Luc : Décryptualité. Semaine 38. Salut Manu.
Manu : Salut Luc.
Luc : Qu’est-ce que tu nous as mis dans la revue de presse ?
Manu : Cinq jolis articles.
Luc : Qui ont une certaine cohérence, du coup on va en tirer notre sujet de la semaine.
Premier article : Numerama, « Pourquoi les administrations ont-elles tant de mal à passer au logiciel libre à grande échelle ? », un article de Moran Kerinec.
Manu : Qui parle d’un sujet très global, qu’on va aborder un peu après, qui introduit notamment L’ADULLACT. C’est assez sympa.
Luc : 4Legend.com, « Porsche lance une nouvelle initiative open source », un article de Porsche. C’est un petit site, je ne sais pas si c’est vraiment une publication, en tout cas c’est une présentation de leur projet.
Manu : Oui, ils veulent utiliser de plus en plus du logiciel libre. C’est plutôt sympa. Ils le mettent en avant comme quelque chose de vraiment novateur.
Luc : Du coup c’est open source dans quels domaines ?
Manu : C’est du partage de code. Ils vont notamment se poser su GitHub et ils vont partager, on va supposer, avec les autres constructeurs qui, on l’espère aussi, vont en faire autant.
Luc : Sur des logiciels qu’ils développent et qui leur sont utiles.
cio-online.com, « La DINUM confirme l’interdiction de déployer Office 365 dans les administrations », un article de Bertrand Lemaire.
Manu : On dirait que ça remue un petit peu et que, malheureusement, il y a pas mal d’administrations qui utilisaient Office 365 ou « Offess365 », je ne sais pas comment tu dis ? Il faut voir.
Luc : Je ne suis pas très fort en anglais !
Manu : Tu n’es pas très fort en anglais ! Pour le coup c’est du cloud et le cloud peut être intéressant, il y a des choses qui sont pas mal, mais le cloud propriétaire à l’étranger, c’est quand même problématique.
Luc : Oui. Et pour travailler avec, malheureusement, ça nécessite aussi d’avoir une bonne infrastructure réseau qui fait que les synchronisations de fichiers ne te pètent pas à la gueule et que tu ne perdes pas des heures de travail, ce qui ne m’arrive jamais, bien entendu !
ChannelNews, « Les talents open source toujours aussi rares », un article de Lucie Robet.
Manu : Ça découle de tout un sommet qu’il y a eu a Seattle de la Fondation Linux, de différents éditeurs et d’entreprises, de recruteurs qui ne sont pas contents parce qu’il n’y a pas assez de personnes et de talents dans le logiciel libre, donc ils ont de la difficulté à trouver des gens. C’est sympa pour les développeurs, pour les informaticiens. Effectivement, c’est plus difficile pour les entreprises, ça doit concerner aussi les administrations d’une manière ou d’une autre. Oui, il n’y a pas adéquation entre les personnes et le besoin qu’on a d’elles.
Luc : Numerama, « Toujours dépendant de Google, Firefox teste un autre moteur de recherche par défaut », un article de Julien Lausson.
Manu : C’est embêtant, c’est même gênant. Oui, depuis des années, Firefox propose un moteur de recherche quand on ouvre une nouvelle page, en soi c’est un mécanisme. Mais, il se trouve que ça a été décidé avec l’entreprise Google, ce moteur de recherche serait le moteur de Google en échange de millions, de centaines de millions de dollars. À d’autres époques il y avait eu des essais pour travailler avec Yahoo, mais ça n’avait pas bien fonctionné et Yahoo avait notamment un peu de mal à évoluer. Ils étaient revenus à Google, mais je pense que Firefox, enfin la Fondation Mozilla, sentent bien que c’est problématique d’être autant dépendant d’un seul acteur dominant. Ils essayent de voir s’il n’y a pas d’autres éléments de solutions, mais ça reste compliqué.
Luc : Sachant que c’est difficile, parce qu’il n’y a pas des masses de moteurs de recherche performants pour le grand public. Après, cette dépendance est un petit peu embêtante et les parts de Firefox ne font que baisser, elles sont aujourd’hui vraiment très faibles. C’est quand même un gros échec pour la Fondation Mozilla.
