- Titre :
- Les logiciels libres, un modèle pour le développement durable de notre société.
- Intervenant :
- Samuel Chenal
- Lieu :
- Fêtons Linux - Genève
- Date :
- Mai 2014
- Durée :
- 51 min 56
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- Licence de la transcription :
- Verbatim
Transcription
Ça fait quelques années que je me suis aussi intéressé au développement durable et notamment aux liens qu’il y a entre développement durable et les logiciels Libres. Et on va voir qu’il y a des similitudes, des convergences qui sont très intéressantes.
Avant de pouvoir faire le lien entre ces deux mondes, il faut rapidement faire un petit résumé des logiciels libres. C’est une conférence populaire. Je ne suis pas sûr que tout le monde ici soit un féru de logiciels libres et de Linux. Je vais aller assez rapidement pour aller au vif du sujet.
Est dit libre un logiciel qui respecte les quatre libertés fondamentales des logiciels libres, donc :
- de pouvoir utiliser le logiciel dans tous les usages et sans restrictions. Quand on parle de restrictions, il peut s’agir de restrictions géographiques, temporelles, de types d’usage ou de types d’utilisateurs.
- de pouvoir étudier le logiciel, c’est-à-dire avoir accès au code source et donc de pouvoir le comprendre. C’est aussi quelque chose d’important.
- de pouvoir redistribuer des copies du logiciel, de manière payante ou de manière gratuite. Ça c’est toujours quelque chose d’ouvert.
- et de pouvoir améliorer le logiciel et de publier ces améliorations et de rendre, si on veut, ces améliorations à la communauté.
Donc de toutes ces libertés, la dernière est celle qui est la plus « virale » entre guillemets. C’est celle qui permet une amélioration continue des logiciels libres dans la société, dans la communauté.
On oppose souvent les logiciels libres aux logiciels propriétaires, qu’on appelle privatifs souvent, parce qu’ils privent de liberté les utilisateurs. Effectivement, ces deux modèles s’opposent beaucoup. Si on prend des logiciels privatifs classiques du type Microsoft Office, même FileMaker Pro, iTunes, Photoshop, par exemple, tous ces logiciels ne respectent pas ces quatre libertés, ou ils n’en respectent peut-être qu’une seule, mais pas les quatre, donc on ne peut pas dire qu’ils sont libres. Et il y a un point très important qu’il faut noter sur ces quatre libertés des logiciels libres. Ce ne sont pas des libertés qui s’attachent au logiciel en tant que tel. Ce sont des libertés qui touchent l’utilisateur, l’être humain qui les utilise. C’est vraiment ça qui est important dans les logiciels libres, c’est la liberté de l’utilisateur qui est en jeu.
Les logiciels libres sont protégés, puisque effectivement comme ils sont ouverts, ils doivent être protégés. Ils sont protégés en général par une licence. Un logiciel libre ne veut pas dire sans licence. Une licence qui est très populaire, c’est la licence GPLv3 [1] qui est une licence qui garantit les quatre libertés dont j’ai parlé tout à l’heure. Il existe de nombreuses autres licences, qui ont des variantes, mais globalement elles ont toutes le même but de défendre ces quatre libertés. Ce sont des outils juridiques. On peut les utiliser dans des procès, dans des actions juridiques, pour défendre les droits des contributeurs ou des organismes ou des entreprises qui éditent des logiciels libres, pour garantir leurs droits.
Là on plonge rapidement sur des exemples de logiciels libres. Celui-là vous le connaissez sans doute, Linux, le noyau des systèmes d’exploitation. Il existe des centaines de distributions Linux différentes adaptées à tous les besoins. C’est vraiment le noyau de ces systèmes libres.
Si on prend un peu de recul on voit qu’il y aussi d’autres logiciels libres de la vie courante, si on veut. Il y en a des milliers, par contre là, des logiciels classiques de type Office, par exemple tableur, traitement de textes, etc. ; donc LibreOffice [2] est un très bon exemple. Nous avons également GIMP [3] qui est un traitement de photos, extrêmement puissant. En dessous nous avons Inskape [4] qui est un logiciel de dessin vectoriel ; c’est d’ailleurs avec ce logiciel que j’ai pu faire cette présentation, de manière assez simple d’ailleurs. Ensuite, un peu au-dessus, nous avons VLC [5] qui est logiciel de lecture vidéo. En dessous on a Scribus [6], qui est un logiciel de PAO, qui permet de faire des publications, des brochures, des affiches. Après, bien sûr, Firefox [7] qui est très connu, très populaire comme navigateur. On a Blender [8] qui un logiciel assez énorme, pour moi, c’est très complexe, très riche, pour pouvoir faire de la modélisation 3D, de l’animation 3D. Et Debian [9] qui lui est une distribution Linux complète, open source, libre qui utilise bien sûr le pingouin comme moteur. Ça c’est un exemple parmi des milliers, évidemment.
Quand on parle des logiciels libres, on se rend compte qu’on parle aussi des valeurs qu’il y a derrière. Le mouvement des logiciels libres, l’esprit du Libre, ce n’est pas uniquement de l’informatique, c’est beaucoup d’être humain, beaucoup de collaboration et, finalement, une forme de militantisme. Donc ce n’est pas qu’un mouvement technologique.
Là, j’ai pris quelques valeurs qui me touchent particulièrement. On a la création participative, la liberté d’usage, de distribution, d’adaptation, l’indépendance, la liberté de choix, l’accès à l’information de manière transparente, équitable et pérenne. Et là, on commence à voir dans ces valeurs qui sous-tendent le mouvement des logiciels libres les liens qu’il pourrait y avoir avec le développement durable. On parle de pérennité, on parle d’équité, on parle de liberté d’usage et d’indépendance. Donc on commence à voir les liens avec le développement durable qui sont finalement assez forts.
