- Titre
- : Les enclosures des biens communs, du vivant aux logiciels, logiciels LIBRES
- Intervenants
- : Richard Stallman - Jean-Pierre Berlan
- Lieu
- : Paris
- Date
- : 23 février 2008
- Durée
- : 39 min 30
- Lien
- vers la vidéo
Transcription
Richard Stallman : Bonsoir. Je peux expliquer le logiciel libre en trois mots, trois mots presque oubliés dans la France actuelle : liberté, égalité, fraternité.
Applaudissements
Jean-Pierre Berlan : Vous voyez bien le but mortifère qui est derrière tout ça : séparer la production de la reproduction, faire en sorte que la production reste entre les mains des agriculteurs, des paysans, mais la reproduction doit devenir le monopole, le monopole de qui à l’heure actuelle ? D’un groupe, d’un cartel de six firmes qui fabriquent les agro-toxiques. les pesticides.
Musique
Bellinux, La Cantine présentent le débat « Les enclosures des biens communs, du vivant aux logiciels, logiciels LIBRES »
Richard Stallman : Liberté, parce que l’utilisateur est libre de faire ce qu’il veut avec le programme. Égalité, parce que tous les utilisateurs disposent des mêmes libertés. Et fraternité, parce qu’à chaque utilisateur, il est permis de partager le programme avec les autres, avec tout le monde.
L’injustice. Logiciel propriétaire
Richard Stallman : Mais, comment voit-on cette domination et comment est-ce que c’est injuste ? L’interdiction de la coopération, du partage, est directement injuste, parce que l’aide aux voisins est la base de la société. Interdire le partage, c’est attaquer la société à sa base, donc complètement injuste et insupportable. Le logiciel privateur, c’est-à-dire le logiciel pas libre, le logiciel qui prive l’utilisateur de sa liberté est un problème social. Il ne doit pas exister. Beaucoup de programmes privateurs contiennent des fonctionnalités malveillantes. Comme par exemple Windows Vista, qui a été fait pour permettre à Microsoft d’attaquer, à n’importe quel moment, l’utilisateur. Microsoft peut faire n’importe quel changement dans le logiciel. Mac OS X fait la même chose. L’iPhone fait la même chose. Ils font semblant de vouloir nous aider, corrigeant des problèmes, mais qu’est-ce que ça veut dire un problème selon eux ? Notre liberté, c’est le problème et la solution c’est de reconnaître que le logiciel doit être libre et que n’importe quel programme privateur est une menace sociale. Il faut décider de le chasser, de le rejeter et ne jamais accepter des programmes privateurs pour vivre en liberté.
Applaudissements
Richard Stallman : Je veux expliquer l’escroquerie sémantique dans l’expression « propriété intellectuelle ». Si la domination d’un développeur de logiciel ou de quelqu’un d’autre sur vous est appelée sa propriété cela veut dire qu’il mérite ce pouvoir et que moralement vous devez l’accepter, vous devez être soumis et vous n’avez rien à faire. Le préjugé est évident, pas difficile à voir. Mais la confusion est moins évidente parce qu’il faut bien connaître beaucoup de champs de la loi pour reconnaître la confusion que cette expression sème dans tous ces champs, parce que cette expression s’applique à plusieurs lois.
Deux batailles
Richard Stallman : La question de la loi du droit d’auteur est une question et la loi des brevets est complètement différente. Il faut considérer l’une et l’autre séparément. Et quand les avocats disent c’est une question de notre propriété intellectuelle, ça veut dire qu’ils ne veulent pas vous dire quelle loi ils vous accusent d’avoir enfreint parce qu’ils cachent le nom de cette loi sous le terme général de propriété intellectuelle. Cette expression « propriété intellectuelle » cache les grandes différences entre plusieurs lois qui n’ont rien en commun. Donc il s’agit de quelle loi ? Et donc, dès que vous savez de quelle loi il s’agit, vous pouvez commencer une conversation intelligente.
Musique
- Jean-Pierre Berlan
- : Je crois qu’une bonne partie des mystifications, qui sont en cours dans le domaine de la confiscation des biens communs, tient en effet très largement à l’utilisation d’un vocabulaire qui est forgé par les multinationales pour nous tromper, pour nous empêcher de penser la réalité. Il y a un très beau terme, que malheureusement on continue à utiliser, c’est le terme « organisme génétiquement modifié ». Les organismes génétiquement modifiés, en fait il faudrait les appeler, il y a différentes expressions qu’on peut utiliser, mais pour ceux qui sont cultivés, on pourrait appeler ça plutôt des chimères, des chimères pesticides, brevetées. Et on reviendra sur la question du brevet très rapidement.
