le besoin d’être aussi présent sur Mastodon pour voir comment ça fonctionne, pour s’approprier l’outil, en plus d’être présent sur Twitter. Il y a un écho dans ces milieux-là et avec des outils qui sont développés de plus en plus. Il y a Mastodon, il y a Framasphère.
Emmanuel Revah : C’est Diaspora.
Frédéric Couchet : C’est ça, c’est Diaspora donc un outil de réseau social, on va dire, en Libre. Et puis Framasoft développe d’outils. Par exemple, sur les vidéos, il y a aussi PeerTube. Quand je parlais tout à l’heure, juste avant, de l’Ubuntu Party, les vidéos qui sont tournées sur l’Ubuntu Party sont téléchargés sur une instance PeerTube. Une instance PeerTube c’est un réseau décentralisé de vidéos, évidemment pour offrir une alternative décentralisée, loyale à YouTube.
Donc toi, dans le cadre de tes demandes, est-ce que tu as des gens qui te demandent vraiment de leur installer par exemple un PeerTube ou de les former à ça, de leur expliquer ?
Emmanuel Revah : La demande pour des instances de PeerTube, il n’y en a pas encore trop, mais j’en parle puisque je fréquente un peu, il y a quelques artistes dans le coin où j’habite, j’essaye de les amener vers ces choses-là. J’ai quand même installé une instance Mastodon et PeerTube et mon instance Mastodon est sur invitation. L’idée c’est d’avoir des gens du coin, parce que sur Mastodon on a une vision globale du réseau fédéré, mais on peut aussi avoir une vision locale.
Frédéric Couchet : Tout à fait
Emmanuel Revah : Ça peut être intéressant pour lier la vie locale.
Frédéric Couchet : Ça permet de lier la vie locale, mais ça permet aussi de lier des vies par rapport à leurs centres d’intérêt donc de ne pas être soumis à la censure d’une seule entreprise qui est, en l’occurrence, Twitter.
Dernière question parce qu’après on va faire la pause musicale, je crois que tu fais aussi ou tu as commencé à faire des conférences gesticulées.
Emmanuel Revah : Oui.
Frédéric Couchet : Est-ce que tu peux nous en dire deux mots ? Quel est l’objectif de ces conférences gesticulées ?
Emmanuel Revah : L’objectif c’est justement de sensibiliser le grand public aux différents problématiques, notamment le truc un petit peu fait tourner ça s’appelle Le prix du gratuit. Au début j’ai développé cette conférence pour une association à Rennes. Ça a pour objectif de rendre plus transparent ce qui se passe derrière les géants du Web. On parle toujours de Facebook, Google et Apple, Amazon, machin, les GAFAM, mais en fait ça c’est la partie visible de l’iceberg et derrière il y a toutes les entreprises dont le grand public ne connaît pas le nom. L’idée c’est vraiment de lui montrer ça et de montrer comment on fait pour gagner des élections aux États-Unis ou en Angleterre, etc. Le côté caché de tout ça, ça touche un plus les gens ; c’est vraiment ça l’objectif.
Frédéric Couchet : D’accord. On va rappeler qu’une conférence gesticulée ça mélange des savoirs chauds et des savoirs froids. Si des gens veulent t’inviter à faire une conférence, ils peuvent te contacter.
Emmanuel Revah : Tout à fait.
Frédéric Couchet : Sur Hoga.fr
Emmanuel Revah : C’est ça. Exactement. Merci
Frédéric Couchet : OK. Merci Emmanuel. C’était la chronique « Itsik Numérik » d’Emmanuel Revah ; son site hoga.fr, hoga avec un « h », h, o, g, a.
On va faire une pause musicale.
[Virgule musicale]
Frédéric Couchet : Nous allons écouter Hill par Hungry Lucy. On se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause Commune.
Pause musicale : Hill par Hungry Lucy.
Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Hill par Hungry Lucy, disponible sous licence libre Creative Commons Partage dans les mêmes conditions. Vous retrouverez les informations sur le site de l’April, april.org, et sur le site de la radio Cause Commune, causecommune.fm.
Vous écoutez toujours l’émission Libre à vous ! sur radio Cause commune 93.1 en Île-de-France et partout ailleurs sur le site causecommune.fm.
Nous allons passer maintenant au sujet principal de l’émission.
[Virgule musicale]
Interview de Catherine Dufour auteure du livre Ada ou la beauté des nombres
Frédéric Couchet : Nous allons poursuivre avec notre sujet principal qui va porter sur le livre intitulé Ada ou la beauté des nombres écrit par Catherine Dufour qui vient d’être publié chez Fayard.
L’interview a été enregistrée il y a quelques jours et elle initie une nouvelle chronique on va dire ou un nouveau temps dans l’émission Libre à vous ! qui s’appelle « Livre à vous ». Le principe : on invite une personne ayant écrit un livre en lien avec nos sujets pour une interview dans l’émission et on lui propose une rencontre débat dédicace à la librairie de Magali Garnero, A Livr’Ouvert, qui se trouve dans le 11e arrondissement de Paris ; Le site c’est alivreouvert.fr.
Aujourd’hui on va vous diffuser l’interview de Catherine Dufour et le 11 janvier 2020, de 16 heures à 18 heures 30 je crois, vous aurez la journée ou plutôt l’après-midi rencontre-dédicace avec Catherine Dufour.
On écoute l’interview de Catherine Dufour et on se retrouve juste après.
[Virgule de transition]
Magali Garnero : Nous avons le plaisir d’avoir avec nous Catherine Dufour qui vient de publier chez Fayard un livre intitulé Ada ou la beauté des nombres, 245 pages pour 18 euros
Catherine Dufour : Bonjour.
Magali Garnero : Notre échange sera l’occasion de découvrir et d’en savoir plus sur Ada Lovelace, son véritable nom, que j’ai découvert, c’est Augusta Ada King, comtesse de Lovelace, je ne le savais pas avant. Elle est très connue parce qu’elle a réalisé le premier véritable programme informatique, à l’époque où les ordinateurs n’existaient pas encore, donc c’est quand même assez spécial. Je suis Magali Garnero alias Bookynette, administratrice de l’April et libraire dans la librairie A livr’Ouvert. Bonjour Catherine.
Catherine Dufour : Bonjour.
Magali Garnero : Nous te recevons parce que tu as publié un livre, mais, en tant que libraire, je te connaissais déjà pour plein d’autres livres. Avant de rentrer dans Ada Lovelace, est-ce que tu pourrais nous dire deux mots, parce que tu as reçu des prix pour des livres de science-fiction. Je ne t’attendais pas du tout en science-fiction parce que là tu nous fais une biographie sur une femme qui est précurseur de l’informatique.
Catherine Dufour : Oui. J’ai commencé par publier de la fantaisie drôlatique librement inspirée de Terry Pratchett et de Douglas Adam, Le Guide du voyageur galactique, Monty Python, tout ça. Blanche Neige et les Lance-missiles c’était mon premier livre publié en 2001 qui a d’ailleurs eu le prix Merlin, ça ne marchait pas mal. Ensuite, j’ai croisé aux Utopiales un homme venimeux qui m’a dit : « C’est bien tes petits bouquins de fantastique, quand est-ce que tu nous fais un vrai livre ? » J’étais très vexée, j’ai décidé de faire un livre de science-fiction super sérieux, super sordide, Le Goût de l’immortalité et effectivement ça a beaucoup plu aux hommes et, du coup, il a eu plein de prix, le Rosny aîné, le grand prix de l’Imaginaire, le prix du Lundi, le prix Bob-Morane, etc. Ça c’était en 2006. Donc j’ai fait comme ça quelques livres de science-fiction et, au début des années 2010, mon fils qui avait alors dix ans m’a dit : « Maman, Napoléon c’est avant ou après Charlemagne ? » J’ai fait comme la poule, j’ai fait « cot », parce que j’étais horrifiée et j’ai pondu un livre que j’ai d’ailleurs écrit avec mon fils qui s’appelle L’Histoire de France pour ceux qui n’aiment pas ça. Comme c’était plutôt de la littérature générale et pas de la littérature de genre, je l’ai envoyé par la poste chez Fayard qui a dit : « Super, on vous publie » et depuis je suis chez Fayard où je viens de sortir une biographie d’Ada Lovelace. Je suis aussi chez l’Atalante où j’ai sorti Entends la nuit qui est du fantastique urbain et Danse avec les lutins qui est de la fantasy fantaisie politique.