Il y a une chose importante aussi dans le mouvement des logiciels libres c’est, dans les années nonante, l’avènement d’Internet, la création de communautés, de développeurs, de contributeurs et d’utilisateurs de logiciels libres. C’est ce qui a fait un peu exploser le mouvement, qui a fait croître ce mouvement à des dimensions importantes, et c’est grâce à ces communautés que le Libre a pu se développer. Mais ce qui est vraiment important là-dedans, c’est que c’est une espèce de changement de modèle. On a le modèle classique qui est le modèle des éditeurs et des acheteurs de logiciels. Et là, on est dans un modèle beaucoup plus riche, beaucoup plus complexe, avec un réseau d’individus qui sont à la fois des contributeurs, des acheteurs, des développeurs, des utilisateurs, des etc. Donc c’est vraiment multi casquettes, multi rôles.
Donc je repose la question. En quoi les logiciels libres sont-ils un modèle pour le développement durable ? C’est quand même assez ambitieux comme postulat. Pour pouvoir y répondre, je vais faire la même chose que ce que j’ai fait avec les logiciels libres mais avec le développement durable. Là on pourrait en parler des heures, ce n’est pas forcément le lieu pour. Je vais quand même essayer de très rapidement vous donner quelques clefs pour brosser le portrait du développement durable, pour pouvoir, justement, faire ces liens et prendre des exemples cohérents.
Cette phrase est issue, sauf erreur, d’un rapport, le rapport Brundtland, qui était paru à la fin des années 80, qui définissait le développement durable, plus ou moins. « Un développement durable est un développement qui répond aux besoins des générations du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs ». Dit comme ça, ça paraît assez évident, finalement. On vit dans une monde fermé. C’est une terre ; elle n’est pas extensible. Il y a un capital de ressources qui est peut-être connu, qui est fini ; en tout cas, on ne peut pas l’étendre à l’infini. On n’a pas d’autre planète à choir. On n’a pas d’autre planète de réserve. On doit l’utiliser de manière pérenne, si on ne veut pas que les générations futures n’aient plus de ressources pour leur propre développement. Donc le développement durable s’appuie sur trois piliers de la société. C’est quelque chose que vous avez sans doute déjà vu. C’est peut-être plus médiatisé que le logiciel libre. Ce sont ces fameuses, ce que j’appelle les « patates durables ». Ce sont les trois grands piliers, social, économique, écologique, avec toutes les intersections qu’il y a entre ces trois piliers.
Lorsqu’on a une idée et qu’on souhaite savoir si elle est durable ou pas, eh bien on essaye de la placer dans ces patates durables. Je ne sais pas, il peut y avoir des dizaines d’exemples, il y en a des dizaines d’exemples et qui ne sont du tout liés à l’informatique, en l’occurrence. Par exemple un projet communal de chauffage à distance au biogaz, pour réutiliser les déchets agricoles. Par exemple une association qui lance un projet de nettoyage d’un cours d’eau, d’une rivière, avec les citoyens. Il peut y avoir un projet de transport public ; il peut y avoir les écoquartiers, par exemple. On parle beaucoup des écoquartiers en ce moment. Les écoquartiers s’inscrivent vraiment bien dans ce modèle.
Il y a des organismes internationaux, vous avez sans doute entendu parler du protocole de Kyoto, du sommet de la Terre, le Sommet de Rio, les objectifs du Millénaire, etc., le GIEC [Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, NdT]. Tous ces organismes internationaux donnent des directives, ils donnent des grandes directives et les États les prennent, ou ne les prennent pas, ensuite édictent des lois. Ensuite ça descend au niveau des cantons pour la Suisse, avec des Agendas 21, des Agendas 21 communaux, dans lesquels les citoyens sont impliqués pour les choix de société qui vont être pris.
Là où je veux en venir, c’est qu’il y a dans l’esprit du développement durable, il y a la volonté d’impliquer le citoyen. Ce ne sont pas uniquement des technocrates qui sont à un niveau très élevé dans la hiérarchie humaine, si on veut, au niveau international, qui vont prendre ces choix-là directement. C’est bien dans l’implication des citoyens que cela peut marcher.
Voilà. On a maintenant un peu un état des lieux de ces deux domaines, ces deux mondes. On sait un peu comment ils fonctionnent. On sent bien qu’il y a des liens de valeur qui sont derrière ces deux domaines et maintenant on va prendre des exemples. On va prendre des exemples de convergence entre les logiciels libres et le développement durable et on va plonger dans ces patates durables pour prendre quelques exemples.
Premier volet, volet social. Donc je prendrai l’exemple de la réduction du fossé numérique. Je ne sais pas si vous connaissez le fossé numérique : des gens qui sont dans le dénuement ne peuvent pas accéder à l’information, ne peuvent pas accéder à l’informatique par manque de moyens, souvent. Avec du Libre, avec des logiciels libres, on peut créer un poste de travail à un coût dérisoire. On peut acheter un ordinateur de seconde main, y installer des logiciels libres, donc sans aucun coût additionnel et de manière totalement légale, je précise, pour pouvoir avoir un mail, un traitement de textes, se connecter à Internet, participer à des forums, aller sur les réseaux sociaux, c’est-à-dire être connecté à la société, participer en tant que citoyen à la société, ce qui est très important dans le mouvement.
Partie équitable maintenant. On a un exemple qui n’est pas toujours facile à expliquer. Ce sont les formats de fichiers. Un logiciel, quel qu’il soit, produit des données, dans un format, dans un fichier. Par exemple un traitement de textes ou un tableur, produit des données. Maintenant les logiciels privatifs, eux, fournissent des formats de fichiers qui sont fermés, qui sont cryptés, qui sont opaques. On ne sait pas comment l’information y est sauvegardée. Donc on a un certain nombre de problèmes. Sur le court terme on n’en a pas réellement, on en a seulement quand on reçoit un de ces fichiers, on est obligé de se procurer l’application qui l’a produit et, la plupart du temps, il faut l’acheter. Mais qu’est-ce qui se passe si la société qui l’a produite fait faillite ou décide de son propre chef d’arrêter l’édition de ce logiciel ? Eh bien le client est captif, le client est complètement captif de cette situation. Il ne peut plus lire, après un certain temps il ne pourra plus lire les informations qu’il a lui même créées. C’est absurde. C’est complètement absurde ! Avec les formats ouverts, la structure même du fichier est complètement libre et diffusée sur Internet. Du coup, on peut imaginer recréer une application, relire un fichier dix ans ou quinze ans ou vingt ans après. Donc il y a cette notion de pérennité et de transparence qui est très importante dans les logiciels libres.
