Luc : Décryptualité. Semaine 45. Salut Manu.
Manu : Salut Luc.
Luc : Au sommaire directement.
Manu : Directement !
Luc : EurActiv, « Le gouvernement veut accélérer le déploiement de l’open source », un article de Mathieu Pollet.
Manu : Qui parle de l’Open Source Experience. C’est plutôt intéressant, tellement intéressant qu’on va continuer sur le sujet juste après le sommaire.
Luc : La Vie, « Laurent Chemla, premier cyberpirate de France », un article de Constance Vilanova.
Manu : Ça remonte dans le passé, loin, en 1986. Ça parle de Laurent Chemla pour présenter un petit peu son parcours et les impacts que ça a eu sur le monde de l’informatique en France, dans le logiciel libre, tout ça en commençant à partir du Minitel. C’est plutôt sympa.
Luc : The Conversation, « Souveraineté et numérique : maîtriser notre destin », un article de Annie Blandin-Obernesser.
Manu : Je l’ai lu il y a déjà quelques jours, c’est plutôt long et intéressant, allez jeter un œil. Il me semble que ça parle d’éthique, c’est assez creusé ; ce n’est pas mal.
Luc : ZDNet France, « Framasoft, « Amap du numérique », a vingt ans », un article de Thierry Noisette.
Manu : C’est plutôt sympa, une association d’éducation populaire il faut la présenter et en parler pour que tout le monde la connaisse et l’associer avec la notion d’AMAP, pourquoi pas, je trouve ça bien. Et 20 ans, félicitations ! Bon anniversaire !
Luc : Félicitations. On adore nos amis de Framasoft et ce qu’ils font.
RFI, « Face à l’immensité du Big Data, les stratégies des journalistes d’investigation », un article de Léopold Picot.
Manu : Ça parle rapidement de logiciel libre, donc je ne sais pas si ça va rester dans la revue de presse, on verra demain [L’article fait partie de la revue de presse, NdT]. Je trouve que c’est intéressant parce que, effectivement, pas mal de fuites de données ont eu lieu dans le passé, on a abordé le sujet, on en a déjà parlé, par exemple les Pandora PapersPandora Papers]] et d’autres. On espère qu’il y aura encore plein d’autres fuites de données dans le futur parce que c’est ce qui nous permet de connaître un petit peu l’état de la corruption, les mécanismes des décisions qui ont été prises dans le passé, là où il y a de l’argent qui circule et qui ne devrait pas. Tout ça a des enjeux assez complexes, difficiles à gérer, ce qui fait que les journalistes sont surchargés, inondés d’informations. Ils ont des méthodologies pour les gérer, ils s’appuient et ils développent notamment du logiciel libre pour essayer de trier tout ça et d’en faire quelque chose d’un peu solide. Ne serait-ce que suivre un nom, un pseudo, à travers plein de papiers, ce n’est pas facile, mais, à un moment donné, pour essayer de retrouver les liens entre les choses, faire une toile de toutes les relations, je ne sais pas, « telle personne a dépensé tel argent qu’elle avait déjà récupéré à tel endroit ». Ce n’est pas mal. En plus, je pense qu’ils ont besoin d’aide parce qu’ils n’ont pas l’air d’être très nombreux, quelques dizaines à faire, mais ça a un gros impact. Ce sont des journalistes qui font vraiment la différence.
Luc : Il y a fort longtemps, quand j’étais encore étudiant j’avais un prof qui est journaliste, que j’ai mentionné dans la revue de presse il y a quelques semaines, qui avait expliqué à l’époque qu’ils avaient effectivement utilisé des bases de données, ils avaient récupéré des données publiées par des députés, je crois, sur leurs déclarations de patrimoine, etc., pour croiser un peu les infos. Ils s’étaient aperçus que deux hommes politiques de bords différents étaient tous les deux propriétaires d’un appartement dans le même immeuble. Ils disaient c’est intéressant, ça ne veut pas nécessairement dire quelque chose, en tout cas c’est un hasard qui mérite d’être creusé. Aujourd’hui, évidemment, on a beaucoup plus d’informations, donc c’est effectivement un sujet essentiel.
Aujourd’hui on va parler des déclarations de la ministre au salon en question. Mag, qui ne participe pas ce soir, était présente sur place. Elle n’a pas écouté la ministre faire son discours.