- Richard Stallman
- : Francis Muguet a noté que dire « verrouillage » n’est pas le mot juste parce que avoir des verrous dans l’appartement ce n’est pas mauvais, mais il dit les menottes numériques.
- Jean-Pierre Berlan
- : Le terme OGM a été inventé par Monsanto pour éviter le terme qui a été utilisé au départ des manipulations génétiques, en 1973 : première manipulation génétique, qui était le terme de chimère fonctionnelle ou de chimère génétique. À l’époque, il faut bien voir que fonction et gène signifie exactement la même chose. Bien entendu, les gens de Monsanto ont commencé à se gratter la tête et se dire d’un point de vue marketing c’est évidemment pas formidable. Pensez bien que personne n’acceptera de manger volontairement des chimères fonctionnelles ou des chimères génétiques. Donc, ils ont inventé le terme « organisme génétiquement modifié », qui a l’immense avantage de n’avoir strictement aucun sens précis, puisque « organisme génétiquement modifié », tous les individus dans cette salle vous êtes tous des organismes génétiquement modifiés, puisque justement le rôle de la nature c’est de recréer constamment de la sexualité, c’est de recréer constamment de la diversité, de faire en sorte qu’aucun être vivant ne soit semblable à un autre être vivant, ne soit identique à un autre être vivant. Au fond, ces techniques nouvelles, consistant à faire des chimères génétiques, ne seraient que la continuation de ce que l’humanité a toujours fait. Et vous avez le discours, rassurant, qui est tenu par ces firmes, qui consiste à dire : « Mais nous ne faisons que poursuivre, par des méthodes plus sûres, plus fiables, plus précises, plus tout ce que vous voudrez, plus techniques, plus scientifiques, plus rapides ce que l’humanité a fait depuis les débuts de la domestication des plantes et des animaux. Vous voyez bien à quel point le terme OGM se prête en effet à ce genre de manipulation et à ce genre de discours.
- Chimère
- Jean-Pierre Berlan
- : Les premières chimères ont été faites en 1973. C’est quelque chose qui est radicalement nouveau, qui nous introduit dans un monde nouveau dans la mesure où toutes les connaissances en matière de génétique ont été acquises au sein de l’espèce. Et là, on fait de la transgenèse, on est au-delà de l’espèce, ça veut dire qu’on ne peut pas faire comme si les connaissances génétiques valables à l’intérieur de l’espèce pouvaient s’appliquer à la transgenèse. Donc ça nous introduit dans une véritable, ce qu’on peut appeler une boîte noire, quelque chose que est radicalement nouveau et qui est plein de dangers, mais ça je n’aurai pas le temps d’expliquer pourquoi ces nouvelles techniques sont pleines de dangers.
- Agriculture propriétaire
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- Jean-Pierre Berlan
- : Lorsque les premiers sélectionneurs animaux d’abord et un siècle plus tard de plantes ont commencé à faire leur travail, faire leur travail pour faire de l’argent, ils se sont heurtés immédiatement à cette propriété malheureuse des êtres vivants qui se reproduisent et se multiplient, je tremble en le disant, gratuitement. Ils peuvent même faire cette reproduction gratuite avec un certain plaisir et là c’est vraiment le comble de l’horreur dans nos sociétés marchandes. Le but de ces premiers sélectionneurs a été immédiatement de séparer la production de la reproduction, donc de séparer ce que la vie confond, parce que dans le domaine de la biologie, vous ne pouvez pas produire sans simultanément reproduire. Donc vous voyez bien le but mortifère qui est derrière tout ça, séparer la production de la reproduction, faire en sorte que la production reste entre les mains des agriculteurs, des paysans, mais la reproduction doit devenir le monopole, le monopole de qui à l’heure actuelle ? D’un groupe, d’un cartel de six firmes qui fabriquent les agro-toxiques, les pesticides. C’est-à-dire qu’on est dans une logique à l’heure actuelle où ce sont les fabricants de mort qui sont en train de déterminer l’avenir de la vie : Monsanto, Syngenta, Dow Chemical, Pioneer, Basf, Bayer. Voila, vous avez les six.