Au niveau économique. Alors on pourrait croire que logiciel libre, gratuité, on ne peut pas faire d’économie. Non, c’est faux ! En fait, on peut faire de l’économie ; ce n’est pas uniquement pour des manifestations telles qu’aujourd’hui, philanthropiques ou de ce type. C’est un autre modèle. En fait, finalement, c’est un autre modèle. C’est un modèle orienté sur le service, alors que les logiciels privatifs eux ont un modèle qui est essentiellement basé sur les licences, où on doit acheter un licence, payer de la maintenance tous les ans — dans les entreprises c’est ce qui se passe, ça peut être des fois très cher. Dans le monde du Libre, eh bien c’est plutôt le service qui est valorisé. Par exemple, je trouve un logiciel libre sur Internet pour mon entreprise, je le télécharge, je le teste, je conçois qu’il convient bien à mes besoins, à part, je donne un exemple, que son interface n’est pas en français ; elle est en anglais, en allemand, mais il me faudrait l’interface en français. Qu’est-ce que je fais ? Je m’adresse à une société de service informatique locale et je lui demande : « Est-ce que vous pourriez me traduire cette interface en français ? » Comme le code source est libre, eh bien ils ont les connaissances. Les langages de programmation sont également libres donc ils peuvent, ils ont tous les éléments en main pour pouvoir développer cette interface. Donc ils vont me demander de l’argent, un montant d’argent pour pouvoir faire ce travail. Je vais les payer et je vais pouvoir utiliser ma nouvelle fonctionnalité. Et cette nouvelle fonctionnalité va être réinjectée dans le socle des logiciels libres. C’est-à-dire que n’importe qui téléchargeant cette application dans le futur pourra bénéficier de cette interface en français.
Donc il y a, dans le logiciel libre, cette notion de gratuité, en quelque sorte, ou de liberté de téléchargement, mais il y a aussi cette idée de redistribution. On redistribue les choses qu’on a nous-mêmes contribué à créer. Sans compter que bien sûr, l’économie du Libre est basée essentiellement sur une économie locale, donc c’est toujours plus intéressant de payer une société locale, à deux pas de chez soi, plutôt que d’envoyer des grosses sommes d’argent à une énorme société à l’autre bout du monde.
Il y a souvent trois mots qui reviennent dans l’économie du logiciel libre : l’émulation, la coopétition, la qualité. Je ne sais pas si vous avez suivi la présentation de François Marthaler, il en a également parlé, c’est un modèle qui pousse à la qualité. Le code source est libre, donc tous les acteurs, contributeurs, à un projet libre sont à un niveau d’égalité. Ils savent exactement ce qui a déjà été développé. Ils ont tous les éléments en main pour pouvoir faire le travail. Du coup il y a cette coopétition, cette coopération-compétition entre les développeurs, pour pouvoir réaliser le code le plus propre, le plus bien réalisé et le plus efficace. Donc au final, c’est la qualité qui prime. Et il y a des études qui ont été sorties récemment qui prouvent qu’un logiciel libre, au niveau purement du code, a un niveau de qualité supérieure à un logiciel propriétaire équivalent.
Si on prend maintenant au niveau écologique. Ça reste de l’informatique. On pourrait se dire c’est de toute manière polluant, c’est de toute manière vorace en matière d’énergie, c’est donc forcément mauvais. Mais on peut le voir d’un autre angle. Je vais prendre l’aspect sur la lutte contre l’obsolescence programmée qui a déjà été abordée par François Marthaler [10] tout à l’heure. On peut trouver des pistes pour prolonger la durée de vie des ordinateurs. Je vais prendre un exemple. Je vais m’écarter de la caméra. Voilà. Ici on pourra le voir après, si vous voulez descendre après pour le voir. Ici j’ai un ordinateur, vous voyez sa spécification à l’écran. Là c’était la vidéo Bugs Bunny, libre évidemment, qui passait. C’est un ordinateur qui a onze ans et sur lequel j’ai installé la dernière version de Ubuntu, Lubuntu, qui est dédiée aux ordinateurs de faible capacité, aux ordinateurs anciens et il se débrouille extrêmement bien. C’est un ordinateur qui consomme, juste après le démarrage, environ 100 méga de mémoire vive. Et si vous le comparez à un système d’exploitation privatif propriétaire actuel, comme Windows 7 ou Windows 8 ou Mac OS X, eh bien vous vous rendrez compte qu’il consomme moins que dix fois la quantité de mémoire consommée par ses concurrents.
Voilà quelques exemples des logiciels libres dans un contexte de développement durable. Mais, là où la conférence touche un point qui est à mon avis très intéressant, c’est qu’on ne se limite pas aux seuls logiciels et à la seule informatique. Vous l’avez vous vu également sur le salon. Il y a des stands qui ne touchent pas que l’informatique non plus. L’esprit du Libre inspire bien au-delà de l’informatique.
Je vais reprendre un élément qui a été aussi abordé tout à l’heure. C’est l’open hardware, donc c’est la même philosophie que l’open source, c’est-à-dire les logiciels libres, mais appliquée au matériel. Ce n’est pas forcément le hardware, comme on l’entend, l’ordinateur, le PC, ça peut être autre chose, ça peut être une éolienne, par exemple. J’ai trouvé, en cherchant un petit peu, on peut trouver des plans d’une éolienne, libres, sur Internet. Après il faut être bricoleur, c’est aussi pour ça que je l’ai mis dans la partie écologique, mais on peut imaginer bricoler, créer, inventer et redonner à la communauté pour que d’autres puissent les reprendre, les améliorer et les remettre à la communauté et ainsi de suite. C’est donc une forme de cycles positifs, si on veut, qui s’améliorent.