Magali Garnero : J’ai aussi cru voir que tu avais fait une petite nouvelle chez La Volte. Non ?
Catherine Dufour : Oui, je suis aussi une nouvelliste et l’année prochaine je vais sortir un recueil de nouvelles, essentiellement de la science-fiction, chez Le Bélial.
Magali Garnero : C’est vraiment assez surprenant comme parcours d’auteur, de passer justement de la science-fiction à des romans sur l’histoire et maintenant Ada Lovelace, Ada Lovelace qui nous intéresse particulièrement puisque, dans le monde de l’informatique, il y a un langage qui s’appelle le langage Ada.
Catherine Dufour : Tout à fait.
Magali Garnero : Avant de rentrer plus dans les détails, est-ce que tu pourrais nous parler de Ada Lovelace, de ses parents – j’étais extrêmement étonnée de savoir que je connaissais son père – et ensuite nous parler un peu de son enfance ? Déjà le papa.
Catherine Dufour : Ada Lovelace, Ada King, comtesse Lovelace, est née Byron. On le connaît moins maintenant mais lord Byron est né en 1788 et c’était vraiment la rock-star de l’époque. À 25 ans il a écrit un poème un peu plaintif qui s’appelle Childe Harold’s Pilgrimage et ça l’a rendu célébrissime du jour au lendemain. Vous imaginez un homme de 25 ans, il est beau, il est riche, il est célèbre, il est talentueux. C’était aussi un serial fucker, il couchait absolument partout, avec absolument tout et n’importe quoi, avec des femmes, avec des hommes, avec sa sœur aussi et, dans l’Angleterre qui commençait à devenir puritaine, Victoria n’était pas loin, c’était un scandale croissant. Le scandale à l’époque, le can’t, c’est-à-dire le Twitter de l’époque – can’t est un terme anglais qui veut dire « non, tu ne peux pas faire ça » – le can’t anglais commençait à s’intéresser de près aux mœurs de lord Byron et c’était comme sur Twitter : vous pouviez vous prendre une shitstorm sauf qu’à l’époque, quand vous étiez par exemple soupçonné d’homosexualité, la foule se jetait sur vous, vous barbouillait de purin et vous clouait au pilori ; vous risquiez vraiment d’être lynché.
Pour allumer un contre-feu, Byron a fait comme Michael Jackson, il s’est marié avec une jeune femme de bon lieu. Il a choisi cette jeune femme parmi les riches héritières, elle s’appelait Annabella Milbanke, elle était très sérieuse, très pieuse et très mathématicienne, il la surnommait « la princesse des parallélogrammes ». Ils se sont mariés, lui l’a épousée un peu contraint et forcé – il était à l’époque fou amoureux de sa demi-sœur et de quelques enfants de chœur. Le mariage n’a pas fonctionné une seule seconde, Byron était absolument odieux, en plus il était ruiné, il avait les huissiers aux fesses, du coup il prenait de l’opium et il buvait comme un tas de sable, ça le rendait irritable, bref ! Au bout d’un an Annabella Byron a accouché d’une petite fille qu’elle a prénommé Augusta Ada, elle a sauté sur sa valise, elle est rentrée chez ses parents et Ada n’a donc jamais vu son père qui a quitté l’Angleterre très peu de temps après et qui n’est jamais revenu en Angleterre, il est allé mourir en Grèce à Missolonghi. Il est devenu une figure extrêmement célèbre de poète maudit, c’est l’un des poètes les plus célèbres de l’Angleterre sachant que l’Angleterre a très rapidement jeté un voile pudique sur ses exploits sexuels pour ne garder que la beauté de sa poésie.
Ada a grandi comme ça avec une mère célibataire un peu traumatisée par le traitement qu’elle avait subi. Elle a reporté, malheureusement, ce traumatisme sur sa fille. De toute façon, à l’époque, être un enfant était sordide. Au début du 19e siècle c’était ce qu’on appelait la pédagogie noire, vous la retrouverez dans Les Malheurs de Sophie. Globalement on estimait que la douceur et la tendresse ce n’était pas bon pour les enfants et on estimait aussi que l’eau ce n’était pas bon, ni à boire ni pour se laver. On estimait aussi que, pour les enfants, il ne fallait pas de soleil, il ne fallait pas d’activité physique, il ne fallait pas de légumes, il ne fallait pas de fruits, donc les gamins étaient carencés, ils arrivaient à l’âge adulte dans un état de santé déplorable. La seule chance d’Ada c’est que sa mère était quand même une vraie lettrée et, du coup, elle a offert à sa fille une éducation assez poussée en tout, surtout en science et surtout pas en poésie.
Magali Garnero : C’est étonnant !
Catherine Dufour : Pas étonnant ! Non. Donc Ada Lovelace est arrivée à 17 ans avec des problèmes de santé qui ne l’ont absolument jamais quittée, dus à son éducation épouvantable et dus au fait qu’il n’y avait pas de vaccins, donc elle a attrapé la rougeole à 13 ans ; ça l’a mise deux ans sur le flanc ; elle a chopé une des conséquences de la rougeole qui est l’encéphalopathie, bref ! elle n’a jamais eu la santé. Elle est arrivée à 17 ans et on a fait comme pour toute jeune fille de bonne famille, on l’a emmenée à la cour pour qu’elle se trouve un mari, en gros c’est ce qu’on appelait la saison mondaine : on entrait dans le monde à 17 ans et puis on vous promenait de bal en bal jusqu’à ce que vous trouviez un mari.
Elle a trouvé effectivement lord King qu’elle a épousé et elle lui a fait les trois enfants réglementaires, notamment les deux fils, ce qu’on appelait l’héritier et la pièce de rechange. Comme elle s’ennuyait terriblement dans cette vie de potiche, elle a décidé de se désennuyer en faisant des sciences parce qu’il n’était pas question qu’elle fasse de la poésie. Elle a écrit à un ami de sa mère, le docteur King, rien à voir avec son mari, qui lui a dit : « Oui, vous avez raison, faites des mathématiques, c’est excellent pour lutter contre les pulsions sexuelles qui mènent au crime, à la débauche et à la misère ». Donc elle a fait des mathématiques et elle a réussi, pas toute seule dans son coin, aidée quand même par quelques professeurs à distance, même si elle travaillait toute seule sur ses livres de maths, par se hisser à un niveau suffisant pour comprendre l’invention d’un petit génie nommé Babbage.
Magali Garnero : Avant de parler de Babbage puisque c’est surtout ça qui va nous intéresser, elle a beaucoup voyagé avec sa mère. Tu dis qu’elle a fait des voyages, elle est partie en Europe, sa santé s’est améliorée, peut-être justement parce qu’il y avait moins de saignées, moins de diètes alimentaires et ainsi de suite donc tout de suite le corps respire et effectivement, c’est avec les voyages avec sa mère, donc avant son mariage, qu’elle rencontre des mathématiciens comme Somerville, Mary Fairfax Somerville et là j’étais contente, c’était une femme, et puis Morgan qui va devenir un de ses professeurs et effectivement Charles Babbage. Est-ce qu’on pourrait déjà parler un peu de qui est Somerville, qui est cette Mary Fairfax Somerville ?
Catherine Dufour : En fait, je ne pense qu’elle l’ait rencontrée parce qu’elle a voyagé entre dix et douze ans en Europe. Effectivement sa santé s’est améliorée. Je suppose que c’est tout simplement parce qu’on l’a sortie et elle a dû s’alimenter à peu près correctement. C’était une petite fille très curieuse, elle s’intéressait par exemple au vol. Elle disséquait aux oiseaux morts, elle a écrit un traité de « Flyologie », elle rêvait d’avions à vapeur. Elle était, en ça, beaucoup dans son époque qui était une époque de découvertes scientifiques assez ébouriffantes. Toutes les disciplines étaient mélangées, on ne faisait pas vraiment la différence entre le fait de faire tourner des tables et le fait de faire des recherches en sciences physiques ; c’était une époque assez exaltante pour tous les petits génies et les petits inventeurs en herbe.