- Jean-Pierre Berlan
- : Monsanto a l’ambition de devenir le Microsoft du vivant, selon l’un de ses présidents. Ce qui est symbolique dans notre société et je pense qui est tout à fait révélateur, ça a été la technique, le brevet qui a été déposé en 1998, qui s’appelle contrôle de l’expression des gènes. C’est un brevet qui a été déposé par la recherche publique américaine et une firme privée et ce brevet vous le connaissez sous un autre nom, c’est le nom de Terminator. Terminator est le plus grand triomphe de la biologie appliquée depuis deux siècles, parce que ça fait depuis deux siècles que cette biologie appliquée essaye de résoudre le problème de la gratuité de la vie. Terminator est une technique qui permet de fabriquer des plantes, des semences, qui vont germer normalement, la plante va pousser normalement, mais au moment où le germe se forme, la plante a été manipulée, programmée, de façon à ce qu’elle aille tuer sa descendance, de faire en sorte donc que l’agriculteur va récolter un grain stérile.
- Public
- : Je pense que c’était déjà le cas avec les plantes hybrides. Quiconque a essayé de planter, de replanter des graines issues de plantes hybrides, ça n’a rien donné !
- Jean-Pierre Berlan
- : Je suis tout à fait d’accord avec vous. La seule raison pour laquelle on a fait des hybrides, c’était la première forme de Terminator, la première façon biologique de séparer la production de la reproduction. Maintenant, vous avez d’autres moyens de parvenir à ce même résultat, c’est évidemment le brevet. Vous avez toute une série d’autres moyens de parvenir au même résultat. Vous avez les moyens réglementaires, soit par des taxations, soit par des interdictions de nettoyer le grain de telle façon que les agriculteurs soient forcés de semer un grain dégueulasse, plein de mauvaises herbes. Il y a toute une série de mesures discriminatoires qui sont prises dans ce sens et le dernier incident dans le même domaine, ce sont les procès qui ont été fait systématiquement à l’association Kokopelli qui, disons, diffuse des variétés anciennes non seulement en France mais dans le monde entier. Elle a été condamnée récemment par les tribunaux pour ne pas avoir appliqué les règles. Ce que vous ne savez sans doute pas, c’est qu’il y a à l’heure actuelle en France des fruits interdits. Ce qui veut dire que ni les semences, ni ces fruits ne peuvent être offerts à la vente. Vous avez à la rigueur la possibilité de les cultiver pour vous et de les consommer vous-même, mais si vous en donnez à vos voisins vous commencez à être en infraction. Toutes ces mesures sont prises au nom du libéralisme, au nom de l’intérêt public.
Je voudrais simplement vous lire un texte d’un très grand libéral, qui avait écrit une pétition en 1845, qu’il avait intitulé la « Pétition des fabricants de chandelles, bougies, lampes, chandeliers, réverbères, mouchettes, éteignoirs et des producteurs de suif, huiles, résines, alcool et généralement de tout ce qui concerne l’éclairage ». Donc voici la pétition, le texte de la pétition : « Nous punissons l’intolérable concurrence d’un rival étranger placé, à ce qu’il nous paraît, dans des conditions tellement supérieures aux nôtres pour la production de la lumière, qu’il en inonde notre marché national à un prix fabuleusement réduit ; car aussitôt qu’il se montre, notre vente cesse. Tous les consommateurs s’adressent à lui et une branche d’industrie française dont les ramifications sont innombrables va du coup être frappée de la stagnation la plus totale. Ce rival n’est autre que le soleil et il nous fait une concurrence acharnée. Nous demandons qu’il vous plaise de faire une loi qui ordonne la fermeture de toute fenêtre, lucarne, abat-jour, contre-vent, volet, rideau, vasistas, œil-de-bœuf, store, en un mot de toutes ouvertures, trous, fentes et fissures par lesquels la lumière du soleil a coutume de pénétrer dans les maisons au préjudice des belles industries dont nous nous flattons d’avoir doté le pays. Et s’il faut fermer, autant que possible, tout accès à la lumière naturelle, si vous créez ainsi le besoin de lumière artificielle, quelle est en France l’industrie qui, de proche en proche, ne sera pas encouragée ? »
Applaudissements
- Jean-Pierre Berlan
- : Eh bien voyez-vous, vous applaudissez-là Frédéric Bastiat, qui était un journaliste hyper-libéral, qui bataillait en 1845 contre le protectionnisme. Seulement voila, 150 ans plus tard, les imposteurs néo-libéraux du complexe génético-industriel dénoncent le privilège, inexistant bien sûr, de l’agriculteur qui consiste à semer le grain récolté et qui est la pratique fondatrice de l’agriculture pour se faire conférer, au nom de leur philanthropie verte un privilège bien réel sur la faculté des plantes et des animaux de se reproduire et de se multiplier
- Public
- : Je voudrais poser une question à Richard Stallman et Jean-Pierre Berlan. Si j’ai bien compris, la convergence première qu’on peut trouver entre nous est d’abord de se méfier du vocabulaire qui nous trompe, de ne pas dire « propriété intellectuelle », là-dessus vous êtes d’accord tous les deux, ne pas dire « OGM » mais chimères, ne pas dire « Linux » mais GNU-Linux. Quelle autre convergence pouvons-nous construire ensemble ?