Manu : Il me semble que c’était un troll à une époque : doit-on imposer le logiciel libre aux administrations ?
Luc : Oui. Ça fait écho à plusieurs articles que tu as remontés dans la revue de presse. Doit-on les forcer ? C’est un grand débat. Quand on est défenseur de la liberté, comme le sont les libristes, est-ce qu’on peut forcer les gens à choisir des solutions libres, c’est-à-dire qu’ils n’aient pas la liberté de choisir des solutions propriétaires ? De base, on aurait tendance à dire non : si les gens veulent choisir du propriétaire c’est leur droit. Le principe du logiciel libre, en tout cas dans les idées de l’April, c’est cette idée qu’on fait la promotion du Libre parce qu’on pense que c’est un meilleur modèle et que la liberté est importante mais on ne peut pas contraindre les gens à faire ce choix-là, sans quoi ce n’est plus du logiciel libre.
Manu : Ce que tu dis là s’applique très bien à la population en général, mais peut-être qu’on peut faire une autre réponse pour ce qui est des administrations qui sont quand même un organe institutionnel bien à part.
Luc : Je te laisse avancer des arguments Manu.
Manu : Après tout l’administration c’est l’extension de l’État, donc de la nation, on peut le dire, et c’est plus un environnement où on va travailler et où on va fonctionner pour la société. Que dans cet environnement-là on pousse les administrations à ne choisir que du logiciel libre, ce n’est pas forcément contradictoire. En tout cas, on peut essayer de pousser vers une priorité, au minimum, au logiciel libre. Si vraiment on n’a pas le choix, pourquoi ne pas utiliser du logiciel privateur, mais si on a la possibilité, non, il faut s’engouffrer dans ce choix-là et prendre du Libre.
Luc : Oui. Et la logique qu’il y a derrière ça et qui permettrait de justifier une priorité ou une obligation, c’est de dire que le logiciel libre serait un choix plus efficace, plus intéressant. C’est de l’argent public, ce sont nos impôts, les administrations doivent se justifier devant les citoyens. Si on est capable d’affirmer et de démontrer que ce modèle-là est plus intéressant, plus performant, coûte moins d’argent, permet de faire plus de choses, alors forcément on ne peut pas dire qu’on va rester sur une solution moins efficace, avec nos sous en fait.
Manu : C’est ce que dit notamment l’ADULLACT [1] : oui, avec le temps on sera plus efficace économiquement, mais ça prend potentiellement un certain nombre d’années. On ne va pas forcément être tout de suite économiquement rentables avec ce choix : si on passe d’un logiciel privateur qui fonctionne à un logiciel libre peut-être qu’il fonctionne, mais il y a quand même un délai avant d’être efficace et de rendre ce changement utile.
Luc : Et de rentrer dans ses sous. C’est l’article de Numerama, de Moran Kerinec qui est « Pourquoi les administrations ont-elles tant de mal à passer au logiciel libre à grande échelle ? », c’est que c’est un gros projet, ça prend du temps, il y a des risques, on peut se planter en cours de chemin alors que quand on ne change pas on a quand même moins de chances d’échouer. En fait, on se dit que c’est moins cher. Oui, c’est moins cher, mais c’est moins cher sur le long terme parce que d’abord il faut changer, ce qui coûte de l’argent ; c’est douloureux pour les équipes parce que personne n’aime changer ses habitudes, et ensuite, une fois qu’on a fait tout ça, effectivement au bout de cinq, sept, huit, dix ans on commence à pouvoir voir financièrement les fruits de ce changement et s’apercevoir qu’on a fait des économies.
Manu : On a aussi un gain : on obtient à nouveau une certaine liberté face à ses fournisseurs, une certaine souveraineté. On a la capacité de vraiment faire des choix qu’on pourra mener soi-même ou avec d’autres, ça facilite la vie. Par contre, quand il y a des manques, il faut aussi faire ce choix d’investir et de faire un travail. C’est mis en avant dans l’article, c’est par exemple la ville d’Arles qui a développé un logiciel de gestion, tu sais de gestion de quoi ?