Il y a plusieurs types d’organismes, d’associations qui tournent autour de l’open hardware. Les fab labs c’est plus institutionnel ; ce sont des espaces qui sont mis à disposition soit d’entreprises, soit de particuliers, pour pouvoir tester du matériel, faire des prototypes, etc., et pour pouvoir comprendre comment fonctionnent les objets également. Ce sont des ateliers qui sont équipés de machines. Mais il y a aussi les hackerspaces qui sont, eux, des associations beaucoup plus proches de la société civile, si on veut ; ce sont vraiment des regroupements d’individus qui ont comme passion la recherche de comment fonctionnent les choses, les appareils, les machines. Vous avez un très bon exemple avec le Post Tenebras Lab, juste derrière, dans la manifestation. Ce sont des gens qui cherchent à comprendre les choses, qui essayent de construire eux-mêmes. On est toujours dans le mouvement Do it yourseft, le mouvement des Makers des États-Unis, c’est se réapproprier la fabrication des choses.
J’ai un exemple aussi intéressant avec le Fairphone. Est-ce que certains connaissent le Fairphone dans l’assemblée ? Ah ! Je crois qu’il y en a un qui en a un. Ce serait intéressant d’aller voir. Le Fairphone [11] est une initiative à mon avis très intéressante, qui est partie d’un financement participatif. C’est une société néerlandaise qui a eu l’idée de créer un téléphone qui est orienté écologie et social dans sa production. C’est-à-dire qu’il y a, sauf erreur, deux matériaux, le tantale et l’étain, qui sont, on va dire, extraits d’une mine sans conflits en Afrique. Ils sont allés en Afrique vérifier que la mine fonctionnait de manière correcte, que les enfants ne travaillent pas, etc., que les déchets sont correctement recyclés. Et ils ont fait pareil en Chine sur une usine — il ne s’agit pas de Foxconn évidemment — où ils ont mis des exigences très fortes pour la Chine, on est bien d’accord, afin d’avoir une force de travail en Chine qui soit beaucoup plus protégée. Mais à mon avis, ce qui est aussi très important dans le Fairphone c’est qu’il a été conçu pour la durabilité. Il a été conçu pour durer. La batterie n’est pas soudée. Il y a deux emplacements pour les cartes SIM. Les plans sont quasiment open hardware ; alors je n’ai pas trouvé toutes les informations là-dessus, mais c’est en tout cas l’optique qu’ils ont, c’est d’avoir le plus possible de composants ouverts, et la couche logicielle qui est par-dessus, Android, elle, est complètement open source.
Il y a un autre exemple qui m’intéresse aussi beaucoup, c’est la iFixit [12]. C’est un réseau participatif sur Internet qui regroupe des manuels de réparation que les gens ont bien voulu créer pour ce site. Il y a un logiciel pour pouvoir créer les manuels de réparation qui est très bien fait. Et pour la petite histoire, Fairphone a livré les plans de réparation de son téléphone à iFixit directement.
Je vais passer assez vite là-dessus [il s’agit de Wikipédia, NdT] parce que c’est quelque chose que tout le monde connaît. Il ne s’agit pas d’informatique ici. Il s’agit de connaissance libre et participative. C’est, à mon avis, un des exemples majeurs, le fer de lance de l’esprit du Libre, dans l’informatique et en dehors de l’informatique. C’est quelque chose qu’il faut soutenir à tout prix. C’est une énorme chance d’avoir ce type de ressources sur la toile.
Je vais parler aussi un petit peu des licences, des licences, mais qui ne sont liées aux logiciels cette fois-ci, des licences qui sont liées au droit sur la propriété intellectuelle. Donc nous, tout le monde, peut créer quelque chose d’intellectuel, un œuvre d’art, une photo, un morceau de musique ou que sais-je, une poésie, par exemple, et automatiquement, si on ne dit rien, on a un copyright. Copyright veut dire tous les droits réservés. C’est le fameux C, qui habituellement est dans l’autre sens.
Maintenant, vous ne pouvez pas, avec le copyright, dire « j’aimerais garder des droits, mais j’aimerais aussi libérer des droits aux usagers qui vont pouvoir récupérer mon œuvre ». C’est le principe du copyleft et des Creative Commons. C’est de pouvoir avoir une forme de flexibilité dans les droits qu’on octroie aux personnes qui vont pouvoir bénéficier de nos œuvres. Et ça permet, je ne vais pas entrer dans le détail parce que ça nous amènerait trop loin, mais ça permet de reprendre le modèle des logiciels libres et des quatre libertés, adapté à des œuvres de l’esprit comme une photo, un morceau de musique, etc. Jamendo est un réseau de musique Creative Commons. Wikipédia, toutes les images dans Wikipédia, sont en Creative Commons.
Je me suis beaucoup intéressé, j’ai lu un livre qui s’appelle Utopie du Logiciel Libre – Du bricolage informatique à la réinvention sociale [13], de Sébastien Broca, aux Éditions Le passager clandestin, qui est excellent et qui, lui aussi, reprend la philosophie du Libre et qui découvre effectivement dans ce livre et qui explique les mouvements qui sont en train de naître dans la société, en dehors de l’esprit du Libre, informatique, pur, mais dans l’open hardware et dans d’autres domaines.
Pour être cohérent, voyez, il y a le © copyright ici avec le Ɔ de copyleft en-dessus. Je me suis intéressé à savoir quelle était la licence de ce livre. Donc si on regarde à la page 3, et sauf erreur pour vous aussi, donc le livre en lui-même est en copyright. C’est un objet matériel. On n’est pas encore au point de libérer les objets matériels à ce point. En revanche, c’est marqué : « Cet ouvrage est placé dans sa version numérique sous licence Creative Commons et sera consultable librement sur le site internet de l’éditeur ». Donc ils ont une forme de cohérence qui est excellente. Cela ne voulant pas dire qu’on peut aller pomper effectivement tout le texte pour ne rien payer. Encore une fois il y a toute la logique de distribution, on se rappelle, dans la logique du Libre : on prend mais on rend aussi. Si c’est un livre qui nous intéresse, eh bien on l’achète. Si c’est simplement pour aller chercher une référence, on peut y aller librement sans l’acheter. Si on n’a pas d’argent, on peut quand même le lire. Voilà ! C’est ça un peu la philosophie qui est derrière.