- Richard Stallman
- : Il y a une ressemblance entre les deux problèmes, le problème de l’interdiction de partager les semences et l’interdiction de partager les programmes. Dans deux champs de la vie très très différents, il y a la possibilité de copier des choses, des choses utiles. Quand la technologie est capable de copier quelque chose d’utile, alors ôter aux citoyens le droit de pratiquer la copie est injuste. Dans les deux champs, les entreprises qui le font emploient des lois différentes, mais l’injustice est pareille.
- Jean-Pierre Berlan
- : Quand on parle de privilège, de privilège d’agriculteur pour désigner le fait de semer le grain récolté, ce n’est manifestement pas un privilège, ça ne l’a jamais été. C’est la dénonciation d’un privilège inexistant pour se faire créer un privilège bien réel et ce, au nom du libéralisme. Donc, on est face à un assaut sur l’ensemble, je pense, de nos libertés, à l’heure actuelle. Je crois que c’est contre ça qu’il faut réussir et qu’il faut s’élever : préserver ces libertés, parce que le système de plus en plus est en train de nous enfermer, de nous interdire, disons, de faire des choses que nous avons toujours eu la possibilité de faire.
- Public
- : Quand Richard Stallman a dit qu’interdire de copier c’était injuste, moi, ça m’a fait penser à un espace que tout le monde connaît, où il est interdit de copier, et qui s’appelle l’école et on apprend ça à fond la caisse. Ceux qui réussissent sont ceux qui arrivent à copier à l’extérieur, chez leurs parents, et ceux qui n’ont pas les moyens de copier chez leurs parents n’ont pas le droit de copier sur ceux qui peuvent copier chez leurs parents. Je trouve que vraiment on devrait réfléchir à une transformation radicale de l’école par rapport au droit de copier.
- Public
- : J’avais essayé d’expliquer à des gens autour de moi, pendant un repas pour leur dire que, ces gens comme Monsanto, qui s’arrogent le droit de modifier le vivant, le font en nous trompant, en nous faisant croire qu’en modifiant un élément de notre ADN on va pouvoir résoudre des problèmes et agir de manière locale. Mais en fait, on risque de déstabiliser quelque chose de très fragile.
- Jean-Pierre Berlan
- : Simplement, ce que je peux vous dire c’est que ce qui est le facteur génétique n’est qu’un facteur parmi d’autres qui va déterminer le développement d’un organisme. Les trois brins de l’hélice, c’est d’une part l’ADN, le deuxième brin c’est ce quoi vous faites référence, l’épigenèse ou les questions de développement et le troisième point c’est, en effet, l’influence de l’environnement sur le développement de l’organisme.
Il faut essayer de comprendre le mouvement scientifique qui conduit aux biotechnologies et aux brevets. D’une information, qu’on sait être codée en quatre lettres dans l’ADN à l’information du vivant ou au vivant lui-même qui est le résultat, les protéines, qui sont, elles, constituées de vingt acides aminés. Comment on passe donc du code génétique au code du vivant, si on peut dire, la fabrication des protéines avec vingt acides aminés.
