Olivier Cleynen : Je vais vous parler du sujet fâcheux des femmes dans la communauté du Libre. Fâcheux, parce qu’en général, ça fait pas mal de discussions et de trolls. Ça c’est le pourcentage de femmes et d’hommes dans la population mondiale, en proportion. Ça c’est dans le milieu de l’informatique en Europe. Et ça c’est dans le milieu du Libre. Je trouve ça super frustrant et en fait je suis agréablement surpris par la proportion de femmes ici dans la salle et à l’April en général. Je ne sais pas combien on est là.
Benoît Sibaud : 6 %
Olivier Cleynen : 6 % ? [Le pourcentage est] entre 1 et 2 % dans le monde du Libre. Typiquement, ce qu’on fait pour ça : on en parle, en disant que le sexisme, la discrimination contre les femmes, c’est très mal, tout le monde est d’accord, tout le monde se dit que « oui, oui absolument, il ne faut pas qu’on fasse ça », puis on ne fait rien et 6 mois après on en reparle.
Je pense surtout que la réaction typique c’est « ce n’est pas ma faute ». En général, on a un projet, une communauté qui est là, qui fait son boulot, qui développe un logiciel ou bien qui promeut le Libre, ou quoi que ce soit. C’est son truc et « ce n’est tout de même pas la faute des développeurs si les femmes ne s’intéressent pas au projet et ne veulent pas le joindre ». Donc typiquement, le raisonnement c’est « ce n’est pas ma faute ».
Et en fait, c’est le problème de la poule et de l’œuf, parce que les femmes, en moyenne, utilisent moins un ordinateur que les hommes, donc s’intéressent moins au logiciel donc ’’a fortiori’’ au logiciel libre. Et on n’en sort pas : elles s’intéressent moins au logiciel, elles ont moins envie d’apprendre l’informatique, elles se servent moins d’ordinateur et ainsi de suite. C’est le problème de la poule et de l’œuf.
Il y a plein de ramifications : les ramifications dans l’éducation, dans les médias, dans la conscience collective de la société. On n’en sort pas ! Donc si chacun regarde son petit tronçon du cercle en disant « ce n’est pas ma faute, il n’y a pas de femmes qui rentrent, pas de femmes qui sortent, ce n’est pas ma faute ! », on n’en sortira jamais. Il faut vraiment qu’on fasse un effort.
Pourquoi je dis ça ? Parce que je pense que ce n’est pas juste une question de goût. Si c’était un club de supporters de foot, dans lequel il y a probablement le même genre de proportion de femmes, eh bien ce n’est pas grave parce que finalement ce n’est une question de goût. Les gens qui participent, c’est leur truc à eux, c’est leur hobby, c’est un passe-temps. Mais on a tout de même la prétention que le logiciel libre c’est quelque chose de plus important pour la société, il y a une certaine valeur éthique dedans. Et je trouve que s’il n’y a que 1 ou 2 % de femmes, c’est qu’il y a un problème.
Je vais arrêter de parler en l’air. J’ai commencé à penser à réfléchir à tout ça il y a 6 mois, aux RMLL, et il y a trois choses auxquelles j’essaye de penser en essayant de bosser dessus.
La première, c’est le présupposé automatique. Le présupposé automatique, c’est probablement la plus frustrante des trois choses, c’est à dire que quand il y a une femme, une fille qui rentre entre les stands au FOSDEM [Free and Open Source Software Developers’ European Meeting] ou bien sur le canal IRC, automatiquement on a tendance à présupposer qu’elle ne s’y connaît pas trop en informatique. C’est dur de désactiver cet automatisme. Je ne sais pas s’il y a des filles qui ont le même retour d’expérience. Souvent, on va gentiment commencer à lui expliquer ce que c’est qu’un utilisateur root, même ce qu’est que le code source d’un logiciel, on lui rappelle des choses comme ça, de base et, à répétition, c’est un peu frustrant. Dans mes discussions avec d’autres filles, c’est ce qui se passe souvent.
Donc c’est ne pas présupposer qu’une femme, parce qu’elle rentre dans la communauté, est juste là pour écrire de la documentation ou rapporter des bugs, que c’est forcément un utilisateur moins avancé que les autres.
La deuxième chose, c’est je pense faire un peu de nettoyage. Parce que, évidemment, comme les communautés du logiciel libre sont très masculines, on trouve souvent ce genre de blagues, ce genre de posters, ce genre de choses assez sexistes [Projection d’une photo de femmes dénudées avec indiqué Make a choice, NdT]. Bien sûr, ce n’est pas du tout dans l’intention de repousser les femmes, repousser les filles, mais ça a tout de même cet effet-là. Et ça finit par être ultra-saoulant. Évidemment, quand une femme rentre dans une communauté où il y a 100 personnes qui s’échangent ce genre de trucs sur le forum, ça refroidit un peu l’ambiance.