Sur la partie durable, c’est-à-dire l’intersection des trois piliers, social, économie, environnement, il y a l’Open Source Ecology, dont on a déjà parlé cet après-midi sauf erreur, mais pour ne pas avoir de redite, je vais vous passer une petite vidéo [14] qui explique ce mouvement, qui est en anglais, mais qui est sous-titrée français.
Marcin Jakubowski (sous-titres) : Salut. Je m’appelle Marcin, fermier, ingénieur. Je suis né en Pologne, je vis désormais aux États-Unis. J’ai lancé un groupe intitulé « Open Source Ecology » (« Écologie en Accès Libre »). Nous avons identifié les 50 machines les plus importantes qui, selon nous, permettent à la vie moderne d’exister depuis les tracteurs et les fours à pain aux graveuses de circuits imprimés. Nous avons essayé de créer une version accessible, FLVM, une version « faites-le vous-même » que n’importe qui pourrait construire et entretenir en ne supportant qu’une partie du coût. Nous appelons cela le Kit de construction du village global. Laissez-moi vous raconter une histoire.
J’ai fini à trente ans avec un doctorat en fusion énergique, et j’ai découvert que j’étais inutile. Je n’avais aucune compétence pratique. Le monde m’a offert de options et je les ai prises. On pourrait appeler cela un style de vie consumériste. J’ai créé une ferme dans le Missouri et appris les choses en rapport avec l’économie de la ferme. J’ai acheté un tracteur, qui cessa de fonctionner. J’ai payé pour qu’on me le répare. Et puis il cessa à nouveau de fonctionner. Alors, peu de temps après, j’étais moi aussi financièrement incapable de fonctionner.
J’ai réalisé que les outils bon marché, vraiment appropriés, dont j’avais besoin pour établir une ferme durable, n’existaient tout simplement pas encore. J’avais besoin d’outils robustes, modulaires, hautement efficaces et optimisés, peu chers, fabriqués à partir de matériaux locaux et recyclés qui dureraient toute une vie, non conçus pour l’obsolescence. Je me suis rendu compte que j’allais devoir les construire moi-même. Et c’est ce que j’ai fait. Je les ais ensuite testés. Et je me suis rendu compte que la productivité industrielle peut être atteinte sur de petites échelles.
Alors j’ai publié les plans en 3D, les schémas, les vidéos d’explication et les budgets sur un wiki. Des participants du monde entier sont apparus, réalisant des prototypes de nouvelles machines à l’occasion de visites de projets dédiées. Jusque-là, nous avons prototypé 8 des 50 machines. Le projet commence à grandir de façon autonome.
Nous savons que l’accès libre a réussi avec les outils de gestion de la connaissance et de la créativité. le même phénomène est en train de se produire avec e matériel. Nous nous concentrons sur le matériel parce que c’est lui qui peut changer la vie de gens de manière réellement tangible. Si on peut baisser les barrières autour de l’agriculture, de la construction, de la production, mous libérerons une quantité énorme de potentiel humain.
Cela ne vise pas seulement les pays en développement. Nos outils sont conçus pour le fermier, l’ouvrier, l’entrepreneur ou le producteur des États-Unis. Nous avons beaucoup d’intérêt chez ces gens-là qui peuvent maintenant lancer une société de construction, de fabrication de pièces détachées, d’agriculture bio, ou simplement revendre de l’électricité. Notre but est de devenir un répertoire en ligne de plans si clairs, si complets, qu’un simple DVD peut servir de kit de démarrage.
J’ai planté une centaine d’arbres en une journée. J’ai compacté 5000 briques en une journée en utilisant la terre sous mes pieds et j’ai construit un tracteur en six jours. De ce que j’ai vu, ce n’est que le commencement.
Si cette idée est vraiment solides, alors les implications sont considérables. Une meilleure distribution des moyens de production, une chaîne logistique respectueuse de l’environnement et une nouvelle culture su « faites-le vous-même » pourrait espérer venir à bout d’une rareté artificielle. Nous explorons les limites de ce que nous pourrions faire pour rendre le monde meilleur avec des technologies physiques en accès libre. Merci.
Applaudissements.
Samuel Chenal : Vous voyez, Creative Commons, la présentation est libre avec des droits particuliers qui lui sont octroyés.
Nous avons fait le tour de ces exemples d’inspiration des logiciels libres, de l’esprit du Libre, sur d’autres domaines et ce qu’on a observé ? Beaucoup de choses, on a observé beaucoup de similitudes, mais ce qu’on a surtout observé c’est que ces deux modèles prônent la réappropriation des composants de notre société par les citoyens devenus contributeurs actifs.
J’ai également un autre exemple à vous montrer. Je ne sais pas si vous connaissez LaRevueDurable. C’est une revue excellente qui parle de durabilité. Ce n’est pas une revue qui parle de logiciel, effectivement, c’est une revue qui est orientée sur la durabilité. Je relèverai deux numéros de cette revue qui sont à mon avis intéressants, c’est le 49 [15], sur les technologies de l’information et de la communication et l’impératif de sobriété pour ces TIC. Et il y a le 51 [16] qui est le dernier qui est sorti sur l’énergie citoyenne. Et ce qui est très intéressant dans ce numéro, c’est que l’énergie citoyenne c’est quoi ? C’est la réappropriation de la production d’énergie renouvelable par le citoyen, dans le cadre de coopératives, de mise en commun des efforts et des moyens, pour pouvoir réussir la transition énergétique. Rien de moins que cela. Ça ressemble à s’y méprendre à tout le reste qu’on a vu aujourd’hui. Si vous êtes intéressés par LaRevueDurable, excellente revue donc, j’ai quelques exemplaires ici, du 49 et du 51, qui sont vendus à dix francs pièce, donc à presque la moitié du prix de base, si cela vous intéresse.