C’est le grand problème qui est posé à partir de 1953. On n’avance pas jusqu’en 1958 et je dois dire que ce sont les meilleurs esprits scientifiques du monde entier qui sont au travail pour essayer de résoudre ces problèmes-là. À ce moment-là, en 1958, Francis Crick, l’un des codécouvreurs de la structure en double hélice, va faire deux hypothèses géniales. Il va dire, première hypothèse, je vais très vite, un gène une protéine et une fois que l’information est sortie de l’ADN pour être traduite en protéine, il n’y a pas d’effet de retour des protéines sur l’information génétique, sur l’ADN lui-même. À partir de ce moment-là, en effet, on va avancer très très vite et en 1966-67, le code génétique est cassé, c’est-à-dire qu’on comprend le mécanisme, le système de passage de ces quatre lettres de l’alphabet génétique aux vingt lettres des protéines. C’est un triomphe. Ce triomphe va conduire les scientifiques, les biologistes à penser que puisque les hypothèses de Crick ont marché, c’est qu’elles sont vraies. Ça va conduire la biologie dans une impasse, qui va être l’impasse du séquençage, de ce qu’on appelait la génomique. C’est-à-dire que puisque tout est dans l’ADN, maintenant ce n’est plus la peine de réfléchir à quoi que ce soit dans le domaine de la biologie, ce qui est important c’est de savoir ce qu’il y a dans l’ADN et de l’ADN des différents organismes. Donc il faut séquencer cet ADN, c’est-à-dire ça nous a donné tout cet immense effort qui a été la génomique.
Ensuite, puisqu’on sait qu’un gène donne une protéine, qu’il n’y a pas d’effet de retour, eh bien on est tranquille. Il suffit de prendre un gène, avoir la fonction correspondante, le transférer dans un autre organisme pour transférer la fonction correspondante. Ça nous conduit aux biotechnologies. Enfin, puisqu’on sait ce qu’un gène est et on sait ce qu’il fait, on peut le breveter.
Donc en gros, vous voyez comment cette conception, une conception particulière de la vie, engage la biologie dans la voie de l’industrialisation des connaissances, avec évidemment le fait que depuis une vingtaine d’années et même plus, on sait que ces hypothèses de Crick sont fausses. Je veux dire qu’il faut les rejeter. C’est-à-dire que maintenant, on fonctionne dans ce domaine-là avec une espèce de boîte noire. On ne sait pas ce qui se passe. On fait des transferts de gènes, il se passe quelque chose à l’intérieur de la boîte noire, on n’y comprend rien et on espère ensuite qu’on va pouvoir en triant les événements de transformation qui ont eu lieu dans la boîte, on évitera les ennuis et on aura les fonctions que l’on veut essayer d’obtenir. Mais comprenez-bien que je crois que ça nous fait entrer dans une ère qui est extrêmement dangereuse puisqu’il n’y a plus aucun fondement scientifique solide aux pratiques, parfois magnifiques, de manipulation, pratiques techniques de manipulation qu’on appelle les biotechnologies et que moi j’appelle les nécro-technologies.
- Richard Stallman
- : L’expression chimère génétique s’applique correctement aux organismes actuels parce qu’ils ont été faits par l’introduction d’un gène venu d’une espèce dans une autre. Mais, s’ils commencent à introduire des gènes artificiels, venus d’aucun organisme, dans ce cas ce ne seront plus des chimères. Je peux proposer une expression qui ne suppose pas la technologie actuelle, peut-être organismes génétiquement fabriqués. Ce peut être oui.
- Jean-Pierre Berlan
- : Le terme ingénierie génétique est utilisé aussi par les fabricants de ces fameuses plantes transgéniques ou organismes, ces chimères génétiques. Mais il faut bien voir que là aussi, c’est quelque chose qui à mon avis est un abus de langage. Ce qu’on appelle l’ingénierie en général, ce sont des procédés qui sont parfaitement connus, fixes et qui conduisent à des résultats très précis.
- Richard Stallman
- : Pas toujours !
- Jean-Pierre Berlan
- : Presque toujours ! Et dans le domaine du vivant, ce qu’on appelle ingénierie génétique, ce sont des procédés qui ne conduisent pratiquement jamais au bon résultat. C’est-à-dire que ça marche une fois sur cent ! Et encore, et encore ! On est tout à fait dans un ordre de grandeur complètement différent. Si, disons un procédé d’ingénierie classique pour la fabrication du pétrole, par exemple, marchait seulement une fois sur cent, je pense que ça poserait un certain nombre de problèmes à l’industrie pétrolière.
Il ne faut pas oublier que notre agriculture dépend littéralement du pillage des ressources génétiques qui ont eu lieu à l’époque coloniale et qui se poursuivent à l’heure actuelle. Pensez que les pommes de terre, les haricots, les tomates, tout ça, ça vient d’ailleurs. On est donc dans la situation maintenant où des pays qui ont littéralement pillé les ressources génétiques du monde entier sont en train de les breveter.