Manu : Elle faisait autre chose.
Luc : Elle faisait autre chose. En tout cas, ce qui a été dit est plutôt agréable à entendre. On a lu la transcription [1], ça fait plaisir, non ?
Manu : Oui, parce que là elle lance un plan d’action logiciels libres et communs numériques. Elle a fait tout un discours autour du sujet et elle va sortir de l’argent, de grosses sommes, pour favoriser le logiciel libre. Ça fait plaisir à entendre, c’est plutôt sympa.
Luc : Dans son discours, hormis le fait qu’il y ait ce plan-là, elle met en avant pas mal de choses qui sont très intéressantes, notamment l’idée qu’il faut être autonome, avoir de la souveraineté et que ça passe par l’interopérabilité entre les systèmes et la réversibilité, c’est-à-dire qu’on puisse revenir en arrière sur nos décisions ou que les gens qui bosseront dans dix ou vingt ans puissent changer d’avis et revenir en arrière. Or, une des stratégies du logiciel propriétaire c’est en général, très souvent, d’enfermer les utilisateurs dans leur système de telle sorte que ce soit très compliqué d’en sortir.
Manu : Elle met en avant, et pour commencer, de cataloguer un peu tout ça, référencer. On a déjà abordé les référentiels de logiciels libres qui sont mis en place et qui permettent d’un petit peu cartographier quelles sont les solutions qui sont utilisables. Là, elle veut aussi référencer les bons logiciels que nous défendons dans le catalogue GouvTech, ce qui paraît plutôt sympa. C’est quoi le catalogue GouvTech ? Tu te souviens ?
Luc : C’est justement là que ça avait fait un peu tache, on en avait parlé il y a quelques mois. Le catalogue GouvTech est un catalogue édité par la DINUM mais qui n’est pas vérifié par la DINUM. Dans ce catalogue il y a des solutions propriétaires et des solutions libres. Une des choses relevée par l’April [2] c’est que certaines solutions présentées comme libres en réalité ne le sont pas et que le catalogue en question n’est que la compilation des déclarations des éditeurs, certains se disant open source alors qu’ils ne le sont pas. Il y a un petit avertissement, ils ne prétendent pas l’inverse, mais disons que la première étape c’est d’essayer de cataloguer des logiciels libres dans un catalogue qui, jusqu’à maintenant, ne fait aucune vérification, donc qui n’est pas très sérieux.
Manu : Même s’il ne fait toujours pas de vérifications, c’est quand même bien d’y introduire le plus possible de bonnes solutions, des solutions que nous défendons ; ça ne pourra pas faire de mal, ça permettra d’avoir des choix un peu plus avancés.
Luc : Mais si tu dois prendre une décision à partir d’une source d’informations et que cette source d’informations n’est pas fiable, c’est quand même embêtant.
Manu : Une autre chose à été remontée par Étienne Gonnu de l’April [3] : ils n’ont pas beaucoup abordé les problèmes de marchés publics qui sont un des enjeux qui peut être derrière tout ça. Quand une administration a besoin d’une solution, elle va lancer un marché public, elle va demander à tous ses fournisseurs potentiels d’y répondre et on pourrait, par exemple, imposer du logiciel libre dans ces cas-là. Il y a déjà des facilités, mais, à notre goût, ce n’est pas encore suffisant et elle n’a pas l’air d’avoir abordé ce genre de sujet. Tant pis dans l’immédiat !
Luc : C’est très orienté sur l’idée que les solutions développées par les collectivités, les collectivités territoriales, l’État, etc., en fait tous les acteurs publics, puissent, dans cette idée que les solutions que eux développent, être libérées autant que possible et partagées. Une forge logicielle est mise en place.
Manu : Pas tout à fait une forge logicielle. Attention !, ce n’est pas une forge.
Luc : Une plateforme.
Manu : Une plateforme, code.gouv.fr [4]. Allez jeter un œil, c’est plutôt sympa, mais ce n’est pas une forge habituelle où on développe le logiciel libre et où on héberge le code source des logiciels. C’est plutôt un lieu de références, un nouveau, qui va référencer et qui va pointer vers d’autres forges, essentiellement GitHub et GitLab. C’est là où il y a des milliers de projets libres qui sont développés par le gouvernement et les collectivités et qui sont là, réellement hébergés. C’est bien de commencer à pointer vers ces forges et puis d’utiliser des outils déjà existants. Perso, je trouve que c’est plutôt encourageant.