Que faire, quand on va sortir de cette pièce et qu’on aimerait mettre en pratique ceci ? Ça paraît quand même peut-être très, très vaste. On ne sait pas par où s’y prendre. Moi, ce que je peux vous conseiller de faire, c’est d’essayer les logiciels libres, si vous ne les essayez pas déjà. Cela vous permettra de prendre conscience de la richesse qu’il y a derrière ces logiciels et surtout d’une forme de mascarade qu’il y a derrière le modèle traditionnel des logiciels privatifs.
De soutenir les communs. Les communs c’est précieux ! C’est précieux dans notre monde. Il faut les soutenir et il faut y contribuer. Et l’avantage avec Wikipédia, c’est qu’on peut y contribuer sans connaître une once d’informatique. La plupart du temps ce sont des boîtes à remplir et à cocher, il n’y a pas besoin d’être un développeur pour pouvoir contribuer.
Et le dernier, c’est de faire connaître l’esprit du Libre, comme on l’a vu aujourd’hui.
Voici quelques crédits et sources puisque qui dit logiciel libre ou esprit du Libre ne dit pas « on fait ce qu’on veut avec la connaissance ». On doit citer ses sources, très important, elles doivent toujours être citées. Ici ce sont quelques éléments sur lesquels je me suis appuyé pour faire cette conférence. Et bien sûr, cette conférence en elle-même est en Creative Commons ; donc si vous souhaitez la réutiliser pour l’améliorer, libre à vous. Les seules deux contraintes que vous avez, c’est de citer son auteur original, quand même, et de garder la même licence pour votre propre travail. C’est aussi simple que cela, c’est la philosophie du Libre qui est derrière. Et en plus, c’est un format ouvert, c’est un format SVG qui est tout à fait améliorable et éditable par n’importe quel logiciel libre de ce type.
Un petit zoom sur les deux symboles de la présentation que j’ai choisis : Wikimédia Commons qui est, à mon avis, un très bon porte étendard du Libre dans la connaissance et les trois patates durables que j’ai utilisées.
Voilà, j’ai terminé ma présentation, on peut passer, je pense, aux questions.
Animateur : On attend les questions. Donc qui veut passer en premier ? Pas de questions ?
Public : Tout d’abord merci pour cette présentation très intéressante. J’aurais néanmoins une réserve par rapport au concept, pas par rapport au logiciel libre, mais plus particulièrement de participation citoyenne qui est sous-jacent. Il y a un principe, je ne sais plus comment ça s’appelle exactement, ça s’appelle la loi des 20 %, qui dit que sur environ 100 consultations d’un site internet, par exemple Wikipédia, on a 20 % de personnes qui vont contribuer. Alors il y a 20 % qui contribuent, on a une amélioration globale, mais ça montre quand même que cet effet participatif citoyen qu’on souhaite est, dans la réalité tout du moins, assez limité. Donc la question qui se pose c’est : si on attend du citoyen qu’il participe, qu’il bénéficie des logiciels libres, qu’il puisse se servir gratuitement, mais d’autre part qu’on attend d’une façon plus ou moins explicite qu’il contribue dedans dans ses propres moyens, comment ça se fait qu’au final ça marche et que, quand on parle du système, au final la personnalité économique prédomine où chacun pompe mais au final personne ou presque ne contribue ?
Samuel Chenal : Alors, effectivement la question est de savoir, comme dans l’encyclopédie Wikipédia par exemple, les contributions sont relativement faibles comparées à la consultation. Comment est-ce qu’on pourrait, on va dire, augmenter ce taux ? Comment est-ce qu’on pourrait faire en sorte et pourquoi ce taux est si faible ? C’était ça la question ? Pourquoi le taux est si faible et comment faire pour l’augmenter ? C’est une très bonne question. Déjà, je pense que ce taux a augmenté. Déjà ! Il était encore plus faible avant et il reste marginal. C’est comme la proportion de Linux sur les postes de travail comparée à Windows et à Mac OS X, je ne sais plus si on est à 5 %, ou, je ne sais plus bien, mais ça reste marginal. Mais c’est toujours deux fois plus qu’il y a dix ans, etc. Donc il y a une tendance, une tendance qui est pour l’instant très, très faible à voir, je pense, mais en nombre absolu elle est peut-être plus importante. Je pense que ça va venir. Je n’ai pas la boule de cristal, mais je pense que ça va venir, et ce que j’ai lu dans ce livre qui était à mon avis très intéressant, c’était l’explication de pourquoi ce mouvement était arrivé et pourquoi il était en train de prendre de l’ampleur. Pourquoi ? Parce qu’il y a eu dans l’économie traditionnelle des initiatives de resserrement et de fermeture. Dans l’informatique, dans les années septante, eh bien il y a eu des fermetures par IBM, puis par Microsoft, etc. Tout a été refermé. Et il y a eu une réaction, finalement, face à ce mouvement de fermeture, qui a été la création du mouvement des logiciels libres.
Dans le monde du droit sur la propriété intellectuelle, c’est le même phénomène qui s’est passé. Il y a eu l’augmentation de cinquante à septante ans des droits sur la propriété intellectuelle, qui ne va pas du tout favoriser la créativité, on est bien d’accord ! Ces augmentations de temps, c’est cinquante ans à septante ans après la mort de l’auteur, ce n’est pas tellement favorable à la créativité. C’est plutôt favorable au porte-monnaie des ayants droit ! Ça oui ! Donc on se rend compte que l’économie essaye, dans une forme de retranchement, de se resserrer et de resserrer légalement ses possibilités de continuer à garder ce modèle actif. Donc les citoyens réagissent. Les citoyens ont créé Wikipédia. Les citoyens ont créé les licences libres au niveau des Creative Commons. Donc les choses bougent. Et plus le temps avance, plus j’ai l’impression que l’économie traditionnelle se retranche et plus les citoyens réagissent. On verra, peut-être que ça ne va pas aller assez vite, mais à mon avis on est sur une bonne tendance.
Animateur : Voilà. Y a t-il encore d’autres questions ?
Public : C’est juste une question. C’est quoi les limites d’une licence libre ?