- Gilles Lemaire
- : Je voudrais déjà faire une similitude. On brevette une plante. Dans cette plante, ils ont introduit un génome, un gène. C’est comme si on prend un logiciel qui a été développé collectivement, on met trois lignes de nouveau code, et on brevette, et on dit maintenant ça m’appartient ce logiciel. C’est la similitude.
- Richard Stallman
- : Non, non ce n’est pas vrai. Parce que les brevets, dans l’informatique, la loi des brevets fonctionne de manière complètement différente. Donc, il faut distinguer ces lois.
- Gilles Lemaire
- : Je distingue. Je prenais simplement une similitude, qui était de dire, la nature a produit au fil des ans ; l’Homme a des fois travaillé à sélectionner, et là ils font une manipulation à l’intérieur d’une plante et ils disent maintenant elle m’appartient. C’est qu’en plus de s’être approprié des plantes qui venaient d’ailleurs, vous verrez, en même temps, ils sont en train d’appauvrir le patrimoine génétique de l’ensemble de l’humanité.
- Richard Stallman
- : Je vois un mélange faux de deux questions. Dans tous les pays il y a des animaux et des plantes transportés d’ailleurs. La seule chose mauvaise est d’interdire ce partage.
- Public
- : Je pense qu’il faudrait essayer d’avoir des lobbies qui agissent sur le domaine du droit puisqu’il y a une casuistique insensée qui a été mise en évidence notamment dans le domaine des brevets logiciels contre lesquels certaines des associations présentes ici ont visiblement beaucoup lutté. Mais, j’ai l’impression qu’il faudrait vraiment lancer des cris d’alarme auprès des juristes. Il n’y a peut-être pas que des businessmen et des gens à la solde de l’ultra capital chez les juristes, parce que c’est avec eux qu’il va falloir combattre. Il faut combattre avec ces armes-là.
- Richard Stallman
- : La résistance contre l’occupation de l’empire des entreprises est difficile. Et je ne sais pas comment vaincre. Si je savais vaincre l’empire des entreprises je serais le sauveur du monde, mais je ne sais pas le faire. Les états, les États-Unis et l’Europe, l’Union Européenne, sont nettement à l’encontre des citoyens dans les questions des libertés informatiques. L’Union Européenne n’est pas démocratique.
- Public
- : À propos des hybrides, il y a heureusement une association qui s’est réveillée en Inde et qui a réussi à aller voir les paysans qui avaient gardé quelques graines des anciennes variétés. À ce jour il ont dû récupérer, sur les trente mille qui existaient, c’est là où je voulais en venir, à peu près trois mille cinq cents variétés. Ce qui est quand même assez grave pour la biodiversité. Pareil pour le maïs d’ailleurs, qui était cité tout à l’heure. Voila ! C’est ce que je voulais rajouter.
- Jean-Pierre Berlan
- : Le terme qui est utilisé, consistant à parler des hybrides de la Révolution verte est un terme qui est faux, si vous voulez. Ça fait partie aussi des formidables confusions entretenues par le système. Au XIXe siècle en gros, jusqu’au début du XXe siècle, on réservait le terme croisement lorsqu’on avait affaire à des plantes qui étaient de la même famille, qui étaient très semblables, et on utilisait le terme hybride, hybridation, lorsqu’on avait à faire à des plantes qui étaient sensiblement différentes. Donc, on lie en quelque sorte le croisement, le croisement entre espèces, entre organismes relativement éloignés, on lie ça à une forme d’exubérance si ça donne quelque chose de positif. C’est pour ça que le terme hybride est systématiquement utilisé maintenant. D’abord parce que ça fait un peu caniche savant, si vous voulez, pour le scientifique pour la personne qui l’utilise, alors que ça ne correspond pas du tout aux pratiques de sélection. On l’utilise systématiquement à la place du terme croisement, ça fait partie de la confusion générale dans laquelle on est.