Ensuite, dans le milieu de sa mère, sa mère appartenait au monde, elle se piquait quand même un peu de science, d’intellect, en gros les intellos de l’époque, donc dans le milieu de sa mère elle a effectivement rencontré les amis de sa mère et parmi eux un certain nombre d’hommes de science et de femmes de science. La plus connue c’est effectivement Mary Somerville. On va dire, en gros, au niveau générationnel que ce n’est pas du tout la génération d’Ada, c’est plutôt celle de sa mère, même de la grande sœur de sa mère parce qu’elle est née au début des années 1780.
Mary Somerville n’a jamais eu de chance parce qu’elle est venue monde avec un père qui n’était pas souvent là et la famille était très pauvre ; ça ne la gênait pas elle gambadait dans les champs. Son père est rentré, il a trouvé que c’était vraiment une petite sauvageonne, donc il lui a interdit de gambader, il l’a envoyée dans une espèce d’abominable couvent, école pour filles qui était une véritable école de torture, on vous enfermait dans ces corsets pour que vous vous teniez droite et on vous obligeait à apprendre le dictionnaire par cœur. Du coup elle a arrêté de gambader, elle s’est mise aux livres puisqu’on le voulait. Elle a adoré les livres. Son père a encore râlé en disant que ceci était unladylike, pas digne d’une lady.
Magali Garnero : C’est un mot que j’ai découvert, unladylike.
Catherine Dufour : Tout ce qu’aimait Mary Somerville, Mary Fairfax à l’époque, était unladylike et elle trouvait ça bien injuste. On lui confisquait ses livres ; ce n’est pas grave, elle révisait son Euclide de mémoire, la nuit ; alors on lui confisquait ses chandelles, elle révisait son Euclide de mémoire dans le noir. Bref ! Elle a bien du mérite, elle était absolument surdouée, elle écoutait à la porte les leçons que prenaient ses frères. Elle s’est débrouillée pour devenir ce qu’on appelait une polymathe, c’est-à-dire un puits de science, l’équivalent des humanistes du 16e siècle, quelqu’un qui s’y connaît vraiment bien en pas mal de disciplines. Et puis elle a épousé monsieur Samuel Greig, enfin bref ! Elle a épousé son premier mari qui n’aimait pas les bas-bleus, c’était manque de chance ! Heureusement il est mort assez rapidement et elle a pu se remarier avec un Somerville qui lui était très favorable aux bas-bleus et qui emmenait sa femme visiter tous les scientifiques d’Europe : le très célèbre Laplace, le très célèbre Poisson. Elle s’est très bien entendue avec eux, elle a commencé à publier des livres scientifiques qui ont eu un réel succès et d’ailleurs comme son mari, je ne sais pas comment il s’est débrouillé, il s’est ruiné – à cette époque les hommes avaient une nette tendance à se ruiner facilement – c’était elle qui entretenait la famille grâce à ses œuvres, grâce à ses écrits, et elle a fait partie des professeurs qui ont appris à Ada à accéder à un niveau mathématique suffisant.
Magali Garnero : En fait, elle a eu l’intelligence de se mettre dans le moule qu’on attendait des femmes tout en pouvant étudier et partager ses connaissances scientifiques. C’est un bel exemple finalement pour Ada.
Catherine Dufour : C’est un bel exemple. C’est un exemple triste, dès que quelqu’un entrait dans la pièce Mary Somerville cachait ses livres et ses feuilles sous un oreiller, sous un coussin, et ce n’était pas pour rien. Si vous faisiez des choses unladylike vous étiez jetée à la porte du monde c’est-à-dire avec rien, globalement avec des compétences en révérence et l’interdiction de travailler ; il n’y avait aucune carrière ouverte aux femmes, donc il ne s’agissait pas de rire avec ça, ce n’était pas uniquement par pudeur, c’était tout simplement pour conserver des moyens de vivre en ce monde. Sous des dehors un petit peu souriants, ces histoires de ladylikeness et unladylikeness étaient très cruelles et une des maîtresses de Byron, Claire Clairmont qui a eu un comportement unladylike puisqu’elle a couché avec Byron sans être marié avec lui, elle a même eu un enfant, elle a été jetée sur le pavé avec des compétences en révérence et elle s’est retrouvée vraiment à crever de faim.
Magali Garnero : Tu parles d’une autre personne qui a été jetée du monde et qui trouve que c’était une grande liberté mais qui n’a pas due être facile à vivre tous les jours j’imagine.
Catherine Dufour : Oui, Harriet Martineau, même époque que Mary Somerville et elle, sa famille a fait faillite. Là, quand votre famille faisait faillite vous étiez jetée du monde et elle a dit : « Mais c’est génial ça m’a donné la liberté ». Yourcenar aussi a fait faillite au moment de la crise de 29 et elle a dit : « Ce crack aux trois quarts complet m’a rendue à moi-même ». Il y a une certaine prison dans le fait d’avoir de l’argent en échange d’être obligée de vivre dans un milieu qui exige de vous en permanence une représentation, recevoir, faire des visites. Mary Somerville était assez snob ; Ada aussi, c’était des femmes qui tenaient à leur façade sociale et ma foi, pourquoi pas !
Magali Garnero : Pourquoi pas si c’est un choix.
Dans les autres personnes qui ont croisé la route de Ada, on parle de Charles Babbage. Il va apparaître plusieurs fois dans sa vie, il va apparaître quand elle est avec sa mère, qu’elle le rencontre et qu’il lui présente son moteur à différence. C’est quoi un moteur à différence ?
Catherine Dufour : Charles Babbage, plutôt génération de Anabella et Byron, donc plutôt génération avant celle d’Ada, lui c’est un mathématicien tout à fait génial, un touche-à-tout de génie : il faisait des découvertes fabuleuses et hop ! il changeait de domaine. Il était agacé parce qu’à chaque fois qu’il voulait travailler en mathématiques il tombait sur des fautes de calcul, parce qu’à l’époque il n’y avait pas de calculette, donc il fallait tout faire de mémoire, il fallait tout faire à la main ou il fallait utiliser des tables et les tables étaient pleines d’erreurs parce qu’elles étaient calculées à la main. Donc un jour il s’est dit « pourquoi on ne peut pas calculer ces tables à la vapeur, c’est-à-dire sans erreur ? » Un de ses copains lui a dit : « C’est parfaitement faisable » et, à ce moment-là, Babbage est tombé dans la marmite du calculateur, il a décidé d’inventer un gigantesque calculateur qu’on appelait un moteur à différence. C’était un engine, alors je ne sais pas, on peut appeler ça « engin » ou « moteur » et malgré son nom, en fait, cette machine ne faisait que des additions, mais ça permettait de résoudre à peu près tous les calculs qu’on avait besoin de faire avec, comme but ultime, d’obtenir des belles tables de logarithmes, de multiplications, des tables de tir, des tables d’assurance, dénuées de toute erreur humaine.
Babbage avait besoin de sous pour construire sa machine. À l’époque, quand on avait besoin de sous, qu’est-ce qu’on faisait ? On organisait des belles fêtes – il avait une belle maison à Londres – et on invitait des gens de la haute en espérant qu’ils mettraient la main au porte-monnaie ; c’était une forme de mécénat. Dans ces grandes fêtes où il invitait le tout Londres — il y avait parfois jusqu’à 300 personnes à ces soirées où, il faut le dire, les gens venaient pour goûter à ses sorbets qui, paraît-il, étaient excellents et enduraient probablement avec patience la démonstration du prototype de moteur à différence que montrait Babbage — il est tombé une fois sur une petite jeune fille de 17 ans qui a compris ce qu’il voulait faire, qui a trouvé cette machine absolument merveilleuse et qui lui a emprunté des plans. C’était effectivement Ada qui à l’époque s’appelait encore Ada Byron. Puis Ada est allée se marier, elle est allée faire ses enfants, puis elle a étudié les mathématiques et, à l’âge de 25 ans, elle a estimé qu’elle en savait suffisamment et elle a décidé de se lancer dans une carrière scientifique.