Alix Cazenave : En même temps, les femmes qui ont fait ça [les photos, NdT], elles sont bénévoles. Volontaires et tout, quoi !
Olivier Cleynen : J’ai des doutes !
Public : C’est comme vendre des yaourts avec des femmes à poil ! C’est la société ! Malheureusement.
Olivier Cleynen : Ça c’est le problème de la poule et de l’œuf, si on ne fait pas d’efforts en disant « c’est la société, c’est comme ça », on ne changera jamais rien. Donc je suis de l’avis de faire du nettoyage dans les forums où on trouve ce genre de choses.
Alix Cazenave : C’est aussi du second, troisième degré.
Benoît Sibaud : Pour aller plus loin, il y a aussi une autre remarque, c’est que ça en fait tout de même moins. Même si la société est comme ça, pourquoi est-ce que dans le logiciel libre, on ferait encore moins bien que dans tout le reste de la société ?
Alix Cazenave : On est censés être plus conscients.
Olivier Cleynen : Bien sûr, on est basé sur des valeurs éthiques, tout ça.
Public : Ça y est ça trolle...
Olivier Cleynen : Oui ça trolle. Je termine rapidement. Le troisième point, c’est à la maison aussi, et ça c’est plus à long terme, c’est probablement plus facile à appliquer, mais il faut quand même en parler. Devinez lequel de ces deux enfants [Garçon devant un établi, fille devant une table à repasser, NdT] est le plus susceptible de savoir ce qu’est le code source d’un logiciel et de s’intéresser au logiciel libre, d’ici cinq ou dix ans évidemment ?
Lionel Allorge : C’est la petite fille !
Olivier Cleynen : C’est la petite fille ?
Lionel Allorge : Oui parce que tous ces appareils, ils seront avec des logiciels dedans.
Benoît Sibaud : La clef à molette, c’est peu probable.
Lionel Allorge : La clef à molette jamais !
Olivier Cleynen : Donc l’idée, sans rigoler, c’est d’encourager les petites filles aussi tôt et aussi souvent que les garçons à bricoler, à savoir comment les machines marchent, comment on se sert d’un outil, à avoir envie de découvrir et d’utiliser la technologie.
Alix Cazenave : C’est horrible comme image !
Olivier Cleynen : C’est horrible, ça fait mal au cœur ! C’est sorti d’un site internet de vendeur de jouets.
Jean-Christophe Becquet : Les catalogues de jouets c’est vraiment comme ça.
Olivier Cleynen : Oui, c’est ça !
Alix Cazenave : Je n’ai jamais vu ça quand j’étais gamine dans mes catalogues de jouets.
Olivier Cleynen : Va voir à Carrefour, maintenant dans les rayons à Carrefour, c’est impressionnant.
Nicolas Pettiaux : C’est tout à fait ce qu’on a dit à mes enfants à l’école primaire, donc l’institutrice dit : « Voilà ce qu’on fait avec l’électricité ? Qu’est-ce que font papa et maman avec l’électricité ? Maman repasse ; papa utilise la foreuse. » Ça c’était le cliché, à l’école.
Alix Cazenave : Pas mal !
Olivier Cleynen : Typiquement, les filles commencent à utiliser un ordinateur deux ans après les garçons.
Public : Je crois que c’est trois.
Olivier Cleynen : Ça fait mal au cœur. À cinq/six ans, il y a déjà plein de choses qui sont mises dans la tête des enfants et qui changent tout. Voilà j’ai fini, je voulais juste foncer à travers tout ça. J’ai balancé les idées que j’ai présentées sur un tout petit site web qui s’appelle GenderShouldntMatter.org [1] et en bas, c’est mon adresse mail si vous avez des questions. Maintenant, j’aimerais avoir vos avis, sans trop de trolls, sur la position des femmes, sur le pourcentage déplorable des femmes dans le logiciel libre.
[Applaudissements]
Basile Starinkevitch : Une information : dans les appels de recherche européens, je ne crois pas français, le pourcentage de femmes et le gender issue, c’est la terminologie officielle de la Commission européenne, est important. On peut se faire sabrer après une proposition européenne parce qu’on a pas respecté cette gender issue, et je vous assure que ce n’est pas facile à respecter.