Luc : De cimetière, un logiciel qui porte le doux nom d’openCimetière [2].
Manu : C’est plutôt intéressant. Je ne sais pas, mais j’espère que c’est utilisé dans pas mal d’autres villes après tout.
Luc : L’article dit que oui, ça s’est beaucoup développé et maintenant plein de villes l’utilisent.
Manu : C’est plutôt bien. On va pouvoir mourir libres, en tout cas un petit peu plus libres et on se dit que ça peut être utile de partager. Par contre, j’imagine qu’il y a aussi un risque : la ville d’Arles a peut-être fait cet investissement, mais elle va sentir que d’autres villes profitent de ce qu’elle a fait comme travail et que les autres villes ne vont pas contribuer autant. Il y a toujours un risque de la peur du parasitage.
Luc : C’est un logiciel qui existe depuis longtemps, qui a déjà bien vécu et qui s’est pas mal développé. C’est effectivement une problématique, on en parlait avant les vacances. Un certain nombre d’éditeurs de logiciels libres ou, en tout cas, de solutions libres, ont changé de modèle parce qu’ils voyaient notamment des GAFAM, des grosses boîtes, utiliser leurs solutions sans leur verser un centime. Il y a effectivement toujours cette problématique de dire : est-ce que je suis capable de me financer ? J’ai plein d’utilisateurs mais personne ne verse un centime.
C’est là où des structures qui font un peu la jonction entre tout le monde peuvent être utiles pour motiver les troupes et les communes, dire « mettez au pot, ne prenez pas juste le code sans jamais rien reverser ». On a également la loi qui peut être là pour changer ça et c’est un des intérêts. Par contre, ça veut dire qu’on a une politique de long terme à la fois, comme on disait tout à l’heure, pour changer, se décider à faire l’effort de changer de solution et se dire qu’on aura un gain dans cinq ou dix ans et également avoir une politique globale de développement du Libre pour combler les lacunes comme openCimetière par exemple. Là où il n’y avait que des solutions propriétaires chères, compliquées, etc., ils ont créé quelque chose à partir de zéro et ça, ça demande de la volonté politique, des moyens aussi et que tout le monde décide d’aller dans le même sens.
Manu : Là on le sent quand même, il y a de la volonté politique qui est en train de se dégager. Ça se voit parce qu’il y a des rapports qui sortent, des rapports au niveau des institutions françaises et des institutions européennes, qui mettent en avant notamment des gains économiques plutôt intéressants pour toute la société.
Luc : On investit pour développer des logiciels avec des développeurs qui, à priori, vivent chez nous. Ensuite on n’a pas à repayer ces investissements encore et encore au travers de l’éditeur propriétaire. On rappelle que tous les gros éditeurs, toutes les grosses boîtes de l’informatique, que ce soit par Internet avec les GAFAM, mais aussi les gros éditeurs de solutions propriétaires, ont de très bons services d’optimisation fiscale avec des impôts qui partent vers l’Irlande. On ne sait pas quel est le ratio entre ce que leur coûte le développement et ce que leur rapporte la vente de licences, mais il y a un certain nombre de boîtes qui font des bénéfices considérables, donc si on maîtrise cette partie-là, c’est moins d’argent qui part dans les bénéfices de ces éditeurs. Et c’est également la possibilité d’avoir des développements qui soient réellement adaptés aux besoins, donc potentiellement qui permettent aux gens de travailler plus vite et plus efficacement, ce qui est aussi une source de gains énormes.
Quand l’Europe a fait cette étude-là je suppose qu’elle a fait ce genre de calcul, ce qu’on appelle les externalités, et a trouvé qu’effectivement investir dans du Libre, avec cette idée que ça se répande, que ça s’améliore et que tout le monde puisse en bénéficier, c’est beaucoup plus efficace que d’avoir une bonne grosse solution propriétaire, monolithique, sur laquelle tout le monde se branche.