À l’époque, quand on voulait se lancer dans une carrière scientifique, la première chose à faire, Babbage l’avait fait, Morgan l’avait fait, Mary Somerville l’avait fait, c’était de traduire des articles scientifiques. Les scientifiques publiaient dans tous les pays, globalement la langue véhiculaire scientifique c’était le français mais tout le monde ne publiait pas forcément en français, donc c’était de bon goût de traduire l’article de quelqu’un d’autre dans une langue ou dans une autre, Ada parlait très couramment au moins l’allemand et le français, donc on commençait par ça. Babbage était allé donner une conférence sur son moteur en Italie et il y avait un ingénieur italien, Menabrea, qui a écouté la conférence ; il a trouvé la conférence très intéressante et il a fait un article sur le moteur à différence en français.
Babbage a dit à Ada : « Si vous voulez commencer, commencez par là, vous me traduisez cet article en anglais ». Elle l’a fait, elle l’a rendu à Babbage. Il lui a dit : « Vous n’avez pas mis une seule note alors que vous connaissez très bien mon moteur ? » Là Ada a dit : « Mais bien sûr ! », et elle a rendu un article qui faisait trois fois le volume de l’article initial avec ses notes dedans, qui est paru dans une revue anglaise prestigieuse et c’est ce qui nous reste comme trace du travail scientifique d’Ada. C’est vraiment l’acmé de sa carrière puisqu’après elle est morte très vite, c’est l’acmé de sa carrière, c’est ce fameux Sketch of The Analytical Engine, d’ailleurs ce n’était pas sur le moteur à différence c’était sur le moteur suivant. Parce qu’une fois qu’il a eu l’idée de son moteur à différence, Babbage s’est dit « la différence ça fait quand même vraiment trop 1830 », on était en 1834, « maintenant on va plutôt faire un moteur analytique ». Un moteur analytique est un moteur qui était censé résoudre absolument toutes les équations et je propose qu’on parle de ce merveilleux moteur analytique après la pause musicale
Magali Garnero : Exactement, Nous allons écouter Yesterday par Kellee Maize qui est disponible sous licence libre Creative Commons BY SA.
Pause musicale : Yesterday par Kellee Maize.
Voix off : Cause Commune 93.1
Magali Garnero : Toujours sur Cause Commune. Nous venons d’écouter Yesterday par Kellee Maize. Vous retrouverez les références sur le site de l’April, april.org, et sur le site de la radio, causecommune.fm.
Vous écoutez toujours l’émission Libre à vous ! sur radio Cause Commune 93.1 en Île-de-France et partout ailleurs sur le site causecommune.fm.
Donc tu parlais du moteur analytique, du calculateur analytique ?
Catherine Dufour : Voilà. Après avoir fait son moteur à différence, Babbage a décidé de faire un moteur analytique qui, lui, ne se contenterait pas de faire des additions, des soustractions, etc., mais pourrait résoudre toutes les équations.
Magali Garnero : Génial !
Catherine Dufour : C’est génial ! Grosse failure, il n’a jamais réussi à le construire d’abord parce que la machine devait faire 25 000 pièces, ce qui n’est pas rien à usiner. Ensuite, comme c’était un savant fou, il n’arrêtait pas de modifier ses plans, autant dire que le pauvre ingénieur qui devait usiner ces pièces avait vraiment les cheveux qui fumaient et enfin parce que Babbage avait une vraie caractéristique, une vraie qualité, des compétences pour se brouiller avec tout le monde et notamment avec les gens dont il avait besoin. Donc il va se brouiller avec son ingénieur, il va se brouiller avec le gouvernement qui, quand même, finançait son moteur. Le gouvernement lui a d’abord donné 1700 livres ce qui était quand même une somme colossale, à l’époque un manœuvre gagnait 25 livres par an et, en 20 ans, Babbage va obtenir dix fois plus, c’était à peu près le prix de deux navires de guerre et le chef du gouvernement, au bout de ces 20 ans, a dit : « Nous n’avons obtenu pour nos 17 000 livres que les récriminations de monsieur Babbage ». Babbage râlait tout le temps, c’était vraiment l’œuvre de sa vie. Donc il n’arrivera jamais à construire ses moteurs à différence et il mourra plein d’aigreur après avoir mené des campagnes offensives contre les enfants qui jouent au cerceau dans la rue ou les joueurs d’orgue de Barbarie. C’est quelqu’un qui va malheureusement se confire dans le vinaigre.
Magali Garnero : Il n’aimait pas le bruit sonore. D’ailleurs, avec Ada, ils ont du mal à publier l’article qu’elle a écrit sur son moteur.
Catherine Dufour : Oui. Lui voulait publier cet article pour se faire mousser et avec un message de récriminations contre le gouvernement, bien sûr. Quant à Ada, elle, elle voulait publier cet article pour rentrer enfin dans la carrière scientifique ; il était hors de question qu’elle publie les récriminations de Babbage, donc ils se sont disputés. Ce n’est pas étonnant parce qu’ils avaient tous les deux un caractère assez abominable, mais Ada a eu l’intelligence de protester, de râler et de s’imposer, ce qui est très important parce que sinon Babbage se serait, avec une grande aisance, attribué son travail et elle a résisté. Là j’insiste beaucoup, auprès des femmes qui m’écoutent, de l’importance d’avoir un mauvais caractère pour lutter contre l’appropriation.
Magali Garnero : En tout de ne pas se laisser faire pour ne pas se faire voler son travail. Finalement l’article est paru et là c’est la reconnaissance.
Catherine Dufour : En fait, elle a effectivement une reconnaissance dans le milieu scientifique, tout à fait, je crois que c’est Faraday qui dit d’elle que c’est une étoile montante de la science. Il faut savoir que ces notes-là seront relues un siècle plus tard quand Aiken mettra au point un des premiers ordinateurs parce que, dans le monde scientifique, quand un scientifique se lance dans quelque chose, il a en général l’intelligence d’aller voir ce qui s’est fait avant sur le sujet. Donc c’est très important d’appartenir, pour un scientifique, à la culture scientifique.
À la suite de cet article qui a eu un petit retentissement dans un petit milieu à l’époque, ce qui n’était pas rien, mais ça n’a pas été un raz-de-marée, la gloire et la célébrité pour Ada, Ada va continuer à travailler, à rédiger des notes pour des articles scientifiques, mais de façon vraiment congrue parce qu’elle aurait bien besoin d’avoir des partenaires, elle aurait besoin d’avoir accès à l’université, accès à des collègues, accès à des laboratoires, accès à de la documentation, même aller à la British Library – la Royal British Library était interdite aux femmes. Or, vous ne pouvez pas être scientifique tout seul dans votre coin, on avance toujours juché sur les épaules de ses prédécesseurs dans le domaine de la découverte scientifique.
Donc la carrière d’Ada, scientifique en tout cas, va vraiment patiner d’autant plus que son mari, riche d’un héritage, va avoir l’idée étrange de se prendre pour un architecte Tudor et il va aller à la campagne se faire construire un, puis des châteaux Tudor très beaux, très inconfortables et Ada sera obligée de suivre. En plus, elle suivra avec ses trois enfants, et ses trois enfants à l’époque, là on est en 1845, l’article a été publié en 1843, commencent à passer les dix ans et à devenir des adolescents, donc il faut s’en occuper de près parce qu’ils ne sont pas forcément très commodes.