Samuel Chenal : La question c’est quelles sont les limites d’une licence libre ? C’est ça ? Si on prend la licence GPL, à partir du moment où le logiciel respecte les quatre libertés, il respecte cette licence,our ma propre compréhension. Alors moi je ne suis pas un grand spécialiste juridique de ces questions, une des limites que je vois c’est que du code peut être incorporé, du code libre peut être incorporé dans du code propriétaire, sans que personne ne le sache et, finalement, serve à une entreprise classique pour pouvoir produire des bénéfices. Ce que j’avais remarqué c’est que la Free Software Foundation avait beaucoup de juristes et beaucoup d’avocats pour pouvoir, justement, lutter contre cette faiblesse-là, qui n’est peut-être pas forcément une faiblesse réelle, mais qui est une difficulté de tous les jours, de pouvoir garder un œil sur tout ce qui pourrait être, de manière illégale, réincorporé dans du code propriétaire. Moi, c’est une des limites que je vois. Je n’ai pas une vision de développeur, je ne suis pas développeur moi-même, tout en étant informaticien je ne suis pas développeur, mais j’ai une vision de ce type-là. Peut-être que quelqu’un d’autre a une vision qu’il pourrait peut-être partager avec nous sur cette très bonne question d’ailleurs.
Animateur : Personne ?
Samuel Chenal : Les limites des licences libres.
Public : Pour définir les limites, il faudrait peut-être savoir dans quelle direction vous cherchez des limites ? Au niveau juridique ? Au niveau technique ?
Samuel Chenal : Par exemple, oui.
Public : C’était général. Les applications, le matériel et tout ça.
Samuel Chenal : Alors ce qu’il faut aussi voir c’est que beaucoup d’entreprises privées ont récupéré le modèle libre pour elles. Si on prend Google, Facebook, Twitter, etc., Yahoo, toutes ces entreprises ont fondé leur système sur des logiciels libres. Et, sauf erreur, un des plus gros contributeurs du noyau Linux c’est IBM. Donc ce qu’il faut se dire c’est que les grandes entreprises ne sont pas naïves. Elles savent bien qu’il y a un modèle, il y a des choses très importantes à faire. Google, ils font le Google Summer of Code en été. Chaque année, ils invitent des développeurs du monde entier pour développer des logiciels libres. Et c’est du vrai Libre, c’est-à-dire que le produit est remis à la communauté. Mais, pour ces entreprises, ça leur coûte moins cher, ça leur coûte moins cher parce que la communauté participe. Donc les grands acteurs, on va dire récents, je ne suis pas en train de parler de Microsoft par exemple, mais les grands acteurs récents du logiciel, on va dire les grands acteurs de l’informatique, Internet principalement, ils ont un pied dans le logiciel libre et ils en sont contents. Ça c’est clair !
Moi je vous invite à aller voir une conférence qui a été faite au Fêtons Linux de l’année passée, qui était faite par un professeur de philosophie je crois, que j’ai revue dernièrement qui est passionnante et qui dit que le Libre va vaincre parce que justement le propriétaire ou le privatif n’a pas d’armes suffisantes pour pouvoir vaincre cette guerre. Et, en quelque sorte, il prédit l’ouverture du code de Windows. Après on peut avoir un avis x ou y vis-à-vis de cette déclaration, mais c’est quelqu’un qui est encore plus enthousiaste que moi sur ces aspects de liberté des logiciels, en disant que c’est un modèle qui est solide et qui est beaucoup plus solide que ce qu’on croit. Ce n’est pas uniquement un logiciel qui est développé sur un coin de table par un barbu avec des chaussettes en laine. Non ! C’est vraiment un élément qui est clairement intégré dans la structure économique actuelle.
Animateur : Mais je crois que la question de monsieur c’était plutôt quel est l’intérêt, finalement, à faire du Libre pour un individu ? Qu’est-ce qu’il a à en tirer ? C’est plutôt ça votre question ? Qu’est-ce qui va le pousser à le faire ?
Public : Non. C’est dans l’ensemble quoi ! En tant que particulier, en tant qu’entreprise. On l’appelle, par rapport au temps qui est passé, il faudra facturer.
Public : Oui. Si c’est par rapport à l’argent, tout ça. Ce n’est pas juste quelque chose qui soit matériel, genre un tracteur, ou immatériel, une musique ou un logiciel. Il n’y a pas que la vente directe. Il y a tous les services. Vous faites un logiciel, moi je travaille dans une boîte qui fait du logiciel libre, on a un logiciel qui a été fait par d’autres et nous on propose de l’installation, de la maintenance, des réponses sur mesure, et tout ça c’est pas mal de services qu’on peut proposer et gagner de l’argent dessus. Si vous faites un logiciel libre, vous dites : « Ah ! Eh bien maintenant, je vais librement le répandre sur Internet. Il va pouvoir se répandre plus facilement qu’un logiciel propriétaire. Il va y avoir plus de gens qui vont se dire "Ah ben tiens je vais le tenter. Je n’ai à rien payer, je n’ai rien à perdre, je le teste" ». Et du coup vous avez un peu plus de chance d’avoir de la clientèle pour fournir à des services derrière. Quand vous faites un tracteur, après il y a la fabrication, il y a le logiciel qui tourne dessus.
En fait, si vous vouliez parler seulement d’argent, dans le logiciel libre il y a tellement de façons de gagner de l’argent avec quelque chose de matériel ou d’immatériel qu’au final mettre l’origine, le code source ou les plans sous licence libre et gratuitement sur internet, vous n’y perdez pas grand chose. Si vous vous débrouillez bien, vous pouvez même gagner plus que ce que vous y perdriez et du coup c’est tout bénef. Après, le code libre ce n’est pas une solution magique. Il ne suffit pas de dire : « Je mets mon code comme ceci, et puis voilà, je deviens riche ! » C’est juste que bien voilà dans Le libre comme dans le propriétaire, il y a des obstacles, il faut être intelligent, il faut réussir à acheter, il faut prendre les bonnes décisions au bon moment et ce n’est pas parce que vous allez choisir du Libre que vous allez forcément vous planter ou forcément réussir.