Luc : L’idée du catalogue, dont on parlait initialement, c’était de savoir ce qui existe et ensuite d’aller essayer de motiver tout le monde à passer ça en Libre. Il y a quelques semaines on parlait d’openCimetière [5], ce logiciel au nom si sympathique, qui est une des réussites dans les logiciels développés par des collectivités, qui est passé en Libre, partagé, utilisé par un nombre croissant de communes et où il y a une communauté de collectivités qui s’en sont emparé, qui l’ont développé et fait croître. On se dit que c’est un bon usage de nos impôts plutôt que d’aller payer des licences propriétaires à des entreprises qui font de l’optimisation fiscale.
Manu : Elle en a parlé et il est question d’ouvrir d’autres briques. Il y a en une qu’on a déjà abordée, France Connect, la brique qui permet de s’identifier dans différents services en passant, par exemple, par une identification déjà existante aux impôts. Il y a plusieurs systèmes qui sont mis en commun. Elle a aussi évoqué la possibilité d’ouvrir le code de l’outil qui permet de choisir sa filière, je crois que c’est pour aller au lycée, mais aussi les systèmes de calcul des impôts pris à la source. Il y a pas mal de choses qui sont en cours. Par contre, je ne suis pas sûr que ce soit fait dans le cadre de la réutilisabilité, parce que je ne vois pas trop qui va réutiliser ce code-là. Peut-être quelques pays amis en Europe ou en Afrique et c’est tant mieux s’ils peuvent y jeter un œil, mais, en soi, je ne suis pas convaincu !
Luc : Tu sais bien que c’est ce principe même de la libération des données, du code ou de plein de choses. Toi tu ne vois pas trop à quoi ça pourrait servir, mais on est toujours surpris par les idées, les emplois qui peuvent être faits ou les détournements. Un bout du code peut être repris et peut-être qu’on peut faire plein de choses avec. Ça reste intéressant. Elle ne le fait pas avec l’objectif que tel ou tel acteur s’en empare pour faire telle ou telle chose. C’est aussi ce principe de liberté : on libère, on verra bien ce que ça donne, on laisse la liberté à quiconque de s’en emparer et d’en faire quelque chose.
Manu : Je rajouterais, si jamais ce n’était pas réutilisé, dans ce cas-là, finalement, il n’y a pas vraiment de risques à le partager, donc on peut bien ouvrir le code ; si personne n’en fait quoi que ce soit, ce n’est pas très grave en soi. Souvent on a peur d’ouvrir le code parce que qu’on a peur qu’on tire profit d’un travail, on a peur d’être parasité. Le code qui permet de faire le calcul des impôts, oui, je pense que ça peut avoir une utilité, parce qu’on va pouvoir l’étudier, savoir comment ça marche et éventuellement y trouver des problèmes. Ça peut faire partie des choses qu’on peut remonter, peut-être qu’il y a des calculs qui sont mal faits, il y a peut-être des gens qui vont être trop imposés et d’autres pas assez. Ne serait-ce que pour ça, ça peut être intéressant d’un point de vue de citoyen.
Luc : Elle mentionne aussi qu’ouvrir le code ça permet à des candidats potentiels, qui pourraient venir travailler dans l’administration sur du Libre, de voir qu’il y a du code de qualité, que ça pourrait les motiver, avec cette idée de rendre l’État plus attractif sur le marché du travail comme employeur. En gros, elle s’adresse aux libristes en disant « on libère les choses, vous pouvez voir le code et on espère que les libristes viendront travailler pour l’État pour faire plus de logiciel libre ». C’est louable, je ne sais pas si ça marchera.
Manu : Si, je pense que ça marchera et je pense que ça va dans les deux sens. C’est-à-dire que quand tu travailles pour l’État si ton code est libre ça permet à un autre futur employeur potentiel de voir ce que tu as fait pendant que tu travaillais et de voir la qualité, ou pas, de fait. Ça a aussi cet aspect-là. On est plus dans un cycle vertueux à long terme, dans tous les cas, et l’employeur État est un employeur parmi d’autres, donc c’est plutôt pas mal.