Par là-dessus, sa réputation scientifique lui a permis d’avoir accès à un Andrew Crosse qui est un scientifique, qui fait des recherches notamment sur l’électrisation musculaire, donc elle va aller chez lui pour électriser des grenouilles, parce qu’elle a l’intention d’étudier les mécanismes cérébraux qui président aux découvertes et elle a dans l’idée qu’il y a un lien entre les muscles et l’activité cérébrale. Elle a vraiment des intuitions intéressantes, mais elle ne va pas pouvoir les mener à bien pour les raisons que je vous ai dites. Chez ce monsieur Crosse elle va rencontrer le fils de la famille.
Magali Garnero : Le fameux John.
Catherine Dufour : Voilà, et ça va être un petit peu l’homme de sa vie en ce sens qu’elle ne s’entend pas très bien avec son mari et qu’elle n’a pas eu beaucoup d’hommes dans sa vie, elle a eu au moins celui-là. La liaison, d’ailleurs, ne durera pas forcément, ça va durer peut-être deux ans avant que lui se trouve une épouse à son goût.
Ensuite elle va découvrir les jeux de course parce que son mari a posé son château à East Horsley et East Horsley est à côté d’Epsom, donc Ada va découvrir les joies de la course et elle va tomber dans le jeu. Elle va essayer de faire des sous en jouant aux courses, tout simplement parce qu’elle touche un peu d’argent de poche, sa mère est très riche, son mari est très riche et elle a droit à vraiment de l’argent de poche.
Magali Garnero : Pas grand-chose, tu dis 300 livres, par rapport à ce que les autres ont c’est ridicule.
Catherine Dufour : 300 livres c’est énorme à l’époque mais sa mère en touche 7000 et son mari, en l’épousant, s’est mis 40 000 livres de dot dans la poche et ne veut pas lui reverser un centime.
Ça l’agace d’être pauvre au milieu des riches et elle décide de jouer aux courses. Elle va essayer d’appliquer ses compétences en mathématiques aux jeux de course ; c’est un échec cruel, c’est toujours un échec cruel ce genre de choses quand on essaye de mettre les chevaux en équation. Finalement, à sa mort, sa mère va régler toutes ses dettes de jeu, 8000 livres quand même, c’est une vraie fortune. Finalement Ada a réussi à extorquer à sa radine famille la fortune qu’elle estimait mériter, de façon posthume, mais elle y est quand même arrivée !
Magali Garnero : Petite vengeance !
Pour revenir sur Ada, donc sur la traduction qu’elle a faite, traduction de l’article que l’Italien avait fait en français, elle le fait en anglais et puis ce sont surtout les notes, les fameuses notes qu’elle a écrites qui vont lui donner cette reconnaissance quelques années après. Il y a aussi autre chose que j’ai retenu dans ces notes, c’est qu’elle encourage les gens à faire des expériences chacun de son côté et à partager les résultats, comme si elle encourageait le travail collaboratif.
Catherine Dufour : Ce n’est pas dans les notes de Sketch of the Analytical Engine qu’elle a fait cette remarque-là, mais effectivement elle a écrit un certain nombre de notes dans des articles scientifiques, notamment d’ailleurs rédigés par son mari qui devait être un peu jaloux de ce qu’avait fait sa femme.
Magali Garnero : Il n’a pas hésité à s’attribuer son travail par contre !
Catherine Dufour : Elle n’avait pas le droit de signer de son nom puisque c’était unladylike, elle signait AAL, Augusta Ada Lovelace. Elle a effectivement eu des intuitions assez géniales. D’abord, effectivement, que chacun mène des expériences de son côté et après mette le travail en commun, voilà une espèce de réseau collaboratif scientifique. Pour les observations elle a aussi eu l’idée d’utiliser la photographie qui était quand même une technologie toute neuve.
Magali Garnero : Toute récente.
Catherine Dufour : Voilà. Elle avait quelques bonnes idées, comme ça, mais ses meilleures idées, effectivement, elle les a exprimées dans les notes de l’article de Menabrea sur la machine de Babbage, donc de la note A à la note G, les deux les plus célèbres ce sont la note A et la note G. Dans la première, la note A, elle exprime une question qui est que l’engin analytique manie effectivement des chiffres, mais s’il ne maniait pas que des chiffres, s’il maniait aussi des symboles et pour tout dire, s’il maniait des données ? Autant Babbage était rivé sur la volonté d’obtenir des tables de logarithmes sans erreur, autant Ada a fait le saut conceptuel que n’a pas fait Babbage : elle a imaginé une machine maniant des données, des mots, des langages, des musiques. Donc là elle avait vraiment cent ans d’avance et elle a eu l’intuition de l’informatique.
Dans la note G, elle a mis son intuition au propre. Elle a pris à bras-le-corps un problème mathématique que je vais pas expliquer maintenant parce qu’on n’y comprendrait rien. Ça s’appelle les chiffres de…
Magali Garnero : De Bernoulli.
Catherine Dufour : Les nombres de Bernoulli. Elle a rédigé la suite d’instructions qu’il faudrait donner à la machine analytique pour obtenir le résultat et, ce-faisant, elle a écrit le premier programme au monde. Sachant qu’à l’époque ils appelaient ça des diagrammes. Babbage avait déjà rédigé des diagrammes pour ses différentes machines, il avait lui-même repiqué cette idée de carte perforée aux machines à tisser Jacquard et le calculateur c’était déjà une idée de Pascal et de Leibnitz. Mais souvent c’est ça, une invention c’est quand même le mix de plusieurs cerveaux sur plusieurs années voire plusieurs siècles et puis ça finit par arriver à maturité.
Dans la note G, Ada a inventé la première boucle itérative de données et c’est en ça qu’elle a été précurseure.
Grace Hopper est celle qui a programmé le premier ordinateur. Un des premiers c’est le Mark 1, c’est Aiken, il en a eu l’idée en 1937 en voyant un prototype de la machine de Babbage et en lisant les notes d‘Ada Lovelace. Une fois la machine fabriquée, il faut la programmer, la première programmeuse de ce Mark 1 c’est Grace Hopper, et elle a dit, elle connaissait comme Aiken les notes de Ada Lovelace : « C’est Ada Lovelace qui a écrit la première boucle, je ne l’oublierai pas, aucun informaticien ne l’oubliera jamais ». Et comme ces deux-là travaillaient pendant la guerre pour l’US Navy, en 1978, quand le Department of Justice américain a décidé de se doter d’un langage un peu cohérent, parce que les langages avaient tendance à foisonner, c’est un informaticien de l’US Navy qui a proposé comme nom de langage Ada parce qu’il se souvenait justement de cette époque. Les informaticiens n’ont jamais oublié Ada finalement. Par contre elle a été très oubliée du grand public.
Donc à partir de 1978, le nouveau langage du Department of Justice s’est appelé Ada, il est encore utilisé couramment le langage Ada, il a été orienté objet après, enfin bref ! C’est un langage qui est encore utilisé. Le Department of Justice a écrit à la famille Byron en disant « est-ce que vous nous donnez l’autorisation d’utiliser le nom Ada ? » et ils ont appelé leur standard militaire MS 1815, l’année de naissance de Ada. À partir de là, il y a des gens qui se sont dit « mais pourquoi Ada » et qui se sont intéressés à cette personnalité qui était vraiment une note de bas de page en bas des biographies de lord Byron. Il a commencé à avoir une reconnaissance petit à petit auprès du grand public de Ada Lovelace à partir des années 1980.
Magali Garnero : Et là apparaît le Ada Lovelace Awards, le roman, le film et quelque chose qu’on fête régulièrement au mois d’octobre l’Ada Lovelace Day.
Catherine Dufour : Le 9 octobre.
Magali Garnero : Qui permet de permettre en avant les femmes.
Catherine Dufour : Les codeuses.
Magali Garnero : Les codeuses, voilà, les femmes de l’informatique. Et comme tu disais, le langage Ada est encore extrêmement utilisé. D’ailleurs je fais un petit coucou à l’association Ada-France qui, j’espère, nous écoute et avec qui on pourra organiser sûrement des évènements.
Ada, malheureusement meurt assez rapidement après son article et, en plus, de manière assez douloureuse.