Benoît Sibaud : Il n’y en a pas à ma connaissance sur les appels de l’ANR [Agence nationale de la recherche].
Basile Starinkevitch : Non, j’ai bien dit européen. Peut-être que l’April pourrait faire figurer ça dans les appels français.
Olivier Cleynen : Oui. Le danger, c’est de vouloir filtrer à l’entrée en disant « il nous faut un certain taux », commencer à faire de la discrimination, en fait. Ce qui est pas le but. Commencer à dire à l’entrée « il faut qu’on ait 50 % de femmes », c’est typiquement le genre de comportement qui va créer des problèmes, des débats, des trolls, etc. Ce que je disais, c’est vraiment penser à au moins rendre la communauté du libre plus accueillante aux femmes.
Basile Starinkevitch : Autre remarque. Je suis dans un labo de roboticiel, il y a assez peu de femmes dans le logiciel libre, je suis le plus « femme », celui qui accepte de se mouiller et de trouver des sous pour ça. On a quelques femmes, au CA il y a plus de femmes que dans la moyenne nationale et une mesure : les femmes de mon labo sont celles qui sont le plus indifférentes au logiciel libre. Elles le connaissent, on a tous des thèses en informatique, on travaille tous sous Linux. Donc elles le connaissent, mais elles ne vont pas se battre pour rédiger une proposition où il y a du Libre.
Olivier Cleynen : Le problème de la poule et de l’œuf.
Sébastien Blondel : Est-ce que vous savez pourquoi les femmes s’en foutent ? Est-ce que vous leur avez demandé ? Vous mentionnez les catalogues de jouets. Quel est l’effet catalogue de jouets ? Elles s’en foutent.
Benoît Sibaud : On a assez peu de femmes qui aient été élevées en dehors du monde !
[Rires]
Olivier Cleynen : Je n’ai pas bien compris !
Thomas Petazonni : On propose à SB de faire une fille et on mène une expérience ...
Sébastien Blondel : Pourquoi vous ne faites pas un sondage, une méthode scientifique, un échantillon, un écart-type et tu demandes aux femmes « pourquoi ne vous intéressez-vous pas à l’informatique ? » T’auras des réponses.
Alix Cazenave : Et moi j’en ai. Non, ce n’est pas comme ça, le problème c’est la question. C’est plutôt « qu’attendez-vous de l’informatique ? »
Olivier Cleynen : C’est plutôt une question d’intérêt général pour l’informatique, d’implication dans l’informatique. Les filles commencent trois ans plus tard que les garçons, elles ont un ordinateur trois ans plus tard
Benoît Sibaud : On est à côté du sujet là, surtout, de mon point de vue. On parlait des femmes dans la communauté du logiciel libre. Le premier point, on le sait, il n’y a pas la parité homme/femme dans le domaine des technologies de l’information et de la communication. Bon. Admettons on est à 20 %, 30 %.
Olivier Cleynen : Oui.
Benoît Sibaud : Mais la communauté du Libre n’est même pas à ce niveau-là. Ça veut dire qu’il y a plus de femmes qui s’intéressent au logiciel propriétaire qu’il n’y en a qui s’intéressent aux logiciels libres,
Olivier Cleynen : Oui.
Benoît Sibaud : Non pas s’intéresser, qui utilisent, ou qui sont dans le domaine, mais même là-dessus. Donc il y a déjà un problème à ce niveau-là. Ça veut dire qu’il y a quelque chose qui passe mal.
Sébastien Blondel : Tu fais des sondages de deux niveaux.
Benoît Sibaud : En dehors de ça, au niveau de l’April par exemple, on n’est pas une association qui ne fait que de la technique. Donc on devrait bénéficier du fait d’avoir des gens qui s’intéressent à l’enseignement, au droit et à plein d’autres sujets où les répartitions de population ne sont pas comme ça. Et qu’est-ce qui se passe à l’April ? Il y a 6% de femmes. Donc il y a un problème au niveau de l’informatique libre de manière générale, et voilà !
Tangui Morlier : Il y a une discussion cet après-midi, là-dessus ?
Frédéric Couchet : Exactement, il y a une discussion cet après-midi.
Tangui Morlier : Bonne introduction.
Public : Juste une précision, il y a plus de femmes que d’hommes dans la société.
Tangui Morlier : Oui, mais c’est tellement infime, c’est 0,5% je crois que du coup, dans les graphiques on a du mal à le voir.
Public : Là-dessus tu ne verras pas la différence.
Public : Le déséquilibre le plus important, c’est les Pays Baltes.
Public : Oui.