Une autre confusion dans laquelle on est, c’est, je vais le dire maintenant, elle est quand même magnifique, c’est l’utilisation du terme variété. Le terme variété c’est un mensonge absolu. Autant l’agriculteur d’autrefois, le paysan d’autrefois cultivait des variétés au sens de ce qui est divers, diversité, contraire de l’uniformité. Maintenant ce qu’on appelle variété, et c’est requis par la loi, ce sont des plantes qui sont toutes les mêmes. Le rôle du sélectionneur est de l’obtenteur, c’est de faire des copies d’un modèle unique de plantes qui est d’ailleurs, de façon très intéressante, déposé à un espèce d’institut comme autrefois on déposait un dispositif mécanique pour pouvoir le breveter. Eh bien ce sont des clones. On est depuis deux siècles, en réalité tout ça ça a commencé il y a deux siècles avec la révolution industrielle, dans une logique de clonage. Dolly n’est que la dernière manifestation de cette profonde addiction, dépendance de notre société, à cette uniformité industrielle. Pour moi, je peux vous dire que maintenant, ce que je vois, le plus grand danger que je vois dans le domaine dans la biologie, c’est la contradiction qui est croissante entre la nécessité de l’industrialisation, qui sont des industries, des nécessités d’uniformité, d’homogénéité, de standardisation, de normalisation, d’un côté, alors que la vie c’est par définition la diversité. De plus en plus, ces deux logiques sont en train de rentrer dans une collision. À mon avis, si c’est la solution industrielle qui l’emporte, il ne restera pas beaucoup de vie sur terre, en tout cas de vie humaine.
Applaudissements
Public : Bonjour. Vous faites le lien d’une manière permanente entre les biotechnologies et l’appropriation. Je voulais simplement souligner une initiative, dont vous avez sûrement entendu parler, qui est l’initiative BIOS, Biological Innovation for Open Society, qui a commencé dans une université d’Australie dont justement le fondateur est un chercheur australien qui lui-même détient des brevets personnellement et il s’est servi de l’argent que lui ont fourni ses brevets pour justement lancer cette fondation.
Jean-Pierre Berlan : Sur le fait, si j’ai bien compris, de breveter certains gènes ou certains dispositifs ou certains procédés pour pouvoir dire ensuite ils sont maintenant en accès libre à tous ceux qui veulent les utiliser, je pense que c’est une erreur de rentrer dans cette logique du brevet. Pour un brevet qui sera déposé, qui sera mis à la disposition de tout le monde, vous en aurez cinq cents ou huit cents qui seront déposés par les entreprises et qui seront des brevets de fermeture et non pas des brevets d’ouverture.
Pour reprendre ce qui disait Richard, c’est vraiment la notion de partage qui importe. Il faut partager les ressources génétiques, il faut les utiliser en commun, il faut partager les savoirs parce que c’est la seule façon par laquelle on arrivera en effet à nourrir l’humanité. C’est en partageant nos savoirs. Maintenant sur un autre point : est-ce que les biotechnologies peuvent servir à quelque chose pour nourrir l’humanité ? Ma réponse est probablement non. Parce que le problème n’est pas là. Le problème est beaucoup plus le problème de la destruction des sols, la destruction de la vie par les méthodes de l’agriculture intensive. On a perdu comme quarante pour cent des terres fertiles au cours des cinquante dernières années et ça personne ne vous le dit. La base de tout ce sont les sols. N’oubliez jamais une chose, c’est que quatre-vingt pour cent de la biomasse, c’est-à-dire de la vie de la planète, est dans les trente premiers centimètres de sol. Je ne sais pas si vous vous rendez compte. Trente centimètres de sol. Vous rapportez ça au rayon de la terre : 6400 kilomètres. C’est-à-dire que nous sommes installés sur une mince couche de vie et cette mince couche de vie on est en train de la foutre en l’air à toute allure. Le problème central pour demain, c’est d’aller bien, d’entretenir la vie des sols, de restaurer la vie des sols, sans ça rien n’est possible.
- Philippe-Charles Nestel
- : Est-ce que ce serait possible d’imaginer que des agriculteurs, des gens qui luttent contre le brevetage du vivant, puissent, peut-être à leur manière, s’inspirer des modèles économiques du logiciel libre pour trouver d’autres formes de développement économique qui seraient aussi une forme de résistance.
- Gilles Lemaire
- : Les agriculteurs bio en sont l’illustration la plus dynamique. Ils s’organisent ensemble en terme de coopératives. Ils s’organisent ensemble donc à la fois pour échanger, pour échanger sur les méthodes, pour commercialiser et le mouvement des faucheurs volontaires n’existerait pas s’il n’y avait pas des paysans.