Catherine Dufour : Elle meurt neuf ans après. Effectivement, en 1843, elle fait paraître son article, jusqu’en 1845 elle va quand même continuer à travailler, 1845-1848. Après elle part à la campagne, elle s’occupe de ses enfants, elle fait quand même l’amour avec John Crosse. Ensuite elle se ruine au jeu et, à partir de 1850, donc sept ans après l’article, elle va commencer à avoir des hémorragies et son médecin lui dit : « Mais non, ce n’est rien » et en fait c’est un cancer du col de l’utérus qui va se généraliser. Même si son médecin avait été bon ça n’aurait rien changé étant donné l’état de la médecine à l’époque. Je ne vous ai pas parlé de la médecine mais c’est une pure catastrophe. Déjà on vous soigne avec des médicaments, des potions faites maison qui contiennent, si possible, du mercure et de l’arsenic, on vous saigne, on vous purge et quand vraiment ça ne va pas on vous bourre d’opium.
Les Anglais prenaient de l’opium à toute heure du jour et de la nuit, ça s’appelait du laudanum, c’était un mélange d’alcool et d’opium et on donnait ça absolument à tout le monde, on en donnait aux nourrissons de moins de cinq jours, c’était trois gouttes dans le biberon ; ces gens-là étaient vraiment drogués jusqu’aux yeux et à toute heure. Ada n’a pas échappé aux médications absurdes de son époque. À la fin elle souffrait tellement qu’elle prenait carrément du chloroforme pour arriver à dormir un petit peu. Son agonie a duré un an et c’est donc toute l’abjection d’un cancer en phase terminale quand on n’a pas ou peu de soins palliatifs et strictement accès à aucun traitement.
Magali Garnero : C’est assez tragique. Du coup elle reprend contact avec sa mère qui va totalement l’isoler.
Catherine Dufour : Non, elle ne reprend pas contact ; elle s’est brouillée avec sa mère parce que, il faut le dire, sa mère est assez casse-pieds ça ne se passe très bien entre elles. Sa mère veut la revoir et Ada, tant qu’elle restera lucide, opposera une fin de non-recevoir, elle a l’habitude que sa mère soit un petit peu tannante. Et puis, à un moment, elle a probablement des métastases au cerveau parce qu’elle a un œil qui dit merde à l’autre, elle a du mal à parler, elle est très mal en point et sa mère, effectivement, va forcer la porte et va venir dans les deux-trois derniers mois assister sa fille sur son lit de mort en faisant les choses à sa façon. Sa mère était une casse-pied. Annabella Milbanke a donc mis à la porte tous les gens qui ne lui plaisaient pas, c’est-à-dire tous les amis de sa fille, et elle y a installé ses prédicateurs à elle. Je ne pense pas que ça aurait changé grand-chose pour Ada qui, à l’époque, était déjà au-delà de tout secours.
Magali Garnero : Par contre sa mère, après sa mort, va faire des choses assez originales et assez bénéfiques. Ça m’a surpris de voir les bonnes œuvres, la manière dont elle élève ses petits-enfants. Je ne m’attendais pas à ça pour une femme qui avait l’air assez casse-pieds, assez intrusive au début du livre et qui, finalement, est presque est presque libérée. Je ne sais pas comment expliquer ça.
Catherine Dufour : Il y a des mères abusives qui sont des grands-mères charmantes ne serait-ce que pour emmerder leur fille ! Effectivement c’est une femme qui était très impliquée, notamment contre une loi scélérate qui était sortie aux États-Unis qui favorisait l’esclavage, donc elle va effectivement accueillir des esclaves en fuite et elle va beaucoup s’impliquer. Ça se faisait beaucoup dans la bonne société de faire dans les bonnes œuvres, mais elle, effectivement, avait un côté social très accusé, très affirmé, qui est tout à son honneur. De toute façon, n’importe qui a ses bons et ses mauvais côtés, aussi bien Ada que sa mère que Babbage et les autres. Je pense qu’elle était certainement meilleure comme militante et comme grand-mère que comme mère ou comme épouse. Là ce n’est vraiment pas de sa faute, c’était lord Byron qui était un époux épouvantable.
Magali Garnero : Du coup ma dernière et petite question : pourquoi Ada Lovelace ? Pourquoi cette biographie sur cette femme-là ?
Catherine Dufour : C’est mon éditrice, Sandrine Palussière, qui a effectivement pioché dans un livre que j’avais écrit avant qui est le Guide des métiers pour les petites filles qui ne veulent pas finir princesses où j’avais une petite bio d’Ada Lovelace et qui m’a dit : « C’est quand même bizarre que cette femme qui a écrit le premier programme informatique au monde on ne la connaisse pas ». J’ai regardé. Il n’y a pas de bio d’Ada en français. Autant dans les pays anglo-saxons il y en beaucoup, autant dans les milieux informatiques il n’y a aucun problème, au CNRS il y a deux calculateurs, il y a le Turing et il y a l’ADA, autant au niveau du grand public en France il n’y avait rien, à part une traduction de 1985, bref ! Donc j’ai décidé de combler ce manque, cette lacune. Souvent on écrit les livres qui nous paraissent manquer.
Magali Garnero : J’ai beaucoup aimé toutes les références de livres que tu donnes au fur et à mesure de tes citations, puisque, du coup, ça nous donne encore envie de découvrir plus et d’autres auteurs. Je voulais te remercier d’avoir répondu à mon interview.
Catherine Dufour : C’est moi.
Magali Garnero : Nous étions avec Catherine Dufour pour son livre Ada ou la beauté des nombres disponible chez Fayard.
Merci Catherine pour ta présence et belle soirée à tous. Au revoir.
Catherine Dufour : Au revoir.
[Virgule de transition]
Frédéric Couchet : Nous avons écouté l’interview de Catherine Dufour sur le livre Ada ou la beauté des nombres publié chez Fayard. Comme je vous l’ai dit avant l’interview, Catherine Dufour sera l’invitée de Magali Garnero à la librairie A livr’Ouvert dans le 11e arrondissement de Paris, 171 bis boulevard Voltaire, le 11 janvier 2020 de 16 heures à 18 heures 30. Vous pourrez rencontrer Catherine Dufour, échanger avec elle et vous faire dédicacer son livre.
Dans le cadre de l‘interview, Catherine Dufour a expliqué qu’Ada Lovelace a écrit la première boucle. On peut se poser la question : c’est quoi une boucle ? Dans un programme, comme dans la vie quotidienne, il faut parfois faire des opérations répétitives, par exemple, si vous vous entraînez à la course à pied, vous devez faire cinq fois le tour du parc ou, en cuisine, si vous mélangez les œufs et le sucre jusqu’à obtenir un mélange mousseux jaune pastel, donc il faut faire une boucle, c’est une répétition d’instructions, quelque part, avec une condition de fin de répétitions ou de continuation de répétitions. Quand la condition de fin est remplie les instructions s’arrêtent. C’est un petit peu une explication succincte de ce qu’est une boucle.
En tout cas je vous encourage à lire le livre de Catherine Dufour publié aux Éditions Fayard Ada ou la beauté des nombres et vous retrouverez Catherine Dufour le 11 janvier 2020 à la librairie A Livr’Ouvert à Paris.
Frédéric Couchet : On va faire une pause musicale. Nous allons écouter Infinity par Lemmino. On se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause Commune.
Pause musicale : Infinity par Lemmino.
Voix off : Cause Commune 93.1
Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Infinity par Lemmino, disponible sous licence libre Creative Commons Partage dans les mêmes conditions. Vous retrouverez les références sur le site de l’April, april.org, et sur le site de la radio, causecommune.fm.
Vous écoutez l’émission Libre à vous ! sur radio Cause Commune 93.1 FM en Île-de-France et partout ailleurs sur le site causecommune.fm
Nous allons passer au sujet suivant.
[Virgule musicale]
Interview de Romain Pierronnet pour l’événement Le Libre sur la Place à Nancy le 26 novembre 2019
Frédéric Couchet : Nous allons poursuivre avec l’interview de Romain Pierronnet pour l’évènement Le Libre sur la Place qui se tient à Nancy le 26 novembre 2019. Normalement Romain Pierronnet est avec nous par téléphone. Est-ce que vous êtes là ?