Luc : Donc plein de choses vraiment hyper-positives et aussi des sous, 30 millions d’euros.
Manu : Oui. C’est une belle somme, mais on peut la mettre en rapport avec une autre somme qu’on a entendue il n’y a pas très longtemps. Tu te souviens ?
Luc : On peut penser au cloud qui tient le haut de l’actualité depuis presque deux mois maintenant, ça fait un moment qu’on en parle. C’est 1,8 milliard d’euros.
Manu : Une paille quoi ? Effectivement, une des problématiques c’est de développer en Europe, en France, des plateformes sur lesquelles on va pouvoir appliquer le droit européen et le droit français, donc pas des plateformes américaines notamment. Il y a tout cet aspect-là où on veut pouvoir contrôler, c’est bien. Malheureusement, on s’est rendu compte, on en a parlé, que les acteurs européens et les acteurs français, enfin les institutions, veulent clairement des entreprises américaines, Google, Microsoft, Amazon. Certes, elles ne vont pas travailler directement pour l’État français, en tout cas c’est en train de se mettre en place, elles vont le faire en collaboration.
Luc : Le cloud de confiance n’est pas un truc purement étatique. L’idée c’est effectivement, pour l’économie en général, d’avoir du cloud dans lequel on puisse avoir confiance, c’est-à-dire que les données soient hébergées en Europe. Dans les solutions qui sont mises en avant c’est avec des technos sous licence des GAFAM. Sur ces 1,8 milliards on ne peut pas prétendre que tout l’argent va partir directement dans du propriétaire, c’est difficile à estimer, mais disons qu’on voit la différence de volume entre cette feuille de route pour le Libre et une politique où on va développer énormément d’activités sur un sujet essentiel également de souveraineté qui là oublie très largement le Libre, en tout cas ne le pose pas comme principe essentiel.
Manu : Tu es cynique et pessimiste, 30 millions d’euros c’est bien. Il faut le prendre positivement. En plus, elle déclare qu’ils veulent développer des compétences. Il va y avoir des expertises qui vont se mettre en place, des groupes de travail dans les administrations françaises qui vont un peu avoir une maîtrise.
Il y a du bon. Honnêtement. Le discours a l’air d’avoir bien marqué. Étienne, qui était sur place, en a dit du bien. Il a dit qu’il l’avait trouvée sincère, elle avait l’air d’être motivée, motivante. Je trouve que c’est vraiment un bel aspect, c’est plutôt sympa. Comment s’appelle-t-elle ? Tu te souviens ?
Luc : Elle s’appelle Amélie de Montchalin, notre ministre de la Transformation et de la Fonction publiques.
Manu : Vas-y, dis-le, tu as confiance dans ce qu’elle dit, il n’y a pas de souci !
Luc : Non, par principe je ne peux pas avoir confiance dans ce que dit une ministre. En revanche, c’est bien qu’elle l’ait dit et on verra ce que ça donne. On sait que dans les administrations il y a des tas de gens qui sont des libristes et d’autres qui ne le sont pas. Les administrations, comme les entreprises, ne sont jamais des monolithes, il y a des forces qui vont dans un sens ou dans l’autre. Ça reste quand même une très bonne nouvelle pour tous les libristes qui travaillent dans les administrations et qui trouveront là un bon soutien. On a parlé avec un certain nombre d’entre eux sur des événements bien plus anciens. La circulaire Ayrault [6] avait été pour eux une bouffée d’oxygène parce que ça leur avait permis d’argumenter auprès de leur hiérarchie, que c’était des solutions viables et que le Premier ministre avait dit, à l’époque, qu’il fallait les considérer. Une simple déclaration leur avait facilité la vie.
Là on voit la mise en place de structures et de moyens. Ça reste positif, après on jugera sur le résultat.
Manu : Oui. Je pense que les déclarations des politiques sont des formes d’action, mais les actions qui vont en découler sont encore plus fortes, sont encore plus réelles. Donc moi aussi je les attends avec impatience. Sur ce à la semaine prochaine.
Luc : Oui. On va se dresser une petite feuille de route pour la semaine. On se revoit la semaine prochaine, on salue tout le monde.
Manu : Salut tout le monde.