- Jean-Pierre Berlan
- : Oui, il existe un mouvement très faible, mais qui commence, qui prend un peu d’ampleur, c’est le mouvement des Semences paysannes et derrière c’est la question de la sélection participative, c’est-à-dire de formes de sélection qui sont faites par les agriculteurs eux-mêmes, avec une aide, avec des conseils de scientifiques, c’est-à-dire de gens qui peuvent. Si vous voulez, la question centrale c’est, je crois, celle de la convergence que la science de demain dans le domaine agronomique, j’entends bien, comme d’ailleurs dans le domaine médical, elle sera à l’intersection à la fois des savoirs locaux, des savoirs des paysans, des savoirs des agriculteurs et d’un savoir plus distancié de laboratoire. Alors que la science dans laquelle nous sommes, l’agronomie actuelle, c’est une agronomie qui est complètement imposée de l’extérieur dans laquelle le savoir paysan est considéré comme véritablement de l’obscurantisme.
- Gilles Lemaire
- : Mais aujourd’hui c’est interdit par la loi. Il faut savoir qu’en France, il y a un cahier des semences. Les semences doivent être inscrites sur ce cahier pour pouvoir ensuite être commercialisées, voire même être échangées, ce que disait Jean-Pierre. Un paysan ne peut pas passer des semences issues de son champ à un autre paysan. Au travers de ce cahier des semences qui a été mis en place pour des raisons soi-disant d’amélioration des semences, de maîtrise de la qualité des semences et autres, en fait c’est un outil qui permet aux grandes firmes agroalimentaires de mettre la main complètement sur les semences. Pour s’inscrire sur les cahiers, c’est effectivement très compliqué. Il n’y a que les fermes agroalimentaires qui sont capables de le faire.
- Public
- : Il y a plusieurs types de chimères génétiques. L’insuline par exemple est produit par chimère génétique. Contre quoi porte le combat exactement ?
- Jean-Pierre Berlan
- : C’est sur les cultures en plein air de plantes chimériques, de plantes brevetées. Voilà, le combat c’est là-dessus.
- Richard Stallman
- : Il y a des entreprises de logiciel privateur, et pas seulement Microsoft, qui offrent des copies presque gratuites de ces programmes pas libres aux écoles et aux étudiants pour les amener dans la dépendance de ces programmes, une dépendance qui peut être permanente. Les écoles doivent refuser de participer, refuser d’être utilisées comme ça. Parce que les écoles ont une mission sociale, la mission d’éduquer la nouvelle génération comme de bons citoyens d’une société forte, capable, indépendante et solidaire ; c’est-à-dire les éduquer à utiliser uniquement le logiciel libre. L’école doit enseigner uniquement uniquement le logiciel libre. Merci beaucoup.
Applaudissements
Jean-Pierre Berlan : À propos de ce phénomène d’addiction, je vais vous lire ce que le GIXEL, c’est le lobby d’électronique, avait écrit en 2004 et ce qui est en train de se produire maintenant avec la biométrie dont vous avez peut-être entendu parler : « La sécurité est trop souvent vécue dans une société démocratique comme une atteinte aux libertés individuelles. Il faut donc faire accepter par la population les technologies utilisées et parmi celles-ci la biométrie, la vidéosurveillance et les contrôles. Plusieurs méthodes devront être développées par les pouvoirs publics et les industriels pour faire accepter la biométrie. Elles devront être accompagnées d’un effort de convivialité par une reconnaissance de la personne et par l’apport de fonctionnalités attrayantes. Éducation : dès l’école maternelle, les enfants utilisent cette technologie pour entrer dans l’école, en sortir, déjeuner à la cantine et les parents ou leurs représentants s’identifieront pour aller chercher les enfants. Introduction dans les biens de consommation, de confort et des jeux, téléphones portables, ordinateurs, voitures, domotiques, etc, etc. »
Donc vous voyez que là aussi on est très précisément dans un projet de créer de la familiarité et la dépendance par rapport à un système de surveillance généralisée et là aussi, on voit comment le système est en train maintenant de s’emparer, de nous restreindre encore plus nos libertés.
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Richard Stallman : Très intéressant. Donc n’achetez pas avec les cartes de crédit.
Une petite chose que je voudrais mentionner. Si quelqu’un mentionne le système d’exploitation Linux, peut-être, je ne sais pas pourquoi, mais il se trompe parce que le système d’exploitation s’appelle GNU et il s’utilise avec le noyau Linux. Donc, c’est GNU et Linux.
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Philippe-Charles Nestel : Je souhaite que toute la communauté du logiciel libre tente de manger la production de nos amis agriculteurs bio et que nos amis agriculteurs bio tentent de mettre du logiciel libre.
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