Romain Pierronnet : Oui je suis là. Bonsoir.
Frédéric Couchet : Bonsoir. Romain Pierronnet vous êtes adjoint au maire délégué à l’éducation, aux écoles et à la ville numérique de la ville de Nancy, c’est bien ça ?
Romain Pierronnet : Exactement. Vous avez le bon Romain Pierronnet.
Frédéric Couchet : OK. Super. Le Libre sur la place se déroule à Nancy le 26 novembre 2019. Expliquez-nous ce qu’est cet évènement. Pourquoi la ville de Nancy organise un tel évènement ? À qui il s’adresse ? Dites-nous en plus.
Romain Pierronnet : C’est la quatrième fois qu’on organise un évènement sur le thème du logiciel libre, puisque c’est bien de ça dont il s’agit, et on profite de la Semaine de l’Innovation publique pour le faire puisqu’à la ville de Nancy depuis 2014, et je vais y revenir après, on considère que le Libre est un vrai vecteur de transformation du service public en général et des collectivités locales en particulier.
J’évoquais 2014. En fait, à l’époque, on était évidemment au début du mandat municipal du maire actuel Laurent Hénart et, au moment des élections, le maire avait pris l’engagement au travers d’une charte proposée par l’April, de privilégier le recours aux logiciels libres pour les systèmes d’information et les outils numériques de la ville et il ne s’est pas contenté d’en prendre l’engagement, il a défendu concrètement l’idée que l’open source avait du sens dans le monde public. Cet engagement se traduit non seulement avec des choix concrets de solutions libres pour le service public à Nancy, mais aussi au travers d’une démarche de promotion de cette idée qui s’incarne avec cette journée du 26 novembre, puisque l’idée c’est de faire venir d’autres collectivités, d’autres acteurs du secteur public, pour montrer que non seulement le Libre dans le secteur public c’est souhaitable, mais, en plus, c’est possible et ça fonctionne très bien. Donc ça fait du coup la quatrième année qu’on organise cette journée et on va encore poursuivre cette réflexion cette année.
Frédéric Couchet : En tout cas c’est très satisfaisant pour tout le monde de voir que le Pacte signé il y a quatre ans, le Pacte du Logiciel Libre, des maires le signent et mettent en œuvre les engagements en faveur du logiciel libre. On peut féliciter la ville de Nancy, son maire et évidemment l’adjoint en charge du numérique. Je précise que, dans l’actualité, il y a aussi le Territoire Numérique Libre qui récompense les collectivités qui mettent en œuvre des actions en faveur d’une politique publique en faveur du logiciel libre, dont les résultats de l’édition 2019 seront connus demain dans le cadre du Salon des Maires et je crois, si je me souviens bien, que Nancy avait eu l’an dernier un label 4 sur 5 niveaux possibles, sur le label Territoire Numérique Libre. C’est bien ça ?
Romain Pierronnet : Tout à fait. Nous attendons fiévreusement le résultat de l’édition de cette année sachant qu’évidemment on a encore fait quelques progrès depuis l’année dernière. De toute façon plus ça marche, plus ça avance, plus on est persuadés que ça a du sens et qu’il faut continuer dans cette voie-là. C’est aussi pour ça qu’on cherche à faire connaître, parce que souvent ce qu’on a en tête au sujet du logiciel libre, c’est la gratuité. Évidemment, quand on creuse on se rend compte que c’est plus compliqué que ça et que faire du Libre ça ne veut pas forcément dire faire du gratuit. La preuve c’est que nous on a investi des moyens et de l’argent dans le logiciel libre. Moi je préfère parler d’une mutualisation intelligente puisqu’à Nancy, quand on utilise, par exemple, un logiciel de gestion électronique du courrier, on utilise une version qui a été développée grâce à l’investissement d’autres collectivités auparavant et le déploiement tel qu’il se fait à Nancy va permettre de financer d’autres développements pour d’autres collectivités par la suite, donc c’est une façon de faire qui est intelligente.
Au-delà de la question des sous, si je puis dire, on sent aussi avec les prestataires avec lesquels on travaille qu’il y a un autre rapport entre la collectivité et l’entreprise qui est chargée d’assurer le déploiement, un rapport qui est plus constructif, qui laisse davantage de place à l’expertise et à l’engagement des agents et ça me parait d’autant plus essentiel qu’on sait bien que souvent la représentation qu’il y a autour du logiciel libre est toujours un peu méfiante, on se dit que ce n’est pas propriétaire donc forcément ça marche moins bien. Moi j’ai envie de dire que c’est exactement le contraire qui se passe, on est dans une autre approche du déploiement de ces solutions et, du coup, ça marche mieux parce qu’on laisse plus de place à l’intelligence des agents, aux fonctionnaires et à l’expertise des métiers. Donc les solutions sont évolutives, elles s’adaptent mieux à la fois aux besoins des citoyens et des fonctionnaires et c’est le service public qui y gagne aussi bien en interne qu’à l’externe. Nous on défend vraiment cette logique-là et on va le faire encore le 26 novembre.
Frédéric Couchet : C’est super. Donc le 26 novembre c’est une journée qui est orientée, comme vous le dites, collectivités publiques et logiciel libre. Quels sont les temps forts de la journée, les principaux, les choses que vous aimeriez mettre en valeur ?
Romain Pierronnet : On a quatre temps dans cette journée.
Je passe sur l’ouverture, ce sont les discours protocolaires, on a l’habitude. Mais on va ouvrir la journée avec trois retours d’expérience qui vont contribuer à montrer que le logiciel libre c’est souhaitable et que ça fonctionne et à différentes échelles. On va avoir un témoignage de la Gendarmerie nationale dont chacun sait qu’elle a une expérience intéressante en la matière et puis deux collectivités de tailles diverses : on a une petite ville qui s’appelle Billy-Berclau, qui est une ville du Nord-Pas-de-Calais et l’agglomération de Nevers. Elles viendront nous expliquer les initiatives qui ont pu être prises au travers du logiciel libre. Ça c’est le temps d’ouverture de la journée qui est plutôt un temps grand public.
Ensuite on enchaînera sur ce qu’on a choisi d’appeler un Forum des initiatives qui est en fait un petit village de stands lors duquel des acteurs du monde du Libre pour le secteur public et les collectivités en particulier pourront présenter leurs succès, leurs initiatives et avoir des temps d’échange en direct avec des habitants ou avec des professionnels.
L’après midi on rentrera sur les choses peut-être un peu plus liées aux métiers du secteur public avec des enjeux de dématérialisation comme le registre électoral unique puisque là on est un peu dans une période de préparatifs d’élections municipales qui nécessite de recenser des processus et des outils dans les collectivités. On discutera aussi des expertises et des expériences en matière de dématérialisation du courrier, ce qui nous permet de gagner du temps et de l’efficacité dans le service public. Il y a aujourd’hui des solutions libres qui permettent de faire ça et de le faire très bien.
Le soir on aura à nouveau un temps qui sera cette fois plus orienté grand public puisqu’on va accueillir à Nancy la projection en avant-première d’un documentaire qui s’appelle LOL, logiciel libre une affaire sérieuse. On organise cette projection dans notre musée des Beaux-Arts qui sera ouvert gratuitement, ce qui sera aussi l’occasion de discuter avec un des coauteurs du documentaire qui s’appelle Thierry Bayoud.
Donc il y en aura pour tout le monde pendant cette journée du 26 novembre.
Frédéric Couchet : Je précise pour les personnes qui s’intéressent à l’émission qu’avant d’aller à Nancy elles peuvent écouter le podcast de l’émission du 11 juin 2019 dans laquelle nous avions reçu Thierry Bayoud pour son documentaire LOL, logiciel libre une affaire sérieuse, qui est très bien et je ne le dis pas uniquement parce que je suis dedans. Tous les gens qui l’ont vu, notamment grand public, disent qu’il est vraiment très bien fait. Et concernant la Gendarmerie nationale, effectivement son retour d’expérience est très intéressant. Il y a le podcast de l’émission du 3 septembre 2019 avec le lieutenant-colonel Stéphane Dumond qui avait fait un retour d’expérience. Je vous encourage vraiment à aller à Nancy.