Samuel Chenal : Je dirais juste en ajout, je prends un exemple qui est assez intéressant. Pythagore n’a jamais mis une licence sur son théorème et son théorème a été utilisé par tous les mathématiciens suivants et ça a fait progresser les mathématiques d’une manière fulgurante. Ce modèle, le modèle du Libre, il est aussi là pour accélérer la connaissance, accélérer le progrès, si on veut, dans une certaine forme, puisque justement on n’a pas de barrière liée au coût d’entrée et que, comme il l’a dit, tout est basé sur le service. Le service à valeur ajoutée, c’est-à-dire qu’on a quelque chose qui est mesurable pour un bien qui est immatériel. Et ça, c’est très important. C’est très compliqué à justifier le prix d’un logiciel immatériel, à l’unité, puisque son coût marginal est proche de zéro. En revanche, c’est très facile à mesurer ou à monétiser un service, par exemple, comme je le disais tout à l’heure, la traduction d’une application en français. Voilà, ça va prendre vingt heures de développement. Eh bien on calcule, vingt heures de développement à tel prix et voilà, ça nous fait la facture et ça c’est très facile à faire. Et c’est beaucoup plus concret et les gens se sentent moins floués que de payer 700 francs pour un produit qu’on a simplement téléchargé. Pourquoi ? Et puis pourquoi on a payé 700 francs ? Est-ce que ça a coûté 700 francs ? Ou ça a coûté 200 francs à l’entreprise qui l’a produit ? Non ! Beaucoup moins. Ça questionne, également. La grosse difficulté qu’on a actuellement avec l’immatériel, que ce soit dans la musique, dans le logiciel ou dans l’art.
Public : Effectivement, c’est l’idée d’arriver dans un mécanisme de rente, en fait finalement.
Samuel Chenal : De rente, exactement.
Public : Quand on vend un logiciel, on vend une copie. Mais en soi, la copie, s’il n’y a pas de support, aujourd’hui avec Internet, elle ne vaut rien la copie. C’est une copie. Ça en passe dix, quinze, vingt mille, ça coûte le même prix. Au final, ce qui a coûté c’est le travail qui est derrière. Et là, on peut très bien s’imaginer un organisme de service sur le travail, en disant si on paie tant pour ajouter une fonctionnalité, c’est un nouveau service par exemple, et là on est payé au travail et pas dans un mécanisme de rente.
Samuel Chenal : Il y avait une question au milieu, sauf erreur.
Public : Ce code qu’on peut modifier, quels moyens de contrôle il y a ? Est-ce qu’on fait valider ces modifications par quelqu’un qui est un informaticien quel qu’il soit. Si on rajoute des bugs, on se retrouve avec des…
Samuel Chenal : Je ne fais partie d’une communauté de développement d’applications particulières. J’ai lu quelques articles à ce sujet. C’est passionnant. C’est une organisation en réseau. Il y a un écrivain qui a sorti un livre qui s’appelle La Cathédrale et le Bazar [17], qui est très intéressant à ce sujet ; et le logiciel libre est souvent comme étant un bazar en termes de développement. Mais si on prend, par exemple, le noyau Linux, il y a des personnes qui vérifient ce qui a été fait. Ce sont des gens qui sont à cette position-là par méritocratie, c’est-à-dire qu’ils sont arrivés là par leur mérite dans leur domaine. Pas parce qu’ils ont fait de grandes études ou parce qu’ils ont été poussés par le voisin ou etc. Il y a toute une architecture dans le développement d’applications open source et libres qui est assez fascinante. Ce sont des nouvelles architectures d’organisation économique ou d’organisation de groupes de travail. Je ne sais pas, tu vas peut-être amener une expérience particulière sur le sujet ?
Public : Ouais, en fait tout dépend du projet.
Samuel Chenal : C’est ad hoc.
Public : Il y a presque autant de façons de s’organiser que de types de projets différents. Il y en a un basé sur la méritocratie, c’est celui qui fait inaudible. Il y en a un basé sur un dictateur bienveillant, un type qui a lancé le projet qui décide de tout. Il y a d’autres mécanismes qui sont démocratiques où chaque année on se réunit autour de celui qui va diriger, alors ça c’est plutôt pour les projets plus grands. Voilà. Après tout le processus de vérification du code ça dépend beaucoup du projet. Il y en a où c’est un type du projet qui va tout vérifier ; d’autres où il y a des contributeurs de confiance, ils sont là depuis des années donc on commencent à leur donner un peu plus d’accès. De toutes façons, tout le code est disponible. Pour faire un logiciel libre, surtout quand on décide de distribuer sous Linux, il n’est pas simplement diffusé sous format binaire. En général, sous Linux, vous ne connaissez souvent que le code source et ensuite vous allez avoir une dizaine, une vingtaine de distributions qui vont compiler votre programme, le distribuer et, à chaque fois, on fait des dizaines d’éditions. Donc à chaque fois il y a quelqu’un qui va regarder un petit bout du code, donc à chaque fois il y a — enfin presque à chaque fois, tout dépend du projet — mais il y a les moyens de vérifier et de s’assurer qu’il n’y ait pas de problèmes, pas trop de problèmes de types qui insèrent du code.
Il y a quelques années, dans le kernel de Linux, il y a eu une tentative, un type qui s’est amusé à vouloir mettre une porte dérobée dedans. Je crois que ça a pris 24 heures entre le moment où il a déposé la demande de vérification et le moment où ça a été traité. Ça n’a même pas été inclus dans les sources d’origine. En 24 heures quelqu’un a juste vérifié, après c’est juste, c’est dans le projet en fait de vérifier là c’est toute une structure, toute une procédure pour s’assurer qu’il n’y ait pas trop de problème. Voilà.
Samuel Chenal : Voilà. Je pense que c’est fini. Si vous êtes intéressés par LaRevueDurable que j’ai proposée tout à l’heure, n’hésitez pas à passer me voir. Et je souhaite une bonne fin de journée à tous. Merci.
Animateur : Merci beaucoup.
Applaudissements