Manu : Pour aller dans ce sens-là et continuer à voir un peu de positif, on sait que dans le passé on a imposé à des administrations la priorité au logiciel libre, je pense à l’Éducation nationale en tout cas l’Enseignement supérieur [3], il me semble que c’était ça en France, on sent que ça frémit un petit peu partout en Europe. Effectivement c’est un choix qui est politique, il faudrait que les décideurs mettent en avant quelque chose sur le long terme, un choix de société. Ce ne sont pas juste les administrations qui vont dire « on sera plus efficaces, on sera plus utiles en faisant du Libre ou de l’open source » — il faut voir la philosophie qui est derrière. L’utilité ponctuelle peut vraiment laisser la place à un choix de long terme, un choix d’organisation qui sera bénéfique à tout le monde, économiquement oui, on le voit, mais aussi en termes de souveraineté, en termes de choix de société. C’est quelque chose de vraiment puissant.
Je sens qu’il y a un frémissement, il y a quelque chose positif en ce moment qui a l’air de se dégager.
Luc : Oui. Il n’y a rien de gagné. L’autre article de cio-online.com sur l’interdiction d’Office 365 dans les administrations, par exemple, pourrait nous laisser penser qu’il y a effectivement cette volonté. Sur la question des données, même si on n’est pas sur du logiciel, dire évitons au moins de voir les données des administrations partir sur des serveurs américains. C’est une vision stratégique, au moins un petit peu.
En revanche, pour le moment ils accordent des dérogations, il faut se méfier des dérogations qui ne s’arrêtent jamais. Ensuite, on en avait parlé avec le cloud souverain qui utilise des technologies Microsoft et autres sous licence : les technologies d’Office 365 sont autorisées par la DINUM [4] [Direction interministérielle du numérique] dès lors que ça passe par des services de cloud souverain prétendument maîtrisés par des boîtes comme Orange ou ce genre de choses, donc sur des solutions souveraines mais sous licence américaine, donc ça limite un petit peu la portée de cette décision.
Manu : Tu vois négatif dans tout ça. Oui, il ne faut pas se leurrer il y aura encore des failles dans nos raisonnements, dans nos espoirs. Oui, avec le cloud notamment c’est assez facile d’héberger des solutions dont on ne connaît pas les tenants et les aboutissants, on ne maîtrise pas forcément les licences, donc c’est facile de mettre du privateur derrière quelque chose qui aura l’air assez sympa. C’est utile et pratique, donc il faut se méfier. Il faut se méfier de la fuite des données qui iraient dans d’autres pays avec d’autres juridictions. Il y a toujours un risque.
Luc : C’est un aspect de la problématique en question, c’est un aspect politique parmi d’autres. Dans les freins qu’on peut évoquer et qui sont également dans ta revue de presse c’est la question des talents. On avait cet article sur les talents open source toujours aussi rares. Quand on est une administration on a des gens qui sont déjà en poste. Si ces gens ont des compétences dans les technos Microsoft, etc., ce n’est pas évident de les faire changer du jour au lendemain ; déjà ils n’en ont probablement pas envie, ils ont leurs habitudes, etc. Et puis, éventuellement, il faut en trouver d’autres et on voit bien, on en parle à intervalles réguliers dans le podcast depuis des années, la difficulté d’avoir des gens qui soient formés sur ces technos-là. Je pense que c’est une autre dimension politique importante qui est de se donner les moyens, au niveau de l’éducation, d’avoir plus de gens, plus de jeunes diplômés qui sortent d’écoles, qui soient compétents dans les technos libres et moins sur toutes les technos propriétaires.
Manu : Je pense que c’est un changement de paradigme. Il faut arrêter d’être accro au logiciel privateur et ça c’est global, les administrations et l’éducation, tout le monde, les entreprises, il faut passer à un autre modèle.
Luc : En tout cas ça démontre qu’il faut avoir envie de le faire et qu’il faut s’en donner les moyens à la fois sur l’éducation, les projets long terme, toutes ces dimensions-là, ce qui tombe bien puisque l’April fait du travail politique, institutionnel.
Manu : Sur ce, je te dis à la semaine prochaine.
Luc : Oui. À la semaine prochaine. Salut.