J’ai aussi noté, dans le programme, une chose qui peut intéresser les gens, c’est la Déambulation libre au Village Gourmand de Saint-Nicolas. Est-ce que ça va être l’occasion de déguster des spécialités de la ville de Nancy aussi avec un petit peu de vin chaud, pain d’épices, bergamote ?
Romain Pierronnet : Oui. Il faut, mais toujours avec modération bien sûr. C’est effectivement une très bonne période pour découvrir les fêtes de Saint-Nicolas à Nancy. On fête aussi Noël à Nancy, mais on prépare le terrain avec la fête de Saint-Nicolas toujours un petit peu avant, et il y a effectivement du vin chaud et des spécialités à venir tester.
Frédéric Couchet : D’accord. Est-ce que cette journée s’adresse à tout le monde ? Est-ce qu’il faut s’inscrire ? Est-ce que c’est payant ?
Romain Pierronnet : C’est gratuit, première chose. Ça s’adresse à tout le monde au sens où c’est ouvert à tout le monde, on demande simplement aux gens de s’inscrire pour des raisons, je dirais, de calibrage de la journée, des places assises et du café, parce qu’il faut toujours un petit peu de café, quand même, dans ce genre d’évènement.
Après, en fonction du programme, il y aura des temps qui seront peut-être plus adaptés à du grand public, je pense notamment au matin et au soir. Je dirais que l’après-midi sera peut-être plutôt orienté vers un public de spécialistes et d’agents du service public.
Mais sur le principe, évidemment, peut venir et peut venir gratuitement toute personne intéressée à tout moment de cette journée.
Frédéric Couchet : D’accord. Est-ce qu’il y a un site web sur lequel les gens peuvent aller pour s’inscrire ?
Romain Pierronnet : Tout à fait, sur nancy.fr, le site de la collectivité, ils trouveront la présentation du programme et le lien pour s’inscrire.
Frédéric Couchet : D’accord. On va préciser que le Libre sur la Place, pour les gens qui ne connaissent pas Nancy, qu’ils ont tout intérêt à y aller un jour, c’est la fameuse place Stanislas de Nancy.
Romain Pierronnet : Le nom de la manifestation est un petit clin d’œil à notre salon de rentrée littéraire qui a lieu tous les ans au mois de septembre, qui s’appelle le Livre sur la Place, qui est une ancienne manifestation, donc on a fait un petit clin d’œil avec le Libre sur la Place. Raison de plus, effectivement, de venir au Libre sur la Place c’est que la manifestation se déroule à l’hôtel de ville et au musée des Beaux-Arts, ce qui permettra d’avoir une vue directe sur la place Stanislas, de profiter de cette place qui rend les nancéiennes et les nancéiens un petit peu chauvins. En plus de ça, il y a un son et lumières qui est projeté sur la façade de l’hôtel de ville pour la Saint-Nicolas le soir et c’est aussi l’occasion d’en profiter.
Frédéric Couchet : Vous avez tout à fait raison d’être très fiers de cette place, elle est vraiment magnifique. Est-ce que vous souhaitez ajouter quelque chose Romain Pierronnet ?
Romain Pierronnet : Que je crois et qu’on est de plus en plus nombreux à croire, dans le secteur public, que le logiciel libre a vraiment de l’avenir et qu’il faut continuer à défendre cette idée que c’est non seulement de la bonne gestion des deniers publics, mais aussi un gage d’un meilleur service public rendu aux habitants et qui laisse toute sa place aux agents. Je défends cette idée vraiment aussi souvent que nécessaire.
Frédéric Couchet : Merci. En tout cas je vous remercie pour cette prise de position, pour tout ce que fait Nancy en faveur du logiciel libre et pour l’évènement que vous organisez.
C’était Romain Pierronnet qui est adjoint au maire délégué aux écoles, à l’éducation et au numérique pour la ville de Nancy, pour l’évènement Le Libre sur la Place qui se déroule à Nancy le 26 novembre 2019. Les informations sont sur le site nancy.fr.
Je vous souhaite de passer une agréable fin de journée.
Romain Pierronnet : Merci. Pareillement.
Frédéric Couchet : Au revoir.
Romain Pierronnet : Au revoir
Annonces
Frédéric Couchet : Quelques annonces de fin d’émissions.
[Virgule musicale]
Frédéric Couchet : Jeudi 21 novembre il se passe pas mal des choses.
À Marseille il y a une conférence « Les logiciels libres Les Logiciels Libres : quel projet de société ? » avec Jean-Christophe Becquet. Jean-Christophe Becquet est président de l’April et chroniqueur dans l’émission Libre à vous !. Ça se passera à 18 heures 30 au Foyer du peuple, 50 rue Brandis à Marseille et c’est organisé par nos camarades de l’association CercLL donc le Cercle d’Entraide et Réseau Coopératif autour des Logiciels Libres. Vous retrouverez les références sur le site de l’Agenda du Libre.
Ce même jeudi soir, 21 novembre, il y a un apéro April à Montpellier qui se passe au DoTank, 2 rue du Pavillon à partir de 18 heures 45/9 heures.
À Paris il y a la réunion du groupe de travail Sensibilisation de l’April qui se déroule dans le cadre de la soirée de contribution au Libre à partir de 19 heures à la FPH 38 rue Saint-Sabin. N’hésitez pas à vous y rendre, c’est ouvert à toute personne membre ou pas de l’April.
Vous retrouverez tous les autres évènements sur le site de l’Agenda du Libre, agendadulibre.org.
Je vais vous rappeler, parce que de temps en temps j’oublie, que la radio dispose d’une boîte vocale. Si vous cherchez à faire connaître votre travail, parler d’un projet qui vous tient à cœur, déclamer un poème, vous pouvez appeler le 01 88 32 54 33, votre message passera à l’antenne. La durée maximale d’un message, de mémoire, est de dix minutes. Je rappelle le numéro : 01 88 32 54 33.
Notre émission se termine. Je remercie les personnes qui ont participé à l’émission du jour : Emmanuel Revah qui était en studio, Catherine Dufour et Magali Garnero – l’interview a été enregistrée il y a quelques jours –, Romain Pierronet. Aux manettes de la régie aujourd’hui Patrick Creusot bénévole à l’April.
Merci également à Sylvain Kuntzmann, bénévole à l’April, enseignant, compositeur, militant des libertés informatiques, qui traite les podcasts avant leur mise en ligne. Merci également à Olivier Grieco, le directeur d’antenne de la radio, qui finalise ce traitement des podcasts, ce qui vous permet d’avoir des podcasts de bien meilleure qualité souvent que le direct, même tout le temps.
Vous retrouverez sur le site de l’April, april.org, et sur le site de la radio, causecommune.fm, toutes les références utiles ainsi que les moyens de nous contacter. N’hésitez pas à nous faire des retours sur l’émission pour indiquer ce qui vous a plu mais aussi des points d’amélioration. Toutes vos remarques et questions sont les bienvenues. Vous pouvez également nous contacter par courriel à l’adresse libreavous chez april.org.
Nous vous remercions d’avoir écouté l’émission du jour. Si vous avez aimé cette émission n’hésitez pas à en parler le plus possible autour de vous, faites-là connaître ; faites également connaître la radio Cause Commune, il y a plein d’émissions tout à fait intéressantes sur cette radio.
La prochaine émission aura lieu en direct mardi 26 novembre à 15 heures 30. Notre sujet principal portera sur des structures privées qui donnent la priorité au logiciel Libre. Nous aurons des personnes de la MAIF et d’Enercoop.
Nous vous souhaitons de passer une belle fin de journée. On se retrouve en direct mardi 26 novembre 2019 et d’ici là portez-vous bien.
Générique de fin d’émission :Wesh Tone par Realaze.